Déplacement interne: dix ans de Principes directeurs
BROOKINGS
décembre 2008
Migrations Forcées offre une tribune pour un échange régulier d’informations et d’idées entre chercheurs, réfugiés et déplacés internes ainsi que tous ceux qui travaillent avec eux. Elle est publiée en français, anglais, espagnol et arabe.
Rédactrice en chef
Marion Couldrey et Maurice Herson
Assistant à la rédaction Musab Hayatli
Coordinatrice Heidi El-Megrisi
Assistante Sharon Ellis
Revue Migrations Forcées
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Assistant à la rédaction
FMR – GP10
Steve Elliott
Revue des Migrations Forcées
De la part des rédacteurs en chef La conférence internationale sur les dix ans des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, qui s’est tenue à Oslo les 16 et 17 octobre 2008, fut l’occasion d’analyser les réussites et les défauts des Principes directeurs, depuis leur lancement en 1998. En outre, cette conférence avait pour objectif de susciter une plus grande volonté politique permettant d’incorporer les Principes dans des cadres régionaux, nationaux et mondiaux puis d’encourager leur mise en pratique. Ce numéro spécial de RMF se fait l’écho des discussions qui ont eu lieu lors de la conférence, avec des versions abrégées de certaines présentations qui y ont été données, et inclut aussi une sélection d’autres articles, dont la plupart sont des études de cas sur la mise en application des Principes directeurs dans différents pays. Malheureusement, le nombre de groupes de PDI à travers le monde est trop élevé pour qu’ils soient tous représentés dans ce numéro de 40 pages, cependant nous espérons que les articles qui y sont publiés seront tout autant utiles et pertinents dans d’autres contextes. Nous aimerions remercier Khalid Koser (ancien collaborateur du Projet Brookings-Bern sur le déplacement interne) et Christophe Beau (NRC/IDMC) qui nous ont apporté une aide des plus précieuses lors de la préparation de ce numéro spécial, ainsi que toutes les personnes qui y ont contribué. L’édition française est disponible en ligne, sur http://www.migrationforcee.org/ principesdirecteurs10.htm. Ce numéro sera aussi publié en anglais, en arabe et en espagnol. Amicalement, Marion Couldrey & Maurice Herson Rédacteurs en chef, Revue des Migrations Forcées Ce numéro spécial a été publié avec le soutien du Conseil norvégien pour les réfugiés (et de l’Observatoire des situations de déplacement interne), du Ministère norvégien des Affaires étrangères et du Projet Brookings-Bern sur le déplacement interne.
table des matières Avant-propos John Holmes
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Genèse et défis Roberta Cohen et Francis M Deng
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Conception/design
Réussites, défis et recommandations Conclusions de la Conférence pour le dixième anniversaire des Principes directeurs : 16 – 17 octobre 2008, Oslo
Imprimerie
Évolution de la protection juridique des PDI Cordula Droege
Tim Morris (www.timmorris.info)
Art24 www.art-24.co.uk
Image Production www.imageproduction.co.uk ISO 14001 certified
Evaluer l’impact des Principes : une tache inachevée Elizabeth Ferris
ISSN 1460-9819
Les Principes directeurs et la responsabilité de protéger Erin Mooney
Photo de page de couverture :
Des Congolaises déplacées de l’intérieur en train d’attendre, lors d’une distribution de nourriture à Kibati, en bordure de Goma, la capitale provinciale de l’Est de la RDC. IRIN/Les Neuhaus
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Succès et limitations des Principes directeurs en Birmanie le Consortium Frontalier entre la Birmanie et la Thaïlande
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Protéger les PDI en Europe Corien Jonker
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L’expérience des Principes directeurs en Géorgie Iulia Kharashvili, Ilya Kharashvili et Koba Subeliani
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Afrique : des principes facultatifs se transforment en normes contraignantes Brigitta Jaksa et Jeremy Smith
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Les principes directeurs peuvent-ils faire une différence au Kenya? Jacqueline Klopp et Nuur Mohamud Sheekh 19
L’Ouganda face aux déplacements : contraste entre politique et pratique Ruth Mukwana et Katinka Ridderbos
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Le Principe directeur 29 et le droit à la restitution Rhodri C Williams
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Obstacles à la mise en place du principe directeur 29 en Afghanistan Megan Bradley
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Rechercher l’égalité du droit de vote pour les PDI Jeremy Grace et Jeff Fischer
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Il est temps de mettre en application les Principes directeurs au Népal Shiva K Dhungana
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Les rapatriés de Sierra Leone Claudena Skran
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Le Principe directeur 27 lors d’une intervention aux Philippines Sara McHattie
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Le déplacement interne en République centrafricaine Laura Perez
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L’UNHCR et les Principes directeurs Khassim Diagne et Hannah Entwisle
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La formation permet de renforcer la protection des PDI Kim Mancini Beck
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Le futur des Principes directeurs Walter Kälin
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Outils et ressources
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS
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Avant-propos John Holmes
Pour la communauté internationale, le déplacement interne demeure l’un des plus grands défis à relever.
Les personnes déplacées de l’intérieur (PDI) sont moins clairement identifiées et protégées que les réfugiés mais sont souvent profondément vulnérables. Elles risquent aussi de perdre leurs biens et leur mode de subsistance, d’être séparées de leur famille et de souffrir de discrimination simplement parce qu’elles sont déplacées. De plus, elles manquent souvent de documents d’identité : elles ont ainsi de grandes difficultés à accéder aux services essentiels et sont dans l’incapacité d’exercer leurs droits politiques. Les PDI sont aussi souvent plus susceptibles d’être maltraitées que les autres groupes, comme l’indique le taux élevé de violences sexuelles et sexistes dans les situations de déplacement interne. Toutefois, la vulnérabilité la plus délicate à mesurer reste la perte de leur dignité et, plus le déplacement se prolonge, la perte graduelle de leur espoir. Une fois la catastrophe ou les conflits passés, mettre fin aux déplacements demeure souvent notre plus grand défi, et le plus difficile à relever. En général, dans ces circonstances, l’attention nationale et internationale vis-à-vis des souffrances des PDI se dissipe et il peut s’avérer difficile d’atteindre des solutions durables. Souvent, le soutien que reçoivent les PDI est insuffisant et ne dure pas assez longtemps pour leur permettre de reprendre leur vie dans la dignité et la sécurité, tandis que les activités de relèvement dans les régions où elles désirent vivre sont souvent réalisées trop lentement. Il est aussi vital que notre travail de protection des PDI soit basé sur la défense de leurs droits humains. Les droits humains ne sous-tendent pas seulement l’action humanitaire pour la protection des PDI mais permettent aussi de distinguer les acteurs ayant des droits et ceux ayant des devoirs. Les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays2 énoncent
clairement les droits des PDI et les obligations correspondantes pour les autorités nationales. Leur publication, il y a dix ans, par Dr Francis Deng, l’ancien Représentant du Secrétaire général chargé de la question des personnes déplacées, et Sérgio Vieira de Mello, l’ancien Coordonnateur des secours d’urgence, a représenté un grand tournant en ce qui concerne la protection des PDI. Comme le démontrent les articles de ce numéro spécial de RMF, nous avons parcouru un long chemin ces dix dernières années. Les Principes directeurs sont devenus la norme internationale acceptée pour les PDI ; un nombre croissant d’États les ont intégrés à leur législation nationale ; et ils sont devenus le point de référence pour les acteurs humanitaires et de défense des droits humains (nationaux et internationaux) lors de situations de déplacement interne. Et surtout, les Principes directeurs ont rendu les PDI elles-mêmes plus conscientes de leurs droits. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire. La plupart des États touchés par les déplacements n’ont toujours pas de lois ou de politiques nationales relatives aux PDI ; de nombreuses PDI ignorent toujours quels sont leurs droits ; et de nombreux obstacles persistent pour que ces droits soient partout respectés. Je me réjouis donc que ce Numéro Spécial nous donne l’occasion de partager nos expériences et d’en tirer des enseignements, d’identifier les carences et de nous organiser pour l’avenir. Enfin, j’en appelle aux
Pedram Yazdi
Vingt-six millions de personnes sont déplacées au sein de leur pays à cause de conflits armés ; beaucoup d’autres encore ont été déplacées par des catastrophes naturelles ou d’origine humaine et leur nombre continuera sans doute à augmenter sous l’effet des changements climatiques.1
gouvernements pour qu’ils respectent les responsabilités qui sont les leurs selon les Principes directeurs, ainsi qu’à la communauté internationale pour qu’elle apporte un soutien plus prononcé aux gouvernements et aux PDI elles-mêmes. John Holmes est le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence de l’ONU. Pour de plus amples informations, veuillez écrire à : dpss@un.org. 1. Veuillez consulter le numéro récent de RMF sur les changements climatiques et les déplacements: http:// www.migrationforcee.org/changementsclimatiques.htm 2. http://www.idpguidingprinciples.org/
Camp de PDI d’Eldoert, au Kenya, janvier 2008.
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS
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Genèse et défis Roberta Cohen et Francis M Deng
Le besoin de normes internationales pour protéger et assister les personnes déplacées de l’intérieur est né de l’éclatement des guerres civiles dans les dix dernières années du XXème siècle, qui ont provoqué le déracinement de millions de personnes déplacées au sein des frontières de leur propre pays. La Convention sur les réfugiés de 1951 ne portait pas sur les personnes déplacées de l’intérieur. Ainsi la responsabilité quant au bien-être et à la sécurité des PDI en incombait aux gouvernements mais la plupart n’avaient pas les capacités ou la volonté de remplir ces obligations. En outre, les organisations internationales et les ONG n’avaient à leur disposition aucune règle précise d’engagement envers les PDI qui avaient besoin d’assistance et dont le nombre croissait rapidement. De nombreuses voix ont alors commencé à demander la création d’un document international qui définirait les droits des PDI et les obligations des gouvernements envers celles-ci. La mise en place d’un cadre juridique pour les PDI est alors devenue l’une des tâches principales entreprises par le Représentant du Secrétaire général chargé de la question des personnes déplacées, Francis Deng, suite à sa nomination en 1992. Sa mission a été une suite de défis considérables :
■■ traiter avec les sensibilités des
gouvernements qui se méfiaient des attaques potentielles contre leur souveraineté
■■ garantir que les normes internationales seraient basées sur un concept rassembleur et consensuel
■■ confirmer aux États que les PDI
tombaient sous leur responsabilité souveraine, tout en affirmant que cette souveraineté s’accompagne de l’obligation de protéger ces populations vulnérables et de leur porter secours.
Le concept de la souveraineté en tant que forme de responsabilité est alors devenu le fondement du cadre normatif qui allait être créé. Certaines personnes, surtout parmi le personnel humanitaire, craignaient que le fait d’isoler un groupe pourrait se transformer en discrimination contre d’autres. Toutefois, l’équipe juridique assemblée par le Représentant a trouvé une abondance de précédents en droit international permettant d’offrir des
protections spéciales aux groupes désavantagés, que ce soit des réfugiés, des minorités, des personnes handicapées, des femmes ou des enfants. Identifier les droits des PDI et les obligations des gouvernements n’avait pas pour but de créer un statut privilégié mais plutôt de garantir que, dans une situation donnée, les PDI recevraient protection et assistance - au même titre que les autres populations. L’équipe chargée des questions juridiques a dû considérer quelle démarche serait la plus adéquate afin de rédiger ces principes. Les juristes américains défendaient une démarche fondée sur les besoins, c’est-à-dire d’identifier d’abord les besoins des PDI puis d’étudier comment le droit existant, y compris le droit coutumier et ses résolutions, pourrait y répondre. D’autres, en particulier les Européens, défendaient une démarche plus traditionnelle, axée sur les droits fondamentaux, c’est-à-dire de prendre uniquement en considération le droit ayant caractère obligatoire1 pour définir les droits dont jouissent les PDI. Ce processus était régi par Walter Kälin2, qui réussit adroitement à rassembler les deux camps et à unifier les différents textes. La « compilation et analyse des normes légales » qui en a résulté a ensuite été présentée en deux parties au Représentant de la Commission des droits de l’homme en 1996 et en 1998. La difficulté suivante était de décider si les droits des PDI devaient être inclus dans une déclaration, une convention ou des principes. C’est finalement cette dernière option qui l’a emporté, pour trois raisons principales. Premièrement, l’idée d’un traité juridiquement contraignant n’avait pas de soutien, étant donnée la sensibilité de la question de la souveraineté. Deuxièmement, l’élaboration d’un traité aurait pu prendre des dizaines d’années, alors que le document était nécessaire de toute urgence. Troisièmement, un nombre suffisant de lois internationales existaient déjà pour protéger les PDI. Il fallait donc réaffirmer la loi, d’une manière qui corresponde explicitement aux préoccupations des PDI.
La définition même des PDI était un autre problème de taille. Pour certains, les PDI ne comprenaient que les personnes déracinées par les conflits ou les persécutions - des personnes qui seraient considérées comme réfugiés si elles avaient franchi une frontière. Pour d’autres, il fallait aussi inclure les personnes déplacées par les catastrophes naturelles et les projets de développement. Comme il fut reconnu que ces dernières étaient aussi déplacées contre leur gré et faisaient face aux mêmes problèmes liés aux droits humains et à la protection, c’est finalement la définition la plus large qui a été retenue. La controverse qui vit le jour au sujet des Principes n’était pas tant due à leur contenu qu’à la manière suivant laquelle ils avaient été mis au point. Pour la première fois, des experts internationaux situés hors du processus traditionnel intergouvernemental avaient ébauché, révisé et achevé un document juridique international de grande envergure. Cinquante experts internationaux indépendants finalisèrent les Principes directeurs lors d’une conférence à Vienne organisée par le gouvernement autrichien, l’un des principaux parrains des Principes. Le Représentant présenta ensuite les Principes à l’ONU en 1998. Peu de temps après, un groupe de gouvernements restreint mais qui savait se faire entendre, avec à sa tête l’Egypte, le Soudan et l’Inde, a commencé à remettre en question l’autorité des Principes et à demander si leur élaboration par des acteurs non gouvernementaux ne constituait pas un précédent. Pour répondre à leurs préoccupations, le gouvernement suisse a alors organisé une série de réunions, à partir de 2001, suite auxquelles les Etats récalcitrants ont abandonné leurs réticences et exprimé leur soutien pour les Principes. Ils ont été particulièrement rassurés par le fait que les experts impliqués n’avaient pas créé de nouvelles lois mais surtout compilé et reformulé ce qui avait déjà été négocié et accepté par les gouvernements. Ils ont aussi été influencés par les nombreux gouvernements du Groupe des 77 - une coalition de nations en développement 3- qui avaient vite compris que les Principes offraient un outil indispensable pour faire face aux déplacements à l’intérieur de leur pays. Sérgio Vieira de Mello, alors Secrétaire général adjoint aux affaires
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS
humanitaires, a été le premier à agir en appelant les organes humanitaires et de développement de l’ONU et les groupes rassemblant diverses ONG à se réunir au sein du Comité permanent interorganisations (CPI) - le mécanisme principal de coordination interorganisations de l’assistance humanitaire4 - afin d’inaugurer les Principes. Le CPI les a depuis largement disséminés et appliqués sur le terrain. Le Projet Brookings sur les déplacements internes5 a oeuvré avec des organisations internationales, régionales et issues de la société civile à travers le monde afin que les Principes soient reconnus internationalement. En 2005, plus de 190 pays ont adopté le Document final du Sommet mondial6, qui
reconnaît spécifiquement les Principes directeurs comme un cadre international primordial pour la protection des PDI. Issus d’un processus commencé il y a tout juste dix ans, les Principes directeurs comblent aujourd’hui un vide dans le système international de protection des personnes déplacées. Roberta Cohen (rcohen@brookings.edu) est conseillère principale pour le Projet Brookings-Bern sur le déplacement interne, qu’elle a aidé à fonder et codirigé pendant 12 ans. Elle est aussi membre principal associé à l’Institut pour l’étude des migrations internationales à l’Université de Georgetown. Son ancien
co-directeur, Francis Deng (dengf@un.org), était le Représentant du Secrétaire général chargé de la question des personnes déplacées de 1992 à 2004 et est maintenant Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide. 1. Le « droit à caractère obligatoire » est une expression utilisée par les juristes pour décrire la nature juridiquement contraignante de différents accords ou dispositions qui laissent peu de place au pouvoir discrétionnaire et à l’interprétation. 2. Walter Kälin est le Représentant du Secrétaire général pour les droits de l’Homme des personnes déplacées dans leur propre pays depuis 2004. 3. http://www.g77.org/ 4. http://www.humanitarianinfo.org/iasc/ 5. http://www.brookings.edu/projects/idp.aspx 6. http://www.un.org/summit2005/presskit/fact_sheet.pdf
NRC/Truls Brekke
Engagements vis-à-vis de la protection des PDI
La conférence d’Oslo sur les Principes directeurs a inclus une session nommée « Acteurs humanitaires - Engagement vis-à-vis de la protection des PDI ». Les communicants spécialisés étaient António Guterres, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, John Holmes, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, et Angelo Gnaedinger, Directeur général du Comité international de la Croix-Rouge : En l’absence d’instruments contraignants, les Principes directeurs sont devenus un instrument de protection des plus adéquats. Pour nous, ils représentent plus qu’une simple compilation et répétition de règles juridiques. En effet, les Principes directeurs ont joué un rôle prépondérant pour structurer nos responsabilités vis-à-vis des personnes déplacées, à savoir tous les aspects de la protection. António Guterres (traduction)
[…] les Principes directeurs ont en effet apporté un cadre utile permettant de guider les réponses des gouvernements, des travailleurs de l’humanitaire et des autres acteurs, lorsque des catastrophes naturelles ont lieu. Toutefois, comme dans tout contexte de déplacement, il nous reste encore tous à faire des efforts pour les intégrer de manière constante à nos politiques et nos pratiques. Je réitère mon engagement, et celui de mon personnel, à soutenir tous les acteurs, et en particulier les gouvernements, afin de garantir que les critères définis par les Principes directeurs soient atteints. Si nous voulons respecter notre engagement et mettre fin aux souffrances des millions de personnes qui sont et qui seront déplacées par des catastrophes naturelles, nous n’avons pas d’autre choix. John Holmes (traduction) L’acronyme « PDI » ne donne qu’une piètre idée des dures réalités
auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés dans de nombreuses régions du globe. Rien qu’en août (2008), plus d’un demi-million de personnes ont été forcées de fuir de chez elles, suite à la reprise de trois conflits : en Géorgie, dans les zones frontalières entre le Pakistan et l’Afghanistan et dans le sud des Philippines. Ces dernières semaines, des dizaines de milliers de personnes ont aussi dû prendre la fuite au Sri Lanka, en Somalie, dans l’est du Congo et dans bien d’autres régions où les hostilités et les attaques contre les citoyens continuent sans cesse depuis des années. Nous nous engageons à atteindre toutes ces populations dont la détresse est profonde et auxquelles il est urgent d’offrir des biens et des services essentiels et - surtout - d’apporter un peu de sécurité et d’espoir. Angelo Gnaedinger (traduction)
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Réussites, défis et recommandations Conclusions de la Conférence pour le dixième anniversaire des Principes directeurs : 16 – 17 octobre 2008, Oslo situations de déplacement provoquées par des catastrophes naturelles.1
La conférence d’Oslo a réaffirmé l’importance des Principes directeurs comme un outil permettant de faire respecter les droits des PDI. Cette importance a aussi été corroborée par le nombre encourageant de pays qui ont confirmé avoir incorporé les Principes, dans leurs lois et politiques nationales, et par une variété d’acteurs qui les trouvent utiles pour permettre la promotion les droits des PDI. Toutefois, la conférence a aussi mis en lumière le besoin d’un plus grand soutien politique et financier pour garantir la protection complète des PDI. Les Etats ont été exhortés à développer et renforcer leurs politiques pour inclure: (1) des mesures préventives pour éviter les déplacements, (2) des procédures d’atténuation des crises à mettre en place une fois que les déplacements ont eu lieu et (3) des solutions durables. Il est urgent que les acteurs de l’humanitaire et du développement, les gouvernements et les institutions financières travaillent ensemble pour garantir des solutions durables face au déplacement. Des approches conjointes sont aussi nécessaires pour répondre aux défis qui accompagnent les déplacements forcés, dont l’échelle et la complexité sont croissantes, et de garantir que les normes établies par les Principes directeurs soient respectées.
Réussites Les participants à la conférence ont souligné l’importance des Principes directeurs, qui sont devenus une référence essentielle pour la mise au point de cadres normatifs dans le droit et les politiques internes concernant les PDI. Par exemple, en Turquie, le gouvernement a intégré les Principes directeurs à son document de Stratégie et a aussi basé sa Loi de Compensation sur ceux-ci. Avec l’aide de l’ONU, le modèle utilisé pour élaborer le Plan d’action de la province de Van est en train d’être adapté afin de couvrir d’autres provinces. D’autres exemples, au Mozambique et aux Maldives, ont aussi été donnés, confirmant combien il est pertinent d’intégrer les Principes directeurs à la législation nationale dans les
Au niveau régional, l’Organisation des Etats américains et le Conseil de l’Europe2 ont recommandé à leurs Etats membres d’adopter les Principes directeurs en adaptant la législation nationale. En Afrique, le Protocole des Grands Lacs sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en interne comprend l’obligation légale, pour les Etats signataires, d’incorporer les Principes directeurs au droit interne. La situation en Colombie a permis de mettre en lumière le rôle essentiel du système judiciaire et des organisations de la société civile pour promouvoir les Principes directeurs et s’assurer que les autorités remplissent leurs engagements et leurs obligations. Lors de cette discussion, il est apparu évident que les Principes directeurs sont un outil opérationnel de grande valeur pour les acteurs engagés dans la protection et l’assistance des PDI. Du point de vue des organisations humanitaires, les Principes ont permis de façonner les opérations humanitaires et de protection. Ils sont aussi la référence principale sur laquelle les pratiques et les normes humanitaires et de protection sont élaborées.3 En ce qui concerne les déplacements provoqués par des catastrophes naturelles, la conférence a confirmé que les Principes directeurs offrent un cadre utile pour réduire les risques liés aux catastrophes, atténuer la crise du déplacement et mettre fin aux déplacements après les catastrophes. Dans
Paul Jeffrey/Action by Churches Together
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les situations de déplacements causés par des catastrophes, les risques liés à la protection sont fréquemment sousestimés. Dans les pays ou les catastrophes frappent régulièrement, les Principes directeurs devraient être utilisés pour construire des partenariats plus étroits entre les gouvernements, les fournisseurs d’aide et la société civile, dans le cadre de la prévention des catastrophes. L’Organisation internationale pour les migrations a salué le rôle des Principes directeurs qui peuvent être utilisés, au début des catastrophes, comme une liste de contrôle pour mettre au point une stratégie de réponse et garantir l’efficacité de la planification et de l’intervention.
Défis à venir Malgré de grandes réussites, dont certaines sont illustrées ci-dessus, il reste à relever de considérables défis pour que les droits des PDI se concrétisent. On estime que le nombre de personnes déplacées de force représente 1% de la population mondiale. De plus, le nombre de PDI ne cesse de croître, en particulier en raison de l’augmentation des déplacements provoqués par des catastrophes liées aux changements climatiques mais aussi à cause de situations de déplacements prolongées. Les déplacements prolongés sont généralement la conséquence de conflits non résolus et du manque de volonté politique de la part des gouvernements nationaux, ainsi que du manque de soutien de la part des acteurs internationaux. Dans de nombreux pays, il existe de grandes différences entre les politiques et leur mise en pratique, surtout en ce qui concerne la mise en place de solutions durables.
Shar Akitena fait sécher des céréales au soleil; c’est sa première moisson depuis son retour à Otim, son village d’origine dans le nord de l’Ouganda, après des années de déplacement.
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS
Il a été signalé, lors de la conférence, qu’une majorité d’Etats touchés par les déplacements internes n’ont pas la capacité ou la volonté d’assumer leur responsabilité de protection envers les PDI. Dans les pires situations, l’espace humanitaire nécessaire pour empêcher les déplacements ou protéger les PDI est obstrué par les gouvernements ou les acteurs non étatiques. Concrètement, le concept de responsabilité de protéger n’a eu que peu de valeur pour protéger les droits humains des PDI, puisqu’un certain nombre d’Etats restent plus volontiers fidèles à la doctrine de souveraineté nationale lorsqu’ils s’attaquent au problème du déplacement interne.4 Il semble que le cadre législatif et normatif actuel devrait être réexaminé en prenant en compte les nouvelles catégories de migrants forcés, dont le déplacement a été provoqué par des catastrophes liées aux changements climatiques ou par la dégradation à long terme de leur environnement. Avec un nombre croissant de PDI établis en zone urbaine, les Etats et les organisations de protection doivent trouver de nouveaux moyens pour leur apporter une protection et une assistance efficaces, car leurs besoins sont différents des PDI établis dans des camps ou des zones rurales. Il faut aussi essayer de trouver les solutions durables les plus adaptées, car l’urbanisation présente des choix et des opportunités différents. Par exemple, une fois que les PDI se sont adaptées au mode de vie urbain, le retour en zone rurale n’est plus une option. En ce qui concerne le domaine de la protection internationale, la réforme humanitaire a contribué à mieux prévoir les interventions humanitaires. Depuis que l’UNHCR est à la tête du secteur de la protection des PDI dans les situations de conflit armé, il y a eu une nette amélioration en ce qui concerne la gestion et la coordination de la protection. Néanmoins, comme l’a souligné le Coordonateur des secours d’urgence, la crédibilité des acteurs risque d’être endommagée s’ils ne s’attachent pas à accorder la même attention aux différentes populations de PDI dans des contextes de crises prolongées. Dans les situations de déplacements provoqués par une catastrophe, la gestion de la protection reste inefficace au niveau institutionnel, puisque la responsabilité pour la coordination internationale est divisée entre l’UNHCR, l’UNICEF et l’OHCHR, qui ont toutes émis des réserves quant à leur capacité d’endosser cette responsabilité supplémentaire.
Recommandations Incorporation au sein de la législation nationale Les Principes directeurs devraient être intégrés à la législation nationale afin de promouvoir leur mise en application et de mieux attribuer les responsabilités en ce qui concerne la protection des PDI. La publication du Manual for Law and Policymakers on Protecting Internally Displaced Persons (Manuel à l’usage des législateurs et responsables politiques sur la protection des personnes déplacées de l’intérieur)5 sera une ressource utile pour les gouvernements car ce manuel donne des directives aux responsables politiques afin d’aligner, dans la pratique, le droit interne sur les Principes directeurs. Les autorités nationales ont non seulement pour responsabilité de développer des cadres législatifs mais aussi celle de s’assurer que les lois et les politiques sont mises en application.
Partenariats Des partenariats efficaces sont nécessaires pour faire face au double défi qui consiste à empêcher de nouveaux déplacements et à mettre fin aux déplacements actuels. Il faudrait développer ces partenariats entre les différents Etats ; entre les Etats et la société civile ; entre les Etats et les institutions financières; entres les Etats, la société civile et les organisations internationales de protection et d’assistance ; et entre les organisations humanitaires internationales et les agences de développement.
Prévenir les déplacements et mettre fin aux déplacements De plus grands efforts sont nécessaires pour empêcher de nouveaux déplacements, en réduisant de manière efficace les risques de catastrophes, en étant mieux préparés face aux urgences et en agissant de manière à prévenir les conflits. Parallèlement, des efforts soutenus doivent être faits pour mettre fin aux déplacements. Ces deux champs d’action devraient s’accompagner d’un engagement politique coordonné de tous les acteurs influents, ainsi que de ressources adéquates et fiables.
Solutions durables Il faut commencer à planifier des solutions durables peu de temps après le début des déplacements, en mettant en place des stratégies efficaces de relèvement rapide, de manière à faciliter la transition entre l’assistance humanitaire et le développement. Suite à l’évaluation continue, sur le terrain, du cadre pour des solutions durables, il faudrait désormais se concentrer sur la mise en application du cadre dès les premiers instants de l’intervention humanitaire.
Dialogue politique
Tout dialogue politique, y compris les négociations de paix, doit garantir aux PDI de faire entendre leur voix sur toutes les questions qui les concernent. L’expérience nous montre qu’un dialogue précoce et continu sur les questions de l’accès aux terres, du logement et de la propriété est essentiel à l’identification de solutions durables.
Prévention des catastrophes Dans les pays ou les catastrophes frappent régulièrement, les Principes directeurs devraient être utilisés pour construire des partenariats plus étroits entre les gouvernements, les fournisseurs d’assistance et la société civile, dans le cadre de la prévention des catastrophes. Dès le déclenchement de la catastrophe, les Principes directeurs devraient être utilisés comme une liste de contrôle pour élaborer une stratégie de réponse permettant de garantir une organisation et une intervention efficaces.
PDI en zone urbaine En raison du nombre croissant de PDI établis en zone urbaine, les Etats et les organisations de protection doivent trouver de nouveaux moyens pour leur apporter une protection et une assistance efficaces, puisque leurs besoins sont différents des PDI établis dans des camps ou des zones rurales.
Participation des PDI Enfin, il est important de mettre au point des mécanismes garantissant la participation des PDI aux processus politiques, aux décisions concernant leur vie durant le déplacement et à l’élaboration et à la mise en œuvre de solutions qui mettront fin à leur déplacement. Leur participation est une condition sine qua non à la mise en application des Principes directeurs. Cet article est une version abrégée du résumé du président, préparé par NRC/ IDMC, le Projet Brookings Bern sur le déplacement interne et le Ministère norvégien des Affaires étrangères. La version complète est disponible en ligne sur le site internet de la conférence pour le dixième anniversaire des Principes directeurs : http://www. internal-displacement.org/gp10 1. Pour d’autres exemples, veuillez consulter l’article sur l’Ouganda, p.21 et la Géorgie, p.16 2. Veuillez consulter l’article p.15 3. Veuillez lire les déclarations d’António Guterres, John Holmes et Angelo Gnaedinger, p.5 De plus, le HautCommissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a fait remarquer que les Principes directeurs se sont avérés utiles dans de nombreuses situations et qu’ils ont été transmis à tous ses bureaux. 4. Veuillez consulter l’article p.11 5. Veuillez consulter p.39
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS
RMF – GP10
Évolution de la protection juridique des PDI Cordula Droege
Il y a dix ans, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a participé à l’élaboration des Principes directeurs. De quelle manière ces Principes ont-ils contribué à une meilleure protection des PDI ? Quelles carences nous reste-t-il à combler ? Les Principes directeurs ont été créés afin de réaffirmer les droits humains internationaux et le droit humanitaire international qui étaient déjà en vigueur, ainsi que de « clarifier les zones d’ombre » et de « combler les carences ».1 Ils avaient aussi pour but de faire avancer la loi, plutôt que de simplement réitérer les lois existantes ; toutefois, cet objectif a été mis de côté ces dernières années. Lors de l’élaboration des Principes directeurs, le CICR a insisté pour que le droit alors en vigueur y soit intégré. Ainsi de nombreuses normes intégrées aux Principes sont issues directement du droit humanitaire international : Le CICR a annoncé [...] son intention de faire connaître les Principes directeurs auprès de ses délégués et de les promouvoir. Quand il est confronté à une situation de déplacement interne dans un conflit armé, le CICR invoque les principes et règles du droit international humanitaire. Les Principes directeurs pourront toutefois avoir leur utilité lorsque le droit humanitaire ne contient pas de réponse précise aux besoins constatés (par exemple, en ce qui concerne le retour des personnes déplacées, dans la dignité et en sécurité). En outre, ils pourraient s’avérer très utiles dans les situations non couvertes par le droit international humanitaire, telles que les situations de troubles ou celles de violence sporadique. 2
qui contiennent les règles les plus importantes quant à la limitation des effets de la guerre.5
■■ L’adoption du Statut de Rome de la
Cour pénale internationale6 a permis de reconnaître que la déportation illégale et le transfert sont des crimes de guerre dans tout conflit armé. De plus, ils représentent un crime contre l’humanité s’ils font partie d’une stratégie d’attaque systématique ou de grande portée à l’encontre de toute population civile, même en dehors d’un conflit armé.
■■ Le Tribunal pénal international
concernant l’ex-Yougoslavie7 a reconnu que provoquer des déplacements est un crime punissable selon le droit international coutumier. Il a aussi donné une définition plus précise du terme « forcé », qui ne se limite pas à la force physique mais qui peut aussi comprendre « la menace de l’usage de la force ou de la coercition dans un environnement de crainte, la contrainte, la détention, l’oppression psychologique ou l’abus de pouvoir contre toute personne ou encore le fait de tirer avantage d’un environnement coercitif ». L’élément
crucial est le fait d’être « involontaire par nature, les personnes concernées n’ayant réellement aucun choix ».8 La clarification du droit coutumier a permis de consolider le cadre juridique protégeant les individus contre le déplacement, ou pendant et après le déplacement. L’Étude sur le droit coutumier du CICR9 identifie un certain nombre de règles coutumières du droit humanitaire international qui doivent être respectées par toutes les parties pour tout type de conflit armé, qu’il soit international on non :
■■ l’interdiction du déplacement forcé ■■ l’obligation de prendre toutes les
mesures nécessaires pour accueillir les civils dans des conditions satisfaisantes en ce qui concerne le logement, l’hygiène, la santé, la sécurité et l’alimentation
■■ la non-séparation des membres d’une même famille
■■ le droit à un retour librement
consenti, dans des conditions sûres
■■ la protection de la propriété des civils.
En outre, il ne faut pas sous-estimer l’importance des traités sur les armes. Les restes explosifs de guerre constituent l’un des obstacles les plus importants au retour
Les développements juridiques de ces dix dernières années n’ont pas seulement renforcé et consolidé les bases légales des Principes directeurs mais les ont aussi influencées. Un nombre encourageant de traités ont été ratifiés par un nombre d’Etats de plus en plus important :
■■ Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques3et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels4 ont tous deux été ratifiés par quelque 160 Etats.
■■ Tous les Etats du monde font
maintenant partie des Conventions de Genève - les traités internationaux
ICRC/Pedram Yazdi
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Enfant PDI, Nakuru, Kenya, janvier 2008.
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en sécurité, posant un danger immédiat à la vie des personnes qui souhaitent rentrer chez elles, menaçant les infrastructures et la production agricole et créant un fardeau supplémentaire pour des systèmes de santé déjà affaiblis. L’interdiction des mines antipersonnel lors de la Convention d’Ottawa10, l’obligation de neutraliser les restes explosifs de guerre selon le cinquième Protocole de la Convention sur certaines armes classiques11 et la récente Convention sur les armes à sousmunitions12 ont toutes contribué à la réduction des dangers pour les personnes cherchant à reconstruire leur vie. Au niveau régional, l’Union africaine travaille à l’élaboration d’une Convention sur la protection et l’assistance des personnes déplacées internes en Afrique13 qui pourrait potentiellement contribuer au renforcement du cadre juridique sur l’ensemble du continent. Comme de nombreux articles de ce numéro le mentionnent, d’importants efforts ont été effectués afin d’intégrer les Principes directeurs aux législations nationales, bien qu’ils ne soient pas en eux-mêmes contraignants, et cela grâce à l’action de Walter Kälin, le Représentant spécial. Le Protocole des Grands Lacs sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en interne14 engage les États signataires à passer les lois permettant d’incorporer l’ensemble des Principes à leur système juridique national.
Comment les Principes ont-ils supprimé les zones d’ombre et comblé les carences ? Même si d’énormes progrès ont été effectués depuis le début du processus d’élaboration des Principes en 1996, certaines carences et faiblesses précédemment identifiées persistent
toujours, comme l’absence d’obligation pour les acteurs non-étatiques de respecter les droits humains et la possibilité de déroger aux droits humains. Toutefois, le défi le plus important reste de faire respecter la loi, plutôt que de faire avancer celle-ci. L’affirmation de Francis Deng selon laquelle « la mise en application des normes existantes est plus urgente que la réforme juridique » est aussi valide aujourd’hui qu’elle l’était en 1998. Il existe néanmoins un plus grand nombre de structures pour faire face aux situations de déplacement. Les États ont moins tendance à nier l’existence des personnes déplacées. Les déplacements sont maintenant souvent pris en compte dans les accords de paix et les plans d’action nationaux. La communauté internationale est mieux organisée pour offrir un logement et une aide essentielle, même s’il est possible d’en améliorer la coordination. Cependant, la cause principale de déplacement lors des conflits armés reste le non-respect des règles de guerre en vigueur. Les populations sont obligées de fuir car elles y sont forcées par les belligérants et qu’elles sont menacées et victimes d’extorsion, de recrutement forcé, de représailles et d’autres violations. Dans d’autres situations, elles fuient les conséquences des combats, parce que les combattants n’épargnent pas les civils au contraire, ils attaquent et détruisent de manière indiscriminée les maisons et les infrastructures. Bien entendu, certaines personnes fuient sans être victimes d’aucune violation ou menace ; toutefois, dans la plupart des cas, les déplacements sont provoqués par le comportement hors-la-loi des belligérants. Bien que de nombreuses campagnes de sensibilisation aient eu lieu au sujet du
sort des PDI, nous ne devons pas sombrer dans l’autosatisfaction et l’inaction. La plupart des déplacements pourraient être évités si les adversaires respectaient les lois de la guerre. En outre, les personnes obligées de fuir souffriraient moins si les adversaires respectaient les personnes déplacées autant que les autres citoyens. Malheureusement, peu de progrès ont été effectués dans ce domaine. L’action humanitaire peut apporter un certain secours mais la responsabilité de respecter et protéger les citoyens incombe aux parties engagées dans les conflits. Cordula Droege (cdroege@icrc.org) est conseillère juridique au sein de la division des questions juridiques du CICR. Pour de plus amples informations sur le travail du CICR auprès des PDI, veuillez consulter La Position du CICR au sujet des personnes déplacées de l’intérieur. 15 1. Doc E/CN.4/1998/53/Add.2 de l’ONU, 11 février 1998, para 9. 2. Jean-Philippe Lavoyer, ‘Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays : Quelques observations sur la contribution du droit international humanitaire’, 1998, Revue internationale de la Croix-Rouge n˚ 324, p.476. 3. http://www.unhchr.ch/html/menu3/b/a_ccpr.htm 4. http://www.unhchr.ch/html/menu3/b/a_cescr.htm 5. http://www.icrc.org/Web/Eng/siteeng0.nsf/htmlall/ genevaconventions 6. http://www.un.org/icc/ 7. http://www.un.org/icty 8. Prosecutor vs Krnojelac, IT-97-25, jugement de la Chambre de première instance du 15 mars 2002, para 475. 9. http://www.icrc.org/web/eng/siteeng0.nsf/html/ customary-law-rules-291008, règles 129, 131, 132, 133. 10. http://www.icrc.org/ihl.nsf/FULL/580?OpenDocument 11. http://www.icrc.org/ihl.nsf/FULL/610?OpenDocument 12. http://www.icrc.org/ihl.nsf/FULL/620?OpenDocument 13. http://www.unhcrrlo.org/Conference_Special_ Events/2008AUSpecialSummit.html 14. http://www.brookings.edu/fp/projects/idp/ GreatLakes_IDPprotocol.pdf 15. http://www.icrc.org/Web/Eng/siteeng0.nsf/html/idpicrc-position-030706
Qu’est-ce-que la protection ? Une définition née du consensus Le lancement des Principes directeurs a plus ou moins coïncidé avec le moment où la communauté internationale en général commençait à accepter le concept de protection humanitaire. En effet, les Principes se sont avérés utiles pour mettre en lumière la protection et, ensuite, pour définir cette dernière. Entre 1996 et 2000, le Comité international de la CroixRouge (CICR) a organisé une série d’ateliers portant sur la protection des civils. Ces ateliers, auxquels ont participé environ 50 organisations et institutions humanitaires, universitaires ou de défense des droits de l’Homme, ont mené à un « consensus de travail » - toujours en vigueur sur la définition du terme « protection », qui comprend1 : « toutes les activités dont le but est d’obtenir le respect complet des droits des individus selon la lettre et l’esprit des codes existants (c.-à-d. droits de l’Homme, droit humanitaire et droit des réfugiés). Les acteurs humanitaires ou de défense des droits de
l’Homme doivent conduire ces activités de manière impartiale et dénuée de toute considération liée à la race, la nationalité ou l’origine ethnique, la langue ou le sexe. » (1999) (traduction) Les activités de protection peuvent revêtir la forme d’actions d’intervention, de mesures de réparation et de construction de l’environnement (ou une combinaison de ces dernières) et incluent toute activité qui : nn « prévient ou fait cesser tout schéma spécifique de maltraitance ou en réduit les effets immédiats ; nn rend aux personnes leur dignité et garantit des conditions de vies adéquates grâce à la réparation, la restitution et la réhabilitation ; nn crée un environnement qui favorise le respect des droits humains des individus, selon les codes en vigueur. » (traduction) 1. http://www.icva.ch/doc00000663,html
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Evaluer l’impact des Principes : une tache inachevée Elizabeth Ferris
Les objectifs des Principes directeurs étaient clairs mais, dix ans plus tard, comment pouvons-nous évaluer leur impact ? Sérgio Vieira de Mello, aujourd’hui décédé, avait identifié quatre avantages que les Principes directeurs pouvaient apporter aux PDI : la sensibilisation à leurs besoins, la mobilisation au sein de la communauté internationale, des solutions plus faciles à trouver pour le personnel de terrain et l’ assistance aux gouvernements afin de garantir la sécurité et le bien-être des PDI. Il n’existe aucune donnée venant d’enquêtes comparatives auprès des PDI avant et après le lancement des Principes en 1998, ni sur la sensibilisation du public, des travailleurs humanitaires et des Etats en ce qui concerne les problèmes liés au déplacement. Cet article mesure cet impact en évaluant comment les gouvernements ont adopté des lois et des politiques qui promeuvent les droits des PDI, en considérant la place grandissante des PDI dans le programme humanitaire international et en analysant de quelle manière certains PDI et groupes issus de la société civile utilisent les Principes comme un outil de mobilisation. Dès le début, le Représentant du Secrétaire général chargé de la question des personnes déplacées (RSG) a affirmé combien il était important d’intégrer les Principes aux lois et politiques nationales. Actuellement, environ 20 gouvernements ont passé des lois ou mis en place des politiques portant sur les PDI, même s’ils ne suivent pas toujours le texte des Principes. Ces lois et politiques précédent les Principes dans seulement trois de ces cas – l’Azerbaïdjan, la Colombie et la Géorgie. De plus, il y a eu de nombreuses tentatives visant à mettre au point des instruments régionaux qui incorporent les Principes. Il semble que les Principes, avec le soutien et la mobilisation du RSG, ont eu un certain impact sur les normes légales nationales relatives à la protection et l’assistance des PDI. Même si leur mise en œuvre est souvent loin d’être parfaite, les gouvernements les considèrent comme un cadre utile permettant de répondre aux problèmes liés au déplacement interne.
Changer le discours international Les problèmes liés au déplacement interne ont été peu à peu incorporés au programme politique international. Un nombre croissant de résolutions et de documents de l’ONU font référence aux Principes. Parmi ceux-ci, on compte des rapports sur la protection des enfants touchés par les conflits armés1, des rapports du Secrétaire général sur la mise en œuvre de la Déclaration du Millénaire des Nations Unies2, ou encore le Rapport sur la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée.3 Les Principes sont devenus les normes internationales approuvées pour les PDI. Comme cela fut développé dans le récent numéro de RMF sur la réforme humanitaire, l’identification des carences dans l’intervention auprès des PDI a été le moteur de la réforme du système humanitaire, qui a culminé avec le lancement de l’approche par «clusters» en décembre 2005.4 Les discussions au sujet des PDI ont dominé l’essentiel du programme de réforme humanitaire, allant du besoin de mieux préparer et sélectionner les coordonnateurs de l’action humanitaire à la question du financement. De plus en plus souvent, les agences humanitaires organisent des séminaires, offrent des formations et incorporent les Principes dans leurs propres interventions dans les crises humanitaires. Il semble même que l’impact des Principes se fasse sentir au-delà de l’intervention humanitaire. Un examen de 43 accords de paix signés entre 1990 et 2008 a révélé que, alors que seuls 10 des 18 accords signés avant 1998 mentionnaient le déplacement interne, tous les accords d’après 1998 font référence aux PDI, sauf un. Là ou la société civile est active et le gouvernement plutôt réceptif, les Principes peuvent avoir un impact significatif. Lorsque les populations sont conscientes de leurs droits, elles sont capables d’en faire l’exercice et de s’en servir pour se défendre
avec succès. Comme l’a rapporté une publication récente du Project Brookings-Berns sur le déplacement interne5, les PDI de Colombie qui font partie d’ONG et d’organisations de PDI connaissent les Principes et favorisent leur dissémination. Ils ont trouvé qu’ils offraient une base utile pour effectuer des demandes auprès des autorités et pour s’assurer que les droits des PDI seront garantis constitutionnellement. La plus haute cour de Colombie, la Cour Constitutionnelle, s’est basée sur les Principes pour prendre plusieurs décisions. Les PDI du Sri Lanka ont utilisé les Principes pour demander de plus grandes rations alimentaires, un approvisionnement de nourriture plus fiable et régulier, de l’eau propre et une plus grande sécurité personnelle. En Géorgie, un groupe de PDI a fait appel auprès de la Cour Suprême pour contester des lois électorales discriminatoires. Lorsque la cour a rendu un jugement qui leur était défavorable, ils ont travaillé avec des ONG pour défendre leurs droits ensemble, et persuadé le gouvernement de voter des lois qui soient en accord avec les dispositions des Principes. Aux EtatsUnis, des groupes de défense des droits de l’Homme ont utilisé les Principes pour attirer l’attention sur les limites de la réponse du gouvernement face aux besoins des personnes déplacées par les ouragans Katrina et Rita en 2005. Toutefois, le manque de connaissance des Principes reste un problème dans de nombreuses situations, ce qui limite leur efficacité en tant qu’outil de mobilisation pour les PDI mêmes, les ONG nationales et les agences internationales. Comme le dit Roberta Cohen : « Les Principes ne sont toutefois pas suffisamment connus, ni disséminés. Sur les 528 PDI interrogées en Afrique du Sud [pour ce projet], les enquêteurs ont trouvé que les normes, lois et principes internationaux n’atteignent pas la plupart des PDI ; seul un tiers avait connaissance des Principes.6 Au Bangladesh, 97% des PDI interrogées ne savaient rien des Principes. Au Népal, 25% avaient entendu parler des Principes par le biais de reportages dans les journaux, de la radio ou de la télévision. A Juba, au Sud-Soudan, les PDI ne savaient rien des Principes, même si, lorsqu’on leur a demandé
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ce que les droits humains signifiaient pour elles, leurs réponses comprenaient l’accès à la nourriture, à l’eau, aux soins de santé et à la protection. »7 Bien qu’il soit difficile d’évaluer l’impact direct des Principes sur les PDI, il est presque certain qu’ils ont encouragé les gouvernements à adopter des lois et des politiques portant sur le déplacement interne, qu’ils ont été utilisés par certaines PDI comme un outil pour défendre leurs droits et qu’ils ont offert un cadre juridique aux agences de l’ONU et aux organisations de défense des droits de l’homme afin de promouvoir
les droits humains des PDI. Ce qu’il est plus difficile d’évaluer, c’est dans quelle mesure les Principes ont-ils empêché le déplacement arbitraire de populations ou aidé les PDI à trouver des solutions durables à leur déplacement. Le défi pour les dix ans à venir est de s’assurer que les PDI sont conscientes de leurs droits humains essentiels et qu’elles voient dans les Principes un instrument utile leur permettant de promouvoir l’exercice de ces droits. Elizabeth Ferris (eferris@brookings.edu) est co-directrice du Project BrookingsBern sur le déplacement interne.
1. http://www.un.org/children/conflict/english/reports. html 2. http://www.un.org/millenniumgoals/reports.shtml 3. http://www.hrw.org/campaigns/race 4. http://www.fmreview.org/humanitarianreform.htm 5. Roberta Cohen, Listening to the Voices of the Displaced: Lessons Learned (« Entendre la voix des personnes déplacées : enseignements tirés »), Washington, DC: Projet Brookings-Bern dur le déplacement interne, 2008. http://www.brookings.edu/ reports/2008/09_internal_displacement_cohen.aspx 6. ‘Voices of the Internally Displaced in South Asia’ (« La voix des personnes déplacées en Asie du sud »), Groupe de recherche Mahanirban de Calcutta, 2006, p14, 24. http://www.mcrg.ac.in/Voices.pdf 7. Daniel L, ‘Voices of the Displaced – Sudan Project’ (« Voix des personnes déplacées - Projet du Soudan ») (non publié), p50.
Principe directeur 22(b) L’exercice des droits qui suivent, par les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, qu’elles vivent dans des camps ou ailleurs, ne doit faire l’objet d’aucune discrimination fondée sur leur situation en tant que personnes déplacées : [...] droit de rechercher librement un emploi et de participer aux activités économiques. « Nous ne voulons pas de secours humanitaire ; nous voulons un travail et un salaire, » répond un PDI de Colombie lors d’un entretien. De l’autre côté de la planète, une femme PDI d’Abyei, au Soudan, fait part du même sentiment : « Ce que nous cultiverons sera préférable à l’aide que nous recevrons. » En effet, quel que soit le pays, les PDI aspirent à trouver du travail en ville ou à travailler la terre, afin de gagner un salaire régulier. Au Sri Lanka, une préoccupation majeure des PDI retournant chez elles est d’avoir accès à des moyens de subsistance. Au Népal, parmi les PDI interrogées, 61% se plaignent de problèmes liés à l’économie ou à l’emploi et au Bangladesh, 58% affirment que les principaux obstacles à leur survie sont d’ordre économique. En Assam, en Inde, c’est le manque de travail qui est identifié comme le problème majeur. Rares sont les projets de formation ou rémunérateurs destinés aux PDI. A Juba, la capitale du Sud-Soudan, les PDI se plaignent de « l’absence de programmes d’éducation et de formation pour
les PDI » et que « les intentions ne se sont pas concrétisées ». En Colombie, seule une faible proportion des personnes interrogées avaient reçu une assistance visant à développer leurs compétences ou une formation professionnelle. Le gouvernement avait bien un programme de promotion de la microentreprise afin d’aider les PDI à gagner leur vie et de favoriser leur réintégration. Malheureusement, il s’est avéré trop difficile, pour la plupart des PDI, de mettre au point une proposition de projet qui soit approuvée. De plus, comme les PDI le signalent, le crédit était difficile à rembourser. En Bosnie, les programmes de crédit ont aussi causé de nombreux problèmes. Les PDI de retour qui avaient besoin de soutien financier ont trouvé que le taux élevé de nombreux programmes de microcrédit décourageait les initiatives de création d’emplois indépendants dans les zones urbaines. Ainsi, la disponibilité de moyens de subsistance restet-elle le défi le plus important pour la grande majorité des PDI. Entretiens conduits par le Projet Brookings-Bern sur le déplacement interne et le Centre de Surveillance des déplacements internes (Internal Displacement Monitoring Center -IDMC). Veuillez aussi consulter le rapport du Projet Brookings-Bern « Listening to the Voices of the Displaced: Lesson Learned » (« Entendre la voix des déplacés : enseignements tirés ») sur http://www.brookings. edu/reports/2008/09_internal_displacement_cohen.aspx
Les Principes directeurs et la responsabilité de protéger Erin Mooney
Lors de la Conférence pour le dixième anniversaire des Principes directeurs, de nombreux intervenants ont abordé la « responsabilité de protéger » et recommandé de la lier étroitement aux Principes et au sort de millions de PDI. Que pourrait apporter ce lien, conceptuellement et concrètement, à la protection des PDI ? La Responsabilité de protéger (RdP) affirme que les Etats souverains ont la responsabilité de protéger leur population contre les génocides et autres atrocités
commises en masse, et que s’ils n’en ont pas la volonté ou la capacité, c’est la responsabilité de la communauté des Etats qui rentre alors en jeu. Inventé en 2001, le
concept de RdP est né de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté (CIIS). Cette Commission avait été organisée afin d’établir un consensus international sur l’intervention humanitaire après l’expérience des années 1990, lorsque l’intervention s’était révélée particulièrement controversée, « tout autant lorsqu’elle avait eu lieu - comme en Somalie, en Bosnie et au Kosovo - que lorsqu’elle n’avait pas eu lieu, comme au
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS Rwanda ».1 La CIIS a changé le langage et le ton des débats, en remplaçant la question du droit des acteurs à intervenir par la notion de responsabilité, et, en premier lieu, la responsabilité de l’Etat concerné de protéger sa population. La RdP s’accompagnait d’un large ensemble de mesures, comprenant non seulement la responsabilité de réagir pour protéger les populations contre tout préjudice sévère, mais aussi la responsabilité de prévenir de telles situations et de reconstruire une fois ces situations passées.
lorsqu’elle travaillait auprès des PDI avec le Refugee Policy Group en 1991, a été la première à affirmer que « la souveraineté s’accompagne d’une responsabilité, de la part des gouvernements, de protéger leurs citoyens ».3 Lorsque la campagne de mobilisation qu’elle avait menée a abouti à la nomination, en 1992, de Francis Deng en tant que Représentant du Secrétaire général chargé de la question des personnes déplacées, ce dernier a alors continué dans la même veine, en affirmant dans son premier rapport :
Les chefs d’Etats réunis lors du Sommet mondial de 2005 ont unanimement approuvé le concept de RdP et sa pertinence pour répondre aux génocides, crimes de guerre, nettoyages ethniques et crimes contre l’humanité, et spécifié que : (1) chaque Etat a pour responsabilité de protéger sa population contre ces crimes ; (2) la communauté internationale, par le biais de l’ONU, devient responsable de la protection lorsque « les autorités nationales sont manifestement incapables de protéger leur population » de ces crimes, et peut entreprendre, si nécessaire, une action collective, y compris l’usage de la force militaire.2 La Résolution 1674 (2006) du Conseil de sécurité de l’ONU a ensuite réaffirmé cet engagement et le concept de RdP.
« Aucun gouvernement ne peut invoquer avec légitimité sa souveraineté dans le but délibéré de laisser sa population mourir de faim ou de lui nier tout accès à la protection et aux ressources indispensables à sa survie et son bien-être. […] si un gouvernement est incapable d’offrir protection et assistance, alors la communauté internationale se doit d’agir, soit sur l’invitation du pays d’accueil soit selon un consensus international, afin de combler ce vide. »4 (traduction)
Le devoir d’empêcher les génocides, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, ainsi que le devoir de répondre à ces derniers, précèdent bien sûr la RdP de plus d’un demi-siècle. Malgré tout, la RdP représente une belle avancée car elle donne un nouveau souffle à ces engagements de longue date, en particulier en renforçant la responsabilité des Etats et de la communauté internationale en ce qui concerne la mise en pratique des obligations de protection.
Pertinence pour les PDI Les situations de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et nettoyages ethniques forcent inévitablement les populations à se déplacer. Le lien entre la RdP et les PDI va toutefois au-delà de facteurs de cause à effet. En fait, les racines intellectuelles de la RdP sont profondes, car elles s’inspirent et sont l’extension d’approches internationales concernant la protection des PDI introduites dix ans plus tôt. En particulier, le concept de « souveraineté en tant que responsabilité », qui se trouve au cœur de la RdP, remonte aux tout premiers jours de la mobilisation pour la protection des PDI. L’un des architectes principaux de la RdP a d’ailleurs récemment reconnu que Roberta Cohen,
Après avoir inventé l’expression « souveraineté en tant que responsabilité »5, Francis Deng a défendu ce concept dans tous les aspects de son mandat. Il l’a utilisé de manière bénéfique pour mettre en place un dialogue constructif avec des gouvernements à travers le monde, bien que la question soit avant tout un problème interne, et donc politiquement très sensible. Bien plus qu’une nuance ou qu’une tactique diplomatique, la souveraineté comme responsabilité est simplement un concept sensé. Pour les PDI et les autres populations demeurant toujours au sein de leur pays, la protection permet, en définitive, de garantir un accès fiable à la protection nationale.
Principales similitudes et différences Le concept de souveraineté en tant que responsabilité, au cœur de la RdP, a aussi contribué et donné une base aux Principes. De manière générale, « c’est aux autorités nationales qu’incombent en premier lieu le devoir et la responsabilité de fournir une protection et une aide aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui relèvent de leur juridiction » (Principe 3). Les Principes expliquent aussi clairement quel genre de responsabilité s’applique à chaque phase du déplacement : de la prévention à la protection des populations contre les atrocités et la violation de leurs droits, en passant par la garantie de solutions durables - soit une approche complète qui évoque la RdP et permet de guider la mise en application des trois
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responsabilités qui l’accompagnent : prévention, réaction et reconstruction. En même temps, les Principes affirment clairement que la protection des PDI n’est pas seulement la responsabilité des autorités du pays en question mais aussi de la communauté internationale, surtout lorsque les autorités n’ont pas la capacité, ou la volonté, de remplir leur rôle. Les principes réaffirment que « toutes les autorités et tous les membres concernés de la communauté internationale respectent les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, notamment les droits de l’homme et le droit humanitaire [...] » (Principe 5). Il en incombe aux Etats d’accepter l’assistance internationale s’ils n’ont pas la capacité ou la volonté de fournir l’assistance dont les PDI ont besoin (Principe 25). En outre, les organisations humanitaires internationales et les autres acteurs de l’assistance doivent accorder « l’attention voulue au besoin de protection et aux droits fondamentaux des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays » et prendre « les mesures nécessaires à cet effet » (Principe 27). Le génocide, le nettoyage ethnique et les actes constituant des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité - les quatre scénarios d’amorce pour la RdP - sont tous expressément prohibés dans les Principes, selon les obligations du droit international. Toutefois, au contraire de la protection approuvée par le Sommet mondial, la protection prescrite par les Principes ne se limite en rien à ces quatre scénarios. Les Principes reconnaissent sans équivoque qu’une variété de facteurs peut rendre des personnes PDI, y compris les conflits armés, la violence généralisée, les violations des droits humains, les catastrophes naturelles ou d’origine humaine et les projets de développement à grande échelle. Comme il est devenu évident suite au passage du cyclone Nargis en Birmanie, il n’existe aucun consensus, même parmi les principaux architectes de la RdP, confirmant si celle-ci peut être appliquée lors de graves catastrophes naturelles ou environnementales lors desquelles l’Etat concerné n’a pas les capacités ou la volonté de faire face, ou de demander de l’aide, et où il est pourtant probable qu’un grand nombre de victimes périssent.6 De plus, les Principes définissent la protection non seulement en termes de sécurité physique mais aussi en termes plus larges de droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Leur objectif principal représente aussi une différence fondamentale. Les Principes ont été élaborés en réponse à une demande des Etats pour un cadre
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normatif sur la protection des PDI, exprimée dans des résolutions adoptées par l’Assemblée générale de l’ONU et la Commission sur les droits de l’Homme. Leur but principal est de donner des directives sur les droits des PDI et les responsabilités des Etats et des autres autorités envers elles. Reconnus en 2005 par le Sommet mondial comme le texte d’autorité concernant les droits des PDI, les Principes ont aussi été intégrés aux lois et politiques nationales de nombreux pays. En plus de clarifier les normes juridiques appropriées, les principes précisent aussi certaines des actions concrètes nécessaires à la réalisation de ces normes, comme de remplacer les papiers d’identité des PDI, de garantir que l’assistance prenne en compte, dès le départ, les points de vue et les préoccupations des femmes, de rendre possible l’éducation et la formation dans les camps, et d’aider les PDI à recouvrer leurs biens endommagés ou perdus, ou à obtenir compensation. Bien qu’ancrée dans le même corpus de lois humanitaires internationales que les Principes, la RdP a été élaborée dans un but différent : pour mettre fin à l’impasse politique, notamment sur les questions élémentaires de principe et sur les processus permettant de déterminer quand, comment et sous quelle autorité l’intervention internationale doit avoir lieu. La RdP a maintenant obtenu l’approbation internationale, ce qui prouve combien elle a contribué à rouvrir le dialogue et réaffirmer les engagements envers cette question critique. Toutefois, les implications pratiques de la RdP restent toujours à définir et demeurent controversées. Le Conseiller spécial du Secrétaire général pour la responsabilité de protéger fait remarquer que : « Les Etats membres de l’ONU sont unis dans leur soutien aux objectifs de la RdP mais moins sur la manière de les atteindre. »7 Ban Ki-Moon, le Secrétaire général de l’ONU, est un actif défenseur de la RdP et reconnaît que c’est « un concept, pas encore une politique ; une aspiration, pas encore une réalité. […] Il n’existe aucun projet pour faire avancer les choses. »8 En l’absence d’un tel projet, une multitude d’idées fausses ont vu le jour, notamment l’idée que la RdP n’est « rien d’autre qu’une intervention militaire déguisée en rhétorique politique », ce qui constitue « un barrage pour beaucoup ». 9 En conséquence, un certain nombre de gouvernements se méfient du concept de RdP, craignant une intrusion d’envergure internationale. Dans de telles circonstances, lier explicitement la RdP au déplacement interne et aux Principes risquerait de faire passer ces derniers pour une intervention dans les affaires
internes et nuire à la large acceptation des Principes qui a été si soigneusement cultivée ces dix dernières années. Les partisans de la RdP ont travaillé d’arrache-pied pour expliquer la large gamme de mesures que celle-ci comprend, en insistant particulièrement sur les mesures préventives et le renforcement des capacités des Etats. Ces deux objectifs sont aussi fortement présents dans les Principes, et ces derniers pourraient donc servir d’outil et de directives pour mettre en application ces aspects de la RdP dans les situations où les déplacements internes ont eu lieu ou risquent d’avoir lieu. Les défenseurs de la RdP ont surtout attiré l’attention sur la prévention et les mesures « douces » telles que la persuasion diplomatique pour répondre aux violences qui ont suivi les élections au Kenya. Cela a été la première mise en application réussie de la RdP. Toutefois, il est essentiel pour que le concept de RdP maintienne sa légitimité et atteigne ses objectifs, de ne pas répugner à confronter des situations où des atrocités et des violences sont perpétrées à grande échelle sans que rien ne soit fait et où une large intervention internationale de protection se fait attendre, comme au Darfour, en RDC, au Zimbabwe et en Somalie. Il est primordial que les objectifs et la portée de la RdP soient mieux compris pour que sa mise en application soit mieux acceptée au niveau politique. Cette mise en application demandera, à son tour, l’élaboration d’outils et de stratégies (le Secrétaire général de l’ONU a promis de dévoiler des propositions pour opérationnaliser la RdP avant fin 2008). Une fois que ces éléments seront en place, la RdP sera porteuse d’immenses espoirs en tant qu’outil de mobilisation pour soutenir et renforcer la mise en œuvre de la section des Principes qui concerne la protection des PDI contre
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les crimes les plus graves. En attendant, savoir si les Etats et la communauté internationale honoreront leurs responsabilités - nouvelles et anciennes de protéger les populations en situation de grave danger reste une question pressante pour des millions de PDI. Erin Mooney (erindmooney@hotmail. com) est administrateur principal de projets de protection avec ProCap (ONU). De 1995 à 2006, elle a travaillé pour plusieurs Représentants du Secrétaire général pour les PDI. 1. CIIS, The Responsibility to Protect (« La Responsabilité de protéger ») (IDRC, 2001), pvii. http:// www.iciss.ca/menu-en.asp 2. Document final du Sommet mondial de 2005, Résolution 60/1 (2005) de l’Assemblée générale de l’ONU, paragraphes 138-139. 3. Gareth Evans, The Responsibility to Protect: Ending Mass Atrocity Crimes Once and For All (« La Responsabilité de protéger : Mettre fin une fois pour toutes aux atrocités massives ») (Brookings, 2008), p36. http://www.brookings.edu/press/Books/2008/ responsibilitytoprotect.aspx 4. Doc. E/CN.4/1993/35 de l’ONU (21 janvier 1993), para 151. 5. Deng et al, Sovereignty as Responsibility: Conflict Management in Africa (« Souveraineté et responsabilité : Gestion des conflits en Afrique ») (Brookings, 1996). http://www.brookings.edu/press/ Books/1996/sovrnty.aspx 6. Cf CIIS p33 et Lloyd Axworthy et Allan Rock, ‘Responsibility to Protect? Yes,’ (« Responsabilité de protéger ? Oui ») Globe and Mail (9 mai 2008); Evans, pp55-56; et Ramesh Thakur, ‘Applying the UN Responsibility to Protect Doctrine too Broadly, to Natural Disasters, Could do More Harm Than Good,’ (« Appliquer la doctrine de l’ONU sur la responsabilité de protéger de manière trop large, aux catastrophes naturelles, pourrait faire plus de mal que de bien ») Yale Global (19 mai 2008). 7. Edward Luck a été nommé Conseiller spécial du Secrétaire général pour la responsabilité de protéger en février 2008. Veuillez consulter Edward C Luck, The United Nations and the Responsibility to Protect (« Les Nations Unies et la Responsabilité de protéger »), dossier d’analyse politique (Stanley Foundation, 2008), p1. http:// www.stanleyfoundation.org/resources.cfm?id=345 8. Doc. SG/SM/11701de l’ONU (15 juillet 2008). 9. Brian Barbour et Brian Gorlick, ‘Embracing the “Responsibility to Protect”: A Repertoire of Measures Including Asylum for Potential Victims’, (“Adopter la Responsabilité de protéger : Un répertoire de mesures comprenant l’asile pour les victimes potentielles”) International Journal of Refugee Law (2008), p.536. http:// ijrl.oxfordjournals.org/
Des personnes fuyant les attaques contre leur village établissent un camp de fortune en bordure de la ville de Goz Beida, au Tchad, en 2006.
UNHCR/ Helene Caux
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Succès et limitations des Principes directeurs en Birmanie le Consortium Frontalier entre la Birmanie et la Thaïlande (TBBC)
Alors que les Principes directeurs ont permis de sensibiliser les populations à la question des PDI en Birmanie et de stimuler l’assistance dont bénéficient ces dernières, ils se sont avérés inefficaces pour dialoguer avec une junte birmane prédatrice. Comme l’a exposé le récent numéro de RMF sur la Birmanie1, les déplacements internes à grande échelle sont une réalité en Birmanie depuis que des squatters ont été expulsés par la force de Rangoon et réinstallés dans des villes avoisinantes dans les années 1950. Ce n’est que depuis l’introduction des Principes directeurs qu’a été mis en place un cadre commun de protection et d’assistance pour les PDI.
les effets de la guerre en général. Ainsi sait-on maintenant que le déplacement n’est pas seulement la conséquence de violences et de sévices qui ont déjà eu lieu, mais qu’il provient aussi du besoin d’éviter les dangers qui ne se sont pas encore matérialisés. Cela a permis de mieux comprendre l’aspect involontaire du déplacement en Birmanie, en appliquant les Principes sans prendre en considération
Il a aussi été important de reconnaître que « le déplacement interne peut être provoqué par une combinaison de facteurs coercitifs et économiques ».2 En Birmanie, l’appauvrissement et la migration forcée sont généralement le résultat de la confiscation des terres par l’Etat, du dépouillement des actifs, de politiques d’achat forcé, de quotas de production agricole, de travail forcé, de fiscalité arbitraire, d’extorsion et de restrictions d’accès aux champs et aux marchés. L’aspect obligatoire et inévitable de ces facteurs se distingue profondément des facteurs d’attraction volontaires et à but lucratif généralement associés aux migrations d’ordre économique. Etant données les restrictions croissantes imposées par la junte sur l’espace humanitaire dans les zones touchées par les conflits, les Principes directeurs ont aidé à mobiliser des fonds pour les programmes d’assistance transfrontaliers. Ils sont le fondement du principe du droit humanitaire international selon lequel les civils pris dans les tirs croisés ont le droit de recevoir une assistance et que cette assistance ne doit pas être interprétée comme une menace à la souveraineté internationale. Les donateurs ont d’ailleurs prêté une oreille attentive lorsque les experts ont déclaré que l’aide transfrontalière en Birmanie n’était pas seulement justifiée du point de vue du droit international mais devrait être aussi renforcée.3 UNHCR
Une famille birmane en route vers un camp d’aide aux victimes, près de la municipalité de Kungyangan, mai 2008.
de la junte n’a pas réduit la pauvreté dans les zones touchées par les conflits. En outre, les communautés considérées comme opposées au régime sont souvent celles qui doivent faire le plus de sacrifices sans en tirer aucun bénéfice.
Les Principes se sont avérés être un outil d’une immense valeur pour sensibiliser les personnes aux questions liées au déplacement et pour mobiliser l’assistance nécessaire afin de répondre aux besoins urgents. Toutefois, en Birmanie, comme dans d’autres contextes, les Principes directeurs n’offrent que peu de marge de manœuvre diplomatique lorsque les autorités nationales n’ont pas la capacité ou la volonté de remplir leurs obligations. Les Principes directeurs ont aidé les professionnels de l’humanitaire à démontrer que ce n’est pas seulement la proximité des populations par rapport aux lieux de combat qui provoque les déplacements, mais aussi simplement
si les personnes sont forcées de fuir les conflits, la violence ou les mauvais traitements, ou si elles sont sommées de partir sur ordre du gouvernement, ou encore si elles fuient simplement par peur. Les préoccupations, exprimées par les Principes, concernant le déplacement provoqué par les projets de développement ont une résonance particulière en Birmanie, puisque les initiatives de développement financées par l’État ont souvent détruit les moyens de subsistance et favorisé la militarisation. En se concentrant sur le développement des infrastructures et l’agriculture commerciale, le programme de Développement des zones frontalières
Une meilleure sensibilisation des autorités nationales quant au respect de leurs obligations n’a eu que peu de répercussions positives sur la protection. Le régime a refusé de reconnaitre sa part de responsabilités en ce qui concerne les déplacements et d’admettre qu’il est nécessaire d’en résoudre les conséquences. Malgré les concessions faites dans le delta de l’Irrawaddy après le passage du
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cyclone Nargis en mai 2008, les restrictions imposées à l’accès humanitaire sont toujours en place dans d’autres régions birmanes et frustrent chaque jour un peu plus les efforts pour atteindre les PDI en zones de conflit. Une montagne de preuves suggère que les violations des droits humains et du droit humanitaire en Birmanie orientale pourraient constituer un crime contre l’humanité.4 La frustration de la communauté internationale s’est manifestée ouvertement lors de la dénonciation, particulièrement inhabituelle, de la junte par le Comité international de la Croix-Rouge.5 Il est généralement admis que si les autorités nationales n’ont pas la capacité ou la volonté de protéger leur population contre des atrocités, cette responsabilité en incombe alors à la
communauté internationale.6 Ce transfert de responsabilité est nécessaire pour donner plus de poids à la communauté internationale lorsqu’elle est confrontée à des régimes récalcitrants qui enfreignent le droit humanitaire, tels la Birmanie. Les Principes directeurs ont permis de mettre les PDI de Birmanie à l’ordre du jour humanitaire ; toutefois nous avons besoin de nouveaux outils pour mettre fin aux violences et aux mauvais traitements et afin d’empêcher les menaces émergentes de voir le jour et de provoquer de nouveaux déplacements. Cet article a été rédigé par l’équipe de recherche sur les déplacements (tbbcbkk@tbbc.org) du Consortium Frontalier entre la Birmanie et la Thaïlande (www.tbbc.org), un réseau constitué de 11 ONG internationales
offrant nourriture, logement et articles non alimentaires aux réfugiés et personnes déplacées de Birmanie. 1. http://www.fmreview.org/burma.htm 2. BCAH & Brookings Institution, 1999, Manuel d’application des Principes directeurs sur les personnes déplacées a l’intérieur de leur propre pays (Handbook for Applying the Guiding Principles on Internal Displacement), New York, p5 http://www.brookings.edu/ fp/projects/idp/resources/HEnglish.pdf 3. Roberta Cohen, 2000, ‘Hard Cases: Internal Displacement in Turkey, Burma and Algeria’, Revue des Migrations forcées, numéro 6, http://www.fmreview.org/ FMRpdfs/FMR06/fmr608.pdf 4. Amnesty International, 5 juin 2008, Crimes contre l’humanité en Myanmar oriental, ASA 16/11/08 http:// www.amnesty.org/en/library/info/ASA16/011/2008/en Voir aussi TBBC, octobre2008, Déplacement international et droit international en Birmanie orientale. http://www. tbbc.org/idps/idps.htm 5. http://www.reliefweb.int/rw/RWB.NSF/db900SID/ LRON-74LGRA?OpenDocument 6. Assemblée générale de l’ONU, Document final du Sommet mondial de 2005, UN doc. A/Res/60/1, 24 octobre 2005, para 138 Conseil de sécurité de l’ONU, Résolution 1674.
Protéger les PDI en Europe Corien Jonker
Durant ces dix dernières années, les 47 membres du Conseil de l’Europe ont fait d’importants efforts afin de promouvoir les Principes directeurs. Onze des quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe 1 ont une population totale d’environ 2,5 millions de PDI. Il est toutefois alarmant de constater que seuls quelques centaines de milliers d’entre elles ont trouvé une solution durable face au déplacement ces dix dernières années et que la plupart ont reconstruit leur vie dans une région autre que celle dont elles étaient originaires. En outre, et contrairement aux prédictions, le nombre de PDI en Europe n’a pas chuté de manière significative. Il semble donc que, d’une certaine manière, les efforts effectués et les politiques menées n’ont pas abouti, malgré le degré de sophistication de plus en plus élevé des droits humains internationaux et des normes humanitaires. Le Conseil de l’Europe s’intéresse depuis longtemps au sort des populations déplacées. Son Assemblée parlementaire a adopté de nombreuses recommandations et résolutions, portant sur diverses questions : éducation des réfugiés et des PDI dans les pays européens, situation humanitaire des personnes déplacées en Turquie, en Fédération de Russie, en Europe du Sud-Est et dans le Sud du Caucase (et, plus récemment, en Géorgie). En 2006, sous l’impulsion du Comité sur les migrations, les réfugiés et la population de l’Assemblée parlementaire, le Comité des ministres
du Conseil de l’Europe a approuvé 13 recommandations portant sur les PDI. Ces Recommandations2 vont au-delà de la simple réitération des Principes directeurs non contraignants. Elles mettent en valeur les obligations contraignantes acceptées par les États membres du Conseil de l’Europe et qui dépassent les engagements qui vont de pair avec les Principes directeurs. La plupart des États européens concernés ont mis en place des cadres normatifs nationaux pour les déplacements internes depuis 1998. Cependant, seuls trois pays – l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie – ont réalisé d’importants progrès afin d’aligner leur législation portant sur les PDI avec les dispositions des Principes directeurs. Paradoxalement, ce sont aussi les pays où les perspectives d’un prochain retour pour les PDI sont les plus fragiles, à cause de la quasi absence de solutions politiques. Dans le même temps, la situation des PDI s’est améliorée dans les Balkans, où des accords ont été négociés au niveau international, puis leur mise en place contrôlée, et où des progrès ont été effectués quant à l’intégration au sein de l’UE. Tous les États membres du Conseil de l’Europe ont accepté la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).3 Ainsi, toute PDI tombant sous
la jurisprudence d’un État membre du Conseil de l’Europe est protégée par la CEDH et a le droit de faire appel auprès de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. Depuis le milieu des années 1990, après que la Russie, les Balkans et les Etats du Sud du Caucase ont rejoint le Conseil de l’Europe, la Cour des droits de l’Homme a rendu plusieurs jugements relatifs aux déplacements internes dans ces régions. En outre, comme les PDI demeurent sous la protection de leur propre pays, elles jouissent généralement des mêmes droits que toute autre personne. A part la Convention, d’autres instruments du Conseil de l’Europe sont contraignants pour les États membres,4 et ces instruments peuvent être utilisés tout autant par le Conseil de l’Europe que par son Assemblée parlementaire pour s’assurer que tous les pays remplissent leurs obligations. Il faut souligner ici l’importance particulière du mécanisme de protection offert par la Charte sociale européenne et sa version révisée, bien que ce mécanisme soit peu connu et particulièrement sous-utilisé. La Charte stipule que les ONG internationales qui ont un statut participatif au Conseil de l’Europe et dont la réputation est confirmée par le Comité européen des droits sociaux peuvent soumettre des plaintes collectives, mêmes si les ONG en question ne tombent sous la juridiction d’aucun des États qui font partie la Charte sociale.
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS Toutefois, de grandes disparités demeurent entre la loi et la pratique, surtout au niveau local. La responsabilité en ce qui concerne la protection des personnes déplacées repose en premier lieu sur les gouvernements et les pouvoirs locaux ; cela ne fait aucun doute. C’est à ce niveau qu’il faudra arriver enfin à changer les choses. Il faut encourager les pouvoir locaux à affecter les ressources et l’expertise nécessaires et à faire preuve de volonté politique pour mettre fin à la vulnérabilité propre aux PDI. Dans certains cas, même avec une certaine volonté, les États font face à des difficultés économiques qui les empêchent de répondre aux besoins de protection et d’assistance des PDI. Dans d’autres cas, il est clair que les gouvernements n’ont
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pas la volonté politique de protéger et d’aider les personnes déplacées.
qui permettent d’aider les personnes déplacées à retourner chez elles.
Nous devons encourager les États à accélérer la mise en œuvre de la législation actuelle et à respecter les droits humains à la lettre. Nous devons élargir la portée des Principes directeurs en s’assurant que ceux-ci soient inscrits dans la législation de tous les pays. Nous avons besoin d’instruments contraignants afin de pouvoir rendre les États et leurs gouvernements légalement responsables de toute violation des droits humains. Enfin, et surtout, nous devons mettre fin à la politique de l’autruche et nous employer à atteindre des solutions pacifiques, diplomatiques, où chacun y gagne, et
Corien W A Jonker (c.jonker@ tweedekamer.nl) est le président du Comité sur la migration, les réfugiés et la population de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (voir http://assembly.coe.int/Main. asp?link=/committee/MIG/Role_E.htm). 1. http://www.coe.int/ 2. Recommandation Rec (2006)6 du Comité des Ministres aux États membres relative aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (adoptée le 5 avril 2006) 3. http://www.hri.org/docs/ECHR50.html 4. Celles-ci comprennent la Convention européenne pour la protection des minorités nationales, la Charte sociale révisée, la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants et la Convention européenne sur la lutte contre la traite des êtres humains.
L’expérience des Principes directeurs en Géorgie Iulia Kharashvili, Ilya Kharashvili et Koba Subeliani
En août 2008, la guerre entre la Russie et la Géorgie était en première page de tous les journaux. Toutefois, une crise est restée dans l’ombre : celle du déplacement prolongé, provoquée par les conflits antérieurs de 1991-1993 qui ont poussé la plupart des Géorgiens ethniques à quitter les enclaves sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. La Géorgie a fait d’énormes progrès en ce qui concerne l’incorporation des Principes aux politiques et à la pratique. Avant la récente vague de déplacements, le nombre officiel de PDI en Géorgie était de 222 616. Environ 45% d’entre elles vivent dans des centres collectifs, généralement d’anciens bâtiments publics : hôtels, foyers, hôpitaux ou écoles. D’autres continuent de vivre chez des familles d’accueil, louent un appartement ou - dans de rares cas - ont réussi à acheter leur propre logement. Pendant de nombreuses années, les PDI ont vécu dans les limbes, contemplant passivement l’impasse politique et dépendant de la bonne volonté des autorités géorgiennes. A cause de la stagnation des négociations sur leur retour avec les autorités de facto d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, il est devenu clair que les Géorgiens déplacés avaient besoin d’un droit à l’intégration. En 1996 – deux ans avant le lancement des Principes directeurs – la Géorgie a voté sa propre loi sur les PDI. Suite à la visite de Francis Deng, alors Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour les PDI, la loi a été modifiée en 2000 et alignée sur les Principes. Même si les
Principes étaient alors acceptés par les autorités géorgiennes, il était nécessaire de mobiliser les PDI et les organisations de la société civile pour que les droits garantis par la loi se concrétisent. En 2003, le Conseil norvégien pour les réfugiés a mis au point un module éducatif pour expliquer les Principes aux collectivités locales. Cette même année, un jugement de la Cour constitutionnelle géorgienne a établi le droit des PDI à acheter une propriété sans pour autant perdre leur statut de PDI, leur droit au retour et leur droit à la restitution de leurs biens. On a aussi donné aux PDI le droit de voter lors des élections locales et parlementaires. En décembre 2005, Walter Kälin – le successeur de Francis Deng – s’est rendu en Géorgie. Les recommandations effectuées dans son rapport de mission1 ont incité le gouvernement géorgien à développer une Stratégie nationale holistique pour les PDI, grâce aux efforts coordonnés des organes de l’état, des organisations internationales et de la société civile. Basée sur les Principes,
cette Stratégie a pour objectif de créer les conditions nécessaires au retour des PDI dans la dignité et en sécurité, de favoriser des conditions de vie décentes pour les PDI et de garantir leur participation au sein de la société. Elle identifie des principes clés sur lesquels sa mise en œuvre est fondée, tels que le choix libre et informé des déplacés, la durabilité des résultats et l’égalité des sexes.2 Les nouveaux conflits armés ont changé la réalité. L’invasion de la Géorgie par les forces russes a, selon l’Appel éclair de l’ONU, rendu 128 700 personnes supplémentaires dépendantes de l’aide humanitaire.3 Le Ministère des réfugiés et du logement (MRL) a travaillé étroitement avec les agences de l’ONU, les donateurs bilatéraux, le Mouvement de la Croix-Rouge et d’autres acteurs. Tous les fonctionnaires supérieurs du MRL ont reçu une copie des Principes directeurs ainsi que le manuel du Projet Brookings-Bern Addressing Internal Displacement: A Framework for National Responsibility (Faire face aux déplacements internes : un cadre pour une responsabilité nationale).4 Cela a permis de garantir que la réponse humanitaire corresponde aux normes reconnues internationalement. La réponse immédiate du gouvernement et de la société civile a permis de prévenir toute fatalité lors des déplacements et de garantir que les besoins essentiels des PDI étaient couverts.
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L’Association des femmes PDI, en collaboration avec d’autres organisations de la société civile, a joué un rôle prépondérant dans la situation d’urgence actuelle. Elle a :
■■ organisé le travail de bénévoles
auprès de personnes nouvellement déplacées dans des centres collectifs
■■ conseillé le gouvernement sur les normes minimum d’assistance humanitaire
■■ aidé les autorités dans leurs
communications avec les agences humanitaires internationales et les donateurs
■■ aidé à sensibiliser le public international aux besoins des PDI de Géorgie.
Les troupes russes se sont maintenant retirées des villages dans le nord, de Gori à l’est et de certaines villes de l’ouest de la Géorgie, permettant à un grand nombre de personnes de rentrer chez elles. Les troupes sont toutefois toujours présentes dans le district d’Akhalgori. Bien que la présence d’observateurs venus de l’Union européenne donne l’espoir d’une plus grande sécurité, la réalité est qu’il reste toujours, dans les régions
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Le révérend László Lehel, directeur de Hungarian Interchurch Aid, vient à la rencontre de personnes déplacées par le conflit géorgien, septembre 2008.
HIA-ACT International.
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touchées par le conflit d’août 2008, plus de 34 000 PDI dont les perspectives de retour restent maigres. Pour ces PDI, les autorités géorgiennes ont commencé la construction de quelque 6 000 nouveaux logements dans les villages de la région de Shida Kartli. En attendant, offrir un logement adéquat aux déplacés pendant l’hiver reste un défi considérable. Comme la Stratégie nationale pour les PDI l’affirme, il est essentiel que toutes les PDI - qu’elles aient été déplacées récemment ou non - aient l’opportunité de recevoir la même assistance et de trouver des solutions durables à leurs problèmes. Les décisions concernant le retour, l’installation dans un nouveau logement ou le séjour temporaire dans des abris doivent être informées et librement consenties. Iulia Kharashvili (iulia.kharashvili@ idpwa.org.ge) est présidente de l’IDP Women Association (Association des femmes PDI).5 Ilya Kharashvili (ilo123@ mail.ru) suit un doctorat à l’Institut de gestion des processus migratoires, à l’Université d’État de gestion de Moscou. Koba Subelian (sxalde@yahoo. com) est coordinateur du Groupe pour les PDI du parlement géorgien (et a été récemment nommé Ministre pour les réfugiés et le logement en Géorgie).
1. http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/ G06/120/14/PDF/G0612014.pdf?OpenElement 2. http://www.brookings.edu/projects/idp/Laws-andPolicies/georgia.aspx 3. http://www.reliefweb.int/rw/rwb.nsf/db900SID/EDIS7HMPZ2?OpenDocument 4. http://www.brookings.edu/projects/idp/20050401_ nrframework.aspx 5. http://www.idpwa.org.ge
Témoignages de PDI IDMC (www.internal-displacement. org) avec le soutien du Project de Témoignages de Panos London (www.panos.org.uk/ oraltestimony) s’est entretenu avec des PDI en Géorgie et en Colombie afin de recueillir leurs expériences personnelles de déplacement forcé et ce que cela implique d’être déplacé. Le site Internet IDMC de la Voix des PDI (www.idpvoices.org) permet d’accéder à une large gamme de témoignages de PDI en formats écrit et audio, organisés par pays selon les droits tels qu’ils sont stipulés dans les Principes Directeurs. Des ouvrages publiés sur les voix des PDI en Colombie et en Géorgie peuvent aussi être téléchargés.
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Approches régionales pour incorporer les Principes directeurs Walter Kälin, le Représentant du Secrétaire général pour les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, a cherché – comme son prédécesseur – à « durcir» le droit souple en encourageant les États à développer des lois nationales basées sur les Principes directeurs. Une démarche parallèle a consisté à oeuvrer avec des organisations
régionales pour mettre au point des conventions contraignantes pour l’ensemble de la région en question. Bien que les négociations risquent d’être plus longues, car plusieurs États sont impliqués, leur impact sera probablement plus fort : d’une part parce que plusieurs États souscriront aux conventions régionales simultanément et d’autre part parce que les États, sachant que leurs actions
seront observées par une organisation régionale, seront peut-être plus enclins à concrétiser leurs engagements. A ce jour, c’est en Afrique que l’on trouve les meilleurs exemples d’intégration des Principes directeurs à des approches régionales, comme l’illustre cet article rédigé par Brigitta Jaksa et Jeremy Smith.
Afrique : des principes facultatifs se transforment en normes contraignantes Brigitta Jaksa et Jeremy Smith
Une Convention africaine pour protéger les PDI sur l’ensemble du continent pourrait bientôt être adoptée par l’Union africaine. Si celle-ci est suffisamment robuste et suit étroitement les Principes directeurs, elle pourrait envoyer un message fort, indiquant la détermination de l’Afrique à s’attaquer à la question des PDI. La moitié des PDI du monde (12 millions) se trouvant en Afrique, les États africains ont déjà montré l’exemple en ce qui concerne la protection des PDI. Signé en 2006, le Protocole des Grands Lacs sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en interne engage les États signataires à adopter et mettre en pratique les Principes directeurs. En outre, en 2006, les ministres de l’Union africaine (UA) ont mis en œuvre un processus visant à développer un cadre à l’échelle du continent sur les droits des PDI ; cela nous permet d’espérer la mise en place de normes contraignantes pour l’ensemble de l’Afrique. La Convention pour la prévention du déplacement interne et la protection et l’assistance des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays en Afrique doit être approuvée par le Sommet exceptionnel de l’UA qui se tiendra en Ouganda en avril 2009. Les grandes lignes du projet de Convention sont basées sur les Principes directeurs. Les défenseurs de la cause des PDI jugent cette convention opportune mais ont émis un certain nombre de réserves.
■■ La clause d’ouverture, qui demande aux États de ne pas discriminer et
d’empêcher toute discrimination, est trop limitée car elle ne comprend que les facteurs « ethniques, raciaux ou religieux », plutôt que de reprendre le Principe directeur 4 qui rend illégale toute forme de discrimination.
■■ Il manque à la Convention une
affirmation positive du Principe directeur 1, qui stipule que les PDI « jouissent, sur un pied d’égalité, en vertu du droit international et du droit interne, des mêmes droits et libertés que le reste de la population du pays ». Tout au plus, elle crée une obligation négative pour les États « d’empêcher l’exclusion et la marginalisation politique, sociale, culturelle et économique, qui peuvent entraîner le déplacement ».
■■ La mention de « procédures
simplifiées » pour rendre aux PDI leurs biens reste vague et ne permettra peut-être pas d’aider les femmes déplacées dans les situations où celles-ci n’ont pas le droit d’hériter de biens qui sont considérés comme n’appartenant qu’à leur mari.
■■ La Convention énumère les règles de comportement que doivent suivre
les acteurs armés non-étatiques mais, par définition, ces acteurs ne peuvent faire partie de la Convention.
■■ La Convention, au contraire des
Principes, s’attaque directement au problème du déplacement provoqué par le développement. Toutefois, une notification assez vague, qui stipule que cela ne s’applique qu’aux projets de développement «de grande envergure», pourrait permettre aux États de ne pas remplir leurs responsabilités. La Protection ne mentionne rien sur la possibilité pour le public ou le parlement d’examiner les projets qui pourraient provoquer des déplacements.
■■ De nombreux articles abordant la
responsabilité pour les États d’offrir protection et assistance humanitaire – ou de permettre à d’autres acteurs de le faire – créent un malaise : chaque clause établissant des normes solides est potentiellement invalidée par une autre clause. Par exemple : la Convention exige que les États reconnaissent la neutralité, l’impartialité et l’indépendance des acteurs humanitaires mais, de manière inquiétante, donne aussi aux États « le droit d’imposer les arrangements d’ordre technique » en ce qui concerne l’accès humanitaire ; une clause ne donne aux agences internationales qu’un rôle restreint dans l’évaluation des besoins et des vulnérabilités, et les États pourront donc décider eux-
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS
mêmes si la réponse apportée aux besoins des PDI est adéquate, quelle que soit la situation dans laquelle ces PDI se trouvent ; pour les situations dans lesquelles les États seront incapables de protéger et de porter secours aux PDI, il est parfois indiqué que les États « devraient » se tourner vers l’assistance internationale, voire même simplement qu’ils « peuvent » le faire ; et la condition qui préconise qu’une assistance extérieure ne doit être sollicitée uniquement lorsque « le maximum de ressources [de l’État] disponibles n’est pas suffisant » n’est d’aucune utilité, puisqu’elle instaure un mécanisme permettant à un État d’empêcher toute assistance venue de l’extérieur, même dans les situations où il n’a aucune d’intention d’offrir lui-même cette assistance.
■■ Toute mention de mécanisme
permettant d’évaluer si les États
respectent leurs engagements reste vague. Le projet envisage la création d’une Conférence des États parties afin de suivre et de revoir la mise en œuvre de la Convention, sans pour autant spécifier ses fonctions ou expliquer ses mécanismes de communication des informations.
à juger cet État sur les questions liées au respect de la Convention sur les PDI.
Un instrument permettant potentiellement de garantir que la Convention soit respectée est la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, une institution destinée à devenir « l’organe judiciaire principal de l’Union africaine » mais qui n’est pas encore fonctionnelle. Selon le protocole qui vise à l’établir, cette Cour aura juridiction non seulement sur toutes les dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples mais aussi sur tout instrument lié aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés. Cela signifie que si un État a ratifié le Protocole, la Cour serait en théorie habilitée
Brigitta Jaksa (brigitta@idpaction.org) est conseillère juridique et Jeremy Smith (jeremy@idpaction.org) est directeur de la stratégie organisationnelle pour IDP Action (www.idpaction.org), une agence basée au Royaume-Uni faisant campagne pour les droits des PDI d’Afrique. La version intégrale de cet article est disponible sur le site internet de l’organisation.
Si toutes ces réserves trouvaient réponse, les Principes directeurs pourraient être sur le point de former le noyau dur du premier instrument juridique international au monde portant sur la protection des PDI.
Le Protocole, qui fait partie du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs, a été signé par 11 États, y compris le Soudan,
Les Principes directeurs peuvent-ils faire la différence au Kenya? Jacqueline Klopp et Nuur Mohamud Sheekh
Le Kenya a signé le Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs,1 qui comprend des protocoles légalement contraignants basés en grande partie sur les Principes directeurs. Les acteurs concernés peuvent maintenant éventuellement utiliser le Pacte pour renforcer leurs efforts d’assistance auprès des personnes toujours déplacées suite aux violences provoquées par les élections de décembre 2007. Avant les dernières violences en date au Kenya, des progrès avaient été effectués pour encourager le gouvernement à répondre à la question du déplacement interne, qui se posait déjà depuis longtemps. Un Groupe de travail pour la réinstallation avait été établi et avait reçu quelque 1,3 milliard de shillings kenyans (environ 16,5 millions de dollars2) lors de l’année fiscale 2007/08, afin d’acheter des terres sur lesquelles les personnes déplacées seraient réinstallées. Cela représentait donc un pas en avant, même si de nombreux problèmes étaient apparus quant à la manière dont l’argent destiné au groupe de travail et à la réinstallation avait été dépensé. La ratification du Pacte avait indiqué que les Principes étaient acceptés comme le cadre permettant d’aborder la question du déplacement interne. Environ 600 000 personnes ont été déplacées et 1 500 tuées après l’élection
du 27 décembre 2007. Plusieurs de ces personnes avaient déjà été déplacées auparavant. Faisant la chronique des déplacements à origine politique précédents, ayant eu lieu en 1992, 1997 et 2002, la Commission d’enquête sur les violences ayant suivi les élections a décrit le déplacement interne comme un « élément permanent » de l’histoire du Kenya.3 La loi de février 2008 sur l’Accord national et la Réconciliation a permis de donner la priorité à la résolution de la crise du déplacement, de mandater une enquête sur les violences consécutives aux élections qui ont causé des déplacements en masse et de créer une équipe chargée de mettre en place une Stratégie de réconciliation nationale et de relèvement social et économique d’urgence. Déterminé à encourager le retour rapide et précoce des déplacés, le gouvernement avait
annoncé son intention de fermer les camps de PDI situés dans des stades ou des champs de foire publics d’ici à juin 2008. Toutefois, les PDI n’ont pas été adéquatement identifiés ou séparés en catégories selon leurs besoins. De plus, en raison du manque de consultation, le gouvernement n’a pu identifier la catégorie de personnes, pourtant importante, n’ayant pas la possibilité ou la volonté de retourner chez elles. En mai 2008, le gouvernement a lancé l’Opération Rudi Nyumbani (Opération Retour). Afin d’exercer des pressions sur les PDI, des services essentiels, tels que l’approvisionnement en eau, ont été interrompus - une violation flagrante des Principes directeurs. Une somme de 10 000 shillings kenyans (environ 127 dollars) a été offerte aux personnes qui acceptaient de retourner chez elles. Les associations de PDI ont alors exprimé de nombreuses préoccupations au sujet de Rudi Nyumbani, indiquant le manque de :
■■ compensation ou de prêts de soutien aux entreprises
■■ préparation relative à la sécurité et à
la réconciliation sur les lieux de retour
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS ■■ planification pour les personnes qui ne souhaitaient pas retourner chez elles ou n’avaient aucun accès à la terre
■■ dispositions pour les groupes
vulnérables tels que les personnes atteintes du VIH/sida et les enfants déplacés scolarisés ou vivant dans des familles d’accueil
■■ communication avec les PDI au sujet
du programme, les laissant ainsi mal informées quant à leurs droits.
La marche à suivre Il est malheureux de constater que, au moment où le Kenya semblait sur le point de reconnaître officiellement les Principes directeurs, les violences électorales aient
Bernard Thomas Barrett
Alors que certaines PDI avaient effectué un retour réussi, beaucoup d’autres ont décidé de ne pas retourner vers des régions où les tensions étaient toujours importantes. Le gouvernement kényan a affirmé que plus de 90% des PDI avaient été réinstallées mais on estime jusqu’à 220 000 le nombre de PDI vivant toujours dans des camps en septembre 2008.4
pensent que ces enfants ne seront pas en sécurité sur le lieu de retour ou bien parce qu’ils les abandonnent, par désespoir, étant incapables de s’en occuper.6 Cette mise en application incohérente de Rudi Nyumbani a généré des accusations de favoritisme ethnique et de mauvais usage des fonds, certaines personnes affirmant que les allocations de 10 000 shillings kényans avaient été parfois distribuées aux auteurs des violences. Enfin, Rudi Nyumbani s’est surtout concentré sur la Vallée du Rift, alors que d’autres régions du nord du Kenya continuent de subir des déplacements en masse sans que la situation ne soit reconnue et sans qu’aucune assistance ne soit offerte.
Des familles déplacées préparent leur repas, École Primaire Elburgon, près de Molo au Kenya, janvier 2008.
De nombreuses PDI se sont retrouvées dans des bidonvilles urbains sans aucun soutien officiel. Les organisations communautaires et les membres de ces communautés, eux-mêmes déjà pauvres, assistent à leurs frais ces personnes déplacées qui ont été largement négligées. La Commission nationale kényane sur les droits de l’homme a affirmé que la mise en œuvre de Rudi Nyumbani constituait une violation des Principes directeurs puisque les PDI n’avaient pas été consultés quant aux différentes options de réinstallation.5 L’UNICEF et la Child Welfare Society du Kenya ont signalé une augmentation du nombre d’enfants chefs de famille dans les centres urbains, parce que leurs parents
provoqué de nouveaux déplacements sur une si grande échelle. Sans les Principes, toutefois, les choses auraient été pires. Les formations et les ateliers ont permis de développer une meilleure compréhension des Principes et le gouvernement affirme maintenant que ses politiques s’en inspirent. Les médias et la société civile sont aussi de plus en plus conscients des Principes et les utilisent pour demander des comptes au gouvernement. Pourtant, et de toute évidence, il reste encore beaucoup à faire. L’une des recommandations de la Commission sur les violences consécutives aux élections conseille au gouvernement d’élaborer une politique nationale claire relative
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aux PDI, dont les Principes directeurs formeraient le cadre législatif. Cela serait conforme aux obligations du Kenya selon le Pacte régional. Il est aussi important de sensibiliser les parlementaires kényans au besoin d’inscrire le Pacte des Grands Lacs au sein de la constitution. Bien que le Kenya possède une Réseau national de PDI plutôt bien organisé et une société civile active, peu d’organisations travaillent sur la question des PDI et engagent un dialogue avec les responsables politiques. L’ONU, les donateurs et les organes régionaux pourraient faire une plus grande promotion des Principes lors de leurs interactions avec le gouvernement et encourager l’intensification du débat public. Le renforcement des capacités est aussi essentiel, surtout pour les organisations civiles qui travaillent auprès des PDI. Il est important de remettre en question le point de vue dominant parmi les responsables politiques kényans, qui consiste à penser que les questions liées au déplacement relèvent de l’ordre du secours humanitaire. Cela a signifié, pendant de nombreuses années, que lorsque les violences et les déplacements cessent pour faire place à la reconstruction, c’est le gouvernement qui se retrouve chargé des questions liées aux PDI. Il existe un besoin urgent de politiques dont l’objet serait de porter assistance aux personnes déplacées et de les réintégrer par le biais d’initiatives stratégiques de compensation, de réconciliation et de reconstruction. Pour que le déplacement cesse d’être un thème récurrent de l’histoire du Kenya, les Principes directeurs, ainsi que la voix des PDI elles-mêmes, doivent structurer ce processus et lui donner sa direction. Jacqueline Klopp (jk2002@columbia. edu) est professeure associée d’affaires publiques et internationales à l’Université de Columbia. Laura Perez (laura. perez@nrc.ch) est analyste régionale pour le Centre de surveillance des déplacements internes du Conseil norvégien pour les réfugiés (http:// www.internal-displacement.org). 1. http://www.internal-displacement. org/8025708F004CFA06/(httpKeyDocumentsByCategory)/ EDBDB590CC1BF1FEC1257248002EC747/$file/Great%20 Lakes%20pact_en.pdf 2. Taux de change de novembre 2008. 3. Commission d’enquête sur les violences consécutives aux élections, p. 271. http://wikileaks.org/leak/ wakireport-2008,pdf 4. http://www.nation.co.ke/News/-/1056/474336/-/ tkv656/-/index.html 5. http://www.irinnews.org/report.aspx?ReportID=80948 et http://allafrica.com/stories/200810290041,html 6. http://www.unicef.org/infobycountry/ kenya_45641,html et http://www.irinnews.org/report. aspx?ReportID=80267
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L’Ouganda face aux déplacements : contraste entre politique et pratique Ruth Mukwana et Katinka Ridderbos
On oublie souvent, au sujet du conflit prolongé qui a sévi dans le nord de l’Ouganda, que les déplacements étaient principalement dus à la décision du gouvernement de forcer les civils à se réfugier dans des « villages protégés ». La paix semble maintenant se profiler à l’horizon mais des efforts restent encore à faire pour mettre en application la politique nationale innovante de l’Ouganda en ce qui concerne les PDI. On estime que les conflits entre le gouvernement ougandais et l’Armée de résistance du Seigneur (ARS) ont déplacé environ 1,8 millions de personnes. Le gouvernement affirme qu’il a dû séparer les civils des insurgents afin d’empêcher autant que possible que l’ARS ne recrute des collaborateurs civils. La crise du déplacement a empiré en 2002, lorsque l’armée ougandaise, durant une offensive contre l’ARS (Opération Main de Fer), a ordonné à tous les civils restant dans les « villages abandonnés » de se rendre dans des « villages protégés », c’est-àdire des camps du gouvernement. Le regroupement forcé dans des camps a rendu les populations très vulnérables. Les attaques répétées de l’ARS ont réussi car les soldats étaient souvent en garnison au milieu des camps plutôt qu’en dehors, comme cela aurait dû être le cas. Ainsi, lorsque l’ARS attaquait un camp, le dernier endroit qu’elle atteignait était la base militaire - c’étaient donc les PDI elles-mêmes qui étaient les principales victimes des combats. A cause de l’échec de la politique des « villages protégés » et des conditions humanitaires déplorables, le peuple Acholi - victime principale de l’ARS et fournisseur principal de ses cadres - a développé un sentiment profond de marginalisation au niveau politique et social. En 2003, face à l’absence de réponse nationale et internationale pour pallier d’immenses besoins humanitaires dans les camps de PDI de l’Ouganda, Jan England, alors Coordonnateur des secours d’urgence de l’ONU décrivait la crise humanitaire du nord de l’Ouganda comme la « plus grande des urgences humanitaires oubliées et négligées actuellement dans le monde ». La Politique Nationale envers les PDI de l’Ouganda a été adoptée en 2004, suite à la visite de Francis Deng, l’ancien
Représentant du Secrétaire général de l’ONU pour les PDI. L’Ouganda a été l’un des premiers pays à adopter une politique nationale dérivée des Principes directeurs. Cette politique :
■■ aborde de manière holistique la
question de la protection contre le déplacement, pendant le déplacement et pendant le retour, la réinstallation et la réintégration
■■ affirme que les PDI « ont le droit de
demander aux autorités nationales et régionales de recevoir une protection et un secours humanitaire » (traduction)
■■ donne aux PDI « le droit de ne pas
souffrir de discrimination, en ce qui concerne l’usage de leurs droits et de leur liberté, pour la simple raison qu’elles sont déplacées » (traduction)
■■ requiert une série d’actions pour permettre aux PDI d’atteindre le même niveau éducatif que les autres Ougandais
■■ souligne l’importance de la
consultation des PDI, surtout des femmes déplacées et des jeunes
■■ a été traduite en trois langues
locales – acholi, ateso et lango
■■ représente un engagement de la part
du gouvernement et établit une série de normes approuvées que les acteurs peuvent citer si le gouvernement ne remplit pas ses responsabilités.
La mise en œuvre de la Politique envers les PDI a toutefois débuté lentement. La décentralisation hâtive n’a pas fourni de ressources suffisantes aux strates inférieures du gouvernement. Le fait que le gouvernement local était en
décrépitude n’a pas été pris en compte. La pression sur les collectivités locales s’est ensuite accentuée avec l’arrivée d’une multitude d’acteurs humanitaires, puis suite à la décision du Comité permanent interorganisations (CPI) - le mécanisme principal de coordination humanitaire 1de faire de l’Ouganda un pays pilote pour la mise en application du principe de la responsabilité sectorielle.2 De nombreux acteurs humanitaires indépendants n’avaient pas consulté les collectivités locales. Ainsi, la mise en place du principe de la responsabilité sectorielle a-t-elle créé des structures parallèles pour la coordination des activités humanitaires. Les collectivités locales ont alors été mises sur la touche, la communauté internationale ne faisant pas grandchose pour renforcer les capacités du gouvernement. Les communications entre les autorités locales et nationales n’étaient pas suffisamment nombreuses, les PDI n’étaient presque pas consultées et les ressources permettant la mise en place de la politique n’étaient pas allouées. Après de longues négociations sous l’égide du gouvernement nouvellement établi du Sud-Soudan, le gouvernement ougandais et l’ARS ont déclaré un cessezle-feu en 2006. Bien qu’il reste toujours à persuader l’ARS de signer un accord de paix final (en partie à cause de la mise en accusation des dirigeants de l’ARS par la Cour pénale internationale), la sécurité dans le nord de l’Ouganda s’est améliorée, permettant à des centaines de milliers de PDI de quitter les camps. On entend beaucoup parler d’une transition du secours humanitaire vers le relèvement et le développement, toutefois la confusion règne en ce qui concerne le rôle et les responsabilités des gouvernements locaux et nationaux, des agences de l’ONU, des donateurs et des ONG.3 Les multiples mécanismes de coordination créés lors des phases précédentes de la crise doivent être rationnalisés pour permettre le transfert des responsabilités vers les autorités nationales. Rétrospectivement, il aurait été préférable pour la communauté internationale de renforcer et de soutenir les organes du gouvernement, puisqu’elle avait
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Paul Jeffrey/Action by Churches Together
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Enfants déplacés dans un camp de PDI dans le nord de l’Ouganda.
encouragé l’Ouganda à mettre en place une Politique Nationale envers les PDI. Cela aurait peut-être favorisé le développement d’une perspective à long terme et aidé les autorités locales à se préparer aux responsabilités que leur assigne cette politique. D’énormes efforts sont nécessaires pour garantir des solutions durables pour les PDI et toutes les populations touchées par les conflits. Si aucune solution n’est trouvée pour les causes principales du conflit et s’il est impossible de conclure un accord de paix final avec l’ARS - l’une des conditions essentielles au retour de nombreuses PDI - cela indiquerait que le gouvernement n’aurait pas réussi à empêcher les déplacements et à créer les conditions permettant de trouver des solutions durables. Le processus de paix donne au gouvernement l’opportunité de trouver des solutions durables pour les personnes déplacées. Alors que le gouvernement
a engagé un processus de fermeture des camps, il doit prendre les mesures nécessaires pour permettre aux PDI de choisir, de manière informée et librement consentie, entre le retour, l’intégration ou la réinstallation. En 2005, le Projet Brookings-Bern sur le déplacement interne a organisé un atelier à Kampala – sous la houlette du gouvernement ougandais – afin d’identifier les entraves à la mise en application de la politique de l’Ouganda envers les PDI et de trouver des solutions.4 Les recommandations de l’atelier sont toujours valides : le gouvernement ougandais doit faciliter le retour des PDI en déblayant les mines terrestres, en intensifiant la présence policière dans les zones de retour, en construisant des infrastructures, en garantissant la disponibilité des services sociaux et en établissant des mécanismes juridiques pour les offenses criminelles et les différends portant sur les terres et les biens. Surtout, il faut que le gouvernement
s’attaque aux causes profondes du conflit et alloue de plus importantes ressources à la mise en application de sa politique innovante envers les PDI. Ruth Mukwana (mukwana@un.org) est chargée des affaires humanitaires (Protection) auprès de la section de soutien au déplacement et à la protection pour le Bureau de coordination de l’aide humanitaire (OCHA-DPSS http:// ochaonline.un.org). Laura Perez (laura. perez@nrc.ch) est analyste de pays pour l’Observatoire des situations de déplacements internes (http:// www.internal-displacement.org). 1. http://www.humanitarianinfo.org/iasc/ 2. Veuillez consulter RMF 20, http://www.fmreview.org/ humanitarianreform.htm 3. Oxfam, « From Emergency to Recovery: Rescuing northern Uganda’s transition » (« De l’urgence au relèvement : sauver la transition au nord de l’Ouganda »), septembre 2008. http://www.oxfam.org/ files/bp118-uganda-from-emergency-to-recovery.pdf 4. Joy Miller, « La politique des personnes déplacées de l’Ouganda », RMF 27, janvier 2007. http://www.unhcr. org/FMRpdfs/FMR27/53.pdf
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Le Principe directeur 29 et le droit à la restitution Rhodri C Williams
L’émergence d’un droit à la restitution des logements et des biens suite au déplacement représente un développement considérable des droits de l’homme, dix ans après la présentation des Principes directeurs. Bien que le Principe directeur 29 ait contribué au développement de ce droit, il existe toujours de nombreux obstacles à son application systématique dans les situations de déplacement.
Le Principe 29(2) affirme que : “Les autorités compétentes ont le devoir et la responsabilité d’aider les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, qui ont regagné leur lieu d’origine ou ont été réinstallées, à recouvrer, dans la mesure du possible, la propriété et les possessions qu’elles avaient laissées ou dont elles avaient été dépossédées au moment de leur départ. Lorsque leur recouvrement n’est pas possible, les autorités compétentes accorderont à ces personnes une indemnisation équitable ou une autre forme de dédommagement ou les aideront à les obtenir.»
Au moment de la rédaction des Principes directeurs, le droit des PDI à récupérer leurs biens ou logements abandonnés ne faisait pas l’unanimité. Les textes juridiques afférant aux droits humains garantissaient un «droit au retour» mais celui-ci se limitait au retour des personnes au sein des frontières de leur pays d’origine - une destination souvent éloignée de leur foyer. En outre, le droit au recours judiciaire pour les violations telles que la confiscation des biens se limitait au droit à une audition impartiale, sans aucune garantie que des réparations seraient accordées sous forme de restitution en l’occurrence. Alors que les rédacteurs des Principes directeurs étaient conscients qu’il était impossible de concevoir des solutions durables pour les PDI sans possibilité de restitution et de retour librement consenti, il était toutefois nécessaire, selon les accords juridiques de l’époque, de formuler les choses de manière à mettre l’accent sur les devoirs des États plutôt que sur les droits individuels. Toutefois, des progrès significatifs sur le terrain ont eu lieu suite aux Accords de paix de Dayton en 1995, qui ont mis fin à la
guerre en Bosnie et ont inclus les droits des personnes déplacées à « retourner librement dans leur logement d’origine » et de « recouvrer les biens dont elles ont été dépossédés ». Durant les cinq années suivantes, un effort méthodique de restitution des biens des Bosniaques déplacés a permis de restituer quelque 200 000 logements et de garantir le retour de presque un million de personnes. C’était la première fois que la restitution, en tant que droit, était appliquée à grande échelle après un conflit. L’expérience bosniaque a permis d’effectuer des progrès marquants, tels que l’adoption par l’Assemblée générale de l’ONU, en 2006, des « Principes fondamentaux et directives » qui affirment le droit à d’importantes réparations, telles que la restitution, en plus du droit à une audition impartiale.1 En 2005, le droit à la restitution suite au déplacement a reçu le soutien spécifique des principes de Pinheiro,2 qui confirmaient que la restitution était « la réparation la plus appropriée face au déplacement » et un « droit distinct [...] qui ne doit être influencé ni par le retour, ni par le nonretour » des personnes concernées. Tout comme les Principes directeurs, les principes de Pinheiro avaient pour but de réitérer les principes généralement acceptés du droit international et ont permis d’apporter de nombreuses réponses aux pays qui prennent au sérieux la question du déplacement. L’Assemblée générale de l’ONU et le Conseil de sécurité soutiennent maintenant la reconnaissance du droit à la restitution et le Secrétaire général a appelé à une résolution plus efficace des problèmes liés au recouvrement des biens suite aux conflits.3 La restitution est aussi devenue un élément de plus en plus courant de la résolution des conflits, que ce soit de manière directe, par le biais d’accords de paix, comme
au Darfour ou au Népal, ou par le biais de mécanismes ad hoc, comme en Afghanistan, au Burundi ou en Turquie. Toutefois, l’acceptation, en principe, du droit à la restitution a créé de nouveaux défis quant à sa mise en pratique. Ces dix dernières années ont vu peu d’exemples de programme de restitution au succès certain; ainsi la Bosnie fait-elle figure non seulement de précédent mais aussi d’anomalie. Cet échec est en partie politique. Les terres et l’immobilier sont, par nature, des capitaux de grande valeur, ce qui pousse certaines autorités locales et nationales à s’opposer à les restituer aux PDI. Dans les conflits gelés, la restitution est généralement inconcevable. Ainsi, bien que le Conseil de sécurité se soit déclaré fermement en faveur de la restitution dans le cas des régions indépendantistes de la Géorgie,4 l’incursion récente de la Russie sur ces territoires a fortement diminué les chances concernant le respect des procédures de restitution. En outre, là où la volonté politique existe, les programmes de restitution demandent parfois une quantité de ressources et un ensemble de capacités juridiques que beaucoup de pays ne possèdent pas. Dans les pays comme l’Afghanistan, où la privation des terres était répandue avant les déplacements, ou le Burundi, où la population sera bientôt trop élevée pour la surface de terres disponibles, il est impératif que les propositions de restitution assurent un accès équitable aux terres pour l’ensemble de la population. Un autre défi considérable de la restitution est d’y intégrer les systèmes coutumiers de gestion foncière. Dans de nombreux pays, les terres appartiennent à des groupes indigènes ou tribaux, selon des règles non écrites. Alors qu’il est nécessaire de respecter ces systèmes traditionnels, l’absence de reconnaissance par l’État et de documents officiels vient souvent compliquer les demandes de restitution. Les systèmes coutumiers manquent fréquemment de transparence et ont tendance à être discriminatoires, ce qui complique les efforts visant à garantir que le respect des droits coutumiers collectifs ne soit pas nuisible aux individus. Cette tension est illustrée par le Protocole sur les droits de propriété des personnes de retour du Pacte des
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS Grands Lacs5 : celui-ci affirme en effet le droit des femmes à être propriétaires sans discrimination, ainsi que les droits des communautés rurales et pastorales à une protection spéciale de leur propriété; toutefois, le Protocole évite de donner des directives précises lorsque les systèmes de succession traditionnels introduisent des discriminations à l’encontre des femmes.
devenu plus évident que jamais que les droits de propriété doivent être respectés dans les situations de déplacement. La promesse du Principe 29(2) ne s’est pas encore entièrement réalisée mais il est encourageant de constater qu’une règle, jugée autrefois ambitieuse, est en passe de devenir un élément commun des réponses apportées aux déplacements.
Néanmoins, malgré ces complications, de grands progrès ont été effectués. Des plans de restitution ambitieux sont en discussion en ce qui concerne la Colombie et l’Irak. Suite au tsunami de 2004 et à d’autres catastrophes naturelles, il est
Rhodri C. Williams (rcw200@yahoo.com) a coordonné le contrôle du processus de restitution en Bosnie avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Il est à l’origine de la rédaction du document Protecting
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Internally Displaced Persons: A Manual for Law and Policy-Makers (Protéger les personnes déplacées de l’intérieur : un manuel a l’usage des législateurs et des politiciens) lorsqu’il travaillait comme consultant pour le Projet Brookings-Bern. 1. http://www2,ohchr.org/english/law/remedy.htm 2. http://www.cohre.org/store/attachments/Pinheiro%20 Principles.pdf 3. Voir ‘Rapport du Secrétaire général sur la protection des civils dans les conflits armés’, octobre 2007 http://www.un.org/Docs/journal/asp/ ws.asp?m=s/2007/643 4. http://www.un.org/News/Press/docs/2007/sc9142. doc.htm 5. http://www.brookings.edu/fp/projects/idp/GreatLakes_ IDP protocol.pdf
Obstacles à la mise en place du principe directeur 29 en Afghanistan Megan Bradley
Le Principe 29 affirme que « les autorités compétentes ont le devoir et la responsabilité d’aider les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui ont regagné leur lieu d’origine ou ont été réinstallées à recouvrer, dans la mesure du possible, la propriété et les possessions qu’elles avaient laissées ou dont elles avaient été dépossédées au moment de leur départ. Lorsque leur
Camp de PDI, Kaboul, Afghanistan, juin 2008
recouvrement n’est pas possible, les autorités compétentes accorderont à ces personnes une indemnisation équitable ou une autre forme de dédommagement ou les aideront à les obtenir. » Toutefois, concrétiser ces aspirations en Afghanistan reste une gageure car les schémas de déplacements y sont compliqués. En plus des 130 000 PDI
en situation de déplacement prolongée dans le sud et le sud-ouest du pays, un nombre inconnu de personnes a été déplacé ces dernières années suite à des conflits, des violations des droits humains, des inondations et des sécheresses. Les cinq millions de réfugiés qui depuis sont revenus du Pakistan ou de l’Iran1 font face à un risque croissant de déplacement interne car, souvent, ils ne possèdent ni les ressources, ni l’autorité nécessaires pour récupérer leur propriété ; ou alors ils n’ont aucune propriété à réclamer et nulle part où aller. La compétition pour les terres est particulièrement intense dans un pays au taux de natalité élevé, où seulement 12% des terres sont arables. Des dizaines d’années de conflit et de déplacement ont généré des revendications foncières douteuses et concurrentes, puisque les gouvernements successifs ont tous adopté des politiques foncières différentes, la plupart du temps dans le but de récompenser leurs sympathisants. Les élites puissantes ont profité du chaos pour s’arroger de vastes étendues de terres. Le système afghan d’enregistrement des titres fonciers est profondément dysfonctionnel : d’un côté, de nombreuses personnes ne possèdent pas les documents nécessaires pour appuyer leur revendication, alors que, d’un autre côté, IRIN/Manoocher Deghati
Rendre leur propriété aux Afghans déplacés est un redoutable défi. Etant donnée la prédominance de personnes sans terres, de revendications multiples pour la même propriété et de l’inégalité de la distribution des terres, il y a peu de chances qu’en essayant uniquement de restituer les terres aux « propriétaires d’origine », l’on serve les besoins des PDI, des rapatriés et de leurs voisins.
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plusieurs personnes possèdent des titres confirmant la propriété de la même parcelle de terre. Il est impossible de faire confiance aux tribunaux pour résoudre les conflits à cause du manque de ressources et de formation, ainsi que de la corruption à grande échelle. Dans les cas où les autorités prennent des décisions justes, celles-ci sont rarement respectées, car la mise en application des lois reste limitée et l’impunité répandue. Les prétendants utilisent souvent la violence pour résoudre les conflits, perpétuant ainsi le cycle du déplacement et de la récrimination. Le Principe 29 se retrouve aussi dans le Décret sur le retour dans la dignité de 2001,2 qui stipule que toute propriété mobilière et immobilière doit être restituée à son propriétaire légitime. De même, la Stratégie nationale de développement afghane3 « défend le droit de tous les Afghans à retourner chez eux, [et] de recouvrer leur propriété » (traduction). Toutefois, et malgré ces déclarations, d’innombrables revendications restent sans résolution, ce qui menace la viabilité du retour et la quête d’une paix durable. La politique « d’impact minimal » de la communauté internationale en Afghanistan signifie que, contrairement aux processus de restitutions qui ont eu lieu dans certains pays tels la Bosnie, il y a eu peu de soutien pour renforcer les capacités locales. Un
Tribunal spécial pour la résolution des conflits relatifs à la propriété avait été établi mais celui-ci s’est vite effondré à cause du manque de soutien, des capacités d’application inadaptées, de l’inaccessibilité et de la corruption. En l’absence d’efforts officiels pour défendre les droits des personnes déplacées, les PDI et les rapatriés s’en remettent fréquemment aux mécanismes traditionnels de médiation et de résolution tels que la shura ou la jirga afin de résoudre les conflits. En théorie, leurs décisions sont basées sur la Charia mais les hommes qui y participent suivent aussi le droit coutumier, qui est parfois plus conservateur, en particulier en ce qui concerne les femmes. Aussi troublant que cela puisse paraître, il est essentiel de travailler avec la shura et la jirga pour mettre en œuvre le Principe 29 en Afghanistan, même si c’est de manière limitée ; en effet, ces assemblées qui sont légitimées au niveau local, prennent des décisions rapides et sont moins corrompues et plus accessibles que les tribunaux officiels. 4 Alors que le besoin d’une plus grande stabilité est une condition préalable à la résolution des conflits fonciers dans le sud, il est essentiel de redoubler d’efforts pour s’attaquer au problème des terres car ces différends continuent
Principe directeur 23 Toute personne a droit à l’éducation… Pour donner effet à ce droit, les autorités concernées veilleront à ce que les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, en particulier les enfants déplacés, reçoivent gratuitement un enseignement qui revêtira un caractère obligatoire au niveau primaire. Cet enseignement respectera leur identité culturelle, leur langue et leur religion. La plupart des PDI considèrent l’éducation comme un facteur essentiel du développement de leurs enfants. Comme une PDI ougandaise l’affirmait : « Je n’ai pas besoin d’être riche. Ce que je veux, c’est l’éducation : je veux que mes enfants aient un futur. » Au Pérou, certaines PDI ne voulaient pas retourner chez elles à cause du manque d’écoles dans la zone de retour, alors qu’au Mozambique des PDI de retour ont temporairement laissé leurs enfants derrière pour qu’ils puissent poursuivre leur éducation. L’école est aussi considérée comme un moyen de normaliser la vie de leurs enfants et comme une mesure de sécurité, protégeant ces derniers contre l’exploitation sexuelle, le recrutement militaire et les gangs criminels. Toutefois, les parents de Géorgie et de Colombie ont mis en lumière des facteurs empêchant les enfants de se rendre à l’école, tels que le manque de fournitures scolaires, de vêtements convenables et de chaussures ; en Indonésie, ce sont les frais de scolarité élevés qui posaient problème. Au Sri Lanka, les parents se sont plaints des problèmes liés à la sécurité et au transport, parce qu’il
d’engendrer de nouveaux conflits et de nouveaux déplacements. Il est ainsi crucial de faire respecter plus amplement le Principe 29 afin d’empêcher de nouveaux déplacements internes. L’échec du Tribunal spécial met en lumière l’importance d’abandonner les démarches générales pour résoudre les revendications foncières des personnes déplacées, et d’élaborer plutôt des stratégies pratiques adaptées aux besoins locaux. Tant que le gouvernement afghan reste affaibli, la création de nouvelles institutions ne sera pas une réponse adéquate. De plus grands efforts sont nécessaires pour explorer comment les mécanismes judiciaires coutumiers pourraient permettre de faire respecter les droits de recouvrement des personnes déplacées, comme l’affirme le Principe 29, sans nécessairement compromettre leurs autres droits, tels que le traitement égal des femmes, reconnu aussi par les Principes directeurs. Megan Bradley (megan.bradley@ sant.ox.ac.uk) est doctorante en relations internationales à St Antony’s College (Université d’Oxford). 1. http://www.unhcr.org/afghan.html 2. http://www.unhcr.org/cgi-bin/texis/vtx/home/opendoc. pdf?tbl=SUBSITES&id=3f5d990c4 3. http://www.ands.gov.af 4. Des programmes d’aide judicaire innovants mis en place par le Conseil norvégien pour les réfugiés ont aidé des dizaines de PDI à utiliser la shura ou la jirga pour recouvrer leur propriété. See http://www.nrc.no/.
n’y avait pas d’école à proximité : « Nos enfants doivent marcher plus de 6 km ou louer une voiture. Il n’y a pas assez de bus. A cause de cela, nos filles ne peuvent poursuivre leur éducation. » A Juba, au Sud-Soudan, certains parents se lamentaient que « les enfants vont à l’école si leurs parents peuvent se le permettre, mais la plupart ne peuvent pas ». D’autres facteurs constituent des barrières à l’éducation, comme l’état d’endommagement des bâtiments ou des fournitures scolaires, l’absence de formation pour les enseignants, le manque de familiarité avec certains langages, la perte de documents nécessaires pour s’inscrire à l’école et l’incapacité à répondre aux critères de droit de séjour. Dans de nombreux pays, des PDI ont signalé que leurs enfants étaient victimes de discrimination. Au Soudan, les PDI originaires du Sud-Soudan se sont plaints de discriminations d’ordre racial et religieux. Un jeune homme déplacé de l’intérieur qui était allé à l’école à Khartoum nous a confié que « à Khartoum, nous étions forcés d’apprendre les doctrines islamiques ». En Colombie, un professeur a dit à un enfant : « Ce n’est pas surprenant que tu sois si stupide : tu as été déplacé. » Entretiens conduits par le Projet Brookings-Bern sur le déplacement interne et le Centre de Surveillance des déplacements internes (Internal Displacement Monitoring Center -IDMC). Veuillez aussi consulter le rapport du Projet Brookings-Bern « Listening to the Voices of the Displaced: Lesson Learned » (« Entendre la voix des déplacés : enseignements tirés ») sur http://www.brookings. edu/reports/2008/09_internal_displacement_cohen.aspx
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Rechercher l’égalité du droit de vote pour les PDI Jeremy Grace et Jeff Fischer
Le Principe directeur 22 affirme que les PDI ont le « droit de voter et de prendre part aux affaires gouvernementales et publiques, y compris le droit d’accéder aux moyens nécessaires pour exercer ce droit ». Malgré cette affirmation sans ambiguïté, il n’existe aucun ensemble de politiques et de pratiques universellement reconnues pour protéger le droit de vote des PDI. organisateurs d’élections estiment que la logistique et le coût des programmes pour faire voter les PDI sont au-dessus de leurs moyens, comme c’était le cas lors des élections de 2005 au Liberia, où la participation des PDI était possible mais limitée. Ce genre de segmentation engendre différentes catégories d’électeurs, dont certaines ont un accès favorisé au processus électoral. De telles inégalités sont une violation claire des pratiques des droits de l’homme. Dans d’autres cas - comme lors des élections récentes au Zimbabwe - la privation du droit de vote est intentionnelle ; les contraintes techniques et logistiques peuvent servir de prétexte pour exclure des segments de l’électorat pour des raisons politiques. Brett Lacy
Les PDI sont protégés par la totalité des protections constitutionnelles et du droit applicable des droits de l’homme, y compris les dispositions destinées à garantir le droit de participer aux affaires politiques de leur Etat, sans discrimination. Les gouvernements
Des PDI font la queue devant un centre électoral improvisé pour voter lors des élections présidentielles du Liberia en août 2005 et les élections législatives de la région de Margibi.
nationaux sont explicitement responsables de prendre les mesures nécessaires pour que les PDI puissent exercer ces droits. Pourtant, les gouvernements nationaux et la communauté internationale ont parfois toléré des restrictions ouvertement discriminatoires concernant le droit de vote des PDI. Dans certains cas, ces violations des normes électorales internationales prennent la forme d’une privation pure et simple du droit de vote, soit parce que les papiers nécessaires ou les conditions de séjour sont trop coûteux, soit parce que les bureaux d’inscription ne sont pas assez nombreux. Parmi les autres obstacles courants, l’on peut noter le manque d’informations adéquates sur le processus électoral ou l’incapacité de garantir la sécurité des élections. Les raisons de ces discriminations sont variables. Dans certaines situations, les
Depuis l’élaboration des Principes directeurs, un nombre croissant de précédents et de programmes visant à inclure les PDI dans le processus électoral démontrent que les programmes pour le droit de vote des PDI ne sont pas toujours coûteux et sont techniquement réalisables. La participation des PDI ne devrait pas empêcher la transparence du processus électoral ni menacer la sécurité des PDI ou leurs besoins humanitaires. Dans des pays tels que la Géorgie, le Sri Lanka et le Népal, les autorités nationales ont modifié le code électoral qui portait spécifiquement atteinte au droit de vote des PDI. En plus des programmes en cours, il se trouve maintenant des organisations de protection et de défense des droits de l’homme qui sont engagées à renforcer les capacités des autorités nationales, des organismes d’aide et des organisations de la société civile qui s’efforcent de protéger le droit de vote des PDI.
On compte, parmi les initiatives récentes :
■■ une attention continue portée au droit
de vote des PDI dans les rapports de mission, les déclarations et les initiatives du Représentant du Secrétaire général de l’ONU pour les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays. Veuillez consulter, par exemple, les rapports récents sur la Colombie et le Népal.1
■■ une attention croissante portée aux
problèmes du déplacement dans les rapports d’observation des élections de nombreuses organisations intergouvernementales, telles que la Commission européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
■■ l’inclusion de chapitres portant sur le
droit de vote des PDI dans le manuel, publié en 2007, du Groupe de travail du secteur mondial de la protection: Handbook for the Protection of Internally Displaced Persons and Protection of Conflict-Induced IDPs: Assessment for Action (« Manuel pour la protection des personnes déplacées de l’intérieur et la protection des PDI déplacées par les conflits: Évaluation en vue d’actions »)2
■■ une augmentation des ressources
destinées à la mise en place de programmes d’éducation civique et électorale auprès des communautés de PDI par des organisations intergouvernementales et non gouvernementales.
■■ des recherches, une assistance
technique et l’élaboration de meilleures pratiques et de directives en ce qui concerne l’organisation de programmes de vote pour les déplacés, conduits par l’Organisation internationale pour les migrations au sein du Projet de renforcement des droits politiques et électoraux (Political Rights and Enfranchisement Strengthening Project).3
Que reste-t-il encore à faire ? La participation politique des PDI reste irrégulière. Il est nécessaire de travailler à l’élaboration de normes propres aux PDI concernant les droits humains et les
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questions opérationnelles et sécuritaires associées aux élections. Des directives claires, basées sur des engagements visà-vis des droits humains, sont nécessaires afin de : garantir le droit de prendre part aux élections ; déterminer les critères d’éligibilité et d’identification des électeurs ; déterminer les conditions de résidence ; offrir la possibilité de voter par correspondance ; protéger la sécurité des PDI lors des élections ; vérifier que l’assistance humanitaire ou les litiges fonciers ne sont pas liés à l’enregistrement ou au fait de voter ; et fournir des informations sur les élections. Dans chacun de ces domaines, le principe fondamental de non-discrimination doit être respecté. Les médiateurs internationaux devraient faire pression sur les autorités nationales pour garantir directement le droit de vote des PDI dans les accords de paix, le code électoral national et les politiques concernant les PDI. Une fois qu’un calendrier électoral aura été établi, les autorités nationales devraient œuvrer pour inclure des dispositions spécifiques aux PDI au sein du code électoral. La planification du vote des PDI demande aux organes de gestion des élections de prendre des mesure proactives pour consulter les PDI, planifier selon différents scénarios, identifier les ressources et mettre en place des mécanismes pour répondre aux besoins particuliers des PDI. Les consultations devraient se faire en présence de représentants d’organisations humanitaires internationales, ainsi que des
institutions compétentes (tels que la police, les bureaux de recensement ou les agences de sécurité sociale). Les donateurs doivent s’assurer que les gouvernements, une fois les conflits terminés, renforcent leurs capacités afin d’organiser des élections transparentes et de financer les groupes d’observation issus de la société civile. Une fois que le processus d’inscription et le processus électoral sont en cours, les donateurs et les organisations internationales d’assistance électorale devraient soutenir les programmes cherchant à renforcer la participation des communautés de PDI et devraient rappeler aux gouvernements leurs obligations de protéger le droit de vote de tous leurs citoyens. Les missions d’observation internationales devraient identifier dans quelle mesure la question des PDI est intégrée aux programmes politiques des différents candidats et si des mesures discriminatoires sont inscrites dans le code ou les procédures électorales. Elles devraient en outre s’assurer que les observateurs sur le terrain soient en mesure de glaner les informations permettant de remplir leur rôle. Les Principes directeurs ont permis d’attirer l’attention sur la question des droits politiques des PDI. Grace à l’engagement profond du Représentant du Secrétaire général, à la présence de plus en plus importante des organisations de promotion de la démocratie et des organisations humanitaires, et à
l’attitude de plus en plus affirmée des PDI mêmes, il est devenu bien plus difficile de discriminer les PDI lors de l’organisation et de l’administration d’élections. Toutefois, comme le vote des PDI fait partie du mandat d’un grand nombre d’organisations internationales et d’autorités nationales, il est parfois difficile de maintenir ce niveau d’attention. L’élaboration de normes claires, concises et largement acceptées, ainsi que l’identification d’une seule institution comme responsable des questions liées au vote des PDI, permettraient à la communauté internationale de mieux soutenir les pouvoirs locaux pour mettre en place des programmes électoraux qui respectent les obligations vis-à-vis des droits de l’homme. Jeremy Grace (jeremygrace@yahoo. com) et Jeff Fischer (fischerjeff@comcast. net) sont consultants en planification, organisation et gestion électorale. Ils ont tous deux travaillé sur le terrain en tant que professionnels de soutien aux élections et coordinateurs du projet de l’IOM sur le droit de vote des migrants forcés. 1. http://www2.ohchr.org/english/issues/idp/visits.htm 2. http://www.internal-displacement. org/8025747B0037BAC5/(httpResources)/2D90D9C79 8E63959C12574A6004FA218/$file/IDP_handbook.pdf (publication provisoire) 3. http://www.geneseo.edu/~iompress
Il est temps de mettre en application les Principes directeurs au Népal Shiva K Dhungana
Alors que le gouvernement maoïste du Népal tarde à mettre en œuvre la politique nationale concernant les PDI, les besoins des personnes déplacées par les conflits restent sans réponse. Bien que de nombreux Népalais aient été déplacés par des catastrophes naturelles et des projets de développement, les questions liées à la protection et la promotion des droits des PDI n’ont pas été prises au sérieux avant l’insurrection maoïste de la fin des années 1990. Alors que les conflits s’intensifiaient, la communauté internationale a attiré l’attention sur les besoins de protection et d’assistance des victimes de déplacements forcés. Ainsi, sous la pression de la communauté internationale, le gouvernement a-t-il reconnu le problème à contrecœur, tout en limitant la
définition des PDI aux seules personnes victimes des rebelles maoïstes. Au grand désarroi de la société civile, le gouvernement a donc nié le statut de PDI aux personnes déplacées par les actions brutales de l’État, empêchant celles-ci de bénéficier de secours humanitaire. Il n’existe aucune base de données fiable répertoriant le nombre de PDI au Népal ou de Népalais ayant fui en Inde pour échapper aux conflits et à la pauvreté. Au paroxysme des conflits, on dénombrait jusqu’à 200 000 PDI. Malgré la signature des accords de paix de 2006 qui a permis
à certaines d’entre elles de rentrer chez elles, l’ONU estimait qu’il restait toujours entre 50 000 et 70 000 PDI déplacées par les conflits en décembre 2007. Toutefois, le gouvernement n’en a enregistré que 35 000. De nombreuses personnes refusent de rentrer car elles ont généralement peur et ne peuvent envisager le retour comme une option sûre, et que les moyens de subsistances sont limités, les stratégies gouvernementales peu claires et la gestion des terres reste risquée. L’Accord de paix global signé entre le gouvernement et le Parti Communiste du Népal (maoïste) en novembre 2006 comprend un article garantissant le « droit au retour » à toute personne déplacée par les conflits armés. Toutefois, la question des PDI demeure pour l’instant à la périphérie du processus de paix.
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS Grace à la dynamique créée en 2005 par la visite de Walter Kälin, le Représentant du Secrétaire général de l’ONU pour les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, le gouvernement s’est alors engagé à élaborer une politique à l’égard des PDI. Cette politique, avalisée en avril 2007 et connue sous le nom de « Politiques nationales portant sur les PDI, 2007 », définit une PDI comme « une personne résidant dans un autre endroit du pays après avoir été forcée de fuir ou de quitter son logement ou son lieu de résidence habituel à cause de conflits armés, d’une situation violente, d’une violation manifeste de ses droits humains, d’une catastrophe naturelle, d’une catastrophe à origine humaine ou afin d’éviter les conséquences d’une ou de plusieurs de ces situations ». Ainsi, pour la première fois, le gouvernement intégrait-il les Principes à un document de politique locale. Selon la nouvelle politique, c’est au Ministère de la paix et de la reconstruction (MPR) que revient la responsabilité des questions liées aux PDI et celui-ci a élaboré des directives de procédure pour mettre à jour la nouvelle politique. Malheureusement, le cabinet n’a toujours pas approuvé ces directives. Les autorités traînent des pieds, oubliant que les problèmes relatifs aux PDI qui ne sont pas résolus représentent une menace potentielle pour le processus de paix. La Commission nationale pour les droits de l’homme a mis au point un plan stratégique qui appelle à « l’établissement de la vérité quant aux disparitions, aux PDI et aux victimes des conflits ».1 Toutefois, la Commission n’a pas réalisé l’importance de protéger les droits des personnes déplacées suite à des projets de développement ou des catastrophes naturelles. Pourtant, le nombre de personnes concernées dépasse peut-être aujourd’hui le nombre de PDI touchées par les conflits. Les fonctionnaires du gouvernement et la population en général ignorent souvent tout des Principes et de la politique relative aux PDI. Quant aux fonctionnaires du gouvernement local, ils n’ont que peu d’intérêt pour les questions liées aux PDI. Selon IRIN (le Réseau régional intégré d’information), les familles déplacées ont de plus en plus l’impression d’être négligées depuis la mise en place du gouvernement de la coalition menée par les maoïstes en août 2008.2 L’UNHCR, le Conseil norvégien pour les réfugiés et plusieurs ONG locales ont organisé des événements afin de célébrer le dixième anniversaire du lancement des Principes. La société civile fait pression au niveau local et à Katmandou pour que les Directives soient adoptées, pour que les politiques relatives aux PDI soient mises
en application et pour que des mécanismes soient instaurés entre l’administration locale et la société civile afin de faciliter le retour des PDI, leur réintégration et la mise en place d’un processus de réconciliation. En effet, il est malheureux de constater que les efforts du gouvernement se concentrent surtout sur le « retour », sans qu’aucun programme de réconciliation ne soit institué au niveau de la communauté. En l’absence de directives, aucun système de désenregistrement des PDI n’est en place, et il est donc impossible de déterminer le nombre de retours de PDI. Enfin, l’assistance du gouvernement a surtout porté sur le retour vers le lieu d’origine. Il est nécessaire que les autorités :
■■ approuvent sans plus tarder les Directives de procédure
■■ assistent les personnes qui ne
peuvent pas ou ne souhaitent pas retourner sur leur lieu de résidence d’origine à se réinstaller ailleurs
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■■ adoptent une approche holistique en ce qui concerne les PDI
■■ garantissent la coopération entre le
Ministère de l’intérieur et le MPR afin de mettre en place des mécanismes de soutien au niveau du district pour les zones rurales où le MPR ne possède pas de capacité fonctionnelle
■■ travaillent avec la société civile et les organisations internationales pour identifier les véritables PDI, leur porter secours et mettre en place des mécanismes de réconciliation au niveau de la communauté
■■ lancent une campagne nationale de
communication pour garantir le retour, la réhabilitation et la réintégration des PDI là où elles l’auront choisi.
Shiva K. Dhungana (skdhungana@gmail. com) est un chercheur basé à Katmandou. 1. http://www.nhrcnepal.org/publication/doc/books/ SP_2008-10.pdf 2. http://www.irinnews.org/Report.aspx?ReportId=81302
Principe directeur 24 Toute aide humanitaire sera fournie dans le respect des principes d’humanité et d’impartialité et à l’abri de toute discrimination. Les critères d’éligibilité donnant droit au secours humanitaire sont parfois grandement politisés. Par exemple, les PDI de Colombie se sont plaintes du fait qu’il était plus facile de bénéficier d’une assistance si elles affirmaient avoir été déplacées par des groupes d’insurgés. Par contre, si elles disaient avoir été déplacées par les forces de sécurité du gouvernement, les autorités leur répondaient que « la mise en application de la loi ne provoque pas le déplacement ». Les PDI de Colombie ont aussi signalé ce qu’elles décrivent comme une assistance incomplète (telle que des consultations médicales sans médicaments ou tests cliniques) et une assistance non coordonnée (par exemple : terrains sans projet de construction ou écoles dans lesquelles l’enseignement est assuré mais aucune nourriture n’est distribuée aux élèves). Ainsi, de nombreuses PDI restaient-elles toujours dans le besoin le plus extrême. Des discriminations ont aussi été signalées, représentant un autre type d’obstruction à l’accès aux secours d’urgence. Les PDI originaires du Sud-Soudan mais déplacées dans le nord du pays affirmaient que « l’assistance n’est offerte qu’aux musulmans et jamais aux non-musulmans ». D’autres se sont plaintes que toute assistance leur a été refusée parce qu’elles étaient « noires » : « Nous étions installés dans un désert sans eau ni arbres. Au fil du temps, le gouvernement s’est rendu compte de notre souffrance… et a décidé de laisser les ONG nous fournir un minimum de services, comme de l’eau et de la nourriture. Mais cela ne permettait pas de répondre suffisamment à nos besoins. » C’est surtout les PDI âgées qui se sentaient victimes de discrimination vis-àvis de l’accès à l’assistance humanitaire. Au Népal, la plupart des personnes âgées nous ont dit qu’elles n’ont été l’objet d’aucune attention particulière. De plus, 84% des PDI interrogées en Inde et plus de 68% de celles interrogées au Bangladesh ont confirmé qu’aucun soutien n’était offert aux personnes âgées. Entretiens conduits par le Projet Brookings-Bern sur le déplacement interne et le Centre de Surveillance des déplacements internes (Internal Displacement Monitoring Center -IDMC). Veuillez aussi consulter le rapport du Projet Brookings-Bern « Listening to the Voices of the Displaced: Lesson Learned » (« Entendre la voix des déplacés : enseignements tirés ») sur http://www.brookings.edu/reports/2008/09_internal_displacement_cohen.aspx
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Les rapatriés de Sierra Leone Claudena Skran
L’intervention de l’UNHCR dans la crise humanitaire de Sierra Leone a eu lieu au moment où l’agence pour les réfugiés élargissait ses services pour y inclure les PDI. Afin de compléter leurs activités, et suivant l’esprit du Principe 28, l’UNHCR a lancé de vastes programmes destinés aux ex-réfugiés ainsi qu’aux PDI de retour. Quinze pourcent des fonds destinés aux programmes de l’UNHCR ont été alloués à des projets à effet rapide (PER) en vue de répondre aux besoins immédiats des rapatriés et des personnes alors toujours déplacées. En 2003-05, environ 2 000 projets d’autonomisation des communautés (PAC) ont été mis en œuvre dans toutes les régions de retour, couvrant une variété de secteurs : agriculture, santé, eau, assainissement, travaux d’utilité collective, etc.1
Principe 28 1. C’est aux autorités compétentes qu’incombent en premier lieu le devoir et la responsabilité de créer des conditions propices au retour librement consenti, dans la sécurité et la dignité, des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays dans leur foyer ou leur lieu de résidence habituel ou à leur réinstallation volontaire dans une autre partie du pays, ou de leur fournir les moyens nécessaires à cet effet. Lesdites autorités s’efforceront de faciliter la réintégration des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui sont retournées dans leur lieu d’origine ou qui ont été réinstallées. 2. Des efforts particuliers seront faits pour assurer la pleine participation des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays à la planification et à la gestion de leur retour ou réinstallation et de leur réintégration.
Les PAC étaient des interventions de petite envergure, gérées au niveau communautaire, qui faisaient participer les réfugiés et les PDI de retour, ainsi que les populations qui n’avaient jamais été déplacées - le tout sans discrimination. Près de la moitié de tous les PAC ont été mis en place à Kailahun, le district de
Sierra Leone le plus à l’Est du pays, où la guerre avait d’abord éclaté, et dont la population connaissait le taux de déplacement le plus élevé. Les partenaires d’exécution de l’UNHCR, principalement des ONG internationales, ont apporté les compétences techniques et se sont chargé de la gestion financière. Les décisions concernant le type de projet à mettre en œuvre ont été prises par les villageois, avec la participation des chefs traditionnels, des femmes et des jeunes. Chaque projet ne coûtait pas plus de 5 000 dollars et était supervisé par un comité de gestion élu de manière transparente. Les villageois ont contribué aux projets en travaillant ou en apportant le matériel nécessaire ; les projets avaient généralement pour but de réparer ou de construire des écoles, des tribunaux de village, des cliniques, des puits, des toilettes, des moulins à riz et des aires de séchage de riz. Les PAC offraient aux communautés de retour un soutien symbolique tout autant que pratique. Dans le village de Mahoma, le tribunal reconstruit est devenu le point de rassemblement de la communauté et est utilisé activement pour accueillir des réunions, administrer la justice et organiser des élections. Il a toutefois souvent été difficile d’intégrer au sein des mêmes programmes les rapatriés, les PDI et les personnes n’ayant pas connu le déplacement. L’étendue des services destinés aux réfugiés de retour a été le sujet de nombreuses controverses. Une fois que l’UNHCR et le gouvernement de Sierra Leone se sont mis d’accord sur un service identique pour toutes les personnes dans le besoin, l’UNHCR a dû réduire le nombre de rations offertes généralement aux réfugiés de retour. De plus, les réfugiés et les PDI ne sont pas revenus dans leurs villages avec les mêmes expériences, ni les mêmes compétences. Beaucoup de réfugiés qui avaient été dans des camps de Guinée avaient bénéficié de programmes d’éducation et possédaient un degré d’alphabétisation plus élevé que les populations qui n’avaient pas été déplacées. L’UNHCR avait tendance à choisir
comme partenaires d’exécution les ONG avec lesquelles il avait travaillé en Guinée. Les réfugiés de retour avaient souvent de meilleures aptitudes linguistiques et une meilleure connaissance des procédures opérationnelles des ONG que les exPDI. Dans l’idéal, l’UNHCR aurait dû essayer de collaborer de plus près avec les agences humanitaires de Sierra Leone qui avaient déjà travaillé avec des PDI. Bien que les programmes de réintégration aient aidé à répondre aux besoins de certains réfugiés et PDI de Kailahun, le principal défaut du travail de l’UNHCR auprès des PDI était de se limiter aux zones où il se trouvait un grand nombre de réfugiés officiellement rapatriés. Les anciennes PDI dans d’autres régions du pays, y compris à Freetown, la capitale, ont reçu beaucoup moins de soutien de la part des donateurs et des ONG internationaux.2 Néanmoins, les efforts effectués par l’UNHCR afin d’inclure conjointement les réfugiés et les PDI dans des projets communautaires démontrent l’influence des Principes directeurs sur une agence humanitaire de premier ordre. Claudena Skran (claudena.skran@ lawrence.edu), est professeure associée du gouvernement à la Lawrence University, dans le Wisconsin. Elle a conduit une recherche sur les réfugiés et PDI de Sierra Leone en 2005-2006. 1. Stefan Sperl et Machtelt De Vriese, ‘From emergency evacuation to community empowerment: Review of the repatriation and reintegration programme in Sierra Leone’ (« De l’évacuation d’urgence à l’autonomisation des communautés : Bilan du programme de rapatriement et de réintégration en Sierra Leone »), UNHCR 2005. http://www.unhcr.org/publ/RESEARCH/420b80384.pdf 2. Veuillez consulter : Claudia McGoldrick, ‘Sierra Leone: resettlement doesn’t always end displacement’ (« Sierra Leone : La réinstallation ne met pas toujours fin au déplacement »), RMF17, mai 2003. http://www.fmreview. org/FMRpdfs/FMR17/fmr17.13.pdf
Deux chefs de communauté dans un village isolé de la Chefferie de Peje West, dans l’ouest du district de Kailahun, en Sierra Leone.
Claudena Skran
Une guerre civile brutale d’une durée de plus de dix ans a déplacé environ 4,5 millions de personnes, soit environ la moitié de la population de Sierra Leone. Après la fin des hostilités en 2001, l’UNHCR a fait participer les réfugiés de retour tout autant que les PDI de retour aux projets communautaires de reconstruction.
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Le Principe directeur 27 lors d’une intervention aux Philippines Sara McHattie
L’intervention d’Oxfam Grande-Bretagne suite aux dégâts et aux déplacements provoqués par le typhon Durian s’est accompagnée d’une série d’actions auprès de l’état philippin, des ONG, des communautés et du secteur privé afin de sensibiliser ceux-ci au Principe 27 : obliger les acteurs de l’assistance humanitaire à accorder « l’attention voulue au besoin de protection et aux droits fondamentaux » des PDI. Le 30 novembre 2006, le typhon Durian a touché plus de 2,5 millions de personnes dans 13 provinces de l’île de Luzon. Dans la province d’Albay, les pluies incessantes ont libéré des cendres volcaniques du mont Mayon, qui se sont déversées dans des zones densément peuplées de la
IRIN/Manoocher Deghati
Résidents du site de réinstallation d’Amore (un ensemble d’habitations transitoire) près de la ville de Legazpi.
que les classes puissent reprendre, le gouvernement décida alors de construire des « sites de transition » pour les PDI et les familles qui devaient être réinstallées. Les deux premiers sites de transition étaient des plus rudimentaires. Il était clair que le gouvernement n’avait aucune connaissance des normes minimum d’assistance, de ses obligations envers les communautés déplacées, ainsi que des droits de ces dernières. Les sites manquaient de place, n’étaient pas alimentés en eau, ne possédaient pas d’installations sanitaires, ni de services de santé, n’offraient pas d’opportunités de travailler et ne comprenaient aucun système de distribution alimentaire ou non alimentaire. Les résidents vivaient dans le risque de la maladie mais certainement pas dans la dignité. Plusieurs épisodes
Volcan du Mont Mayon, près de la ville de Legazpi.
IRIN/Manoocher Deghati
capitale provinciale, Legazpi, et autour de celle-ci. Selon le Conseil provincial de coordination des catastrophes (CPCC), 541 personnes ont été tuées et 164 180 habitations ont été partiellement ou entièrement détruites. Le gouvernement a alors décidé, au vu des nombreux risques de glissement de terrain, de réinstaller 11 000 familles, soit quelque 55 000 personnes, qui habitaient sur le flanc du volcan. La plupart de celles-ci avaient de toute façon perdu leur domicile et se retrouvaient dans des écoles ou des églises utilisées comme centres d’évacuation d’urgence et qui n’étaient pas équipées pour subvenir aux besoins d’un si grand nombre de personnes ; certaines salles d’école abritaient jusqu’à 150 individus. Comme il fallait libérer les écoles pour
troublants de discrimination et de réinstallations subites ont été signalés. Oxfam Grande-Bretagne est alors intervenu en introduisant des normes humanitaires dans ces programmes d’intervention d’urgence, ciblant les acteurs clés du gouvernement, des ONG, du secteur privé et des communautés. Oxfam a établi que les conditions des camps de transition n’étaient pas dues principalement à un manque
de volonté, mais plutôt à un manque de connaissances et de ressources ; le programme a alors eu pour but de sensibiliser les différents acteurs aux normes minimum Sphère1 et aux Principes directeurs. Nous espérions qu’une meilleure compréhension des principes de l’intervention humanitaire permettraient d’améliorer la qualité de l’intervention en cours et permettraient aussi aux acteurs locaux de mieux faire face aux crises à venir dans la région de Bicol, où les catastrophes frappent si souvent. Oxfam a travaillé avec RedR India pour la formation Sphère, avec le Centre de réhabilitation de Balay pour la formation sur les Principes directeurs et avec une ONG basée à Albay : le Centre d’action sociale (CAS). Ayuda Albay, le mécanisme de coordination entre le gouvernement et les ONG, a joué un rôle clé dans la facilitation de ce processus. Une première formation sur Sphère a eu lieu à Legazpi pour les représentants des collectivités locales, l’ONU, les ONG, le secteur privé et les responsables des communautés. Celle-ci a été suivie d’une seconde formation, à Manille, pour les employés du gouvernement fédéral, y compris les hauts fonctionnaires travaillant pour le Conseil national de coordination des désastres et pour le Département de la sécurité sociale et du développement (DSSD), ainsi que pour les employés des sociétés privées participant aux interventions humanitaires, pour les ONG et pour l’ONU. La formation a résulté en une évolution rapide vers une offre d’assistance de mieux en mieux coordonnée et orientée vers des objectifs précis. Le gouvernement et les ONG ont alors reçu des objectifs tangibles à atteindre - par exemple, un WC pour 20 personnes - et un cadre de travail servant de référence pour évaluer les activités et identifier les carences. Les communautés ont repris confiance et commencèrent à exprimer leurs besoins. Les principes Sphère ont en outre été intégrés dans le travail du CPCC et du DSSD. La formation sur les Principes directeurs à Lezgapi visait à donner les moyens aux gouvernements, aux ONG, au secteur privé et aux responsables des communautés de comprendre les
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concepts fondamentaux des Principes et le cadre de la responsabilité nationale :
■■ identification des problèmes de
protection associés au retour, à la réinstallation et à la réintégration
■■ développement d’un plan
d’action pour répondre aux problèmes des PDI à Albay
■■ distribution de copies des Principes en tagalog, la langue nationale, et en bikol, la langue régionale
■■ organisation de sessions d’orientation
pour l’ensemble de la communauté sur les Principes et sur les droits des PDI.
Le partenariat avec le CAS de Legazpi a mené les PDI à s’organiser en 300 Groupes restreints pour représenter les personnes vivant dans les centres d’évacuation, les sites de transition et dans la zone « non sécurisée ». Quarante pourcent de ces groupes ont continué de fonctionner une fois le projet terminé. Les Groupes centraux ont permis :
■■ l’amélioration de la distribution de
biens et de services, tout en s’assurant que ces derniers correspondent aux besoins identifiés par la communauté
■■ l’amélioration de la diffusion
des informations en établissant des lignes de communication directes avec les fonctionnaires du gouvernement et les ONG
■■ la mise en place de régulations au sein des centres d’évacuation
■■ le changement de politiques
gouvernementales - garantissant que les personnes vulnérables vivant hors des centres d’évacuation puissent aussi bénéficier d’une assistance
■■ la mise en place, grâce à leur aide,
d’activités d’évaluation, de ciblage, d’encouragement du bénévolat et de distribution de l’aide
■■ le lancement d’un bulletin
d’information local pour la défense des PDI, afin de faciliter la dissémination des informations
■■ l’organisation d’une Assemblée
générale pour toutes les PDI, en collaboration avec le gouvernement, afin d’établir un point central pour communiquer avec Ayuda Albay.
Conséquences d’une meilleure sensibilisation Lorsque l’idée du projet fut abordée pour la première fois, le gouvernement s’en inquiéta. Il craignait que les communautés, informées au sujet de Sphère et des Principes, soient tentées de formuler des demandes irréalistes à un moment sensible dans le cycle électoral philippin. Oxfam a obtenu leur confiance en faisant valoir que la participation communautaire, la communication régulière d’informations et le dialogue auraient pour conséquence une amélioration de l’intervention, et permettraient d’offrir aux personnes concernées un espace ouvert aux discussions, au compromis et à la compréhension mutuelle. Les autorités gouvernementales ont depuis reconnu que, sans la formation et l’amélioration
des normes d’intervention, ils auraient fait face à d’importants soulèvements de la part des personnes évacuées. L’un des éléments clés du succès de ce projet a été, au final, l’engagement et l’approbation du gouvernement. Grace à la formation, les dirigeants des communautés ont reçu des outils leur permettant d’exprimer leurs besoins et d’utiliser un cadre internationalement reconnu pour s’assurer que les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux remplissent leurs responsabilités. Qu’elles soient déplacées par des violences, des projets de développement ou des catastrophes naturelles, les communautés sont protégées tout aussi bien par le droit international que par les obligations nationales. L’intervention suite au typhon Durian a montré que l’un des facteurs déterminants pour l’application de ces lois et principes est de s’assurer que le gouvernement, les ONG et les communautés aient connaissance de leurs obligations et de leurs droits. Cela peut en outre établir un dialogue qui sera, en fin de compte, favorable à tous. Sara McHattie (smchattie@oxfam.org.uk) a travaillé pour Oxfam Grande-Bretagne en tant que directrice du programme pour l’intervention d’urgence face au typhon Durian. Bien que la Commission européenne ait apporté son soutien à certains éléments de ce projet, les opinions exprimées dans cet article ne doivent pas être considérées comme représentant celles de la Communauté européenne. 1. http://www.sphereproject.org
Le déplacement interne en République centrafricaine Laura Perez
En République centrafricaine (RCA), où la plupart des personnes déplacées ne sont pas conscientes de leurs droits, le Conseil norvégien pour les réfugiés (CNR) essaie de promouvoir une meilleure connaissance et un plus grand respect des Principes directeurs. Depuis 2005, 197 000 personnes ont été déplacées de l’intérieur suite aux conflits armés entre le gouvernement de François Bozizé et de nombreux groupes rebelles, et à cause des attaques commises par des bandits connus sous le nom de coupeurs de route, qui profitent de l’incapacité du gouvernement à
garantir la sécurité. Bien que tous les groupes rebelles aient signé des accords de cessez-le-feu et qu’un processus de paix soit en marche, les conditions de sécurité des populations dans le nord de la RCA se sont à peine améliorées car le banditisme a remplacé les conflits politiques en tant que source principale
de violence. Les personnes déplacées de RCA dépendent presque entièrement de l’assistance offerte par les communautés d’accueil, et seules celles qui se trouvent dans des zones relativement accessibles ont pu bénéficier de l’assistance des organisations de secours internationales. Face à la crise du déplacement en RCA, le CNR travaille à l’éducation d’urgence dans la province d’Ouham, dans le nord du pays, depuis avril 2007. Abritant environ 12% des PDI du pays, Ouham est l’une des régions de RCA les plus touchées par les hostilités. Le projet
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS du CNR porte assistance à environ 14 200 enfants dans 57 écoles primaires en formant les enseignants, en offrant des fournitures scolaires, en mettant en place des programmes scolaires d’alimentation, en formant les associations parent-professeur et en renforçant les capacités du Ministère de l’éducation. Le CNR agit aussi pour la protection et la défense de ces populations en effectuant des comptes-rendus de la situation des PDI dans les villages où il travaille et en apportant son soutien à des initiatives conjointes, telle que la campagne nationale de mobilisation pour les PDI. La présence continue du CNR et d’autres organisations humanitaires dans les régions de déplacement joue un rôle dissuasif pour les agresseurs (protection par la présence).
Utiliser les Principes directeurs Afin d’apporter son soutien à la réforme du secteur de la sécurité, le CNR a organisé des ateliers de formation à la protection portant sur les Principes directeurs, destinés aux pouvoirs locaux, à l’armée et à la police. A ce jour, le gouvernement n’a pas encore adopté les Principes directeurs sous la forme d’un cadre d’orientation, ni intégré ceux-ci aux lois nationales. Cependant les agences de l’ONU et les ONG internationales les utilisent régulièrement pour promouvoir les droits des PDI. Ils sont toujours abordés dans les ateliers de protection et ont été utilisés pour former les observateurs humanitaires, les pouvoirs locaux, les forces gouvernementales,
Ces jeunes PDI vivent dans des sites temporaires depuis février 2006, après avoir fui une attaque des forces gouvernementales contre leur village à Boutouli, à 3 km. RCA
les troupes internationales de maintien de la paix et les groupes rebelles comme l’Armée populaire pour la restauration de la république et de la démocratie (APRD), qui contrôle certaines régions du nord du pays, à la frontière avec le Tchad et le Cameroun. Les Principes ont occupé une place proéminente lors d’une séance de formation qui a eu lieu en septembre 2008 pour la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX),1 une force régionale de maintien de la paix comprenant environ 300 troupes venues du Gabon, du Tchad, du Congo et du Cameroun. Plus de 30 troupes et officiers du contingent tchadien ont reçu une formation portant sur les Principes et sur la protection des enfants dans les situations d’urgence. Ces séances de formations formaient une partie intégrale de la préparation des troupes pour les opérations de terrain. En 2007, l’UNHCR a traduit les Principes directeurs en sango, la langue nationale, et illustré certains des principes afin de les rendre aussi accessibles que possible aux personnes analphabètes. La version des principes directeurs en sango a été distribuée aux ministères du gouvernement, aux ONG locales de défense des droits de l’homme et aux organisations issues de la société civile. Il faut maintenant les distribuer de manière plus large aux communautés déplacées, afin de les sensibiliser aux droits qui sont les leurs.
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La situation critique des enfants déplacés Le Centre de surveillance des déplacements internes (Internal Displacement Monitoring Centre - IDMC) du CNR s’est rendu en RCA en juillet et août 2008 pour effectuer des recherches et rédiger un rapport portant sur les besoins de protection et d’assistance des enfants déplacés en interne. L’IDMC a découvert que les enfants déplacés font face à de graves problèmes de protection contre la violence et l’insécurité. A la différence des autres enfants, les enfants déplacés ont souffert de traumatismes après avoir été les témoins de violences effroyables, telles que le meurtre de membres de leur famille lorsque leurs villages ont subi les attaques des bandits de grand chemin, les coupeurs de route. Lors de ces attaques, certains enfants déplacés, filles ou garçons, ont été enlevés pour travailler en tant que porteurs de biens volés ou kidnappés en vue d’obtenir une rançon. Beaucoup d’autres ont été recrutés pour servir dans les forces ou groupes armés. Les besoins liés à l’alimentation, l’eau, l’hygiène, la santé et le logement des enfants déplacés de RCA restent en grande partie sans réponse. Nombre d’entre eux ont un besoin urgent d’être hébergés de manière décente, après avoir été forcés de dormir dehors lors de la saison des pluies, ce qui a multiplié leurs risques de contracter la malaria ou des infections respiratoires. Les enfants déplacés sont
UNHCR/Helene Caux
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS
victimes d’exploitation économique car ils sont forcés de travailler dans les champs qui appartiennent aux communautés d’accueil, en échange de nourriture ou d’un maigre salaire. L’éducation de ces enfants a été interrompue et leur développement à long terme est menacé. De plus, les enfants déplacés issus de groupes minoritaires, tels que les Peuls, sont victimes de discrimination ethnique. Cela vient surtout du fait que de nombreuses communautés d’accueil, et même d’autres PDI, perçoivent de manière erronée tous les Peuls comme des bandits de grand chemin. A cause de la destruction de leurs chemins migratoires et de la perte de leurs animaux pendant les hostilités et les conflits armés, de nombreuses communautés peules ont été forcées de s’installer parmi d’autres communautés qui pratiquent l’agriculture de subsistance et éprouvent de grandes difficultés à s’adapter à leur nouveau mode de vie. Enfin, les besoins de protection des enfants déplacés n’ont pas
été adéquatement pris en compte par le gouvernement de la RCA, ni par la communauté internationale en général.
Un cadre juridique comme réponse La RCA a ratifié le Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs en Afrique,2 qui est entré en vigueur en juin 2008. Le Protocole sur la protection et l’assistance des PDI, inclus dans le Pacte, engage les Etats membres non seulement à modifier leur législation nationale afin d’intégrer les Principes directeurs au droit interne, mais aussi à organiser en pratique leur mise en œuvre. Les Etats s’y prennent de diverses manières pour incorporer le droit international dans leur système judicaire national. Selon la constitution de la RCA, les dispositions de tout instrument international ratifiées par la RCA deviennent contraignantes et ont préséance sur les lois nationales.3 Toutefois, un élément reste manquant : un cadre juridique spécifique pour protéger les PDI en général et les
enfants déplacés en particulier. Les lois actuelles n’offrent pas de base suffisamment détaillée pour reconnaître les besoins des PDI et y répondre. L’IDMC recommande donc au gouvernement de RCA d’adopter et de mettre en œuvre les Principes comme un cadre offrant protection et assistance aux PDI, puis de préparer et d’approuver une législation nationale afin d’appliquer l’ensemble des Principes, y compris des dispositions spécifiques portant sur la protection et l’assistance des enfants déplacés de l’intérieur. Laura Perez (laura.perez@nrc.ch) est analyste de la RCA pour l’Observatoire des situations de déplacements internes (http://www.internal-displacement.org). 1. http://www.operationspaix.net/-MICOPAX2. http://www.internal-displacement.org/ 8025708F004BE3B1/(httpInfoFiles)/60ECE277A8ED A2DDC12572FB002BBDA7/$file/Great%20Lakes%20 pact_en.pdf 3. Article 72, Constitution de la République centrafricaine, 2004.
L’UNHCR et les Principes directeurs Khassim Diagne et Hannah Entwisle
L’UNHCR travaille aujourd’hui avec les gouvernements et d’autres acteurs humanitaires dans 28 pays afin de protéger près de 14 millions de PDI. L’UNHCR apporte protection et assistance aux PDI depuis le milieu des années 1970. Au départ, il attribuait au cas par cas les responsabilités de protection et d’assistance en ce qui concerne les PDI. En 2003, l’organisation a cherché à améliorer son système d’intervention par le biais d’une « approche collaborative » interorganisations, qui distribuait les responsabilités de manière informelle. Cette approche a été améliorée en 2005, afin de mieux prévoir les interventions et de mieux responsabiliser les acteurs, en particulier dans les réponses aux situations de déplacement interne. Certaines organisations sont ainsi devenues les principales responsables selon le « principe de la responsabilité sectorielle ». L’UNHCR a endossé officiellement la responsabilité de trois secteurs : la protection, la coordination et la gestion des camps, et l’abri d’urgence. Aux yeux de l’UNHCR, les Principes directeurs représentent bien plus qu’une simple compilation et réitération de règles juridiques. En 2007, l’UNHCR a confirmé la pertinence des Principes dans le Cadre d’orientation et la stratégie de mise en œuvre concernant les PDI1, en
affirmant qu’ils seront incorporés dans ses activités concernant la protection et la défense des droits humains des PDI. L’édition temporaire du Manuel pour la protection des personnes déplacées de l’intérieur (Handbook for the Protection of Internally Displaced Persons),2 issu d’une collaboration entre plusieurs organisations et publié en décembre 2007, propose plusieurs activités de protection corroborées par les Principes, comme de développer des stratégies, d’observer la protection et d’évaluer à quel point les PDI peuvent faire valoir leurs droits. Ce Manuel indique aussi comment les Principes peuvent aider à développer une même conception, entre les différentes organisations, de la protection dans un contexte opérationnel. Les Principes ont en grande partie permis de structurer les réponses opérationnelles de l’UNHCR envers les PDI. Leur utilisation dans la création de programmes et la mobilisation a permis à l’UNHCR de maintenir sa crédibilité et son influence en tant qu’instrument juridique international et pertinent. Cet article illustre, à l’aide d’exemples, la relation symbiotique entre l’UNHCR et les Principes et comment
cette relation a apporté des bénéfices concrets aux PDI ces dix dernières années. Alors que la communauté internationale humanitaire et juridique reconnaît de plus en plus la force de persuasion des Principes, ces derniers sont utilisés de plus en plus souvent comme un outil opérationnel de protection par l’UNHCR, les gouvernements et même les PDI. En République démocratique du Congo, l’UNHCR a mis en lumière combien il est important d’éduquer au sujet des Principes lorsque l’on travaille avec des victimes de violences sexuelles et sexistes, afin de les aider à affirmer leurs droits et demander réparation et justice. En République centrafricaine, au Timor-Leste et au Soudan, les opérations de l’UNHCR ont mis en valeur l’importance des Principes comme un outil permettant d’expliquer aux autorités locales et nationales leurs responsabilités envers les PDI. Certains éléments des Principes ont même été incorporés à des cadres nationaux et étatiques. C’est le cas, par exemple, des Principes sur la réinstallation de l’Etat de Khartoum, issus directement du Principe 6 sur la protection contre les déplacements arbitraires, et signés par les autorités nationales et par l’ONU en avril 2007.3 De la même manière, les différents bureaux de l’UNHCR ont appuyé les efforts
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS faits pour incorporer les Principes à des documents régionaux et des instruments juridiques, tels que le projet de l’Union africaine d’une Convention pour la protection et l’assistance des personnes déplacées de l’intérieur en Afrique.
Colombie Le cadre législatif exhaustif de la Colombie en ce qui concerne les droits des PDI est souvent cité en exemple pour illustrer l’intégration des Principes au sein du droit interne. La législation principale de Colombie concernant le déplacement (loi n˚387 de 1997) est entrée en vigueur avant l’adoption des Principes. Toutefois les autorités colombiennes admettent s’être inspirées des travaux préparatoires effectués par Francis Deng, l’ancien Représentant du Secrétaire général pour les PDI, lors de l’élaboration du cadre normatif du pays. En 2001, la Cour constitutionnelle a décidé d’incorporer les Principes au « Bloc de constitutionnalité », faisant ainsi des Principes une loi nationale contraignante. En conséquence, une multitude de politiques publiques reprennent maintenant les Principes en tant que base fondamentale de toute réponse institutionnelle face au déplacement interne. Toutefois, l’écart reste important entre la cadre législatif exhaustif de la Colombie et sa mise en pratique aux niveaux national et départemental. La Cour constitutionnelle a essayé de réduire cet écart en mai 2004 en rendant un jugement significatif (T-025), fait de plusieurs injonctions à l’attention du gouvernement pour que ce dernier assume ses responsabilités en ce qui concerne la crise du déplacement.4 Les programmes de l’UNHCR en Colombie illustrent l’impact que les Principes peuvent avoir sur les sociétés où une infrastructure juridique solide est capable de les assimiler. En abordant le rôle de l’assistance humanitaire avec les autorités gouvernementales, l’UNHCR s’appuie sur les Principes pour expliquer qu’il est nécessaire d’être impartial et neutre et que l’action humanitaire soit, par nature, non discriminatoire. En outre, les ONG nationales et les associations qui travaillent sur la question du déplacement ont joué un rôle prépondérant dans la dissémination et la mise en application des Principes. Les défenseurs des PDI font appel aux Principes lorsqu’ils demandent que les droits des PDI soient respectés et y font référence dans leurs comptes rendus auprès de la Cour constitutionnelle colombienne. Un accord signé récemment entre le Ministère de l’agriculture et l’UNHCR donne aux PDI la possibilité de protéger les terres abandonnées et de bénéficier de nouvelles initiatives pour
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récupérer leurs droits de propriété. Enfin, les Principes sont aussi fréquemment utilisés par le groupe d’experts au sein de la Commission de réconciliation nationale et de réparation, dont l’objectif est de mettre en place un plan national de réparation.
Serbie et Kosovo Neuf ans après la fin des conflits au Kosovo, la situation des 206 000 PDI de Serbie reste délicate. Il n’existe aucune responsabilité institutionnelle pour leur protection et les statistiques de l’ONU indiquent que seulement 18 060 membres de communautés minoritaires sont rentrés au Kosovo depuis 1999. Le retour durable a été entravé par de nombreux facteurs : contraintes de sécurité, manque de volonté politique, nature complexe des procédures de retour, restrictions à la liberté de mouvement, destruction des biens, inefficacité du système de restitution de propriété et accès limité aux services. Garantir le retour informé, librement consenti et digne des PDI reste un défi de tous les jours en Serbie. L’UNHCR a mené de nombreuses activités transfrontalières au fil des années pour informer les PDI des conditions dans leur lieu d’origine et des développements au Kosovo. Il a aussi offert un service de conseils et d’assistance gratuit sur la manière de poursuivre les procédures de restitution de biens. La Mission de l’ONU au Kosovo (MINUK)5 a aussi publié un « Manuel sur les retours » (« Manual on returns ») qui comprend certains éléments des Principes. Bien que le droit à la liberté de mouvement et la capacité de choisir sa propre résidence soient reconnus, la MINUK et les autorités serbes, à cause de contraintes politiques et financières, ont eu de grandes difficultés à mettre ces principes en application. Les Principes ont fourni le cadre pour l’ « Analyse de la situation des personnes déplacées de l’intérieur du Kosovo vers la Serbie : droit et pratique » (« Analysis of the Situation of Internally Displaced Persons from Kosovo in Serbia: Law and Practice »),
l’un des outils principaux de mobilisation et de programmation utilisés par les agences de l’ONU et les ONG en Serbie.6
Sri Lanka Au Sri Lanka, les Principes sont le fondement de toutes les activités de l’UNHCR liées à la sensibilisation, à la formation, à l’observation de la protection et à la mobilisation, que ce soit avec les PDI ou les communautés d’accueil. Grace aux programmes éducatifs, les enfants non déplacés ont une meilleure connaissance des défis auxquels font face les enfants déplacés de l’intérieur. Les Principes ont aussi servi à demander une inclusion plus complète des enfants déplacés au sein de la vie scolaire. Une classe d’élèves a même demandé s’il était possible d’organiser un voyage d’échange scolaire, afin de pouvoir mieux se rendre compte des conditions dans lesquelles vivent les enfants déplacés. Les Principes sont utilisés quotidiennement pour aborder les problèmes liés à la surveillance des activités de protection. L’UNHCR a aussi rencontré des directeurs d’école,
Des enfants fréquentent l’école primaire, financée par l’UNHCR, sur le lieu de relocalisation permanente du village de Tharanikulum, dans le Vavuniya, au Sri Lanka.
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS de retour et donne sa structure au travail de protection de l’UNHCR.
Nord de l’Ouganda
UNHCR/R.Chalasani
Les Principes sont la référence principale de la Politique nationale envers les PDI adoptée par le gouvernement ougandais en 2004. Par cette Politique, le gouvernement s’engage à protéger ses citoyens contre les déplacements arbitraires, garantit les droits de ces derniers lors du déplacement et promeut des solutions durables et librement consenties. La Politique nationale envers les PDI offre à l’UNHCR une base solide sur laquelle appuyer ses programmes visant à renforcer l’observation de la protection, développer les capacités du gouvernement et de la société civile, faciliter l’accomplissement de solutions durables et apporter son soutien au processus de fermeture progressive des camps. L’UNHCR utilise les Principes en association avec la Politique Nationale envers les PDI dans toutes ses activités de formation, y compris avec la police. Le Principe 14, qui porte sur le droit à la liberté de mouvement, a pris une signification particulière en 2006 : le secteur de la protection avait alors identifié comme un problème majeur les restrictions gouvernementales imposées aux PDI rentrant ou sortant des camps. Une campagne de mobilisation de grande envergure pour la liberté de mouvement a ciblé tout particulièrement le gouvernement national, les autorités locales et l’armée. Les membres du secteur ont attiré l’attention de la communauté internationale sur les problèmes dévastateurs liés à la protection qui surviennent lorsque les PDI sont confinés dans des camps et qu’on les empêche, par exemple, de poursuivre des activités qui garantissent leur subsistance. Grâce à cette campagne, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de sécurité suite au cessez-le-feu avec l’Armée de résistance du Seigneur, le gouvernement a levé toute restriction à la liberté de mouvement dans les camps et les zones de retour, permettant ainsi
après avoir découvert que l’on refusait d’inscrire des PDI parce que les classes étaient surpeuplées. En collaboration avec le directeur, le gouvernement local et la communauté des PDI, il a été possible de trouver des enseignants et des ressources supplémentaires pour accueillir les enfants déplacés. Les Principes ont, en outre, influencé les efforts nationaux de consolidation de la paix, comme cet outil mis au point par l’UNHCR (Confidence Building and Stabilisation Measures for IDPs in the North and East7 - « Renforcement de la confiance et mesures de stabilité pour les PDI du Nord et de l’Est ») et approuvé par le Comité interministériel sur les droits de l’homme en octobre 2006. Cet outil encourage les activités de coexistence et de consolidation de la paix entre communautés et au sein des communautés, dans l’administration civile, les forces armées et les services chargés de l’application des lois. Il met en lumière la nécessité de restaurer les infrastructures et les services essentiels dans les zones
aux PDI de choisir de leur propre gré entre le retour et l’intégration locale.
Les 10 prochaines années et au-delà Cet article a fourni des exemples concrets qui illustrent comment l’utilisation des Principes par l’UNHCR dans ses opérations quotidiennes contribue non seulement à une meilleure protection des PDI mais permet aussi de renforcer les Principes en tant qu’outil juridique, de mobilisation et de planification. Le succès des Principes est un hommage aux efforts internationaux des ONG, de l’ONU, des gouvernements, tout autant que des PDI. Bien que les Principes aient eu un impact significatif, des directives supplémentaires seraient nécessaires afin de déterminer si une situation de déplacement est terminée, de répondre aux situations de déplacement prolongées et de garantir que les PDI soient incluses de manière appropriée dans les activités de consolidation de la paix. D’autres défis existent, comme d’améliorer les activités de protection et d’assistance (et de trouver des solutions) en milieu urbain, où il est parfois difficile d’identifier les populations déplacées. Il est aussi nécessaire de réfléchir plus profondément à la question des déplacements forcés provoqués par les changements climatiques et de considérer si les cadres législatifs et les institutions opérationnelles actuels permettent de répondre adéquatement à cette question, ou s’il est nécessaire de créer de nouveaux régimes juridiques et de nouvelles institutions. Dans les années à venir, l’UNHCR continuera d’œuvrer pour une meilleure acceptation de la démarche contenue dans les Principes directeurs et axée sur les droits fondamentaux, afin de répondre aux déplacements internes. Khassim Diagne (diagne@unhcr.org) est conseiller principal pour les questions politiques auprès de l’UNHCR (www. unhcr.org). Hannah Entwisle (entwisle@ un.org) a travaillé comme conseillère pour les politiques relatives aux PDI à l’UNHCR jusqu’en décembre 2008. Elle travaille maintenant comme conseillère dans l’équipe de soutien de la politique alimentaire du BCAH. 1. http://www.humanitarianreform.org/ humanitarianreform/Portals/1/H%20Coordinators/ HC%20retreat/Day%202/HCRIDPpolicyframework.pdf 2. Veuillez consulter Ressources, p.40 3. http://www.unhcr.org/cgi-bin/texis/vtx/home/opendoc. pdf?tbl=SUBSITES&id=47fb81ee2 4. Veuillez consulter Rothing et Romero, « Mesurer la jouissance des droits en Colombie », RMF30 http://www. fmreview.org/FMRpdfs/FMR30/64-65.pdf 5. http://www.unmikonline.org/ 6. http://www.unhcr.org/refworld/pdfid/42120e554.pdf 7. http://www.unhcr.org/publ/PROTECTION/482af5132. pdf
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS
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La formation permet de renforcer la protection des PDI Kim Mancini Beck
Les premières activités de formation, suite au lancement des Principes, avaient surtout pour objectif de sensibiliser les gouvernements, les ONG, l’ONU et les acteurs internationaux pour que ces Principes soient acceptés. Depuis quelques années, la formation dépasse la simple sensibilisation pour inclure la mise en application des Principes et l’établissement de normes internationales. Le dixième anniversaire des Principes a été l’occasion de faire le compte rendu de l’évolution de la formation. L’Examen de l’intervention humanitaire (Humanitarian Response Review, HRR), à l’origine de la mise en place du principe de la responsabilité sectorielle en décembre 2005,1 a servi de catalyseur aux agences humanitaires pour renforcer et réorienter leurs programmes de formation, afin de garantir que les Principes soient intégrés dans leurs interventions formatrices. Le principe de la responsabilité sectorielle a aussi fortement contribué à la mise au point d’outils2 par un ensemble d’institutions. Le secteur de la protection a d’ailleurs joué un rôle prépondérant dans la création et la distribution d’outils destinés à la protection des PDI. D’autres outils sectoriels de formation avaient pour objet de propager les réflexions portant sur le déplacement interne à d’autres domaines, tels que la violence sexiste, la gestion des camps et le relèvement rapide. Quelques initiatives interinstitutions qui ont précédé le HRR mettent en lumière l’importance de la coopération entre institutions en ce qui concerne la formation, afin d’établir des normes communes et des directives applicables sur le terrain. Ces initiatives ont par la suite été renforcées par le principe de responsabilité sectorielle. Par exemple, le Projet de gestion des camps (PGC) a été mis au point en Sierra Leone, en 2002, dans le but d’améliorer la qualité de l’assistance et de la protection dans les camps de PDI du pays. Ce projet a abouti par la publication d’une panoplie de méthodes en 2004 (mise à jour en 2008),3 suivie par la création de matériel de formation, d’un cours de formation des formateurs et d’un registre interorganisations des formateurs par le Conseil norvégien pour les réfugiés (CNR). Lorsque le secteur de Coordination des camps et de Gestion des camps (CCGC) a été établi, il est devenu responsable de la formation et a mis au point des normes,
des outils et des directives, y compris trois programmes de formation complets. Le Projet interinstitutions sur une capacité de protection de réserve (Protection Capacity Standby Project, ProCap), sous la houlette du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires (BCAH), apporte un soutien aux bureaux extérieurs de l’ONU en déployant des officiers responsables de la protection et en offrant un programme de formation aux experts en protection de réserve travaillant pour des ONG intermédiaires. Le cours de formation interne de ProCap sur la protection en situation d’urgence aborde la protection de manière générale mais aussi, de manière plus spécifique, le déplacement interne et la coopération interinstitutionnelle. Pendant cette formation, on demande aux participants d’analyser les risques et les besoins liés à la protection sans prendre les mandats institutionnels en considération, puis « d’incarner » différentes institutions lors de simulations d’interventions d’urgence portant sur la protection. L’initiative Action pour les droits de l’enfant (ADE)4 a mis au point un programme de formation sur la protection des enfants dans les situations d’urgence, qui comprend des instructions, des instruments favorisant une formation participative, des études de cas, divers outils de formation et un guide à l’usage de l’animateur. Une nouvelle version prévue pour 2009 inclura aussi des questions plus spécifiques liées aux urgences complexes, aux déplacements et aux situations de catastrophes. Cet outil se concentre sur les conséquences potentielles du déplacement sur les droits des enfants, en particulier les questions critiques telles que la séparation des familles, le risque de maltraitance, le recrutement dans les forces armées et le travail des enfants. En plus des initiatives officielles interorganisations, certains fournisseurs concentrent surtout leurs efforts sur
la formation des acteurs nationaux et locaux. Le Représentant du Secrétaire général de l’ONU - avec le soutien du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (OHCHR) et du Projet Brookings-Bern sur le déplacement interne - organise un stage résidentiel annuel de formation, d’une durée de cinq jours, ainsi que des ateliers régionaux de formation sur des questions telles que la consolidation de la paix, les catastrophes naturelles et les lois et politiques nationales concernant le déplacement. Le Projet Brookings-Bern travaille avec des partenaires universitaires et issus de la société civile pour organiser des cours en Asie du Sud-Est et en Afrique orientale ; il est aussi en liaison étroite avec des institutions nationales de défense des droits de l’homme pour soutenir leur engagement auprès des PDI. L’Observatoire des situations de déplacement interne (Internal Displacement Monitoring Centre, IDMC) du CNR apporte son soutien aux agences de l’ONU présentes sur le terrain ainsi qu’aux ONG internationales pour les aider à former leurs partenaires locaux et nationaux. Son programme comprend un atelier de trois jours qui couvre tous les aspects du déplacement interne. Les bureaux extérieurs du CNR ont aussi mis au point une méthodologie basée sur la mise-en-scène de situations afin de permettre aux PDI de mieux faire valoir leurs droits et de trouver les moyens de faire changer les choses. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) organise un cours pour les responsables politiques au sujet des droits politiques des personnes déplacées, et a intégré la question des PDI à un cours sur le droit international de la migration destiné aux fonctionnaires de gouvernement d’échelon intermédiaire ou supérieur. De nombreuses organisations se sont surtout préoccupées de renforcer leurs activités de formation pour leur propre personnel et partenaires opérationnels. Par exemple, la Section de soutien au déplacement et à la protection (SSDP) du BCAH offre au personnel du BCAH et des organisations membres du Comité Permanent Interorganisations (CPI) des formations sur l’évaluation des besoins, la mise au point de stratégies, l’intervention opérationnelle et la coordination au niveau
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS
mondial et local. L’UNHCR a inclus des éléments concernant les PDI dans ses programmes d’enseignement destinés à son personnel et est en train de mettre au point des programmes sur la protection des PDI, destinés aux nouveaux employés et à l’équipe de direction. L’OHCHR a ajouté certaines questions spécifiques aux PDI à son programme élémentaire pour les spécialistes des droits de l’homme présents sur le terrain, ainsi qu’à un cours spécialisé sur les stratégies et les compétences nécessaires à l’observation du respect des droits de l’homme. L’UNICEF à incorporé les questions liées aux PDI à un document de politique générale et à ses programmes de formation sur la protection des enfants. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a, quant à lui, mis au point une politique, des directives de terrain et un programme de formation destinés à son personnel et à ses partenaires, afin d’introduire sa nouvelle démarche qui vise à inclure la protection dans toutes ses interventions d’assistance alimentaire. Enfin, un examen de la protection effectué par le Conseil danois pour les réfugiés (CDN) a poussé celui-ci à ajouter des questions spécifiques aux PDI à ses activités de formation et à développer une boîte à outils de profilage des PDI5 basée sur leur expérience, obtenue sur le terrain, en Somalie.
sectorielles auprès des PDI7 a permis de voir quels progrès les organisations internationales avaient faits pour garantir une protection et une assistance plus efficaces pour les PDI. Ces évaluations ont mis en lumière des carences en ce qui concerne les connaissances et les compétences, et indiquent qu’il est nécessaire d’étendre la formation pour répondre au manque d’engagement de la part d’acteurs importants, y compris de certains gouvernements d’accueil, de nombreuses ONG nationales voire même quelques membres du personnel de terrain de l’ONU. La meilleure manière de répondre à ces défis ordinaires, auxquels font face les organisations internationales, est par une plus grande interaction entre les organisations « de protection » et « d’assistance » pour garantir le même niveau de compréhension et de formation en ce qui concerne les droits humains des PDI. Dans les secteurs de la protection et du relèvement rapide, des problèmes courants tels que la protection des enfants, la violence sexiste, le logement, les droits fonciers et de propriété, l’Etat de droit et la justice sont abordés de manière différente. De nouvelles synergies pourraient être créées dans le but d’effectuer des transitions efficaces entre l’intervention humanitaire et le développement.
La démarche du CICR reste fidèle à son mandat de protection de toutes les victimes de conflits armés, considérant les PDI comme une partie d’un ensemble plus large de personnes dont les droits n’ont pas été respectés du point de vue du droit humanitaire international. Depuis le HRR, la formation que le CICR offre à ses employés cherche davantage à leur faire comprendre les réformes et le principe de responsabilité sectorielle. Il a aussi engagé un dialogue plus profond avec ses partenaires afin de clarifier son approche vis-à-vis de la protection des PDI, qui vise à mettre en place un cadre plus large pour répondre au déplacement interne.6
Les autorités nationales et locales, les organisations de défense des droits de l’homme, les organisations de la société civile (religieuses ou autres) et les communautés de PDI utilisent toutes activement les Principes dans des activités de dissémination et de formation. Les évaluations de l’UNHCR de 2007 ont mis en lumière le besoin de directives additionnelles, indiquant comment mieux s’engager auprès des acteurs internationaux pour renforcer les capacités nationales de protection. De nombreuses
Il est temps de faire le point Ces nouvelles ressources de formation indiquent que des progrès sont en cours vers une meilleure compréhension des mandats et des approches respectifs, vers une augmentation des échanges et vers une offre interorganisationnelle de formation sur le terrain. Le principe de la responsabilité sectorielle n’a toutefois été mis en œuvre que dans une minorité de pays touchés par les déplacements internes. Il reste encore beaucoup à faire pour que tous les acteurs locaux mettent en application les normes communes et le principe de la responsabilité sectorielle. En 2007, une analyse de l’UNHCR des évaluations dans cinq opérations
organisations ont mené avec succès des activités de renforcement des capacités lors d’opérations auprès des PDI et dans des situations liées aux droits humains, à l’asile ou à l’Etat de droit. Malheureusement, les capacités et les ressources utilisées pour documenter et partager les bonnes pratiques ne sont pas partout les mêmes. Afin de continuer le progrès vers la mise en œuvre d’une réponse efficace et consistante au problème du déplacement interne, il est nécessaire d’évaluer les activités de formation sur le terrain et de renforcement des capacités entreprises par une grande variété d’acteurs. C’est un défi qui devrait être relevé au niveau interorganisationnel, avec le soutien des donateurs. Sans un examen complet, il sera difficile de remédier aux faiblesses récurrentes identifiées par l’UNHCR en ce qui concerne le renforcement des responsabilités des Etats vis-à-vis de la protection et l’aptitude des organisations de la société civile à renforcer les capacités de protection nationales. Un plus grand dialogue est nécessaire entre les organisations pour dissiper les craintes et les malentendus au sujet des PDI qui auraient détourné l’attention des besoins de protection et des droits d’autres populations telles que les victimes non déplacées de conflits et de catastrophes naturelles. De nombreuses organisations ont aussi du mal à venir en aide aux PDI en zone urbaine, moins visibles, et à soutenir les familles et les communautés d’accueil qui partagent leurs maigres ressources avec les PDI. Enfin, aucune agence de l’ONU ne tient pour l’instant le rôle principal dans les situations de catastrophe naturelle, puisque le principe de la responsabilité sectorielle indique simplement que l’UNICEF, l’OHCHR et l’UNHCR doivent être consultées pour déterminer qui jouera
Les droits en pratique Il y a deux ans, je me trouvais en République Démocratique du Congo pour participer à des séances de formation organisées par le Conseil norvégien pour les réfugiés, qui portaient sur la mise en application des Principes directeurs. Certains ateliers avaient lieu sur le terrain, avec la participation de différents groupes armés, de la police, de chefs de villages, de chefs religieux et de gens ordinaires issus des communautés d’accueil ou de PDI. La notion même de droits était étrangère à de nombreux participants et la formation a donné des résultats surprenants. Un PDI de retour m’a raconté ce qui était arrivé à son étang à poissons, qui représentait sa principale source de revenus et lui permettait de nourrir sa famille. Le chef du village en avait pris possession, affirmant que cela était conforme à son statut de chef, à ses besoins et aux coutumes locales. Toutefois, comme ils avaient tous deux participé aux séances de formation sur les Principes directeurs, le villageois rappela au chef les débats qui avaient eu lieu pendant les ateliers. Il affirma que le chef avait enfreint ses droits en s’arrogeant l’étang à poissons – et qu’il devait donc le lui rendre. Le chef admit qu’il était en tort et rendit dûment l’étang à poissons à son propriétaire légitime. Pål Nesse, directeur de la Section Mobilisation du Conseil norvégien pour les réfugiés.
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS le rôle principal lorsqu’une catastrophe naturelle ou d’origine humaine a lieu. Kim Mancini Beck (kim.mancini@ nrc.ch) est formatrice supérieure pour l’Observatoire des situations de déplacement interne du Conseil norvégien pour les réfugiés (http://www. internal-displacement.org). L’auteur tient à remercier les représentants des organisations suivantes pour avoir partagé leurs informations, expériences et
analyses : American Refugee Committee, Projet Brookings-Bern, DRC, ICRC, IOM, NRC, Terre des Hommes, World Vision Australia, BCAH, Oxfam GB, UNFPA, UNHCR, UNICEF et WFP 1. Pour de plus amples informations sur le principe de responsabilité sectorielle, veuillez consulter RMF29: http://www.fmreview.org/humanitarianreform.htm 2. Plusieurs de ces outils sont décrits dans d’autres articles de ce numéro de RMF. Veuillez aussi consulter la liste complète de ressources, page 40 3. http://www.nrc.no/camp/ 4. http://www.savethechildren.net/arc/ Veuillez aussi consulter le CD-ROM d’autoformation intitulé
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« Introduction to child protection in emergencies » (« Introduction à la protection des enfants dans les situations d’urgence ») 5. http://www.internal-displacement. org/8025708F004CFA06/(httpKeyDocumentsByCategory)/ B3898C325EEBCF24C12574CE00317D2D/$file/DRC%20 -%20IDP%20Profiling%20Toolbox_final%20April%20 2008.pdf 6. Voir l’article de Cordula Droege, p.8-9 7. « Real-time evaluations of UNHCR’s involvement in operations for internally displaced persons and the cluster approach: analysis of findings » (« Evaluations en temps réel de la participation de l’UNHCR aux opérations destinées aux personnes déplacées de l’intérieur et du principe de la responsabilité sectorielle: analyse des résultats »), 2007. http://www.unhcr.org/ refworld/docid/470394f12.html
Le futur des Principes directeurs Walter Kälin
Bien qu’il soit difficile d’avoir un point de vue objectif sur une entreprise à laquelle vous avez pleinement participé, il semble juste de déclarer que, ces dix dernières années, les Principes directeurs ont démontré leur utilité et leur impact mais aussi leurs limitations. En Birmanie, les Principes ont été utilisés lors de campagnes de sensibilisation à la question du déplacement et de l’assistance humanitaire mais leur poids diplomatique ou politique reste trop faible pour influencer les autorités nationales. Lors d’élections en Bosnie Herzégovine et au Kosovo, les Principes ont permis d’attirer l’attention sur les droits politiques des PDI mais, à travers le monde, la participation politique des PDI reste inégale. Les Principes ont aussi en partie inspiré le processus de paix au Népal mais le pays manque toujours de stratégie efficace en ce qui concerne les PDI. Ils ont informé le processus en cours d’élaboration de la convention de l’Union Africaine sur la prévention du déplacement interne et la protection et l’assistance des personnes déplacées en Afrique mais - en supposant que cette convention soit approuvée par l’Union africaine lors de leur sommet exceptionnel1 - elle ne sera efficace que si les Etats respectent leurs engagements et que des contrôles sont effectués. Les Principes ont été distribués aux fonctionnaires géorgiens en charge de l’assistance aux personnes déplacées par le conflit récent ; toutefois, la réponse du gouvernement géorgien face à la récente crise de déplacement a été critiquée. Ils constituent aussi la base de la Politique Nationale pour les personnes déplacées de l’intérieur en Ouganda mais il reste encore beaucoup à faire pour leur mise en pratique. Comme l’explique l’article par Elizabeth Ferris2, il est difficile d’évaluer avec exactitude l’impact des Principes. Toutefois, les exemples donnés dans
ce Numéro Spécial, en particulier ceux des praticiens présents sur le terrain qui travaillent avec les Principes, m’ont permis de mieux comprendre leur potentiel et leurs limitations. Que peut-on faire pour augmenter l’impact des principes ? Certains suggèrent que les obstacles à leur adoption et à leur mise en œuvre décrits dans les articles précédents seraient surmontés par une Convention de l’ONU portant sur les droits humains des PDI. Francis Deng, mon prédécesseur, avait délibérément présenté les Principes comme un texte rédigé par des experts plutôt que comme un projet de convention. Comme l’explique l’article de Francis Deng et Roberta Cohen,3 plusieurs raisons probantes étaient à l’origine de cette décision. La création de traités dans le domaine des droits humains est devenue lente et difficile. Francis Deng sentait qu’il fallait quelque chose de plus immédiat pour répondre aux besoins du nombre croissant de PDI dans le monde, et il voulait éviter la longue période d’incertitude juridique causée par des négociations prolongées. Nous avons insisté sur le fait que les Principes ne créaient pas de nouvelles lois mais réitéraient des obligations déjà en vigueur selon les droits de l’homme et le droit humanitaire international, contraignants pour les Etats. De plus, une de nos craintes était que
la négociation d’un texte qui puise autant dans le droit existant permette à certains Etats de renégocier et d’affaiblir les traités en vigueur et le droit coutumier. En outre, qu’un traité soit approuvé n’aurait en rien garanti sa ratification par un grand nombre de gouvernements. Enfin, nous étions d’avis qu’il était probablement trop tôt pour ébaucher un traité qui allie les droits de l’homme au droit humanitaire. En termes juridiques, institutionnels et politiques, la distinction entre les droits de l’homme, applicables principalement en temps de paix, et le droit humanitaire, applicable en temps de conflit armé, était si fondamentale qu’il y avait de grandes chances que de nombreux pays et organisations s’opposent fortement à toute
Camp de PDI, Hal Hajid, Tchad. Février 2008.
Thierry Gassmann
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DIX ANS DE PRINCIPES DIRECTEURS
tentative visant à unir ces deux aspects du droit dans une seule convention de l’ONU.
Toujours une question interne ? Ces raisons sont toujours valides aujourd’hui. Les négociations portant sur le Document final du Sommet mondial de 20054 ont mis en évidence que, même si les Principes ont été bien accueillis par tous les gouvernements, nombre d’entre eux ne sont toujours par prêts à reconnaître explicitement leur caractère contraignant. L’idée que le déplacement interne est essentiellement une « question interne » prévaut toujours dans de nombreuses régions du monde. Le consensus entre les états et leur gouvernement souverain est le fondement même du droit international. Je pense qu’il est encore aujourd’hui sensé de construire le consensus à partir du bas. Une telle approche demande de convaincre les Etats touchés par les déplacements internes d’incorporer les Principes au droit interne et d’encourager les organisations régionales à développer des cadres normatifs applicables au niveau local. Cette approche a rencontré un certain succès mais il nous faut mettre au point de nouvelles stratégies, afin surtout de mieux intégrer les droits des PDI, que les Principes réitèrent, au sein du droit interne. Ils y sont trop souvent intégrés simplement par le biais d’une référence générale aux Principes dans une loi ou un document politique. Cela est peut être dû à un manque de compréhension de la complexité de la tâche ; cependant, dans certains cas, cela indique un manque de volonté politique pour apporter des réponses à la situation critique des PDI. Mes missions et visites dans les pays touchés par les déplacements internes ont révélé que, même quand la volonté politique d’aider les PDI existe bel et bien, la législation en vigueur prend rarement en compte leurs besoins spécifiques et crée ainsi parfois des obstacles insurmontables qui empêchent les PDI de jouir des droits qui leur sont acquis. Au Népal, par exemple, les enfants déplacés ne peuvent profiter de leur droit à l’éducation s’ils sont incapables de présenter des « documents de transfert » délivrés par le directeur de leur ancienne école, puisque cela les empêche de s’inscrire dans une nouvelle école. En Côte d’Ivoire, la plupart des enfants déplacés ne possèdent pas d’acte de naissance, pourtant nécessaire à leur inscription scolaire - soit parce qu’ils n’en ont jamais eu, soit parce qu’ils l’ont laissé derrière eux en prenant la fuite, soit parce qu’on le leur a confisqué - et il n’existe aucun mécanisme de remplacement de documents. En général, les PDI ne peuvent prendre part aux
élections car il n’existe aucun système de vote par correspondance. Dans le nord de l’Ouganda, les mécanismes de financement fournissent aux districts des ressources destinées au développement mais pas aux activités humanitaires. A la fin de l’année, des fonds qui auraient pu être alloués pour atténuer les problèmes des PDI sont renvoyés à Kampala sans avoir été utilisés car les conflits ont empêché la mise en place d’activités de développement. Il est aussi fréquent que les PDI ne puissent reprendre possession de leur propriété car ils n’ont plus de documents prouvant qu’ils en sont bien les propriétaires. Parfois, des personnes ayant connu une longue période de déplacement ne peuvent récupérer leur propriété même si le retour est enfin possible, à cause de lois qui stipulent que les personnes ayant abandonné leur propriété pendant plus d’un certain temps ont perdu leurs droits. Cela permet parfois à ceux qui ont déplacé des personnes arbitrairement et par l’usage de la force de devenir les propriétaires légitimes. Il est évident que, dans de telles circonstances, le directeur d’école, la commission électorale nationale ou les autres autorités respecteront les régulations qui s’appliquent directement à leur travail et n’appliqueront pas les Principes, même s’ils en ont connaissance. En bref, le droit interne en vigueur sur le déplacement interne n’a pas toujours réussi à clarifier comment traduire en actions concrètes les principes généraux et plutôt abstraits du droit international évoqués par les Principes.
Un manuel pour législateurs et responsables politiques La prochaine étape est d’intégrer les Principes au droit interne. Mon mandat, en collaboration avec le Projet BrookingsBern sur le déplacement interne, a mis au point un manuel pour les législateurs et responsables politiques qui identifie les obstacles ainsi que les principes essentiels qui doivent être garantis au niveau national. L’objectif principal de ce manuel est de donner des conseils sur la manière d’élaborer des lois et des politiques qui répondent au besoin de protection et d’assistance des PDI de manière à garantir la protection complète de leurs droits, conformément aux Principes. Ce manuel est destiné aux responsables politiques nationaux, aux ministères compétents, aux législateurs et aux groupes de la société civile qui travaillent avec les PDI. Nous espérons que ce manuel apportera une assistance directe et concrète en ce qui concerne l’élaboration de lois et de politiques qui permettront, si possible, de prévenir le déplacement interne et d’en atténuer les effets sur la vie des PDI.
Les directives du manuel seront bien sûr appliquées selon le système juridique national et les traditions législatives du pays. Toutefois, elles devraient offrir des conseils spécifiques en ce qui concerne les démarches à adopter pour répondre au déplacement interne, en conformité avec les principes du droit international appropriés à la situation.5 Le droit du déplacement interne ne peut que se développer si les Etats, les organisations internationales et les autres acteurs continuent d’insister pour que des garanties spécifiques soient accordées aux personnes déplacées de l’intérieur. Même si certaines revendications seront rejetées, d’autres seront acceptées, comme le démontre l’histoire des Principes. J’espère que ce corpus de lois continuera dans la direction indiquée dans les Principes directeurs et deviendra un outil encore plus efficace pour protéger les millions de PDI à travers le monde. Walter Kälin (idp@ohchr.org) est le Représentant du Secrétaire général pour les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays. Pour de plus amples informations sur son mandat et ses rapports de mission, veuillez consulter : http://www2.ohchr. org/english/issues/idp/index.htm 1. http://www.unhcrrlo.org/Conference_Special_ Events/2008AUSpecialSummit.html 2. Veuillez consulter p.10 3. Veuillez consulter p.4 4. http://www.un.org/summit2005 5. Protecting Internally Displaced Persons: A Manual for Law and Policymakers, (« Protéger les personnes déplacées de l’intérieur : Un manuel pour législateurs et responsables politiques ») Projet Brookings-Bern sur le déplacement interne, octobre 2008. Disponible en version téléchargeable sur http://www.brookings.edu/ papers/2008/1016_internal_displacement.aspx or email brookings-bern@brookings.edu to request a copy.
« Nous avons des droits » En Colombie, j’ai rencontré une bonne douzaine d’hommes et de femmes en haillons qui avaient marché des heures à travers la jungle pour me rejoindre dans une école délabrée sur la côte Pacifique. Ils m’ont raconté comment ils avaient fui les violences continuelles, en laissant tout derrière eux, et comment ils luttaient maintenant pour survivre. Puis l’un des hommes a ajouté : « Au milieu de tant de souffrances, il y a une chose dont nous sommes sûrs. Nous avons des droits et ils ne peuvent pas nous les enlever, même s’ils les enfreignent. Les Principes directeurs sont nos droits. Ils affirment clairement que nous avons le droit à la sécurité, le droit à l’alimentation et à la santé, et le droit de rentrer chez nous ; et cela nous donne de l’espoir. »
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Outils et ressources
Principes directeurs relatifs au déplacement interne: texte complet et dans de nombreux langues disponible en ligne http://www.brookings.edu/projects/idp/gp_page.aspx
Cadre législatif et responsabilité nationale Guiding Principles on Internal Displacement: Annotations (Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays : Annotations), Société américaine du droit international, Projet Brookings-Bern, Edition corrigée, 2008 : http://www.asil.org/pdfs/stlp.pdf Identifie les sources juridiques dans le droit international pour chacun des Principes. Protecting Internally Displaced Persons: A Manual for Law and Policy Makers (Protéger les personnes déplacées de l’intérieur : Manuel à l’usage des législateurs et dirigeants politiques), Projet Brookings-Bern, octobre 2008 : http://www.brookings.edu/papers/2008/1016_internal_ displacement.aspx Donne des directives détaillées aux autorités nationales pour mettre au point des lois et des politiques qui répondent aux besoins de protection et d’assistance des PDI et pour garantir que leurs droits soient alignés sur les Principes directeurs ; passe en revue les questions et problèmes auxquels les autorités nationales doivent faire face ; et comprend des listes d’éléments minimum et essentiels à intégrer aux réglementations des Etats. Addressing Internal Displacement: A Framework for National Responsibility (Répondre aux déplacements internes : Cadre pour une responsabilité nationale), Projet Brookings-Bern, avril2005: http://www. brookings.edu/projects/idp/20050401_nrframework.aspx Indique 12 étapes que les gouvernements doivent suivre pour remplir leurs responsabilités envers les PDI et donne les bases permettant d’en évaluer les progrès.
Opérationnaliser les Principes directeurs Manuel pour la protection des déplacés internes, Groupe sectoriel global chargé de la protection, décembre 2007: http://www.humanitarianreform.org/humanitarianreform/ Default.aspx?tabid=294 Destiné aux personnes en charge de la protection des PDI sur le terrain. Passe en revue les éléments clés de la protection des PDI, y compris les cadres institutionnels normatifs, les activités et les outils de protection, et fournit des « feuilles d’action » abordant les risques liés à la protection fréquemment rencontrés par les PDI. La version finale de ce manuel est due pour 2009. Protecting Persons Affected by Natural Disasters – IASC Operational Guidelines on Human Rights and Natural Disasters (Protéger les personnes touchées par des catastrophes naturelles : directives opérationnelles de l’IASC sur les droits de l’homme et les catastrophes naturelles), juin 2006 : http://www.humanitarianinfo. org/iasc/downloadDoc.aspx?docID=3429&type=pdf Directives portant sur ce que les acteurs humanitaires doivent faire afin de mettre en place une approche axée sur les droits lors de l’action humanitaire, dans le contexte de catastrophes naturelles. Accompagnées d’un manuel - la version finale sera publiée en 2009. La protection des personnes déplacées par un conflit à l’intérieur de leur pays: Évaluation en vue d’une action, Groupes de travail sectoriels sur la protection et sur le relèvement précoce, 2008 : http://www. humanitarianreform.org/Default.aspx?tabid=555 Cadre mis au point pour aider les Etats et les organisations humanitaires à effectuer une analyse complète de la situation des PDI et des autres populations affectées. Dans la première partie (suivant les Principes directeurs), chaque chapitre aborde un ensemble de droits tirés du droit international ; la seconde partie offre des conseils d’ordre général sur les méthodes d’évaluation participatives. Toujours sous publication provisoire, prévue en version finale pour 2009. Cadre pour les solutions durables pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, Projet Brookings-Bern, juin 2007 : http:// www.brookings.edu/reports/2007/09displacementends.aspx Donne des directives permettant de déterminer si des solutions durables ont été trouvées pour les PDI, et dans quelle mesure. Examine les processus par lesquels les solutions sont trouvées ainsi que les conditions mêmes des PDI à la recherche de solutions durables. Guidance on Profiling Internally Displaced Persons (Guide sur le profilage des personnes déplacées de l’intérieur), l’Observatoire des situations de déplacements internes (IDMC), Bureau de la
coordination des affaires humanitaires de l’ONU, avril 2008 : http://www. internal-displacement.org/profiling Conçu pour aider les acteurs humanitaires à recueillir de meilleures données essentielles sur les PDI, y compris le nombre de PDI en fonction du sexe, de l’âge et de l’emplacement ; propose de nombreuses méthodologies et donne des recommandations pour choisir la meilleure en fonction du contexte du pays.
Secteurs/Questions spécifiques Des normes et des meilleures pratiques relatives à la protection des PDI ont été incluses dans de nombreux documents interorganisationnels, développés pour des secteurs ou des questions spécifiques : nn Directives en vue d’interventions contre la violence basée sur le sexe dans les situations de crise humanitaire (IASC, 2005) nn Guide pour l’intégration de l’égalité des sexes dans l’action humanitaire (IASC, 2006) nn Camp Management Toolkit (Boîte à outils pour la gestion des camps) (DRC, IRC, NRC, UNHCR, OCHA, IOM, 2008) nn Guidance Note on Early Recovery (Conseils sur le relèvement rapide) (Early Recovery Cluster Working Group, 2008) nn Handbook on Housing and Property Restitution for Refugees and Displaced Persons (Guide pour la restitutions des logements et de la propriété des réfugiés et des personnes déplacées) (2007, FAO, NRC/IDMC, OCHR, OHCHR, UN-Habitat, UNHCR) Tous les documents sont disponibles en ligne sur : http://www. humanitarianreform.org
Autres ressources web Représentant du Secrétaire général de l’ONU pour les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays : http://www2,ohchr.org/english/issues/idp/ index.htm Donne accès à des documents au sujet du travail et du mandat du Représentant, y compris des rapports par des organes de l’ONU, des résolutions de l’ONU et des articles de presse depuis 1992, et à des résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU et d’autres organes de l’ONU concernant les Principes directeurs. Projet sur le déplacement interne de la Brookings Institution et de l’Université de Berne : http://www. brookings.edu/projects/idp.aspx Comprend des études, des comptes rendus de conférences, des articles, etc., pour la promotion de politiques plus efficaces en réponse aux déplacements internes. Internal Displacement Monitoring Centre (l’Observatoire des situations de déplacements internes) : http://www.internal-displacement.org/ Comprend la Base de données mondiale des personnes déplacées de l’intérieur (Global Internally Displaced Persons Database), qui documente la situation des PDI dans plus de 50 pays, ainsi que du matériel de formation sur les Principes directeurs, des rapports par pays et des documents thématiques sur des problèmes tels que l’identification des PDI en région urbaine. Base de données mondiale des Principes directeurs (Guiding Principles Global Database) : http://www.idpguidingprinciples.org Ensemble de documents officiels sur les droits des PDI et l’application des Principes directeurs, tels que les lois et politiques nationales, les instruments régionaux et internationaux, les documents de l’ONU et les déclarations d’autorités nationales au sujet de la mise en application des normes comprises dans les Principes. Site internet de la conférence pour le dixième anniversaire des Principes directeurs : http://www.internal-displacement.org/gp10 Comprend les présentations (texte/vidéo) et le résumé de la conférence et donne accès aux éditions des Principes directeurs dans toutes les langues ainsi qu’à d’autres documents ou ressources relatives aux droits des PDI. Revue des Migrations Forcées (RMF) : http://www.migrationforcee.org/ Donne accès à tous les numéros précédents de RMF (en anglais, arabe, français et espagnol) qui comprennent de nombreux articles sur les Principes directeurs. Avec fonction de recherche et index.