O誰kos LOGOS Dialogue entre la ville et son milieu
Florian Gaulin
O誰kos LOGOS Dialogue entre la ville et son milieu
Florian Gaulin
École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles 2015/2016 Mémoire de Master 2 Sous la direction de Frank RAMBERT
« Elle a mille ans la ville, La ville âpre et profonde ; Et sans cesse, malgré l’assaut des jours Et des peuples minant son orgueil lourd, Elle résiste à l’usure du monde. » « L’âme de la ville » Emile Verhaeren, Les villes tentaculaires, 1982
Remerciements à Frank Rambert, mon enseignant aux étudiants de mon groupe de mémoire à mes parents pour leur relecture attentive
Sommaire
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Introduction La construction de la ville L’approche historique
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La création de la cité
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Révolutions et exodes
37
Utopies et réalités
Un système en crise L’approche critique 51
Culture VS Nature
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Oppositions
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Déterritorialisation
Le retour au territoire L’approche prospective 87
Changer de paradigme
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Ecologie urbaine et co-évolution
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Une société locale
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Conclusion
Introduction
Selon l’ONU, nous serons 9,6 milliards d’humains en 2050. Parmi ces 9,6 milliards : 6,4 seront urbains, soit deux humains sur trois. La planète n’a jamais été autant "urbaine" et elle l’est de plus en plus. Au début du XIXème siècle, seulement 3% de la population vivaient dans les villes. Le changement radical, qui s'est opéré en deux siècles, témoigne du bouleversement de notre manière d’habiter notre planète. Il engendre de nombreux défis auxquels l’Humanité est aujourd'hui confrontée. Ce bouleversement a eu des effets directs sur notre environnement. Depuis la révolution industrielle, notre environnement s'est dégradé et l'activité humaine s'est développée en contradiction avec le milieu naturel. Pour certains scientifiques, c'est l'entrée dans une nouvelle ère : l'Anthropocène, où l'activité humaine est devenue la "force géologique" la plus importante. Ce concept rend compte de la "crise environnementale" que nous connaissons aujourd'hui et qui est due à l'activité humaine. L'une de ses conséquences est le dérèglement climatique à l'échelle planétaire, mais ce n'est pas la seule. Cette crise est profonde et touche au rapport que nous entretenons avec notre environnement. En 1972, la mission Apollo 17 nous transmettait le premier cliché de la Terre, vue dans son intégralité depuis l’espace. Cette photo marque l'Humanité et la bouleverse. Elle nous montre une réalité que nous connaissions pourtant : la "finitude" de notre monde. Elle permet de mettre une image sur une vérité : cette "bille bleue" est notre "maison commune" - oïkos en grec - avec laquelle nous devons établir un dialogue sain - logos en grec.
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Mission Apollo 17, « La bille bleue », 1972
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Ainsi, ce mémoire s'intéresse au rapport écologique - au sens étymologique oïkos-logos - qu'entretient l'Homme avec son milieu. Dans un monde de plus en plus urbain, nous cherchons à savoir comment un dialogue équilibré et pérenne peut s'établir entre la ville et son milieu, à la recherche d'une nouvelle oïkos-logos.
Ce mémoire n'a pas pour but de traiter des nombreuses conséquences de la "crise environnementale", comme le dérèglement climatique, le défi énergétique, la production agricole, la pollution, ... mais il s'intéresse à la source de cette crise. Il présente une vision personnelle du sujet, de par le choix des exemples évoqués et des auteurs cités. Il s'appuie en grande partie sur les travaux de Lewis Mumford et d'Alberto Magnaghi, chef de file des territorialistes. Il comporte trois approches, pour traiter le sujet de manière historique, critique et prospective. Dans un premier temps, nous aborderons sous un angle historique la construction de la cité, des premières formes d'établissements humains jusqu'à la métropole contemporaine, tout en revenant sur des pensées utopiques de la ville. Dans un second temps, nous analyserons, de manière critique, notre rapport au monde, en nous appuyant sur des fondements philosophiques, mythiques et sociaux de notre civilisation. Enfin, dans un dernier temps, nous évoquerons, de manière prospective, des alternatives aux établissements humains contemporains, pour établir un nouveau dialogue entre l'Homme et son milieu, une nouvelle forme d'écologie.
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I. La construction de la ville L’approche historique
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1. La création de la cité
L’histoire urbaine débute au Néolithique. Les Hommes cessent d’être nomades et s’installent en un lieu. L’établissement des premières communautés urbaines coïncide avec le début de l’agriculture. Avant cela, le "chasseur-cueilleur" trouvait les denrées alimentaires dans la nature sauvage. Il devait donc se déplacer. L’agriculture garantit un approvisionnement alimentaire durable. Elle est la « condition nécessaire de la sédentarité »1. Les premiers urbains sont donc des agriculteurs.
La révolution agricole La « révolution agricole »2 est marquée par l’invention de deux techniques qui vont permettre la sédentarisation. La première est la pierre polie, qui permet de couper les arbres présents sur les sols fertiles et de travailler la terre. La seconde est la poterie, qui permet de conserver des graines d’une saison à l’autre, sans qu’elles pourrissent ou qu’elles soient mangées par les animaux. L’agriculture est ainsi permise grâce à l’invention d’un outil "industriel". Néanmoins, cette "révolution" n’est possible que par l’utilisation des semences céréalières, qui sont différentes selon les parties du monde. On peut ainsi distinguer des "foyers" d’origines géographiques différentes, auxquelles correspondent des céréales : le foyer proche-oriental (croissant fertile) avec le blé, le foyer chinois avec le riz et le foyer centre-
1. J. Leclerc et J. Tarrète, Dictionnaire de la Préhistoire, 1988-1994 2. L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1961 19
Bas-relief assyrien reprĂŠsentant la citĂŠ
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américain avec le maïs3. A partir de ces foyers, les semences vont migrer vers le reste du monde, permettant la sédentarisation des populations et l’établissement des premiers villages. On retrouve à peu près les mêmes formes d’installations, quelles que soient les civilisations : la communauté s’installe au sein de l’urbs, qui est entourée d’une ceinture agricole constituée de l’hortus (espace du jardin) et de l’ager (espace du labour).
Le début de la civilisation L’histoire de la cité est plus complexe. Lewis Mumford dit qu’elle est apparue sous des « formes multiples » et qu’elle n’admet pas « une définition unique ». Néanmoins, on peut être sûr qu’un « simple agrandissement du village » ne peut expliquer son apparition. La cité fait apparaître des éléments nouveaux. « Un changement plus profond devait intervenir, afin que les regards se dirigent vers d’autres buts que les soucis originels de la nourriture et de la reproduction »4. L’établissement de la cité, tel qu’il s’est fait en Mésopotamie, est marqué par une organisation et une spécialisation des membres de la société. La cité permet l’apparition de nouvelles professions très diverses et sans rapport avec l’agriculture. Cette "spécialisation" se fait sous l’impulsion d’un pouvoir autoritaire. Le chef local devient un souverain. Il est à la tête de l’administration de la ville, constituée de fonctionnaires, civils ou militaires. Vere Gordon Childe parle de « révolution urbaine » et de « l’émergence de la civilisation », grâce à cette nouvelle organisation. « La cité manifeste dès l’origine cette aptitude à créer et à diffuser tous les produits de la civilisation »5. La civilisation urbaine est aussi et avant tout la source d’une "production" intellectuelle et artistique majeure. La cité est le lieu des arts et de la culture.
3. M. Mazoyer et L. Roudart, Histoire des agricultures du monde, 1998 4. L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1961 5. L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1961 21
Le Corbusier, Croquis de l’Acropole d’Athènes, 1911
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La révolution urbaine s’accompagne aussi d’une révolution spirituelle. Les divinités locales laissent place à celles incarnées par les "puissances de la terre" : la terre, le ciel, le soleil, la lune, les eaux, le désert, les tempêtes, le vent, … Si la cité est « la représentation symbolique d’un monde nouveau »6, celui-ci est matérialisé par deux entités très fortes : la première est le territoire habité, le cosmos ("notre monde") et la seconde est un espace étranger, le chaos. La cité établit ainsi ses frontières et les murs qui l’entourent occupent dans un premier temps une fonction symbolique et protectrice face au chaos naturel, et dans un second temps une fonction guerrière. « L’archaïque culture villageoise allait ainsi s’incliner devant la civilisation urbaine : amalgame complexe de force créatrice et de domination, d’expression et de répression, de tension et de relâchement, que les réalisations de la cité historique allaient matérialiser ? La cité […] concentre dans un espace restreint, une énorme réserve de force productive ou destructive. » L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1961
La Cité Grecque Dans la Grèce Antique, le développement des cités va se faire de manière particulière. Leur organisation est influencée par un esprit d’indépendance. A l’origine, ce sont des familles qui se regroupent pour former une phratrie, puis ces nouvelles tribus se regroupent pour former la polis : une communauté de citoyens libres et autonomes. On peut parler de "mentalité villageoise", qui est à l’origine des fondements de la Cité Grecque, dans son organisation spatiale, régalienne et sociale. La Cité Grecque est d’abord un état souverain, doté de pouvoirs régaliens. A la différence des Cités Mésopotamiennes, l’exercice du pouvoir n’est pas assuré par un roi mais par les citoyens. Il se fait de manière temporaire, par 6. L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1961 23
un système de rotation. Il n’y a donc pas de distinction entre les citoyens. La Cité Grecque ne connait donc pas de "spécialisation" au sens politique. La Cité Grecque est aussi une réalité physique et spatiale. Elle comprend un site qui lie la ville à son territoire. La partie urbaine et la partie rurale forment un seul écosystème. « La vie rurale et la vie citadine tendent à se confondre »7. Cette organisation garantit son autosuffisance alimentaire. Enfin, c’est un idéal social caractérisé par une communauté d’hommes libres, de citoyens responsables qui participent aux décisions politiques de la Cité. Cet idéal n’est pas valable pour les étrangers, qui n’ont pas les mêmes droits que les citoyens. Avec le temps, le nombre d’étrangers va s’accroître grandement et une distinction va s’opérer entre les deux classes. Les étrangers sont réduits au statut d’esclave. La liberté des citoyens devient ainsi dépendante de l’exploitation des esclaves. Pour garantir son autosuffisance mais aussi le bon déroulement de la vie politique, la question de la taille de la cité se pose. Aristote la place au centre de ses réflexions sur la démocratie. Platon fixera la limite à 5.000 habitants8. En réalité, la plupart des Cités Grecques vont dépasser les 10.000 habitants. Les Grecs sont les premiers à « envisager sur un plan rationnel » le problème des dimensions de la cité9.
Le modèle romain La Cité Romaine n’entretient pas le même rapport avec son territoire que la Cité Grecque qui est indépendante et autonome. La Cité Romaine s’appuie sur un Empire, aux territoires très importants. Son approvisionnement alimentaire est assuré par un réseau de villas rurales. Celles-ci sont constituées de bâtiments d’exploitation, d’habitations, autour desquels se trouve un ensemble de terres agricoles. 7. L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1961 8. Platon, La République, 315 av.JC 9. L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1961 24
Contrairement à la Cité Grecque, l’urbs romaine est composée d’une population très diversifiée. Sa taille ne permet pas d’adopter les mêmes systèmes politiques que pour la Cité Grecque. La ville de Rome compte jusqu’à deux millions d’habitants au VIème siècle. Elle n’envisagera jamais de fixer des limites à son expansion, ce qui conduira à la décadence de sa cité et de son Empire. « Rome a pu nous fournir un parfait exemple du processus de dévitalisation urbaine [...]. Sa désintégration devait être en fin de compte le résultat d’un excès de développement qui procédait de la défaillance des fonctions, de la perte du contrôle des mécanismes sociaux et économiques indispensables à son existence. » L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1961
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2. Révolutions et exodes
Comme nous l’avons vu précédemment, l’histoire ancienne des villes est ponctuée de "révolutions". La révolution agricole conditionne sa création. La révolution spirituelle et politique définit son caractère. L’histoire contemporaine des villes est aussi faite d’événements "révolutionnaires" sans précédent, qui ont conduit à des "exodes" massifs de populations. L’exode est un terme qui fait référence historiquement à la sortie d’Égypte des Hébreux menés par Moïse. Il renvoie à une "fuite", en masse, d’une population, avec l’espoir d’une "terre promise". C’est un phénomène fréquent dans l’histoire de l’humanité, qui est la cause ou l’origine de grands bouleversements. Néanmoins, l’utilisation de ce terme n’est pas anodine et renvoie à un phénomène violent et soudain. On peut analyser l’histoire contemporaine des villes au travers de trois "exodes", dont les conséquences sur la forme de la ville ont été très importantes1.
« L’air de la ville rend libre »2 Le premier grand exode de la campagne vers la ville correspond à l’évasion de la servitude féodale. Le système féodal se met en place après la chute de l’Empire romain. Il s’appuie sur la distinction entre deux classes : l’aristocratie et le peuple. La seconde étant au service de la première, c’est elle qui assure les tâches productives. Cet asservissement se fait en échange d’une protection guerrière du pouvoir aristocratique. Le système féodal reproduit en quelques sortes l’organisation des premières cités. 1. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 2. Proverbe médiéval allemand 27
A. Lorenzetti, La fresque du bon gouvernement, Sienne, 1337
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Le progrès technique va permettre, autour du XIIIème siècle, une meilleure production agricole. Les échanges commerciaux vont s’intensifier, notamment en ville. La monétisation des transactions va permettre un renversement du pouvoir politique au profit des détenteurs des capitaux. C’est le début du capitalisme commercial, qui débouche sur une plus grande circulation des biens et des personnes et la fin du système féodal. « L’air de la ville rend libre ». Une partie de la population déserte la campagne pour goûter à cet air de liberté. « La liberté avait été conçue comme un affranchissement collectif de la contrainte féodale : liberté des chartes et franchises pour les activités communautaires, guildes et ordres religieux de la cité » L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1961
Le fonctionnement des villes-Etats est assuré par les confréries de marchands et commerçants ou les sociétés d’arts et métiers. A Lutèce par exemple, les Nautes sont des armateurs commerçants, qui régissent les échanges sur la Seine entre Lutèce et les autres régions. La relation entre la ville-Etat et la campagne se redéfinit sur un principe de libre-échange. A Sienne, la Salle du Conseil du gouvernement de la ville est ornée d’une série de fresques d’Ambrogio Lorenzetti. Appelée « Les effets du bon et du mauvais gouvernement », l’une des fresques place la porte de la ville en son centre. Elle montre d’un côté une ville riche et magnifique, où le commerce tient une place majeure, tout comme les arts et les fêtes. De l’autre côté, la campagne est représentée par des champs cultivés, un paysage foisonnant et des routes qui permettent le transport des marchandises vers ou à partir de la ville. Il dépeint ainsi la ville et la campagne comme deux entités complémentaires. « La santé de la campagne est le premier signe de santé de la ville ».
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J. Blaue, Liège, 1627
N. Whittock, Maps of London, 1543
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La représentation de Liège en 1627 nous montre la présence d’une "ceinture maraîchère" autour des remparts de la ville. C’est l’héritage des premières installations humaines, entourées de l’hortus et de l’ager. La ville, en s’agrandissant, a repoussé ses murailles mais aussi la ceinture maraîchère, qui permet son approvisionnement.
La révolution industrielle Le deuxième grand exode est lié à la révolution industrielle. En Europe, elle se fait selon les pays au XVIIIème ou XIXème siècle. En revanche, elle se traduit de la même manière, par un développement du système capitaliste. Ce développement se fait grâce notamment à de nouvelles techniques de production et de nouveau moyens de communication. On peut parler de l’avènement de la "civilisation des machines", qui engendre la mutation d’une société agraire et artisanale, vers une société commerciale et industrielle. Elle change considérablement le modèle sociétal en affectant l’organisation de l’agriculture et de l’économie. Dans les campagnes, la mécanisation de l’agriculture nécessite moins de main d’œuvre. Dans les villes, l’industrie se développe et nécessite une main d’œuvre nombreuse. Les anciens agriculteurs, qui ont quitté la campagne pour la ville, deviennent les premiers ouvriers. Le travail industriel devient peu à peu majoritaire. Le salaire fixe est assuré et remplace l’incertitude de la récolte. Les nouveaux habitants de la ville découvrent un nouveau mode de vie, profitant notamment des services urbains, des loisirs, … « L’air de la ville rend libre ». L’exode de la campagne vers la ville est extrêmement important. En Europe, 80% de la population vit à la campagne à la fin du XIXème siècle3. Cet exode prend fin au début des années 1970. On compte alors presque 70% de la population en milieu urbain4. En presque un siècle, la part des habitants vivant en milieu rural et en milieu urbain s’est donc inversée. Ce 3. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 4. Statistiques de la banque mondiale 31
G. DorĂŠ, Over London by rail, vers 1870
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basculement est dû à la mécanisation, aussi bien agricole qu’industrielle, mais aussi aux nouveaux moyens de transport. Cet afflux massif d’une nouvelle population ouvrière va soulever la problématique du logement en ville. Le déséquilibre entre les logements disponibles et les besoin d’une population croissante va augmenter. Les conditions d’habitat sont parfois très précaires. Comme nous le montre la gravure de Gustave Doré, on compte plusieurs familles dans les logements ouvriers à Londres. « L’air de la ville rend libre » ...
La mécanisation concerne aussi les transports. Le train va se développer depuis les centres urbains. Il va favoriser l’accroissement des villes et de leur zone urbaine. Il permet de relier des territoires qui étaient éloignés, au centre de la ville, mais aussi les lieux d’habitation aux lieux de travail. La ville qui était autrefois entourée d’une ceinture maraîchère, qui assurait son approvisionnement, ne l’est plus. Les exodes précédents avaient repoussé les limites de la ville, et repoussé dans le même temps la ceinture maraîchère, de manière concentrique. La démolition des remparts et l’arrivée du chemin de fer vont pousser les maraîchers à s’installer plus loin, à proximité des gares notamment, pour assurer un approvisionnement rapide de la ville. L’image du « Bon Gouvernement de Sienne » ou de la représentation de Liège et de sa ceinture maraîchère en 1627, n’est plus valable.
Vers un monde totalement urbanisé Le troisième grand exode s’opère depuis la fin du second exode, soit au début des années 1970. Cette date correspond à « la crise du système de la grande usine fordiste »5. On assiste alors à des phénomènes multiples. Le troisième exode est complexe et pluriel.
5. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 33
K. Bauman, Maison abandonnée à Détroit, années 1990
Y.A. Bertrand, Tokyo
L’Europe vue de l’espace, la nuit 34
Un changement de logique de production s’opère. Les unités de production se décentralisent des pays du Nord, développés, vers les pays du Sud, en voie de développement. Les sociétés du Nord deviennent des sociétés de service, de plus en plus de consommations et de loisirs. Cette évolution a une influence importante sur certaines villes du Nord, qui ont basé leur économie sur l’industrie. Certaines d’entre elles entrent dans un cycle de décroissance. Un exode local a alors lieu vers des centres urbains plus attractifs. C’est par exemple le cas de Détroit aux Etats-Unis. Pour les pays du Sud, les populations convergent en masse vers les centres urbains. Cet afflux massif, comparable à celui que les pays du Nord ont connu lors du second exode, se traduit par la création de bidonvilles autour des centres économiques. De manière générale, pour les pays du Nord, ce troisième exode ne se traduit pas, comme les précédents, par une baisse de la population rurale au profit de la population urbaine. Il se traduit par un phénomène de périurbanisation pour les villes en croissance. Les nouveaux espaces urbains gagnent dans les couronnes successives, de plus en plus éloignées de la ville, et même sur les espaces ruraux. Les villes commencent à s’étendre et à se développer de manière diffuse. Cette urbanisation a pour modèle la "ville globale", en réseau à l’échelle du globe et détachée de son environnement. La "terre promise" de cet exode devient un monde totalement urbanisé, décontextualisé et presque homogène. « L’air de la ville rend libre » …
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L. Cranach, L’âge d’or, vers 1530
A. Kircher, Jardin d’Eden, 1675 36
3. Utopies et réalités *
Avant la ville, il y eut un jardin C’est le mythe d’un bonheur dans un monde non construit. Comme la ville, le jardin est clos. C’est un monde en soi, fortement protégé des forces extérieures qu’on ne maîtrise pas : le cosmos et le chaos. L’illustration la plus répandue est celle du jardin d’Eden, le mythe d’un monde perdu. La ville constitue le rêve d’un monde gagné. Sa construction se fait après que l’Homme a été chassé du jardin d’Eden. Elle constitue un espace de liberté propre à l’Homme. Victor Hugo retranscrit le mythe de la construction de la première ville par Caïn. Une fois les murs érigés, « Sur la porte on grava : "Défense à Dieu d’entrer" »1. « Depuis l’aube des âges, depuis l’Eden, l’Homme ne cesse d’accomplir le rêve d’enclore dans un espace de paix les meilleurs fruits du monde et de l’esprit. Au dehors de l’enclos, c’est le combat : contre les forces de l’inconnu et du hasard, contre les angoisses du désordre et de l’illimité. » G. Clément, Le jardin planétaire, 1999
Les utopies s’inspirent de ces mythes. "Ou-topos" signifiant "sans lieu" en grec, elle s’inscrit dans un espace qui n’a pas de réalité matérielle, mais qui est clos. Thomas More invente ce mot pour son ouvrage Utopia où il décrit une société idéale, d’une centaine de milliers d’habitants vivant sur une île. Il décrit la société, mais aussi l’organisation de la cité idéale.
* Référence à l’ouvrage de F. Choay, L’urbanisme utopies et réalités, 1966 1. V. Hugo, La légende des siècles, 1985 37
C-N. Ledoux, Projet pour les Salines royales de Chaux, 1774
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L’utopie est un modèle repris par les "penseurs de la ville" dans la quête d’une représentation de la cité idéale. Elle permet d’imaginer un nouveau système urbain pour la paix, l’équité et la solidarité, qui pense aussi à la préservation de l’environnement et la survie des habitants. Notre exposé sera tourné sur cinq visions de la cité idéale, utopies ou réalité, qui ont beaucoup de points en commun, pourtant pensées à des époques très différentes.
Fin du XVIIIème siècle - Claude-Nicolas Ledoux - Les salines de Chaux La première vision est celle de Claude-Nicolas Ledoux, un architecte du siècle des lumières. En 1773, il est chargé de concevoir les nouvelles salines royales. Sa première décision porte sur le choix de son implantation : à proximité de la forêt de Chaux, ressource de combustible, et non à la source des eaux salées de Salins. Sa vision prend en compte la problématique des ressources dont a besoin la ville industrielle. Il dessine les plans de la saline, mais aussi ceux de la maison du directeur, des ouvriers, du garde-chasse, … Des jardins se trouvent à proximité des logements des ouvriers et entourent le dispositif. Ce sont des jardins de maraîchage qui sont cultivés par les ouvriers, pour leur propre consommation. L’organisation spatiale de la ville est en lien avec son organisation sociale mais aussi territoriale. On peut parler d’une architecture qui se place entre la réalité et l’utopie. Ledoux veut bâtir une cité idéale. Ledoux compilera ses dessins et ses écrits dans un livre2 à visée utopique. Seuls quelques bâtiments seront réellement construits.
2. C-N. Ledoux, L’architecture sous le rapport de l’art, des mœurs, de la législation, 1804 39
E. Howard, The three magnets, 1898
E. Howard, La citĂŠ jardin, 1898
F-L. Wright, Broadacre City, 1932
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Fin du XIXème siècle - Ebenezer Howard - Les cités jardins Le second exemple est celui d’Ebenezer Howard, qui invente le concept de "cité-jardin" en 1898, dans une Angleterre confrontée aux conséquences de l’exode rural. Il assiste à la mutation de la ville, de ses structures urbaines et de ses effets sur la société. Il est influencé par son enfance proche du milieu agricole et son voyage aux Etats-Unis où il assiste au développement des banlieues. Il questionne la véritable "place" de la ville vis-à-vis du territoire. Pour lui, la cité idéale s’inscrit en proximité avec la nature. Sa taille doit permettre une activité urbaine importante et une relation d’équilibre avec le territoire. « Entre ville et campagne, Howard choisit la ville-campagne »3. Les habitations sont organisées autour des lieux publics. Comme dans le projet de Ledoux, les institutions sont placées au centre de la ville. Howard définit des limites très claires pour la ville, pour éviter qu’elle ne s’étende sur les parcelles agricoles qui l’entourent. Son schéma et ses proportions constituent l’équilibre qui lie la ville et sa population à son territoire agricole qui la nourrit. « Pour rester saine et salubre, la cité doit contrôler son expansion et, sitôt le seuil critique de population atteint, ne pas chercher à s’agrandir mais fonder de nouveaux groupements » E. Howard, Cités-jardins de demain, 1898
Début du XXème siècle - Frank Lloyd Wright - Broadacre city La troisième vision est celle de l’architecte américain Frank Lloyd Wright pour Broadacre City. Un projet territorial qui s’inscrit dans un contexte d’expansion des grandes villes américaines et de développement de la mobilité de leurs habitants. Ces changements se traduisent notamment par la construction de banlieues résidentielles en grand nombre à la fin du 3. L. Coen, A la recherche de la cité idéale, 2000 41
Le kibbutz Ein Harod, 1936
Le kibbutz Barkai, 2006
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XIXème siècle. Wright propose un concept utopique fondé sur une pensée de la dispersion. Il se base sur la démocratisation de la voiture individuelle et d’autres moyens de transports futuristes, comme le "taxi-hélicoptère" ou les "péniches à propulsion atomique", qu’il invente. Cette vision est américaine et s’inscrit sur des territoires très étendus. Chaque famille possède un acre4 de terrain qu’elle habite et qu’elle peut cultiver. La ville se construit sur un maillage avec des polarités mais sans centralité. Les polarités se créent aux croisements des flux et sont occupées par les commerces. Wright dessine ce projet qui mêle à la fois paysage rural et urbain, architecture et flux. Début du XXème siècle - Les kibboutz israéliens Le quatrième exemple concerne les premières installations israéliennes en Palestine, avant la création de l’Etat d’Israël. Le kibboutz est une communauté rurale collectiviste, basée sur une organisation sociale et spatiale. Elle est très liée à l’idéologie sioniste et est influencée par la pensée socialiste de l’époque. Le premier kibboutz se crée en 1910. En 1947, à la veille de la création de l’Etat d’Israël, on en compte 1505. Ces communautés s’établissent dans un contexte peu favorable dans les premiers temps et fonctionnent en autarcie. Elles sont autosuffisantes, la production agricole commune permet de nourrir tous les habitants de la communauté. Le kibboutz n’est ni une ville, ni un village. C’est un système à la fois urbain et rural, dans un espace restreint, qui développe entre ville et nature un rapport humain et social. Il mêle dans sa structure communauté à dimension humaine et modernité urbaine.
4. 4.000m² en 1935, source Wikipédia 5. Aujourd’hui, on dénombre 268 kibboutzim en Israël. Néanmoins, l’idéal de justice sociale des pionniers ne subsiste que dans une petite minorité … 43
O-M. Ungers, La ville dans la ville, Berlin, 1977
L. Krier, Une ville dans la ville, Projet pour la Villette, Paris, 1976
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Fin du XXème siècle - Oswald Mathias Ungers - « La ville dans la ville » Le dernier projet étudié est celui d’Oswald Mathias Ungers pour Berlin, exposé dans un livre-manifeste : La ville dans la ville - Berlin : un archipel vert6. Il introduit la notion de "ville-archipel" et l’applique à la ville de Berlin, dont il a fait son « laboratoire » pour un « modèle alternatif d’urbanisme »7. Il y aborde entre autre les problématiques de décroissance urbaine et les moyens de dépasser « la polarité Nature/Culture ». Il reprend des éléments de rhétorique de Howard pour tenter d’intégrer la campagne dans la ville. Les représentations de Berlin qu’il fait présentent le territoire de la ville, encore contraint par la présence du mur à cette époque. Des archipels urbains nagent dans un océan de vide, qui se trouve être les espaces naturels de loisirs et de production agricole. En 1976, une année avant la sortie de l’ouvrage d’Ungers, Léon Krier répond au concours pour le quartier de La Villette à Paris. Il projette une « confédération » de quartiers urbains autosuffisants. Ils sont entourés d’un parc paysagé et agricole, qui mêle les espaces de loisirs et les espaces de production. La ville et la campagne se confondent. La figure est celle de l’archipel urbain au sein d’un espace naturel. Son projet, qu’il intitule « La ville dans la ville », ne sera pas retenu. Son titre sera repris par Ungers pour son livre-manifeste sur Berlin, qui aura une portée toute autre. « La ville est désormais en compétition, notamment pour la qualité de l’environnement, avec la vie à la campagne. Le futur de la ville dépend donc entièrement de la solution qui sera apportée à la dichotomie entre ville et campagne. Sa survie en tant qu’entité sociale, politique, économique et culturelle ne sera possible que si peuvent y être proposées des conditions de vie et d’environnement analogues à celles qu’on trouve dans les paysages naturels. » O.M. Ungers, Les villas urbaines, 1977
6. O.M. Ungers, R. Koolhaas, P. Reinmann, H. Kollhoff, A. Ovaska, 1977 7. S. Marot, issu de La ville dans la ville - Berlin : un archipel vert, édition critique de S. Marot et F. Hertweck 45
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Tous ces exemples posent la question de la "bonne taille" d’une ville, de ses frontières et de la relation à son territoire. Certains s’inscrivent dans des espaces contraints par la situation politique ou par le cadre utopique dans lesquels ils s’inscrivent. D’autres, comme le projet de Wright, s’exonèrent de toutes frontières. Pour leur taille, il est intéressant de constater que Howard et Ungers arrivent à peu près au même nombre d’habitants : environ 250.000. Enfin, tous ces exemples établissent un rapport immédiat avec leur territoire, qui se traduit par une relation équilibrée et d’interdépendance. Ils dépassent la dichotomie culture/nature, pour parfois mélanger les concepts de ville et de campagne.
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II. Un système en crise L’approche critique
M-A. Laugier, ÂŤ La hutte primitive Âť, 1755
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1. Culture VS Nature
La question du rapport entre nature et culture est symptomatique d’une civilisation. Elle témoigne du lien qu’entretient la société avec le monde qui l’entoure, de l’attention de l’Homme pour le milieu qu’il habite. Elle pose la question "écologique" pour une civilisation de la "préservation de la maison commune". Notre civilisation occidentale a vu ce rapport évoluer au cours des siècles.
Un changement progressif La nature a d’abord été perçue comme une source de richesses, mais dont l’Homme devait se préserver. Vitruve parle de la construction de la cabane primitive comme le premier acte de l’architecture1. Un mythe qui sera repris par l’Abbé Laugier2 et qui montre une conception de l’installation humaine face à un milieu naturel dont il faut se protéger. Elle constitue avant tout, un refuge pour l’Homme. Jusqu’au XVème siècle, la nature est ainsi perçue comme un environnement hostile et dangereux, que l’Homme doit "conquérir". L’Homme n’a pas encore fait le tour de la Terre et elle garde pour lui de nombreux mystères. On essaye de se figurer le monde, ce qui passe notamment par la cartographie. Les cartes du monde n’ont pas vraiment de contours et le tracé des continents est très approximatif. Ceux-ci sont parfois représentés de manière allégorique et personnifiée. C’est à cette époque que débutent les premières grandes explorations, la découverte d’un "nouveau monde" 1. Vitruve, De architectura libri decem, 33-14 av. JC 2. Marc-Antoine Laugier, Essai sur l’architecture, 1755 51
F. di Giorgio Martini, « Panneau d’Urbino », 1460-1500
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par Christophe Colomb en 1492, le premier tour du monde de Magellan en 1522 … A cette même époque, on essaye de se figurer l’organisation du monde, en parallèle à celle de la cité idéale. Le Panneau d’Urbino montre une vision dénuée de tout élément naturel, d’un ordre exclusivement architectural et géométrique où la culture domine la nature. Les philosophes s’emparent aussi du sujet et Thomas More imagine Utopia, « un lieu qui n’est nulle part ». Il décrit sa vision de la cité idéale, une ville et une société très ordonnées. Les villes de la Renaissance recherchent cet ordre "idéal" hiérarchisé et géométrique, où l’espace public est entièrement dessiné, tramé et où de grands tracés l’organisent. Les jardins de la Renaissance sont pensés comme le miroir de la ville. La nature y est maîtrisée et ordonnée de manière géométrique. Le rapport culture-nature va ainsi peu à peu changer jusqu’au XIXème siècle. La nature n’est plus considérée comme hostile, mais comme une entité que l’on peut maîtriser, que l’on veut maîtriser.
Une seconde nature artificielle : territorialistes et techno-optimistes La révolution industrielle du XIXème siècle va bouleverser la société dans son ensemble. Le progrès technique la fait entrer dans une ère de développement intense et intronise le productivisme comme nouveau système d’organisation. La nature devient un outil au service du système productif. L’équilibre entre culture et nature est alors rompu au profit d’une culture "dominante". Dans ce mouvement de domination, la culture tend à expulser la nature et à la remplacer par une « seconde nature artificielle »3. L’urbanisation exponentielle de la planète, qui débute véritablement à partir du second exode, lors de la révolution industrielle, a changé le rapport sociétal entretenu entre culture et nature. Des courants de réflexion, comme celui des territorialistes, estiment que ce changement 3. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 53
J. Cossiers, Prométhée dérobant le feu, 1637
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est au cœur de la crise écologique que nous traversons. « Ces exodes se traduisent par la rupture des relations culturelles et environnementales avec les lieux et avec la terre ». Pour eux, l’urbanisation, telle qu’elle s’est réalisée, engendre « un processus catastrophique » pour la ville mais aussi « éco-catastrophique par ses effets sur le climat, sur la consommation de sol fertile, sur les écosystèmes, liés à son ampleur, sa vitesse et ses formes »4.
Pourtant, les théories techno-optimistes sont aujourd’hui dominantes. Elles affirment que nous pourrions résoudre les crises provoquées par l’Homme sur sa Terre grâce aux progrès technologiques continus. Ces théories poussent à une artificialisation encore plus importante de notre planète. Elles ne s’intéressent pas aux causes véritables de la crise environnementale et refusent ainsi de changer un système pourtant à bout de souffle, en n’y apportant qu’une réponse palliative. Penser que le progrès technologique pourrait à lui seul répondre à la crise de notre environnement dénote une conception qui place l’espèce humaine au-dessus de tout risque. Cette impression de "toute-puissance" de l’Homme face aux forces naturelles, voire divines, est tangible dans la société occidentale depuis la révolution industrielle et l’avènement de la civilisation des machines. Le rapport culture-nature en est l’une des illustrations. Cette impression n’est pas étrangère aux civilisations qui nous ont précédées. Le mythe de Prométhée, qui déroba le feu à l’insu des Dieux pour le restituer aux Hommes, est au fondement du rapport entre culturenature. Ce feu est celui de la connaissance, qui détache alors l’espèce humaine des espèces animales. L’Homme devient un "animal-culturel". Prométhée symbolise la rupture avec l’ordre naturel et fonde la pensée sur le progrès technique. Pour les Grecs, ce mythe est évocateur de l’Hybris, « tout ce qui, dans la conduite de l’Homme, est considéré par les Dieux comme démesure et orgueil »5. 4. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 5. Définition issue du dictionnaire Larousse 55
C. Saracenie, la chute d’Icare, 1600
Gaïa, Bas-relief de l’Ara Paci Augustae, Ier s. Av. JC
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Des récits mythologiques nous renvoient également à notre condition. Icare, qui vola avec des ailes faites de cire et de plumes, alla trop près du soleil, ce qui fit fondre ses ailes et précipita sa fin. Bien qu’averti par son père, il oublia l’interdit, grisé par ce nouveau pouvoir de voler. Bernard Huet l’aborde dans la préface du livre de Manfredo Tafuri Projet et utopie : « Dédale […] transmet à son fils Icare le pouvoir de transgresser par "l’invention" les lois édictées par les Hommes et celui de s’affranchir des contraintes imposées par la Nature »6. Un mythe qui peut être plein d’enseignements pour notre civilisation moderne.
Crise écologique : de l’holocène à l’anthropocène Lorsque nous parlons de "crise écologique", il faut néanmoins se poser la question de ce qui est en crise. La façon d’aborder le problème engendre des réponses très différentes. Est-ce la terre comme système vivant qui est en crise ? Gaïa qui, comme les grecs la représentaient, évoque les deux aspects de la nature, à la fois capable de créer la beauté harmonieuse mais également de faire ressurgir le "chaos originel" ? Le scientifique James Lovelock reprend cette figure mythique pour définir la terre comme « un être vivant »7. La Terre, telle qu’il l’a décrite n’est pas en danger, elle se stabilisera dans un nouvel état. Cependant, la survie de l’espèce humaine est en danger. Les postures que nous avons évoquées précédemment sont à l’origine de cette crise écologique. Certains scientifiques l’expliquent par l’entrée dans une nouvelle ère : l’Anthropocène. Ce terme, qui a été inventé par Paul Crutzen, météorologue néerlandais, est débattu par les scientifique et ne fait pas l’unanimité. Déclarer l’Anthropocène, ce serait déclarer que « la force la plus importante qui façonne la Terre »8 se trouve être l’humanité elle-même, que l’Homme est devenu la "force géologique majeure" ...
6. B. Huet, Préface de M. Tafuri, Projet et utopie, Paris : Dunod, 1979 7. J. Lovelock, La Terre est un être vivant, l’hypothèse Gaïa, 1993 8. B. Latour, Face à Gaïa, 2015 57
Bruno Latour, philosophe français, défend ce terme et le met en parallèle des travaux de Lovelock sur Gaïa. Selon Latour, Lovelock associait à la figure de Gaïa « le système fragile et complexe par lequel les phénomènes vivants modifient la Terre ». Selon lui, avant l’Anthropocène, la Nature « constituait l’arrière-plan de nos actions », mais les « effets imprévus de l’histoire humaine » l’a font « monter sur scène ». L’ « ancienne Nature » a disparu et a « laissé la place à un être dont il est difficile de prévoir les manifestations », auquel il donne le nom de Gaïa. « L’air, les océans, les glaciers, le climat, les sols, tout ce que nous avons rendu instable, interagit avec nous. Nous sommes entrés dans la géohistoire. C’est l’époque de l’Anthropocène. » B. Latour, Face à Gaïa, 2015
Les scientifiques de l’INQUA9 ont "entre-ouvert" la porte de l’Anthropocène. Ils ont déclaré en 2011 qu’elle était une « possible époque géologique ». Elle succéderait ainsi à l’Holocène, qui débute à peu près au moment de la sédentarisation et de l’invention de l’agriculture par l’Homme. La civilisation s’établit réellement sur la Terre et va évoluer "avec". Quant à l’Anthropocène, Paul Crutzen la fait débuter au début de la révolution industrielle, soit au basculement du rapport entre culture et nature. Cette notion scientifique l’illustre parfaitement : l’Homme ne communique plus avec son milieu, il veut le maîtriser. Si les chercheurs n’ont pas encore de fondements scientifiques assez clairs pour décrétée l’Anthropocène, ils admettent l’utilité de ce terme, qui révèle le changement de rapport entre l’Homme et son milieu.
9. Union internationale pour la recherche sur le Quaternaire (INQUA en anglais) 58
Comme Bruno Latour, pour les territorialistes, la crise écologique actuelle est due à la rupture du « rapport culturel et philosophique avec la nature », qu’ils définissent comme « co-évolutif ». Cela s’est fait au profit d’une « seconde nature artificielle ». On ne peut donc pas apporter de solutions « technocratiques » à cette crise. Elle ne peut pas non plus se régler par des « solutions sectorielles » ou même par des « bonnes pratiques environnementales ». Cela ne suffit plus. C’est le rapport de l’Homme avec la nature qui doit changer.
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2. Oppositions
La question écologique se pose pour toutes les civilisations. Elle décrit le rapport qu’entretient l’Homme avec son milieu. Cette question a toujours été une source d’inquiétude pour l’Homme, comme nous l’avons vu notamment avec le rapport entre culture et nature. Cette question est existentielle pour l’espèce humaine, de manière individuelle et collective.
Expériences individuelles Des hommes ont cherché, par des expériences individuelles, à s’isoler d’une société "corrompue" dans son rapport au monde et à "revenir à l’essentiel", se rapprocher de la nature. Dès la Grèce Antique, Démocrite finit sa vie en construisant une petite cabane au fond de son jardin, pour s’isoler de la société. Il y étudie et opère une sorte de « repli sur son âme »1 en retrouvant les sens essentiels de l’environnement. En 1845, Henry David Thoreau, philosophe et poète américain, s’isole dans une cabane qu’il construit lui-même à Walden. Il veut y vivre seul et simplement, au contact de la nature. Il écrira Walden ou la vie dans les bois où il critique le monde occidental et décrit sa vie "authentique". Il y décrit également en détail la construction de la cabane, qu’il met en parallèle avec « l’édification de l’âme ».
1. M.Onfray, Le recours aux forêts : la tentation de Démocrite, 2009 61
H-D. Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, 1854
S. Penn, Into the Wild, 2007 (adaptĂŠ de Voyage au bout de la solitude)
New Agers,Hippies ĂŠcologistes, 1990 62
Le Corbusier, à la fin de sa vie, fera construire un cabanon sur les bords de la mer Méditerranée. Il veut s’isoler et profiter du cadre naturel qu’il veut contempler. Il déclare : « Je suis attiré par toutes les organisations naturelles »2. Ces trois expériences, d’époques très différentes, ont en commun leur point de départ qui est la construction de la cabane. Celle-ci nous renvoie à la "cabane primitive" de Vitruve, comme acte fondateur de l’architecture. En revanche, elle n’est pas construite dans un mouvement de repli face à une nature hostile, mais au contraire, comme un abri pour se préserver de la société corrompue et revenir à une nature salvatrice. Pour notre société contemporaine, la cabane fait aujourd’hui partie de l’imaginaire de l’enfance. Elle constitue un abri contre la société plus que contre la nature. Ce basculement illustre celui du rapport entre culture et nature. Autre fuite, celle d’un jeune américain vers l’Alaska en 1992, racontée par Jon Krakauer dans Voyage au bout de la solitude3. Influencé par ses lectures, notamment par Henry David Thoreau, Mark Twain ou Jack London, il décide de s’isoler de la société pour retrouver une vie solitaire au contact de la nature. Il s’installe dans un bus abandonné, en plein cœur de l’Alaska. Son refuge est une sorte de déchet de la civilisation laissé en pleine nature.
Expériences collectives Les expériences collectives de rejet de la société sont aussi nombreuses. Elles sont plus communément appelées "mouvements de contre-culture", terme utilisé pour décrire les mouvements contestataires, souvent menés par les jeunes générations. 2. Le Corbusier, La ville radieuse, 1935 3. Roman biographique sur Chris McCandless (1996), adapté au cinéma par Sean Penn, Into the Wild (2007) 63
Archizoom, « Les déchets en ville », 1972
H. Hollein, « Aircraft Carrier city in the landscape », 1964
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Ils se caractérisent notamment dans les années 1960 par les mouvements hippies aux Etats-Unis. Les jeunes générations, issues du baby-boom de l’après-guerre, rejettent la société de consommation et l’American Way of Life. Ils recherchent avant tout l’authenticité dans les rapports humains et veulent mettre en avant les valeurs écologistes et égalitaires. Cette période correspond aux premières craintes avancées pour l’environnement dans l’opinion publique. Les mouvements hippies sont, d’après Timothy Leary, à l’origine du mouvement écologique contemporain. Ils mettent en tout cas en évidence le questionnement d’une partie de la société occidentale dans son rapport avec l’environnement.
En Europe, à la fin des années 1960, les jeunes architectes radicaux s’attaquent aux théories de l’aménagement du territoire, de la ville et de l’habitat. L’architecture radicale est un mouvement contestataire, contre la société de consommation et le système capitaliste. Il questionne notre rapport à l’environnement et le rôle même de l’architecture. Ces architectes, comme Hans Hollein, critiquent aussi l’architecture fonctionnaliste, au moyen de collages parfois ironiques. Ils accusent la « violation du paysage », comme le groupe Archizoom avec les collines d’ordures dans les villes. Dans le prolongement des mouvements écologistes, l’architecture radicale veut « substituer la nature (réelle ou fictive) à l’architecture »4. On veut que la ville et la campagne s’interpénètrent. Jacques Famery place des moutons rue de Rennes à Paris. Le groupe 9999 remplace les canaux de Venise par des champs. Le groupe anglais Street Farmer annonce dans sa revue, la fin de la dualité ville-campagne. On veut ainsi rendre l’espace urbain naturel et cultivable. Ces projets utopistes seront repris par Ungers, Koolhaas ou Krier pour leur projet de « ville dans la ville »5.
4. D. Rouillard, Superarchitecture, 2004 5. Évoqué dans la partie I.3. Utopies et réalités 65
Superstudio, « Happy Island », 1969
Superstudio, « Les actes fondamentaux », 1972 66
Superstudio, « Les actes fondamentaux », 1972
R. Koolhaas, Exodus, 1972 67
Le groupe Superstudio s’intéresse aussi à la question écologique. Leurs recherches aboutissent à l’image d’une grille universelle : « surface plane au sol infini »6. Les habitants sont des nomades et ne sont contraints par aucune architecture, autre que celle en deux dimensions de la grille. Superstudio met en scène des humains, revenus à leur état de nature, au travers des « actes fondamentaux » de la vie et dans un nouvel environnement. A la même époque, Rem Koolhaas présente un projet sous la forme d’une série de dessins et d’un texte intitulé Exodus7. Il traite la question du symbolisme en architecture pour la métropole contemporaine, rapportée à la figure du mur de Berlin. Il invente une longue enclave linéaire, appliquée à la métropole londonienne, où des « prisonniers volontaires » goûtent aux « plaisirs de l’architecture » des équipements collectifs qui la compose. Il réinstaure, au cœur de la ville, une vie collective intense. Néanmoins, chaque « prisonnier volontaire » possède un petit morceau de terre pour une culture personnelle. C’est ce qui le rattache à la terre, dans cet environnement entièrement architectural.
Ces mouvements de "contre-cultures écologistes" sont encore présents aujourd’hui dans les sociétés occidentales. En France par exemple, le mouvement des ZAD est apparu au début des années 2010. Le mot zadiste est entré dans le dictionnaire en 2015 : « militant qui occupe une ZAD »8 (pour Zone à Défendre). Les zadistes s’opposent à des projets d’aménagement déclarés d’utilité publique. Ces projets suivent selon eux une logique productiviste au détriment de l’environnement. Plusieurs ZAD sont aujourd’hui occupées comme à Notre-Dame-des-Landes contre le nouvel aéroport de Nantes, à Sivens contre la construction d’un barrage, …
6. D. Rouillard, Superarchitecture, 2004 7. R. Koolhaas, Exodus, ou les prisonniers volontaires de l’architecture, 1972 8. Issu du dictionnaire Le Petit Robert, 2016 68
A Roybon, les zadistes occupent la forêt de Chambaran où un village de vacances doit être construit. Le concept de ce village est d’implanter dans un domaine forestier des cottages et des équipements de loisirs où sont recréés des espaces de nature artificielle. On retrouve la figure de la cabane, cottage tout à fait industriel dans ce cas, mais qui fait espérer une fuite, un retranchement … Le village prétend ainsi rapprocher les visiteurs de la nature en « proposant une expérience de vie authentique, ancrée dans le réel, l’humain et l’évasion »9. Le combat de cette ZAD est symptomatique, pour une société qui recherche une nouvelle forme d’écologie. Il oppose un groupe considéré comme marginal par la société et défendant un espace naturel, à une société qui met pourtant en avant, de par ce projet, un "trouble écologique" qu’elle prétend corriger par une sorte d’évasion artificialisée.
ZADistes, Roybon, 2014
9. Communiqué de presse : « L’expérience du réel avec Center Parcs », pierreetvacances.com, 21 avril 2015 69
9999, Sauvetage de Venise, 1971 70
H.Rucker, Empire State Building, 1971 71
J. Famery, Rue de Rennes, 1972 72
Zzigurat, Citta lineare, 1971 73
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3. Déterritorialisation
Dans la quête d’une « seconde nature artificielle », notre civilisation s’est peu à peu émancipée du territoire. Elle le conçoit de manière réductrice, comme un substrat, un support dénué de sens, de signification, d’identité, … Elle le consomme et l’utilise à des fins productives, sans en prendre soin, mais en y « greffant des prothèses techniques de plus en plus nombreuses »1.
Territoire - déterritorialisation - « non-lieux » Le territoire tel que nous l’entendons ici est compris comme le "milieu de l’Homme". Les territorialistes le définissent aussi comme le « produit d’un dialogue mené entre des entités vivantes (Homme et Nature) dans la longue durée de l’histoire ; fruit d’un acte d’amour, il naît de la fécondation de la nature par la culture ». Dans le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Bernard Debarbieux en donne une définition pertinente pour notre étude : « agencement de ressources matérielles et symboliques capables de structurer les conditions pratiques de l’existence d’un individu ou d’un collectif social et d’informer en retour cet individu ou ce collectif sur sa propre identité ». La déterritorialisation est un concept philosophique créé par Félix Guattari et Gilles Deleuze2. Il décrit un processus de « décontextualisation d’un ensemble de relations » et leur actualisation dans un autre contexte. Il est repris dans d’autres disciplines, notamment en géographie. La déterritorialisation dont nous parlons dans notre étude, est à mettre en 1. A. Magnaghi, Le projet local, 2000 2. F. Guattari & G. Deleuze, L’Anti-Œdipe, 1972 75
Y-A. Bertrand, Chiang-Mai en Chine
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lien avec un autre concept anthropologique, qui est celui de "non-lieu" théorisé par Marc Augé : « Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un nonlieu »3. Le processus de déterritorialisation, entrepris par notre civilisation, trouve son illustration dans la figure de la métropole contemporaine. Celle-ci est considérée par les théories traditionnelles comme la forme la plus accomplie de l’établissement humain. Ce que contredit notamment Lewis Mumford4 qui parle d’un « système mécanique ». La métropole contemporaine est l’expression de la société de consommation et de sa conception du développement. Son modèle s’étend à l’échelle mondiale et nous retrouvons ainsi les mêmes gratte-ciels à New-York comme à Manille, mais aussi les mêmes espaces et les mêmes fonctions.
La métropole contemporaine La déterritorialisation est la conséquence des exodes successifs mais aussi de l’avènement d’un « système monde » qui nous affranchit des distances. Elle s’illustre par la forme de la métropole contemporaine, caractérisée par une expansion diffuse, quasiment illimitée et une non-prise en compte des particularités de son environnement. Ses frontières territoriales sont de plus en plus difficiles à définir, tant son échelle nous dépasse. Pour la première fois dans l’histoire, la ville n’a plus de frontières géographiques, son réseau s’étend sur la totalité du globe. La métropole se distingue de la ville historique traditionnelle, de par cet affranchissement des contraintes territoriales, mais aussi des règles de constitution de l’identité des lieux et des particularités locales. Elle les remplace par des règles répondant à d’autres nécessités, qui ne se soucient ni du caractère du lieu, ni de la relation au territoire. La notion 3. M. Augé, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, 1992 4. L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1966 77
Y-A. Bertrand, Copenhague - Las Vegas - Porto-Rico
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d’ "espace" a ainsi pris le pas sur celle de "lieu". Le modèle de la métropole contemporaine « recouvre le territoire de fonctions et de non-lieux »5. Ce processus de déterritorialisation se traduit par une décontextualisation et une homogénéisation du territoire.
Jusqu’au XIXème siècle, les moyens de transports, limités sur le plan local et régional, modéraient la croissance des villes6. L’arrivée du train et la construction des voies ferrées ont conduit au développement des banlieues. Il permettait de relier facilement ces territoires au centre de la ville. Cette expansion, qui était limitée au départ aux abords des gares, s’est généralisée suite à la démocratisation de la voiture individuelle. Ces nouveaux modes de transport ont engendré un changement de forme de la métropole contemporaine. Ce processus évolutif, qui peut être décrit comme une "explosion urbaine", se traduit par le dépassement des limites de la métropole. A titre d’exemple, l’agglomération parisienne comptait 4,7 millions d’habitants en 1901. Elle en compte aujourd’hui environ 12 millions, soit 2,5 fois plus qu’en 1901, mais pour une aire urbaine 4 fois plus étendue. La disproportion entre le nombre d’habitants et l’aire urbaine est symptomatique de la ville diffuse et de son étalement, qui s’est notamment traduit par la construction de zones péri-urbaines. Ces zones péri-urbaines se sont développées dans une logique de mobilité individuelle. Leurs espaces urbains ont été conçus comme des espaces de branchement au système métropolitain. L’espace public n’est ainsi plus projeté. Patrick Geddes utilisait le terme de « conurbation » pour parler de ces formes diffuses, les distinguant du noyau historique de la ville. Ce terme renvoie à un tissu indifférencié, qui est maintenant celui de la métropole contemporaine, « sans vrais noyaux intérieurs et sans véritable frontières extérieures »7. 5. A. Magnaghi, Le projet local, 2000 6. L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1966 7. L. Mumford, La cité à travers l’histoire, 1966 79
Limours, Ile de France
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De plus, ces zones se sont construites pour des habitants espérant trouver un environnement plus "apaisé" que celui de la ville, profitant à la fois du cadre et de la proximité du centre de la métropole. La phrase de Fred Hirsch8 : « le jour où tout le monde possède une maison dans la forêt, la forêt n’existe plus » pointe une des contradictions de la ville diffuse. Elle s’est faite de manière homogène et ne constitue plus le lieu de l’espace public. Elle se traduit par « la perte des relations culturelles et environnementales avec les lieux et avec la terre », mais aussi par « la perte des liens sociaux, la dissolution de l’espace public, [et par] des conditions d’habitat décontextualisées et homogènes »9.
L’influence métropolitaine Ce phénomène de déterritorialisation ne se cantonne pas à l’aire urbaine de la métropole. L’influence métropolitaine s’est étendue, au fur et à mesure que ses limites ont étaient repoussées. L’accélération des modes de transport ont ainsi mis "sous-influence" des territoires ruraux, où l’on retrouve des "formes d’habiter" similaires à celles des zones périurbaines de la métropole. Il en résulte les mêmes conséquences sur l’environnement urbain immédiat et une décontextualisation vis-à-vis du milieu ambiant. La définition des frontières de la métropole contemporaine est donc de plus en plus difficile. Pour les territorialistes, elle est même impossible « dans la mesure même où [la métropole contemporaine] reflète la forme impériale du marché mondial »10. Lewis Mumford dit que « l’économie métropolitaine a fait disparaitre les limites ». L’économie impose à des territoires de plus en plus éloignés, une logique globale qui entre en contradiction avec la logique locale de ces territoires. Ces conséquences ne sont donc pas seulement liées à la taille de la métropole mais bien aux conditions que l’économie impose. 8. F. Hirsch, économiste autrichien connu notamment pour sa critique sociale de la croissance 9. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 10. A. Magnaghi, Le projet local, 2000 81
Plate-forme logistique, France
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Cette logique est celle de la mondialisation contemporaine qui applique au territoire une vision spéculative. La prise en compte de la seule échelle globale se fait au détriment de l’échelle locale. Le transport des marchandises à une échelle presque infinie réduit le territoire à un simple support d’activités économiques. On voit ainsi apparaitre des gigantesques plateformes logistiques, des centres de transit, ... partout sur le globe. Cette logique est celle des réseaux longs d’un monde globalisé et non celle des réseaux courts d’un territoire local.
Ainsi, la forme de la métropole contemporaine induit un phénomène de déterritorialisation à la fois des espaces métropolitains mais aussi des territoires sous influence métropolitaine. Elle construit des espaces homogènes et détachés de leur contexte, sortes de "non-lieux" qui ne se définissent donc pas « comme identitaires, ni comme relationnels, ni comme historiques »11. D’après les territorialistes, ce « processus de déterritorialisation, la forme, l’ampleur, la vitesse de l’urbanisation de la planète et les contradictions induites, convergent dans la même direction éco-catastrophique, aussi bien du point de vue anthropologique, que culturel, social et environnemental »12.
11. M. Augé, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, 1992 12. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 83
III. Le retour au territoire L’approche prospective
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1. Changer de paradigme
Nous l’avons vu précédemment, notre ère est marquée par une crise écologique, entre l’Homme et son milieu. Les différentes révolutions qui ont marqué la construction de la ville - agricole au Néolithique ou industrielle au XIXème siècle - ont engendré des bouleversements "écologiques".
Néo-écosystèmes et co-évolution Depuis que l’Homme s’est sédentarisé, son action sur son milieu a modifié les équilibres et les écosystèmes qui étaient en place. Dès le Néolithique, la déforestation a par exemple été relativement importante. Elle était nécessaire pour l’implantation de communautés et pour cultiver les terres. Elle a modifié les écosystèmes naturels qui étaient en place. La construction de la cité est le premier acte de la culture face à la Nature. Néanmoins, l’Homme a créé des "néo-écosystèmes", dans lesquels son action est impliquée tout en respectant l’ordre naturel. Les villes se sont développées en "accord" avec le territoire, sur un pacte qui engage aussi bien la ville et la campagne. Les exemples de la Cité Grecque, du "Bon gouvernement" de Sienne en témoignent. La révolution industrielle et l’avènement de la "société des machines" ont bouleversé ces rapports et rompu le "pacte" en détruisant les "néoécosystèmes". L’artificialisation de la nature et sa maîtrise au service du système productif nous ont poussés dans la crise écologique qui a remis en cause l’équilibre entre l’Homme et la Nature.
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« De nombreux biologistes qui étudient les cycles de vie des espèces vivantes affirment que nous sommes la plus stupide des espèces jamais apparues sur la terre du fait de notre capacité à réduire d’environ 30 000 ans nos conditions de vie sur Terre. » A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012
Cette vision est partagée par les territorialistes, qui voient dans les "néoécosystèmes" le résultat d’un rapport de « co-évolution » entre les établissements humains et leur milieu. C’est ce rapport, détruit par la révolution industrielle, qu’il faut retrouver pour « instaurer un nouvel équilibre »1 et trouver une nouvelle soutenabilité. Le principe de "co-évolution" implique les deux entités, humaines et naturelles, qui ne peuvent être dissociées. On ne doit pas chercher à établir des équilibres qui ne tiennent comptent du milieu dans lequel les établissements humains se trouvent, ni inversement à « rétablir des équilibres naturels, qui ne tiennent aucun compte de l’établissement humain ». Il faut trouver une nouvelle conception des établissements humains, qui prend en compte les équilibres locaux et territoriaux du milieu qui l’entoure.
Une utopie concrète Cette recherche de conception alternative ne doit pas se faire seulement de manière utopique. La pensée utopique, ne concernant "aucun lieu", se trouve être un refuge en dehors du monde. Elle exprime l’espoir d’une vie meilleure et la volonté de l’exprimer par un rêve, plus ou moins proche du réel. Ernst Bloch attache la pensée utopique à des facteurs subjectifs tels qu’une insatisfaction de la réalité ou la sensation que « quelque chose manque »2. Dans son livre Le principe espérance, il critique les utopies classiques du passé et leur « abstraction » pour inventer le concept d’« utopie concrète ». 1. A. Magnaghi, Le projet local, 2000 2. E. Bloch, Le principe espérance, 1976 88
« L’utopie concrète permet d’inscrire les aspirations utopiques dans la matérialité du monde. » E. Bloch, Le principe espérance, 1976
Ce concept donne à l’utopie « un sol sur lequel se poser », pour s’inscrire dans le réel. Edgar Morin distingue quant à lui, les « bonnes utopies réalistes » et les « mauvaises utopies chimériques ». Ernst Bloch s’inscrit du côté des utopies réalistes et nous donne l’outil pour proposer, de manière à la fois utopique et concrète, une alternative convaincante au système que nous avons décrit dans la partie précédente.
R. Depardon, La France de Raymon Depardon, 2010
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N. Pham, Construire la limite, 2012
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2. Ecologie urbaine et co-évolution
La quête d’un équilibre entre les êtres humains et leur environnement tient dans la notion d’écologie - oïkos logos - qui traite des relations entre l’être humain et son milieu. Alors que 70% de la population mondiale sera urbaine en 2050, ces relations concernent en grande partie l’équilibre entre les établissements humains et le territoire qui les entoure. L’enjeu à venir pour l’humanité, qui est de plus en plus urbaine, est donc d’établir une forme d’"écologie urbaine". Si l’écologie, dans le sens où nous l’entendons dans ce mémoire, qualifie le dialogue entre l’Homme et son milieu, "l’écologie urbaine" s’intéresse aux relations que l’établissement humain, qu’est la ville, entretient avec son milieu.
Redéfinir la relation ville - territoire Les exemples de la cité grecque, de la ville médiévale ou du « Bon Gouvernement » de Sienne nous montrent la voie à rechercher pour retrouver l’équilibre perdu. Nous l’avons vu précédemment, cet équilibre a été perdu avec la révolution industrielle. Le rapport entre culture et nature est rompu, au profit d’une autre nature artificielle. Carlo Cattaneo dit que la ville doit former « un corps inséparable avec son territoire »1. Ces liens étaient auparavant assurés par la fonction nourricière pour la ville, du territoire l’entourant. Le territoire de la cité grecque ou la ceinture 1. C. Cattaneo, De la ville considérée comme principe idéal, 1858 91
maraîchère de la ville médiévale liaient le destin de la ville à sa campagne. « La santé de la campagne est le premier signe de santé de la ville ». La question n’est pas celle d’un "retour" à une forme médiévale de la ville, ni au concept de la cité grecque. Les exemples que nous avons évoqués nous sont utiles pour nous rappeler que cet équilibre est indispensable et que le rapport de "co-évolution" est véritable. La forme de la métropole contemporaine, telle que nous l’avons décrite dans la partie précédente, est à dépasser. Sa morphologie, étendue et sans limite, répond à des problématiques fonctionnalistes et ne présente aucun lien ni avec son territoire, ni avec la ville historique. La ville doit nouer de nouvelles relations avec son milieu. Alberto Magnaghi parle de « régénérer la ville à travers le développement des relations de synergie avec son territoire »2. Ces relations passent par une compréhension réciproque, par des échanges « matériels et immatériels », une codépendance de l’un envers l’autre, ... Ces relations doivent profiter aussi bien à l’un qu’à l’autre. La codépendance doit permettre la coévolution des deux milieux. Magnaghi parle de « relations vertueuses ou nouvelle alliance entre nature et culture », comme condition de l’autosoutenabilité du système. « Le contexte primaire dans lequel vit la ville est le territoire, qui sert la structure urbaine et détermine la survie et le développement. » L. Quaroni, 1996
L’écosystème territorial Les pratiques fonctionnalistes, considérant le territoire comme un support inerte, un vide, ont abouti aux formes de déterritorialisation. Cette conception nous a conduits à la rupture du lien entre la ville et son milieu. Les territorialistes voient le territoire comme le « produit de processus de 2. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 92
co-évolution entre le travail humain et la nature »3. La vision territorialiste va à l’encontre de la pensée fonctionnaliste car elle permet au contraire de renouer entre l’Homme et son milieu le lien qu’il a perdu. En appliquant la pensée territorialiste, le territoire redevient un « néo-écosystème vivant ». Il n’existe pas par nature, ni se conçoit comme « une simple aire géographique ou une pure entité spatiale ». Le territoire comprend une complexité très importante et incontournable. Le territoire est de nature à la fois physique, historique, identitaire, sensorielle, patrimoniale, … La complexité est considérée en biologie, comme indispensable pour « l’autoconservation et l’adaptation des écosystèmes »4. Le territoire est non seulement un objet de complexité, mais aussi un objet en perpétuelle évolution. La question n’est pas de le "sanctuariser" ou de le "surprotéger". Il doit pouvoir s’adapter. Néanmoins, les territorialistes avancent la notion d’ « invariant structurel » pour définir les « éléments qui structurent le territoire, son identité, sa santé, … » et qui doivent être préservés. Cette notion est aussi utilisée en biologie, pour « désigner certaines caractéristiques des systèmes vivants, qui ne subissent aucune variation et qui garantissent la "conservation" de ces systèmes en leur permettant de s’adapter à des perturbations extérieures ».
L’« écosystème territorial » est défini par Claudio Saragosa comme « le système environnemental dans lequel une société humaine organisée, trouve la majorité des ressources fondamentales pour sa vie propre et se développe culturellement en produisant un système de relations, de symboles, de connaissances »5. Penser en termes d’écosystème territorial c’est intégrer l’urbain dans une réflexion globale. Isoler l’écosystème urbain n’aurait aucun sens du point de vue de l’auto-soutenabilité du système. Concevoir le territoire comme un écosystème global, c’est ainsi traduire les liens qui unissaient la Cité Grecque ou la ville médiévale à leur territoire. Prendre en compte la somme des écosystèmes dans un écosystème global, 3. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 4. A. Magnaghi, Le projet local, 2000 5. C. Saragosa in A. Magnaghi, 2012 93
A. Calder, Mobile
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c’est tenter de les relier par une figure en quête d’équilibre. Le mobile de Calder peut illustrer ces relations qui doivent unir ces écosystèmes entre eux. Si le mobile dans son entier représente l’écosystème global, son équilibre repose sur chaque écosystème, qui sont reliés les uns aux autres. La figure témoigne d’une équilibre instable et complexe. Pour maintenir l’équilibre, la co-évolution de chaque entité est primordiale.
Le territoire comme "bien commun" L’écosystème territorial doit ainsi fonctionner avec la participation de tous ses acteurs. Alberto Magnaghi avance l’idée qu’il faudrait considérer le territoire comme un « bien commun », « processus historique de co-évolution ». Ce "bien commun" se manifeste de manière culturelle, physique, sociale et symbolique : le patrimoine territorial (urbain et naturel), l’identité des lieux, les relations entre communautés, les espaces publics, les fêtes régionales, … Le terme de "bien commun" est relié à la notion d’ "héritage" et nous rend responsables de sa préservation. Ce "bien commun" nous a été légué par nos prédécesseurs et nous devrons continuer à le transmettre. Cette responsabilité participe à la pensée partagée d’ "écologie urbaine". Cette prise de conscience nécessite un changement d’attitude. Les habitants ne doivent plus être seulement des « usagers » mais doivent devenir également « producteurs »6 de leur « milieu ambiant ». Ce dernier terme est utilisé par les territorialistes, préféré au terme d’ « environnement ». Si le second « nous désolidarise du "vivant alentour" », le premier « nous rend solidaires de celui-ci en incluant d’emblée le genre humain dans un "écosystème planétaire" ». L’Homme se trouve liée à son milieu.
6. A. Magnaghi, Le projet local, 2000 95
G. ClĂŠment, Le jardin planĂŠtaire, 1999
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Le « jardin planétaire » Gilles Clément est un jardinier et paysagiste français. C’est aussi un "écrivain du paysage", qu’il traite à des échelles allant de celle du jardin jusqu’à celle du globe. Il est à l’origine de plusieurs concepts tel que le « jardin en mouvement » ou le « jardin planétaire ». Il exprime par ces concepts, la vision d’une écologie qui passe par la responsabilité de l’Homme - le jardinier - vis-à-vis de son milieu - son jardin. Il considère « les limites de la vie sur terre, la biosphère » comme l’enclos du jardin ; « l’Homme omniprésent, responsable du vivant » comme le jardinier ; « l’épaisseur du vivant, la terre, l’eau » comme le territoire. La Terre est un espace clos et fini, comme un jardin, que l’Homme doit préserver et dont il doit prendre soin, en bon jardinier. Le jardinage planétaire, c’est une posture responsable face au milieu qui nous entoure, c’est « observer pour agir » et « faire le plus possible avec, et le moins possible contre ». Gilles Clément applique cette méthode à toutes les échelles. Il fait appel au sens commun, « chacun peut endosser la méthode, la développer selon ses capacités et ses besoins ». Les actions du jardinier planétaire permettent d’organiser son territoire en « ménageant le vivant », pour « ménager l’humanité ». Il fixe ainsi les limites du jardin planétaire, qui doit conserver « une plage d’incertitude, un espace de nonintervention ». Il laisse une « part d’existence autonome » à la nature et à son « pouvoir inventif ». « Si la planète fonctionne comme un tout vivant et compté, limité par les confins de la biosphère, alors on se trouve bien dans les conditions d’un jardin : un enclos autonome et fragile où chaque paramètre interfère sur l’ensemble et l’ensemble sur chacun des êtres en présence. Il reste à trouver les jardiniers. » G. Clément, Le jardin planétaire, 1999
Gilles Clément invente une forme d’écologie. Ses bases sont les mêmes que l’écologie urbaine : un territoire hérité, une responsabilité collective dans une maison commune qu’il nous faut préserver et transmettre. 97
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3. Une société locale
L’auto-soutenabilité recherchée par les établissements humains se traduit à deux échelles : territoriale et locale. Les deux sont liées et doivent s’inscrire dans une troisième échelle qui est celle de la mondialisation. Néanmoins cette dernière ne doit pas être "subie" ou "imposée", mais doit respecter les deux premières pour ne pas remettre en cause la soutenabilité du système local.
Le retour à la terre La prise en compte de l’écosystème territorial va au-delà de la "réconciliation entre ville et campagne". Elle doit permettre une compréhension du territoire par la prise en compte des énergies qu’il comporte sur son sol, et une mise en valeur de celles-ci. Le monde urbain et le monde rural doivent trouver une "logique" commune dans l’utilisation de ces énergies. Le territoire, dans la vision productiviste, est considéré à tort comme un « vide résiduel »1. Cette conception aboutit à des formes de déterritorialisation et à la détérioration de l’environnement. En revanche, s’il est considéré comme un "bien commun" et comme source d’énergie, le territoire devient la pierre angulaire de la soutenabilité des établissements humains qui l’habitent et le façonnent. Le paysage est l’image visible du territoire, fruit d’un processus historique de "co-évolution" entre l’Homme et la nature. Le paysage est à la fois anthropique et naturel. Sa préservation est rendue possible par le travail 1. A. Magnaghi, Le projet local, 2000 99
R. Depardon, La France de Raymon Depardon, 2010
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humain, de ceux qui l’entretiennent : les agriculteurs notamment. Si le paysage constitue une richesse immatérielle, l’agriculture constitue une richesse matérielle. Pierre Donadieu, paysagiste français, soutient qu’il faudrait considérer les espaces forestiers et agricoles comme des « infrastructures publiques », des espaces « d’intérêt public »2. Ils font partie du "bien commun" et sont à l’origine de l’auto-soutenabilité d’un système. Les productions agricoles et forestières constituent la principale source d’énergie du territoire. Définir les espaces forestiers et agricoles comme d’intérêt public
Le retour à la ville La ville est aussi un lieu de richesse, matérielle et immatérielle, pour le territoire. Elle a de tout temps permis une effervescence intellectuelle, richesse immatérielle, qui peut permettre une prise de conscience écologique. La ville peut également être une source de richesses matérielles pour sa campagne. Les déchets qu’elle produit (végétaux, composts, boues de stations d’épuration, …) peuvent servir à la mise en valeur des terres agricoles. C’est en nouant ces relations d’échanges entre villes et campagnes, que l’auto-soutenabilité du territoire est possible. Si la ville doit renouer des relations avec son territoire, elle doit également se "réorganiser" en son sein. Les formes déterritorialisées que l’on rencontre dans les métropoles occidentales nient l’essence même de l’urbanité qui se caractérise par les relations sociales et par la présence des espaces publics. Ces formes déterritorialisées sont adaptées à l’utilisation de la voiture comme principal moyen de transport et réduisent la relation à l’espace urbain. Toutes standardisées, elles ont perdu de vue la signification des lieux qui participe aussi à l’équilibre urbain, dont la portée symbolique a été mise en avant par Kevin Lynch ou Augustin Bercque3. Faire de la ville, une source de richesses matérielles pour la campagne 2. P. Donadieu, Campagnes urbaines, 1998 3. K. Lynch, L’image de la cité, 1960 & A. Bercque, Etre humain sur la terre, 1996 101
Reterritorialisation et re-contextualisation Le "retour à la terre" et le "retour à la ville" nécessitent un processus de reterritorialisation - en opposition au processus de déterritorialisation. Il s’agit d’un processus de re-contextualisation de l’existant. Les espaces urbains déterritorialisés doivent être mis en lien avec leur territoire et avec l’espace public de la ville. Le territoire doit s’adapter à d’autres formes de mobilité que celle de la voiture individuelle, pour développer ces liens. Ce processus a aussi pour but de retrouver la dimension historique et symbolique des lieux déterritorialisés, qui sont devenus des "non-lieux"4. Ce processus aboutit à un "retour au territoire". Pour les territorialistes, la forme de la métropole contemporaine est à dépasser et des « mutations anthropologiques » doivent se faire, pour remettre en cause les « règles d’implantation fonctionnelles » et les manières d’habiter les « territoires post-urbains de grande échelle ». Le processus de reterritorialisation doit « initier la reconstruction des bases matérielles et des relations sociales nécessaires pour produire une nouvelle civilisation »5. Ceci fait écho à l’écosophie, concept inventé dans les années 1960 par le philosophe norvégien Arne Næss, et qui remet en cause la vision "anthropocentriste" du monde. Le concept est développé par Felix Guattari avec la définition de trois écologies : « l’écologie environnementale, sociale et mentale »6. L’écologie, sous forme de triptyque guattarien, concerne ainsi les rapports que l’Homme entretient avec la nature et l’environnement, les réalités économiques et sociales, la psyché et la production de la subjectivité humaine. Reconcevoir les relations entre tissu urbain et tissu rural ; et avec les espaces publics
4. M. Augé, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, 1992 5. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 6. F. Guattari, Les trois écologies, 1989 102
Un développement local L’écosystème territorial regorge de richesses et d’énergies, qui peuvent lui assurer son propre développement. Cette auto-soutenabilité ne peut se traduire que par une prise en compte des problématiques locales. La valorisation des richesses, du territoire "bien commun", participe à la relation "constructive" que le milieu urbain doit entretenir avec lui. Cette relation devant se faire de manière contextuelle, elle fait intervenir l’échelle locale. De la même manière, le "retour au territoire", évoqué précédemment, nécessite la prise en compte des particularités locales, de l’identité des lieux, des équilibres environnementaux, sociaux et culturels. Il se traduit par une considération du "local". On oppose souvent "local" à "global", localisme à globalisation. Si le premier terme s’intéresse aux particularités, le second considère un tout, sans distinction. Les relations entre les deux sont hiérarchisées, souvent au profit du second et au détriment du premier. L’étude des établissements humains contemporains nécessite la prise en compte de l’échelle de la mondialisation. Ce phénomène historique, qui vise à intégrer toutes les parties du monde dans un seul système, se développe en lien avec la pensée fonctionnaliste. La mondialisation est la conséquence de la mise en relation des civilisations, qui est un phénomène historique et qui s’est faite dès la Grèce antique. Elle est aussi la conséquence de la mise en place des technologies contemporaines, notamment internet qui permet une miseen-réseau immédiate et à tout moment des différentes parties du monde. La mondialisation contemporaine a permis un « bouleversement des pouvoirs »7. Aujourd’hui, les grandes puissances ne sont plus les Etats, mais des groupes multinationaux. Leur logique dépasse les frontières étatiques, qui n’ont plus de sens pour eux puisque le monde entier est mis en réseau. Ils imposent ainsi partout dans le monde un modèle de développement unique, qui ne tient pas compte des particularités locales. Ce modèle n’est plus basé sur l’investissement à long terme, mais sur des considérations spéculatives. 7. B. Stiegler, interview, L’urgence de ralentir, 2014 103
Ce modèle, qui ne s’appuie pas sur le local, n’est pas soutenable. Il ne permet aucun rapport dialectique entre les échelles. Il conduit aux formes de déterritorialisation que nous avons évoquées. Alberto Magnaghi décrit un modèle qui privilégie « la compétitivité plutôt que la coopération, l’exploitation des ressources plutôt que la valorisation du patrimoine, la polarisation sociale plutôt que la complexification »8. Pour associer le global au local, il émet l’idée d’une « globalisation par le bas », qui vise à relier de manière constructive les « réseaux locaux » avec les « réseaux globaux ». Le projet d’une société locale, défendu par les territorialistes, renvoie à « l’utopie d’un monde pluriel, déhiérarchisé et solidaire »9. Pour cela, les réseaux de la mondialisation doivent respecter le territoire local, ses particularités et ses identités. Cette "globalisation par le bas" est possible s’il est donné à la société locale, une force politique importante pour refuser le diktat spéculatif des multinationales. La question n’est pas non plus de remettre en cause la mondialisation ou de la renier, mais de "faire avec" et autrement. Définir les conditions d’une "mondialisation par le bas" pour favoriser un développement local
La bio-région urbaine Pour prendre en compte à la fois l’écosystème territorial, le local et le global, Alberto Magnaghi propose le modèle de la « bio-région urbaine » comme nouveau modèle d‘établissement humain. Elle est constituée de « la campagne habitée, des villes de villages et des réseaux de villes petites et moyennes connectées par des réseaux complexes d’infrastructures »10. Considérer la ville et son territoire dans une "région urbaine" nécessite un dépassement des frontières administratives existantes et la définition 8. A. Magnaghi, Le projet local, 2000 9. A. Magnaghi, Le projet local, 2000 10. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 104
de nouvelles frontières basées sur les relations entre les centres urbains et leur territoire, entre les ressources territoriales et les problématiques locales. Telle une ville archipel, la bio-région urbaine est constituée d’une constellation de réseaux de villes non hiérarchisées. Cette vision permet de dépasser la réalité ville-campagne et rend concret l’équilibre entre entités urbaines et territoire rural. Le « milieu régional » n’est plus seulement perçu comme un espace naturel à protéger, mais comme « un ensemble de matériaux, d’énergies et d’informations », qui contribuent à l’auto-soutenabilité de l’établissement - qui n’est pas entendu comme autosuffisance. Cette bio-région urbaine, pour exister, doit s’incarner politiquement aux deux échelles auxquelles elle s’adresse. Au niveau territorial par une puissance politique régionale, permettant la prise en main cohérente des énergies territoriales disponibles. Au niveau local, par un gouvernement local participatif, composé d’ « habitants-producteurs de territoire », responsables du territoire qui leur a été légué. Ce nouveau système politique permettrait d’allier les deux échelles évoquées précédemment et responsabiliserait les citoyens à l’échelle locale. Instaurer une puissance régionale responsable des richesses urbaines et rurales et un gouvernement local participatif
La "bonne taille" d’une ville La problématique de la "taille" de la ville doit aussi être abordée. La surpopulation des villes est un phénomène qui tend à se généraliser. Dans les pays du Sud, elle se traduit par de nouvelles pauvretés et la formation de gigantesques bidonvilles autour des centres économiques. Dans les pays du Nord, elle se traduit par l’étalement urbain, avec des formes urbaines déterritorialisées autour des métropoles. Les métropoles sont de plus en plus grandes et continuent de grossir. Nous avons largement dépassé les seuils fixés par Howard ou Ungers, de 250 000 habitants.
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Il est certain que ces seuils ne pourraient être atteints dans le cas des métropoles millionnaires. Néanmoins, cette situation pourrait évoluer11. Le développement d’une "société locale" et sa mise en valeur avec la volonté d’une "mondialisation par le bas", pourraient favoriser la création d’emplois locaux. Le développement des réseaux et des nouvelles technologies de communication pourraient également favoriser des formes de télétravail. La proximité de la métropole ne serait donc plus aussi importante. Il faudrait alors favoriser le développement des villes petites et moyennes, tout en évitant un "mitage" du territoire rural. Ce développement doit se faire en tenant compte des problématiques abordées dans cette partie. Il n’est pas question de refaire les même erreurs que nous avons critiquées dans ce mémoire : déterritorialisation, non-prise en compte du territoire rural et des particularités locales, ... Ces villes pourraient s’approcher d’un nombre d’habitants "acceptable", qui ne soit ni trop élevé pour favoriser un lien entre la ville et son territoire, entre l’homme et la terre ; ni trop bas pour permettre une vie économique et sociale importante. Le développement de ces villes favoriserait l’établissement d’une "société locale". Cette stratégie s’inscrit dans la vision territorialiste de la "bio-région urbaine", constituée de « réseaux non hiérarchique de villes, en équilibre et en synergie avec leurs zone rurales »12. Favoriser les emplois locaux et le télétravail, tout en protégeant l’espace rural, pour développer un réseau non hiérarchique de villes
11. Nous prenons le cas des pays du Nord, qui ne sont plus des sociétés industrielles, mais de service. 12. A. Magnaghi, La biorégion urbaine, 2012 106
On peut retrouver dans l’approche territorialiste, des influences que nous avons évoquées dans ce mémoire. L’auto-soutenabilité du système qui est indispensable pour le modèle de la cité grecque ou pour les kibboutz en Palestine, tout comme la notion de communauté et d’habitants-acteurs responsables. Le rapport à la terre et à la production agricole comme richesse du territoire est aussi très présente dans ces deux exemples, tout comme dans la vision américaine de Frank-Lloyd Wright, dans le projet de Claude-Nicolas Ledoux, ou dans les cités-jardins d’Ebenezer Howard. La multipolarité, chère à Howard est aussi mise en avant. Oswald Mathias Ungers la défendra également dans son projet berlinois de ville archipel « La ville dans la ville ». Ces deux derniers projets développent également le rapport entre la ville et la campagne. Howard choisit la « ville-campagne », plutôt que les deux séparément. Ungers reprend cette vision pour son projet de Berlin, pour en faire « un archipel vert ». Ce lien est aussi indispensable dans le modèle de la Cité Grecque qui intègre l’un comme l’autre. La fresque du « Bon Gouvernement » à Sienne nous rappelle que cette relation est essentielle : « La santé de la campagne est le premier signe de santé de la ville ».
La bio-région urbaine, tout en tenant compte des leçons du passé, propose un nouveau modèle d’établissement humain "soutenable". Elle peut être une alternative crédible à la métropole contemporaine. Elle est une utopie concrète.
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Conclusion
Nous avons étudié, au cours de ce mémoire, les fondements de la "crise environnementale", que nous pouvons qualifier de "crise écologique". Cette crise est profonde et concerne notre manière d’habiter notre planète et le rapport que nous entretenons avec notre environnement. Ce n’est pas la Terre, notre environnement, qui est en danger, mais la survie de l’espèce humaine. L’impact que l’Homme a sur son environnement remet en cause sa propre existence.
L’Homme cherche aujourd’hui à réduire l’impact de cette crise. Il cherche à traiter les conséquences, notamment du dérèglement climatique, sans en traiter la cause. Tenter de contenir l’augmentation de la température à l’échelle planétaire est une chose ; décréter que nous devons changer notre rapport à notre environnement en est une autre, beaucoup plus fondamentale. Le dérèglement climatique a des conséquences sans précédent sur notre environnement. Dans certaines régions du monde, le changement climatique sera tel que des populations devront quitter leurs terres pour leur survie. On pourra parler du "quatrième exode". Contrairement aux trois précédents, évoqués dans notre étude, celui-ci dépassera la dualité ville-campagne et se fera à une échelle planétaire, entre régions du globe.
Il faut dépasser les conséquences et prendre conscience collectivement de la cause de la crise. Depuis la révolution industrielle, le développement humain s’est fait au détriment de la relation à son environnement, sans 109
en "prendre soin". Décréter l’entrée dans l’Anthropocène, nouvelle ère présentée dans ce mémoire, serait admettre que nous avons quelque peu "dépassé les bornes". Au-delà du débat scientifique, pour décréter officiellement l’entrée dans une nouvelle ère, le concept de l’Anthropocène est un formidable message qui participe à la prise de conscience.
Pourtant, la pensée "techno-optimiste" semble très partagée. Elle revient à penser que nous pouvons résoudre les crises environnementales, provoquée par l’Homme, grâce au progrès technique. Cette vision va à l’encontre du constat que nous avons fait. Elle pousse à une artificialisation encore plus importante de notre planète. Elle ne s’intéresse pas aux causes de la crise environnementale mais s’entête dans une "fuite en avant" qui est dangereuse et mortifère. Jared Diamond, dans son livre Effondrement, cherche à nous faire comprendre, par des faits historiques, comment une société peut s’effondrer à cause de « problèmes environnementaux »1. Il fait notamment référence à l’effondrement de la société pascuane, sur l’île de Pâques. Les habitants de cette île, très isolée dans le Pacifique, avaient réussi à construire une société équilibrée et adaptée à son environnement, pourtant limité en ressource. Néanmoins, le culte de leurs ancêtres se traduisait par l’érection de statues gigantesques, consommatrice de nombreuses ressources de l’île, notamment en bois. Une longue période de sécheresse les poussa sans doute à en ériger d’avantage, pour faire appel aux esprits et aux Dieux, ce qui provoqua une grave crise environnementale. L’érosion des sols due à la déforestation, la pénurie de bois et les famines ont conduit à une crise sociale et aboutit à l’effondrement de cette société. L’exemple de l’île de Pâques nous montre que notre survie tient dans la relation que nous entretenons avec notre environnement. Ce dialogue entre l’Homme et son milieu, est complexe et fragile. Il tient en un concept : l’écologie, qu’il faut mettre en pratique. L’exemple du mythe 1. J. Diamond, Effondrement, comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, 2005 110
d’Icare illustre parfaitement ce "juste milieu" écologique. Bernard Huet le reprend en préface du livre de Manfredo Tafuri, Projet et utopie2. Si ses ailes lui permettent de voler au-dessus de l’océan et de « s’affranchir d’une contrainte imposée par la Nature », Icare doit prendre soin de ne voler ni trop près de l’océan, ni trop près du soleil. Grisé par ce nouveau pouvoir, il en oublie les conseils de son père, s’approche trop près du soleil, ce qui conduit à sa perte, à son effondrement ... « Quand Dédale, constructeur du Labyrinthe et père mythique des architectes, transmit à son fils Icare le pouvoir de transgresser par "l’invention" les lois édictées par les Hommes et celui de s’affranchir des contraintes imposées par la Nature, il prit soin de lui faire deux recommandation qui fixaient les limites "mortelles" de son entreprise : ne pas voler trop haut près du soleil qui ferait fondre la cire de ses ailes; mais aussi ne pas voler trop bas, près de la mer dont l’eau alourdirait ses plumes. Le récit ajoute qu’Icare, enivré par son nouveau pouvoir, oublia les avertissements de son père. Il ne put se retenir de voler trop haut et il en périt. » B. Huet, Préface de Projet et utopie, 1979
La prise de conscience écologique, que nous avons évoquée, nécessite un changement radical de posture. La réponse que nous devons apporter à la "crise écologique" ne peut être partielle ou se résumer à de bonnes pratiques. Il faut remettre en cause le système actuel, qui pousse à la dégradation de l’environnement, à l’urbanisation sans limite, ... Dédale, « père mythique des architectes », nous rappelle à l’ordre, et à la raison. En tant qu’architectes, urbanistes, nous sommes des acteurs du territoire qui pouvons engager ce changement. C’est de notre responsabilité de proposer de nouvelles formes d’établissements humains et de restaurer le dialogue avec l’environnement.
2. B. Huet, Préface de : M. Tafuri, Projet et utopie, Paris : Dunod, 1979 111
C.D. Friedrich, Femme dans le soleil du matin, 1818
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Le dialogue entre l’Homme et son environnement, que nous avons assimilé au terme "écologie", est ainsi la clef de notre démonstration. Néanmoins, le mot "écologie" est connoté de manière assez péjorative dans notre société. Il est rare qu’on l’entende dans son sens étymologique. Il convient de trouver un nouveau terme pour mettre en avant ce que ce concept veut réellement signifier et donner un élan à la vision que nous avons développée dans ce mémoire. Comme pour l’Anthropocène, ou comme la vision de la Terre depuis Apollo 17, ce nouveau terme, cette nouvelle "image", doit évoquer une posture commune, qui doit devenir réalité. Nous empruntons le concept d’ "écosophie", inventé par le philosophe Arne Næss en 1960. Il décrit une forme d’écologie, qui s’oppose à la vision anthropocentriste. Il ne place pas l’Homme « au sommet du vivant ». Etymologiquement, il se traduit du grec : oïkos - maison et sophia sagesse. En y ajoutant le suffixe "isme", on qualifie ainsi une attitude. La sagesse lui indiquant la voie du dialogue, et non celle de la confrontation, l’écosophisme vient définir la posture que l’Homme doit adopter avec son environnement.
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Bibliographie
Marc AUGE, Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris : Seuil, 1992 Augustin BERCQUE, Etre humain sur la terre : principes d’éthique de l’écoumène, Paris : Gallimard, 1996 Ernst BLOCH, Le principe espérance, Paris : Gallimard, 1977 Françoise CHOAY, L’urbanisme, utopies et réalités, Paris : Points, 2014 Gilles CLEMENT, Le jardin planétaire : Réconcilier l’homme et la nature, Paris : Albin Michel, 1999 Lorette COEN, Institut Claude-Nicolas Ledoux, A la recherche de la cité idéale, Arc et Senans : Institut Claude-Nicolas Ledoux, 2000 Gilles DELEUZE, Felix GUATTARI, L’anti-oedipe, Paris : Éd. de Minuit, 1972 Jared DIAMOND (2005), Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Paris : Gallimard : 2006 Pierre DONADIEU, Campagnes urbaines, France : Actes sud, 1998 Michel FOUCAULT, Les Hétérotopies, Paris : Lignes, 2009 Felix GUATTARI, Les trois écologies, Paris : Galilée, 1989 Bernard HUET, Préface : M. TAFURI, Projet et utopie, Paris : Dunod, 1979 Bruno LATOUR, Face à Gaïa, Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris : Ed. de la Découverte, octobre 2015 Marc-Antoine LAUGIER, Essai sur l’architecture, Paris : Duchesne, 1755 115
LE CORBUSIER, La ville radieuse, Paris : Vincent, 1964 Jean LECLERC, Jacques TARRETE, Dictionnaire de la préhistoire, Paris : Presses Universitaires de France, 1988 Claude Nicolas LEDOUX (1804), L’architecture, considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation, Paris : Herman, 1997 Jacques LEVY & Michel LUSSAULT (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris : Belin, 2003 James LOVELOCK, La Terre est un être vivant, l’hypothèse Gaïa, Paris : Flammarion, 1999 Kevin LYNCH, L’image de la cité, Paris : Dunod, 1969 Alberto MAGNAGHI (2000), Le projet local (traduit et adapté par M.Raiola et A.Petita), Sprimont : Mardaga, 2003 Alberto MAGNAGHI (2012), La biorégion urbaine : petit traité sur le territoire comme bien commun (traduit par E.Bonneau), Paris : Eterotopia, 2014 Marcel MAZOYER & Laurence ROUDART, Histoire des agricultures du monde, Paris : Seuil, 1997 Lewis MUMFORD (1966), La cité à travers l’histoire, Marseille : Seuil, 2011 Christian NORBERG-SCHULZ, Genius Loci : paysage ambiance architecture, Liège : Pierre Mardaga, 1981 Michel ONFRAY, Le recours aux forêts : la tentation de Démocrite, France : Galilée, 2009 Dominique ROUILLARD, Superarchitecture : le futur de l’architecture 19501970, Paris : La Villette, 2004 Manfredo TAFURI, Projet et utopie, Paris : Dunod, 1979 Oswald Mathias UNGERS, Rem KOOLHAAS, La ville dans la ville : Berlin un archipel vert (édition critique de F.Hertweck et S.Marot), Zürich : Lars Müller, 2013 116
VITRUVE (33-14 av. J-C), De Architectura libri decem, Edition établie par Auguste Choisy, 1910
POÉSIE Victor HUGO, La légende des siècles, Paris : Robert Laffont, 1985 Emile VERHAEREN, Les Campagnes hallucinées, Paris : Gallimard, 1982
COURS Paolo AMALDI, Culture VS Nature, Cours d’histoire de l’architecture, H21, ENSA-Versailles, 2012 Luc VILAN & Roland VIDAL, La métropole oubliée, Séminaire de cours, P45, ENSA-Versailles, 2015
ENTRETIENS Bernard STIEGLER, L’urgence de ralentir, Mobilisations militantes N°4, 4 septembre 2014 - https://www.youtube.com/watch?v=uoDDPSShxqM
FILMOGRAPHIE Raymond DEPARDON, La vie moderne, 2008 Raymond DEPARDON, Profils paysans, 2001 Sean PENN, réalisateur, Into the Wild, Etats-Unis : Paramount, 2007 Coline SERREAU, Solutions locales pour un désordre global, 2010
DISCOGRAPHIE Kraftwerk, Autobahn, 1974 - Radioactivity, 1975 Tryo, Ce que l’on sème, 2008 - Ladilafé, 2012 117
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Table des matières
Introduction.................................................................................................................... 13 I. La construction de la ville.................................................................................... 17 1. La création de la cité....................................................................................... 19 La révolution agricole........................................................................................ 19 Le début de la civilisation.................................................................................... 21 La Cité Grecque..................................................................................................... 23 Le modèle romain................................................................................................. 24
2. Révolutions et exodes..................................................................................... 27 « L’air de la ville rend libre ».............................................................................. 27 La révolution industrielle.................................................................................. 31 Vers un monde totalement urbanisé................................................................. 33
3. Utopies et réalités............................................................................................. 37 Avant la ville, il y eut un jardin......................................................................... 37 Fin du XVIIIème siècle - Claude-Nicolas Ledoux - Les salines de Chaux.......... 39 Fin du XIXème siècle - Ebenezer Howard - Les cités jardins.............................. 41 Début du XXème siècle - Frank Lloyd Wright - Broadacre city........................ 41 Début du XXème siècle - Les kibboutz israéliens................................................. 43 Fin du XXème siècle - Oswald Mathias Ungers - « La ville dans la ville »...... 45
II. Un système en crise................................................................................................... 49 1. Culture VS Nature............................................................................................. 51 Un changement progressif................................................................................. 51 Une seconde nature artificielle : territorialistes et techno-optimistes... 53 Crise écologique : de l’holocène à l’anthropocène........................................ 57
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2. Oppositions........................................................................................................... 61 Expériences individuelles.................................................................................... 61 Expériences collectives....................................................................................... 63
3. Déterritorialisation......................................................................................... 75 Territoire - déterritorialisation - « non-lieux »............................................. 75 La métropole contemporaine............................................................................. 77 L’influence métropolitaine.................................................................................. 81
III. Le retour au territoire.......................................................................................... 85 1. Changer de paradigme..................................................................................... 87 Néo-écosystèmes et co-évolution..................................................................... 87 Une utopie concrète............................................................................................. 88
2. Ecologie urbaine et co-évolution............................................................. 91 Redéfinir la relation ville - territoire.............................................................. 91 L’écosystème territorial...................................................................................... 92 Le territoire comme "bien commun".................................................................. 95 Le « jardin planétaire »........................................................................................ 97
3. Une société locale............................................................................................. 99 Le retour à la terre.............................................................................................. 99 Le retour à la ville............................................................................................. 101 Reterritorialisation et re-contextualisation............................................... 102 Un développement local.................................................................................... 103 La bio-région urbaine........................................................................................ 104 La "bonne taille" de la ville.............................................................................. 105
Conclusion...................................................................................................................... 109 Bibliographie.................................................................................................................. 115 Table des matières........................................................................................................ 119
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ENSA-Versailles - Master 2 - 2015/2016 Frank RAMBERT enseignant Florian GAULIN étudiant Mémoire imprimé en 5 exemplaires
ENSA-V - 2015/2016 Frank Rambert enseignant