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H JUIN-JUILLET 2016 – BIMESTRIEL – NUMÉRO 26
BEL : 7,60 € - CAN : 14 $C - CH : 12 FS - D : 8 € - DOM : 8 € - GRE : 7,60 € - LUX : 7,60 € - MAR : 78 DH - PORT.CONT : 8 €
TOUS LES CHEMINS MÈNENT À DAMAS
LA VÉRITABLE
HISTOIRE DE LA MÉDUSE
ANATOMIE
D’UNE RÉVOLTE DE LA RÉPRESSION AU GÉNOCIDE
VENDÉE
L’ÉPOPÉE DES GÉANTS
LES
GÉOGRAPHES DU VATICAN
É
DITORIAL
Par Michel De Jaeghere © BLANDINE TOP
UNE JOURNÉE D’ALEXANDRE ISSAÏEVITCH
I
l avait préparé son discours avec soin. Il en avait pesé chaque mot, ruminé chaque nuance. Il l’avait répété à voix haute, pour en apprivoiser les intonations. La Vendée, son histoire avait bercé son enfance. Cette insurrection spontanée de paysans, cette révolte des humbles auxquels on avait ravi leurs libertés concrètes, essentielles, ces flots de sang répandus par des discoureurs qui prétendaient « régénérer le genre humain » au nom des droits de l’homme, imposer « la liberté ou la mort », cette flambée de violence qui avait fait surgir l’aspect le plus boueux de l’âme humaine et à laquelle avait fait face, au sein de modestes communautés villageoises, de paroisses, le sursaut désespéré de la conscience lui parlaient depuis longtemps. Il y avait discerné un avertissement. Les guerres de Vendée avaient été, à ses yeux,unerépétition.Unpréludeoùl’onpouvaitlire,déjà,lesprémicesdesgrandes tragédies du XXe siècle : celle qui, au premier chef, s’était abattue sur son propre pays en 1917. En 1920, dans la région de Tambov, les koulaks s’étaient soulevés, eux aussi, contre l’ordre nouveau en vertu duquel on leur confisquait leurs provisions de grains en leur promettant des lendemains qui chantent. On avait donné, contre eux, l’Armée rouge. Fauché à la mitrailleuse des paysans armés de fourches et de bâtons qui marchaient à l’ennemi au son des cloches. Ecrasé la révolte à l’artillerielourdeavantdenettoyeraugaztoxiquelesforêtsoùlesrescapésavaient trouvé refuge. Le futur maréchal Joukov avait gagné là ses premières décorations. « Il nous faut des Vendée ! » avait proclamé Lénine. Il avait tenu parole en multipliant les massacres. On avait noyé les contre-révolutionnaires dans la Volga comme Carrier l’avait fait dans la Loire. La terreur jacobine tenait lieu de modèle. On n’aurait, seulement, pas la naïveté de Robespierre : on tuerait les apprentis thermidoriens avant qu’ils ne se manifestent. On irait, cette fois, jusqu’au bout. Et l’on réécrirait l’histoire comme on l’avait fait en France. On maquillerait crimes et châtiments. Les koulaks seraient des « bandits », comme les Vendéens avaient été des « brigands ». On nierait les procès truqués, les déportations, les famines organisées, le goulag, comme on avait nié, on nie parfois encore, les tannages de peau humaine, le massacre des prisonniers, l’empoisonnement des puits, la déportation des femmes et des enfants, le génocide d’une population exclue de la condition humaine pour sa fidélité à l’ordre ancien, ses attachements immatériels à des réalités qu’on avait abrogées par décret. Ce 25 septembre 1993, à l’invitation de Philippe de Villiers, Alexandre Soljenitsyne était venu prendre sa part de la commémoration de la Révolution française en présidant l’inauguration du Mémorial construit aux Lucs-sur-Boulogne. Là, le 28 février 1794, l’une des colonnes infernales chargées de porter le fer et le feu au pays des brigands avait exterminé l’ensemble de la population, formée de vieillards, de femmes et d’enfants, dont 109 avaient moins de 7 ans. Après avoir torturé et éventré le curé, l’abbé Voyneau, fusillé et achevé plusieurs centaines de villageois à la baïonnette pour économiser les cartouches, les soudards avaient incendié l’église où s’étaient réfugiés les derniers survivants. « Aujourd’hui, journée fatigante, mais fructueuse, avait noté un soldat bleu dans une lettre. Pas de résistance. Nous avons pu décalotter à peu de frais toute une nichée de calotins (…). Nos colonnes ont progressé normalement. » Chassé d’URSS en 1974, Soljenitsyne vit alors reclus dans le Vermont depuis plusdequinzeans.Ila74ans.«Hautdetête,taillécommeunbouleauimmémorial,
écrit Philippe de Villiers dans le chapitre de son dernier livre qu’il consacre à la naissance de son amitié avec le dissident (Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Albin Michel, 2015). Retenu dans ses gestes, dense et puissant, il a le regard farouche et puis un immense front dénudé, traversé d’un sillon vertical, sans doute creusé par l’épreuve de visions innommables. » C’est avec émotion que, dit-il, il prend la parole. En songeant à nos morts, et aux siens. A l’innocence sacrifiée, aux illusions perdues, aux idées mortifères. Aux tragédies du passé, et à celles que réserve l’avenir. « Longtemps, dit-il, on a refusé d’entendre et d’accepter ce qui avait été crié par la bouche de ceux qui périssaient, que l’on brûlait vifs : les paysans d’une contrée laborieuse, pour lesquels la Révolution semblait avoir été faite, mais que cette même Révolution opprima et humilia jusqu’à la dernière extrémité. Eh bien oui, ces paysans se révoltèrent contre elle ! C’est que toute révolution déchaîne chez les hommes les instincts de la plus élémentaire barbarie, les forces opaques de l’envie, de la rapacité et de lahaine (…) ; aucune révolution ne peut enrichir un pays, tout juste quelques débrouillards sans scrupule ; dans son propre pays, généralement, elle est cause de morts innombrables, d’une paupérisation étendue et, dans les cas les plus graves, d’une dégradation durable de la population. » Quatre ans plus tôt, en 1989, il avait assisté, comme un roi en exil, à la chute du mur de Berlin. En 1991, à la disparition de l’Union soviétique. Il sait désormais que son séjour aux Etats-Unis s’achève : il retournera en Russie l’année suivante. En marge de la rédaction de La Roue rouge, la fresque que lui a inspirée la révolution bolchevique, il a eu le loisir d’observer « le déclin du courage » dans les élites de l’Occident. A Harvard, en 1978, il a décontenancé nombre de ceux qui s’étaient – tardivement – ralliés à sa dénonciation du communisme, en pointant, symétriquement, les effets délétères d’un idéal qui a promis et obtenu, à l’Ouest, une liberté illimitée et une prospérité sans précédent, mais qui a sacrifié à l’accumulation de biens matériels ce que Simone Weil considérait comme « les besoins essentiels de l’âme » : le droit au silence, à la méditation, à l’enracinement ; la liberté intérieure, la tension vers une vie plus pleine que celle que procure la satisfaction des sens, la conscience des devoirs qui permettent de « quitter cette vie en créatures plus hautes que nous n’y étions entrés ». Son pèlerinage en Vendée est pour lui l’occasion de compléter ce discours de Harvard en développant l’autre versant de sa critique de la modernité occidentale. De récuser sa folle prétention à extirper le mal de la société sans comprendre que, tapi au cœur de chacun, il n’est pas affaire d’organisation politique, de structure sociale, mais de morale, d’éducation, de maîtrise de ses propres passions. De fustiger sa volonté de libérer l’homme en l’arrachant à ses traditions constitutives, ses coutumes ancestrales, ses attentes spirituelles. De le délivrer de gré ou de force de ce qui fait en définitive la saveur de l’existence. Entreprise condamnée à l’échec parce qu’elle se fonde sur une erreur sur la nature humaine. Vouée au crime aussi, car ses promoteurs considèrent inévitablement ceux qui refusent de s’y plier comme des déviants passibles de l’asile psychiatrique, ou de l’élimination. Par ses massacres autant que par la phraséologie de ceux qui en avaient agencé l’ordonnancement, par les exemples que nous donnent ceux qui avaient su, au contraire, refuser d’être « libres » à ce prix, la Vendée lui était apparue comme une vivante leçon : l’un de ces lieux de mémoire dont on n’aura jamais épuisé la méditation.
H CONSEIL SCIENTIFIQUE. Président : Jean Tulard, de l’Institut. Membres : Jean-Pierre Babelon, de l’Institut ; Marie-Françoise Baslez, professeur d’histoire
ancienne à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Simone Bertière, historienne, maître de conférences honoraire à l’université de Bordeaux-III et à l’ENS Sèvres ; Jean-Paul Bled, professeur émérite (histoire contemporaine) à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Jacques-Olivier Boudon, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Maurizio De Luca, ancien directeur du Laboratoire de restauration des musées du Vatican ; Eric Mension-Rigau, professeur d’histoire sociale et culturelle à l’université de Paris-IV Sorbonne ; Arnold Nesselrath, professeur d’histoire de l’art à l’université Humboldt de Berlin, délégué pour les départements scientifiques et les laboratoires des musées du Vatican ; Dimitrios Pandermalis, professeur émérite d’archéologie à l’université Aristote de Thessalonique, président du musée de l’Acropole d’Athènes ; Jean-Christian Petitfils, historien, docteur d’Etat en sciences politiques ; Jean-Robert Pitte, de l’Institut, ancien président de l’université de Paris-IV Sorbonne; Giandomenico Romanelli, professeur d’histoire de l’art à l’université Ca’ Foscari de Venise, ancien directeur du palais des Doges ; Jean Sévillia, journaliste et historien.
OUS LES CHEMINS MÈNENT À DAMAS
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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
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IL Y A TOUT JUSTE UN SIÈCLE, LES ACCORDS SYKES-PICOT DESSINAIENT LES FRONTIÈRES DE LA SYRIE. RETOUR SUR L’HISTOIRE MILLÉNAIRE D’UN PAYS QUI FUT À LA FOIS UN CARREFOUR CULTUREL ET UN BOULEVARD POUR LES INVASIONS.
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A MÉSENTENTE CORDIALE
DANS UN LIVRE MENÉ
COMME UNE ENQUÊTE,
SIMONE BERTIÈRE EXAMINE
À LA LOUPE LES RELATIONS DE LOUIS XIII ET DE RICHELIEU. SON VERDICT EST SANS APPEL : MALGRÉ L’EFFICACITÉ DE L’ATTELAGE POLITIQUE QU’ILS FORMÈRENT, « ILS NE S’AIMAIENT PAS. ILS NE SE SONT JAMAIS AIMÉS ».
U NOM DU CHRIST
© ROSIE COLLINS/2016 CTMG. ALL RIGHTS RESERVED. © RMN-GP, DR.
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LA PASSION DE MEL GIBSON ÉVOQUAIT LES DOUZE DERNIÈRES HEURES DE LA VIE DE JÉSUS. AVEC L A RÉSURRECTION DU CHRIST, KEVIN REYNOLDS ROULE LA PIERRE DU TOMBEAU ET GRATIFIE LE SPECTATEUR D’UN FILM FIDÈLE AU RÉCIT DES ÉVANGILES.
ET AUSSI L’OR SE BARRE
DROITES AU CŒUR IMAGES DU MONDE CÔTÉ LIVRES L’INSOUTENABLE LIBERTÉ DE L’ÊTRE
EXPOSITIONS TÉLÉVISION ARCHÉOLOGIE
À LA TABLE DE L’HISTOIRE
À
L’A F F I C H E Par Jean-Louis Thiériot
Il y a tout juste un siècle, les accords SykesPicot dessinaient les contours de la Syrie actuelle. Un tracé récent pour une histoire millénaire, marquée par une suite continue d’invasions.
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Le partage de l’empire d’Alexandre
Séleucos (deviendra l’Empire séleucide) Epire
MESIE
Pella
Mer Noire Byzance BITHYNIE
ÉPIRE Athènes Sparte Crète
Sinope
Ephèse CILICIE Sidé
Tarse Antioche
CHYPRE
Damas Tyr Mer Méditerranée Jérusalem SYRIE Alexandrie Gaza
Mer Caspienne
Trébizonde ARMÉNIE Erevan Limite de l’Empire séleucide au Ier siècle av. J.-C.
MÉDIE
ARIE PERSE
Persépolis
ÉGYPTE
BACTRIANE PARTHIE
Suse
Petra
Thèbes
Pasargades Harmosie
ARABIE HEDIAZ
250 km
un essor considérable et commercent avec l’ensemble du bassin méditerranéen. Mais l’édifice est miné de l’intérieur par les rivalités dynastiques, les guerres avec l’Egypte lagide, les attaques incessantes des Parthes et les rébellions internes dont la plus célèbre est entre 175 et 140 av. J.-C. le soulèvement de la Judée conduit par les Maccabées en raison de la profanation du temple de Jérusalem par Antiochos IV Epiphane, qui y avait installé une statue de Zeus.
Bactres
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Séleucie
LIBYE
SOGDIANE Merv
Rhagès Eu MÉSOPOTAMIE phr Ecbatane ate Babylone
Samarcande CHORASMIE
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Cyrène
Ptolémée
MASSAGÈTES
IBÉRIE
CAPPADOCE
Rhodes
Lysimaque
SARMATES
THRACE MACÉDOINE
Cassandre
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a Syrie pleure. Elle pleure ses morts et ses pierres broyés par les calamités de la guerre civile. Le monde redécouvre, stupéfait, un pays autrefois si calme. Sous la férule impitoyable du clan Assad, elle faisait peu parler d’elle. Ce n’était qu’une tache de couleur sur une carte. Trompeuse paix ! La paix n’était qu’une trêve. Depuis plus de deux millénaires, elle a été un haut lieu d’histoire, l’un de ces points chauds où se cristallisent les tensions du monde. Carrefour des routes commerciales entre l’Europe, l’Asie et la péninsule Arabique, carrefour des influences culturelles, la Syrie fut surtout un boulevard des invasions. Jusqu’à l’arrivée des Perses de Cyrus le Grand en 539 av. J.-C., les maîtres se succèdent, Assyriens, Egyptiens, Hittites. Confiée aux satrapes du Grand Roi, des intendants qui administrent les populations autochtones, elle connaît alors deux siècles de paix. Alexandre le Grand la fait entrer dans l’histoire,parlagrandeporte.C’estàIssos,enCilicie, qu’il remporte sur Darius, en 334 av. J.-C., la bataille décisive qui lui permet d’écraser la dynastie achéménide. Désormais la Syrie fait partie de l’oikouménè, le monde hellénistique. Après la mort d’Alexandre et le partage de l’empire, elle échoit à l’un de ses généraux, Séleucos Ier Nicator, avec toute la partie orientale de l’empire, de la Mésopotamie à l’Afghanistan. Les Séleucides lancent une intense politique d’hellénisation. Les villes qu’ils fondent, comme Antioche, Séleucie ou Apamée, connaissent bientôt
Alexandrie Arachosie
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8 h
chemins mènentàDamas
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ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE
Tousles
Musurna DILMUN
OMAN Mer d’Oman
Au Ier siècle av. J.-C., l’Empire séleucide s’est réduit comme une peau de chagrin. Il ne dépasse guère les frontières de la Syrie moderne, agrandi de la Cilicie et de la Palestine. Victime de ses faiblesses, la Syrie est définitivement conquise par Pompée en 64 av. J.-C. C’est désormais une province romaine qui bénéficie largement de la pax romana. Elle devient l’intermédiaire obligé des échanges commerciaux entre Rome et l’Orient. Les grandes cités caravanières de
© IDÉ. © AFP PHOTO/JOSEPH EID. © DEAGOSTINI/LEEMAGE.
LE TEMPS DES HELLÈNES Après la reprise de Palmyre, en mars 2016, les troupes syriennes et russes ont découvert l’étendue des destructions de Daech, notamment dans le musée de la ville (ci-dessus). Ci-dessous : buste en bronze de Séleucos Ier Nicator (Naples, Museo Archeologico Nazionale). Page de gauche : le partage de l’empire d’Alexandre le Grand après sa mort en 323 av. J.-C. Palmyre, Damas, Homs ou Pétra, les ports de Laodicée, Tyr ou Sidon, les campagnes qui produisent du vin, de l’huile, des dates connaissent une prospérité sans égale. La capitale de la Syrie, Antioche, sur l’Oronte, est alors la troisième ville de l’empire. Puissance économique, la Syrie est également d’une rare puissance spirituelle. Jérusalem appartient à cette province, même si c’est sous la forme d’un royaume associé. Le christianisme y naît et c’est sur le chemin de Damas que saint Paul est frappé par la fulgurante conversion qui fera de lui « l’apôtre des gentils ». Les premières communautés chrétiennes s’y développent rapidement et le sanctuaire de Doura Europos est l’un des plus anciens conservés à ce jour. A l’aube du IIIe siècle, le pays donne même à Rome des impératrices sous la dynastie des Sévères. Les troubles du Bas-Empire ne l’épargnent pas. En 271, profitant de l’anarchie qui règne à Rome, la reine Zénobie, à Palmyre, proclame son fils empereur et s’attribue le titre d’Augusta. Elle s’empare de l’Egypte, de la Phénicie et d’une grande partie de l’Asie Mineure. Mais l’expérience est de courte durée. En 272, battue par Aurélien, elle subit à Rome l’humiliation du
triomphe avant d’être exilée à Tivoli. La Syrie redevient une province avant de voir son destin se confondre avec celui de l’empire d’Orient après le partage de 395. La tutelle de Constantinople ne la protège pas longtemps. Aux VIe et VIIe siècles, les rois perses sassanides l’envahissent avant que ne déferlent à partir de 640 les hordes musulmanes venues des confins d’Arabie. La Syrie chrétienne est désormais sous le joug du Croissant. Damas devient le siège du califat omeyyade. C’est l’âge d’or de la ville musulmane. Bâtie par des architectes byzantins, la somptueuse mosquée des Omeyyades, dont la disposition est imitée du palais impérial de Constantinople, inscrit dans la pierre la gloire de la ville capitale. Mais la chute de la dynastie et l’avènement des Abbassides signent son déclin. Le califat est transféré en Mésopotamie, à Bagdad, et la Syrie réduite au rang de province sous tutelle. Les maîtres se succèdent jusqu’au règne des chiites fatimides, qui s’emparent de l’Egypte en 969 et rattachent la Syrie à leur califat. Sous l’autorité lointaine du calife, au Caire, le pays se morcelle en principautés et
9 h
Comté d’Edesse (1098-1146) Principauté d’Antioche (1098-1268) Comté de Tripoli (1102-1288) Royaume de Jérusalem (1099-1244) dont territoires perdus en 1229 Royaume de Petite-Arménie (1138-1375) Royaume de Chypre (1192-1489)
PRINCE DU DÉSERT A droite : Lawrence d’Arabie, par Augustus John, XXe siècle (Londres, Tate Gallery). Durant la révolte arabe contre l’Empire ottoman (1916-1918), Lawrence fut chargé par le gouvernement britannique de garantir l’indépendance arabe auprès du chérif de La Mecque Hussein, chef de la rébellion. Ci-contre : les Etats latins d’Orient ont vu le jour essentiellement au moment de la première croisade (1096-1099).
Sis Adana
Edesse
ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE
Antioche Laodicée Nicosie
Tripoli Mer Méditerranée Sidon
Alep Apamée
Euphrate
Homs Damas
Saint-Jean-d’Acre
Nazareth Jaffa
Gaza
100 km
Jérusalem
Aqaba
Frontières actuelles de la Syrie
émirats. Divisés entre des communautés
10 diverses, notamment melkites et maronih tes, les chrétiens connaissent aussi un dur-
cissement de leur statut de dhimmi. Sunnites et chiites, les musulmans sont tout aussi désunis. Les sectes hérétiques se multiplient, Druzes, Alaouites, nizarites.
Entre deux mondes
En 1070, les Turcs seldjoukides prennent Alep aux Fatimides et leur enlèvent Jérusalem l’année suivante. En réponse aux mauvais traitements infligés aux pèlerins, l’Occident chrétien lance alors la première croisade.En1099,Jérusalemestprise.C’estle temps des Etats latins d’Orient et de la Syrie franque. Le comté de Tripoli, la principauté d’Antioche, le comté d’Edesse, le royaume de Jérusalem se partagent le territoire. L’économie redevient florissante. Ce pont jeté entre deux mondes permet aux artisans de Damas ou d’Alep d’exporter en Europe leurs lames d’épées ou leurs soieries damassées. Très vite, les musulmans repartent à l’assaut de cette excroissance chrétienne en terre d’Islam. Dès 1128, Zengi, l’atabeg (le régent) de l’émirat de Mossoul, annexe Alep. Les ordres religieux militaires, templiers, hospitaliers et teutoniques sèment le long de la côte un chapelet de fortifications dont la
plus célèbre demeure le Krak des Chevaliers. Mais la force militaire ne peut pas grandchose contre la pression démographique. La division des Etats latins fait le reste. En 1146, Edesse tombe devant Nur alDin, fils de Zengi et émir d’Alep. En 1187, après la bataille de Hattin, où Saladin, nouveau sultan d’Egypte et de Syrie, capture le roi de Jérusalem, Guy de Lusignan, la Ville sainte tombe à son tour. La troisième croisade commencée en 1189 sauve provisoirement les Etats latins sans permettre la reconquête de Jérusalem. Frédéric II Hohenstaufen parvient même à négocier en douceur en 1229 la restitution de la Ville sainte, mais ce n’est qu’un sursis. En 1244, elle repasse sous contrôle musulman. Malgré les croisades qui se succèdent, la dernière place forte franque, SaintJean-d’Acre, est conquise en 1291. Il ne reste plus grand-chose de la présence chrétienne en dehors de quelques communautés éparses. Demeurent de forts attachements, hautement symboliques ! Lors de la septième croisade, en 1250, Saint Louis s’est ainsi proclamé le protecteur des maronites dont le principal foyer de peuplement se situe autour du mont Liban : « Pour nous, déclare-t-il, et nos successeurs sur le trône de France, nous promettons de vous donner, à vous et à tout votre peuple, notre protection spéciale, comme nous la donnons aux Français eux-mêmes. » Les liens entre le pays des Lys et les chrétiens d’Orient seront à jamais singuliers. Les maîtres musulmans se succèdent : Ayyoubides, fondés par Saladin, Mamelouks d’Egypte, puis Ottomans après l’annexion de la Syrie par le sultan Selim Ier en 1516. Entre-temps, le pays aura été ravagé par quatre invasions mongoles dont la plus terrible sera celle de Tamerlan qui s’empare de Damas en 1400. Sous la domination de l’Empire ottoman, un empire à l’organisation administrative assez lâche, partagé en principautés rivales, sous l’autorité nominale du sultan, le pays connaît un destin contrasté. La prospérité est de retour pour les grandes cités commerçantes de Damas et d’Alep, qui profitent des retombées
CARTES : © IDÉ. ©DEAGOSTINI/LEEMAGE. PHOTOS : © ROGER-VIOLLET.
La Syrie au temps des croisés
commerciales du pèlerinage à La Mecque et du retour des négociants de la route de la soie. La France participe à ce printemps des échanges économiques. Depuis les « capitulations » signées entre François Ier et Soliman le Magnifique – exemptions commerciales et privilèges de juridiction en faveur de la France –, les « échelles du Levant » (Constantinople, Smyrne, Alep, Le Caire, Tunis, Alger…) sont des acteurs majeurs du commerce entre l’Orient et l’Europe. La Russie place également ses pions. Par le traité de Koutchouk-Kaïnardji, en 1774, Catherine II se fait consentir le statut de protecteur des chrétiens orthodoxes de la Sublime Porte et implante ainsi des consulats à travers la Syrie. Mais, en même temps, l’anarchie règne. Les maîtres de l’Egypte, notamment les Mamelouks qui s’affranchissent de plus en plus de la tutelle ottomane, tentent régulièrement de prendre le contrôle de la région. La dernière tentative sérieuse est celle de Méhémet-Ali, vice-roi d’Egypte qui, en 1831, s’empare de la Palestine et de la Syrie. L’armée égyptienne s’approche de Constantinople et bat l’armée turque à la bataille de Konya. Les puissances occidentales s’en mêlent, la France au nom de sa position privilégiée dans l’Empire ottoman et de sa tradition protectrice des chrétiens d’Orient, la Grande-Bretagne au titre de ses intérêts commerciaux. La convention de Kütahya signée sous l’égide des puissances en 1833 accorde à l’Egypte la souveraineté sur la Syrie. L’Empire ottoman est désormais « l’homme malade de l’Europe ».
En 1839, Méhémet-Ali marche à nouveau sur le Bosphore. Dans la tradition de la politique égyptienne de Napoléon, la France le soutient, espérant y gagner une influence prépondérante. Les autres puissances européennes, britannique, autrichienne, prussienne et russe n’entendent pas l’accepter et imposent, par le traité de Londres de 1840, la restitution de la Syrie à la Porte. Pour la France, écartée du traité, c’est, selon le mot de Lamartine, « un Waterloo diplomatique ». Devant le refus de Méhémet-Ali, une expédition de troupes austro-britanniques s’empare de Beyrouth et de SaintJean-d’Acre, alors que le remplacement de Thiers par Guizot bloque toute intervention française. Désormais, la question syrienne est une question européenne. En 1860, la France prend cependant sa revanche. Après les massacres de chrétiens maronites commis par les Druzes autour du mont Liban, les troupes françaises débarquent à Beyrouth et arrachent au sultan une certaine autonomie pour le Liban. De l’avis de la plupart des historiens, c’est le début de la Syrie moderne. CARTE SUR TABLE En mai 1916, le Français François Georges-Picot et le Britannique Mark Sykes (en haut, de gauche à droite) signent, au nom de leurs gouvernements, des accords secrets qui prévoient le partage des provinces arabes, à leur libération de l’Empire ottoman, en zones d’influence française et britannique (ci-contre).
telles que les comités al-Qahtaniya, al-Ahd ou le comité des jeunes Arabes al-Fatat fleurissent clandestinement. La guerre de 1914 libère ce bouillonnement trop longtemps contenu. L’Empire ottoman ayant fait le choix de s’allier aux empires centraux, les alliés soufflent sur les braises. En mai 1915, les différents comités clandestins réunis secrètement à Damas sous l’autorité de Fayçal, fils du chérif Hussein, souverain hachémite de La Mecque, s’accordent pour déclencher la révolte arabe contre la Turquie. Les Britanniques envoient auprès d’Hussein le colonel Lawrence, qui, au nom du gouvernement de Sa Majesté, garantit l’indépendance arabe vis-à-vis des Ottomans depuis la Méditerranée jusqu’au sud de la péninsule Arabique. Sur la foi des promessesbritanniques,le10juin1916,Hussein lève à Médine l’étendard de la révolte contrelesTurcsetseproclameroidesArabes en novembre. Les opérations militaires
Les années qui précèdent la Première Guerre mondiale sont partout celles du bouillonnement nationaliste. La Syrie ne fait pas exception à la règle. Le nationalisme arabesupportedeplusenplusmallejougde la Turquie. Des organisations nationalistes
Les accords Sykes-Picot (mai 1916)
Mer Noire
Administration internationale
Trabzon
France : Zone de contrôle Zone d’influence
Erzurum
Ankara Sivas
Euphrate
Kayseri
Malatya
Cilicie
Adana
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Lattaquié
Liban
Beyrouth Mer Méditerranée Haïfa Jérusalem
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(Gazantiep)
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Syrie Homs
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Mossoul
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Kirkouk
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Ramadi Kerbala
Amman
Transjordanie
Souleimaniye
Tikrit
Palmyre Haditha
Damas
Royaume-Uni : Zone de contrôle Zone d’influence
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Bassora Aqaba Frontières actuelles de la Syrie
Koweït 100 km
11 h
Le mandat sur la Syrie et le Liban (1922) Gazantiep
Adana Iskenderun (Alexandrette)
Mer Méditerranée
Tig re Hassaké
Afrin
Alep
Raqqa r ph Eu
Idlib Hama Homs
ACTUALITÉ DE L'HISTOIRE
Tripoli
12 h
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Deir ez-Zor
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Lattaquié Tartous
50 km
Palmyre
Abou Kamal
Al-Qaryatayn
Beyrouth Tyr Haïfa
Damas Soueïda
Frontières actuelles de la Syrie
immobilisent de nombreuses troupes ottomanes et culminent avec la prise d’Aqaba. Mais, entre-temps, des accords tenus secrets sont signés par Mark Sykes et François Georges-Picot, le 16 mai 1916, au nom du Royaume-Uni et de la France. Ils prévoient de placer les territoires arabes indépendants sous l’influence partagée de Paris et de Londres. La France doit recevoir la Syrie et le Liban, la Grande-Bretagne la Palestine et la Mésopotamie.
Sous mandat français
Après l’entrée à Damas des troupes angloarabes du général Allenby, les Français exigent l’application des accords Sykes-Picot. En 1919, les troupes françaises débarquent à Beyrouth et s’emparent de la plaine de la Bekaa. Mais l’émir Fayçal établit de son côté un gouvernement à Damas et réunit un congrès national qui, le 11 mars 1920, le proclame roi d’une Grande Syrie censée englober la Syrie, le Liban, la Palestine et la Jordanie. Au Liban, les chrétiens s’insurgent. Alliés pour la circonstance aux Druzes, ils proclament l’indépendance du Liban le 22 mars. Un mois plus tard, le 25 avril 1920, la conférence de San Remo, qui réunit des représentants britanniques, français, italiens, grecs, japonais et belges, confirme le partage décidé par Londres et Paris, malgré l’opposition d’une grande partie de la population syrienne, constatée par la commission d’enquête américaine King-Crane. Essentiellement intéressés par la perspective de mettre la main sur les ressources
Etat de Damas Territoire des Alaouites Grand Liban Etat d’Alep Etat des Druzes
pétrolières de l’Irak qui jaillissent de Mossoul ou de Bassora, et pris aux pièges de leurs promesses contradictoires à la dynastie hachémite, aux Français et aux Juifs (avec la déclaration Balfour, qui prévoit l’installation d’un foyer de peuplement juif en Palestine), les Britanniques oublient la parole donnée aux Arabes et soutiennent l’instauration d’un mandat dont l’objet est théoriquement d’aboutir à terme à l’établissement de gouvernements autonomes. En attendant, le général Gouraud est nommé haut-commissaire au Levant. Le 14 juillet 1920, il lance un ultimatum à Fayçal. La guerre éclate. Les troupes syriennes, conduites par le ministre de la Guerre de Fayçal, Youssef al-Azmeh sont défaites à la bataille de Khan Mayssaloun. Le 25 juillet 1920 le général Goybet entre à Damas. Si les villes sont rapidement pacifiées, le reste du pays sera secoué pendant plusieurs années par des révoltes sporadiquesàAlep,danslepaysalaouiteetdansles montagnes druzes. Le 1er septembre, l’Etat du Grand Liban est proclamé par le général Gouraud. Les chrétiens, qui représentent un peuplusde50%delapopulation,ytrouvent leurcompte.MaislaSyriesetrouveamputée de la plus grande partie de sa zone côtière et perd Tripoli, son port le plus important. Pour faire face aux velléités nationalistes, la France choisit en outre de diviser pour régner. Le territoire sous mandat (hors Liban) est en effet une mosaïque ethnicoreligieuse. La majorité, environ 70 %, de la population est sunnite de stricte obédience. Elle peuple les campagnes, Damas et les
grandes villes de l’intérieur et contrôle la plus grande part de l’activité économique. Les Alaouites, qui occupent le littoral au nord-ouestdupaysjusqu’audjebelAnsariyé, avec Lattaquié comme capitale, représentent environ 10 % des habitants. Ils relèvent d’une secte chiite qui s’inscrit dans la tradition gnostique des religions à mystère et qui pratique un syncrétisme trinitaire original et peu radical. Mal traités sous l’Empire ottoman, ils aspirent à prendre leur revanche. Avec un poids démographique à peu près comparable, répartis entre la montagne du Chouf au Liban et le mont Hauran en Syrie, les Druzes constituent une autre minorité au sud du pays. Inspirés de la tradition ismaélienne, ils pratiquent un islam non orthodoxe, ésotérique, également de tradition gnostique. Ils ignorent les lieux de cultes, les mosquées et les interdits alimentaires frappant le porc ou le vin. Organisés sur le mode tribal, ils sont largement inféodés à deux grandesfamilles,lesJoumblattetlesHamadé. Les 10 % de chrétiens constituent le dernier groupe important. Héritiers d’une tradition bimillénaire, ils sont, pour leur malheur, terriblement divisés. Si les grecsorthodoxes sont assez largement majoritaires, toute la palette des chrétiens orientaux est représentée : grecs-catholiques, maronites, jacobites, Arméniens, nestoriens, syriaques, chaldéens. Prenant soigneusement en compte ces réalités démographiques, la France divise administrativement la Syrie en quatre Etats : ceux de Damas, d’Alep, des djebels druze et des Alaouites réunis plus tard en Fédération syrienne. En 1922, le haut-commissaire augmente en outre l’autonomie du Sandjak d’Alexandrette, peuplé majoritairement de Turcs. Le mandat français est une longue suite de difficultés militaires et politiques marquées notamment par la révolte druze des années 1925-1927. En 1928 une assemblée constituante est élue. Dominée par la majorité sunnite, et faisant sienne les objectifs de la révolte arabe, elle réclame une république « englobant tous les territoires syriens détachés de l’Empire ottoman, sans égard aux divisions intervenues après la fin de la guerre mondiale ». La France n’a pas d’autre choix que de la dissoudre. L’ampleur
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des accès de violence récurrents amène cependant le gouvernement du Front populaire à promettre l’indépendance de la Syrie dans les trois ans. Les accords Viénot, signés en septembre 1936 entre le gouvernement français et les nationalistes syriens, en jettent les bases, mais ils ne seront jamais ratifiés par le Parlement. Si le mandat français est un échec politique incontestable, il transforme néanmoins le pays en profondeur. Damas et les grandes villes syriennes sont modernisées sur les plans des frères Danger. L’électrification et l’adduction d’eau progressent partout. Le nombre d’écoles est multiplié par quatre. Les grands hôtels, les restaurants, les universités se développent. La bourgeoisie syrienne cultivée se met à l’heure de Paris. La vie culturelle fleurit. Pourtant, le mandat finit mal. En 1939, pour s’assurer la neutralité de la Turquie face à l’Allemagne, la France décide de céder le Sandjak d’Alexandrette à la Turquie kémaliste, aggravant d’autant la rancœur de la population arabe. En 1941, les Forces françaises libres de Londres attaquent, les armes à la main, les troupes vichystes qui occupent le pays et, victorieuses, leur imposent
UN ORIENT FRANCO-BRITANNIQUE Ci-dessus : le roi d’Irak Fayçal Ier, entouré de ses aides de camp, vers 1925. Après sa tentative de prise de pouvoir à Damas en 1920, la Syrie étant placée sous mandat français, Fayçal est contraint à l’exil par les autorités françaises. En 1921, il est couronné en contrepartie roi d’Irak avec le soutien des Britanniques. Page de gauche : le Liban et la Syrie sont placés sous mandat français lors de la conférence de San Remo, le 25 avril 1920, qui confirme ainsi les accords Sykes-Picot de 1916. L’Etat du Grand Liban est proclamé le 1er septembre 1920. La Syrie est quant à elle divisée en quatre zones administratives : Damas, Alep, le djebel des Druzes et le territoire des Alaouites. l’armistice à Saint-Jean-d’Acre, le 14 juillet 1941. Le prestige français en est irrémédiablement amoindri. En mai 1945, à la suite de manifestations réclamant l’indépendance, l’aviation française bombarde Damas, faisant plus de 400 morts. Sous la pression de Churchill et des Américains, De Gaulle doit ordonner un cessez-le-feu. Le glas de la présence française a sonné. Le 17 avril 1946, le dernier soldat français quitte la Syrie.
Naissance d’un Etat
Indépendante, la Syrie souffre d’une instabilité politique chronique. De 1946 à 1970, on ne dénombre pas moins de seize coups d’Etat, trois pour la seule année 1949. Un parti s’impose progressivement, le parti Baas, nationaliste, socialiste et laïque. Travaillé par la vieille tradition d’union avec l’Egypte, il succombe aux sirènes panarabes
du colonel Nasser. En 1958, la Syrie et l’Egypte se marient au sein de la République arabe unie (RAU). Chaque Etat conserve son autonomie mais la présidence de l’ensemble est confiée au colonel Nasser qui exerce une tutelle de fait. En 1961, un nouveau coup d’Etat signe le décès de la RAU. Les coups d’Etat reprennent. Les baasistes se déchirent entre eux. Des modérés parviennent au pouvoir en 1966 avec le Premier ministre Bitar, mais ils en sont chassés la même année par le putsch du général Salah Jedid, soutenu par l’Union soviétique. Des communistes entrent au gouvernement. La Syrie rejoint alors l’orbite de Moscou. Les bases de Tartous et de Lattaquié deviennent les têtes de pont de l’URSS en Méditerranée. En 1970, après un ultime coup d’Etat, c’est un autre général bassiste, le général Hafez el-Assad qui prend le pouvoir. Membre
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éminent de la minorité alaouite chiite qui a investilespostesderesponsabilitédel’armée et de l’administration – les élites sunnites exerçant plutôt des responsabilités économiques –, il conserve les orientations politiques de ses prédécesseurs. Il reste inféodé à Moscou et dirige le pays d’une main de fer. Les chrétiens jouissent certes d’une paix relative, notamment pour la célébration de leur culte, mais jouant des rivalités entre minorités pour tuer dans l’œuf toute velléité de démocratisation,el-Assadrétablitlastabilité politique au prix d’une répression féroce. La révolte de Hama, fomentée par les Frères musulmans en 1982, est écrasée dans le sang. L’artillerie lourde bombarde la ville faisant entre 7 000 et 35 000 morts. Son long « règne » est en outre marqué par les guerres avec Israël (1973, 1982) et par les tentatives d’annexion du Liban (1976-2005).
Printemps syrien
En juin 2000, Bachar el-Assad, succède à son père. Il tente de se réconcilier avec l’Occident en libéralisant timidement le régime et en mettant un terme aux liens entretenus avec certains mouvements terroristes. Il rencontre d’abord un certain succès. En 2008, il est l’invité d’honneur de la France au défilé du 14 juillet. Mais le « printemps arabe » qui éclot à Deraa, le 13 mars 2011, met un terme au processus. Commencée dans un contexte de malaise social
AVANT, APRÈS Ci-dessus : le temple de Bêl (Ier siècle apr. J.-C.), principal sanctuaire de Palmyre, a été rasé par les djihadistes de Daech à la fin du mois d’août 2015. En bas, à droite : le 13 octobre 2015, des centaines de personnes ont exprimé leur soutien à l’intervention militaire de la Russie en Syrie, en brandissant des portraits de Bachar el-Assad et de Vladimir Poutine devant l’ambassade russe de Damas. et portée par une certaine quête de liberté, sous les effets conjugués de la répression et des ingérences étrangères, sunnites, notamment saoudiennes et turques, la contestation tourne très vite à la guerre civile. Dès le 16 mars, la police du régime tire à balles réelles sur la foule. Le mouvement fait tache d’huile dans l’ensemble du pays. Les victimes s’accumulent. Succombant à la lecture irénique d’un printemps arabe qui serait un printemps de Prague à l’échelle du monde méditerranéen, lesOccidentaux,etlaFranceaupremierrang d’entre eux, font du départ de Bachar el-Assad un préalable. En novembre 2011, notre pays rompt les relations diplomatiques avec Damas. En août 2012, Laurent Fabius proclame même que « Bachar el-Assad ne mériterait pas d’être sur la terre ». L’Occident mise tout sur le Conseil national syrien et son bras armé, l’Armée syrienne libre (ASL). Laïque et démocratique, le mouvement qui siège à Istanbul a belle allure à l’étranger. Mais sur le terrain, il a peu de troupes. Malgré l’aide qui lui est apportée, notamment par la CIA, l’ASL est vite dépassée. Dans le pays se lève une autre insurrection, salafiste, radicale, wahhabite, soutenue
plus ou moins ouvertement par l’Arabie saoudite et le Qatar, par le Front islamique, proche des Frères musulmans, fort d’au moins 80 000 hommes, et par le front alNosra, affilié à al-Qaida, riche d’environ 30 000 combattants, sans parler de l’action de plusieurs centaines de groupes indépendants. Tous recrutent chez les sunnites extrémistes qui forment le plus clair de la rébellion anti-Bachar el-Assad. Dès 2013, l’Etat islamique en Irak et au Levant commence en outre à opérer en Syrie et, en 2014, Daech proclame la restauration du califat et occupe une grande partie de la Syrie centrale, avec environ 80 000 combattants. Impossible de retracer les péripéties de cette guerre où les lignes de front changent chaque jour. Toutes les tentatives de cessezle-feu parrainées par l’ONU échouent. L’armée gouvernementale, principalement appuyée par les chiites et une partie des chrétiens, tient fermement la côte, la « Syrie utile » et le réduit alaouite. Dans le reste du pays, les affrontements se cristallisent autour des villes qui tombent l’une après l’autre aux mains de Daech, notamment Palmyre et Raqqa qui devient capitale de l’Etat islamique. Le reste, désertique, est
l’objet de raids fulgurants de chaque camp. La coalition sous leadership américain qui intervient, par voie des airs exclusivement, d’abord en Irak puis en Syrie, est impuissante à refouler les troupes du califat. Elle en freine seulement la progression. Il n’est que les Kurdes à remporter de vraies victoires, au nord, à Kobané. Mais occupant les régions frontalières de la Turquie, de l’Irak et de la Syrie, ils sont constamment menacés par l’hostilité d’Ankara qui craint leur séparatisme séculaire. Le prix à payer est effrayant : entre 100 000 et 200 000 morts civils et au moins 6 millions de déplacés sur une population de 22 millions d’habitants. Dans le courant de l’année 2015, le régime est en grand péril. Il recule partout. Homs est près de tomber. La « Syrie utile » est menacée. Dans le droit fil de la tradition d’alliance diplomatique avec Damas, et soucieux de préserver ses positions en Méditerranée et ses bases militaires de Tartous et de Lattaquié, désireux aussi de donner un coup d’arrêt à l’influence américano-saoudienne, Vladimir Poutine entre dans la danse en septembre 2015, officiellement pour lutter contre Daech. En fait, l’aviation et les forces spéciales russes soutiennent les armées loyalistes, quels que soient leurs adversaires. L’objectif de Moscou est moins de préserver lepouvoird’Assad,dontleministrerussedes
Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, n’exclut pas le départ, que de prendre solidement pied dans le bassin méditerranéen. L’intervention russe change la donne. En décembre 2015, Homs est entièrement reprise. En février, Alep est encerclée, en mars Palmyre est libérée. Même si la progressionestfragileetàlamercid’unecontreoffensive, l’horizon semble s’éclaircir pour le régime. Un fragile cessez-le-feu, excluant Daech, mais incluant d’autres mouvements rebelles est même signé en mars 2016. Quoique respecté de manière très relative, il permet de stabiliser la situation. Aujourd’hui, ce sont les Russes qui détiennent largement les clés de l’avenir, les Américains aussi en raison de leur influence et de leur puissance. Arc-boutée sur ses positions de principe, la France fait figure de pâle figurante, malgré sa participation aux frappes aériennes de la coalition contre Daech en Syrie depuis septembre 2015. Rien ne permet de dire quel visage aura la Syrie de demain. Elle restera pour longtemps la terre de sang et de larmes qu’elle est devenue aujourd’hui. Mais il est une seule certitude. Il ne sera pas possible de faire abstraction des réalités. Si la Syrie est une réalité géographique incontestable, elle n’est ni une réalité politique, ni une réalité ethnique, ni une réalité culturelle, ni une réalité religieuse. Elle n’a jamais été un Etat-nation au sens où on l’entend couramment en Occident. Depuis Babylone jusqu’à la fin du mandat français, son destin a toujours été dicté de l’étranger. Ses frontières furent tracées par d’autres. Soixante ans de vie commune ont sans doute façonné un embryon d’identité. Il y a même peut-être quelque chose de plus ancien. D’après certains spécialistes, ce serait la conscience d’appartenir au Bilad al-Cham – littéralement « le pays de la gauche », pour un observateur regardant d’Arabie. Le défi de la paix à rebâtir sera de lui donner un contenu, vécu, partagé, charnel. Le vieux dogme de l’intangibilité des frontières et de l’Etat-nation ou le modèle politique de la démocratie à l’occidentale seront sans doute insuffisants pour y parvenir. Le prix de la paix sera certainement celui de la révision déchirante de ces schémas partiellement caducs. 2
PALMYRE, VÉRITÉS ET LÉGENDES
ANNIE ET MAURICE SARTRE
Peu de cités ont été l’objet conjoint de tant de fantasmes et d’erreurs que Palmyre, tristement placée au cœur de l’actualité depuis 2015 par la progression de l’Etat islamique en Syrie. Parce que sa connaissance est entachée, y compris par le récent Palmyre, l’irremplaçable trésor, de Paul Veyne, de fâcheuses approximations et de confusions manifestes, Annie et Maurice Sartre ont pris la plume pour faire le point et tordre le cou, en vingtneuf chapitres, aux plus répandues d’entre elles. Non, Palmyre ne fut jamais une principauté ni un Etat, mais une cité de l’Empire romain. Partant, la célèbre Zénobie ne fut pas reine de Palmyre mais reine à Palmyre, étant veuve du « roi des rois » Odainath, notable de la ville et sénateur de Rome, qui avait pris ce titre honorifique après une victoire contre les Perses. Celle qui visait la conquête de l’empire ne fut pas davantage l’héroïne, imaginée par les nationalistes arabes, d’une guerre de libération. Non encore, la cité ne fut jamais entièrement abandonnée, ni redécouverte par des Anglais au XVIIe siècle : le souvenir de son emplacement ne s’était, contrairement à Petra, jamais perdu. Une œuvre salutaire et accessible, dont la rigueur et la clarté d’écriture confirment un peu plus ses auteurs comme les meilleurs spécialistes de la « perle du désert ». GC Perrin, 280 pages, 14 €.
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LEVÉE EN MASSE QUI EMBRASA LA VENDÉE EN MARS 1793 NE FUT QUE L’ÉTINCELLE.
DE LA VENTE DES BIENS DU CLERGÉ À SA CONSTITUTION CIVILE, LES MESURES ANTIRELIGIEUSES VOTÉES PAR LA
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RÉVOLUTION DEPUIS 1789 AVAIENT CRÉÉ LES CONDITIONS DE LA GUERRE CIVILE.
IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST
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PAR LE FER
ET PAR LE FEU SOUS LA PRESSION DE LA CONVENTION ET DE SA VOLONTÉ D’EXTERMINER « LES BRIGANDS DE LA VENDÉE », LE SOULÈVEMENT DE 1793 DONNA NAISSANCE À UNE ÉPOPÉE SANGLANTE ET HÉROÏQUE, HALETANTE ET PATHÉTIQUE.
PAGE DE DROITE : © CHÂTEAU DE VERSAILLES, DIST. RMN-GRAND PALAIS/IMAGE CHÂTEAU DE VERSAILLES.
© WWW.BRIDGEMANIMAGES.COM. © DAGLI ORTI/MUSÉE D’HISTOIRE ET DES GUERRES DE VENDÉE CHOLET/AURIMAGES .
EN COUVERTURE
L’ANNONCE DE LA
U PAYS DE LA MÉMOIRE
© LEROY FRANCIS/HEMIS.FR
80 A
DEUX SIÈCLES PLUS TARD, LE SOUVENIR DE LA GUERRE HANTE TOUJOURS LE BOCAGE VENDÉEN. CHAPELLES, VITRAUX, TOMBEAUX, MAIS AUSSI MUSÉES OU SPECTACLES, ANIMÉS PAR UN TISSU ASSOCIATIF EXCEPTIONNEL, DESSINENT POUR LE VISITEUR D’INNOMBRABLES CHEMINS DE LA MÉMOIRE.
L’ÉPOPÉE DES
GÉANTS
ET AUSSI
LE DERNIER PANACHE LA MORT EST SON MÉTIER UNE TERRE DE GÉANTS CHOUANS OU VENDÉENS CHARETTE, L’ÉTOFFE D’UN HÉROS LIGNES BLANCHES LES SENTIERS DU SOUVENIR CHEMIN DE CROIX
© PATRICK MALLET/GRAPHPICTURES.FR © AZAM JEAN-PAUL/HEMIS.FR
L’ESPRIT DES LIEUX
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VOYAGE
AU BOUT DE L’ENFER
CE QUI AURAIT PU ÊTRE UN BANAL NAUFRAGE SE TRANSFORMA EN UN CAUCHEMAR HUMAIN, UN SCANDALE POLITIQUE ET UN SYMBOLE QUASI UNIVERSEL, GRÂCE AU TABLEAU DE GÉRICAULT. L’ÉPOPÉE
DE L A MÉDUSE, C’ÉTAIT IL Y A TOUT JUSTE DEUX SIÈCLES.
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CANAL
HISTORIQUE
DEPUIS TROIS CENT CINQUANTE ANS, IL SERPENTE PARESSEUSEMENT ENTRE TOULOUSE ET SÈTE,
ENTRE LA GARONNE ET LA
MÉDITERRANÉE. LE CANAL DU MIDI EST NÉ DE LA VOLONTÉ D’UN CONSTRUCTEUR VISIONNAIRE :
PIERRE-PAUL RIQUET, DONT LE CHEF-D’ŒUVRE D’INGÉNIERIE A MÉTAMORPHOSÉ LA RÉGION.
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LACE D’ TALIE
D’AVIGNON À VENISE, DE BERGAME À MALTE, ELLES ÉGAYENT LA PROMENADE DU VISITEUR DES MUSÉES DU VATICAN. TOUT JUSTE RESTAURÉE, LA GALERIE DES CARTES
ET AUSSI
UN ARCHANGE PASSE
SYMBOLE DU MONT LE PLUS CÉLÈBRE DE FRANCE, LA STATUE DORÉE DE SAINT MICHEL A QUITTÉ SES HAUTEURS POUR ÊTRE RESTAURÉE EN DORDOGNE.
INSTALLÉE AU SOMMET DU MONT-SAINT-MICHEL EN 1897, ELLE RACONTE L’HISTOIRE D’UN CULTE MILLÉNAIRE.
© MUSEI VATICANI, GOVERNATORATO SCV. © ALFRED WOLF/CENTRE DES MONUMENTS NATIONAUX.
GÉOGRAPHIQUES DÉROULE À NOUVEAU SES FRESQUES FASCINANTES.