Louis I. Kahn : Exeter Library - La leçon du passé, la distance des modernes

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LOUIS I. KAHN : EXETER LIBRARY Quelles temporalités ?

La leçon du passé, la distance des modernes Florian Vimard Sous la direction de Marie-Paule Halgand ENSA Nantes, juin 2012



Sommaire Avant propos

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Introduction

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Repères chronologiques choisis

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La bibliothèque Exeter

page 21

La leçon du passé La tradition Beaux-Arts Le voyage pour achever la formation Le passé comme un ami Le rapport à la géométrie Le voyage pour confirmer

page 45 page 47 page 50 page 54 page 56 page 59

La distance des modernes Monumentalité Innovation Architecture, nature et science Le langage structurant Un positionnement

page 63 page 65 page 69 page 71 page 74 page 80

Vers une théorie ?

page 85

Bibliographie

page 91

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Avant propos

Avant d’entrer pleinement dans notre sujet, il me semble intéressant d’évoquer la genèse d’un tel projet. C’est naturellement au cours de mon cursus à l’ENSA Nantes que j’ai pu découvrir le travail de Louis Kahn. D’abord le Salk Institute, sur des questions d’éclairement, puis la bibliothèque à Exeter. Sans être une révélation, s’intéresser à Kahn ouvre pour moi un vrai champ de réflexion et de remise en question des acquis consolidés à l’école d’architecture. Une dynamique de la formation des architectes semble encore aujourd’hui très axé sur les trois aphorismes «form follows function», «l’ornement est un crime» et le fameux «less is more». Le mouvement moderne et ses plus éminents ambassadeurs ont évidemment établi une partie de la culture architecturale du XXème siècle ; cette culture commune ne nous incite-t’elle pas alors à dépasser cet arbre qui cacherait une forêt ? Ce serait bien-sûr inexacte de considérer Louis Kahn comme sous-estimé, mais alors qu’on me parlait de mes quatres grand-pères (Wright, Alto, Mies et Le Corbusier), la rencontre des pratiques de Kahn m’intérrogeait grandement. Pourquoi ne m’aurait-on pas parlé de lui dans les mêmes mesures ? Le sens de cet avant-propos n’est pas de formuler une critique d’un enseignement,

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Louis Kahn : Quelles temporalités ?

mais plutôt de témoigner de l’étendue de l’univers qui s’ouvraient à moi en me plongeant plus précisément et profondément dans le travail de Louis Kahn. C’est donc avec une curiosité, oserais-je dire une gourmandise, toujours grandissante que j’ai entrepris le voyage dans la poétique de l’espace, entre silence et lumière, au délà du temps et de l’espace, à la rencontre de Louis Kahn. La question du contexte est une donnée importante pour cerner le personnage. Ainsi, cette aventure me mène à revoir la pratique architecturale du XXème siècle dans sa globalité (réalisations, projets, expositions, théories, manifestes et influences...). Resituer l’architecte dans la nébuleuse de ses pairs est un paramètre important pour comprendre le travail de Kahn. Au même titre, il est intéressant de percevoir l’évolution de la pensée de Kahn à travers ses projets et ses écrits. L’enjeu de ce travail est enfin ouble pour moi. Dans un premier temps, j’ai cherché à voir, lire, comprendre la pratique de l’architecte américain. Entrer dans les rouages d’une mécanique projectuelle dense et complexe, dans laquelle le protagoniste créé son propre vocabulaire, redéfini ses propres notions, et élabore un réel way of life, façon de faire de l’architecture. Dans un second temps, la question de la pédagogie constitue un autre enjeux pour moi. Au delà de plonger au coeur d’un sujet, réussir à en maîtriser sans prétention une partie, et savoir le partager, le transmettre est une autre motivation.

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Avant propos

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Introduction

La mythologie autour de Louis Kahn voudrait que dans son enfance, autour de l’âge de 3 ans, il fut tellement attiré par la lumière et les flammes se dégageant des charbons sur le poêle qu’il ne put s’empêcher de s’en approcher. La tentation de se saisir de cette énergie ne lui laissa que de graves brûlures... Gardant en effet les stigmates de cet accident et de sérieuses marques sur le visages toute sa vie, il est certain que la lumière tient un rôle central dans les recherches de l’architecte. Romancé à la manière d’Icare - fils de l’architecte Dédale - qui se brûla les ailes en essayant d’atteindre le soleil, cette expérience qu’on ne saurait nier pour Kahn participe au charisme du personnage. C’est en tout cas une belle façon d’alimenter le récit des recherches d’un architecte toujours guidé par le souci de la lumière naturelle, à travers une réelle ambition de donner naissance à une expression architecturale digne du XXème siècle. Louis Isadore Kahn est né le 20 février 1901, sur l’île estonienne d’Osel (aujourd’hui Saaremaa). A l’âge de 4 ans, famille émigre aux États-Unis et s’installe dans un quartier de la périphérie de Philadelphie. Il est naturalisé américain en 1914. D’abord intéressé par le dessin et le piano, il obtient une bourse pour intégrer l’Université de Pennsylvanie dans les années 20. Après avoir suivi les cours de

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Louis Kahn : Quelles temporalités ?

dessin, il se dirige vers l’architecture, et est finalement diplômé en architecture en 1924. Nous nous intéresserons ici à la pratique et la méthode projectuelle de Kahn, en essayant de comprendre dans quelle mesure son travail prend sens dans un contexte particulier. L’objectif est de questionner le travail de Kahn, et de s’intéresser à la direction de celui-ci. Une idée de la stabilité ? Vers une idée de la stabilité ? Vers une éternité ? Vers une autre temporalité ? S’inscrire dans des temporalités ? Voilà autant de titres qui ont pu ponctuer ce travail. Pour prendre le contre-pied du recueil de textes de Kahn, publié sous le nom « Silence et Lumière », la notion de temporalité est l’aspect qui recoupe ces premières entités. En effet, le temps est, au premier sens du terme, au sens physique, le facteur commun à la lumière et au son. Revoir le travail de l’architecte sous l’angle de la temporalité nous permet d’aborder différentes facettes de son travail. Il est question de temporalité dans sa pratique, en rapport à l’avancement de ses idées et principes, et vis-et-versa. On ne reprendra pas ici l’intégralité de l’oeuvre de Kahn en la mettant en relation avec ses écrits, cependant certains points forts permettent aisément de cerner sa recherche. La temporalité s’exprime également dans un contexte précis. Dans la nébuleuse des architectes de la deuxième moitié du XXème siècle, Kahn n’est pas le premier cité. Il apparaît pourtant que sa démarche, d’abord peut-être marginale, s’inscrit dans un cercle de pratiques. Il sera intéressant de replacer le travail de Kahn dans le monde de l’architecture du XXème siècle. La temporalité, c’est aussi s’intéresser au hic et nunc du travail de l’architecte. Les ici et maintenant, dans la perspective de l’élaboration lente et délicate d’un programme de recherche. J’entend par là la volonté de situer Kahn dans une dynamique entre sa formation et ses contemporains. Il apparaît que ce n’est pas dans une des deux catégories que s’inscrit pleinement son travail. Il est question de comprendre Kahn à travers le prisme de sa culture : d’abord son passé, sa formation, puis le rapport à ses contemporains et au mouvement moderne, et enfin dans l’héritage qu’il a pu laisser. Enfin, en effet, on se penchera sur la temporalité en lien direct avec ses écrits. La matière écrite par l’architecte est relativement conséquente, et on peut en tirer l’hypothèse de la volonté de transmission de ces recherches. Le point de vue précis et assumé de Kahn, ainsi que la littérature qui la communique, nous amène à questionner l’idée de théorie. Si à aucun moment l’architecte n’a revendiqué ce terme, qu’en est-il

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Introduction

près de 40 ans après sa mort ? L’objet de ce travail autour de Louis Kahn envisage de confronter les idées et principes évoqués par l’architecte à ses réalisations, et en quoi son approche et sa façon de faire de l’architecture se distingue de ses contemporains. Cette dernière approche implique également de questionner le rayonnement de l’architecture de Kahn, théories et pratiques. On questionnera alors cette pensée différente, presque à contre-courant, pour une architecture intemporelle. Ce mémoire s’organise alors en deux grandes parties : d’abord une approche concrète, factuelle, puis une recherche plus documentée et argumentée. La première partie présente, dans un premier temps, un repère chronologique, outil qui m’a permis d’éclairer mes recherches et de confronter toutes les données. Ensuite, la base de ce travail s’établit sur l’étude de la bibliothèque Exeter. Je propose alors de relire cet édifice, déchiffrant la singularité des espaces en décrivant et analysant le projet. La deuxième partie s’articule ensuite avec le fil directeur de la temporalité. On établit alors cette étude sur trois plans distincts, mais entremêlés. On propose une lecture sur une logique proche du schéma « passé, présent, futur ». Le premier volet, intitulé « La leçon du passé », permettra de situer Kahn et ses positions vis-à-vis de l’histoire, par le biais de sa formation, de ses voyages, et du dessin. On cherchera à mettre en relief la définition de son champs de recherche. Le second volet, « La distance des modernes » s’intéressera aux rapports entre Kahn et ses contemporains. Dans la nébuleuse des architectes du style international et du mouvement moderne, on tentera de mettre en exergue la distance que Kahn prend vis-à-vis des pratiques ayant cour à la même période. Enfin, le dernier volet questionnera la démarche quelque peu marginale de Kahn et s’interrogera sur la notion de théorie. « Vers une théorie ? » sera donc la conclusion de ce travail, ouvrant le champ du rayonnement de l’architecte, et s’intéressant au fruit de son héritage pour la culture architecturale.

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Repères chronologiques choisis

Le document qui suit est une frise chronologique, qui replace certains des projets et événements marquant dans l’oeuvre de Louis I Kahn. Ce repère chronologique a d’abord été pour moi un outil. Loin d’être exhaustif, il synthétise les repères qui ont guidé et fait avancer mes recherches. Ainsi, la page de gauche est consacrée à Louis Kahn, la page de droite aux autres projets ou événements phares contemporains à Kahn. On retrouve la plupart des projets de Kahn, ainsi que des repères tels que ses voyages, ses activités d’enseignement, certaines conférences et autres écrits. Cet outil permet rapidement de situer Kahn. On peut alors situer l’architecte dans la chronologie des projets, mais aussi mettre les projets en parallèle à ses idées fortes, conférences, essais et publications. Cet outil assure également la mise en relation de Kahn avec les pratiques du «reste du monde». On retrouvera alors les projets marquant, les théories, les expositions et colloques remarquables. Il est question de présenter des références, autant que des pratiques diamétralement opposées. Cet outil chronologique est enfin un support de réflexion et d’analyse pour mon travail.

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1921 Louis Kahn 20 ans

1922

1923

1924

Louis Kahn est diplômé en architecture (Bachelor in Architecture) à l’Université de Pennsylvanie - Philadelphie

1925

1926

1927

1928

1929

Voyage de Kahn en Europe : en France, en Angleterre, puis en Italie, en Grêce et en Égypte...

A son retour, Kahn travaille dans l’agence de Paul Philippe Cret, enseignant franco-américain à l’Université de Philadelphie

1930

1931 Louis Kahn 30 ans

1932

1933

Louis Kahn fonde le Architectural Research Group (ARG) avec Dominique Berninger, architecte franco-américain. Le groupe s’intéresse aux influences de l’Europe et au rôle social de l’architecture. Il disparaÎt l’année suivante.

Louis Kahn part travailler à la Commission d’Urbanisme de Philadelphie (Philadelphia City Planning Commission) et mène des études comme consultant sur le développement de la ville.

1934

1935

1936

SYNAGOGUE AHAVATH ISRAEL Philadelphie, Pennsylvanie

1937 Premier projet de Kahn en son nom

1938

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1921

BAUHAUS DE DESSAU

Walter Gropius Dessau

1922

1923

1924

BIBLIOTHÈQUE DE STOCKHOLM Gunnar Asplund Stockholm

1925

1926

Publication des « 5 points » de Le Corbusier

1927

PAVILLON ALLEMAND

Mies Van der Rohe Barcelone

VILLA SAVOYE

CIAM I La Sarraz, Suisse

Le Corbusier Poissy

CIAM II Francfort, Allemagne

CIAM III Bruxelles, Belgique

1928

1929

1930

1931

1932

EXPOSITION « LE STYLE INTERNATIONAL » dirigée par Phillip Johnson, New York

BIBLIOTHÈQUE DE VIIPURI

CIAM IV Athènes, Grèce

Alvar Aalto Viipuri, Finlande

1933

1934

1935

1936

FALLING WATER HOUSE Franck L. Wright Pennsylvanie Arrivée de Mies Van der Rohe à Chicago (enseignant à l’Illinois Institute of Technology)

Arrivée de Walter Gropius à Cambridge (enseignant à la Harvard Graduate School of Design)

CIAM V Paris, France

1937

1938

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1939

1940

OSER HOUSE Montgomery, Pennsylvanie

1941 Louis Kahn 40 ans

1942

1943

1944

1945

Publication de son article intitulé « Monumentality », issu d’une intervention au congrès New Architecture and City Planning (New York, 1942) Louis Kahn fonde son propre atelier, avec Anne Tyng

1946

1947

WEISS HOUSE Montgomery, Pennsylvanie

1948

1949

1950

Voyage de Kahn à l’Académie Américaine de Rome

Louis Kahn 50 ans

1953

1954

New Haven, Connecticut

PROJET DE LA CITY TOWER avec Anne Tyng Philadelphie

TRENTON BATH HOUSE

Trenton, New Jersey

1955

1956

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Enseignant 1947-1957

1952

YALE ART GALLERY

YALE SCHOOL OF ARCHITECTURE

1951

Après avoir enseigné au Bauhaus, Josef Albers devient directeur du Departement of Design de l’Université Yale


1939

1940

1941

1942

1943

Parution de la « Charte d’Athènes » de Le Corbusier

1944

EAMES HOUSE (Case Study House N° 8)

GLASS HOUSE Phillip Johnson Connecticut

Charles & Ray Eames + Eero Saarinen Californie

1945

FARNSWORTH HOUSE

Mies Van der Rohe Illinois

1946 UNITÉ D’HABITATION Le Corbusier Marseille

1947

1948

Publication de « Le Modulor » (Le Corbusier)

1949

MAIRIE DE SÄYNÄTSALO Alvar Aalto

1950

CROWN HALL

CHAPELLE DE RONCHAMP

Mies Van der Rohe Chicago, Illinois

Le Corbusier

CIAM VIII Hoddesdon, Royaume-Uni

1951

1952

CIAM IX Aix-en-Provence, France

1954

SEAGRAM BUILDING

Mies Van der Rohe Chicago

MUSÉE GUGGENHEIM Franck L. Wright

1953

1955

COUVENT DE LA TOURETTE Le Corbusier

CIAM X Dubrovnik, Yougoslavie

1956

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1957

Publication de « L’ordre en architecture », dans Perspecta 4 : The Yale Architectural Journal

1958

CENTRE DE RECHERCHES MÉDICALES NEWTON-RICHARDS

TRENTON BATH HOUSE

Trenton, New Jersey

Philadelphie, Pennsylvanie

1959

SALK INSTITUTE

PREMIÈRE ÉGLISE UNITARIENNE

La Jolla, Californie

MAISON ESHERICK Chestnut Hill, Pennsylvanie

Rochester, New York

1960

MAISON FISHER Hatboro, Pennsylvanie

1961 Louis Kahn 60 ans

1962

Entretien avec John Peter pour The Oral History of Modern Architcture

CAPITOLE DE DHAKA Bangladesh

1963

INSTITUT INDIEN DE MANAGEMENT Ahmedabad Inde

1964

1965

1966

EXETER LIBRARY Exeter, New Hampshire

KIMBELL ART MUSEUM

Fort Worth, Texas

1967

1968

Louis Kahn 70 ans

1972

1973

1974 Mort de Louis Kahn le 17 mars

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Kahn est élu membre de l’Académie Américaine des Arts et des Lettres

Ingénieur béton

1971

New Haven, Connecticut

Enseignant 1957-1974

1970

YALE CENTER FOR BRITISH ART

UNIVERSITÉ DE PENNSYLVANIE

Parution du numéro d’Architecture d’Aujourd’hui spécial Kahn

COLLABORATION AVEC AUGUST KOMENDANT

1969


MUSÉE GUGGENHEIM Franck L. Wright New York

SEAGRAM BUILDING

Mies Van der Rohe Chicago

1957

COUVENT DE LA TOURETTE Le Corbusier Éveux

1958

CATHÉDRALE DE BRASILIA Oscar Niemeyer Brésil

CIAM XI Otterlo, Pays-Bas dissolution Team X

Mort de Franck Lloyd Wright

1959

1960

1961

1962

1963

1964

NEUE GALLERIE

Mort de Le Corbusier

Mies Van der Rohe Berlin

1965

1966

WORLD TRADE CENTER Minoru Yamasaki New York

1967

1968

Mort de Mies Van der Rohe

1969

1970

1971

Publication de « Learning from Las Vegas » (R. Venturi, D. Brown)

1972

1973

1974

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La bibliothèque Exeter Exeter, New Hampshire 1966-1972

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Louis Kahn : Quelles temporalitĂŠs ?

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La bibliothèque Exeter

« Un homme avec un livre se dirige vers la lumière. Une bibliothèque commence comme cela. Il ne fera pas quinze mètres vers un éclairage électrique. » Louis I. Kahn1

Prendre un livre de l’obscurité pour l’amener vers la lumière, c’est le scénario qui guide et structure le travail de Louis Kahn pour la bibliothèque. Si l’allocution est antérieure au projet de la bibliothèque d’Exeter, cette entrée dans le projet, ce fil rouge témoigne d’une logique qui veut penser le projet dans sa globalité. La démarche projectuelle veut concevoir usage, espace, structure et lumière dans un seul et même élan. C’est cette cohérence «totale» qui fait de la bibliothèque d’Exeter un édifice remarquable, qui met en lumière toute la rigueur et l’aboutissement des idées de Louis Kahn. Afin de maîtriser au mieux et de retrouver le travail de l’architecte, j’ai pris soin de redessiner les plans et coupes. Cette manipulation du projet m’a permis une certaine appropriation, et par ce biais, j’ai pu enquêter, chercher et retrouver les logiques mises en place. Cette étape permet alors d’avoir un oeil le plus précis possible, peut-être aussi plus critique, et permet de maîtriser en partie la façon de faire l’architecture de Kahn... Louis I. Kahn, « Space, order and architecture », allocution revue et publiée par Kahn dans The Royal Architecture Institute of Canada Journal, vol.34, n° 10, octobre 1957. Traduction française de M. Bellaigue et C. Devillers dans « Silence et Lumière », choix de conférences et d’entretiens 1955-1974, éditions du Linteau, Paris, 1996 1

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Louis Kahn : Quelles temporalités ?

Plan de situation

Vue aérienne

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La bibliothèque Exeter

MONTREAL EXETER

CHICAGO

DETROIT

WASHINGTON

BOSTON

NEW YORK

CINCINNATI

ATLANTA

NEW ORLEANS MIAMI

La bibliothèque prend place dans le campus universitaire de Exeter, dans l’état du New Hampshire, à quelques quatre-vingt kilomètres au nord de Boston sur la côte est des États-Unis. Le projet comprend également la construction d’un réfectoire, terminant ainsi les installations du campus. En façade, Kahn utilise la brique, qui fait écho à l’ensemble du bâti alentour. Cependant la forme cubique du bâtiment contraste largement avec le vocabulaire existant sur le site. Au nord de Front Street, se trouvent les locaux de l’université propre à l’enseignement : salles de classe, laboratoires, auditorium... La partie internat se situe au sud de cette rue. C’est dans cette partie que Kahn construit la bibliothèque et le réfectoire. Le projet s’implante au coeur d’un territoire à l’organisation pré-établie, une composition axiale, basée sur une symétrie rigoureuse. Les corps de bâtiments forment un espace intérieur, conçu comme une cour, structurée par les édifices, divisée par la rue qui perce le quadrangle, point de convergence de tous les étudiants du campus (voir plan de masse).

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Louis Kahn : Quelles temporalités ?

Bibliothèque Réfectoire Bâtiments du campus Autres bâtiments

Plan de masse

Kahn se positionne alors dans la logique mise en place, en continuant de structurer cette intériorité. Il prolonge la limite est de la cour, s’alignant sur le dernier bâtiment de l’autre côté de l’axe. S’il ne contredit pas le fonctionnement spatial du campus, Kahn y apporte une autre dimension, en rompant avec le vocabulaire formel existant, fait de longs parallélépipèdes. Il termine le campus dans sa géométrie, tout en raccrochant le campus à la rue à l’est, qui devient un nouvel accès au coeur du territoire étudiant. Le réfectoire connecte alors la bibliothèque avec le reste de la ville.

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La bibliothèque Exeter

Les deux carrés se positionnent côte-à-côte, mais dans des géométries différentes. Ainsi, sur des plans différents, ils ne forment pas d’obstacles à l’un à l’autre. Cette géométrie suit aussi la logique rayonnante des bâtiments depuis l’internat au sud jusqu’aux locaux de l’université. L’autre dépassement des codes de Kahn s’établi dans l’implantation précise de la bibliothèque. Alors qu’il respecte l’organisation globale, le bâtiment déroge malgré tout à l’alignement, et déborde sur l’espace vert central. Aucune façade monumentale, ni principale, l’édifice affirme sa présence par un léger débord. La bibliothèque est conçue comme accessible de toute part, affirmant une certaine égalité, et un rayonnement global. Le débord sur l’espace de la cour extérieur permet une accroche des étudiants entre les cours et l’internat. La bibliothèque s’inscrit dans un carré de 34 mètres de côté, sur une hauteur visible en façade de plus de 25 mètres (le point le plus haut étant à près de 27 mètres). L’édifice impose sa forme cubique, solide et stable, rayonnant sur les bâtiments alentours. Si en plan le réfectoire occupe approximativement la même surface, il n’est haut que de 9 mètres, et s’efface dans son rapport à la bibliothèque. Celle-ci apparaît comme un repère, un signal au coeur du territoire étudiant. La massivité du bâtiment est réduite par les angles biseautés. Les arrêtes sont évidées, et sont sur chaque niveau des espaces extérieurs. La galerie perméable au sol allège l’édifice et affirme l’ouverture. Une autre galerie au niveau le plus haut rend perméable la façade au ciel et affirme un autre rapport à l’infini. En plan, la bibliothèque se développe sur un premier carré de 9 mètres de coté, vide, autour duquel s’enroulent les espaces.

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Louis Kahn : Quelles temporalitĂŠs ?

Photographies

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La bibliothèque Exeter

Plans et coupe RDC

Niveau type A

R+1

Niveau type B

Coupe

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Louis Kahn : Quelles temporalités ?

Au bord de ce vide, sur les quatre étages courants, se trouvent des espaces de consultation rapide. Une première couronne entoure ensuite le cœur de la bibliothèque avec les espaces de rayonnage. Enfin, une dernière couronne cercle le bâtiment avec les espaces de lecture, petites loges personnelles, ouvertes sur l’extérieur. Cette logique d’organisation en couronne est également présente dans le système constructif. L’utilisation des matériaux assure une cohérence entre structure, usages et ambiances. Le projet fonctionne dans un premier temps sur une différenciation des éléments porteurs et des façades. Construites en briques, les façades sont auto portantes. Le bâtiment repose ensuite sur diverses trames de poteaux. Une première trame est constituée de poteaux de sections rectangulaires. Ils organisent le système d’arcades, et structurent les espaces. Ils sont en brique dans la couronne extérieure, et en béton armé dans la couronne intérieure. Une trame secondaire, strictement en béton armé, est composée des poteaux de sections carrées, que l’on retrouve par quatre dans les espaces de rayonnage. Ces poteaux ont pour but le soutien des planchers, qui accueillent le stockage des livres. Les charges de ces poteaux sont reprises deux par deux par un portique qui occupe toute la hauteur du deuxième étage. Cette solution permet de s’affranchir de leur emprise dans les escaliers d’entrée, ainsi que dans les grands espaces du hall. Plus généralement, le projet s’articule autour de deux couronnes entourant le vide central. Une première couronne, qui accueille le rayonnage, en béton, et une seconde, extérieure, en brique, où s’organisent les espaces de lecture. L’utilisation de ces matériaux différents allie les solutions techniques avec un soucis de

Structure

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La bibliothèque Exeter

l’esthétisme et la mise en place de réelles ambiances. Chez Kahn, la structure est affirmée, et joue un rôle important dans la mise en ambiance du projet. Au dessus de la « cour », les quatre poteaux qui cernent le vide central soutiennent une large croix de béton, de presque 6 mètres de haut, qui abrite le visiteur. Il est aussi question de marquer la différence des usages. Le choix des matériaux met en place une certaine hiérarchie des espaces. Nous reviendront sur l’idée «d’espace servi et d’espace servant» élaborée par Kahn. La couronne ouverte sur l’extérieure, en brique, est baignée de lumière. C’est le vaste espace qualifié pour lire, avec la texture et la lumière. Les espaces de stockage, en béton, sont plus sombres, et plus resserrés. La construction géométrique de la bibliothèque à Exeter est basée sur le carré, neutre et stable. Le coeur du bâtiment est un premier carré (1), vide. La composition du plan est une organisation en 9 cases. On y trouve la référence aux villas romaines de Palladio, et c’est aussi une organisation que Kahn avait déjà expérimenté sur les premières esquisses de l’Église Unitarienne de Rochester. De ce premier carré découlent quatre autres carrés (2), qui définissent la première couronne (3). C’est la rotation de cet élément qui induit le périmètre extérieur de l’édifice (4). La géométrie rigoureuse de Kahn conforte l’idée de stabilité, et convoque la notion de monumentalité. L’édifice est implanté de façon autonome, sans adossement à un autre bâtiment. La massivité des façades imposantes laisse cependant deviner un rez-de-chaussée relativement ouvert.

(4) (3)

(2) (1)

Tracés directeurs

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Louis Kahn : Quelles temporalités ?

Séquence d’entrée RDC

R+1

Coupe

Une série d’arcades forme une galerie ouverte, véritable péristyle, qui court sur le périmètre de l’édifice. Composé d’arches en brique, cet espace abrité, entre intérieur et extérieur, mène à un premier hall. Si la bibliothèque ne dispose réellement que d’un seul accès, au nord, le projet s’affirme comme un lieu de convergence, dans lequel il est possible d’entrer via l’ensemble du périmètre de l’édifice. Le principe mis en place par Kahn exprime l’image, idée même de la bibliothèque et du savoir, facilement accessible à tous, depuis tous les points du territoire.

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La bibliothèque Exeter

Le hall présente deux escaliers semi-circulaires monumentaux. Entre ces deux escaliers se trouve l’accès, au rez-de-chaussée, à un premier espace réservé à l’administration et aux archives. Ces grands escaliers permettent d’accéder à la « cour », véritable coeur de la bibliothèque, au niveau 1. C’est encore une fois une image de la connaissance qui est proposée ici par Kahn, au coeur du vide central. Si comme on a pu le voir en plan, la bibliothèque s’articule autour de ce vide, le principe fonctionne dans les trois dimensions. La connaissance s’incarne alors dans ce cube de vide, coeur de la bibliothèque. Sur les quatre « façades intérieures » de ce cube, on trouve de grands oculus, qui affirment encore cette idée, en laissant deviner la somme de livres réunis dans ce bâtiment. Il est question de donner à voir le stockage, et finalement, de toujours donner à voir la bibliothèque à elle-même. Par les espaces en mezzanine, sur les espaces de lectures ou sur le vide central, la bibliothèque s’offre toujours au regard. La séquence d’entrée propose une réelle ascension, mise en place par une gradation des hauteurs au fur et à mesure de l’accès. De la galerie jusqu’à la position du visiteur au centre de la bibliothèque, Kahn propose un nouveau sol, un nouvel univers, consacré à la lecture. Cette mise en scène par la promenade propose un sanctuaire pour accueillir le lecteur. Si Mathilde Bellaigue et Christian Devillers ont intitulé le choix de conférence de Kahn « Silence et lumière »2, d’après un article de Kahn, ces deux notions ont en commun un autre élément. Le son et la lumière n’existe que dans le temps. C’est aussi une suspension du temps que l’architecte opère dans la bibliothèque. Les espaces construits laissent place à un cube vide, central, qui incarne l’idée du savoir. Tous les espaces sont alors en tension entre ce vide central et l’extérieur du bâtiment. L’usage (chercher, lire, écrire) se fait dans l’enveloppe protectrice, entourant cette incarnation de la connaissance. Cette idée des espaces en tension s’exprime de façon assez forte grâce à la lumière naturelle. C’est la lumière du jour qui créé l’ambiance du projet, et organise une certaine hiérarchie des espaces. Les espaces de stockage avec les rayonnages contenant les milliers de références sont, comme on l’a vu, portés par une structure béton composée d’une trame Bellaigue Mathilde et Devillers Christian, Louis I. Kahn, Silence et Lumière - choix de conférences et d’entretiens 1955-1974, éditions du Linteau, Paris, 1996 2

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Louis Kahn : Quelles temporalités ?

Lumière naturelle

particulière. Chez Kahn, on y reviendra, structure et lumière sont pensées dans le même élan, la structure fait la lumière. La question du stockage des livres implique également la protection, essentiellement des rayons solaires directs. La première couronne en béton créé donc ces espaces de pénombre, mais néanmoins baignés de lumière entre le vide et la façade. Mis à bonne distance des entrées de lumière, les rayonnages marquent en eux même une autre centralité. Et de part et d’autre des collections se trouvent les espaces de consultations. Ceux-ci encerclent les rayonnages de deux couronnes. La gestion de la lumière naturelle est la base de la pensée de Kahn. Comme le précise la citation qui introduit ce chapitre, «l’éclairage électrique» ne jouit pas d’une considération extrêmement positive. Dans la mise en tension des espaces, l’équilibre ne se trouve pas entre deux tonalités de lumière égales. La lumière est l’outil privilégié pour la mise en ambiance du projet.

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La bibliothèque Exeter

D’abord, sur la façade, la lumière pénètre de façon directe, et inonde généreusement les espaces de lecture en simples ou doubles hauteurs. La double hauteur permet notamment de hiérarchiser l’apport solaire. Le long de la façade se trouvent les petites cabines de lecture, faisant l’objet d’un dispositif particulier. Le traitement de ces fenêtres - mobiliers laisse la moitié supérieure de l’ouverture libre pour que la lumière se diffuse largement dans les espaces en mezzanine. Ces dispositifs permettent de gérer, de façon différente selon les usages, les enjeux relatifs aux entrées de lumière et aux vues. La façade se veut alors très ouverte, laissant découvrir l’environnement extérieur.

« Structure is the maker of light, because structure releases the space between and that is light giving. » Louis Kahn C’est une toute autre sensation qui est traitée au coeur de l’édifice. Aucune lumière directe ne vient éblouir le visiteur. Le vide central assure une large diffusion de lumière dans le hall, et permet d’apporter la luminosité nécessaire aux espaces de lecture ou de consultation entourant ce vide. La lumière est captée par les fentes au sommet du volume évidé, puis est transmise à l’intérieur par la gigantesque croix en béton. Terminant les poteaux qui cerclent le hall, et d’une hauteur de 6 mètres, cette croix est autant structurelle qu’elle participe à construire l’univers du projet. Les faces en béton brut brisent la lumière directe, et donnent au volume central une ambiance feutrée, invitation à la lecture. C’est tout l’univers du sacré qui est convoqué dans le hall de la bibliothèque. Le coeur du bâtiment est donc baignée d’une lumière peu changeante, conférant à ce hall un caractère intemporel. Si la symbolique est forte, c’est aussi une réelle position par rapport à l’usage de la bibliothèque : sortir du temps, plonger dans la lecture, et perdre les repères... Le cube non-bâti aspire à cet univers de calme, de silence, et de recueillement. On peut le comprendre comme une grande marque de respect de Kahn pour le livre, la lecture et l’écriture, et plus généralement pour le savoir. L’ascension de la séquence d’entrée, depuis le campus, appuie à nouveau la force du hall. Le visiteur quitte le sol, est accompagné en plusieurs étapes du dehors au dedans par

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Louis Kahn : Quelles temporalités ?

une gradation, par une séquence d’exploration du projet qui termine sur le vide magnifié. C’est donc en ce sens une réelle promenade architecturale que propose Kahn. Mettant en scène ce que Le Corbusier exprimait dans «Vers une architecture» dès 1923 : « L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière ». Kahn aurait-il précisé « les lumières » ? En façade, les ouvertures apportent donc la lumière sur la couronne extérieure de bâtiment. Dans un autre registre, les angles biseautés profitent d’un traitement particulier, qui leur permet de faire parvenir la lumière jusqu’au coeur de l’édifice. Les angles offrent des percées qui traversent la profondeur, l’épaisseur de la bibliothèque. Chaque angle est en fait un espace extérieur, petit balcon, qui permet de diffuser un éclairage naturel dans les allées de consultation. Les quatre blocs d’espaces servants (sanitaires, escaliers, salles...) profitent également de cette lumière, et permettent parfois de l’apporter jusqu’au vide central. Les salles de reprographie

Lumière naturelle

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ou les sanitaires disposent alors d’un certain confort et d’une réelle considération grâce à cette lumière naturelle. Ces percées, quand elles arrivent jusqu’au coeur de la bibliothèque, voient la lumière se fragmenter sur les poteaux intérieurs du vide. Ainsi, les rayons directs sont encore brisés pour conférer au hall son atmosphère particulière.

« Une pièce n’est pas une pièce si elle n’a pas de lumière naturelle. La lumière naturelle donne l’heure du jour et fait entrer l’atmosphère des saisons. » Louis Kahn Les ouvertures bénéficient d’un traitement différent selon leur situation. Une variation des dispositifs permet de larges possibilités d’ambiances et d’usages. Le remplissage des grandes baies percées dans le mur de brique se fait de bois et de verre. Sur les niveaux courants, les loges accolées à la façade offrent des espaces individuels de travail. Les fenêtres - mobilier contribuent à mettre en place une certaine ambiance. Dans les panneaux en teck sont pratiquées de petites ouvertures, de type meurtrières, assurant la lumière nécessaire sur le plan de travail. Cet éclairage latéral assez fin assure des vues depuis ces cabines isolées du reste de la bibliothèque. Les vues limitées concordent à cet isolement et à la

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concentration du lecteur. Sur d’autres niveaux, les panneaux en teck se divise en deux verticalement, offrant une moitié de mobilier, rayonnage, et sur l’autre moitié, une grande fenêtre toute hauteur. Ces types d’ouvertures sont associées à un mobilier plutôt destiné à la détente (canapés, fauteuils). Enfin, dans les espaces à usage collectif, les ouvertures utilisent l’intégralité du vide laissé dans la brique. Ces grandes fenêtres accompagnent les salle de travail, meublées de grandes tables.

« Space is not a space unless you can see the evidence of how it was made.» Louis Kahn

Les associations brique, béton, teck, sont des moyens auxquels Kahn a recours dans plusieurs projets. Les matériaux participent à l’ambiance du projet, et à la hiérarchie des espaces. Ces matériaux qu’il considère comme intemporels sont utilisés à leur juste mesure, alliant technicité, nécessité structurelle et ambiance. A la recherche d’une vérité et d’une lisibilité de la structure et des matériaux, chaque espace est qualifié par sa structure et sa lumière. En façade, l’utilisation de la brique assure également une cohérence vis-à-vis du site et de l’environnement bâti. Un autre jeu de Kahn sur les ouvertures réside en leur élargissement discret alors qu’elles sont situées dans les niveaux supérieurs. Du sol au sommet de l’édifice, les trumeaux s’affinent. Ce décalage progressif peut s’expliquer par la forme des linteaux. Les arcs en brique, pour des raisons de structure et de résistance, sont plus larges sur leur partie supérieure que sur celle inférieure. Une autre idée serait l’expression de la monumentalité de l’édifice. En effet, à l’image des colonnes du Parthénon, la légère déformation des baies contribue à briser l’effet de perspective. Les ouvertures les plus hautes sont les plus larges, ainsi, vu depuis le sol, les fuyantes vers le ciel sont contrariées. Ce dispositif a pour effet d’affirmer encore la stabilité et la rigueur géométrique du bâtiment. Sans déformation, la bibliothèque apparaît alors comme un véritable cube, stable et immuable.

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La notion de monumentalité est sous-jacente à cette mise en scène de l’édifice. Les quatre murs de brique des façades se présentent également comme quatre carrés, rendus indépendants par les angles évidés et traités en creux. Encore une fois, le traitement des façades est identique, et ne met pas en place une quelconque hiérarchie. Pas de façade principale, pas de façade de service. La bibliothèque est rayonnante sur l’intégralité du campus. Comme évoqué précédemment en plan, le rez-de-chaussée est pensé comme un péristyle. Ce principe amène une certaine perméabilité au bâtiment, marquant le rez-de-chaussée comme un creux dans la masse bâti. De la même façon, au dernier niveau, une galerie à ciel ouvert court le long des façades. A l’image du rapport au sol affirmé, le rapport au ciel apparaît également avec la dernière ligne de baies ouvertes. On peut y entrevoir l’épaisseur de cette galerie, et parfois même des fragments de ciel... Le sommet est également traité en creux. Ce dernier point est intéressant, si on considère la façade « pleine », la masse,

Façade

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cerclée par le vide des angles, du sol et du dernier niveau. Nous nous trouvons face à l’antithèse du principe fondateur de la bibliothèque, avec le cube vide autour duquel se déploient les espaces. Le principe fort explicité en plan et en coupe se voit contrarié en élévation. La façade évoque donc a priori une idée d’abstraction, suscitant interrogations et mystère quant aux usages intérieurs. Cependant, la composition de la façade et la notion de monumentalité ne convoque-t’elle pas la pratique de l’architecture grecque, romaine ou de la Renaissance? On peut retrouver dans ce cube, qui aurait pu être plus abstrait et plus introverti, l’idée d’un socle et d’un couronnement. Ces éléments témoignant d’un certain ordre, et d’une hiérarchie. La notion de hiérarchie se retrouve strictement dans le plan. Comme Kahn l’a expérimenté dans les bains de Trenton, puis dans les laboratoires Richards, son idée des espaces servis et des espaces servants est mise en place dans la bibliothèque. Nous reviendrons plus en détail sur ce point dans l’approche projectuelle de Kahn, mais il est bien question de différencier et de hiérarchiser les espaces. On pourrait expliquer les espaces servis comme les espaces spécifiques à un projet (ici, à une bibliothèque), et les espaces servants comme les espaces non-spécifiques (le genre d’espaces qu’on retrouve dans tout projet). Pour Kahn, les espaces servis de la bibliothèque sont les zones de stockage, les rayonnages, et naturellement les espaces de lecture. Les espaces servants peuvent être définis comme ceux, moins importants, qui sont au service des autres espaces. Ainsi, les gaines techniques, escaliers, ascenseurs, sanitaires sont considérés comme ces espaces servants. Dans la même logique qui allie structure, matériaux, et lumière, les espaces servants disposent de leur propre traitement. C’est en quatre colonne quasi-carrée que prennent forme ces espaces. Les quatre blocs, définis par leurs structures en béton, s’articulent autour du vide central (voir plan suivant). Les colonnes sont intégrées dans l’édifice, et concours à la structure de l’ensemble, notamment au contreventement. L’image des colonnes est assez juste, ces blocs sont pensés comme des colonnes creuses, qui jouent un rôle structurelle, mais qui sont évidées pour y glisser des fonctions secondaires. C’est dans l’épaisseur de ces piliers que se trouvent donc les circulations verticales, ainsi que les sanitaires et rangements.

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Espaces servants

On peut noter que ce traitement hiérarchise une première fois les espaces intérieurs. Les espaces de stockage et de lecture sont donc considérés comme espaces servis, encore une fois comme un hommage à la culture et au savoir. Cependant, dans les espaces que nous qualifions de servis, nous avons vu que les zones de stockage disposent de leur structure particulière, comme les espaces de consultation disposent de la leur. Une seconde hiérarchie s’opère alors. La question de l’ordre est donc une notion phare de la pratique de Kahn. La maîtrise et l’interaction de chaque aspect du projet concorde à cette vision d’une architecture hiérarchisée, forte et stable. La bibliothèque se présente comme un temple. Organisée autour du cube de la connaissance, stable et immuable, intouchable et inaccessible, au delà du temps et de l’espace, la bibliothèque offre des espaces en tension entre les vides, qui donnent toujours à voir la bibliothèque et le livre. Pour conclure et appuyer encore une fois cette construction de la bibliothèque

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Plan de rez-de-chaussée

autour de l’idée du cube, on peut revenir à l’implantation du bâtiment. Comme le montre le plan de rez-de-chaussée, si en effet l’enveloppe du bâtiment ne s’insère pas dans les alignements établis, c’est le coeur de la bibliothèque qui se cale sur le tracé de l’environnement. C’est le vide central qui s’inscrit dans la logique donnée, Kahn affirment alors ce vide comme l’essence même de sa bibliothèque. Le bâtiment présente un visage intemporel, qu’on ne saurait daté. C’est enfin à la recherche d’une écriture architecturale que Kahn travaille. Proposer une image de l’architecture de la deuxième moitié du XXème siècle, sur la côte est des ÉtatsUnis. La bibliothèque Exeter est peut-être le projet qui synthétise les recherches de Kahn (le projet est achevé alors qu’il est âgé de 71 ans) vers cette recherche d’une architecture de son temps, conçue pour faire signe dans l’histoire et établir une référence de cette période.

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« L’architecte doit rester attentif à la meilleure architecture du passé quand il commence quelque chose. » Louis Kahn

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La tradition Beaux-Arts Louis Kahn suit ses études à Philadelphie, à l’université de Pennsylvanie. Il est diplômé en architecture en 1924. Aux États-Unis, jusqu’à la première guerre mondiale, la tendance architecturale est à l’éclectisme. La référence antique unique laisse place à l’emprunt à de nombreux courants. Plus tard, sous l’influence de l’Académie des Beaux Arts de Paris, on affirme la symétrie, la monumentalité, ou encore la richesse des décorations. Après 1920 et jusqu’à la seconde guerre mondiale, le style Art Déco se détourne du décor antique pour chercher une architecture plus géométrique et plus fonctionnelle. C’est dans cette mouvance des États-Unis à la recherche d’une identité et d’une culture architecturale que Louis Kahn est formé. Et c’est bien sûr vers l’Europe que se tourne tous les regards. Ainsi, de nombreux architectes américains sont formés à Paris ou dans un univers très empreint des Beaux-Arts. Même si dès 1933 les acteurs du Bauhaus (comme Gropius ou Mies) intègrent différentes écoles aux États-Unis, à propos de Philadelphie, Rivalta explique3 : « Ville d’une importance fondamentale dans l’histoire des États-Unis, Philadelphie n’occupait pourtant pas une place de premier rang dans l’expérimentation des nouveaux langages architecturaux. Siège d’une école d’architecture explicitement orientée - par la présence d’enseignants français - vers les programmes de l’École des beaux-arts, loin de Chicago, des libertés de la côte ouest ou de la pluralité linguistique de New York, elle restait une île où la persistance de la tradition primait sur la thématique novatrice. » Dans les personnalités qui entourent Kahn, on note la présence d’un enseignant franco-américain, Paul Philippe Cret. Né à Lyon et diplômé des Beaux-Arts de Paris en 1876, il émigre aux États-Unis dès le début du XXème siècle. A Philadelphie, il devient professeur de dessin architectural. C’est quelques années plus tard, en 1907, qu’il ouvre sa propre agence - dans laquelle Kahn fera un passage au début de sa carrière. La pratique de Cret s’inscrit dans la grande tradition Beaux-Arts, et dans un univers classique, géométrique et monumental. Il faut noter que la plupart de ses commandes seront des bâtiments publics, ce qui peut expliquer le recours à ce genre de vocabulaire et qui convoque plus ou moins ces notions. Cependant, 3

Rivalta (Luca), Louis I Kahn, La construction poétique de l’espace, Paris, Le Moniteur, 2003, 255 p.

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comme le signale Rivalta, nous ne sommes pas ici dans un univers d’innovation ni d’avant-garde. Rivalta ajoute à propos de Kahn : « Son intérêt pour la forme primitive, dépouillée de tout apparat décoratif, héritée des exercices de décomposition et de reconstruction des cours de Paul Cret, jette un pont vers les thèmes de l’architecture française et allemande des années 1920. Sans le savoir, avec ces dessins, Kahn avait amorcé un processus de révision des principes modernes. Une révision lente, à la progression incertaine, qui révère les nouvelles théories, mais révèle des liens encore étroits avec les références rassurantes de l’architecture du passé. Attitude qui reflète le climat culturel dans lequel se développe l’architecture à Philadelphie dans les premières années du XXe siècle. » Dans la pratique de Kahn, ce rapport à l’enseignement classique est présent notamment par la géométrie, omniprésente. Dans la bibliothèque à Exeter, le plan témoigne de ce soin apporté au dessin, à la rigueur géométrique et à la rigueur de la composition. L’héritage de la tradition est également fortement marquée en plan par le recours à une hiérarchisation des espaces. Comme abordé plus haut, la bibliothèque répond à un tracé régulateur précis. Cette hypothèse d’analyse est peut-être à nuancer. En effet, il n’existe aucune trace de tels tracés de constructions dans les documents et archives relatives à l’architecte. Cependant, cet héritage classique nous incite fortement à penser que cette rigueur ne peut être fortuite, et que le tracé n’aurait pas pu être occulté, ni

Paul Philippe Cret (avec Zantzinger, Borie et Medary) Marion County Public Library - Indianapolis, Indiana - 1916-1917

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abordé, ni réfléchi. Se développant à partir du carré central, le plan de l’édifice s’élabore donc en neuf cases. Ce dispositif nous amène à convoquer le travail de Palladio. Architecte italien de la Renaissance (1508-1580), Andrea Palladio est bien connu pour la construction de nombreux palais et villas autour de Venise, mais aussi pour son traité publié sous le nom « Les Quatre Livres de l’Architecture » en 1570. Palladio est lui-même formé à partir du travail et des écrits de Vitruve. Cet autre architecte, romain, du 1er siècle avant Jésus-Christ, est à l’origine du célèbre « De architectura » à la fin de sa vie (vers -25 avant J-C.). Ce traité est en fait la seule pièce qu’il nous reste de l’Antiquité. Si Palladio s’inscrit dans la suite de Vitruve, il est certain que Louis Kahn en ait eu une approche dans sa formation Beaux-Arts. Il n’est pas question ici de s’étendre sur l’architecture de l’Antiquité à la Renaissance, ni de placer Kahn strictement dans cette lignée, mais il ne fait aucun doute que ces deux acteurs ont jalonné la formation et le regard de Kahn sur l’architecture.

« Je suis fermement convaincu que l’architecture italienne restera la source d’inspiration des oeuvres du futur. Ceux qui ne sont pas de cet avis devraient y réfléchir à nouveau. » Louis Kahn Ainsi, dans une lettre à David Wisdom (un architecte avec qui il a collaboré au cours de sa carrière), Louis Kahn écrivait : « Je suis fermement convaincu que l’architecture italienne restera la source d’inspiration des oeuvres du futur. Ceux qui ne sont pas de cet avis devraient y réfléchir à nouveau. Notre production fait pauvre comparée à elle, et toutes les formes « pure » ont été essayées selon toutes les variations. Ce qu’il faut faire c’est interpréter l’architecture italienne dans les rapports qu’elle peut avoir avec notre connaissance de la construction et de nos besoins. Je ne me soucie guère des restaurations (cette espèce d’interprétation) mais je vois pour ma part une grande valeur dans la lecture d’une approche personnelle de la création d’espace influencée par les bâtiments alentour comme point de départ. [...] L’architecte doit rester attentif à la meilleure architecture du passé quand il commence quelque chose. »4 4

cité dans Rivalta, op cit.

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Le traité d’architecture de Palladio est composé de réflexions théoriques, et de planches relatives à sa production et ses propres projets. Il y poursuit le travail de Vitruve en présentant des règles de symétries, de proportions et un soucis de composition, sous l’influence évidente d’Alberti et de « De pictura » (1435), ainsi que de la perspective. La notion d’humanisme qui relie Alberti et Palladio est peutêtre celle qui sera la plus lisible également chez Kahn. En parallèle au machinisme et au rationalisme de Le Corbusier - par exemple - Kahn affirme en architecture une dimension sociale, humaniste, centrée sur l’homme et la société. Dans le rapport à l’Antiquité ou la Renaissance, la position de Kahn consiste à considérer les « événements » de l’architecture comme une culture acquise. L’arc, la voûte, le dôme... Kahn associe fréquemment le projet et la construction, c’est pour lui dans la structure que l’architecture réside. Le postulat qui voudrait que l’Antiquité aurait mis au point un corpus d’idées, principes et un certain vocabulaire assoit la position de Kahn sur cette idée d’une culture architecturale, vraie et approuvée, que l’architecte ne doit pas remettre en cause, mais avec laquelle l’architecte doit composer. En effet, cet acquis de l’expérience antique est la base solide, la fondation de sa pratique architecturale. Le passé incarne une certaine exactitude et une justesse pour Kahn. Pour lui, le retour, la référence mais surtout l’analyse de ce passé représente la voie à suivre pour tenter de trouver le langage architectural du XXème siècle. La citation précédente affirme ce rapport au passé, considéré comme juste. Nul besoin de chercher à tout prix de nouvelles formes, tout est dans le passé. Cette dernière remarque est à nuancer, nous auront l’occasion de questionner la dimension expérimentale et l’innovation dans la pratique de Kahn. La position exacte de Kahn serait plutôt liée à l’idée de suivre la voie de l’antiquité, avec les capacités et techniques contemporaines. Le voyage pour achever la formation Dans la logique de l’enseignement issu des Beaux-Arts, la formation de l’architecte implique le voyage. Comme expliqué plus haut, la destination privilégiée est alors l’Europe. Comme tous les grands architectes alors, Franck Lloyd Wright ou Le Corbusier, le voyage représente un véritable événement dans le cursus et la formation. Le premier voyage de Kahn a lieu en 1928. Si à cette époque, l’avant-garde

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Louis Kahn, Basilique Saint-François d’Assise (Italie), hiver 1928-1929

européenne est incarnée, en peinture, par des gens comme Kandinsky, ou Piet Mondrian et Theo Van Doesburg - avec le mouvement De Stijl - en Hollande, et évidemment en architecture par le Bauhaus fondé en 1919 en Allemagne, le premier voyage de Kahn se concentre résolument sur le passé. Il prend alors la direction de la France, de l’Angleterre, puis naturellement de l’Italie, de la Grèce, et de l’Égypte. Lors de ce voyage, Kahn est marqué par les châteaux écossais ainsi que par les remparts de Carcassonne, restaurés par Viollet-le-Duc pendant la deuxième moitié du XIXème siècle.

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Dans sa discussion avec John Peter5 en 1961, interrogé sur comment était-il venu à l’architecture, Kahn explique : « One question was : who inspired you... to do the work you do ? And I said the inspiration is somewhat classical. It is really Greek, Roman, Gothic, Romanesque, Renaissance architecture. It stands there constantly as a marvelous challenge, you see, for what I do now. » « Une question était : qui vous a inspiré... pour faire le travail que vous faites ? Et je l’ai dit l’inspiration est quelque peu classique. Il s’agit vraiment de l’architecture grecque, romaine, gothique, romane, et de la Renaissance. Elle est là en permanence comme un merveilleux défi, vous voyez, pour ce que je fais maintenant. » Dans divers articles, Kahn a pu faire l’éloge de l’esquisse, du croquis et du dessin. La pratique du dessin est ce qui l’a amené à l’architecture, et avec sa formation très classique, le dessin est un réflexe pour lire, comprendre, et rendre compte des choses. Ainsi, dans l’introduction de son livre, Lucas Rivalta explique à propos de Kahn6 : « Son lien étroit avec les procédés d’analyse de l’enseignement des Beaux-Arts l’affiliait à un monde, celui du classicisme français qui, fasciné par les règles antiques, n’offrait pas de possibilité d’échanges culturels avec la production qui embrasait la scène européenne et agitait le milieu américain. Ainsi que le montrent les dessins de son premier voyage en Europe, son intérêt se focalisait alors sur l’analyse de modèles fort éloignés des expérimentations de Le Corbusier et Gropius, qui déroutaient l’Europe de ces années-là. Bien que plein de charme, ces croquis et aquarelles soulignent un intérêt pour la structure de la forme qui rappelle plus les leçons de son maître Paul Cret que la force de l’architecture moderne. Difficile d’imaginer, donc, comment une recherche qui l’a conduit à réaliser ses projets les plus importants loin de Philadelphie trouve en fait ses racines dans le conformisme culturel de ses années de formation. » Cette lecture du passé se retrouve très clairement dans la mise en forme des projets. Lors de son séjour en France, Kahn visite le Château de Chambord. On 5 6

Peter (John), The Oral History of Modern Architecture, Abrams 1994, 320 p. Rivalta, op cit.

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peut lire dans le plan ci-dessous une base solide de la réflexion de Kahn sur les espaces servants. Le schéma des tours du château comprenant les circulations verticales et certains espaces « secondaires » peut être mis directement en relation avec les blocs servants de la bibliothèque à Exeter. Nous verrons plus loin que c’est surtout dans les tours des laboratoires Richards ou dans les bains de Trenton que cette approche du projet est apparue chez Kahn. Cette référence du Château de Chambord est d’ailleurs plus frappante encore avec les laboratoires. A propos d’autres projets, Kahn citera également comme influences les châteaux écossais qu’il a pu découvrir lors de ce même voyage. Au cours donc de cette première aventure en Europe, Kahn part étudier un corpus de bâtiments et de villes issus d’un programme qu’on pourrait qualifier de classique, et qui correspond à une approche très beaux-arts. Il effectue le voyage une fois diplômé, et organise ses visites sur ses propres intentions et des choix personnels. Dans la continuité de ses études, il est intéressant de noter que son programme de voyage ne rompt pas avec la formation qu’il a reçue. Il aurait pu - comme implicité

Plans du Château de Chambord

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plus haut - se diriger vers les mouvements avant-gardistes dans une Europe fertile, or c’est pour consolider et approfondir cette culture classique que Kahn entreprend son voyage. A son retour d’Europe, c’est la « Grande Dépression », au mois d’octobre se déclenche la « crise de 29 ». La carrière de Louis Kahn est alors victime du contexte économique, et c’est le calme plat. Il trouve du travail chez son ancien professeur de l’université, Paul Cret. Formé selon les codes classiques des beaux-arts, enrichi d’un voyage qu’on pourrait qualifier d’académique en Europe, et engagé chez Cret, franco-américain issu de cette tradition beaux-arts, la voie suivie par Kahn est jusque là à la fois très logique, et à la fois surprenante quant à la suite de sa carrière. Le passé comme un ami Dans la préface de son premier livre7, Vincent Scully affirme que le manque de production significative de Kahn dans les années 30 et 40 serait en partie dû à son éducation classique et beaux-arts. Il soutient que cette formation académique était considérée par le mouvement moderne comme en faillite, en manque d’idée. Il explique : « d’un point de vue formel, symbolique et social, les beaux-arts étaient probablement en faillite jusqu’au début du XXème siècle, au moins jusqu’au années 20. » Quelques lignes plus loin, Scully avance une autre idée : « Kahn fut alors formé avec la manière qu’ont les beaux-arts de considérer les constructions du passé comme des amis plutôt que comme ennemis, des amis auxquels on est sensé emprunter librement, avec peut-être plus d’intimité que de compréhension. » Cette critique qu’émet Scully est à rapprocher de sa propre position, en tant qu’historien de l’architecture moderne. Dans cette préface, il reconnaît lui-même avoir été formé avec un recul important vis-à-vis de ces conceptions académiques. Il fut cependant lui-même élève de Kahn. Cependant, il est évident que cette culture et la formation qu’a suivi Kahn est une fondation solide à ses recherches. Au delà même d’une simple formation, c’est ce regard beaux-arts qui permet à l’architecte de mettre au point des réflexions

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nouvelles pour appréhender l’espace au XXème siècle. Comme j’ai pu le citer précédemment, Kahn n’utilise pas le passé comme un modèle, au sens strict, contrairement à ce que semble insinuer Scully, mais bien comme la source et le sujet de réflexions plus profondes. Il tire de l’enseignement qu’il a reçu des remarques et des moyens d’exprimer l’architecture, dans une démarche prospective. L’objet est bien pour Kahn de puiser dans le passé les éléments qui pourront lui servir à définir l’architecture contemporaine. Si Scully est un des premiers à avoir écrit sur Kahn (en 1962), dans une conversation avec Robert Wemischner8 datée de 1971, Kahn se montre très déçu par l’idée et l’argument avancée par Scully. Au cours de cette conversation, Kahn explique : « L’histoire est ce qui révèle la nature de l’homme. Ce qui est a toujours été. Ce qui était a toujours été. Ce qui sera a toujours été. Rien ne peut arriver qui ne soit dans la nature de l’homme, bien que peu importe le moment où cela arrive tant que la nature de l’homme existe. On ne peut anticiper le futur. [...] Vous ne pouvez dire ce que vous ferez demain, aussi ne pouvez-vous construire que ce qui est vrai pour vous aujourd’hui. Mais cela doit avoir une qualité durable puisque demain est le prochain aujourd’hui. » Il est bien question ici de considérer le passé comme manifestation, à un moment donné, de volontés et de capacités. Mais c’est anticiper sur les prochains chapitres, nous aurons l’occasion d’y revenir. Ce qu’il faut noter dans cette déclaration, c’est la conception du passé, de l’histoire, comme des jalons posés pour faire avancer l’architecture. Pour Kahn, l’architecture du passé est la manifestation d’un temps précis, et pour définir l’architecture d’aujourd’hui (de la deuxième moitié du XXème siècle), il est nécessaire de retourner, ou retrouver, la nature de l’homme, comme elle s’est exprimée par le passé pour donner naissance à ces références. La pratique de Kahn vise à s’inspirer de l’histoire comme d’un corpus de réalisations marquantes parce que pertinentes dans leurs temporalités propres. Au delà de la référence formelle, c’est la méthode et l’approche de l’architecture qui guide sa pratique. Le fait que ces constructions soient justes à leur époque leur confère ce statut de référence. La question est bien alors de définir cette même justesse et cette même pertinence au XXème siècle. 7 8

Vincent Scully Jr, Louis I. Kahn, Braziller, New York, 1962 conversation datée du 17 avril 1971, publiée dans Silence et Lumière, op cit.

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Josef Albers : Homage to the Square Series - Assertive (1958)

Le rapport à la géométrie Après l’expérience chez Paul Cret, Louis Kahn continue son chemin, notamment en formant le Architectural Research Group, avec Dominique Berninger en 1932. Avec cet autre architecte franco-américain, le groupe annonce son orientation et son intérêt porté alors sur l’avant-garde européenne. Ce point est particulièrement intéressant dans le sens où il apparaît une première position distante face au classicisme dans le discours de Kahn, du moins une position plus ouverte sur l’innovation. C’est également en 1932 que Phillip Johnson organise à New York l’exposition « Le Style International ». Nul doute qu’un tel événement a su marquer et influencer l’architecte de Philadelphie. Kahn part ensuite justement travailler pour la ville de Philadelphie, où il s’occupe de programmes urbains et de logements pour la ville. Quelques projets voient le jour, puis vient la rencontre avec Anne Tyng, avec qui il ouvre un cabinet en 1945, à presque

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45 ans. Toute cette période de la vie de Kahn, que certains appelleraient «traversée du désert», laisse place à une activité intense, qui ne cessera jusqu’à sa mort. C’est quelques années plus tard, en 1947, qu’il obtient un poste d’enseignant à la Yale School of Architecture (à New Haven, dans le Connecticut). A l’université de Yale, Kahn fait la rencontre de Josef Albers. Dès 1950 Albers est nommé directeur du Departement of Design de l’université, et donc le supérieur hiérarchique de Kahn. D’origine allemande, il fait partie des enseignants du Bauhaus qui ont fui les nazis et ont migré aux États-Unis en 1933. Après avoir suivi la-bas les cours d’arts visuels de Johannes Itten, il devient à son tour « maître » et dirige toutes sortes d’ateliers, sur la construction, la menuiserie, le projet, l’art ou le dessin. Son atelier fondamental sera finalement centrée sur le thème « la construction et les matériaux, leur apparence et leur représentation ». Albers est aussi reconnu comme peintre et plasticien. Ses recherches sur la couleur, ainsi que son approfondissement de la géométrie, ne laisse pas Kahn indifférent. La géométrie, rigoureuse, étudiée depuis l’architecture antique, revêt ici un nouveau sens. La pratique d’Albers est résolument de l’ordre de l’innovation et du modernisme. C’est peut-être par le biais d’un homme comme Albers que Kahn réinterroge les leçons du passé, les mêmes leçons revues sous l’angle de la peinture. Le prisme des arts visuels permet alors de mettre en relief des outils que l’architecte manipule, et permet d’approfondir la relation à ceux-ci, notamment la géométrie et la hiérarchie pour la construction de l’espace. Encore une fois, chez Kahn, le dessin est partie intégrante du projet, et d’après Rivalta, les fondamentaux revus par Albers mènent Kahn à une nouvelle compréhension de la ligne, du plan, du matériaux... « En se concentrant sur la revalorisation des figures primaires, Albers annonçait une ligne théorique modifiant le code des actions liées au quotidien au nom d’une conviction selon laquelle, sans ordinaire, rien d’extraordinaire ne peut exister. »9 Il est important de souligner cette dernière notion. Sans ordinaire, rien d’ordinaire. La logique peut être considérée comme similaire à la relation qu’entretien Kahn avec le passé. Il s’agit à nouveau de partir d’une base commune, acceptée, pour pousser le processus de projet plus loin dans la définition d’une écriture architecturale de notre temps. C’est à travers la figure géométrique que Kahn revoit son processus de projet, réinterrogeant la forme et la figure. L’influence d’un personnage comme Albers est 9

Rivalta (Luca), Louis I Kahn, La construction poétique de l’espace, op cit.

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Louis Kahn : les Pyramides de Gizeh, Egypte / les colonnes du Parthénon à Athènes, Grêce, 1951

Louis Kahn, L’Acropole à Athènes, janvier 1951

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évidente dans la mise au point de la façon de faire de l’architecture de Kahn. Le langage qu’est la géométrie fait partie de ces éléments issus du passé, qui, revus sous un regard nouveau, permettent à l’architecte d’ouvrir des voix vers l’expression et l’écriture architecturale nouvelle. Le voyage pour confirmer En 1951, Kahn effectue un séjour à l’Académie Américaine de Rome. Il faut noter que ce second voyage en Europe prend place dans un tout autre contexte de sa vie. Lors de son premier voyage, Kahn est un jeune diplômé en architecture de 27 ans, il s’agit en 1951 d’un homme de 50 ans. On peut alors considérer que le second voyage en Europe est le reflet du premier de 1928, précisant et marquant un nouveau point de départ, un renouveau dans sa pratique. Si son diplôme fut une étape, un moment important, la suite immédiate fut mitigée. Comme vu précédemment, une fois diplômé, Kahn prend la direction de la France, puis de l’Italie et de la Grêce ; il fait de même quand sa vie prend un nouveau départ après la longue période difficile des années 40. Kahn élabore un réel programme de recherche, qui l’amène alors à revisiter en partie les villes et bâtiments qu’il avait pu découvrir vingt ans auparavant. Enrichi de l’approche de l’art contemporain et de la dynamique d’une activité à l’université Yale, le choix de Kahn se porte à nouveau sur les oeuvres du passé. Si cette décisions peut sembler curieuse, c’est avec un regard neuf que Kahn retourne sur les traces de l’antiquité. C’est sur une base identique que s’effectue la relecture du passé. C’est ce que Rivalta explique alors : « Les observations de Kahn sur les vestiges archéologiques de la Grèce antique, les pyramides et les chapiteaux des temples égyptiens transmettent une tension et une puissance expressive qu’on ne trouve pas dans les dessins du premier voyage. Le minimalisme du signe graphique reflète la découverte d’un aspect formel intemporel, capable d’évoquer le besoin de projeter et de construire des oeuvres architecturales qui répondent aux plus hautes aspirations de l’humanité. »8 Ce nouveau « retour au source », qu’on peut symboliquement considérer comme un rituel ou un voyage initiatique, amène Kahn - à 50 ans - à reconsidérer 9

Rivalta, La construction poétique de l’espace, op cit.

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l’architecture et la façon de faire l’architecture. C’est à travers l’enseignement Beaux-Arts que Vincent Scully décrit d’abord Kahn comme un poète et un artiste. Il établi alors ce rapport entre le passé et le mouvement moderne : « Ses croquis des pays méditerranéens montrent l’apparition des masses pesantes de l’Egypte, des colonnes de Karnak, des carrières d’Assouan. Le mur fortifié de l’Acropole d’Athènes se dresse, et la tholos de Marmaria gît devant le trône d’Apollon. Et surtout, bien qu’il ne nous en reste pas de dessin correct, s’élèvent les colonnades de Paestum que Kahn revit encore une fois. Les arches de Préneste, les étages du Palatin, et surtout les espaces miraculeux de la villa d’Hadrien à Tivoli, tout était vu d’un œil neuf et avec une intensité de regard que l’école des beaux-arts n’avait pu communiquer. Tout ceci arriva aussi parce qu’un grand architecte amoureux de la Méditerranée, Le Corbusier, avait déjà appris à cette époque à faire revivre la noblesse de ces masses dans l’architecture et la construction modernes. Kahn visita l’unité d’habitation de Le Corbusier à Marseille, alors que celle-ci était encore et construction, et là, ainsi que les premières publications sur le bâtiment l’avaient annoncé, il vit les colonnes de Paestum dressées sous leur forme contemporaine. »9 On peut encore rappeler la distance de Scully de la tradition et des beaux-arts, mais il est évident que lors de ce voyage à Rome, Kahn se détache progressivement de ces racines classiques. Si l’Académie Américaine de Rome reste un grand symbole et une entité forte, dans son même ouvrage Scully explique que les choses étaient en transition à l’Académie. L’institution alors le « plus fier bijou des Beaux-Arts américains » est en évolution. Accueillant des peintres, des musiciens, des écrivains, des archéologues, de nombreux domaines sont amenés à partager un quotidien, et à travailler ensemble. Mais la position de l’Académie n’est plus tout à fait centrée sur la tradition, explique Scully. Le climat changeait. Les artistes étaient pour la plupart des artistes modernes, aux pratiques contemporaines. Après l’enrichissement provoqué par Albers, c’est un autre personnage qui prolonge la relecture du passé chez Kahn. Franck E. Brown est un archéologue américain. D’abord résident à l’Académie de Rome en 1931, tout juste diplômé, dès 1947 il y devient professeur. Sur le second voyage de Kahn, Rivalta10 retrace la relecture du passé induite par 9

Vincent Scully Jr, Louis I. Kahn, Braziller, New York, 1962 (cité en français dans Rivalta, op cit.) Rivalta, op cit.

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ces deux hommes, Albers et Brown : « Ainsi, revenu à Rome, et devant de nouveau établir un programme de visite de lieux et de bâtiments, son choix [Louis Kahn] se porte une nouvelle fois sur les oeuvres du passé. Cette fois-ci, contrairement à son premier voyage, il ne s’agit pas d’un choix dicté par un intérêt personnel suivant les exemples canoniques universitaires mais par un programme d’étude précis et réfléchi. La force des compositions d’Albers l’avaient porté à approfondir la recherche sur la simplification et la composition géométrique de l’architecture antique. Ses dessins témoignent d’un processus progressif d’abstraction qui tend à extraire des paysages, des sites archéologiques et des monuments du passé les éléments essentiels, les caractéristiques de la forme. À l’instar des tableaux d’Albers dont l’abstraction est le résultat d’une démarche de simplification vouée à souligner la force vitale de la figure géométrique pure, Kahn regarde l’architecture avec les yeux d’un peintre qui veut transmettre la force de la figure originale de l’objet observé. L’archéologue Frank Brown, lui aussi résident à l’Académie américaine de Rome, lui apporte une aide importante dans cette étude. Avec lui, il visite la Villa d’Hadrien et, à travers sa relecture, il acquiert une conscience différente du rôle de l’architecture classique romaine. Le charme et la force des convictions de Brown mènent Kahn vers une nouvelle considération de l’architecture antique, revitalisant un intérêt qui avait été le fil conducteur de sa formation. La vision de Brown sur la société et l’architecture romaine, perceptible dans les conclusions de ses recherches archéologiques, se traduisit pour Kahn dans la reconnaissance d’une nouvelle et plus claire source d’inspiration. » L’objet de ce voyage pour Kahn est donc d’appréhender l’antiquité avec un regard neuf, forgé par la peinture et les mouvements avant-gardistes. Il s’y trouve confronté avec la position de l’archéologie et les explications plus précises de Brown. C’est donc une réelle confirmation dans la recherche de Kahn : la route à suivre est belle et bien celle tracée depuis l’antiquité. Il ne s’agit pas d’un passé idéalisé, muséifié et figé, mais bien d’en comprendre les mécanismes d’une fabrique de l’architecture. On peut dire que le voyage de Kahn à Rome est un point charnière de sa pratique. Pas un point de rupture, ni un changement de positions, mais plutôt une étape validée dans son entreprise de trouver une écriture et une architecture juste et cohérente au XXème siècle. Après de longues années de recherche, Louis Kahn semble approcher la définition précise de son positionnement sur l’architecture. C’est à son retour de Rome que les projets s’enchaînent, et permettent à Kahn de clarifier et surtout de mettre en pratique toutes les réflections accumulées au cours des voyages et des expériences.

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La distance des modernes

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« Avant de pouvoir sentir le nouvel esprit, qui doit marquer le jour à venir, nous devons nous préparer à utiliser intelligemment les connaissances provenant de toutes les sources. Les désirs nostalgiques des choses du passé ne trouveront que quelques supporters inefficaces. » Louis Kahn

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Nous allons nous intéresser dans cette seconde partie aux rapports entre Kahn et ses contemporains. En quoi son travail se distingue du mouvement moderne, et en quoi, comme pour les références du passé, une lecture différente conduit Kahn a préciser ses positions et son approche de l’architecture. Il est question de mettre en relief les points de concorde et de discorde, de retrouver dans la nébuleuse moderne les liens entre Kahn et ses contemporains. Monumentalité Pour introduire cette seconde partie, après la question du passé, nous nous intéressons à présent à la pierre angulaire entre passé et présent - de la leçon du passé à la distance des modernes. C’est dans la période calme de ses activités, en 1944, que Kahn publie l’article intitulé « Monumentality », d’après une intervention au congrés « New architecture and city planning » qui s’est tenu à New York en 1942. Voici l’introduction de cet article :

La monumentalité en architecture peut être définie comme une qualité, une qualité spirituelle inhérente à une structure qui transmet le sentiment de son éternité, que l’on ne peut ni ajouter ni changer. On sent cette qualité dans le Parthénon. le symbole architectural par excellence de la civilisation grecque. Certains prétendent que nous vivons dans un état déséquilibré de relativité, qui ne peut être exprimé par une intensité d’objectif unique. C’est pour cette raison, je pense, que beaucoup de nos confrères ne croient pas que nous soyons psychologiquement capables de transmettre une qualité de monumentalité à nos bâtiments. Louis I. Kahn, Monumentaility, 1944.11 Bien qu’il fut écrit et énoncé avant son deuxième voyage en Europe, cet article cristallise un des aboutissements des recherches de Kahn. La réponse à la question « comment faire l’architecture de notre temps » réside, d’après Kahn, en partie dans la monumentalité. La monumentalité est la clef du langage architectural. Au cours de ses voyages, alors qu’il a pu découvrir et analyser les oeuvres du passé (de l’antiquité à la Renaissance), une des conclusions de Kahn est que ces références

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bénéficient de ce statut d’exemplarité notamment par la monumentalité qui leur est inhérente. C’est la notion de monumentalité qui confère à l’architecture son rôle de témoin inaltérable d’une époque. C’est la monumentalité qui assure la stabilité, la solidité et l’ancrage dans le temps de l’architecture. Cette monumentalité qui donne à l’architecture son caractère intemporel, éternel. C’est en partie ce qu’on a pu observer à propos de la bibliothèque Exeter. L’édifice impose une posture intemporelle et figée. Presque impossible à dater a priori. Les recherches de Kahn sont donc centrées sur la mise au point d’une architecture qui aurait la faculté de stabiliser son temps, de poser les jalons d’une période et de l’inscrire dans la durée. Nous sommes alors ici au coeur de notre sujet, quant au questionnement des temporalités. C’est dans l’optique de produire une architecture juste en son temps, juste vis-a-vis du passé, et qui conservera toutes ses qualités et cette justesse dans le futur que le travail de Kahn s’articule. Lors de la conversation déjà évoquée plus haut avec Robert Wemischner12, Kahn exprime clairement sa perception du temps, et sa volonté de se trouver, à tous les niveaux, encré dans plusieurs temporalités. Il argumente ainsi : « On ne peut anticiper le futur. [...] Vous ne pouvez dire ce que vous ferez demain, aussi ne pouvez-vous construire que ce qui est vrai pour vous aujourd’hui. Mais cela doit avoir une qualité durable puisque demain est le prochain aujourd’hui. [...] Le passé n’est qu’une manifestation de ce qui aurait pu arriver aujourd’hui, seulement les circonstances n’étaient pas propices. » Ce dernier point est une des thématiques majeures abordées dans l’article. Si Kahn pose son intérêt sur la monumentalité, il n’en interroge pas moins les moyens de créer cette monumentalité. Qu’est-ce qui fonde la monumentalité ? Qu’est-ce qui la défini ? Qu’est-ce qui la fait se révéler ? L’article « Monumentality » pose une question essentielle : l’architecture contemporaine a-t’elle réussi à donner à ses institutions le caractère qu’elles méritent ? Quand Kahn parle d’institutions, il pense aux bâtiments publics, bibliothèque, école, centre culturel, il aborde également les lieux de culte. Louis I. Kahn, Monumentality, intervention au congrés «New architecture ans city planning», P. Zucker, New York, 1942. 12 conversation avec Robert Wemischner, datée du 17 avril 1971, publiée dans Silence et Lumière, op cit. 11

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Sa définition du mot institution convoque tout ce qui est nécessaire au bon fonctionnement de la société, par extension, tout ce qui la qualifie. Il apparaît assez clairement chez Kahn la volonté d’inscrire la pratique contemporaine dans l’histoire, et de briser la frontière et gommer le recul entre présent et futur. Quand je parle du « caractère mérité », cela se traduit chez Kahn par la qualité de l’architecture qui saura commémorer, et prendre sa place dans la société, et avoir un impact sur un moment de la civilisation. L’étymologie de « monument » trouve en effet son origine dans le latin monere, se remémorer. La question des temporalités est sousjacente, et reste une notion sur laquelle se focalise la pratique de Louis Kahn. La recherche de la monumentalité doit trouver sa direction, encore une fois, en regardant le passé. Et le moyen d’exprimer cette monumentalité est dans un premier temps, mais pas uniquement, le matériaux. Kahn met cependant en garde : il précise que la question du matériau ne se pose pas en terme de valeur ou de beauté. Il ne défini pas la monumentalité par la richesse ou le luxe des décorations. Elle réside plus simplement dans l’expression du matériau, et donc de la structure. C’est une aspiration à la perfection constructive qui confère à l’architecture sa monumentalité. C’est encore dans le passé que Kahn trouve ses justifications : il explique que la force du Parthénon émane de sa construction. Le Grecs ne savaient alors utiliser que la pierre, et la pierre travaille uniquement en compression. C’est la recherche d’un système qui évite la traction au matériau qui qualifie sa structure, et lui donne sa monumentalité. C’est la vérité de la structure, et la justesse qui la caractèrise en son temps, qui dote l’architecture de son statut. La suite de la démonstration est alors assez logique : les intensités et les significations de l’architecture ne sont plus comparables. Les besoins et connaissances entre hier et aujourd’hui ont largement évolué. Il est alors question de trouver, de définir, d’exprimer la force des principes constructifs contemporains. Rappelons que nous sommes au lendemain de la guerre. La production américaine est en plein essor, et dans des proportions jamais atteintes. Les besoins sont aussi en transition, il faut construire rapidement, et en grande quantité. Kahn est très enthousiaste des progrès réalisés pour la construction, et très emballé par les nouveaux matériaux et leurs plus ou moins larges potentialités. Mais si pour Kahn le progrès a donné à l’architecture une nouvelle palette de matériaux pour construire, il en regrette d’autant plus le manque de recul sur ceux-ci. Pas le manque

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de recul des ingénieurs, mais bien des concepteurs, qui construisent vite, et qui répètent les prémisses des recherches sur ces matériaux comme des modèles, sans vraiment chercher à les interroger. Kahn semble déplorer le manque d’innovation de la part des concepteurs, alors que l’évolution des techniques devrait ouvrir un champ immense de recherche pour de nouvelles formes, et un nouveau langage architectural. Ainsi, pour développer l’architecture juste, qui fait sens aujourd’hui, Kahn prône une relation étroite entre l’architecte et l’ingénieur. C’est alors que tous les deux pourront pousser au plus loin les limites des nouvelles techniques et des nouveaux matériaux. Il est question de repenser le jugement sur la structure, et de dépasser le domaine des acquis. La direction à suivre est résolument celle de l’innovation, dans la recherche et la curiosité, plutôt que dans l’assemblage et la répétition facile des systèmes connus. Quand Kahn aborde les nouveaux matériaux et les techniques, il est question du béton armé précontraint, de la soudure, qui simplifie les liaisons de l’acier - par rapport aux rivets -, il est question du lamellé-collé, du verre plus résistant, pour de plus grandes surfaces couvertes... Tout ce corpus doit définir les nouveaux outils du constructeur, qu’il utilisera « sans préjugés ni appréhension ». C’est pour Kahn ce qui doit être « la façon moderne ». La considération de la structure s’établit alors sur deux niveaux : d’abord, reconnaître et accepter l’esthétique de ces techniques nouvelles. Il s’agit pour Kahn de respecter la nature des matériaux et d’affirmer leurs qualités. Ensuite, le deuxième point porte sur un réel langage à inventer. L’architecture doit renouveler, depuis les matériaux, son identité. L’esthétique nouveau doit affirmer une nouvelle intensité de l’architecture, et ainsi donner naissance à un nouvel ordre, qui n’est «ni celui du Crystal Palace, ni celui du Taj Mahal». Dans la recherche d’une architecture juste et qui fait sens aujourd’hui, Kahn propose de redéfinir la monumentalité. L’architecture aspire alors à cette notion par sa justesse, sa vérité structurelle, et l’expression d’une construction idéale, dans le sens où elle sait tirer le meilleur profit du matériau, de la technique de mise en oeuvre, et de la logique constructive qui en résulte. Comme le Parthénon en son temps, l’architecture doit inventer ses nouveaux modes de construction, qui resteront l’empreinte de l’architecture contemporaine. C’est pour Kahn la solution

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pour définir le nouvel esthétique, et affirmer la signification de l’architecture. Cette relation à la monumentalité place Kahn dans une dynamique autre que ses contemporains. Dans les années 50, la monumentalité reste, dans les consciences, liée au fascisme. Le mouvement moderne aura donc tendance à repousser cette aspiration. C’est au contraire ce que prône Kahn pour affirmer une nouvelle architecture. Ne pas laisser cette notion aux régimes fascistes, mais bien s’en emparer pour établir le langage architectural d’aujourd’hui, et donc de demain.

« Avant de pouvoir sentir le nouvel esprit, qui doit marquer le jour à venir, nous devons nous préparer à utiliser intelligemment les connaissances provenant de toutes les sources. Les désirs nostalgiques des choses du passé ne trouveront que quelques supporters inefficaces. » Louis Kahn - Monumentality Innovation Comme le présente l’article « Monumentality », un des champs de recherche pour Kahn réside dans l’innovation. La question de la temporalité, pour faire l’architecture d’aujourd’hui, implique l’utilisation des techniques, recherches et découvertes d’aujourd’hui. Cette approche place donc l’architecte dans une dynamique novatrice et prospective. Il faut également noter que cette volonté de concentrer les efforts sur le présent est lié à une vraie prise de position. L’architecte doit alors toujours chercher, toujours aller plus loin dans les recherches. Dans un positionnement qui refuserait l’habitude et le préjugé, Kahn s’impose un mouvement perpétuel, une constante curiosité et la volonté de faire avancer le monde de l’architecture. Dans un premier temps, l’ouverture nécessaire pour se situer dans cette démarche d’innovation s’articule autour d’une personnalité : Anne Tyng. Née en 1920, Anne Tyng est une architecte américaine diplômée de Harvard en 1944. C’est tout juste diplômée, en 1947, qu’elle entame une collaboration avec Louis Kahn, et c’est à partir de là que la production de Kahn ne cessera de s’intensifier. Au delà de leur travail, leur relation donnera naissance à une fille. En 1953, deux ans après Louis Kahn, Anne Tyng part à l’Académie de Rome.

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Yale Art Gallery, New Haven (1951-53)

Anne Tyng est donc un personnage central dans la dynamique de Kahn. Comme nous le laisse imaginer le titre de sa thèse « Simultaneousness, Randomness and Order » - Simultanéité, aléatoire et ordre - les centres d’intérêts de Tyng sont axés sur la forme et la recherche de la forme, assez loin des préoccupations du mouvement moderne. La première mention de Tyng dans le travail de Kahn apparaît à propos du projet de la Yale Art Gallery, à New Haven. Mené entre 1951 et 1953, le projet est en fait la première commande sérieuse faite à l’architecte.

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Le bâtiment s’érige comme un volume simple, épuré, avec une seule grande façade vitrée, ouverte, le reste des façades offrant à la rue la matérialité des grands murs de briques. La notion de monumentalité est bien sûr présente. En plan, les circulations se positionnent dans une large bande qui divise l’espace d’exposition en deux grands plateaux (cf. plan ci-contre). Ce qui est particulièrement remarquable dans le projet est la composition du plafond (cf. photographie). Le motif épais en béton confère à l’espace une ambiance qui tendrait, là encore, vers le sacré. A propos de ce projet, lors d’un entretien, Anne Tyng explique13 : « Lou avait été confronté à mon intérêt pour la géométrie avant même d’essayer de l’utiliser. Au moment où je travaillais sur cette maquette [celle d’une école primaire], il fut impliqué dans le projet du musée d’art moderne de Yale. Il allait réaliser une structure très conventionnelle pour le musée de Yale ; c’était sa première grande commande prestigieuse et il en était très nerveux. Je lui répétais, si tu dois faire ça, fais quelque chose d’innovant. [...] Pour le musée de Yale, Lou utilisa la géométrie du tétraèdre-octaèdre en plans massifs de béton, et trouva que l’espace à l’intérieur des vides était continu et pouvait être exploité pour quelque chose. Il commença à s’intéresser et à s’enthousiasmer à cette idée. Il ne l’utilisa pas comme une véritable structure tridimensionnelle ; c’était en réalité un système de poutres inclinées basé sur cette géométrie. » Pour anticiper quelque peu sur un point suivant, le projet peut se référer au plan libre de Mies Van der Rohe. Or pour Kahn, la structure est le départ de l’architecture, et confère aux espaces leurs qualités. Le plan libre divisible à souhait est une notion assez contraire à la logique kahnienne. Ainsi, dans l’espace unifié, le plafond présente une vaste trame de possibilités d’organisations et de partitions de l’espace. En fait, la triangulation de la forme du plafond n’est pas l’aboutissement d’une recherche d’optimisation ou de performances structurelles. Kahn lui-même explique que ce plafond est surdimensionné. Ce qui peut être vu comme un travail sur l’ornementation témoigne en fait d’une curiosité et d’un intérêt porté sur la forme, et la recherche de formes nouvelles. Recoupant la notion de repenser la géométrie, Kahn expérimente quelque peu les possibilités des formes. Alessandra Latour, entretien avec Anne Tyng, publié dans Louis Kahn, L’uomo e il maestro, Kappa, Rome, 1985. (cité dans Rivalta, op cit.) 13

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Projet de la City Tower, Philadelphie. Louis Kahn & Anne Tyng (1952-57)

Architecture, nature et science Cet intérêt pour la forme et les possibilités de la géométrie démarque Kahn des modernes. Alors concentrés sur une architecture plus standardisée, les grands architectes modernes sont peu nombreux à avoir approché ces questions. On sait que Kahn fut très intéressé, notamment, par le travail de Buckminster Fuller. Dès 1944, Fuller publie plusieurs de ses recherches sur les figures géométriques, ainsi que des études sur leurs combinaisons et leur relation à la structure. Son projet le plus caractéristique demeure le dôme géodésique, la Biosphère réalisée pour l’exposition universelle de Montréal en 1967. Dans cette logique de recherche et de mise à l’épreuve de la forme, il faut citer le projet de la City Tower, à Philadelphie. Mené entre 1952 et 1957 avec Anne Tyng,

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le projet réside en une tour, dont la structure serait une déclinaison de formes géométriques. La répétition du tétraèdre organise la space frame, structure basée sur des motifs géométriques. Dans son ouvrage « La construction poétique de l’espace », Rivalta mentionne l’importance de la redécouverte des observations de D’Arcy Thompson. Considéré comme le premier bio-mathématicien, il est à l’origine de recherches au début du XXème siècle sur les formes et le monde vivant. Il travaille alors sur la logique des formes via l’observation et les agrandissements au microscope des structures de radiolaires, cristaux, et autres curiosités qui ont su intéresser - et parfois inspirer - les architectes. Toute cette richesse, ce nouvel univers de références et d’inspiration guide le travail de Kahn et de Tyng vers de nouvelles expérimentations. « Grâce à ses études, Kahn implique dans la démarche de projet les lois mathématiques afin de créer un principe d’ordre invisible, sous-tendu par l’infinie varietas de la nature. La géométrie est appliquée comme une règle ordonnatrice, permettant au projet de conférer à la matière une plénitude volumétrique qui, tout en se nourrissant de la leçon du passé et en relisant l’expérience du moderne, est absolument originale. »14 On imagine bien que Kahn, orientant sa démarche entre structure et géométrie, soit allé voir ce que Fuller exprimait. Dans la nébuleuse des modernes, Kahn enrichit ses questionnements avec de plus amples réflexions, et va chercher dans tous les domaines la matière pour élaborer une écriture architecturale propre à son siècle. Entre histoire, nature et science, Kahn entreprend un réel parcours de recherche en architecture. Aussi, fort de sa formation solide sur l’antiquité, ses volontés de donner un sens à l’architecture du XXème et sa foi en l’innovation et l’expérimentation font de Kahn un personnage à part dans l’histoire de l’architecture. « En utilisant les combinaisons liées aux constructions prismatiques, Kahn prend conscience des possibilités offertes par les structures tridimensionnelles, non seulement d’un point de vue technique, mais, suivant la leçon de Buckminster Fuller, comme de véritables cellules spatiales. Cellules dont les propriétés technoorganiques permettent d’ordonner la hiérarchie du projet. D’élément servant à résoudre des problèmes techniques, le tétraèdre se transforme en un véritable espace architectural, le space frame, et oriente le projet vers une organisation 14

Rivalta, op cit.

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différente des relations entre structure et fonctions. Avec la City Tower, Kahn dévoile le véritable objectif de sa recherche : refonder l’architecture en partant de la (ré)élaboration de ses principes et éléments fondamentaux. »15 Le langage structurant Comme on a pu l’évoquer, la structure est une question sur laquelle se concentre une bonne partie de l’énergie de Kahn dans un projet. Preuve si besoin en est de cette idée est le témoignage laissé par August Komendant, ingénieur béton. Dans son livre16, Komendant relate quelques uns des grands projets qu’il a suiviset sur lesquels il a collaboré avec Louis Kahn, les dix-huit dernières années de sa vie. Après Anne Tyng, Komendant est certainement l’autre personnalité qu’il faut abordé pour cerner le travail de l’architecte. Sur le Salk Institute ou sur le Kimbell Art Museum, Komendant est celui qui, dans une collaboration étroite, met au point les systèmes constructifs qui répondent et concrétisent les volontés de Kahn. Komendant est spécialisé dans le béton, matériau phare de la production de l’architecte. Si déjà à l’époque de la City Tower, Le Corbusier utilisait le béton armé pour donner les formes de la Chapelle de Rondchamps, le travail de Komendant avec Kahn n’aboutie pas à un vocabulaire de forme. C’est finalement la confirmation d’une recherche d’une monumentalité par la géométrie rigoureuse et la prouesse structurelle que l’expression du binôme souligne. Cette relation entre les deux hommes résulte de la volonté et de l’idéologie que Kahn développe dans « Monumentality ». C’est en effet une collaboration intense entre l’architecte et l’ingénieur que le constructeur peut pousser au plus loin la technicité souhaitée par Kahn pour élaborer son ordre nouveau. Sur le projet de la bibliothèque Exeter, Komendant est déjà dans cette relation avec l’architecte. C’est donc en partie lui qui permet de mettre au point les dispositifs qui confèrent à l’édifice son caractère : structure, lumière, ambiances... Maintenant l’idée de structure abordée sous l’angle du bâtiment, il est question de s’intéresser à la démarche en elle-même de Kahn. Pendant près de 27 ans, Louis Kahn a enseigné l’architecture. Cet aller-retour entre transmission et pratique lui permet de définir assez précisément sa façon de faire de l’architecture. Le nombre de conférences et d’articles17 laissé par l’architecte

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nous permet de déchiffrer un système de pensée complexe. Ainsi dans un univers où le protagoniste tente de redéfinir l’architecture, il en redéfini les termes, et compose son monde entre néologisme et ses propres notions. Dans le travail de Kahn, le langage devient également la structure de la définition de l’architecture. La démarche de Kahn s’encre dans une volonté de trouver la justesse et le sens de l’architecture. Ainsi, refusant les a priori, Kahn questionne chaque moment du projet, et ceci dès les premières phases. Dans une conférence datée de 1972 ensuite retranscrite et publiée sous le titre de « Begginings », l’architecte introduit : « J’aime les commencements, je suis émerveillé par les commencements. Je pense que c’est le commencement qui confirme la suite. »18 Dans la recherche d’une certaine vérité, Kahn insiste sur l’idée de définir l’architecture pour ce qu’elle doit être. Sa position est un questionnement perpétuel. « Qu’est-ce qu’une école ? Qu’est-ce qu’une bibliothèque ? Qu’est-ce qu’un mur ? Une fenêtre ? ». Qu’est-ce que l’architecture veut être ? L’approche kahnienne de la construction de l’espace est le passage de l’idée au projet. C’est ce qu’il renomme et définit par « form » et « design ». Dans « Silence et Lumière », cette dualité form / design est traduite par les auteurs par « principe formel » et « projet ». Voici comment Kahn exprime ces notions fondatrices : « La form n’a ni contour ni dimensions. (...) La form c’est « quoi ». Le design, c’est « comment ». La form est impersonnelle. Le design est le fait d’un auteur. Le design est un acte lié aux circonstances. (...) La form n’a rien à voir avec des contingences particulières. »19 Dans sa vision, sa façon de voir les choses, le projet commence par la form. Il ne s’agit pas de la forme physique, de l’aspect concret, mais d’une image mentale, d’une sorte de schéma diagramatique spatial. Ce que Kahn appelle form, c’est ce que l’architecture veut être. C’est un stade intellectuel, du domaine du non mesurable. L’alter-égo de la form est le design. C’est pour Kahn la façon dont va s’exprimer le principe formel, en prenant en considération toutes les données concrètes. Ainsi, une fois la form définie et aboutie, le design est le passage dans le Rivalta, La construction poétique de l’espace, op cit. Komendant (August), Dix-huit années avec Louis I. Kahn, Paris, éditions du Linteau, 2006, 222 p. 17, 18, 19 Bellaigue (Mathilde) et Devillers (Christian), Louis I. Kahn, Silence et Lumière, choix de conférences et d’entretiens (1955-1974), éditions du Linteau, Paris, 1996 15 16

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Croquis pour la First Unitarian Church, Rochester, New York (1959-1962) tirĂŠs de Rivalta, op cit.

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monde du concret, avec les règles et les contraintes lié à un projet. Si la form d’une bibliothèque est unique (théoriquement pour Kahn), il existe ensuite plusieurs design. Le design est précis, c’est un projet particulier, fait par un architecte, sur un site, avec un programme précis, avec un budget... La méthode d’approche du projet qu’élabore Kahn est finalement la grande question de l’architecture : de l’idée au concret. Que le concret soit le construit, le réalisé, ou qu’il soit d’abord le dessin. Le passage de la form au design réside d’abord dans le trait du crayon. Ce qu’il appelle form pourrait être défini comme le concept, un concept sans parti pris de l’architecte, sans volontés ni intuitions, mais bien comme une vérité essentielle. Dans l’élaboration de la form, la figure du carré semble être l’élément récurent dans la production de Kahn. Comme abordé précédemment, notamment avec l’oeuvre de Albers, le carré contient sa part d’abstraction et de non-choix.

« Je commence toujours par le carré, quelles que soient les données du problème.» 20 Louis Kahn Comme on peut le lire dans les croquis (ci-contre) de la First Unitarian Church de Rochester, la recherche du principe formel est la recherche de l’essence même de l’édifice, la réponse idéale à un projet proposé. Pour le projet de Rochester (entre 1959 et 1962), Kahn interroge les relelations entre lieu de culte et espaces liés à l’enseignement. Ainsi, le coeur de l’édifice reçoit l’espace sacré, mais pour Kahn, l’école ne doit pas être un morceau de bâtiment séparé. Recueillement et éducation sont intimement liés, l’organisation idéale du plan résiderait en une couronne de salle de classe rayonnant autour de l’espace central. Sur ces croquis, on peut lire l’influence des recherches théoriques de la form sur le projet final tel qu’il est présenté et réalisé. Dans le principe formel dessiné par Kahn, la couronne intermédiaire servant à connecter les différentes catégories d’espaces devient un déambulatoire essentiel. La hiérarchie des espaces se met en place dès la mise au point du principe formel, assez naturellement. Louis Kahn cité in H. Ronner, S. Jhaveri et A. Vasella, Louis I. Kahn. Complete Work, 1935-1974, Birkhäuser, Bâle, 1977, 20

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Croquis et schémas des châteaux écossais par Louis Kahn, tirés de Brownlee et De Long, Louis I. Kahn : In the realm of architecture Los Angeles, 1991

Plan des Trenton Bath House 1954-1959

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Donc, la form est une matrice, une figure génératrice intellectuelle du sens que portera l’architecture. C’est ce qu’il exprime à propos de la bibliothèque Exeter quand il raconte qu’une bibliothèque, c’est prendre un livre de l’obscurité et l’amener dans la lumière. C’est là l’essence profonde de l’idée de la bibliothèque. Le projet à Exeter est ensuite une bibliothèque. Le scénario de la form, bien que non-mesurable, entremêle malgré tout espaces et usages. Ce n’est pas un acte déconnecté et un geste architectural isolé ou autiste. Dans le projet à Exeter, on ressent bien l’idée du schéma directeur dans le bâtiment livré et dans les espaces construits. On remarque aisément les traces de l’élaboration de la form dans le passage au design. Si l’approche kahnienne enclenche une mise en question permanente des idées reçues et un questionnement constant, on peut cependant émettre un avis critique sur le passage de ce principe au projet. Il cite lui-même le carré comme un nonchoix. Or le projet réside justement en une succession de choix, qui différencient le travail d’un architecte de celui de son confrère. Le principe formel ne devrait-il pas laisser place à une nouvelle interrogation lors de son passage au projet ? Il est évident que le projet n’est pas l’application stricte de ce principe formel, et que Kahn travaille de façon intense sur ce passage au projet. On pourrait alors questionner la lisibilité de cette idée directrice ; est-elle alors une vraie volonté ? Un élément de réponse serait dans ses mots : « I love begginings »... Dans le passage du non-mesurable au mesurable, Kahn se confronte également au programme précis. Il exprime le travail de l’architecte comme la capacité à passer d’areas à des spaces. De la surface à l’espace. C’est-à-dire, convertir des mètres carrés issus du programme et du client en espaces architecturaux. C’est le second basculement sur lequel Kahn concentre son énergie dans un projet. Un des autres points essentiels qui se dégagent de la pratique de Kahn est la question de la hiérarchie des espaces. C’est notamment sur le projet des bains de Trenton que cette idée surgis. C’est à partir de là qu’il élabore ce qui restera de l’approche kahnienne, la notion d’espaces servants. Dans la logique induite, entre espaces servants et servis, la hiérarchie, encore une fois, se structure d’abord par le langage. Dans son entretien avec John Peter21, Kahn explique : « Quand j’ai réalisé les bains de Trenton, j’ai découvert une chose très simple. J’ai découvert que certains espaces sont vraiment peu importants et que d’autres espaces sont la réelle raison d’être (en français dans le texte) pour faire ce 21

Peter (John), The Oral History of Modern Architecture, Abrams 1994, 320 p.

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que vous faites. Mais les petits espaces contribuent à la force des plus grands. Ils les servent. [...] Mais je n’ai pas trouvé là une part de vérité qui m’appartient, elle fait partie de l’architecture. [...] A ce moment, j’ai réalisé que j’avais découvert dans la hiérarchie des espaces, dans les espaces servants et les espaces servis, que j’avais découvert quelque chose qui appartient à tout le monde, mais à partir de laquelle je concentrerais mes propres projets, comme mon way of life. » Scully retrace cette notion d’espaces servants dans les châteaux écossais. Kahn aurait, au cours de ses voyages, gardé bonne note de ces constructions, dont les murs épais, nécessaire à se protéger, étaient aussi utilisés pour y placer des pièces secondaires. C’est dans l’épaisseur des éléments que l’architecture trouve une hiérarchie. Pour Kahn, les techniques de construction permettent de travailler avec des colonnes creuses, qui peuvent abriter d’autres fonctions. Dans les laboratoires de recherche Richards, les grandes tours de circulations (escaliers, mais aussi air et ventilation) sont extérieures aux espaces de recherches, la mise en place de cette logique est plus subtile dans les bains de Trenton. Dans les Trenton Bath House, les toitures reposent sur quatre poteaux, de près de 2 mètres de cotés. Dans ces colonnes creuses se glissent les espaces servants : toilettes, casiers, espaces techniques, ... A Exeter, quelques années plus tard, les colonnes creusent sont toujours présentes, mais prennent leurs places dans l’édifice, et font sens avec l’édifice. Il faut bien comprendre que pour Kahn, les servant spaces ne se traduiraient pas par « espaces de service ». Si ils sont secondaires, ils sont tout autant fabricant d’architecture. Un traitement particulier leur ait attribué, ils son liés à la structure et à la lumière, et bénéficient de réelles considérations. Un positionnement Ce qui confère à Louis Kahn sa position dans les architectes majeurs de la seconde moitié du XXème siècle, c’est bien son approche de l’architecture, et de la façon de faire de l’architecture. Son way of life. Dans la conversation avec John Peter, la grande référence contemporaine qu’il cite est Le Corbusier. Or c’est souvent aux idées de Mies Van der Rohe qu’est confronté la démarche kahnienne.

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En effet, la logique de hiérarchie des espaces est assez éloignée de l’idée du plan libre. Là où Mies développe une idée de l’espace à utiliser, dont l’usage peut varier et où l’usager est libre, Kahn assoit la position d’un architecture forte, ordonnée et organisée, qui suit des règles, et qui affirme un fonctionnement précis. Pour reprendre l’exemple de la Yale Gallery, l’espace est très proche de l’espace miesien, mais la mise en ambiance permet de surpasser cette neutralité du plan. C’est bien une question de positionnement. Kahn, toujours dans sa recherche d’une architecture qui fait sens en son temps, et malgré son questionnement incessant, est dans l’affirmation. Sa quête de l’écriture architecturale implique ce positionnement. Il serait injuste de ramener Mies à une simple question simpliste, d’une structure si fine qu’elle disparaîtrait, et d’une universalité et donc d’une neutralité extrême, cependant la doctrine Less is more peut être empreinte de telles considérations. L’autre adage rapporté à Mies est «God is in the details» (Dieu est dans les détails), or c’est encore un point de discorde essentiel avec la conception kahnienne de l’architecture. La méthode de Kahn (appellons celà une méthode dans un premier temps) vise à concentrer l’énergie dans les begginings, dès la première entrée dans le projet. La source de richesse de l’architecture chez Kahn se situe dans cette approche du principe formel, et non dans le détail. Cette méthode / pratique kahnienne le place donc dans une logique presque à contre-courant des maîtres modernes. Si il sait s’y intéresser et s’en nourrir, les recherches de Kahn suivent bien un chemin parallèle aux préoccupations du style international. Vincent Scully tente de mettre en avant le rapport entre Kahn et F.L. Wright. Et même si Kahn semble s’y être toujours refusé, la relation peut paraître plus étroite qu’il n’y paraît. Dans la question de la méthode, dans les maisons de la prairies Frank L. Wright élabore le scénario d’une maison qui commencerait par le foyer, le lieu de réunion de la famille... Toute cette interrogation, qu’on retrouve également dans la maison sur la cascade, est toute proche du champ de définition de Kahn. Il est question de trouver l’essence de l’architecture, ce qui lui est propre, ce qui la fonde et ce qui confère au bâtiment son entité profonde. Dans l’ouvrage de Cook et Klotz22, Kahn explique qu’un espace n’en est pas un 22

Cook (John Wesley) et Klotz (Heinrich Klotz), Questions aux Architectes, Mardaga, 1974, 454 p.

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tant qu’on ne comprend pas comment il a été fait. Au delà des détails de Mies, il donne un rôle prépondérant à la structure, qui est le faiseur de lumière, et le faiseur d’espace. Ce qui définit le travail de Kahn, c’est l’aspect total de son travail. Pas total au sens universel, comme le plan libre, mais bien les relations intimes entre espaces, structures, lumières, usages, et ambiance. Je suis intimement persuadé que la question des ambiances est bien ce qui qualifie la production de Kahn. Quand tous les aspects de la fabrication de l’architecture concordent à produire une atmosphère, un univers. Des matériaux à la lumière, tout repose sur une vérité des choses. Chaque approche se voie confirmer par une autre. La structure vient renforcer le scénario, et les matériaux qui affirment la structure donnent l’ambiance souhaitée pour l’usage, en correspondance avec ce même scénario de départ. L’espace kahnien est un tout, suit une logique à laquelle rien ne déroge. L’espace est architecturé. L’architecture est réglée. On peut dire que Kahn a poussé son travail jusqu’à obtenir une telle cohésion et cohérence de l’ensemble. Comme abordé plus haut, c’est la synthèse faite par un personnage d’une culture, d’une formation, d’un recul vis-à-vis de ses contemporains, pour une démarche prospective. La dimension prospective est bien le centre des considérations de l’architecte, et est intimement liée à la question des temporalités. Kahn s’inscrit dans le temps comme un architecte de son temps. Comme un architecte du présent, au sens où il fabrique l’architecture qui répondrait à son époque dans la lignée des grandes réalisations du passé, et qui resterait ainsi un marqueur de son temps, prenant place dans le futur. Interroger l’idée du futur nous amène à présent à questionner l’héritage laissé par Louis Kahn. Il s’agit, comme nous l’avons vu, d’une méthode, d’une démarche, d’un positonnement... autant d’éléments qui pourraient servir une théorie ?

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Dans la relation au passé, le rapport à ses contemporains et à l’architecture moderne, Kahn s’inscrit dans plusieurs temporalités. C’est ainsi qu’on peut aborder pour conclure la question d’une dernière temporalité, dans l’héritage laissé par l’architecte. On a pu voir sa volonté de s’inscrire dans le temps, et donc être un jalon d’aujourd’hui pour demain. On peut alors s’intéresser à ce demain. Si les réalisations majeures sont des témoins privilégiés du travail de Kahn, il n’en reste pas moins un panel d’écrits, d’entretiens et de conférences. Sur la quatrième de couverture de Silence et Lumière23, Bellaigue et Devillers affirment : « [Louis Kahn] est en outre le dernier des grands théoriciens dans la mesure où il pose les questions fondamentales : qu’est-ce que le projet ? Comment lier les différentes parties d’une oeuvre ? Quelle est la substance et le rôle de l’espace ? Quels rapports unissent la forme, la structure, la lumière et la matière ? » Bien qu’a priori Kahn n’ait jamais revendiqué une telle posture, il faut noter qu’il enseigna durant les 27 dernières années de sa vie. Il paraît donc évident qu’il était dans une position de transmission des savoirs, de partage des connaissances et de dialogue sur l’architecture. Il serait intéressant de se pencher sur le lien entre enseignement et pratique, et voir comment ces deux approches ont pu concourir à mieux définir pour Kahn une méthode, une théorie... Afin de comprendre la notion de théorie dans le travail de Louis Kahn, tentons d’abord de s’intéresser au sens de ce mot. La « théorie » est définie comme un ensemble de lois, de règles, d’opinions, d’idées ou de concepts sur un sujet particulier. Cette notion peut être alors traduite comme une doctrine, un système de principes, ou une méthode. Or, le mot grec theorein se traduit par contempler, observer, examiner. La théorie est donc le fruit de l’observation, elle est basée sur l’expérience. C’est une connaissance spéculative, vraisemblable, qui conçoit le doute, et la possibilité de ne pas être juste. Louis Kahn s’est toujours gardé d’énoncer ou de revendiquer un quelconque « théorie », au sens ou les architectes peuvent l’entendre, c’est-à-dire au sens de système de règle ou de doctrine. On a pu comprendre en revanche que son travail reposait sur une réelle position, et une réelle façon de faire de l’architecture. Une façon de projeter. Il apparaît également que la carrière de Kahn a été un long Bellaigue Mathilde et Devillers Christian, Louis I. Kahn, Silence et Lumière - choix de conférences et d’entretiens 1955-1974, éditions du Linteau, Paris, 1996 23

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processus élaboré comme un programme de recherche. Dès 1947, jusqu’à la fin de sa vie en 1974, Kahn a toujours enseigné. D’abord à la Yale School of Architecture, puis à l’Université de Pennsylvanie. Nous sommes alors en droit de poser la question suivante : transmettre un savoir implique-t’il une position théorique ? Pour Kahn, il n’existe pas de règles strictes concrètes. Il n’est pas question d’un vocabulaire de forme, ni d’un répertoire de matériaux, ou de lois de conception. La question du vocabulaire de forme mérite d’être développée. Il est certain qu’un certain répertoire se met progressivement en place dans le travail de Kahn. Le carré notamment, est une forme récurrente, plutôt perçue comme un élément de référence d’ailleurs. Il ne s’agit pas de formes au sens strictes, mais le recours à la géométrie est, dès les premiers projets, un trait caractéristique. La géométrie est un élément stricte, qui peut décliner un répertoire de formes variées, et une gestion de cellesci également variée, comme par la symétrie, ou la rotation... Ce sont des moyens d’exprimer le projet, avant d’être une réelle position ferme. Comme évoqué précédemment, le recours à la géométrie est un rapport à la référence, au passé. C’est dans le Parthénon, dans l’architecture grecque, classique, ou de la Renaissance que Kahn trouve des bases solides pour mettre en place son processus de projet. C’est en ce sens qu’on pourrait rapprocher Kahn à l’idée de théorie. Son travail réside en la recherche d’une véritable méthode, un certaine approche pour faire de l’architecture. En revanche, c’est dans la temporalité que Kahn s’éloigne de la notion de théorie. Il ne s’agit pas pour lui d’affirmer un système ou une règle, mais bien de chercher, de s’approcher de ce qui pourrait être une façon de faire l’architecture dans la deuxième moitié du XXème siècle. Cette recherche peut se définir comme une certaine rigueur, un cadre intellectuel. Il définit finalement une approche du projet, qui fait règle pour commencer à faire de l’architecture. Kahn parle lui-même d’un «way of life» quand il raconte le jour où il a compris l’idée de hiérarchie et sa vision des espaces servis et des espaces servants. La seule règle qui semble résumé l’approche de Louis Kahn serait l’idée de questionner. Questionner toujours. Nous avons pu voir que la notion de théorie implique un système issu de conclusions tirées de l’observation ou de l’expérimentation. En ce sens, encore une fois, la logique de Kahn est à contre-

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courant. Pour lui, il est justement primordial de ne pas disposer de réflexes ou d’habitudes, de considérations estimées justes car expérimentées. Encore une fois, nous nous trouvons face à ce paradoxe. On peut voir les projets de Kahn, dans leur chronologie, comme des expériences, faisant avancer petit à petit sa réflexion. Le refus des acquis pour que chaque expérience amène de nouveaux questionnements... Le paradoxe se confirme encore, Kahn est proche de l’idée de « théorie » dans la logique « tirée de l’observation », et du sens de examiner du mot theorein. Pour Kahn, il est donc plus juste de parler d’un code de conduite, d’une attitude. Le mot d’ordre pour projeter serait « toujours questionner » plutôt qu’un rapport à une réelle théorie. Il n’est pas question pour Kahn de mettre au point une suite de formules magiques, règles absolues pour faire de l’architecture. Il n’est pas dans l’affirmation, et dans la revendication d’une vérité. Même si une certaine confiance semble émaner de son charisme ou du ton employé dans les conférences et entretien, Kahn est bien dans un processus de recherche constant. Loin des idées reçues, il s’agit au contraire de dépasser la théorie immuable, l’a priori, et s’obliger à douter, toujours, s’imposer le doute. On peut placer Kahn dans cette recherche qui est à l’origine un processus personnel, et une volonté de trouver un sens à l’architecture. Est-ce malgré lui que son travail a connu un intérêt et peut être perçu alors comme une théorie ? Sans répondre à la question, on a vu que Kahn s’inscrit dans le temps, et que laisser une trace de ses réflexions s’inscrirait parfaitement dans cette démarche. Le travail abouti ou non de Kahn appartient alors aux générations suivantes, et permettent de retracer les questionnements de l’architecte, et d’en faire aujourd’hui une référence dans l’histoire de l’architecture.

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Bibliographie

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Ouvrages Bellaigue (Mathilde) et Devillers (Christian) (traduit de l’anglais par), Louis I. Kahn, Silence et Lumière, choix de conférences et d’entretiens (1955-1974), éditions du Linteau, Paris, 1996 Rivalta (Luca), Louis I Kahn, La construction poétique de l’espace, Paris, Le Moniteur, 2003, 255 p. Komendant (August), Dix-huit années avec Louis I. Kahn, Paris, éditions du Linteau, 2006, 222 p. Scully (Vincent Jr), Louis I. Kahn, New York, éditions George Braziller, 1962, 127 p. Leslie (Thomas), Louis I. Kahn - Building art, building science, New York, éditions George Braziller Inc, New York, 2005 Ronner H. et Jahveri S., Louis I Kahn – Complete work 1935-1974, éditions Birkhäuser, Boston, 1977

Peter (John), The Oral History of Modern Architecture, Abrams 1994, 320 p. Cook (John Wesley) et Klotz (Heinrich Klotz), Questions aux Architectes, Mardaga, 1974, 454 p. McCarter (Robert), Louis I Kahn, Londres, Phaidon Press Limited, 2005, 512 p.

Louis I. Kahn : les enseignements de l’œuvre, l’œuvre dans l’enseignement, 1998 Jencks (Charles), Mouvement Moderne en Architecture, René Mardaga,1973, 550 p. Tafuri (Manfredo) et Dal Co (Francesco), Architecture contemporaine, Gallimard, 1991, 427 p. Lucan (Jacques), « Généalogie du poché®. De l’espace au vide » in Matières 7 :

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Bibliographie

Cohérences aventureuses - Nouvelles approches réalistes, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, Lausanne, 2005, 136 p. DVD Kahn (Nathaniel), My Architect, a son’s journey, 2003, 110 minutes Icnonographie Tous les plans, coupes et schémas concernant la bibliothèque Exeter sont issus de mon travail avec Adnane El Younsi. Toutes les photographies de la bibliothèque sont de Marie-Paule Halgand, 2011. Les photographies et portraits de Kahn sont issus de Google Image, excepté le portrait page 12, tiré de l’ouvrage de Cook et Klotz. Les croquis et dessins de Kahn, les images d’illustration et photographies de bâtiments sont tirés de Google Image, sauf page 76, croquis issu de l’ouvrage de Rivalta.

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