Focus Vif - Génération Y

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NUMÉRO HORS-SÉRIE

GÉNÉRATION Y MODE D’EMPLOI



ÉDITO

GOLDEN YERS -Par Laurent Raphaël-

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REPÈRES

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LE REGARD DE L’EXPERT

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STRIP

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MOBILE HOME

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GÉNÉRATION Y ET CINÉMA

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GÉNÉRATION Y EN KIT

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INTERVIEW MOULOUD ACHOUR

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GÉNÉRATION Y ET TÉLÉ

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GÉNÉRATION Y ET WEB

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PORTRAITS

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GÉNÉRATION Y ET MUSIQUE

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JOURNÉE-TYPE

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GÉNÉRATION Y ET JEU VIDÉO

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GUIDE DE SURVIE

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GÉNÉRATION Y ET BD

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HOT SPOTS

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GÉNÉRATION Y ET LITTÉRATURE

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ABÉCÉDAIRE

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CARTE BLANCHE

FOCUS VIF Rue de la Fusée 50/6, 1130 Bruxelles Tél.: 02 702 47 01 Fax: 02 702 47 02 Courriel: focus@levif.be DIRECTEUR amid.faljaoui@levif.be RÉDACTEUR EN CHEF laurent.raphael@levif.be SECRÉTARIAT DE RÉDACTION Nicolas Clément, Ysaline Parisis, Guy Verstraeten EN COUVERTURE Greygouar/Sparadraps

Génération Y — Intro

Enfants du Web, de Facebook et de Apple, ils ont la communication dans la peau. Connectés en permanence, ultra réactifs, faussement détachés, ils manient l’humour avec le sens du désespoir que leur ont légué leurs parents-copains. Ils auraient pu sombrer dans les limbes de la dépression devant le tas d’ordures laissées devant leur porte par les générations précédentes. Ils ont préféré s’inventer un paradis social artificiel où aller s’oxygéner quand l’air du monde réel devient irrespirable. On peut leur reprocher leurs hésitations, leurs ambiguïtés, leur immaturité. Mais chat échaudé craint l’eau froide. Ils ne veulent pas reproduire les erreurs de leurs aînés, s’enfermer dans des modèles, familiaux, professionnels, qui ont produit du malheur à la chaîne. Affectivement, ils naviguent donc à vue, composent à la carte, essaient tantôt l’abstinence, tantôt le libertinage. Ils font du neuf avec du vieux, recyclant dans leur quotidien des concepts piochés dans les manuels d’Histoire mais débarrassés de leurs relents idéologiques. Comme la hiérarchie horizontale dans le travail. Plus rien n’est sacré puisque ce qui l’était nous a conduit au bord du gouffre. Pour faire passer la pilule amère des désillusions, ils pratiquent la dérision à forte dose. Ce qui a le don d’agacer les X qui portent la gravité en bandoulière. Et l’échec des révolutions avortées comme une croix. La légèreté des digital natives n’est pas qu’un caprice d’enfant gâté, c’est une armure contre les flèches empoisonnées de la crise et des rêves brisés. A la psychanalyse ils préfèrent une créativité bordélique faisant feu de tout bois. Portrait pour le meilleur et pour le pire d’une génération à multiples inconnues...

SOMMAIRE

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Nicolas Clément, Louis Danvers, Baudouin Galler, Laurent Hoebrechts, Myriam Leroy, Ysaline Parisis, Laurent Raphaël, Michi-Hiro Tamaï, Olivier Van Vaerenbergh, Michel Verlinden MAQUETTE Guillaume Deman (www.ekta.be), Jean-Philippe Antoine MARKETING MANAGER caroline.finet@levif.be COORDINATION À L’IMPRIMERIE: valerie.degeeter@roularta.be

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REPÈRES 1957 Spoutnik, premier satellite dans l’espace Sur la route de Kerouac Le terme Nouvelle Vague apparaît sous la plume de Françoise Giroud

1952 Conception d’OXO, premier jeu vidéo de l’Histoire 1954 That’s all right, premier single d’Elvis

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Génération Y — Timeline

1958 La société BELL crée le premier Modem capable de transmettre des données binaires sur une simple ligne téléphonique

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1960 Apparition de la pilule contraceptive aux Etats-Unis

1986 Catastrophe de Tchernobyl 1991 Sortie de Generation X: Tales for an Accelerated Culture de Douglas Coupland

1990 Guerre du Golfe

1989 Chute du Mur de Berlin et fin de la Guerre Froide

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1985 Windows 1.0

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90 2001 Attentats du 11 septembre 2000 Publication de Bobos in Paradise de David Brooks

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1991 Nevermind de Nirvana et apogée du mouvement grunge 1992 Premier gsm

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1997 Homework de Daft Punk

1998 Création de Google

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Baby boomers: nés entre 1946 et 1960

Génération X: nés entre 1960 et 1980

Génération Y: nés entre 1980 et 2000

1965 The Who chantent My Generation

1968 Mai 68

1963 Assassinat de JFK

1969 Festival de Woodstock

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1965 Apparition de la minijupe 1969 Premier pas de l’homme sur la Lune

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1981 Naissance de MTV

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1972 Watergate

1979 Invention du Compact Disc

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1973 Premier ordinateur personnel Premier choc pétrolier

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1975 Fin de la guerre du Vietnam

1976 Anarchy in the UK des Sex Pistols

2011 Les capsules Bref carton2012 nent sur Lancement de Canal la série Girls sur HBO

2004 Naissance de Facebook

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2007 Commercialisation de l’iPhone par Apple

2006 Twitter voit le jour

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GREYGOUAR / SPARADRAPS

Génération Y — Le regard de l’expert

POTACHE DU JOUR Qui sont-ils? Que veulent-ils? A quoi carburent-ils? La sociologue des médias Monique Dagnaud, auteure de Génération Y – Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion (Les Presses de Sciences Po), lève le voile sur cette tribu façonnée par le Net qui oppose l’arme du rire à l’écume grisâtre des jours. -Entretien Laurent Raphaël-

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Quelle est votre explication sur l’origine du terme “Y”? Douglas Coupland a fait le portrait de la génération X dans son roman culte. Ce sont les fils de soixante-huitards, des jeunes qui glandent et qui sont mal dans leur peau. Leurs parents ont fait la révolution, il ne leur reste plus rien. Pour désigner ceux qui viennent après, la tranche d’âge des 18-30 ans, les experts en marketing ont utilisé le terme génération Y. C’est donc une convention. Leur but était de savoir comment intégrer dans l’entreprise cette nouvelle génération acquise à la hiérarchie horizontale, au multitasking, à Internet, etc.

Ils ont malgré tout en commun une partie de leur ADN... Il y a des points communs. Comme le fait d’avoir été éduqués dans une période de pessimisme social et de désenchantement. Ils ont tous eu la crise comme toile de fond. Ou le fait d’avoir grandi dans un environnement éducatif épanouissant inspiré de Dolto et valorisant l’écoute de l’enfant, la négociation et l’interaction. Ou encore le fait d’avoir baigné dans la culture Internet. Ils ont créé un univers de connaissance et de sociabilité qui leur est propreen utilisant la Toile et, depuis 5 ans, les réseaux sociaux. Quel est le trait le plus marquant de cette génération? Une des caractéristiques des Y, c’est qu’ils ont une vraie expertise mais qu’ils se projettent dans le monde avec scepticisme en raison de la crise. Ils surmontent ce sentiment grâce à la réactivité que leur offrent les réseaux sociaux en termes d’entraide, de savoir-faire ou d’autopromotion. Autre élément déterminant: ils ont été élevés dans une période où l’essor des médias d’image a été de pair avec l’idée que la communication est centrale. Aujourd’hui, un enfant qui ne participe pas à cette connectivité a quelque chose d’inquiétant. La communication est devenue une idéologie. On les dit multitâches... Ils ont cette capacité à faire plusieurs choses en même temps car Internet est conçu comme ça.

Qui est le mieux armé aujourd’hui pour s’en sortir? Les gens qui vont réussir sont ceux qui pourront concilier culture classique et hypermoderne, autrement dit ceux qui auront des compétences acquises à l’école pour approfondir un sujet et toute la palette de savoirs développés dans le monde du Web: multitasking, capacité à collecter des informations rapidement, aptitude à se construire un réseau, ebranding, etc. Les jeunes qui ne maîtriseront qu’une des deux dimensions risquent de se retrouver en difficulté. Le Y préfère rester au bas de l’échelle sociale. Pourquoi? Contrairement à leurs aînés, les Y s’inscrivent dans une culture horizontale. Pour eux, être chef, c’est juste bon à prendre des coups alors qu’ils ne jurent que par l’égalité ou la convivialité. Avant, le supérieur était admiré, aujourd’hui il est suspect car en grimpant dans la hiérarchie, il anesthésie sa capacité de rébellion.

Génération Y — Le regard de l’expert

Sont-ils tous fabriqués dans le même “moule”? Ce n’est pas une génération homogène. Il existe un grand clivage au sein de cette classe d’âge entre ceux qui font des études supérieures et acquièrent l’expérience du savoir et de la culture qu’offre l’université, et ceux qui n’ont pas de diplôme et dont le destin social est plus précaire.

N’est-ce pas un handicap plus qu’une qualité? Des travaux en neurosciences affirment que l’instantanéité et la fragmentation qui se jouent sur le Net ont des effets néfastes sur la capacité de penser. Mais je suis moins alarmiste. On peut tout aussi bien argumenter que les jeunes développent une nouvelle expertise.

Chez eux aussi, l’humour est la politesse du désespoir? La dérision est une réaction assez humaine face à un contexte de désenchantement. Mais elle a aussi une autre explication. Les télévisions privées ont mis au goût du jour l’ironie visant les puissants. Internet a amplifié cette culture de l’ironie qui frappe désormais tout le monde. Dans les vidéos qui circulent sur la Toile, ce sont d’ailleurs souvent des images de télé qui sont détournées. Est-ce une menace pour notre santé mentale? On ne peut pas nier le risque d’un appauvrissement de la culture si la jeunesse devait se nourrir uniquement de cet esprit potache, qui est un carburant très pauvre pour construire un imaginaire. Mais comme je le disais, je pense qu’il y aura toujours des différences sociales et culturelles qui feront que dans certains milieux, on ne s’en contentera pas et qu’on ira aussi fureter dans les sphères plus classiques. ••• 7


Génération Y — Le regard de l’expert

••• On voit dans la musique ou les séries télé que les Y sont à la pointe de la rétromania. Seraient-ils passéistes? La nostalgie est exacerbée par la crise et les incertitudes. On le voit chez Coupland, il y a une tendance de fond à encenser le passé qui aurait déjà tout créé. Cela tient entre autres au modèle éducatif de la génération Y qui a favorisé les contacts et les échanges avec les baby-boomers. Ces derniers ont fait des enfants tard, qui restent longtemps chez leurs parents. La génération actuelle a sa propre culture mais de par les échanges non-conflictuels qu’elle entretient avec ses aînés, elle tend à valoriser les idoles d’autrefois. Les jeunes d’aujourd’hui ne se construisent plus contre leurs parents. On voit au contraire une plus grande fluidité et des liens de solidarité. Les jeunes ont un rapport ambigu avec la sexualité... D’un côté, les jeunes aspirent à un modèle classique: connaître le grand amour, faire des enfants, se caser... De l’autre, sexuellement et affectivement, ils sont très désinhibés. A cause de la présence du sexe dans l’espace public, dans les pubs ou à la télé, et de l’accès à la pornographie sur Internet. Cet environnement peut susciter des réactions diverses: banalisation de la sexualité chez les uns, à l’image de ces sites de rencontres pour jeunes, stress et inquiétude chez les autres, qui vont du coup valoriser des modèles classiques rassurants autour du mariage, de la famille standard, etc. Une fois de plus, la technologie, en l’occurrence Internet, a été le moteur de transformations sociologiques profondes... La technologie a joué un rôle essentiel comme le prédisait déjà McLuhan. Sans Internet, la génération Y n’existerait pas. On aurait autre chose. Avant, seule une partie de la population, les classes supérieures, avait à sa disposition des réseaux sociaux, entretenus dans des cercles comme le Lions Club. Aujourd’hui, tout le monde peut se construire un réseau. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes tous sur un pied d’égalité. Si vous avez 400 “amis”, la plupart graviteront dans le même univers socio-culturel que vous et vous en fréquenterez très peu dans la vie réelle. Il n’en reste pas moins qu’Internet constitue une ouverture vers la diversité culturelle. Avec des mouvements engagés comme celui des Indignés ou des étudiants canadiens, n’assiste-t-on pas à un retour en force du premier degré, annonciateur de la fin de la génération Y? La culture LOL, ou plutôt la distance ironique ou sarcastique, n’a jamais éteint les mobilisations de la jeunesse notamment les mouvements étudiants. Ce qui est nouveau, c’est les formes que prennent ces protestations chez les Indignés, par exemple: ils utilisent les réseaux sociaux pour lancer et coordonner leurs actions, ils n’ont pas de leaders, ils fustigent le bipartisme, proposent des modes de vie alternatifs, etc. Je pense au contraire que beaucoup de traits développés par les jeunes d’aujourd’hui vont perdurer et s’approfondir. 8

Myriam Leroy @My_L Dites, les twittos, c’est quoi, à vos yeux, la génération Y? James Deano @James_Deano @My_L c’est la génération qui est ruinée et qui fout la merde dans les rues d’Athènes! Cristi Schiopu @cschiopu @My_L En gros ce sont des gens qui précèdent le sujet par un #. Et aussi pour lesquels Apple, Blackberry ce ne sont pas des fruits… David Etienne @davide1706 @My_L L’avant dernière génération?? Christophe Parracino @ChristophePcino @My_L des digital natives. En gros des couillons pour lesquels l’Internet et ses réseaux sociaux sont le centre de leur vie (moi en fait) Guillaume G @guillaumetoo @My_L Du narcissime, beaucoup de forme et très peu de fond. Vincent Genot @VincentGenot @My_L La génération bras en l’air? Vincent Collin @Vincent_Collin @My_L Une génération qui pense que the Second World War est un jeu d’Ubisoft? Marine @maaarine @My_L Le ~pire cauchemar~ des babys boomers. ZOë Vadim @ZOe_VAdim @My_L …une génération qui a (presque) tout digéré et a engendré les hipsters…? Ladodue @Ladodue @My_L tu veux vraiment que je te décrive mes collègues?



Génération Y — Strip

LA GÉNÉR

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RATION Y

Génération Y — Strip

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Génération Y — Mobile Home

IMMOBILE HOME

Partir ou ne pas partir... telle est la question, pour les héros attachants et drôles d’un Mobile Home révélant le talent d’un jeune cinéaste belge, François Pirot. -Rencontre-Louis Danvers-

Ils ont 30 ans ou presque, et apprécient leurs retrouvailles. Simon était parti à la ville, avait un travail, une compagne. Mais il est revenu dans son village natal, que n’a jamais quitté Julien. Amis d’enfance et d’adolescence, ces deux-là se rappellent avec bonheur des années d’insouciance, du groupe rock qu’ils ressusciteraient bien. Sans attache réelle, même si Julien se sent profondément lié à son père vieillissant, sortant d’une maladie, l’idée va leur venir de se faire la belle, de partir en voyage et de vivre leur liberté à l’aide d’un 12

mobil-home qu’ils achèteront avec l’avance sur héritage qu’a reçue Simon. L’argent donné pour “s’installer” servira au décollage, au grand départ. Le véhicule est bientôt leur, et les préparatifs sont vite expédiés. Mais si les deux amis s’en vont, ils n’iront pas forcément très loin. Enfin pas tout de suite... Remarquablement joué par Arthur Dupont (Simon) et Guillaume Gouix (Julien), Mobile Home est le premier long métrage réussi, attachant et drôle, du jeune réalisateur belge François Pirot. Lequel avait


ON THE ROAD AGAIN Les musiques de Mobile Home jouent la carte du road-movie... avec un certain décalage! Si Mobile Home a les allures (amusantes

Génération Y — Mobile Home

précédemment signé un court sujet intitulé Retraite, et qui anticipait un peu la situation de... départ de Mobile Home. “C’était déjà l’histoire d’un jeune qui rentrait dans son village natal après avoir abandonné ses rêves de carrière musicale, et qui croyait que son désir profond était de vivre à la campagne... avant de se rendre compte que ce n’était pas le cas.” Le cinéaste se souvient avoir vécu lui-même un épisode comparable. “Je crois qu’à l’époque, avant de me lancer dans l’aventure du cinéma, j’avais un peu peur, confie-t-il, alors j’en ai tiré une fiction qui m’a appris que je ne devais plus avoir peur!” Pirot rit rétrospectivement de cette anecdote vécue, à laquelle s’ajoute une autre. “A la fin de nos études, avec quelques amis, nous avions eu le projet de partir faire un long voyage ensemble, se souvient-il, nous ne le savions pas mais c’était une espèce de fuite, par panique de devoir mettre •••

et touchantes) d’un road-movie... immobile, il n’en fait pas moins appel à une bande originale marquée par ce genre né aux Etats-Unis. François Pirot, son réalisateur, a choisi les musiques -existantes ou à créeravec “l’obsession de la légèreté”. Il s’agissait de “créer des décalages, engendrant une espèce de moquerie tendre”. Une démarche un peu funambule, sur le fil “entre ironie et sensibilité”, chassant les effets de style et donc le second degré tout en tenant également à distance toute tentation d’accompagner les images (émouvantes, surtout) d’une musique qui ferait pléonasme, alourdissant les scènes en soulignant ce qu’elles disent et montrent déjà bien suffisamment... Les Liégeois du groupe Coyote ont entre autres participé à la bande sonore, notamment pour une séquence de feu de camp censée évoquer “la nostalgie de l’adolescence”. L’aspect road-movie a séduit des musiciens pratiquant un folk délicat où dominent les guitares. Le montage du film était déjà à moitié terminé quand ils furent appelés à collaborer avec Pirot, guitariste lui-même et qui n’a pas manqué de leur fournir “des indications d’humeur, d’ambiance, avec un désir d’humour et de décalage”. Le réalisateur a suivi de très près l’évolution des compositions, n’hésitant pas à s’impliquer dans leur modulation (un peu plus de ceci, un peu moins de cela) tant il est conscient de l’importance de la musique au cinéma. Les membres de Coyote, dont l’album offre plus d’un passage “cinématographique”, ont pris plaisir à ce travail un peu particulier. D’autant qu’ils comprenaient bien son contexte ardennais, rural. Leur contribution s’inscrit joliment dans la texture sonore mais aussi émotionnelle d’un Mobile Home riche en dialogue -heureux- entre image et musique(s).

L.D.

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Génération Y — Mobile Home

••• le pied dans la vraie vie. Alors un soir d’ivresse, on est parti à 3, 4 heures du matin dans la voiture d’un ami, après avoir été chercher chez nos parents quelques paires de chaussettes en cachette. Nous n’allions peut-être jamais revenir... sauf qu’au matin, on s’est réveillés dans une zone industrielle du nord de la France, avec une sacrée gueule de bois. Et on est revenus piteusement... ”

TRAGI-COMÉDIE François Pirot éclate de rire en relatant ce souvenir tragi-comique, dont la trace se retrouve d’évidence dans un Mobile Home aussi drôle que touchant. Un road-movie (presque) immobile au ressort comique fabuleux et aux accents émouvants quand les fantasmes des deux protagonistes sont “confrontés à l’épreuve du réel” au fil de séquences pleines d’humour et souvent de tendresse. “Ce qui m’intéressait aussi, explique le réalisateur, c’est la dimension régressive que prennent les retrouvailles de ces deux amis renouant immédiatement avec leur relation adolescente... alors qu’ils frisent tout de même la trentaine.” Interrogé sur l’aspect générationnel de son film, Pirot n’hésite pas à se présenter lui-même en “produit assez extrême de cette génération dont font aussi partie les amis qui m’entourent, et qui évolue dans un espèce d’entredeux qui se prolonge entre la fin des études et le début d’une vie où on se positionne un peu plus précisément. Cette période de flottement devient de plus en plus longue, élastique. Elle connaît des interruptions, des allers-retours... ”

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“Il y a eu un changement énorme entre la génération de nos parents et la nôtre, poursuit le réalisateur de Mobile Home, beaucoup de repères ont un peu explosé, déjà au niveau du travail et du couple, deux piliers traditionnels majeurs. L’engagement à long terme, que ce soit dans le travail ou dans le couple, a pris du plomb dans l’aile. On s’y lançait sans trop réfléchir, parce que c’étaient des modèles qui fonctionnaient. Mais on les a beaucoup remis en question, jusqu’à s’y perdre parfois...” Pirot se fait plus grave en évoquant “cette classe moyenne dont les parents ont travaillé, économisé, et vivent en bonne santé une retraite confortable... Cela, on ne le reverra plus avant très longtemps, si on le revoit un jour... Simon vient de ce milieu où les parents avaient les moyens d’offrir des études à leurs enfants, de leur laisser le temps de réfléchir, de leur donner la chance de pouvoir choisir ce qu’ils ont vraiment envie de faire. Au risque pour ces enfants de se perdre dans une multitude de possibles et de prolonger leur hésitation puisqu’ils ne ressentent pas de nécessité financière pour les pousser à s’engager dans le travail. Et puis il y a toutes ces technologies, Internet en tête, qui elles aussi multiplient tellement les possibilités que trop de choix tue le choix... ”“La crise va très très vite changer cette réalité-là!”, déclare un cinéaste dont le film a entre autres le mérite d’aborder un sujet somme toute assez sérieux par le versant de l’humour. Au point de faire de Mobile Home un authentique et très humain “feelgood movie”!


CUISTAX, MINE D’IDÉES Philippe Kauffmann est un homme plein d’idées. Co-fondateur de la maison de production La Parti (les films de Patar et Aubier, Le Grand’Tour), et ex-directeur

ARTHUR DUPONT ET GUILLAUME GOUIX: À L’AMITIÉ! Les jeunes acteurs de Mobile Home sont amis dans la vie comme à l’écran. Et se sont fait plaisir en jouant un film qui parle de leur génération. -Louis Danvers-

GÉNÉRATION “Ce qu’il y a de bien, entre autres, avec François, c’est que son écriture ne passe pas par de la vanne mais par des situations, reprend l’interprète de Simon, c’est drôle mais c’est aussi subtil et vrai. Nos personnages ne vivent pas ce qui leur arrive comme quelque chose de cocasse, et c’est ça qui rend les choses d’autant plus comiques, au fond!” Le rire qui épouse l’émotion, le cocktail a beaucoup plu à un duo qui a voulu, selon les mots de Gouix, “réussir un road-movie qui donne une sensation de voyage et de légèreté, où il se passe plein de choses... alors qu’il s’agit d’un film immobile, en fait!” L’un comme l’autre ont bien identifié les

Génération Y — Mobile Home

Le mobil-home Fiat, modèle Classic 660, est garé rue du Rectangle, tout près du canal, dans un coin de Bruxelles aux allures de mini-Bronx. Quelques mois après avoir quitté le véhicule emblématique d’un tournage aux couleurs du plaisir, Arthur Dupont et Guillaume Gouix s’y installent à nouveau en échangeant un sourire complice. Les deux jeunes comédiens français étaient amis déjà, quand François Pirot les appela pour tenir les rôles de Simon et Julien. Le réalisateur belge ignorait leur lien, qui nourrit le film “mais qui aurait pu être un danger car on peut partir dans les mêmes délires dans la vie, alors que mon personnage doit être dans la retenue, l’intériorisation”, explique un Guillaume Gouix que le rôle de Julien a forcé à quitter ses emplois plutôt physiques (dans Le Bel âge, Belle épine, Et soudain tout le monde me manque) pour une interprétation moins “expansive” dévoilant plus de fragilités. Dupont, de son côté, est plus “raccord” avec son image de séduction juvénile de Bus Palladium, le film qui lui valut l’an dernier une nomination pour le César du meilleur espoir masculin.

artistique des Halles de Schaerbeek, il investit désormais son énergie dans Cuistax. Sous ce nom fleurant bon l’enfance et la Côte belge s’avance “une boîte dont le job est de porter un regard professionnel sur la communication autour d’un film, de prendre le temps et de trouver les outils pour définir la meilleure stratégie en se posant d’abord les questions de base: A qui s’adresse ce film? Quel est le public cible? Quel est le moteur? Quel est le centre du film? Quel est son axe central?” Pour Mobile Home, le résultat de la réflexion fut de positionner le film “comme un film générationnel, comme le fut en son temps L’Auberge espagnole”, et ainsi diriger la communication vers le public de cette génération, à travers notamment des actions dans les festivals (Les Ardentes, par exemple) où le mobil-home du film stationnera en permettant aux gens de s’y faire photographier, puis de partager leur image sous forme de carte postale électronique... Une idée parmi d’autres, également pertinentes, tant il est vrai que “chaque film doit générer sa communication propre. C’est à chaque fois un prototype!”

-L.D.-

questionnements de jeunes hommes de leur âge, se trouvant “pris entre le discours qui les incite à vivre leurs désirs, tous les possibles, et celui qui leur dit qu’il faut travailler, être responsable”, commente l’interprète de Julien. “Ils auraient pu voyager, voir le monde, mais ils ne l’ont pas fait et ils s’aperçoivent qu’ils arrivent à la limite, qu’ils auront très bientôt loupé le coche, et que c’est maintenant ou jamais!”, poursuit Arthur Dupont. “Au-delà de l’humour, je pense que plein d’entre nous se reconnaîtront dans ces personnages paradoxaux, coincés à la frontière entre nos désirs et ce qui nous retient tout le temps, dans notre quotidien, le monde réel”, conclut Guillaume Gouix qui partage avec son partenaire le sentiment que ce métier d’acteur qu’ils exercent l’un et l’autre permet d’avancer dans la vie tout en conservant un lien très privilégié avec l’enfance, “cet âge de tous les désirs, et où le rapport sensitif aux choses est encore libre et intense”. 15


Génération Y — Cinéma

Tanguy

21 Jump Street

Dur, dur, de grandir! Les personnages d’ados prolongés et d’adultes régressifs font merveille au grand écran. Certains s’en font même une spécialité...

Step Brothers

non seulement sur leur talent mais aussi sur l’identification d’un large public, essentiellement masculin, à leur drôle de manière de traverser l’existence sans grandir vraiment.

Texte Louis Danvers-

AVANT-GARDE Simon et Julien, les pitoyables mais si sympathiques “héros” du savoureux Mobile Home, peuvent faire figure d’originaux dans le paysage cinématographique belge et plus largement francophone. Illustrant à leur manière certains aspects -les plus comiques sans doute- de cette génération Y dont on parle tant, nos deux lascars méchamment (mais comiquement) pris entre désir affirmé d’un libre envol et difficulté à s’arracher ne sont pas seuls au monde. Le tendre nouveau film de Jean-Paul Rouve, Quand je serai petit, prend pour héros un homme qui rencontre l’enfant qu’il a été, et qui revisite non sans nostalgie sa propre jeunesse avec -notamment- un papa joué par Benoît Poelvoorde. Et 21 Jump Street envoie deux flics pas précisément géniaux infiltrer un lycée en s’y faisant passer pour des ados, source de poilades assez gratinées... Le cinéma américain a même fait un sousgenre prospère des films ayant pour protagonistes des adolescents prolongés ou des adultes tentés par la régression. Et certains acteurs s’en sont fait une spécialité, obtenant une popularité qui en dit long 16

Il y eut bien sûr des précurseurs, à commencer chez les burlesques du cinéma muet, les rois du slapstick dont certains, l’attachant Harry Langdon en tête, se posaient en grands bébés, ou du moins en éternels gamins, comme le tandem génial formé par Stan Laurel et Oliver Hardy. Dans les années 50 et 60, Jerry Lewis prit la relève, avec ou sans son complice (adulte, lui) Dean Martin, pour une suite de films hilarants où son immaturité crasse servait d’imparable ressort comique. Le titre d’une de ses farces les plus goûteuses en dit long: You’re Never Too Young. Jerry y opérait des ravages en intégrant un pensionnat. L’acteur avait... 29 ans quand il tourna ce film! En France, dans les années 70, c’est Pierre Richard, en Grand blond ou pas, qui imposa dans le rire -et à l’approche de la quarantainesa dégaine et ses gags d’éternel gamin. Et puis il y eut Tanguy, le film d’Etienne Chatiliez. Une comédie sortie en 2001, et dont le personnage principal allait donner son prénom à un phénomène de société encore peu connu de ceux qui n’en subissaient pas les conséquences, parfois les désagréments: les jeunes


Very Bad Trip

The 40-Year-Old Virgin

adultes (le héros, joué par Eric Berger, a 28 ans) qui restent vivre chez papa-maman, solution bien pratique au manque d’envie ou de moyens d’aller habiter ailleurs et d’assumer les responsabilités d’une existence réellement autonome. Les deux héros de Mobile Home en sont les héritiers, en partie au moins, qui ont tellement de mal à quitter le nid, pas uniquement par égoïsme pour l’un d’entre eux, d’ailleurs...

RÉGRESSONS! Depuis quelques années, c’est d’Amérique que souffle (très fort et avec succès) un vent d’adulescence aiguë, voire de régression carabinée. Bien sûr on peut remonter à la sympathique comédie de Penny Marshall Big, en 1988, pour y trouver un premier signe du mouvement. Tom Hanks y incarnait un enfant se retrouvant (suite à un vœu) dans un corps d’adulte. Mais c’est sans doute au producteur, scénariste et réalisateur Judd Apatow qu’il faut attribuer la paternité de ce qui est devenu une tendance lourde à Hollywood. On doit à ce New-Yorkais né en 1967 d’avoir réalisé deux films déclencheurs: The 40-Year-Old Virgin (2005) et Knocked Up (2007). Et d’en avoir produit quelques autres, comme Superbad (2007), Step Brothers et Forgetting Sarah Marshall (2008) et Get Him To The Greek (2010). Des comédies souvent hilarantes, aux accents potaches, aux gags volontiers

sexuels, et prenant pour héros des personnages masculins marqués par l’immaturité, le passage difficile (voire impossible) de l’adolescence à l’âge adulte, et une tendance accentuée à la régression. C’est Apatow aussi qui aura révélé les acteurs appelés à incarner ce type de personnages avec le plus de talent et de vérité. Steve Carell, Paul Rudd, Seth Rogen et Jonah Hill sont tous les quatre dans The 40-Year-Old Virgin. Et les trois derniers cités sévissent de concert dans Knocked Up. Hill et Rogen se retrouvant à l’affiche de Superbad et l’indispensable Hill emmenant à train d’enfer le délire rock’n’roll de Get him to the Greek. Même si Ben Stiller et Adam Sandler font assez fort eux aussi, Jonah Hill est très probablement l’icône du genre, comme l’a aussi prouvé tout récemment 21 Jump Street.

Génération Y — Cinéma

Quand je serai petit

UN PEU DE SÉRIEUX La comédie déchaînée domine les affaires, comme l’attestent encore les hyper régressifs American Pie 4, Grown Ups (quel titre ironique!) et Very Bad Trip. Curieusement ou pas, les filles, réputées plus mûres, échappent à une caricature réservée aux mecs et à eux seuls ou presque. Il aura fallu le nettement plus sérieux et sensible Young Adult de Jason Reitman avec Charlize Theron pour voir le sujet abordé -subtilementpar son versant féminin... 17


Génération Y — La panoplie

LE FIXIE

L’E-MACHIN

LE TEE-SHIRT LOL

Né avec la reconnaissance politique d’Ecolo, le Y fait rimer protocole de Kyoto avec sommet de Rio sans chercher ses mots. Pour joindre l’utile à l’agréable, cet individu hyperconscientisé par le mal qu’il fait subir aux arbres parcourt volontiers le macadam perché sur un inoffensif vélo. Les plus branchés optent pour le fixie, version propre du piège à filles, autrefois détenu exclusivement par le mec à moto.

Leurs pères transportaient le strict nécessaire dans un baiseen-ville en simili, les Y se sont fait greffer un emachin ou un bazar-Tab aux bouts des doigts pour rester connectés où qu’ils soient à la riche existence qu’ils mènent en parallèle sur Internet. Bonne nouvelle pour Samsonite, l’engin n’est pas encore doté d’une fonction brosse à dents pour se remettre des nuits échouées sur le sofa d’un pote foursquarisé quelques heures plus tôt à un apéro Facebook.

On sait depuis Adam et Evene que l’humour est la politesse du désespoir. De cette citation de Duhamel usée comme un Nokia 3210, le Y n’a pas moins fait un principe de survie piloté par l’ironie. Avec un panache particulièrement remarquable, ce dernier a érigé le stretching fendard en yoga moral. Les plus zélés défendent leur philosophie LOL par l’intermédiaire de teeshirts à messages pop détournant avec plus ou moins de finesse les poncifs de la société de consommation et de la culture mainstream.

KIT À VIVRE 18


Les plus âgés de la meute ont découvert l’objet dans la version mousse des Walkman nippons, les jeunes loups l’arborent en blanc (celui de la chair d’une Granny Smith). Peu importe leur millésime, une fois portés, les écouteurs dessinent le Y fédérant ces nomades mélomanes. FYI: quelques lolistes défendent une toute autre théorie. Le nom de baptême des Y proviendrait plutôt de l’habitude qu’ont les adeptes du froc taille basse ou du baggy à dévoiler un début d’anatomie graphiquement proche de la 25e lettre de l’alphabet…

LA CARTE D’EMBARQUEMENT S’il est né avec le début des ennuis (l’entrée de la Grèce dans la CEE), le Y peut néanmoins faire une petite prière aux techniciens des accords de Schengen. Sans le sou assuré le 1er du mois, le traveller native peut quand même compter sur les compagnies low-cost pour gonfler la grande union européenne de l’easy jet-set qui tous les week-ends s’en va vérifier dans quelque boîte underground de Berlin ou Budapest si l’état de son finlandais appris en Erasmus à Helsinki ne se dégrade pas aussi vite que la cote de l’Espagne.

LA SNEAKER Très actif sur le Web, dans la com’ ou les médias, l’agent Y type s’est délesté de l’uniforme du bon petit soldat cravaté. Même ses contemporains les moins chanceux, encore enferrés dans le monde de la banque où la rupture de code n’est pas tout à fait actée, sont de plus en plus nombreux à convaincre leur patron d’adopter le concept du Friday Wear inventé par la patrie de Google. Un pied déjà dans le weekend, l’employé du XXIe siècle lace sa paire de sneakers sans passer pour un festivalier égaré en open space.

Génération Y — La panoplie

LES ÉCOUTEURS

Par-delà les tribus culturelles qui la façonnent, l’espèce Y partage les signes d’une esthétique commune. Autant d’attributs reflétant les enjeux de son temps. Identification de l’animal en six invariants. Texte Baudouin Galler

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“LA GÉNÉRATION Y

C’EST L’AN

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Génération Y — Interview Mouloud Achour


Le Grand Journal de Canal + revoit sa formule pour la rentrée, mais conserve Mouloud Achour, sa caution jeunesse, son esprit rebelle. Rencontre Myriam Leroy “Je suis pas un peu trop vieux pour appartenir à la génération Y?” Mouloud Achour, 31 ans, street cred’ du Grand Journal, où il propose quotidiennement sa vision décalée du monde qui l’entoure, se considère comme un vieux. Depuis tout petit. “Pas né à la bonne époque, en tout cas. Les choses que j’aimais quand j’étais petit sont encore celles que je préfère aujourd’hui.”

Quand je te dis “Génération Y”, ça t’évoque quoi? L’angoisse, surtout. Parce que j’ai l’impression d’être comparé à un bouffon qui existe parce qu’il tweete. Mais tu tweetes aussi, et beaucoup! Mais j’existais bien avant ça! En fait, cette génération Y, j’ai l’impression que c’est surtout un fourre-tout médiatique pour parler de gens qui n’ont qu’une envie: être connus. YouTube a globalement remplacé la Star Ac, beaucoup d’humoristes explosent dessus alors qu’ils auraient d’abord dû se roder sur scène... D’ailleurs, qu’est-ce que tu penses de Norman, Cyprien, Hugo et tous ces comiques du Net? Rien, en fait, je n’ai encore jamais regardé ce qu’ils faisaient. Mais je vais m’y mettre ce week-end. Je dois m’y mettre. J’ai appris en lisant la presse que j’allais peut-être bosser avec eux à la rentrée... Mais pour moi, ce qui est vraiment marrant sur Internet, ce sont les gens qui calculent pas, qui font pas exprès. La vidéo la plus drôle de tous les temps, pour moi, c’est ce mec qui fait: “Allez, viens!” Qui, pour le coup, le fait exprès, lui... Oui, mais c’est sans ambition, sans marque derrière, juste pour faire marrer ses copains. Je le regarde dès que j’ai un coup de cafard. Par contre, dès que je vois le mot “buzz”, je fuis.

Plutôt Twitter ou Facebook? Twitter. Parce que ça va plus vite que Facebook. Et qu’il ne faut pas y entretenir des conversations avec des gens qui te sautent dessus sur le chat, qui t’engueulent parce que tu n’as pas répondu à leur friend request... Tu as un Mac, un iPad, un iPod, un iPhone... Pourquoi tu te fournis exclusivement chez Apple? Tout est parti de mon Mac, parce qu’à l’époque j’avais un label de musique, et il me fallait une machine adéquate pour faire un peu de son et de graphisme. Et puis c’est un piège, un engrenage, une fois sur Mac, on a du mal à repasser sur PC, et on cherche des appareils compatibles, on est foutus. Le Mac, c’est l’ordi pour les nuls. D’ailleurs ça me fait rire, les mecs qui se disent geeks alors qu’ils bossent sur Mac, où tu ne sais rien bidouiller, où tout est fait à ta place. Quelle est ta relation au travail? J’estime avoir toujours dû bosser dix fois plus que les autres parce que je suis autodidacte. Et je le montre dix fois moins que les autres, aussi. Je planque les coulisses, je ne veux pas que ce qui est du divertissement passe pour avoir été accouché dans la douleur.

Génération Y — Interview Mouloud Achour

Tu as toujours consommé les mêmes produits culturels? A part le porno, oui! (Il rit). J’ai toujours aimé les mangas, les films de science-fiction, les fictions hongkongaises ultra-violentes, j’ai toujours joué aux mêmes jeux. Ca a été un choc quand j’ai appris que Street Fighter fêtait ses 25 ans dernièrement, j’ai l’impression que j’y touchais pour la première fois hier. En fait, plus que vieux, je crois surtout que j’ai atteint l’âge adulte très jeune.

Quelle place Internet a dans ta vie? On entretient une relation assez platonique, en fait. Je me tiens simplement au courant de ce qui se passe, et j’utilise les réseaux sociaux pour faire des clins d’œil aux copains que je n’ai pas le temps de voir. C’est un truc qui me permet parfois d’éviter la vraie vie. Comme je suis très timide, je préfère souvent rester chez moi et parler aux gens sur le Net. Je ne sors plus beaucoup, j’organise plutôt des dîners à la maison, et les rares fois où je bouge, c’est pour aller là où les potes jouent de la musique et pour faire le con dans leur loge... On ne va pas passer notre vie à danser avec des gens de 20 ans, non plus.

Tu as une journée-type? Non. A part que je me lève tôt, que je lis la presse, que j’écoute la radio et que je me décarcasse pour essayer de trouver un invité politique qui répondra idéalement à celui présent en plateau. Comment tu t’en sors avec l’autorité? Mes relations avec mes boss sont basées sur la discussion. J’estime ceux qui ont des points de vue pertinents et originaux. Au Grand Journal, j’ai un rédac’chef comme ça, qui est d’ailleurs très présent au montage. Il n’y a jamais d’embrouille. Sinon, je ne bosserais pas avec lui. Je suis parti de MTV parce que j’étais censé faire des choses drôles avec des gens que je ne trouvais pas drôles. Ca, on ne peut pas me l’imposer.

GOISSE!” 21


Dans Girls, Lena Dunham (3e à partir de la gauche) livre sa vision de la vie new-yorkaise, loin du bling-bling.

Génération Y — Télé

EFFET MIROIR

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La génération Y aime se regarder à la télé -qu’elle consomme sur le Net. Etat des lieux des meilleurs programmes-miroir. -Texte Myriam LeroyOn la croit réactive, jeuniste, connectée sur son temps, mais la télévision est une vieille institution, un paquebot peu mobile et difficile à maîtriser, où les décideurs prennent le moins de risques possible pour conserver un public fidèle et passif. La télé est une affaire de vieux, qui distille des shows d’humour de Marc Herman, de l’info calibrée pareil qu’il y a 50 ans, des soaps qui utilisent toujours les mêmes recettes... La génération Y ne s’y retrouve pas des masses, alors, quand elle tombe sur un programme qui s’adresse à elle avec justesse, elle lui voue un culte. Celle qui a grandi avec Nulle part ailleurs sur Canal + ne s’en est remise qu’avec le Petit journal, qu’elle brûle aujourd’hui sous prétexte d’enlisement dans la facilité. Elle aime Bref, aussi, dont elle propage les meilleures capsules via les réseaux sociaux. Courte, nerveuse, ultra-léchée, cette pastille de trentenaires ordinaires à destination de leurs pairs témoigne d’une fine observation de son quotidien. Mais comme de tout, elle s’en lasse un peu, et estime que Bref se met à tourner en rond. Son dernier coup de cœur? Girls, une série HBO -la génération Y adore HBO, sa principale pourvoyeuse de séries (désormais concurrencée par AMC et Showtime). Dernier phénomène en date de la chaîne à péage, Girls est créée, produite, écrite et réalisée par une

jeune femme de 25 ans proprement géniale (on la compare déjà à Woody Allen), réalisatrice d’un film indépendant de 2010, Tiny Furniture, prix du Jury du festival South by Southwest. Lena Dunham raconte sa vision de la vie new-yorkaise, à mille lieues du bling-bling Gossip Girl, loin également des obsessions de Sex and the city.

NO LIMIT Dans Girls (co-produite par Judd Apatow, l’idole des Y), les filles sont fauchées, pas glam, pas nécessairement belles (Lena Dunham est une petite boulotte sans seins, coiffée avec les pieds de son réveil), sapées comme elles peuvent, et tentent de se faire un trou dans la vie. Elles terminent leurs études ou débutent dans le monde du travail, sans boussole. Une scène mémorable montre le personnage de Dunham en entretien d’embauche, séduisant son futur employeur avec son entregent et l’exotisme de sa génération avant de faire lamentablement capoter l’entrevue par un excès de familiarité, la blague de trop, celle que la génération X conservera en travers de la gorge. Les anti-héroïnes de Girls ne savent pas où mettre la jauge, où poser les limites, les règles qu’elles rencontrent ne sont pas les leurs, elle doivent s’y plier tout en les réinventant. En amour aussi, elles tâtonnent, consomment, papillonnent, sans trop bien savoir quel est le but ultime de tout ça. Le couple, la relation durable? Peut-être pas. Sobre, simple, sans langue de bois, parfois crue, cette série courte ne table pas sur le rire, plutôt sur le sourire, parfois amer. En posant infiniment moins, en ne se la jouant pas, Girls tente de répondre à une question posée par une autre série, How to make it in America. Sans certitudes.



On l’appelle aussi la génération LOL. Elle ne s’occupe pas que de chatons déguisés dans des vidéos sur YouTube, mais aussi de violenter les élites. -Texte Myriam Leroy-

Génération Y — Web

#DÉFOUL C’est une définition courante des Y: ils sont nés avec Internet, il n’ont pas dû apprendre à manier l’outil, il était déjà greffé à leurs mains quand ils ont vu le jour. Ce n’est pas exactement vrai (les natifs des early eighties étaient déjà ados quand la grande toile s’est généralisée dans les foyers), mais ce qui est certain, c’est qu’ils ont été familiarisés tôt à l’outil, et que celui-ci est devenu un pan capital de leur vie. Pas seulement un instrument de travail, mais une manière d’appréhender le monde, une fenêtre de socialisation, un filtre devant les yeux, un adjuvant pour toutes les tâches et tous les loisirs quotidiens. Sur Twitter, suite à un petit sondage express sur la question, @cshiopu a cette vision intéressante de la génération Y: “En gros ce sont des gens qui précèdent le sujet par un #. Et aussi pour lesquels Apple, Blackberry ne sont pas des fruits... ” Nouveau langage et canal de propagation court-circuitant les intermédiaires, le Web s’est révélé, grâce à l’avènement des réseaux sociaux, comme un formidable instrument d’autopromotion, de personnal branding. Comme une rampe d’accès plus courte vers la célébrité. Ce sont Kate Nash et Justin Bieber qui se sont fait connaître sur le Net, ce sont désormais et surtout tous ces humoristes 2.0 qui postent des capsules humoristiques sur YouTube et attendent qu’elles fassent bzzz. En 2009, Kyan Khojandi, le visage de Bref, réalisait déjà des pastilles comiques d’une minute trente (déjà un bon feeling avec le format), Le festival de Kyan, où il pastichait les films hollywoodiens dont il avait été biberonné depuis le berceau. Pas un buzz à proprement parler, mais déjà les prémices de Bref: le timing, la nervosité, le montage clipesque, l’humour générationnel.

RING DE BOXE

Kyan, Norman, Cyprien,

héros de la génération LOL. Les humoristes en chambre Norman (1,1 million 24


LOIR Génération Y — Web

de fans sur Facebook) et Cyprien (1,2 million) se posent, comme Bref, en observateurs de leur propre génération, parfois à coups de poncifs (articulés autour de la branleur attitude), mais souvent avec une belle acuité. Le porno, les tue-l’amour, la politique (enfin, la difficulté de produire un avis sensé en société), Apple, les fringues... Tous les sujets qui intéressent les Y font l’objet d’une analyse à la grosse louche, sous une forme certes un peu amateur, mais résonnant parfaitement avec les questionnements et l’esthétique de 2012. Héros sans bravoure de leur génération, les humoristes du Net font des émules, de Hugo tout seul à Mister V, en passant par des centaines d’anonymes séduits par la simplicité du concept, sa rémunération en clics plutôt qu’en monnaie sonnante et trébuchante, sous la forme unique d’un blog vidéo. Le blog, le Tumblr, le journal Facebook et la TL Twitter sont désormais les lieux où l’on se raconte, journaux intimes exhibitionnistes où se jouent l’amour, l’amitié, la famille, le travail, l’estime de soi... Zone de tous les droits, en particulier ceux de la critique, de la prise à partie, parfois virulente, ring de boxe virtuel, usine à clashs pour anonymes comme pour stars (qui tombent d’elles-mêmes de leur piédestal, en se mêlant ainsi à la rumeur populaire), Internet œuvre à la désacralisation générale. Une attitude totalement Ygrecquienne: ce n’est pas parce que tu es connu, ce n’est pas parce que tu es âgé, ce n’est pas parce que tu es installé que tu es nécessairement légitime, et que je dois te faire des courbettes. Sur Twitter, on a lu Mathieu Kassovitz qui traitait Nicolas Bedos de raciste -et l’autre qui lui disait qu’il l’emmerdait- suite à un tweet concernant la victoire de François Hollande à la présidentielle: “Les arabes vont pouvoir se remettre à voler.” On a vu aussi Maurane voir rouge après avoir été insultée par un internaute, “La grosse vache t’encule à sec avec du papier de verre, du Tabasco et un filet de citron”... On remarque surtout les anonymes qui s’en prennent aux institutions, aux stars, aux politiques, qui les dézinguent en quelques secondes alors que jadis, il fallait saisir sa plume et coller un timbre

pour transmettre ses doléances. L’irrespect est une marque de fabrique de la génération LOL, qui se moque, qui détourne, qui parodie et pastiche. Le “mème” est devenu sa religion, il pose un homme nu (celui qui est apparu dans le catalogue La Redoute, sur des photos de babys-mannequins) derrière un François Hollande crispé sur la photo de Raymond Depardon, crée un générateur d’affiches pour railler La France forte de Sarkozy, oppose une Shakira4Belgium en petite tenue à Sharia4Belgium... La satire est partout, le blasphème n’est plus un péché. Tremblez, élites, il y aura désormais toujours quelqu’un pour vous faire vaciller. Internet a donné à la génération Y sa caractéristique la plus réjouissante: l’irrévérence.

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Génération Y — Portraits

Y COMME… DIGITAL NATIVES Instables, infidèles, multitâches, créatifs, alcooliques... gare aux raccourcis clavier! Même s’ils partagent des points et des horizons communs, les Yers ne se laissent pas si facilement appréhender. La preuve par trois (portraits). zRencontres Michel Verlindenz zPhotos Noah Dodsonz

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Génération Y — Portraits

CLÉMENT THIRION 27 ans Acteur, metteur en scène et chorégraphe. On dit les Yers instables, infidèles, multitâches, créatifs et un peu alcooliques. Vous signez? Hahaha (ou devrais-je dire “lol”?). Un peu alcoolique, définitivement. Créatif, je l’espère. Instable, est-ce la suite logique? Infidèle... oui: je ne suis pas religieux. Multitâche: j’essaie! Ecrire un dossier en cuisinant, la télé allumée, une déclaration fiscale inachevée sur la table, un montage vidéo à boucler, trois bouquins à terminer et deux semaines de vaisselle dans l’évier. Multitâche, ça veut dire qu’on doit tout terminer à temps?

L’application iPhone/iPad/autre dont vous ne pourriez plus vous passer? Je ne l’ai pas encore trouvée! “Biophilia” de Björk est un bel essai sur le réel potentiel de la technologie. Sinon il y a des apps incroyables où je peux contrôler les lumières, le son et les vidéos de mon spectacle sur iPad! Mais le meilleur reste à venir. J’ai des idées concernant la danse... Faudrait que je trouve un nerd avec qui en discuter. Quelqu’un d’intéressé?

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Génération Y — Portraits

DAVID MURGIA 24 ans Acteur (Bullhead, La Régate...). On dit les Yers instables, infidèles, multitâches, créatifs et un peu alcooliques. Vous signez? Non. Pourquoi ne pas rajouter “Génération sacrifiée, Printemps arabe, Syndagma, Puerta del Sol, Indignés, Québec ou Anonymous”? Bien sûr, nous sommes une génération née entre Apple et Google, mais pas seulement. Aujourd’hui, la crise domine les préoccupations de tous. Retenons surtout les cris que poussent aujourd’hui les Yers sur les places du monde entier, s’indignant de la trajectoire prise par 28

notre humanité et tentant d’éviter à nos enfants le misérable titre de “Génération Z”. L’application iPhone/iPad/autre dont vous ne pourriez plus vous passer? J’utilise beaucoup iCal. C’est surtout à cause du métier de comédien. Je fais un job très indépendant. Je n’ai pas un seul employeur. Mon agenda est un véritable Tetris.


Génération Y — Portraits

SOPHIE FRISON 27 ans Comédienne, présentatrice télé et voix des Panties “un groupe qui sort encore des 45 Tours”. On dit les Yers instables, infidèles, multitâches, créatifs et un peu alcooliques. Vous signez? Oui, les Yers touchent à tout, dans le bon sens du terme. Je dirais donc que les Yers sont compulsifs et hyper consommateurs: oui l’alcool, oui les sorties, oui les relations amoureuses... Mais ce qui est vraiment nouveau, c’est la notion d’immédiateté, tu dois savoir ce qui se passe, être au courant de tout. En fait, c’est fatigant d’être Yers.

L’application iPhone/iPad/autre dont vous ne pourriez plus vous passer? Alors... Je tweete, j’instagram, je tetris, je ne foursquare pas, mais qu’est-ce que je facebook! Je poste souvent des liens musicaux et j’aime bien espionner les gens à travers leurs photos, il y a un côté très impudique certes, mais autorisé!

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Génération Y — Musique

TALKIN’ ABOUT C’est la génération Y qui a mis à mort l’industrie du disque. Aujourd’hui, le CD est à l’agonie. Mais la musique est partout... -Texte Laurent HoebrechtsSon premier CD? Simon avoue, du bout des lèvres: Smash de The Offspring, groupe punk-rock ricain tubesque. “Mais le suivant, c’est Nevermind de Nirvana!”, insiste-t-il. Simon est excusé. Il n’a pas pu prendre le grunge en pleine poire: en 1991, quand sort le disque-phare du mouvement, il n’a que 10 ans. Pas encore prêt pour la rébellion slacker-nihiliste, venue de Seattle. Par contre, quand Kurt Cobain quitte la scène en se tirant une balle dans la tête, en avril 94, Simon finit par céder. Il court acheter le disque. Les décharges noisy-pop, comme bande-son idéale des années ados. Aujourd’hui, Simon vient de franchir le cap de la trentaine. C’est un des seuls CD qui lui restent encore... Il se souvient bien du jour où il est descendu en ville pour se procurer l’objet -sa fameuse pochette bleue, le bébé nageur et le hameçon au bout duquel est accroché un billet d’un dollar. Il était rentré dans le Caroline Music, rue de l’Université, à Liège. Franchement, il n’en menait pas large. Des rangées sans fin, des centaines de références inconnues, et les regards suspicieux des

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habitués du coin, pour finir d’intimider le néophyte. Un monde en soi. Aujourd’hui, l’endroit a fermé. Récemment, Simon est passé à la Fnac de la rue Neuve, à Bruxelles. Coup de déprime: le coin musique a encore rétréci, comme peau de chagrin. Le compact disc, ou la lente agonie d’un support mal-aimé...

FREE PARTY En même temps, cela fait longtemps que Simon n’achète plus de musique. Comme pas mal de ses potes, il a eu sa période Napster. Le moment du grand basculement. Tout à coup, des disques par milliers, disponibles gratuitement, à portée de clics. Son premier téléchargement? Hmmm, c’est plus compliqué que pour les CD... Impossible de remettre un nom dessus. Cela devait être autour de 2000, 2001. Peut-être bien le Kid A de Radiohead? Des mois avant sa sortie physique, le disque avait percolé sur le Net. Pourtant, cela ne l’avait pas empêché de se vendre par camions, une fois arrivé dans les bacs des disquaires. Une vraie victoire pour les partisans de la “libération” de la musique (ou en tout cas de sa gratuité). “Tu vois, s’était alors emballé Simon auprès de son pote Ben. C’est la preuve que Napster ne dépouille pas seulement des gros tocards comme Metallica. Il peut aussi aider des groupes en leur servant


d’outil promotionnel.” Aujourd’hui, Napster est mort. Mais la musique est toujours gratuite. Ou presque. L’ami Ben, par exemple, achète de temps en temps sur iTunes. Un véritable coup de génie de la part d’Apple, les seuls qui ont réussi à rendre l’achat de morceaux à nouveau simple et attractif. De quoi redonner presque de l’espoir à l’industrie de la musique, décimée par la lame de fond du téléchargement illégal. Aujourd’hui, Simon se contente de plus en plus souvent d’aller écouter les dernières nouveautés sur Spotify ou Deezer, les plateformes de streaming légal. Pour l’instant, il ne voit pas trop l’intérêt de payer une formule d’abonnement -si ce n’est d’éviter les publicités diffusées tous les trois morceaux. Il se concocte des playlists, y mélange la dernière mixtape de Drake et le nouvel album de Dominique A, un remix dubstep de Lana del Rey et un best of de Crosby, Stills, Nash & Young. Pareil dans son iPod: en permanence en mode shuffle, il fait se rentrer en collision Burial, Louise Attaque, Rihanna et les Foo Fighters. Plus de genres, plus de styles, plus de chapelles: tout fait bit au moulin 2.0 de la musique. De quoi démonter l’oncle de Simon, fringant quinqua tombé dans la marmite punk originelle de 1977, accroché à sa collection de 45 tours des Buzzcocks

comme à la prunelle de ses yeux. “Merde, s’exclame-t-il. Tout ne se vaut pas!”

Génération Y — Musique

A REVOLUTION GIGOGRAPHY Justine, la petite sœur de Simon, aime bien son oncle râleur. Après tout, c’est lui qui lui a fait découvrir les Clash, alors qu’elle ne connaissait d’eux que le Should I Stay or Should I Go de la pub. Après, elle est plutôt fan de Justice. Ou des Birdy Nam Nam. Enfin, surtout depuis qu’ils ont switché de la démarche purement hip hop des débuts à un son plus électro, French Touch, tout ça. Elle non plus n’achète pas de musique. Longtemps, elle a même cru qu’il n’y avait de téléchargement que illégal: payer pour un objet dans un magasin d’accord, mais allonger pour un fichier sur Internet, sérieux?... Aujourd’hui, elle a mis au point sa propre “éthique”: elle télécharge le dernier Madonna, mais se dit prête à payer quand sortira le premier album des Belges de BRNS. “Et puis je vais au concert”, se justifie-t-elle encore. C’est vrai. Sur son compte YouTube, elle collectionne les différentes séquences “live” filmées avec son téléphone. Dans une boîte à chaussures, elle a rangé les tickets des dernières Nuits du Botanique, des concerts à l’AB, au Trix à Anvers... Il y a quelques années, elle se rendait également souvent à

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Dour. Mais depuis 2, 3 ans, elle préfère tracer plus loin. Par exemple au festival de Benicassim, tout près de Barcelone. “On y va à plusieurs potes. C’est les vacances! On loge au camping, on se lève quand on veut, on passe l’après-midi à la plage, puis en fin de journée, on va aux concerts, on boit des coups... L’affiche de cette année? Hmmm, j’ai vu qu’il y avait Calvin Harris et aussi les Arctic Monkeys! Après on verra bien, le but c’est aussi de découvrir des trucs.” Son concert de l’année, elle l’a vécu il y a quelques jours: la double affiche programmée au Sportpaleis d’Anvers, réunissant les New Kids on the Block et les Backstreet Boys. Ses idoles de jeunesse réunies sur une même scène! Step by Step! I Want It That Way... Que des tubes. Simon, narquois: “27 ans et déjà nostalgique de son adolescence...” Justine ouvre des grands yeux, et toise le sac rempli de vinyles que Simon tient à la main. “Ah ah ah, ça te va bien de dire ça! Le gars de 31 ans, nostalgique d’une époque qu’il n’a même pas vécue!” Un point partout, balle au centre.

Génération Y — Musique

DITES 33

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Reste donc la question: le premier 33 tours? Un repressage 180 grammes du premier album de Pearl Jam. Depuis lors, Simon aime bien s’en acheter de temps en temps, quand il remet par exemple la main sur les vinyles d’albums qu’il a passés en boucle dans son iPod, comme le Back to Black d’Amy Winehouse. “J’ai récupéré une vieille platine. J’écoute toujours majoritairement la musique sur l’ordinateur, ou en tout cas sous forme de fichiers MP3. Mais de temps en temps, j’aime bien refaire tourner un vinyle. C’est un petit plaisir, un autre genre d’écoute.” Dernièrement, il a notamment craqué pour le premier album solo de Jack White, et en a profité pour dégoter un vieil album de Jay-Z, ainsi que le El Camino des Black Keys. L’autre soir justement, il est allé les voir en concert, avec sa sœur et son oncle. T-shirt des MC5 fièrement arboré, ce dernier en a profité pour encore une fois s’emballer: “La musique, c’est pas qu’un fichier MP3 téléchargeable à l’infini. Y a toute une mythologie derrière, de la sueur, des larmes, du danger. Les Stooges qui chantaient Search & Destroy, c’était pas du pipeau! Regardez les mecs aujourd’hui: ils habitent chacun dans leur coin, trifouillent des bouts de morceaux dans leur chambre, et les envoient ensuite par mail aux autres! Elle est où la confrontation, l’étincelle qui peut naître quand on joue dans la même pièce? Non, je vous le dis, Internet est en train de déliter pas mal de choses. D’accord, on peut avoir accès à tout aujourd’hui, quand on veut, où on veut. D’ailleurs, la musique est partout: dans ta voiture, dans le métro, dans l’ascenseur, dans le supermarché...” “Quelque part, la musique a gagné”, s’avance Simon. A ce moment-là, un GSM se met à vibrer. Justine sort le téléphone de sa poche. Son oncle reconnaîtrait la sonnerie entre mille: Lust For Life d’Iggy Pop. “Ou alors, reprend-il, la musique a perdu...”

PLAYLIST GÉNÉRATION Y JUSTICE VS SIMIAN NEVER BE ALONE When rock meets electro. L’un des hymnes des noughties AZEALIA BANKS 212 Du rap d’harlem sur une trame dance made in Belgium. SKRILLEX BANGARANG Chaque génération a ses boulets… JAY Z 99 PROBLEMS Parce qu’il est quand même plus cool que Kanye. BEYONCE RUN THE WORLD La reine de la pop qui pioche dans la manne électropicale de Diplo. MGMT TIME TO PRETEND Un classique, avant que le groupe ne se tire une balle dans le pied avec un 2e album volontairement tarabiscoté. ORELSAN CHANGEMENT « Ma génération GameBoy sniffe plus de lignes qu'à Tetris. » THE XX CRYSTALISED Le goth a la cote (1) BURIAL STREET HALO Le goth a la cote (2) FLORENCE + THE MACHINE DOG DAYS ARE OVER Girl power’s not dead. ARCTIC MONKEYS I BET YOU LOOK GOOD ON THE DANCEFLOOR Ou quand le fait d’avoir été répéré sur Myspace était l’ultime preuve de crédibilité. RADIOHEAD IDIOTHEQUE Bon dans les années 90, grand dans les années 2000. JUSTIN TIMBERLAKE WHAT GOES AROUND… COMES AROUND Le George Clooney de la pop, quand il chantait encore. DESTINY’S CHILD VS TEN CC INDEPENDENT WOMEN VS DREADLOCK HOLIDAY Les 2 Many DJ’s qui mixent sans oeillères. Carton. LADY GAGA BAD ROMANCE Eurodance saved my life last night.



09 00 ALLER SUR FACEBOOK ALLER SUR TWITTER

Articulée autour de Twitter, Facebook, Pinterest et Foursquare, la journée-type d’un Y est davantage productive en statuts, LOLades et sarcasmes qu’en boulot.

Génération Y — Journée-type

-Texte Myriam Leroy-

LA JOURNÉE15 00

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Première étape de la journée d’un Y, avant le bol de Crunch, le brossage de dents et la douche: le tour des réseaux sociaux. Et il s’en est passé des choses entre 1h et 9h. Check de notifications, lecture de MP, exploration de l’activité nocturne de ses amis, de ses contacts... Le relevé de la boîte mail classique viendra plus tard, une fois arrivé au taf. Depuis l’avènement de Twitter et Facebook, les vraies priorités se trouvent ailleurs, et ceux qui utilisent un autre canal pour le contacter n’en font définitivement pas partie.

17 00

SE PERSONAL BRANDER

CRITIQUER

Toujours à l’affût d’une nouvelle opportunité professionnelle, le Y profite des possibilités offertes par l’Internet pour se faire connaître, reconnaître, voir et surtout bien voir par autrui. Un employeur potentiel se cachant, il le sait, toujours derrière autrui. Il commet donc un maximum de Personal Branding, se vante plus ou moins discrètement de ses réalisations, poste des photos de lui avec des personnalités influentes, des statuts de type “Meeting capital à Cannes” alors qu’il n’est attendu que pour des vacances famille au Cannet...

“Bref, Bref devient de plus en plus à chier”, “Quelle daube ce Prometheus”, “The Walking Dead, ce n’est plus ce que c’était”, “Raymond Depardon devrait demander pardon à Hollande pour sa photo”, etc. Le Y estime que son avis est important, qu’il compte, et il le distille sans parcimonie sur Internet. Biberonné au cynisme et au sarcasme, il tente, en s’affirmant critique, de construire une image de lui à la fois concernée par le monde qui l’entoure, mais pas dupe pour autant. Il y démontre qu’il est acteur de sa propre vie.


10 00

12 00

ALLER BOSSER

LUNCHER

Le Y arrive rarement au boulot avant 10h. Normal, il s’est couché tard, il est rarement en forme le matin. Et il n’a pas l’intention de reproduire les aliénations de ses parents: le train bondé et suant de 7h17, très peu pour lui. Débarqué au bureau, il repasse sur les réseaux sociaux, fait son check-in sur Foursquare, dépouille son courrier, puis s’enquiert de ce qu’on attend de lui aujourd’hui. Il est déjà 11h quand il est enfin opérationnel. Son boss le sait, l’accepte, et ne lui confie aucune tâche fastidieuse avant cette heure-là.

La plupart de ses collègues mangent devant leur écran d’ordinateur. Ça lui arrive quelque fois (en particulier lorsqu’il entretient une passionnante discussion avec une future conquête via le chat de Facebook), mais il aime aussi prendre son temps pour bien manger, le midi. Dans ce cas, il délaisse la cantine pour les petits restos périphériques, moins beaufs, plus équilibrés, plus conviviaux. Au bout de deux heures, lorsqu’il reprend sa place dans l’open space, son chef lui lance un regard torve mais n’ose rien lui dire.

20 00

Génération Y — Journée-type

-TYPE D’UN Y 02 00

AFTER WORKER

SE COUCHER

En général, le Y se trouve une activité en faisant le tour des events où il a été invité via Facebook. Il squatte aussi le profil de ses amis, de ses amants, des personnes qu’il fréquente de loin mais à qui il aimerait ressembler (journalistes en vogue, pubeux qui décollent...), pour savoir quelles sont les places to be où se rendre le soir. Il y boit quelques verres, de la vodka Perrier plutôt qu’un cru millésimé, il discute, il se vend, dragouille, et puis, quand il a tiré tout le plaisir qu’il avait à tirer de la soirée, il se tire.

Tard, un peu bourré, un peu pété. Avant de s’échouer dans ses plumes, il passera une dernière fois sur Facebook, Twitter, Pinterest et Cie. Il recherchera la brunette dont il vient de faire la connaissance au bar et lui enverra une demande d’amitié, et il “likera” à peu près toutes les photos qui passeront à portée de clic. S’il tarde à trouver le sommeil, il se lancera une série. Il évitera les suspenses trop haletants: il se souvient d’une époque où il dormait seulement quatre heures par nuit à cause de 24 heures chrono. 35


JOYSTICK FOR EVER Les jeux vidéo sont bêtes et méchants. Mais pas uniquement. Derrière cette façade mainstream, leur influence sur la (pop) culture, voire la philosophie, brille. Bienvenue dans la génération Y.

Génération Y — Jeux vidéo

-Texte Michi-Hiro Tamaï-

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MINISTÈRE DU PIXEL Il y a 5 ans, Jacques Raynal, Shigeru Miyamoto et Michel Ancel étaient ainsi parachutés Chevaliers de l’Ordre des Arts et des Lettres. Peter Molyneux et Ralph Baer ont connu des honneurs similaires dans leurs pays respectifs. En France, Frédéric Mitterrand défendait l’année passée la création d’une filmothèque du jeu vidéo. Tout en soutenant Game Story, expo temporaire de rétrogaming plantée au Grand Palais à Paris. Timidement mais sûrement, le politique prend conscience du poids du médium culturel. Il faut dire que la plastique du jeu vidéo sert, entre autres, de terreau de base à un nombre croissant d’artistes plasticiens. Derrière la démarche d’Invader qui, 15 ans après Paris, carrelait récemment (et enfin) Bruxelles, une foule d’autres acteurs méconnus végète dans l’ombre. Le livre Gamescenes Art in the Age Of Videogames(1) en recense ainsi près d’une trentaine. Parmi ceux-ci, Cory Arcangel remettait ainsi la pop culture en cause en 2002 en détournant le zapper(2) de la NES. Baptisée I Shot Andy Warhol, sa version piratée

d’Hogan’s Alley (1984) propose de tirer sur des cibles d’Andy Warhol en évitant des figure connues, du pape au célèbre papy du Kentucky Fried Chicken. L’ère des consoles 8 bits a également inspiré le travail de Jeremiah Johnson (Nullsleep) qui insère dans des rues newyorkaises des personnages et décors pixélisés empruntés à Super Mario Bros. Le tout pour une mise en contexte brillante, comme en témoigne l’incrustation des célèbres tuyaux verts du plombier moustachu sur une zone de travaux de la Big Apple. Le jeu vidéo contamine également la musique avec force. Parfois, le résultat est entendu et ronflant, à l’image des nombreuses adaptations de BO de Final Fantasy et autre Zelda en concerts philharmoniques. Mais l’étincelle guette au bout du blip vintage. Les sons digitaux crasseux de l’ère 8 bits envahissent ainsi le mouvement cheap tune, dont Aphex Twin et Crystal Castles aiment se gaver (parfois jusqu’à écœurement). Horse The Band (rien à voir avec Band of Horses) trône lui en tête du mouvement “nintendocore”. Cette formation canadienne barrée mélange claviers électroniques Lo Fi façon Game Boy (la blanche) et metal/hardcore. Des synthés fluos sur des borborygmes et des riffs metal. Le tout au fil de titres clins d’œil à Megaman. On avale du foie gras arrosé de Fanta. Et on en redemande.

CRONENBERG, SOCRATE ET MARIO Les exemples de films se nourrissant à bon escient de codes ludiques sont plutôt rares. Seul l’eXistenZ de Cronenberg brille pour les règles absurdes régissant son monde. Mais aussi le travelling vu de profil façon beat them all et platformer du Old Boy de Park Chan-wook. En littérature, le gameplay n’a aucun mouvement. Mais après une traversée du désert, les étagères francophones tiennent enfin tête à leurs homologues anglophones, actives depuis plus de 10 ans. On épinglera à ce sujet les éditions françaises de Pix’n Love (Ankama) qui se spécialisent notamment dans l’histoire du jeu vidéo avec une dizaine d’ouvrages consacrés au sujet. Dans sa Philosophie du jeu vidéo, Mathieu Triclot engage lui un dialogue entre Socrate et Mario pour ensuite plébisciter une analyse du jeu vidéo en tant qu’activité où l’on est à la fois spectateur et acteur. Le tout au fil de quelques idées disséquées avec talent. Notamment celle de perfectionnisme du score chez le joueur. Un nouveau terreau pour la philo? Dans le récent Journey, l’émerveillement et la découverte hypnotisent d’un bout à l’autre. “Au quotidien, les informations saturent. Avec le Web mobile, aujourd’hui, on sait tout sur tout. De Google Maps à la réalité augmentée, le mystère n’a plus de place dans nos vies. Les jeux vidéo sont les derniers territoires qui peuvent encore poser question”, précise Jenova Chen, son créateur.

Génération Y — Jeux vidéo

La génération Y est née avec une souris dans une main et un joystick dans l’autre. Craquelé, le triangle religionpatrie-famille. Evaporée, la menace post-apocalyptique soviétique. Consumés, les rêves hippies. L’axe des valeurs des kids nés dès les années 80 s’est déplacé. L’informatique mainstream et les jeux vidéo se sont substitués aux anciennes croyances. Et ont ainsi donné naissance à de nouveaux dogmes. Et à des icônes mythologiques post-modernes. Récemment, on pense bien entendu à Steve Jobs. Et à Ralph Baer, l’inventeur de la console de jeu vidéo. Mais il faut aller à l’E3 de Los Angeles, au cœur du salon mondial du jeu vidéo -les gamers parlent de “grand-messe”- pour saisir l’essence de la génération Why. Scénario, esthétique, gameplay, héros... Le jeu vidéo, plus que le high-tech, touche au cœur de leur âme ceux que l’on appelle aussi les digital natives. En plein downtown, en ce début juin, chacun sa chapelle à l’heure des conférences de presse de Microsoft, Sony et Nintendo. Ce dernier, particulièrement, draine des fans déguisés en héros vénérés comme Link (Zelda) ou Mario. On parle de Cosplay. Des applaudissements et des hurlements grondent à l’annonce de certains jeux ou personnages clefs de la compagnie. L’arrivée sur les planches de Shigeru Miyamoto, le père de Mario, en témoigne. Cette génération qui a grandi avec le joypad trouve sa pratique normale. Ecrire un mémoire sur les jeux vidéo sous l’angle de la culture ou de la conservation de son patrimoine provoquait encore rires et sarcasmes il y a quelques années. Mais aujourd’hui, le joypad contamine toutes les strates de la (pop) culture. Micro-phénomènes sociétaux typiquement nippons, le Cosplay, les goodies et les Otakus ont fini par s’exporter chez nous. L’institutionnalisation guette déjà.

(1) MATTEO BITTANANTI - DOMENICO QUARANTA, JOHAN LEVI EDITORE, 2006 (2) PISTOLET ÉLECTRONIQUE ORANGE ET GRIS TYPIQUE DE LA NES

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Génération Y — Guide de survie

LE GUIDE DE SURVIE DU YER La génération Y a parfois du mal à empoigner le réel. Quelques astuces et bouts de ficelle pour apprivoiser ce bloc compact parfois malfaisant. -Texte Michel Verlinden-

COMMENT SURVIVRE À UNE BITURE À LA CARA PILS?

COMMENT NÉGOCIER UNE FIN DE MOIS QUI COMMENCE LE 5?

La Cara Pils... les Yers savent pourquoi. Pas de doute, cette bière, c’est la murge garantie bon marché, la biture en promo. Le lendemain? Maux de tête lancinants, fatigue, malaise généralisé, diarrhée... on en passe et des meilleurs. Pour les atténuer, il est possible d’agir de deux façons. En amont, d’abord, mieux vaut ne pas boire le ventre vide. Ensuite, si possible, s’hydrater au maximum, c’est-à-dire avant, pendant et après l’absorption d’alcool. Et en aval? Il n’existe pas de miracle: de l’eau, du sommeil et une nourriture saine. Rien de mieux. Et le fameux mythe de la bière bue le matin. Cela peut aider au début, puisque l’alcool empêchera le foie de produire de l’acétaldéhyde mais il n’est question que de retarder l’inévitable qui sera peut-être même pire pour le coup.

Fauché, le Yer? C’est rien de le dire... La gestion, c’est pas vraiment son truc. Il a mieux à faire et... les tentations sont nombreuses. On ne va pas lui faire l’affront de décliner la panoplie de bons tuyaux dont il ne se servira jamais pour cause d’insouciance: éteindre la lumière de la pièce que l’on quitte, couper l’eau en se savonnant, faire tourner le lave-vaisselle rempli (il n’en a pas)... Idem pour les plans food cheap dont il use et abuse, depuis repas-paquet-de-chips de chez Lidl jusqu’aux promotions des grands magasins à suivre au jour le jour via Promobutler.be. Non, on se contentera de lui donner l’astuce culture: Arsène 50. Cette initiative émanant de la Fondation pour les Arts à Bruxelles a pour ambition de proposer, du mardi au samedi, des places à moitié prix pour des évènements culturels à voir le soir même. WWW.ARSENE50.BE

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COMMENT MANGER À BAS PRIX

$

WWW.LEHA.FR LE SITE MENTIONNE L’ANTENNE BELGE DU LABORATOIRE, ONGLET “DEVENEZ MEMBRE DE NOTRE JURY À BRUXELLES”.

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OÙ LAVER SON LINGE SALE?

COMMENT FAIRE UN OURLET?

Pour le Yer endurci, pas question d’investir dans une machine à laver... définitivement trop cher. Raison pour laquelle, nombre d’entre eux passent des heures à regarder tourner leurs fringues, derrière le hublot embué, dans la wasserette la plus proche. Loin d’être drôle. Bonne nouvelle, une nouvelle génération de salon-lavoirs a débarqué à Saint-Gilles. Wash & Web a été imaginé par Marie-Amandine Journoud, Française débarquée à Bruxelles et Yer elle-même. Présent sur Facebook, le concept ne manque pas d’imagination: wifi gratuit pour peu qu’on y lave son linge mais également alerte e-mail ou sms quand la machine a terminé son cycle. Sans oublier une fonctionnalité permettant de savoir si la lavandière de son choix -chacune d’entre elles porte un prénom féminin- est libre... avant de se rendre sur place.

Tant qu’on est dans la fripe, restons-y. Disons-le d’emblée, l’ourlet fait de la résistance, il peut être vicieux. Bien sûr, pas besoin d’être un cador pour choper l’un des nombreux tutoriaux sur Internet. Tout y passe, la version filmée, courte ou abrégée, old school ou avantgardiste... Seul hic, la plupart du temps, il faut disposer d’une machine à coudre, objet extrêmement pratique mais peu connu du Yer. Pour ne pas désespérer, il existe une méthode qui se refile sous le manteau. Et pour cause, elle est loin d’être orthodoxe. D’abord, repérer la hauteur à laquelle on veut l’ourlet. Marquer le pli avec des épingles et passer un coup fer. Ensuite pour le fixer, deux solutions: soit on prend de la colle pour tissu, soit on achète en mercerie une bande thermocollante. Pas convaincu? Un ourlet chez une couturière coûte aux alentours de 5 euros.

Génération Y — Guide de survie

On l’a dit, il existe un tas de plans débrouille pour manger à prix défiant toute concurrence. Deux plans valent tout particulièrement le coup. Primo, ne pas négliger le relationnel: avoir un ami à la Commission européenne peut aider. Les prix de la cafétéria sont imbattables. Pour en avoir une petite idée, il faut savoir que le plat principal s’affiche entre 3,50 et 7,50 euros. Les salades, elles, sont vendues à partir de 0,95 euros. Difficile de faire mieux. Secundo, il faut savoir qu’avec un peu de motivation, il est possible d’être payé pour manger. Nom du filon? Le Laboratoire d’Etudes et d’Hygiène Alimentaire. But de la manœuvre? Faire partie d’un jury de consommateurs pour tester les nouveaux produits lancés sur le marché. Après avoir goûté, il faut prendre la peine de remplir un formulaire d’appréciation. C’est un peu laborieux mais c’est payé aux alentours de 9 euros le questionnaire.

WWW.WASHANDWEB.COM

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Génération Y — BD

© OLIVIER ROLLER

Bastien Vivès

VIE EN COMMUNAUTÉS À l’âge de 5 ans, sa plus grande peur, c’était le chômage. Depuis, Bastien Vivès est devenu une vedette. Mais se revendique d’une communauté, pas d’une génération. -Rencontre Olivier Van Vaerenbergh“Dans l’absolu, ça m’aurait plu de naître un peu plus tôt, 4, 5 ans, juste au début des années 80. La GameBoy, Robocop, j’étais vraiment petit quand ça a débarqué, moi je suis à fond Tortues Ninja, un vrai cintré. Mais j’aurais aimé connaître le processus de départ, vivre les débuts de tout ça.” Tout ça, c’est la culture populaire et revendiquée par ce jeunot de Bastien Vivès. Vingthuit ans, mais déjà une star et une valeur sûre de la bande dessinée française -franco-belge, ça n’existe plus. De prime abord, il pourrait symboliser, effectivement, toute une génération: déjà quinze albums derrière lui, quelques œuvres exigeantes

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et saluées (Polina ou Le Goût du Chlore chez KSTR) et puis des one-shot issus de son blog, hilarants ceuxlà, sur le jeu vidéo ou la famille. Un auteur on ne peut plus de son temps, et bien dedans, mais qui ne croit pas vraiment aux théories des générations. Plutôt aux communautés. “Je fais évidemment partie d’une génération qui a grandi avec les mêmes jeux, les mêmes émissions, les mêmes références, les mêmes peurs aussi: le sida, le divorce, la crise, c’est bon on connaît. A 5 ans, ma plus grande peur, c’était le chômage. Je ne savais même pas ce que c’était! Mais toutes les jeunesses ne sont pas les mêmes. La mienne fut plutôt privilégiée. Par contre, on a connu une vraie segmentation de la société, le Net a renversé les processus: on se connaît, on se rencontre, via les mêmes centres d’intérêts culturels, la visite des mêmes sites, le partage des mêmes amis. Ça, ça crée de véritables communautés, peu importe l’âge. Ce


truc de génération Y, ça ne veut pas dire grand-chose, j’ai plus de points communs avec des types de 40 ans qu’avec d’autres de 25. Maintenant si vous me passez une fiche de test, un question-réponse sur mes références culturelles, on me tapera sans doute dans cette case-là, c’est sûr. ”

MI-HIPSTER MI-VINTAGE

LE JEU VIDÉO DE BASTIEN VIVÈS (ÉDITIONS DELCOURT)

Plus générationnel que ça, tu meurs. Bastien Vivès est né en 1984, une console sous le nez et un joystick à la main. Des heures, des nuits, et des années de plaisir statique, avachi dans un pouf. De quoi faire aujourd’hui un des meilleurs albums drôles de ces derniers mois. Tous les mâles mous de moins de 40 ans s’y reconnaîtront. LE BLOG DE FRANTICO DE LEWIS TRONDHEIM (ÉDITIONS ALBIN MICHEL)

Un des premiers gros buzz des blogs BD, c’était en 2005 déjà: mais qui était ce Frantico, sale et vulgaire, qui racontait sur son blog des histoires absolument horribles, mais hilarantes, sans que l’on sache, pendant longtemps, si ce type existait vraiment? C’était Lewis Trondheim, déjà un vieux tromblon, mais sans doute l’une des références BD majeures de cette génération-là. PÉCHÉS MIGNONS

Génération Y — BD

Cette case-là, à quoi ressemble-t-elle? “Bah, des gars narcissiques, un peu à la mode, à moitié des hipsters, à moitié dans le rétro, une jeunesse sans doute très parisienne. Mais je ne pense pas faire de la “BD de trentenaire”, j’ai la chance d’avoir publié vite, de pouvoir profiter des modes. Aujourd’hui, ce sont les maisons d’édition qui cherchent la nouveauté, qui doivent prendre des risques. Quelqu’un fait un livre sur les jeux vidéo, on en voit sortir dix dans la foulée. Un projet comme le mien sur le jeu vidéo, pas sûr qu’on l’éditait il y a 10 ans. ” Il y a 10 ans, la bande dessinée appartenait à un autre monde -les planches originales existaient encore! Aujourd’hui, la Syntic et Photoshop ont remplacé le papier. “Ça bouge énormément, confirme l’auteur. L’influence des mangas, des comics, le numérique, la diversification... Tous les codes ont explosé. Mais c’est vrai que le narcissisme, le fait d’être centré sur soi en tant qu’auteur, c’est très présent dans ma génération. Le blog, c’est complètement ça.” Le blog, journal intime plus intime du tout, devenu la planche à dessin de moult auteurs en herbe. Ou se fantasmant tel. “Depuis 15 ans, on baigne dans cette ambiance de blog, de télé-réalité, dans ce principe “la star, c’est vous”. La soif de reconnaissance qui en découle est énorme, ça a eu beaucoup d’influence. Mais je sens déjà que ça passe avec la génération suivante. Je vois mes petits cousins, ils n’ont pas 20 ans, mais je suis étonné de la facilité avec laquelle ils comprennent et s’emparent des médias, des outils. Le trip narcissique, je crois qu’il est en train de passer, qu’ils ont appris à s’en servir. Une sorte de Génération Y 2.0.”

LE TOP Y

DE ARTHUR DE PINS (ÉDITIONS FLUIDE GLACIAL)

Un mec cool entouré de filles sexy et très très désinhibées, un dessin vectoriel on ne peut plus contemporain, des références graphiques mêlant multimédia, pub et hype, des gags de cul, de célibataires, de jeunes trentenaires. Bref, Bref avant Bref, mais en BD. LA THÉORIE DE LA CONTORSION DE MARGAUX MOTIN (ÉDITIONS MARABOUT)

On aurait pu en citer 100 autres, et Margaux Motin voudrait sans doute bien se défaire de l’étiquette, mais toute encyclopédie parlant de la BD Girly continuera de la citer: devenue célèbre via son blog, elle raconte comme beaucoup d’autres sa vie de trentenaire, parfois avec un peu plus de talent que les autres.

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Les Yers ont leurs planques fétiches. Bars, cantines, lieux culturels... suivez le guide, à Bruxelles et ailleurs.

M. V.

Génération Y — Hot spots

-Texte Michel Verlinden-

Le Mad Café

OÙ SE CACHENT-YLS? LE VECTEUR

MAD CAFÉ

LE POT AU LAIT

Plateforme culturelle pluridisciplinaire qui réunit onze partenaires associatifs, le Vecteur a pris ses quartiers dans les anciens locaux du Théâtre du Vaudeville. On y découvre un vaste panel d’activités: concerts, rencontres littéraires, expositions d’arts plastiques (quatre par an), installations, démarches éditoriales ou encore projections cinématographiques.

Localisation quasi bucolique -au milieu du parc d’Avroy- pour cet espace à la fois galerie d’art, cantine et bar. La finalité est sociale: le Mad Café emploie des gens en difficulté financière ainsi que des personnes souffrant de maladies mentales. Le plat du jour à 9 euros est l’un des grands succès du lieu.

Né du croisement des univers respectifs de Gaudi, Jean Tinguely et J.-K. Huysmans, le Pot au lait est un bar déjanté qui ambiance le cœur de Liège. L’aménagement rétro-futuriste du lieu invite à refaire le monde autour d’une, voire de plusieurs bières. Mention pour la belle terrasse envahie par le lierre qui est prise d’assaut quand le soleil pointe ses rayons sur la Cité ardente.

31, RUE DE MARCINELLE, À 6000 CHARLEROI. WWW.VECTEUR.BE

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PARC D’AVROY, À 4000 LIÈGE. TÉL.: 042231619. WWW.MADCAFE.BE

9, RUE DES SŒURS DE HASQUE, À 4000 LIÈGE. TÉL.: 042220794. WWW.POTAULAIT.BE


Le Bar du Matin

M. V.

Génération Y — Hot spots

A.L.I.C.E Sans hésiter la galerie qui s’y entend le mieux en matière d’art urbain. Il faut dire qu’Alice et Raphaël ont senti le vent avant les autres et sont devenus de redoutables experts en la matière. Désormais située dans une perpendiculaire à la rue de Flandre, l’adresse fait place à des artistes phare tels que Sozyone, So Me, Sixeart Maya Hayuk, Barry McGee, Olivier Kosta-Théfain et plus récemment Invader. ALICE GALLERY, 4, RUE DU PAYS DE LIÈGE, À 1000 BRUXELLES. WWW.ALICEBXL.COM

LES BARS DE LA GALAXIE FRÉDÉRIC NICOLAY Café Belga, Bar du Matin, Potemkine, Barbeton et, plus récemment, Flamingo... Autant d’adresses signées Frédéric Nicolay qui vont droit au cœur de la génération Y. En cause, une grammaire formelle réduite à sa plus simple expression -béton et bois brut de décoffrage- mais également un service au bar et, surtout, la possibilité d’y traîner une journée entière sans être harcelé quant à d’éventuelles consommations.

BHV S’il n’y avait qu’une cantine Yers, ce serait celle-ci. Orchestrée par Frédéric Verhulst, cette microadresse livre des assiettes à la fraîcheur exemplaire. Le sous-titre de l’endroit, ce graphiste l’a glané à Rome: “luncheonette”. Parfaite illustration d’un lieu où l’on mange sainement le midi à des prix planchers (- de 12 euros). 33, PLACE VAN MEENEN, À 1060 BRUXELLES. TÉL.: 0476236040. WWW.LEBHV.BE

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KRISTIEN DAEM

Génération Y — Hot spots

Le Wiels

LE NOVA

RECYCLART

WIELS

Plus qu’un simple cinéma, le Nova se découvre depuis 15 ans comme un lieu de convivialité ouvert à d’autres disciplines que le septième art. Des créations picturales, photographiques, musicales ou des performances y sont présentées régulièrement, pour peu qu’elles aient un rapport avec l’image. Ainsi, parallèlement à sa programmation et en étroite relation avec elle, le Nova accueille en permanence dans sa salle et son foyer-bar situé en dessous des animations...

L’asbl Recyclart est un acteur culturel majeur à Bruxelles. Active depuis 97, elle fait office de trait d’union entre les gens. Comme l’explique l’un de ses responsables: “Il s’agit à la fois d’un laboratoire artistique, d’un lieu de création, d’un centre de formation pour chercheurs d’emploi, d’un acteur de l’espace public urbain ainsi que d’un endroit de rencontres et d’expérimentations.” Situé sur la jonction ferroviaire Nord-Midi, cet espace atypique organise des soirées qui déménagent, des expos avant-gardistes et des concerts loin des sentiers battus.

Adresse dédiée à l’art contemporain sans compromis, le Wiels se devait de décliner une scénographie pas banale. De fait, le centre prend place dans les anciennes brasseries Wielemans-Ceuppens, soit un bâtiment imposant des années 30. Un lieu en forme d’archétype du modernisme industriel qui accueille des artistes comme Mike Kelley, Wade Guyton ou Kelley Walker. L’adresse est parfaite pour prendre un verre -ou un brunch le dimanche- au sein de ce qui était l’ancienne salle de brassage.

3, RUE D’ARENBERG, À 1000 BRUXELLES. TÉL. 025112477. WWW.NOVA-CINEMA.COM

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25, RUE DES URSULINES, À 1000 BRUXELLES. TÉL.: 025025734. WWW.RECYCLART.BE

354, AVENUE VAN VOLXEM, 354. TÉL. 023473033. WWW.WIELS.ORG



BIBLIOTHÈQ C’est bien connu: zappeurs inlassables, hyper connectés et pressés, les Yers ne lisent pas. Ils fournissent par contre une fascinante plasticine pour romanciers...

Génération Y — Littérature

-Texte Ysaline Parisis-

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LE PLUS POLITIQUE

LE PLUS PRISE DE TÊTE

LA FABRIQUE DES JEUNES GENS TRISTES

LE DÉCOURAGEMENT

DE KEITH GESSEN, ÉDITIONS DE L’OLIVIER (2009).

DE JOANNE ANTON, ÉDITIONS ALLIA (2011).

Après Scott Fitzgerald, Easton Ellis et McInerney, l’Américain Keith Gessen dresse le portrait d’une nouvelle génération perdue, versant intellos trentenaires de gauche torturés. Celle de Mark, Sam et Keith, trois voix qui se succèdent pour un effet échantillon. Après de brillantes études universitaires, chacun d’eux se targue d’avoir des opinions politiques et d’écrire -grand roman sur le sionisme, post-thèse sur les mencheviks ou articles engagés- pour combler le vide laissé par les heures passées à googliser leur propre nom ou mater des sites pornos. A l’ombre des campus, le portrait d’une génération déboussolée qui cherche sa place dans la grande Histoire.

Qu’écrire quand tout a déjà été fait -en mieux? Face à ce constat très postmoderne, très Y, Joanne Anton signe un récit défaitiste, sorte de work in progress qui se décourage au fur et à mesure qu’il s’écrit. Ecrasée par le poids de la comparaison avec ses aînés Thomas Bernhard, en l’occurrence-, Anton trimballe un épuisement diffus de la littérature, à l’image de celui qui lui colle à l’existence et à la génération. Un premier roman sur le mal de l’écriture, un brillant essai qui se mord la queue, lignes et points liés à l’angoisse de l’immobilité et de l’héritage. Et qui propose contre toute attente une manière de nouvelle voie. Délicieusement tordue.

LE PLUS PESSIMISTE

LE PLUS PROVOC

SUPER TRISTE HISTOIRE D’AMOUR

SERPENTS ET PIERCINGS

DE GARY SHTEYNGART, ÉDITIONS DE L’OLIVIER (2012).

DE KANEHARA HITOMI, ÉDITIONS 10/18 (2004).

Que peut la science-fiction quand elle est rattrapée par la réalité? Shteyngart nous emmène sur les traces de Lenny, résistant qui collectionne les livres à pages (ces objets répugnants) et croit encore aux relations amoureuses dans un NY futuriste, hyper connecté et paranoïaque. Où la mode exige des jeans qu’ils soient aussi transparents que les pensées d’autrui, pénétrées grâce à l’“äppärät”, sorte de smartphone affichant taux d’emprunt, de cholestérol ou de “baisabilité” de tout un chacun. Sous influence orwellienne, Shteyngart anticipe l’ère post-littérature à court terme. Façon d’exorciser pour la génération qui suit?

En 2004, la jeune Kanehara Hitomi, “freeter” de 19 ans (jeunes Nippons précaires), fait grand bruit en publiant un roman provoc’ jouant sur tous les tabous. Une histoire d’amour punk sur fond de métamorphose des corps, de piercings, de tatouages et... d’automutilation. Bien qu’il délaisse la langue japonaise pour lui préférer l’anglais globish, le roman est couronné par le prestigieux prix Akutagawa, faisant de sa lauréate la plus jeune jamais propulsée de la sorte. Un geste fort de passage de flambeau, adoubé par un Ryu Murakami qui parlera de “roman visionnaire” permettant de pénétrer “l’esprit d’une nouvelle génération”...


UE YDÉALE LE PLUS CONNECTÉ

LOVE & POP

RICHARD YATES

DE RYU MURAKAMI, ÉDITIONS PICQUIER (2009).

DE TAO LIN, ÉDITIONS AU DIABLE VAUVERT (2012).

Où l’on suit le parcours de Hiromi, lycéenne qui répond à des annonces de téléphones-clubs pour satisfaire son besoin de shopping. Epousant son parcours minuté, Murakami choisit, à la manière de Warhol, d’incruster son roman d’extraits de pubs, bribes de conversations, messages sur répondeurs, paroles de karaoké... Un ahurissant concentré de l’hyper sollicitation sonore de Tokyo, une approche à rebours complet de la sacro-sainte introspection romanesque, et de tout jugement moral. Derrière la couverture rose cœur, c’est l’érotisme glauque, le sexe triste et l’ultra moderne solitude qui défilent sous les néons de la ville.

Rendant compte par le menu d’une relation amoureuse par claviers interposés, mails, chats ou sms, Richard Yates est une sorte de roman épistolaire 2.0. Ou l’histoire de deux nihilistes dépressifs carburant à la levure nutritionnelle bio, consommant le sexe et la culture avec la même attitude vaguement neutre et blasée, tout en pensant déjà à ce qu’ils posteront de leurs souffrances sur les réseaux. Un roman cynique, monocorde, apathique et démissionnaire par un jeune auteur geek devenu phénomène. A l’image de ses personnages, en train de flotter sur leur vie sans jamais l’agripper. Brillant et pathétique.

LE PLUS GEEK

LE PLUS BOBO

JPOD

ALICE KAHN

DE DOUGLAS COUPLAND, ÉDITIONS J’AI LU (2010).

DE PAULINE KLEIN, ÉDITIONS ALLIA (2010).

Sorti de presse en même temps que l’app iPhone de sa maison d’édition, et après Génération X (1991), Jpod est une plongée hilarante dans le quotidien autistique d’un studio de programmateurs de jeux vidéo entre tournois de Tetris et impératifs marketing absurdes. Un roman qui digère toutes sortes de contenus, de jeux de mots et de bizarreries visuelles (les 100000 premières décimales de pi, sur 50 pages). Avec les bons vieux moyens du roman, Coupland excelle à cette sorte d’équivalent littéraire du bug informatique. Un périple qui se referme sur la seule question qui vaille: “Rejouer? O/N.” Ultra geek.

Nouvelle signature chez Allia, la Française Pauline Klein s’empare d’un scénario somme toute assez banal -quand un inconnu la prend pour une autre à la terrasse d’un café, son héroïne décide d’entretenir la méprise pour voir à quelle vie ça la mènera- s’il ne comportait la reproduction, à l’échelle du roman, d’un processus d’imposture qui s’apparente à une performance artistique digne d’une Sophie Calle ou d’un Banksy. Une réflexion brillante et très SaintGermain-des-Prés sur la toute-puissance de l’image, par une génération narcissique qui se cherche des reflets dans les vitrines et sait digérer ses influences l’air de ne pas y toucher.

Génération Y — Littérature

LE PLUS GLAUQUE

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ABÉCÉD —

A—

-AdulescenceMot valise. Caractérise un nostalgique de Chantal Goya et des soirées pyjama ayant l’âge de boire de la bière, de voter et de fonder une famille mais qui ne s’acquitte volontiers que de la première occurrence. Vit en kot passé 25 ans ou est rentré chez papa-maman. Synonyme: Tanguy.

Génération Y — Abécédaire

B—

-BioLabel anxiolytique très en vogue auprès de la tribu des individus à sandalettes fans de trek en Auvergne. Depuis la phobie de la langue bleue (1999), le concept séduit l’Internationale citadine des bobos et des gastrosexuels fondus de Jamie Oliver et des serveuses du Pain Quotidien de Dansaert.

C—

-ColocationProlongement agréablement forcé de la vie d’étudiant consistant à partager son pot de Nutella, la zapette et le tri des déchets avec une ou quelques congénères qu’il est déconseillé d’interroger trop gentiment sur l’état lamentable de leur vie sentimentale au risque de passer ses nuits à faire son Freud de kitchenette sur le divan du salon.

D—

-DorothéeAppât blond de Pat Le Guen. A enfumé, à l’heure du croissant, des meutes de jeunes innocents à coups de dessins animés abrutissants. Les plus fragiles sont 48

passés aux drogues dures coupées au foin par AB Productions. Les mêmes qui consomment aujourd’hui beaucoup trop de Coca-Cola entre les pubs.

E—

-ErasmusLe principe de cette guindaille transfrontalière est très simple: il s’agit de bluffer vos financiers (parents ou autres) en partant à l’étranger apprendre une langue que ces derniers ne maîtrisent pas. Ou assez pour qu’à votre retour ils se sentent intelligents de pouvoir encore déchiffrer votre sabir malhonnête.

F—

-FlashmobRéunion d’aspirants activistes pensant que danser la Carioca dans le hall de la Gare Centrale ou imiter sans talent le mime Marceau sur la place Flagey pourrait résoudre le problème de la fonte des glaces en Arctique, rendre une vie digne aux junkies de Ciudad Juarez et sauver le soldat Ryan.

G—

-GeekEspèce en voie de développement très rapide. Biberonnée au Comodore 64, elle représente au bureau la terreur de Jean-Jacques et Roger, fidèles employés pleurant encore la Remington portative sur laquelle ils écrivirent les lettres de noblesse de leur ingrate entreprise désormais pendue à la langue étrange de ces blanc-bec venus du futur.

H—

-HipsterImposteur déguisé en bûcheron, cachant son visage un peu fade derrière des lunettes à monture épaisse. Gobe des magazines pointus venus en import de Varsovie et des programmes télés coréens pour épater ses contemporains qui s’abiment dans le caniveau de la culture mainstream – celle-là même que le hipster s’accorde en écoute privée sur Spotify.

I—

-IronieComportement certes sagace mais un brin désespéré consistant à salir en mots très cassants ce que l’on désire vraiment dans le fond de son petit cœur blessé: de l’amour, un C.D.I., des sièges en cuir, un labrador, un petit-déjeuner Ricoré.

J—

-Jeu vidéoExpérience chronophage qui paradoxalement fait gagner un temps précieux aux jeunes sans permis, aux dispensés du service militaire, aux candidats mercenaires ainsi qu’aux incapables de la plomberie et la cueillette du champignon.

L—

-LolNon pas lots of love comme l’a longtemps pensé un certain David Cameron lorsqu’il envoyait des textos de soutien à Rebekah Brooks, protégée de Ruppert Murdoch au moment de l’affaire des écoutes téléphoniques en Angleterre. Mais laughing out loud. Mdr, quoi.


AIRE —

M—

-MileuristeIncroyable talent travaillant presque bénévolement malgré lui dans l’espoir d’un jour décrocher un job payé à la mesure de ses quatre diplômes universitaires, de son heptalinguisme et de son âge avançant.

N—

O—

-OnemSe dit Forem, au sud de RhodeSaint-Genèse. Tremplin vermoulu duquel de plus en plus de nageurs voudraient sauter. Il faudrait un ébéniste pour le réparer. Mais on ne trouve que des sociologues et des diplômés en Philo et Lettres sur le marché.

P—

-PornoCours d’éducation sexuelle et de découverte des habitants de l’ancien bloc de l’Est en libre accès. Version 2.0. du catalogue La Redoute. Fossoyeur paradoxal des bons coups qui s’ignorent. Substitut sédentaire du footing en période de blocus.

Q—

-QuickQG des résistants à la salade de Quinoa et des générations précédentes -copieusement atlantistes, plan Marshall oblige. Peut être le théâtre de crises régressives chez les tenants les plus rigoureux du bio, tous passés durant leur enfance par une idylle avec Ronald McDonald, bien qu’ils s’en défendent.

R—

-RéelAire de jeu étrange où les personnes rient à vos blagues (ou pas) au lieu de les liker, où l’on compose des phrases de plus de 140 signes pour donner son opinion (ou pas) et où le feu ça brûle quand on le touche.

S—

-SlasherNéologisme anglo-saxon désignant les Pics de la Mirandole nés sous Y. Le slasher peut tout à la fois être blogueur/DJ/web manager/twittos/serveur. Comme les fromages belges.

T—

-Tweeter“Ce soir-là, vous rentrez aux cafés éclatants, vous demandez des bocks ou de la limonade. On est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. Et qu’” Faites plus court Arthur, on n’a pas le temps, merci.

U—

-Uzbek & RicaCe binôme à forte sonorité ostalgique donne son nom à un des mooks les plus intéressants du moment. Comme ses cousins de XXI ou Feuilleton, U&B transforme un genre journalistique ancien (l’article intelligible) en une discipline radicalement moderne. Une poche de résistance pour ne pas trébucher dans l’immédiateté. Et une manière utile de frimer à la terrasse du Belga également.

V—

-VintageSe dit de toute antiquité précoce acquise dans le but de faire valoir, dans un bel élan de snobisme, votre goût exquis pour les objets d’histoire (tee-shirt Poivre Blanc, radio-cassette, appareil photo argentique, BMX...) et votre lucidité sur la grande duperie capitaliste qui essaye de nous faire croire que 4 c’est mieux que 3.

Génération Y — Abécédaire

-NerdAu collège, assis au premier banc, c’est lui qui prenait les boulettes de papier sur le front. Dans le monde impitoyable du travail, il pique le job et les femmes aux ex-bogosses de la classe. Bill Gates est son dieu. Zuckerberg son cousin. Un brillant revanchard.

-Texte Baudouin Galler-

W—

-WikipédiaLarousse numérique dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est un produit bancal cornaqué par des monomaniaques bien qu’il ait provoqué la désertion progressive des bibliothèques, peut aider à obtenir le prix Goncourt et rend la fonction note de bas de page plus obsolescente que jamais.

Y—

-Yes we canC’est cela oui...

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Génération Y — Carte blanche

HERMANCE TRIAY

Charly Delwart

Y -Par Charly DelwartLes générations sont des strates. Si vous êtes réceptif un minimum au monde qui avance, chaque génération s’inscrit en vous, se pose comme une couche supplémentaire. Qui est vous mais vous n’êtes pas qu’elle. Il y a les couches d’avant. La base est ailleurs, elle n’est pas Y. La base est avant. Et donc parce qu’une nouvelle génération arrive, qu’elle porte un nom nouveau, vous êtes soudain conscient que vous êtes une génération plus vieux. Plus mûr, plus juste avec vous-même. Plus vieux quand même. Vous êtes un ailleurs en soi, pas si loin non plus. Vous êtes un pont. Vous êtes la mémoire de la génération qui vous a précédé, et encore un peu aussi celle d’avant. Et ils seront eux votre mémoire. Vous ne vous demandez pas si ça leur importe. Ça ne vous a pas importé non plus. C’est venu malgré vous, s’est immiscé naturellement dans votre façon de penser. Ça fera cela à chaque génération. Pour savoir d’où l’on vient, car c’est la condition pour comprendre où l’on va. Un instinct de survie, l’idée d’une continuité, une espèce. Certaines différences existant: aucune menace d’apocalypse issue de la Guerre froide, pas de monde

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sans sida ni Europe, pas d’apprentissage obligatoire du russe pour ceux de l’Est, voir ce qu’étaient les effets spéciaux d’alors en regardant Star Wars, absence de rite de passage à l’âge adulte (ce qui n’empêche pas de le devenir), vouloir savoir pourquoi (génération why), plus de réalisme que les générations précédentes, ne pas avoir eu à transformer les valeurs morales (ce qui demandait de l’irréalisme), devoir financer les retraites et la dette (d’où aussi le réalisme), succéder à une génération qui n’a pas su trouver ses repères (être comparativement déjà plus ancré), questionner l’autorité, décompresser. Mais ce sont des détails. Les questions de base seront les mêmes, les douleurs, les joies. Mais ce n’est pas cela non plus qui importe mais quelque chose de plus immédiat, plus tangible. C’est qu’ils sont d’une manière vous avant mais aujourd’hui, comme vous êtes eux plus tard mais maintenant. C’est comme ça, quelque chose de tacite, une image qui se passe de mots, et au-delà toujours former une chaîne qui va d’où l’on vient à où l’on va, même si la plupart du temps on pense à autre chose. CHARLY DELWART EST NÉ À BRUXELLES EN 1975. IL A PUBLIÉ DEUX LIVRES AUX ÉDITIONS DU SEUIL (CIRCUIT EN 2007 ET L’HOMME DE PROFIL MÊME DE FACE EN 2010). SON NOUVEAU ROMAN, CITOYEN PARK, SORTIRA EN SEPTEMBRE PROCHAIN DANS LA RENTRÉE LITTÉRAIRE DES MÊMES ÉDITIONS.



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