CORRESPONDANCE FRANÇAISE MARGUERITE CAETANI, JEAN PAULHAN ET LES AUTEURS FRANÇAIS

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Archivio Caetani

Fondazione Camillo Caetani Roma

Collana a cura di Caterina Fiorani
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la Rivista «CommeRCe» e ma R gue R ite C aetani

Direzione di sophie levie v

CoRResponDanCe FRançaise maRgueRite Caetani, Jean paulhan et les auteuRs FRançais

Édition présentée et annotée par lauRenCe BRisset et sophie levie Roma 2016 eDizioni Di stoRia e letteRatuRa

prima edizione: giugno 2016 isBn 978-88-6372-878-1 eisBn 978-88-6372-879-8

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sommai R e

Mlle Chapin, une Américaine à Paris, par sophie levie ix Un commerce secret, par laurence Brisset xxxi Note sur la présente édition xli Abréviations xlv

i. marguerite Caetani et Jean paulhan, Correspondance (1924-1945) 1 a nnexe. manuscrit de Jean paulhan : « portrait » 163

ii. marguerite Caetani et les auteurs français, Correspondance (1921-1944) 171 marcel achard (1899-1974) 173 marcelle auclair (1899-1983) 174 a ndré Beucler (1898-1985) 175 Joe Bousquet (1897-1950) 179 paul Claudel (1868-1955) 180 Robert Desnos (1900-1945) 188 pierre Drieu la Rochelle (1893-1945) 189 a ndré gide (1869-1951) 190

La rivista «Commerce» e Marguerite Caetani, Direzione di Sophie Levie. V. Correspondance française. Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français , édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2016 ISBN (stampa) 978-88-6372-878-1 (e-book) 978-88-6372-879-8 – www.storiaeletteratura.it

Jean giono (1895-1970) 205

Julien green (1900-1998) 212

Bernard groethuysen (1880-1946) 213 marcel Jouhandeau (1888-1979) 219 a lexis leger – saint John perse (1887-1975) 223 georges limbour (1900-1970) 225 Charles mauron (1899-1966) 229

Francis ponge (1899-1988) 240 a ndré suarès (1868-1948) 243

Index Commerce (1924-1932) 267 Index des noms 283

sommai R eviii

m lle Chapin, une a mÉR iCaine À pa R is

la plus grande partie des lettres adressées à marguerite Caetani est conser vée dans les archives de la Fondazione Camillo Caetani, au palais Caetani à Rome. Ces archives constituent une mine de renseignements pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire littéraire de la première partie du vingtième siècle.

entre les années 1920 et 1950, marguerite Caetani entretint une cor respondance assidue avec un grand nombre d’auteurs. entre autres paul valéry, paul Claudel, giuseppe ungaretti, giorgio Bassani, virginia Woolf, archibald macleish, Dylan t homas, georges Bataille, et maurice Blanchot. Cette correspondance nous révèle que marguerite Caetani intervenait dans les coulisses en qualité de mécène et de rédacteur en chef de deux revues littéraires : la revue Commerce, publiée à paris de 1924 à 1932, et la revue Botteghe Oscure, publiée à Rome entre 1949 et 1960. le but de ce recueil est de porter à la connaissance du public la correspondance croisée entre Jean paulhan et marguerite Caetani, ainsi que les lettres d’un grand nombre d’auteurs français qui, pour la plupart, ont en commun d’avoir publié un ou plusieurs textes dans Commerce. le choix de ces textes se faisait en étroite collaboration entre marguerite Caetani et ses trois rédacteurs, paul valéry, léon-paul Fargue, et valery larbaud, sans oublier l’assistance inestimable de Jean paulhan, qui, lui-même rédacteur en chef de La Nouvelle Revue Française, suivait de près toute l’actualité littéraire française et mettait ses lumières au service de Commerce1 . marguerite Caetani, née gibert Chapin, vit le jour le 24 juin 1880 non loin de new london, dans le Connecticut. elle décéda à ninfa en italie,

1 la correspondance entre les trois rédacteurs et marguerite Caetani fera l’objet du qua trième volume (édition d’Ève Rabaté et sophie levie) de la série La Rivista « Commerce » e Marguerite Caetani. pour des informations plus détaillées sur la contribution de Jean paulhan à Commerce, voir la préface de laurence Brisset.

La rivista «Commerce» e Marguerite Caetani, Direzione di Sophie Levie. V. Correspondance française. Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français , édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2016 ISBN (stampa) 978-88-6372-878-1 (e-book) 978-88-6372-879-8 – www.storiaeletteratura.it

le 17 décembre 1963. sa mère, lelia maria gibert, était issue d’une famille américaine d’origine française 2 . son père, lindley hoffman Chapin, descen dait d’une famille américaine opulente dont les racines étaient anglaises3 lindley Chapin épousa lelia gibert en 1878 et adopta la religion catholi que de son épouse. marguerite, la fille née de leur mariage, reçut donc une éducation catholique.

marguerite n’avait que cinq ans lorsqu’elle perdit sa mère. son père, per sonnage bien connu dans le beau monde, se remaria en 1888 avec Cornelia garrison van auken, de confession presbytérienne, dont il eut trois enfants4 qui, eux, reçurent une éducation presbytérienne. la mort du père en 1896 fit d’elle une jeune orpheline de 16 ans. À sa majorité, cinq ans plus tard, elle hérita du capital de son grand-père maternel. Dès lors elle put disposer à sa guise de sa fortune, prendre librement ses propres décisions et mettre ses projets à exécution. Désireuse d’échapper à sa situation aux États-unis, elle partit pour paris en 1902, en compagnie d’une chaperonne canadienne5 le sentiment d’être une étrangère au sein de sa famille, avec un frère et des sœurs plus jeunes qu’elle, élevés dans une autre religion que la sienne et surtout la difficulté des rapports qu’elle entretenait avec sa belle-mère la poussèrent à se construire une vie personnelle en europe 6. D’autre part, la

2 on ne saurait dire avec exactitude quand cette branche de la famille gibert a immigré aux États-unis. Dans les travaux de Charles n. Baldwin et henry howard Crapo on peut pourtant trouver des références à des membres de la famille gibert qui vivaient à a ix-enprovence, voir : A universal biographical dictionary, containing the lives of the most celebrated characters of every age and nation, new York 1825, p. 211. gloria groom, à son tour, a écrit : « on her mother’s side, she was the great-granddaughter of a ship-builder from Bordeaux who had settled in new York at the end of the nineteenth-century », cf. gloria groom, Edouard Vuillard. Painter – Decorator. Patrons and Projects, 1892-1912, london, BCa in arrangement with Yale university press, 1994, p. 180. Ce dont on peut être sûr, c’est que son grand-père maternel, Frederic e . gibert, est né à newport, Rhode island.

3 l’un de ses ancêtres, le puritain Deacon samuel Chapin, émigra au massachussetts en 1635.

4 lindley hoffman paul Chapin (1888-1938), Katherine garrison Chapin (1890-1977) et Cornelia van auken Chapin (1893-1972). Katherine épousa en 1918 Francis Biddle, qui sera plus tard procureur général des etats unis au tribunal international de nürnberg. Cornelia ne se maria pas. Contrairement à marguerite, ses deux demi-sœurs furent elles-mêmes artistes : Katherine était poète, et Cornelia sculpteur.

5 i l est assez surprenant que le nom de cette demoiselle de compagnie ne soit nulle part précisé alors qu’elle est mentionnée à plusieurs reprises dans la correspondance familiale et dans des publications.

6 pour les informations biographiques sur marguerite Caetani et sa famille nous nous sommes servis principalement d’articles publiés dans le New York Times de 1879 à 1911, et de plusieurs chapitres vouées à la vie et aux occupations de marguerite Caetani dans les

sophie leviex

mlle Chapin, une amÉRiCaine À paRis

présence à paris de certains membres de sa famille maternelle, et l’attrait qu’exerçait la France sur sa famille paternelle – père notoirement franco phile, grand-père mort à paris en 1878 – ont dû aussi jouer un rôle impor tant dans sa décision d’aller vivre dans cette ville. elle emménagea d’abord dans un hôtel de l’avenue des Champs-elysées où vivaient des membres de sa famille maternelle, déménagea ensuite dans un appartement de l’ave nue d’iéna, cette fois encore à proximité d’autres membres de sa famille et finalement choisit, en 1910, de vivre seule dans un grand appartement de la rue de l’université. son train de vie était, comme on peut l’imaginer, celui d’une riche héritière américaine. elle prenait, comme tant d’autres a méricaines, des cours de chant chez Jean de Reszke7, passait sans doute beaucoup de temps dans les musées, les salles de théâtre et à l’opéra. son principal intérêt se porta d’abord sur la peinture et sa carrière de mécène débuta par des commandes de tableaux aux peintres de son époque. C’est ainsi que Bonnard fit son portrait en 1910, vuillard fit d’elle des portraits peints et des dessins dans des cadres variés et fut aussi chargé de décorer les murs de sa salle à manger, rue de l’université8. Depuis, et jusque bien après la Deuxième guerre mondiale, les beaux-arts s’inscrivirent comme un fil rouge dans sa carrière. elle passait des commandes chez des peintres et des sculpteurs, visitait assidûment les galeries à la recherche de nouveaux talents, et achetait régulièrement des grands et des petits tableaux de pein tres français et plus tard aussi italiens. avec le krach de la bourse de new York en 1929, la position financière de marguerite Caetani se détériora. Cette situation délicate dura jusque dans les années 1930, date à laquelle

livres de gloria groom et helen Barolini. Cf. gloria groom, An American Princess and the “Féerie bourgeoise”: The Commission for Mlle Chapin, 1910-1911, in id., Edouard Vuillard, pp. 179-199 ; 241-245 (notes) et helen Barolini, Yankee Principessa : Marguerite Caetani, in id., Their Other Side. Six American Women and the Lure of Italy, new York 2006, pp. 177-231 ; 290, 291 (notes). Beaucoup de ces informations ont été recueillis par paul op de Coul (a msterdam) qui est en train de préparer une biographie sur Roffredo Caetani. nous lui sommes très reconnaissantes de la permission qu’il nous a donné de nous servir de ses matériaux. la première biographie couvrant la vie complète de marguerite Caetani, écrite par l’auteur canadien laurie Dennett, paraîtra en 2016.

7 Jean de Reszke (1850-1925) fut un ténor fameux associé à l’opéra métropolitain de new York. au début du vingtième siècle, il émigra à paris où il donna des cours de chant. pendant ses années américaines il s’était lié d’amitié avec le père de marguerite Caetani. Cf. marella Caracciolo, « ninfa e gli ultimi Caetani», in marella Caracciolo e giuppi pietromarchi (testi), marella a gnelli (fotografie), Il giardino di Ninfa, torino 1997, p. 82.

8 pour de plus amples informations concernant les tableaux de vuillard où figure marguerite Caetani, et pour les commandes qu’il reçut d’elle, cf. groom, An American Princess and the “Féerie bourgeoise”, in id., Edouard Vuillard

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elle se vit contrainte de suspendre la publication de Commerce. pourtant ces difficultés ne l’empêchèrent pas de contribuer comme par le passé à l’orga nisation d’expositions d’art moderne à londres, à paris, et à new York. on ne sait pratiquement rien de la formation dont elle a joui aux États-unis. néanmoins tout porte à croire que, stimulée par les intérêts culturels de son père et de son grand-père d’une part et influencée d’autre part par la famille gibert résidant en France, elle ait pris la décision d’aller à paris pour y jouer un rôle dans la vie artistique, d’autant plus que paris, ne l’oublions pas, était en ce début du vingtième siècle la capitale culturelle du monde.

Quoique le nom de « m iss » ou m lle Chapin commence à paraître dans des journaux intimes et dans des lettres (publiées et inédites) vers 1910, les données dont nous disposons à ce jour ne nous permettent pas d’offrir une description des dix premières années de sa vie à paris. Quels milieux fré quentait-elle ? Qui recevait-elle à son domicile ? Quels voyages a-t-elle fait en europe ? toutes ces questions sont restées, jusqu’à présent, sans réponse. À son arrivée à paris, elle était très jeune – elle n’avait guère plus de vingt et un ans – et de plus, elle n’avait, pour autant que l’on sache, aucune expé rience dans les affaires artistiques.

Comme elle n’a pas tenu de journal intime et que sa correspondance de ces années-là a disparu, il est difficile d’établir si le mécénat était inscrit, dès le début, dans son projet de carrière. on ignore également quels ont été ses inspirateurs, ses choix ultérieurs. gabriele D’a nnunzio, giovanni Boldini, pierre Bonnard, edouard vuillard, aristide maillol et edward gordon Craig font partie des nombreux contacts artistiques qu’elle a entretenus dans les années 1910 et après9. Dans les milieux artistiques, sa présence ne commença à devenir notable qu’à partir du moment où elle s’installa dans sa propre maison. la période parisienne qui précède ce moment semble avoir été une période d’apprentissage. À partir de 1910, on commence à rencon trer, çà et là, son nom dans les lettres et les journaux intimes des personnes qu’elle avait l’habitude de fréquenter, et ces mentions nous permettent de jeter un regard furtif sur le genre de vie qu’elle menait. on trouve ainsi

9 marguerite faisait une forte impression sur les hommes qu’elle rencontrait. sur les sentiments que nourrissait vuillard pour elle, on consultera le livre de gloria groom. harry graf Kessler était charmé par marguerite, et on dit que gabriele D’a nnunzio fut passion nément amoureux d’elle (cf. Christiane von hofmannsthal, Ein kleines nettes Welttheater. Briefe an Thankmar Freiherr von Münchhausen, herausgegeben von Claudia mertz-Rychner in zusammenarbeit mit maya Rauch, Frankfurt am main, p. 90). les lettres adressées à marguerite Caetani par certains auteurs de Commerce trahissent des sentiments plus qu’amicaux.

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dans les carnets non publiés de vuillard des descriptions de séances de pose qui se réfèrent à marguerite10. puis, à la date de 16 novembre 1910, elle est mentionnée pour la première fois dans le journal intime du diplomate et connaisseur d’art allemand harry graf Kessler, qui écrit : Déjeuné chez les schepfers avec maillol et une jeune a méricaine enjouée et aima ble du nom de m iss Chapin dont Bonnard a fait, paraît-il, le portrait11.

Un salon à Versailles

vers la fin de l’été 1910, lors d’une visite à l’opéra, Étienne Bibesco, un des soupirants déçus de marguerite Chapin12, la présente à Roffredo Caetani13, deuxième fils d’onorato Caetani, Duca di sermoneta, et de ada Bootle Wilbraham, sa femme anglaise. Roffredo Caetani, qui avait pour parrain Franz liszt et qui vers 1900 s’était rendu à Berlin et à vienne pour connaître la vie musicale de la ville, était lui-même compositeur. Depuis 1902, il résidait à paris, où l’on interpréta ses compositions à plusieurs repri ses et où il fréquentait assidument les milieux de la noblesse dans l’espoir de se faire connaître. Roffredo Caetani et marguerite Chapin tombèrent amoureux l’un de l’autre et se marièrent à londres le 30 octobre 1911 après avoir obtenu la bénédiction du père14. Roffredo Caetani avait alors 40 ans,

Dans gloria groom (cf. groom, An American Princess and the “Féerie bourgeoise”, in id., Edouard Vuillard ), on trouve plus d’une vingtaine de références à des rencontres entre Caetani et vuillard décrites dans les carnets de ce dernier. i l s’agit de déjeuners chez marguerite en compagnie d’autres personnes, des séances de pose, et des visites d’ateliers (entre autres celui de Bonnard).

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11 « Bei schepfers gefrühstückt mit maillol und einer sehr hübschen lustigen a merikanerin, m iss Chapin, die sich von Bonnard hat malen lassen », harry graf Kessler, Das Tagebuch 1880-1937, vierter band 1906-1914, herausgegeben von Jörg schuster unter m itarbeit von Janna Brechmacher, Christoph hilse, a ngela Reinthal und günther Riederer, stuttgart 2005, p. 605.

12 voir : Barolini, Yankee Principessa : Marguerite Caetani, p. 190.

13 Roffredo Caetani est né le 13 octobre 1871 à Rome, et mort le 11 avril 1961 à ninfa. en 1903 il reçut le titre de principe di Bassiano. après la mort d’onorato Caetani en décem bre 1946, fils de son frère aîné léone Caetani (1869-1935), il acquit aussi le titre de Duca di sermoneta. À paris, Roffredo et marguerite Caetani étaient connus sous le nom de prince et princesse de Bassiano. marguerite Caetani signait ses lettres marguerite de Bassiano ou parfois marguerite Caetani di Bassiano.

14 « mon cher père, Roffredo m’a télégraphié – son message me comble de bonheur – que vous acceptez de me considérer comme votre fille. C’est pourquoi je pense que je peux vous appeler ainsi. J’espère trouver ma voie vers votre cœur grâce au grand amour que j’éprouve pour lui et il me tarde de vous montrer l’amour et la gratitude qui remplissent le mien pour vous. C’est la musique qui nous a unis, Roffredo et moi, et mon plus grand désir est de faire

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marguerite Chapin 31. pendant les premières années de leur mariage ils partagèrent leur temps entre la France (paris et la côte normande), Rome, et londres où Roffredo avait de la famille du côté maternel. l’appartement de marguerite dans la rue de l’université à paris resta cependant leur domicile officiel où ils organisaient fréquemment des dîners pour un petit noyau d’amis choisis (souvent du milieu de la noblesse) et autres relations du monde artistique15. en 1913, un premier enfant, lelia16, naquit à paris. la déclaration de la première guerre mondiale obligea le couple à retourner en italie, où Roffredo offrit ses services bénévoles dans ce qu’on appelait alors un treno ospedale . i l se dédia aussi à la gestion des propriétés de la famille17, des latifundia à Rome et au sud de la capitale, pendant que marguerite rési dait au nord avec sa fille tantôt à Castel gandolfo, tantôt à Rocca di papa ou ailleurs. après la naissance de son fils Camillo à Florence en 191518, elle séjourna à varese et Forte dei marmi. en novembre 1917, marguerite aurait pu rentrer avec ses enfants à Rome, mais il semble qu’elle préféra finalement rentrer en France, car à l’automne 1920, la famille Caetani s’installa dans la villa Romaine de l’avenue Douglas haig à versailles où ils recevaient, un dimanche sur deux, tout ce qui comptait dans la vie artistique et culturelle internationale de l’époque : artistes, compositeurs, chanteurs, chefs d’or chestre, écrivains et éditeurs. C’est ainsi que marguerite assura sa position

de sa musique le principal intérêt de ma vie. J’espère vous rencontrer bientôt pour que vous puissiez commencer à m’aimer le plus tôt possible et croire à la profonde affection de votre fille, marguerite ». lettre non publiée et non datée de marguerite Caetani à son beau-père, sur papier à lettres de l’hôtel engadiner Kulm st. moritz, engadine. Vendredi matin [15 septembre 1911]. « my dear Father, since Roffredo has telegraphed me the words containing my happiness – that you are willing to accept me as your daughter – i think i may call you this. With the help of my great love for him i hope to find the way to your heart and i am impatient to show you the love and gratitude that i feel in mine for you. a s it was music that brought Roffredo and me together so my dearest wish is to make his music the greatest interest of my life. i hope so much to see you very soon so that you may begin to love me as quickly as possible and believe me your loving daughter, marguerite » Friday Morning, [15 september 1911].

15 « nous avons eu chez nous deux dîners plutôt agréables. h ier les Casati, la princesse landriano, Boldini et D’a nnunzio. (…) puis, le second avec messager et m. et m me Jean de Reszke ». lettre non datée [1912 ?] de marguerite Caetani à son beau-père (Fondazione Camillo Caetani). « We have had two rather amusing dinners lately chez nous. Yesterday the Casati, the princesse landriano, Boldini and d’a nnunzio. (…) t hen our other dinner (very small and select) consisted of messager and m. et m me Jean de Reszke ».

16 lelia Caetani (1913-1977).

17 le pater familias, onorato Caetani, venait de mourir, le 2 septembre 1917.

18 Camillo Caetani (1915-1941).

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de mécène et de médiatrice, dont les fondations avaient déjà été posées au cours de ses années parisiennes d’avant la guerre. s’il y eut des livres d’or, ceux-ci n’ont malheureusement pas survécu. mais les lettres de l’archivio Caetani et d’autres sources, publiées ou non, nous fournissent une longue et intéressante liste de noms. tous les invités avaient bien évidemment des expériences différentes et chaque auteur nous présente une perspective personnelle ; néanmoins, la totalité de ces docu ments réussit à nous fournir une espèce de photographie du déroulement des dimanches chez les Caetani. vers la fin de la matinée, une voiture avec chauffeur venait chercher certains invités à paris pour les conduire à versailles, d’autres y arrivaient par leurs propres moyens. on attachait, bien évidemment, une grande valeur à la conversation ; on y jouait et on écoutait de la musique19, on discutait littérature, on y faisait passer des carnets de dessins et des cartons, et l’on y dînait. parfois, on comptait jusqu’à trente couverts. Dans les rapports qu’ils en donnent, les invités de la villa Romaine semblent généralement émettre des jugements favorables sur l’atmosphère du salon, sur les personnes rencontrées, et sur l’échange culturel qui y avait lieu. les lettres écrites par les correspondants de marguerite Caetani nous en présentent quelques exemples pris sur le vif. i l ne faut pourtant pas oublier que la plupart des invités se trouvaient dans une relation de dépendance aux Caetani, et qu’ils avaient souvent, socialement et financièrement, intérêt à entretenir leurs contacts avec elle. Ceci avait certainement une influence sur ce qu’ils écrivaient, non seulement dans la correspondance avec leur hôtesse, mais aussi dans les lettres qu’ils échangeaient entre eux. Dans les écrits où ils se savaient parfaitement libres, dans des paragraphes de journal intime ou dans des lettres à des tiers qui ne faisaient pas partie du petit cercle, on rencontre parfois des descriptions moins diplomatiques de l’hôte et de l’hô tesse. Roger Fry, poète, peintre et critique d’art britannique, nous en donne un exemple dans le compte rendu qu’il écrivit de sa visite à la villa Romaine à son amie helen a nrep, en date du 11 novembre 1925 : (…) h ier, groethuysen, cet extraordinaire Russo, néerlando, germano, Français aux yeux de porc, est venu me chercher pour aller chez la princesse Bassiano ; nous nous sommes rencontrés à la galerie hessel, dans la rue de la Boëtie. pendant que nous attendions, nous avons regardé une collection de machins nègres, très grande mais qui, quoique peu sélective, comporte quelques éléments splendides et je dirai même de première classe. Je vais essayer de placer un article dans le Burlington

19 Roffredo Caetani était occupé par les préparatifs de la première de son opéra Hypatia, qui eut lieu à Weimar, en mai 1926. parfois, il jouait sur son piano à queue des parties de cette pièce pour les invités.

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sur cette exposition (…) la princesse, qui est une gentille petite a méricaine naïve, et en tant que telle dotée d’une extrême passion pour la poésie, arriva et nous embarqua pour sa splendide villa de versailles. une maison immense et horrible ment froide – un dîner excellent ; elle est célèbre pour ses entremets, mais hélas ! rien que du champagne (quoique bon dans son mauvais goût) deux enfants d’une exquise gentillesse. le prince est italien et la caricature en beau d’un lord anglais. une famille d’énormes chiens bergers du sussex qu’on doit sans cesse ramener dans le coin où ils sont censés rester couchés. groethuysen qui fait des ronds dans l’air avec ses mains en devisant dans l’abstrait. après le dîner, groethuysen et le prince se sont retirés pour travailler à la traduction allemande d’un opéra que le prince a écrit en italien et dont il a composé la musique – un si beau prince serait-il vraiment capable d’être musicien et poète ? – et on me laissa le soin de parler poésie et peinture : Waley, e liot, ezra pound, virginia Woolf, etc. avec la princesse – et de déambuler dans sa galerie de peintres : Derain, marchand, une belle toile de vuillard et sa dernière acquisition, ce sale jeune surréaliste masson sur lequel je lui ai donné mon avis sans réserves. voir ce monde qui a acquis vuillard, Derain et segonzac acheter maintenant, par pur snobisme, une saloperie d’art nouveau m’a jeté dans un emportement peu poli et peu diplomatique. le temps commençait à se faire long ; groethuysen et le prince finirent par arriver et nous sommes retournés en voiture à paris20.

le compte rendu de Fry confirme, encore une fois, l’importance qu’avaient les beaux-arts et la poésie aux yeux de marguerite Caetani. les différentes

20 « (…) Yesterday groethuysen, that extraordinary pig-eyed Russian, Dutch, german, Frenchman, came to fetch me to the princess Bassiano’s ; we met at hessel’s gallery in the rue de la Boëtie. While waiting we saw his collection of negro stuff, which is very large and, though not select, has some splendid pieces, some absolutely first-rate. i must try and get a Burlington article on that. (…) t he princess, who is a nice innocent little a merican with all an a merican’s passion for poetry, came and took us off in her car to her splendid villa at versailles. a big grand house and horribly cold – a very good dinner ; she’s celebrated for her entremets, but alas ! only champagne (tho’good of its beastly kind), two exquisitely pretty children. t he prince is italian and a caricature en beau of the english lord. a family of enormous sussex sheep dogs, which had to be continually shepherded back into the corner where they were supposed to lie. groethuysen waving his hands in the air as he speculated in the abstract. a fter dinner groethuysen and the prince retired to work at the german translation of an opera which he has written in italian and composed the music of – can so pretty a prince really be a musician and a poet ? – and i was left to talk poetry and painting. Waley, eliot, ezra pound, virginia Woolf, etc., with the princess – and to go round a picture gallery, Derain, marchand and a fine screen by vuillard and her latest addition, that beastly young surrealist masson on which she had my opinion sans réserves. to see people who’ve got vuillard and Derain and segonzac, now buying out of sheer docile snobbism this foul art nouveau muck made me let fly quite impolitely and impoliticly. t he time began to drag hea vily and at last groethuysen and the prince appeared and we were motored back to paris », Letters of Roger Fry, edited with an introduction by Dennis sutton, london 1972, p. 584.

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correspondances montrent, en même temps, la façon dont elle s’y prit pour construire un véritable réseau littéraire au début des années folles : l’éditeur gaston gallimard la mit en contact avec valery larbaud. elle fut présentée à paul valéry par l’a méricaine natalie Clifford Barney, et c’est léon-paul Fargue qui, à sa demande, l’introduisit auprès de saint-John perse. elle se plongea dans l’étude des œuvres de ces auteurs qui étaient tous liés à La Nouvelle Revue Française, la fameuse revue fondée par a ndré gide et quelques amis avant la première guerre mondiale, et qui était devenue une grande puissan ce littéraire à paris dans les années 1920. À partir de 1921, marguerite Caetani se mit à rassembler dans son salon un groupe de talents littéraires auxquels elle put faire appel lorsque ses projets de revue littéraire se concrétisèrent. lors d’une discussion pendant un dimanche à versailles naquit l’idée de fon der une revue littéraire qui n’offrirait dans ses pages que de la littérature pure (c’est-à-dire : de la prose, de la poésie, des drames)21. il n’y aurait pas de place pour la critique, les faits divers, les publicités, les images, les commentaires de textes et autres choses du même acabit – ce genre de textes pouvait se lire dans d’autres revues. Depuis combien de temps marguerite Caetani mûrissait-elle ce projet ? et s’est-elle inspirée de l’exemple de prédécesseurs22 ? la fondation de cette revue ne représentait-elle qu’une de ses nombreuses initiatives desti nées à offrir aux auteurs la possibilité d’écrire dans une tranquillité relative, sans devoir perdre leur temps et leur énergie dans une quelconque occupation alimentaire23 ? est-ce que les initiateurs visaient déjà un public spécifique, ou est-ce que Commerce ne constitua d’abord qu’une plateforme pour un

21 pour plus de détails concernant l’histoire de la fondation de la revue, voir : levie, pp. 15-24. pour de plus amples informations sur Commerce, et la position qu’occupa la revue dans l’histoire de la littérature européenne, voir : Rabaté.

22 Ève Rabaté, dans ce contexte, fait référence à natalie Clifford Barney, qui décrit dans ses mémoires ses activités pour aider les auteurs en difficulté financièrement. Cet exemple aurait inspiré marguerite Caetani, cf. natalie Clifford Barney, Aventures de l’esprit, paris 1982, 1983 (1929), p. 131, 132. Caetani fut certainement au courant des développements autour de la revue Criterion, dirigé par t s e liot et financé par la vicomtesse de Rothermere (pour de plus amples informations sur ceci, voir : The Letters of T.S. Eliot, vol. 2 : 1923-1925, edited by valerie e liot and hugh haughton, london 2009).

23 pour un exemple britannique, on peut penser à la revue Bel Esprit, fondée en 1921 par ezra pound afin de libérer t s eliot de son travail de bureau chez lloyds Bank et ainsi de permettre à des bienfaiteurs anonymes de le soutenir. Cette initiative, qui fit d’ailleurs bientôt naufrage, fut également soutenue financièrement par natalie Clifford Barney et marguerite Caetani, cf. concernant la revue Bel Esprit, par exemple : ian hamilton, « how much », London Review of Books, vol. 20, no. 12, 18 June 1988, p. 7, 8. selon Clifford Barney, la revue Commerce fut fondée pour aider financièrement paul valéry, cf. Clifford Barney, Aventures de l’esprit, p. 131, 132. pour notre part, nous n’avons pu vérifier cette hypothèse.

petit groupe d’auteurs français partageant une esthétique commune ? on ne saurait répondre à ces questions de façon complètement satisfaisante, mais la correspondance des fondateurs montre que toutes ces questions se sont posées à un moment ou à un autre lors de la naissance de la revue. toutefois on peut affirmer que les auteurs qui ont contribué au développement de ce projet dans le salon de Caetani font partie du noyau dur des invités à la villa Romaine, c’est-à-dire : valery larbaud, léon-paul Fargue, paul valéry, Jean paulhan, et a lexis saint-leger leger. les trois premiers, larbaud, Fargue, et valéry, furent nommés directeurs. paulhan était à cette époque déjà lié par son rôle de secrétaire de La Nouvelle Revue Française, association qui barrait la route à toute affiliation officielle avec une deuxième revue. leger, qui avait adopté le pseudonyme de saint-John perse depuis la publication d’un long poème épique intitulé Anabase, s’était embarqué dans une carrière diplomatique et faisait une distinction rigoureuse entre sa vie artistique et sa vie diplomati que24 il n’y a guère de traces qui indiquent une influence de celui-ci dans la fondation de la revue qui, après quelques discussions, fut baptisée du nom de Commerce 25 . il n’en reste pas moins que, dans ses écrits, leger s’attribue un rôle très important dans cette entreprise26. Quoi qu’il en soit, à partir de ce moment, marguerite Caetani concentra ses forces sur ce projet, et chercha par tous les moyens à faire de sa revue une entreprise florissante. il est clair qu’elle a dû voir dans Commerce un moyen de réaliser différentes ambitions qu’elle

24 voir : saint-John perse, Œuvres complètes, paris 1972 (Bibliothèque de la pléiade), p. 1093, 1094.

25 selon l’une des versions de cette histoire ce serait valéry qui aurait proposé le titre de « Commerce des idées ». selon d’autres, il s’agirait d’une citation du premier chant d’Ana base, poème épique de saint-John perse publié dans La NRF le 1 janvier 1924. la citation serait la suivante : « ce pur commerce de mon âme ».

26 Dans les Œuvres complètes de saint-John perse on peut lire : « Commerce : revue littéraire fondée, en 1924, à paris par la princesse de Bassiano, à l’instigation de saint-John perse, et pour la direction de laquelle il l’assistait amicalement, la rédaction demeurant pla cée, ostensiblement, sous la caution nominale de trois amis du poète : paul valéry, valery larbaud et léon-paul Fargue. Jean paulhan aidait parfois saint-John perse à recueillir des manuscrits, où s’exerçait finalement son choix », saint-John perse, Œuvres complètes, p. 1304. Comme l’édition des œuvres complètes a été faite par saint-John perse lui-même, et comme on sait que le rôle qu’il s’attribua fut beaucoup plus important que celui qu’il avait en réalité, il serait sage peut-être de reconsidérer ces mots avec une grande précaution. a cela s’ajoute qu’à cette période, il entretenait une liaison amoureuse avec marguerite Caetani, fait très connu dans la « petite histoire » littéraire française (cf. Rabaté, p. 34). De plus, on ne trouve que deux billets de saint-John perse (datant, respectivement, de 1923 et de 1924) dans l’a rchivio Caetani, tandis qu’il y a une abondante quantité de lettres des trois rédacteurs et de paulhan à marguerite Caetani.

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caressait de longue date : réunir sa passion pour la littérature et son désir de soutenir de jeunes auteurs prometteurs, utiliser en outre son capital américain d’une manière constructive plutôt que de le dépenser dans des réceptions, de sporadiques commandes de tableaux et l’acquisition de pièces d’art pour sa collection privée. elle établit la société a nonyme de Commerce, et ouvrit un compte contenant un capital de 60.000 francs au nom de cette société à la banque de morgan harjès à paris27. les trois rédacteurs principaux reçu rent, en tant que membres de l’association, une centaine d’actions de 100 francs pour prix de leur contribution intellectuelle. a insi, la moitié du capital resta en possession de marguerite Caetani, ce qui garantissait sa position. le peintre a ndré Dunoyer de segonzac, dont on appréciait beaucoup les visites à la villa Romaine, et avec qui marguerite Caetani courait fréquemment les musées et les galeries, fut nommé au poste de commissaire. le « rapport du Commissaire » composé par celui-ci le 28 novembre 1924, précise le côté financier de l’entreprise. il définit également la valeur intellectuelle et morale que la revue devrait emprunter au fait que valéry, Fargue et larbaud s’y associèrent ouvertement. la fonction de marguerite Caetani y est décrite comme celle d’ administratrice statutaire28. le premier cahier de Commerce avait alors déjà paru 29 . la page de garde de tous les numéros sans exception mentionne :

Commerce

cahiers trimestriels publiés par les soins de paul valéry, léon paul Fargue, valery larbaud

l’absence du nom de marguerite Caetani s’explique partiellement par le fait que sa position sociale ne lui permettait pas de jouer un rôle public dans la vie littéraire. i l ne lui était pas possible de participer à la vie culturelle parisienne ainsi que le firent par exemple ses concitoyennes sylvia Beach et gertrude stein 30 . elle n’aspirait d’ailleurs pas à un rôle de libraire, d’édi

27 soit l’équivalent d’à peu près 45.000 euros d’aujourd’hui (en 2015).

le rapport du commissaire est cité dans levie, Commerce, p. 238, 239.

le premier numéro est paru l’un des derniers jours d’août de 1924, le dernier, au printemps de 1932. au total, il y a eu 29 numéros de Commerce. l’ambition était de publier un cahier par saison.

30 Dans l’étude fameuse de hugh Ford, intitulé Published in Paris, des chapitres sont consacrés à toutes les deux : « From princeton to paris : sylvia Beach » et « gertrude stein’s plain editions » in hugh Ford, Published in Paris. American and British Writers, Printers and Publishers in Paris, 1920-1939, with a foreword by Janet Flanner, new York, pushcart press, 1975, pp. 3-33 et pp. 231-252. parmi les nombreuses études publiées après le livre de

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teur, ou de conseiller de jeunes talents, comme le remplirent ces dernières. une position trop clairement marquée sur la scène littéraire pourrait impli quer une obligation de faire des choix politico-littéraires, ce qui aurait eu pour résultat de la rendre vulnérable. Cela ne siérait pas à une dame de la noblesse, noblesse dont elle faisait partie depuis son mariage avec Roffredo Caetani et à laquelle elle avait décidé de se conformer. en tant que princesse de Bassiano elle pouvait, comme la princesse marthe Bibesco, ou encore comme sa concitoyenne Winnaretta singer (mieux connue sous le nom de princesse edmond de polignac), exercer un rôle de mécène ou d’intermé diaire entre différentes personnes et institutions31. Contrairement à ces deux femmes, dont la présence publique et sociale était nettement plus marquée, marguerite Caetani ne chercha pas tant la publicité. la manière dont elle exerçait son rôle de mécène rentrait pourtant parfaitement dans la logique de la tendance générale du financement des arts dans la première moitié du vingtième siècle. après plus de cent ans de révolutions en France, en a llemagne, en Russie et ailleurs, la noblesse ne jouant plus aucun rôle signi ficatif dans la vie politique, elle se tourna vers l’art. ou, comme l’exprime harry graf Kessler dans un paragraphe de son journal intime de 1919 : Berlin, vendredi 12 déc. 1919. Déjeuné avec le prince héritier Reuss qui m’a téléphoné hier ‘pour reprendre contact’, comme il a dit. Je ne l’avais pas revu depuis 1915. i l fait du théâtre, ce en quoi il a parfaitement raison car la culture est le seul domaine où l’aristocratie déchue puisse encore montrer ses talents32

C’est dans ce contexte qu’il faut voir et comprendre l’aventure dans laquel le se lança marguerite Caetani. C’était d’une part l’entreprise d’une mécène qui, de par son mariage, s’était liée à la cour italienne et fréquentait les plus hautes sphères, acceptant toutes les conventions restrictives liées à sa position.

Ford et qui éclairent des aspects différents de la scène littéraire anglophone à paris, on peut encore indiquer celle de noel Riley Fitch : Sylvia Beach and the Lost Generation. A History of Literary Paris in the Twenties & Thirties, new York, london 1983 et The Letters of Sylvia Beach, edited by Keri Walsh, with a foreword by noel Riley Fitch, new York 2010.

31 voir : ghislain Diesbach, La Princesse Bibesco. La dernière orchidée, paris 1986, et sylvia Kahan, Music’s Modern Muse : A Life of Winnaretta Singer, Princesse de Polignac. Rochester 2009 (2003).

32 « 12 Dez. 1919. Freitag. Berlin. gefrühstückt mit dem erbprinzen Reuss, der mich ges tern antelephoniert hatte, ‘um wieder verbindung aufzunehmen’, wie er sagte. ich hatte ihn seit 1915 nicht gesehen. er widmet sich dem t heater ; sehr vernünftig, da die Kultur das ein zige geblieben ist, wo die gefallenen Fürstenhäuser noch Dienste leisten können », harry graf Kessler, Das Tagebuch 1880-1937, siebter band 1919-1923, herausgegeben von a ngela Reinthal unter m itarbeit von Janna Brechmacher und Christoph h ilse, stuttgart 2007, p. 284.

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De l’autre, c’était l’entreprise d’une a méricaine fortunée, passionnée par les beaux-arts, la musique, et la littérature, qui s’inventa une fonction honorable lui permettant de s’occuper des choses qui l’intéressaient et de suivre de près leurs développements les plus actuels. il est pourtant difficile de savoir si elle avait prévu toute l’ampleur de cette tâche qui allait occuper la plus grande partie de son temps pendant une période de neuf ans et la contraindre à entretenir une correspondance, parfois très intense, avec les plus grands noms de la vie littéraire internationale de l’entre-deux-guerres.

l’effacement de marguerite Caetani dans tout le projet Commerce pourrait aussi s’expliquer par le fait qu’elle avait conscience de n’être, dans le monde littéraire, qu’un acheteur passionné de livres et une lectrice de textes anciens et nouveaux. elle n’écrivait pas elle-même des textes littéraires et n’était, par conséquent, aux yeux des auteurs qu’elle approcha qu’une interlocutrice, une admiratrice, une personne qui leur servait de caisse de résonance, mais jamais une collègue. l’autorité que possédaient les trois rédacteurs de Commerce, et le réseau littéraire qu’ils s’étaient constitué au cours de leur carrière, étaient nécessaires pour la réalisation des objectifs de la revue. i l s’agissait en premier lieu d’établir un forum où il leur serait possible de publier leurs propres tex tes et de rendre compte de l’actualité des lettres françaises. i l fallait ensuite absolument, selon les vœux de marguerite Caetani, que Commerce soit une revue aussi internationale que possible. s’il n’avait tenu qu’à larbaud et – à un moindre degré – à paul valéry, Commerce n’aurait d’ailleurs jamais obtenu un statut officiel. leur correspondance du tout début de la fondation de la revue montre qu’ils avaient des réserves considérables concernant la réalisa tion du projet. pourquoi transformer en institution publique une discussion littéraire qui dans le contexte privé et amical se déroulait à merveille pour tous ceux qui y étaient engagés ? i l existait déjà, remarquait larbaud, un si grand nombre de revues, pourquoi en ajouter encore une33 ? mais marguerite Caetani tint bon.

la grande histoire de la culture a déjà fait mention de l’immense essor du monde artistique parisien pendant les premières décennies du vingtième siè cle. elle a parlé des nombreux a méricains, Russes et ressortissants d’autres pays qui, ayant fui leur patrie pour des raisons évidemment très différentes, se mêlèrent à la vie artistique française dans tous ses aspects34. mais c’est

levie, p. 22, 23.

34 Dans leur description du milieu artistique, Ford et Riley Fitch (supra, note 30) don nent un panorama de l’internationalisation de la vie culturelle à paris dans les premières décennies du vingtième siècle, internationalisation venue de l’ouest, c’est-à-dire de l’a n gleterre et des États-unis. Des informations spécifiques sur la contribution des femmes

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dans la petite histoire – les journaux intimes, les correspondances, et les (auto)biographies (dont le nombre à notre disposition ne cesse d’ailleurs d’augmenter)35, que l’on peut trouver les informations concernant l’identité de ceux qui se fréquentaient et les relations qu’entretenaient les cercles sociaux entre eux. marguerite Caetani était bien placée pour connaître l’internationalisation de la culture parisienne, et il est hautement regrettable du point de vue de l’historien de la littérature qu’elle ne tînt pas de journal où l’on aurait pu retracer plus en détail ses observations, ses opinions, et ses rencontres dans le monde. on pourrait même avancer que marguerite Caetani était elle-même une représentante de cette internationalisation – son origine américaine et son mariage avec un homme de la noblesse italienne qui, par tradition familiale, était un cosmopolite et entretenait de nombreux contacts internationaux, semblent justifier une telle hypothèse36. marguerite et Roffredo Caetani suivaient de près les derniers événements artistiques, profitaient de tout ce que paris avait à offrir dans le domaine de la musi que, et fréquentaient les théâtres, les galeries, et même parfois les cinémas.

comme Barney, Beach, stein, et d’autres, sont fournies par shari Benstock : Women of the Left Bank. Paris, 1900-1940, austin, university of texas press, 1986. Cf. aussi le catalogue très fourni qui accompagnait l’exposition Americans in Paris, organisée dans la national gallery à londres en 2006 (Kathleen adler, erica e h irshner, h. Barbara Weinberg (eds.), Americans in Paris : 1860-1900, london 2006). sur l’influence au moins aussi importante de l’est, on peut consulter : Robert h. Johnston, “New Mecca, New Babylon”, Paris and the Russian Exiles, 1920-1945, Kingston and montreal 1988 et leonid livak, How it was done in Paris. Russian Emigré Literature and French Modernism, madison, university of Wisconsin press, 2003.

35 on trouvera des exemples récents dans les lettres de sylvia Beach (cf. supra, note 30) et la deuxième tome de la correspondance de t. s. e liot (cf. supra, note 22). et pour l’influence des Russes sur la culture française, lire les biographies sur marina tsvetaeva (viktoria schweitzer, Tsvetaeva, london 1992), sur igor stravinsky (stephen Walsh, Stravinsky. A Creative Spring : Russia and France 1882-1934, new York 1999, id., Stravinsky : The Second Exile : France and America, 1934-1971, new York 2006) et sur serge Diaghilev (sjeng scheijen, Diaghilev. A Life, london 2009).

36 le grand-père de Roffredo, m ichelangelo Caetani (1804-1882), a épousé la comtesse polonaise Kaliksta Rzewuska. après sa mort prématurée en 1842, m ichelangelo se remaria avec une a nglaise appelée margaret Knight. sa troisième épouse, harriet e llis howard, était également anglaise. parmi les invités dans son salon du palazzo Caetani se trouvaient stendhal, Chateaubriand, Balzac, scott, longfellow, mommsen, taine ainsi que le compo siteur Franz liszt, qui baptisera Roffredo en 1871. le père de Roffredo, onorato Caetani, épousa, comme on l’a déjà dit, l’a nglaise ada Bootle Wilbraham. a insi, Roffredo était le troisième Caetani consécutif à avoir une épouse anglaise. le mari de lelia Caetani était sir hubert howard (1907-1987). Dans la correspondance des Caetani au cours d’au moins quatre générations, on peut trouver des noms de famille polonais, anglais, et américains.

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De leur correspondance, on peut déduire qu’ils assistèrent à la fameuse interprétation du Sacre du printemps de stravinski en 1913, que marguerite acheta des œuvres de picasso avant que celui-ci ne fût découvert par le grand public, que Roffredo se rendit au cinéma pour aller voir un film avec Charlie Chaplin, et que marguerite et Roffredo assistèrent plusieurs fois à des séances musicales où chantait la basse russe Fédor Chaliapine (entre autres dans une interprétation de Boris Godounov de moussorgski). parmi les nombreux invités reçus à la villa Romaine dans les années 1920, on peut citer, outre ceux qui ont déjà été indiqués ci-dessus, erik satie, Reynaldo hahn, a ndré Derain, aristide maillol, Jacques Rivière et a ndré gide. Cette série de noms nous montre que, malgré toutes les tendances internationalis tes, leur salon fut avant tout un lieu de rencontre pour les artistes français. C’est que Commerce était d’abord une affaire française, la revue était publiée en France, et la plus grande partie de ses publications étaient des textes français qui n’avaient pas encore paru ailleurs37

Un portrait de la revue Commerce

le premier numéro de Commerce contenait des textes des trois directeurs officiels de la revue, un épisode du cycle de La Gloire des rois de saint-John perse, et des fragments d’Ulysse de James Joyce traduits par valery larbaud et auguste morel 38 les textes français n’avaient pas encore été publiés, et les extraits du roman de Joyce parurent ici pour la première fois en traduction française.

ne publier que des textes inédits était l’un des plus importants critères de sélection du programme officieux de la revue Commerce. C’était une règle à laquelle les rédacteurs tenaient particulièrement, et ils veillèrent donc à ce qu’elle fût appliquée de façon rigoureuse, qu’il s’agisse de textes français ou de textes traduits39. i ls s’en servaient à l’occasion comme prétexte pour refu ser certaines contributions ou comme échappatoire lorsque la revue devait faire face à des difficultés.

37 au total, Commerce publia 46 textes français, 19 textes anglais, 8 textes allemands, 7 textes italiens, 5 textes russes, et 3 textes écrits par des auteurs de langue espagnole.

38 Commerce, i, contenait : « lettre », de paul valéry ; léon-paul Fargue, « Épaisseurs » ; valery larbaud, « Ce vice impuni, la lecture » ; saint-John perse, « a mitié du prince » ; James Joyce, « u lysse – fragments ». le numéro comptait 158 pages.

39 la publication de fragments d’Ulysse signifia donc déjà directement une infraction à cette règle. le roman avait été publié en anglais en 1922, réimprimé à Dijon, et divulgué à partir de paris, voir : Richard e llmann, James Joyce, new York, oxford university press, 1959, revised edition 1982.

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le deuxième critère prescrivait que les textes étrangers sélectionnés par le comité des rédacteurs soient traduits en langue française avant d’être publiés, et donc jamais publiés en version originale 40. C’est ainsi que Commerce proposa en traduction française des textes littéraires anglais, allemands, italiens, espagnols, russes et danois. l’idéal était de faire tra duire les poètes par des poètes, ce qui a donné toute une série de duos très intéressants. saint-John perse traduisit, par exemple, un poème de t.s. eliot pour le troisième numéro de Commerce, paul valéry fit des traductions de textes de t homas hardy, et le poète surréaliste louis aragon contribua à une traduction de Léonce und Lena de Büchner. marguerite Caetani pouvait toujours compter sur valery larbaud : il fit pour Commerce des traductions de l’anglais (d’edith sitwell par exemple), de l’italien (entre autres d’emilio Cecchi), et de l’espagnol (par exemple de l’auteur mexicain a lfonso Reyes, et de l’argentin Ricardo guïraldes).

le troisième critère porte sur le mélange des textes de jeunes auteurs (rangés par marguerite Caetani sous l’appellation les « jeunes ») et de textes littéraires plus anciens (les « anciens textes »). pour les jeunes, marguerite Caetani faisait appel à ses rédacteurs et à Jean paulhan, ce qui avait pour conséquence que la plupart des jeunes auteurs dont on publia des textes dans Commerce venaient de France. pour ce qui est des textes anciens, elle se fiait aux conseils inestimables de Bernard groethuysen. i l fit souvent des recherches pour trouver des matériaux inconnus à la Bibliothèque nationale et fournit à Commerce des traités sur la flore et la faune écrits en latin au seizième siècle par le docteur milanais Jerôme Cardan, les récits de voyage du marchand J.B. tavernier contenant des détails sur sa recherche de pierres précieuses en asie au dix-septième siècle, et les histoires de mis sionnaires jésuites traversant la Chine du dix-huitième siècle. groethuysen fit une sélection de ce qu’il estimait convenir à la revue, puis traduisit ce qu’il y avait à traduire et écrivit des introductions aux fragments choisis. i l assista également à la sélection et à la publication d’un certain nombre de textes anciens un peu moins exotiques, comme ceux de maître eckhart et de Frédéric hölderlin. larbaud et d’autres relations fournies par La Nouvelle Revue Française, prirent soin de la publication de textes de sir t homas Wyatt et de giacomo leopardi entre autres. Ces trois critères (publication

40 encore une règle qui n’est pas appliquée de façon rigoureuse. Dans Commerce, iii, une partie du poème The Hollow Men de t.s. eliot fut publiée en version bilingue anglais-fran çais. pour ce qui est de la publication des textes de Roy Campbell, thomas hardy, archibald macleish, Friedrich nietzsche, Ricardo guïraldes, a lfonso Reyes, on imprima dans Commerce le texte original sur la page gauche et la traduction française sur la page droite.

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d’inédits, mélange de textes écrits par des jeunes et de textes plus anciens, et le fait que l’on traduisait tout en français) semblent constituer les règles essentielles de la politique éditoriale de la revue. Comme ce programme n’a jamais été écrit noir sur blanc, on ne peut que le reconstruire à partir d’une classification historico-littéraire des textes publiés dans les vingt-neuf numéros de Commerce, et à travers une analyse des remarques relatives à la critique littéraire que l’on trouve dans les lettres des collaborateurs de la revue. Cette méthode nous permet de dire que la rédaction de la revue n’a jamais publié de déclaration de principe officielle adressée à son public, que l’on ne rencontre pas de remarques de nature critique visant à prendre position par rapport aux courants littéraires de l’époque et que certaines notes permettent de donner au lecteur des informations sur des auteurs de pays et de temps lointains41.

C’était donc pour la mise en pratique de cette politique éditoriale que marguerite Caetani avait nommé ses trois rédacteurs. Dans les années fondatrices de la revue, il fut convenu qu’adrienne monnier, propriétaire d’une librairie appelée La Maison des amis des livres42 située dans la rue de l’odéon et amie des rédacteurs, ferait office de gérante, position qui concernait surtout les finances de l’entreprise 43 . monnier ne collabora avec Commerce que pendant une période très limitée à la suite de complications survenues entre elle et Fargue – complications qui n’étaient pas seulement d’ordre privé mais aussi d’ordre professionnel car le charmant poète ne rendait jamais à temps les travaux qu’il avait promis à la revue – et qui finirent par poser des problèmes à la rédaction en août 1924. les rapports entre Commerce et adrienne monnier étaient donc déjà profondément

41 C’est ce que l’on fit pour les textes de maurice scève et de Friedrich hölderlin dans Commerce, v, dont la postface fut écrite par, respectivement, larbaud et groethuysen. i l en fut de même pour un texte d’edgar a llan poe annoté par valéry, dans Commerce, X iv

42 la librairie d’adrienne monnier se trouvait depuis 1915 au numéro 7 de la rue de l’odéon ; en face, au numéro 12, sylvia Beach fonda Shakespeare and Company. Dans les deux librairies, qui servirent de lieu de rencontre pour la totalité de la société artistique francophone et anglophone, on pouvait non seulement acheter des livres, mais encore les emprunter. on pouvait aussi y feuilleter des revues ou flâner à souhait, voir : laure murat, Passage de l’Odéon. Sylvia Beach, Adrienne Monnier et la vie littéraire à Paris de l’entre-deuxguerres, paris 2003.

43 Dans une lettre non publiée adressée à marguerite Caetani, adrienne monnier présente un résumé de ses tâches : les contacts avec l’imprimeur et l’éditeur, les affaires financières, la fondation et la gestion des archives, la correspondance administrative, et la correspondance avec les trois rédacteurs et les auteurs, suivant les instructions de Caetani et les membres de la rédaction, voir : murat, Passage de l’Odéon, p. 74, 75.

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perturbés au moment de la parution du premier numéro de la revue44. le 16 décembre 1924, tous les travaux relatifs à la constitution de la société a nonyme Commerce ayant été menés à bonne fin, monnier reçut une lettre de marguerite Caetani qui lui demandait de rendre tous les documents concernant l’administration, et la dispensait désormais de toute intervention dans les affaires de Commerce45 vers la fin de 1924, ces difficultés faillirent, malgré les tentatives de réconciliation entreprises par valéry et larbaud, menacer momentanément l’existence de Commerce. on trouva peu après un nouveau gestionnaire en la personne de Ronald Davis46. Ce dernier ne fit pas long feu ; le comité de rédaction ayant découvert de nombreuses fautes dans sa gestion, il fut remercié et remplacé, à partir du numéro i X, par l’éditeur et libraire louis giraud-Badin. l’impression et la publication de la revue fut, pendant toute l’existence de Commerce, confiées à la société générale d’imprimerie et d’édition levé47. l’administration de marguerite Caetani nous fournissant fort peu de données concernant les finances de l’entreprise, il nous est impossible de retracer les détails concernant cette coopération. Ce dont on peut être certain, c’est que ce n’étaient pas les gérants successifs, mais l’administratrice statutaire elle-même qui s’occupait de la correspon dance concernant le contenu de la revue. Caetani était généreuse envers ses rédacteurs, et était – à juste titre – réputée pour rémunérer particulièrement bien ses auteurs. aussi beaucoup d’écrivains désiraient-ils être publiés dans Commerce, les lettres que reçut Caetani en témoignent à plusieurs reprises. Commerce se vendait à un prix relativement élevé et son tirage était plutôt limité, surtout si on le compare à celui d’autres revues de la même époque. tout cela indique que Commerce ne s’adressait qu’à un public choisi et n’eut jamais l’ambition d’occuper une grande place parmi les autres revues littéraires 48 . i l n’y eut jamais d’assemblée générale de la rédaction, à cause, entre autres, de la rupture entre larbaud et Fargue, une séquelle de l’affaire adrienne monnier. l’absence d’assemblée générale a pu, parfois, générer quelques difficultés, mais la manière dont marguerite Caetani s’y prenait

44 Ces complications sont décrites dans : levie, Commerce, pp. 18-24, et dans : murat, Passage de l’Odéon, pp. 74-78 ; une version plus détaillée est fournie par Rabaté, pp. 75-96.

45 Cette lettre a été publié dans levie, p. 20, 21.

46 Ronald Davis est un a nglais qui s’était battu sur le continent pendant la première guerre mondiale, et qui décida de rester en France après la fin de la guerre. i l joua un rôle marginal dans la vie littéraire parisienne en tant que traducteur (entre autres de valéry) et éditeur.

47 pour ce qui est de la gestion des affaires, voir : Rabaté, pp. 96-116.

48 Des chiffres concernant le tirage, le prix, et une comparaison avec d’autres revues sont fournis par Rabaté, pp. 98-102 et pp. 116-127.

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pour diriger ses affaires rendait ce genre de réunions superflu. avaient-elles seulement été prévues ? les données dont nous disposons ne nous permet tent pas de répondre à cette question. marguerite Caetani s’absentait souvent pour des séjours sur la côte normande ou sur la côte méditerranéenne, et les membres de la rédaction ne se trouvaient pas, non plus, toujours à paris. les délibérations concernant la revue se faisaient par correspondance 49 et pendant les après-midi à versailles ou les rencontres à paris. une analyse historico-littéraire des textes publiés dans Commerce nous porte à conclure que la revue était moderne, mais avec modération. les trois rédacteurs étaient des hommes d’âge moyen (ou presque)50 qui avaient gagné leurs galons depuis longtemps, et les jeunes qu’ils recrutèrent n’étaient certainement pas des avant-gardistes purs et durs (dans la mesure toutefois où ce mouvement était encore actif autour de 1925). aux violentes attaques lancées au cours des années 1910 par les représentants des mouvements futu riste, dadaïste et, surtout en France, surréaliste contre la littérature et l’art du dix-neuvième siècle succéda, au cours de la première guerre mondiale, un retour à des formes plus classiques. les ravages causés par la guerre partout et dans tous les domaines en europe y sont sûrement pour quelque chose. en France, c’est Jean Cocteau qui a signalé dans ses essais ce changement d’orientation, resté dans l’histoire sous le nom de ‘Rappel à l’ordre’51. le jeu avec la tradition qui se manifestait dans la reprise des formes anciennes et dans le mélange de thèmes et de cultures de différentes périodes est déjà per ceptible chez picasso qui, entre 1917 et 1923, remplissait ses toiles de figures classiques et d’arlequins gigantesques. stravinsky dans Pulcinella (1920) et t.s. eliot dans son poème The Hollow Men (1924) opérèrent le même retour au néo-classicisme. Ces trois artistes, qui gravitaient autour des Caetani, occupèrent une position centrale dans le monde artistique de l’entre-deuxguerres. Ce sont les représentants par excellence de ce mélange de tradition et de progrès que visait dans son programme esthétique la revue Commerce. Dans le domaine de la littérature, on suivit le mouvement en expérimentant de nouvelles formes à l’intérieur des divers genres littéraires et en s’efforçant

49 le plus grand nombre de lettres a été échangé entre marguerite Caetani et valery larbaud, et entre elle et Jean paulhan. Ce qui n’a rien d’étonnant car ce sont eux qui l’ont le plus soutenue dans les travaux rédactionnels.

50 en 1924, les trois rédacteurs avaient, respectivement, 53 (valéry), 48 (Fargue), et 43 (larbaud) ans.

51 C’est sous ce titre que Jean Cocteau réunit un nombre d’essais sur l’esthétique écrits entre 1918 et 1926, et où il renouvela l’attention portée à la tradition, voir : Jean Cocteau, Le rappel à l’ordre, paris, stock, 1926.

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d’immortaliser l’esprit du vingtième siècle dans des œuvres de fiction parmi lesquelles on trouve par exemple les essais et les romans de virginia Woolf52, Der Zauberberg (1924) de t homas mann, ou encore le cycle romanesque de marcel proust, A la Recherche du temps perdu (1913-1927). les rédacteurs de la revue ont, eux aussi, suivi le mouvement. Quatre textes de valéry, qui par la suite allaient faire partie de l’anti-roman Monsieur Teste53, parurent pour la première fois dans Commerce et parmi les contributions de larbaud 54, on trouve des textes en prose dans lesquels il expérimente le stream of consciou sness55. Fargue est le rédacteur qui dans ses poèmes montre le plus d’affinité avec le surréalisme56, et ce n’est donc pas un hasard si c’est chez lui que l’on décerne des critiques sur le ton sérieux, le manque de transparence, et l’at mosphère d’élitisme qui flottait autour de la revue57 Commerce ne publia que de rares textes surréalistes et, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, aucun texte expressionniste. Ce furent là des occasions manquées certes mais, prise dans son ensemble, la production de Commerce ne mérite pas qu’on l’accuse de manquer de diversité. la sélection de la littérature interna tionale des années 1920 et du début des années 1930 est d’une grande variété et la combinaison de textes classiques, parfois très surprenants, avec les textes plus contemporains choisis par marguerite Caetani et ses rédacteurs a fourni une anthologie remarquable qui nous permet de suivre les différents

52 par exemple : Modern Fiction de 1919 et Mr Bennett and Mrs Brown de 1924 ; dans Commerce, X (hiver 1926), on trouve la partie du milieu de To the Lighthouse (london 1927), voir levie, pp. 174-178, pour les contributions de Woolf.

53 « lettre », dans Commerce, i, « lettre de madame emilie teste », dans Commerce, ii, « préface pour une nouvelle traduction de la soirée avec m. teste », dans Commerce, iv et « edmond teste : log Book (extraits) », dans Commerce, vi.

54 voir levie, pp. 84-104, pour une discussion des contributions de larbaud et l’aspect technique des expérimentations qu’il fit dans sa prose.

55 la tentative de transformer le courant des pensées d’un personnage en langage fut la réponse littéraire aux théories philosophiques de William James et henri Bergson, de l’univers conceptuel de Friedrich nietzsche, de sigmund Freud, et des découvertes d’a lbert einstein, où l’observation et le temps sont des éléments centraux, cf. par exem ple, a rt Berman, Preface to Modernism, urbana and Chicago, university of i llinois press, 1994 et pericles lewis, The Cambridge Introduction to Modernism, Cambridge, Cambridge university press, 2007.

56 somme toute, Fargue a écrit 19 textes pour Commerce i l s’agit de poésies et de poè mes en proses où se montre l’influence symboliste, ou de textes où un rêve fébrile ou une promenade à travers paris produisent des effets de sauts surréalistes.

57 i l s’agit d’une paraphrase d’une lettre de Fargue à marguerite Caetani en 1925, cité dans levie, p. 105.

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mlle Chapin, une amÉRiCaine À paRis

mouvements esthétiques de l’entre-deux-guerres58. Commerce a fait avancer le dialogue littéraire international, et tel était le propos initial de marguerite Caetani. pour réaliser cet échange littéraire, elle contacta, au cours de 1925, divers auteurs étrangers qui s’étaient déjà liés au projet de Commerce ou dont elle avait fait la connaissance par l’intermédiaire de l’un de ses rédacteurs. Ces auteurs furent invités à contribuer à Commerce (dans la mesure où ils ne l’avaient pas encore fait), et priés avec insistance de suggérer des textes littéraires de leur pays qui correspondent aux critères et à la ligne poétique de la revue. pour ce qui est des anglophones, marguerite Caetani contacta t.s. eliot ; pour la littérature italienne, elle s’adressa à giuseppe ungaretti ; pour la littérature allemande elle choisit Rainer maria Rilke, remplacé après sa mort par hugo von hofmannsthal, et après la mort de ce dernier en 1929, par Rudolf Kassner ; et finalement, pour la littérature russe, elle fit appel à D.s. m irsky59.

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58 Dans les pages 267 à 281, on retrouvera le contenu de tous les numéros de Commerce, suivi par un bilan classant les textes des auteurs selon les différentes nationalités.

59 t s e liot, un cousin de marguerite Caetani, avait déjà publié un poème dans les pages du premier numéro de Commerce. C’est Jean paulhan qui mit marguerite Caetani en contact avec ungaretti (cf. Correspondance Jean Paulhan – Giuseppe Ungaretti, édition établie et annotée par Jacqueline paulhan, luciano Rebay et Jean-Charles vegliante, préface de luciano Rebay, paris, 1989, Cahiers Jean paulhan, n° 5, p. 51, 61, passim). Rilke fut présenté à marguerite Caetani par valéry (voir : harry graf Kessler, Das Tagebuch 1880-1937, achter band 1923-1926, herausgegeben von a ngela Reinthal, günter Riederer und Jörg schuster unter m itarbeit von Janna Brechmacher, Christoph h ilse und nadin Weiss, stuttgart 2009, p. 657). les rapports avec m irsky furent établis par a ndré gide ou Bernard groethuysen (cf. g. s. smith, D.S. Mirsky. A Russian-English Life, 1890-1939, oxford-new York, oxford university press, 2000, p. 118, 128).

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Jean paulhan se pliait volontiers au questionnaire dit de proust. À la question « Quel est pour vous le comble de la misère ? », il avait l’habitude de répondre, pour amuser ceux qui voyaient en lui une éminence grise : « Être en évidence ». marguerite Caetani aurait pu risquer la même réponse facétieuse, aux riches heures de Commerce, tant la discrétion la caractérisait. on se trouverait donc bien indiscret à évoquer la correspondance person nelle de tels épistoliers si les lettres que marguerite Caetani et Jean paulhan ont échangées plusieurs décennies durant ne nous apparaissaient comme un numéro inédit de Commerce. le trentième cahier, l’ultime saison, ne seraitce pas ce commerce secret, qui nous rappelle le rêve des fondateurs de la revue : prolonger, par écrit, leurs réunions amicales ?

la correspondance s’ouvre en 1924, en même temps que Commerce. paulhan n’est pas encore directeur de La NRF – il ne le deviendra officiel lement qu’en 1935, dix ans après avoir succédé à Jacques Rivière à la tête de la revue – mais il fait figure de secrétaire idéal, et d’écrivain singulier. nous suivons pas à pas l’histoire de Commerce et l’évolution d’une amitié : paulhan s’adresse d’abord à la princesse, puis ose un « chère madame et amie », avant de renoncer au « madame » pour user du « bien chère amie ». i l n’appellera la princesse par son prénom qu’en 1940, bien après l’aventure de Commerce.

C’est une aventure riche en péripéties, un roman de cape et d’épées que nous ont déjà raconté sophie levie et Ève Rabaté1. nous savons que la revue

1 sophie levie, Commerce : une revue internationale moderniste, Roma, Fondazione Camillo Caetani, 1989. Ève Rabaté, outre son livre La Revue Commerce. L’esprit « classique moderne » (1924-1932) paru en 2012 aux Éditions Classiques garnier, a également publié un texte intitulé « Jean paulhan et la revue Commerce » dans l’ouvrage collectif La Littérature selon Jean Paulhan (paris, Classiques garnier, 2014).

La rivista «Commerce» e Marguerite Caetani, Direzione di Sophie Levie. V. Correspondance française. Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français , édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2016

ISBN (stampa) 978-88-6372-878-1 (e-book) 978-88-6372-879-8 – www.storiaeletteratura.it

était seulement dédiée à valéry, Fargue et larbaud : ils ne connaissaient pas les affres d’une direction. si l’on s’en tient à la lecture des sommaires de la revue, paulhan n’y apparaît qu’en tant qu’auteur et traducteur. son rôle est resté officieux – il en va de même pour marguerite Caetani et pour a lexis leger. la correspondance confirme toutefois son importance en tant que passeur de textes, conseiller, correcteur, re-traducteur et récrivain, secrétaire enfin… Étant donné son statut à La NRF et les liens qu’il avait déjà tissés avec les auteurs les plus divers, paulhan apparaissait comme un média teur privilégié. la princesse exprime tantôt sa honte ou sa gêne de tout ce qu’elle lui demande de faire pour la revue, tantôt sa grande reconnaissance. « pensez à Commerce ! et sauvez ma vie et mon honneur encore une fois ! » s’écrie-t-elle ainsi en septembre 1928 (lettre 68). ne détournait-il pas certains manuscrits reçus à La NRF au profit de Commerce ? n’incitait-il pas les auteurs de la maison gallimard à y publier leurs textes ? paulhan est intervenu en faveur de nombreux écrivains (a ntonin artaud, marcel Jouhandeau, georges limbour, ou Francis ponge, pour n’en citer que quelques-uns, et leur correspondance avec la princesse en témoi gne)… les lettres accompagnent souvent des envois de manuscrits et s’ouvrent par un « voici » : voici le récit, ou le conte, ou les poèmes de tel ou tel… parfois simplement : « voici Beucler, voici hertz ». s’il laisse marguerite Caetani se faire son propre jugement, il lui arrive de glisser une remarque. « Jean Cassou me demande de vous remettre ce conte (que je n’aime pas beaucoup) », peuton lire par exemple en 1925 (lettre 10), et le manuscrit sera refusé. paulhan interroge souvent la princesse sur ses goûts, ou lui suggère un écrivain en usant de cette simple question, qu’il affectionne : « Que pensez-vous de vitrac ?… de malraux ?… de Jouve ? » le dialogue est ouvert, les manuscrits circulent, et cet échange même lacunaire crée comme un grand appel d’air.

« Comme je suis reconnaissante à vous de m’avoir cédé “Colline” », lui écrit marguerite Caetani à l’été 1928 (lettre 66). i l s’agit du premier roman de Jean giono2, dont Commerce donne des extraits dans son cahier d’été. « on me parle avec enthousiasme du dernier Commerce. tout le monde est fou de giono », se réjouit paulhan (lettre 67). Quant à giono, « réfugi[é] sur un escalier de montagne » avec les siens en cet été caniculaire, « dans un village ruisselant de sources et de chants d’accordéons », il saluera l’arrivée de la revue en offrant à la ronde « une jatte de crème et une bolée de fram boises » et remerciera vivement la princesse pour son accueil et sa générosité

2 le premier roman publié du moins (chez grasset, en 1929) car son « vrai » premier roman, Naissance de l’Odyssée (éditions Kra, 1930) avait été refusé par grasset.

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(lettre 161). La NRF publiera parallèlement un récit, Champs, que paulhan jugeait de moindre qualité. i l considérait que Commerce et La NRF étaient complémentaires puisqu’elles ne s’adressaient pas exactement au même public – Commerce étant plus élitiste. i l cherche ainsi souvent à persuader gaston gallimard que Commerce, ou Mesures, dont il s’occupera de 1935 à 1940, servait La NRF et les Éditions : « Comme Commerce, Mesures peut nous servir sans doute à “essayer” des jeunes auteurs qui nous paraissent encore un peu trop raboteux ou difficiles, sans pourtant qu’il y ait lieu de douter de leur talent. C’est ainsi une part du “laboratoire d’essais” de La NRF qui peut se déplacer3 ». en septembre 1924, le premier numéro de Commerce avait dévoilé ses ambitions avec les signatures des trois écrivains directeurs, associées à cel les de saint-John perse et de Joyce. les autres numéros témoigneront de la même exigence littéraire. la princesse définissait en ces termes son projet : « Commerce a pour objectif de donner la parole non seulement à ceux qui se trouvent être jeunes aujourd’hui, mais justement et avant tout à ceux qui le resteront toujours 4 ». a insi de valéry, Fargue et larbaud, qui ne sont pas tout à fait des « jeunes » en 1924. paulhan aborde quant à lui la quarantaine, où marguerite Caetani a déjà accosté. pour l’un comme pour l’autre, la jeu nesse est un maître mot, un mot d’esprit : un texte « jeune » peut être un texte ancien, un texte oublié, s’il donne l’impression de toujours recommen cer. « le vieillard sur le mont omi », que Commerce publie au printemps 1925, en est une belle illustration : cet ensemble de petits poèmes au format hors norme, présentés sur une grande page à déplier, allait « causer pas mal d’étonnement », selon le mot de son auteur, paul Claudel (lettre 135). place à la fantaisie ! place à Dindiki, le petit singe d’a ndré gide qui se faufile entre les pages du cahier de l’automne 1926 ! Ces pages, écrit gide à la princesse, « sont d’un ton presque extra-littéraire qui surprendra peut-être vos lecteurs – mais ne vous déplaira pas, je l’espère » (lettre 148).

« une revue n’est pas un animal ou un homme, qui naît jeune, et meurt vieux. i l arrive qu’elle naisse vieille et meure jeune », affirmait paulhan, qui n’aimait pas les idées reçues5. a insi a-t-il préféré la direction de revues à toute activité liée au livre. la littérature de revue avait à ses yeux sa propre

3 lettre du 2 janvier 1935, in gaston gallimard, Jean paulhan, Correspondance 19191968, paris, gallimard, 2011, p. 107.

4 lettre datant de 1925 ou 1926 à la sœur de nietzsche, « l’un de ces éternellement jeunes ». voir levie, pp. 29-30.

5 lettre à marcel a rland de septembre 1932, in Jean paulhan, Choix de lettres, tome i : 1917-1936, paris, gallimard, 1986, p. 273.

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spécificité, elle n’était pas seulement une étape sur le parcours d’une œuvre. même s’il n’a évoqué qu’une seule fois, au cours d’une présentation de La NRF, cette subtile distinction, paulhan a su exprimer ce qui faisait pour lui le charme de la revue, quand le livre exhale une beauté plus froide. la revue est exactement le contraire du livre : elle n’est pas « une œuvre accom plie, qui a son commencement, son milieu et sa fin », elle ne se « suffit » pas à elle-même, elle ne nous fournit pas « des clefs pour toutes les choses du monde ». en bref, elle n’invite pas à penser que « la littérature est un événement qui s’est passé une fois pour toutes – de sorte qu’il n’y a plus qu’à l’apprendre ou à l’imiter ». parce qu’elle est à la fois une œuvre col lective et anonyme, la revue reste toujours une expérience, de la littérature à l’état naissant. le lecteur peut assister à l’éclosion de ces futurs talents « qui recommencent la littérature à leurs risques et périls »6. Ces risques, ces périls font partie de l’aventure. Quand Commerce disparaîtra, paulhan confiera tristement à larbaud : « l’on ne se sent guère vieillir (si la chose était possible) qu’en de telles occasions7 ».

au fil de ces années, marguerite Caetani et Jean paulhan n’ont pas ménagé leurs forces ni mesuré leur enthousiasme. i ls manifestent la même énergie, la même patience avec les auteurs. Quand a ndré suarès insiste en 1926 pour paraître en tête de numéro, à la place des « directeurs », qu’il semonce au passage – « on n’invite pas les gens à sa table pour se servir trois fois le premier », lance-t-il à la princesse (lettre 210) –, tous deux riva lisent de diplomatie pour ne pas éloigner l’auteur ombrageux. les lettres de marguerite Caetani dénotent une grande fermeté de jugement, même si elle ne craint pas les jugements de valeur : ses goûts sont clairement affirmés. C’est elle qui décide, ou du moins qui donne l’impression de décider –a lexis leger n’est évoqué qu’en 1927-1928, au moment où un renouveau de la revue est envisagé8. C’est elle qui est à la manœuvre et qui souligne, d’une voix ou d’une plume impérieuse, comme ici en avril 1928, les changements de cap : « Cher ami il faut que vous me trouvez des textes pour le prochain cahier du printemps. sur votre collaboration j’y compte absolument mais

6 « présentation de la n RF au Club du Faubourg » (1953), in Jean paulhan, Œuvres, tome iv, paris, tchou, 1969, p. 377.

7 lettre du 9 mai 1932, in valery larbaud, Jean paulhan, Correspondance 1920-1957, paris, gallimard, 2010, p. 246.

8 voir lettres 56 et 58. À la Fondation saint-John perse se trouvent plusieurs lettres adressées à marguerite Caetani en 1926 (notamment trois lettres d’a ndré suarès, trois lettres de paulhan, et une lettre de gide) et qu’elle a donc transmises à a lexis leger. leur correspondance personnelle a en revanche disparu…

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en plus il faut trouver dans vos secrètes archives au moins deux textes épa tants. Revenez vite autrement je suis perdue. Je trouve que parmi les textes que j’ai en main rien n’est assai bien !! C’est terrible » (lettre 63). Bernard groethuysen, qui fait aussi partie de l’équipage, parle avec humour des missives de la princesse, et en particulier de ses télégrammes : « i l y en a de très longs et d’autres qui sont excessivement courts. les uns commandent et ordonnent, les autres invitent et persuadent. les uns furieux et menaçants, les autres doux et gracieux. (…) on est comme transformé. magie du petit mot qui en coup de vent vient tout chambarder » (lettre 172). paulhan a souvent cherché à minimiser son rôle, affirmant aux écrivains que la princesse avait toujours le dernier mot. au vrai, il a joué un rôle clef autour de 1926-1928, au moment où l’échange est le plus soutenu, puis son influence semble s’estomper. une lettre à Jean guéhenno datant du début de l’année 1930 nous paraît éclairante, pour justifier un refus de manuscrit : « et si j’ai pu, il y a trois ans, exercer à Commerce une certaine influence, je ne l’ai plus du tout9 ». en juin 1929, paulhan rendait ainsi compte de ses dernières tentatives à larbaud : « i l me semble que m me de B. devient trop difficile. Cette fois-ci, tous mes candidats ont été recalés : même un très beau poème de Jouve, un curieux m ichaux et un récit de limbour, qui me semble admirable […] »10. s’il est parvenu à faire publier d’autres textes de ces « candidats », cette impression est significative.

les lettres commencent d’ailleurs à s’espacer en 1929. Dans ses lettres à d’autres correspondants, paulhan laisse poindre quelques reproches. en décembre 1929, il assure à guéhenno qu’il a remis son manuscrit à Commerce (qui se cache derrière Commerce ? il ne le précise pas…). paulhan lui promet une réponse rapide et ajoute, entre parenthèses : « mais je vois bien toutes les préférences, le côté “art pour l’art” et, si vous le voulez, le snobisme, que cela peut y choquer11 ». Ces critiques nous font penser à cette annonce parue dans Comoedia le 24 avril 1932, et signée par un anonyme « parisien » : « la fameuse revue Commerce, ce mystérieux et distant asile des meilleures choses et des pires, de la littérature pure et du snobisme pré tentieux, va, dit-on, disparaître ». paulhan attribuera cette note à Fargue… si paulhan se range parfois du côté des détracteurs de la revue, c’est qu’il est bien sûr affecté par le refus des manuscrits qu’il propose, ou par la faveur accordée à d’autres collaborateurs. « mais c’est peut-être de la jalou

9 voir Jean guéhenno, Jean paulhan, Correspondance 1926-1968, paris, gallimard, 2002, p. 52.

10 lettre du 28 juin 1929, in larbaud/ paulhan, p. 144.

11 voir Jean guéhenno, Jean paulhan, Correspondance 1926-1968, p. 49

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sie », concède-t-il en octobre 1931 (lettre 85). malgré ces quelques repro ches, paulhan gardera la nostalgie de Commerce. i l ne parviendra jamais à suivre la princesse dans l’aventure de Botteghe Oscure, à partir de 1948. i l estime ainsi que le premier numéro ne forme qu’« une belle anthologie » et qu’il a « on ne sait quoi de stable et d’un peu figé ». en formulant ses critiques, on perçoit toutefois ce qu’il appréciait chez la princesse, au temps de Commerce : « Ce que j’enrage de n’y pas trouver (ou si je ne sais pas l’apercevoir ?) c’est votre goût pour les aventures et les nouveaux départs, et fût-ce les maladresses qui les annoncent. enfin, tout ce que vous aviez si bien su donner à Commerce12 ». l’année suivante, il constate : « […] nous ne nous entendons plus sur rien, et j’en suis un peu triste. (ou du moins pas sur grand-chose)13 ». la princesse ne comprendra jamais ses critiques, et se dira « triste de perdre [sa] vieille et si fidèle (jusqu’ici) amitié14 ». Cette amitié, il est justement temps de l’évoquer.

l’intérêt de paulhan pour la revue s’est toujours doublé d’un intérêt pour son animatrice. les deux vont de pair pour paulhan ; la littérature et la vie, c’est tout un. a insi l’animateur de revues n’est pas le seul à prendre la parole dans cet échange : l’auteur se fait aussi entendre. « princesse, voici luce » constituent les premiers mots de la correspondance. paulhan est présent au sommaire du deuxième numéro, avec « luce et l’enfant négli gée », qui constitue un chapitre remanié de Progrès en amour assez lents15 . i l publiera cinq textes dans la revue, et la princesse sera sa première lectrice – lectrice idéale, et toujours attentive. la princesse exprimera surtout son admiration pour les récits de paulhan. « vous êtes vraiment un être extra ordinaire, lui écrit-elle durant l’été 1928. vous condensez en quelques pages ce qu’un autre mettrait 350 à dire. là dans cette petite histoire je trouve le matériel pour un roman à la Dostoiefski en deux vols de 300 pages chaque au moins ». i l est vraisemblablement question des « gardiens », paru dans le cahier du printemps 1929. paulhan était un auteur rêvé pour la revue, lui qui avait le goût des textes denses et allusifs.

« savez-vous combien vos lettres sont exquises ? » marguerite Caetani s’en émerveille souvent. C’est que paulhan instaure d’emblée une sorte de confu sion, de fusion entre réel et imaginaire. De cette « luce » évoquée dans sa pre

lettre du 13 janvier 1949, in Risset/santone/ tamassia, p. 13.

lettre du 27 septembre 1950, ibidem, p. 15.

lettre du 6 décembre 1951, ibidem, pp. 33-34.

15 Ce récit écrit en 1917 restera inédit jusqu’à la parution du premier tome des Œuvres complètes de paulhan, en 1966.

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mière missive, paulhan dit seulement à la princesse : « je n’ose pas trop comp ter sur votre bienveil lance pour une fille qui a encore maigri ». personnage ou personne ? paulhan s’amuse, et le ton est donné. les lettres garderont toujours ce tour poétique. Car, pour la princesse, les choses sont simples : paulhan est « un poète » et elle insistera en vain pour obtenir un poème de lui. la poésie restera dans ses lettres et dans ses récits, qui prennent parfois la forme d’une lettre d’ailleurs. le texte des « gardiens » s’ouvre ainsi, dans la revue, par ces mots en italiques : « Chère amie, / Voici une histoire, que je voulais donner à “Commerce”. Mais laissez-moi d’abord la raconter à vous seule16 » la forme du récit est originale puisqu’il est entrecoupé de parenthèses à la première personne et en italiques, où paulhan semble distiller des fragments de lettre à marguerite Caetani. la princesse n’est jamais nommée mais paulhan mention ne orso, le chien qu’elle lui a offert en septembre 1925 et dont il est souvent question dans leur correspondance réelle, jusqu’à sa mort brutale en janvier 1927. il est aussi l’un des personnages du manuscrit intitulé « portrait » que paulhan adresse à la princesse et que nous reproduisons en annexe de leur correspondance. orso apparaît comme un gage d’amitié fidèle et paulhan salue plus volontiers « la délicatesse des chiens » que celle des écrivains. mais cette amitié apparaît aussi comme une conquête car paulhan et la princesse ont d’abord éprouvé l’un pour l’autre une sorte d’élan amoureux. paulhan se joue toutefois du mot dans une curieuse lettre qui lui ressemble : « mon amie, que je vous écrive pendant que votre lettre me donne encore tant de joie (dont je suis un peu confus) : peut-être avez-vous raison, et je vous adore bien plus que je vous aime (que ces mots ennuient ! tant pis, je vous les laisse). peut-être aussi ne peut-on parler d’amitié tout à fait, si quel que autre question ne s’est pas posée. ma seule frayeur est que vous ayez un peu exagéré ce que vous dites de notre amitié, et que vous ne le pensiez pas tout-à-fait ». Cette lettre n’est pas datée – peu le sont d’ailleurs. mais nous pouvons dater de 1925-1926 ces troubles de l’amitié ou de l’amour car paulhan y fait allusion dans ses carnets intimes17. De cet élan contenu naît aussi le charme de la correspondance, avec ses attentions affectueuses et son échange d’éloges. Ce que paulhan admirait en marguerite Caetani, c’est « le sens de l’authentique », et nous le percevons aisément dans ses lettres toujours franches et alertes. Cela ne l’empêche pas d’appartenir à « la classe des fées ». paulhan, quant à lui, apparaît comme un « vrai ange ».

16 Jean paulhan, « l es gardiens », Commerce, X i X, printemps 1929, pp. 83-96. le texte sera repris dans L’ Aveuglette (paris, gallimard, 1952).

17 Jean paulhan, La Vie est pleine de choses redoutables. Textes autobiographiques, paris, seghers, 1989 (repris en 1997 par les Éditions Claire paulhan). voir lettre 33.

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si la correspondance est parfois orageuse, ce n’est pas tant en raison de désaccords, mais parce que les éléments s’interposent entre eux, comme aux premiers jours de janvier 1928, où Jean et germaine paulhan, alors à port-Cros, ne parviennent pas à rejoindre la princesse à menton, à cause d’une tempête (lettre 57). « nous avons eu des malheurs, lui écrit-il : c’est avant-hier que nous voulions partir pour menton, vous surprendre. mais la tempête a arrêté tous les bateaux : il a fallu remettre à hier, vous télé graphier : la tempête a été plus violente encore. le courrier était arrêté (et nous, privés de pain) aucun pêcheur n’a consenti à nous emmener ». leurs lettres respirent le grand air, laissent place à la nature, aux fleurs (de tarbes ou d’ailleurs), aux animaux et insectes de toutes sortes. paulhan est souvent, comme ici en octobre 1925, « au bord des bois, avec tout ce qu’il faut pour dormir sur les aiguilles de pins et pour faire cuire du chocolat » (lettre 11). maintes cartes ou lettres sont envoyées de l’île de port-Cros, où la n RF prenait ses vacances. paulhan invite à de nombreuses reprises la princesse à venir découvrir son paradis, mais elle n’est semble-t-il jamais venue, voguant quant à elle d’une villa l’autre, au gré des saisons – et seul le passage des saisons semble importer, en ces années intemporelles de Commerce. la princesse est tour à tour à Bénerville ou à menton, à la Baule ou à Cannes, bien que le nom de ses villas dessine une autre carte, de Caldana à païta, en passant par mercedes. Quant à la villa de versailles, elle est décidément Romaine. paulhan la redessine pour les deux enfants de la princesse, en imaginant une bergerie d’écureuils. le monde n’a pas encore « perdu son printemps », pour reprendre le mot de groethuysen après la mort du jeune Camillo Caetani, fauché par la guerre (lettre 173). entre deux considérations littéraires, paulhan n’hésite pas à donner à la princesse des « conseils pratiques » pour pêcher des poulpes ou gagner à la roulette. même les maladies, réelles ou imaginaires, qui ponctuent la corres pondance donnent lieu à des passages savoureux, ou à de curieuses senten ces : « Beaucoup de gens très bien ont un œil enflé », affirme ainsi paulhan en 1929. parfois c’est le visage entier qui est atteint : « i maginez-vous qu’à la suite (je pense) d’une violente discussion avec un collaborateur de La NRF, ma figure a enflé. aujourd’hui il faudrait presque parler de museau. Je crois que c’est ce que l’on appelait “concevoir de l’humeur” ». (lettre 16). C’est cela que la princesse trouve « exquis » : cette façon de décrire l’infime, les plantes, les bêtes, avec une grande proximité et de parler de soi-même avec une drôle de distance.

paulhan parle peu de lui à vrai dire. i l lui adresse bien en 1929 un livret manuscrit de dix pages intitulé « secrets » mais ce beau texte en forme de lettre a de quoi décourager les biographes. on le comprend aisément à la

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lecture de ces premières lignes : « Bien chère amie, je ne vous donne ceci que si vous me promettez de le déchirer, sitôt lu. i l ne faut pas traiter de la même façon toutes les choses écrites, s’il est vrai qu’elles ont charge de nous rendre les objets les plus différents qui puissent être : un lac, un orage, la même loi intérieure qui fait le développement d’un orage et d’un arbre. Ce serait peu : elles vont jusqu’à rendre d’autres choses écrites. (i l est vrai qu’el les y parviennent mal). i l fait partie de celles-ci qu’elles soient secrètes, ou du moins le redeviennent très vite. et si vous les conserviez, ce serait les exposer à manquer pour toujours à leur sens véritable18 ». la seule confidence que nous puissions trouver, et méditer, est la suivante : « nous sommes tous a lice au pays des merveilles ». la princesse, comme chaque fois qu’elle reçoit une « lettre-manuscrit » de paulhan19, ne cache pas son enthousiasme : « C’est la chose la plus exqui se que vous avez jamais écrite et vous me demandez de la déchirer ! nous en reparlerons n’est-ce pas ? (…) merci tant et tant et tant de secrets. Je suis si fière que c’est écrit pour moi ». nous ne connaîtrons pas la suite, et « nous n’en avons pas fini avec les secrets ». paulhan estimait en effet que lorsque nous confions, à un être ou au livre que nous écrivons, un grand secret, « en même temps nous sentons très bien qu’il y a en nous un autre secret qui se reforme, un secret plus profond qui part de plus loin, qui va plus loin »20. la preuve en est que le texte adressé à la princesse le sera également à a line mayrish, en mai 1929… la vérité nous échappe dès que nous cherchons à la saisir ou à la formuler. Reste que ce texte témoigne aussi, à sa façon, de cette complicité insaisissable qui unit nos deux épistoliers. si les mots ne peuvent la définir, alors les images le pourraient, car la peinture était une autre de leurs passions communes – Félix Fénéon, dont la haute figure plane ici discrètement, aurait pu en témoigner. s’ils étaient un tableau, ils seraient tous deux ce « petit paysage » de paul Klee que dut vendre la princesse et que Joe Bousquet offrit à paulhan en 1939 : « vous savez, ces rues de neige ou de lune qui rougissent brusquement (avec au centre cet étrange escalier, qui mène où ? et dans le coin, en bas, un dé à jouer). enfin, l’on songe à m inorque, à i biza, à de grandes courses dans la neige, à ce que deviendront

18 Cet étrange texte « à déchirer » ne sera publié – de manière très confidentielle, et légèrement remanié – qu’en 1949, puis repris dans le tome iv des Œuvres de paulhan. voir lettre 72.

19 les archives Caetani en possèdent quatre : « portrait », que nous publions en annexe de leur correspondance, et qui pourrait dater de 1926, « secrets », « traité de métaphysique pour le nouvel an » (décembre 1929, voir lettre 80), « modèle » (janvier 1938, voir lettre 93).

20 « entretien avec Robert mallet », in Jean paulhan, Œuvres, tome iv, p. 506.

un CommeRCe seCRet xxxix

les villages quand les hommes ne seront plus là. (Je ne sais que votre petit paysage de Derain pour contenir tant de secrets) » (lettre 96).

Qu’est devenue la littérature depuis que marguerite Caetani et Jean paulhan ne sont plus là ? nous n’y songerons pas tant que nous pourrons admirer ces petits paysages secrets, parcourir ces pages que la princesse n’a pas déchirées. nous ne déchirerons pas non plus cette correspondance qui fait la part belle à l’imaginaire en brouillant les frontières car elle se lit comme un roman, ou plutôt comme une revue.

l au R
xl

note su R la pRÉsente ÉDition

Provenance des lettres

Correspondance entre Marguerite Caetani et Jean Paulhan

les 124 lettres que nous publions proviennent des archives Caetani (72 lettres de Jean paulhan et 1 lettre de germaine pascal), du fonds Jean paulhan de l’imeC (47 lettres de marguerite Caetani et 1 lettre de Roffredo Caetani) et de la Fondation saint-John perse d’aix-en-provence (3 lettres de Jean paulhan).

les lettres de la période 1945-1961 ont déjà été publiées par la Fondation Camillo Caetani (voir Risset/santone/tamassia, pp. 1-39), à l’exception des quelques lettres du présent ouvrage, retrouvées lors de la récente réorganisa tion des archives Caetani.

Correspondance de Marguerite Caetani avec les auteurs français les 108 lettres que nous publions proviennent des archives Caetani (pour les lettres des auteurs) ou de fonds divers (pour les lettres de marguerite Caetani), précisés ci-dessous, avec le détail des lettres par auteur : une seule lettre des auteurs suivants se trouve dans les archives Caetani : marcel achard, marcelle auclair, joe bousquet, pierre drieu la rochel le, julien green. une seule lettre de marguerite Caetani à robert desnos est conservée dans le Fonds Desnos de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. seules deux lettres d’alexis leger se trouvent dans les archives Caetani : leur correspondance a vraisemblablement été détruite. andré beucler (5 lettres) : une lettre de Beucler (Fonds paulhan, imeC) ; quatre lettres de marguerite Caetani (association des amis d’andré Beucler). paul claudel (9 lettres) : huit lettres de Claudel (aC) ; une lettre de mar guerite Caetani (Bibliothèque nationale).

La rivista «Commerce» e Marguerite Caetani, Direzione di Sophie Levie. V. Correspondance française. Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français , édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2016 ISBN (stampa) 978-88-6372-878-1 (e-book) 978-88-6372-879-8 – www.storiaeletteratura.it

andré gide (16 lettres) : parmi les quinze lettres d’a ndré gide, treize lettres sont conservées dans les archives Caetani, et deux lettres pro viennent de la BlJD et de la Fondation saint-John perse ; une lettre de marguerite Caetani (BlJD). jean giono (8 lettres) : trois lettres de Jean giono (aC) ; cinq lettres de marguerite Caetani (archives giono). bernard groethuysen (6 lettres) : toutes les lettres de l’auteur sont con servées dans les archives Caetani. marcel jouhandeau (5 lettres) : deux lettres de Jouhandeau (aC) ; trois lettres de marguerite Caetani (BlJD), publiées avec l’accord de hugues Bachelot.

georges limbour (4 lettres) : quatre lettres de l’auteur (aC). seize lettres de limbour à marguerite Caetani, écrites entre 1949 et 1959, ont déjà été publiées par la Fondation Caetani (voir Risset/santone/tamassia, pp. 124-135).

charles mauron (12 lettres) : une lettre de Charles mauron (aC) ; dix lettres de marguerite Caetani (archives Charles mauron, saint-Remy de provence).

francis ponge (3 lettres) : une lettre de Francis ponge (aC) ; deux let tres de marguerite Caetani (archives ponge). Deux lettres de ponge à marguerite Caetani, datant de 1949 et 1951, ont déjà été publiées par la Fondation Caetani (voir Risset/santone/tamassia, pp. 164-167). andré suarès (32 lettres) : neuf lettres d’a ndré suarès, dont six se trou vent dans les archives Caetani et trois à la Fondation saint-John perse (a ix-en-provence) ; vingt-trois lettres de marguerite Caetani (BlJD).

Critères d’édition

toutes ces lettres sont manuscrites, sauf mention contraire. les lettres sont rarement datées. nous avons indiqué entre crochets et en italique une date probable (parfois par recoupement avec d’autres correspondances). la date est toujours mentionnée en début de lettre, alors que l’adresse manuscrite se trouve là où l’auteur l’a notée. nous avons signalé en note les adresses impri mées, les divers en-têtes et les renseignements fournis par les enveloppes.

C’est le respect de la lettre originale qui pour nous a primé : les abré viations (notamment pour les indications de mois) ont été maintenues, les initiales n’ont pas été complétées (les précisions se trouvent dans les notes) et les particularités orthographiques de chacun ont été le plus souvent prises en compte. marguerite Caetani ne maîtrisait pas parfaitement le français et nous n’avons pas jugé bon de corriger ses fautes (elle écrit par exemple « assai » pour « assez », « manuscript » pour « manuscrit ») ni de suppri

note su R la pRÉsente ÉDitionxlii

mer les nombreux tirets qui émaillent ses lettres, et qu’elle ajoute parfois même après un point d’interrogation ou d’exclamation. pour les lettres de Jean paulhan, nous avons simplement resserré les paragraphes et rétabli les majuscules, souvent absentes en tête de phrases (sans que ce soit pour autant systématique).

nous avons également gardé les mots soulignés, à l’exception des titres de revues et des titres d’ouvrages publiés (en italique). pour les ouvrages en cours d’écriture, comme Les Fleurs de Tarbes dont il est souvent question, nous n’avons mis en italique que les titres soulignés dans le manuscrit. en revanche, nous avons respecté le texte manuscrit pour les titres des contribu tions à la revue (qui apparaissent toujours entre guillemets dans les notes).

Remerciements

nos remerciements s’adressent en premier lieu à Bruno toscano, Caterina Fiorani et à massimiliano tortora, qui nous ont ouvert les a rchives de la Fondazione Camillo Caetani à Rome et ont facilité nos recherches. nous adressons également toute notre reconnaissance aux ayants droit des auteurs, en particulier Claire et Jacqueline paulhan, qui nous ont autorisées à consulter et à publier ces lettres, ainsi qu’aux responsables et au personnel de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, de la Fondation saint-John perse (a ix-en-provence) et de l’imeC (i nstitut mémoires de l’Édition contemporaine) pour l’accueil qu’ils nous ont réservé. pour leur aide et leurs encouragements, nous saluons l’associa tion « les enfants des a rts », hugues Bachelot, Bernard Baillaud, Roland Beucler, François Chapon, a nita Concas, Bernard Dandois, Brigitte Drieu la Rochelle, sylvie Durbet giono, Bertrand Fillaudeau, Réginald gaillard, paul giro, Jean-eric green, Roy groen, a nne-marie limbour, a lice mauron, Jacques mény, Carolien moonen, marie-victoire nantet, pierre oster, Jérôme pauvert, a rmande ponge, Ève Rabaté.

Paris et Amsterdam, avril 2015 laurence brisset sophie levie

note suR la pRÉsente ÉDition xliii

a BRÉviations

aC archives Caetani

BlJD

Bibliothèque littéraire Jacques Doucet imeC institut mémoires de l’Édition contemporaine

Bohnenkamp/ levie La Rivista “Commerce” e Marguerite Caetani, I. Briefwechsel mit Deutschsprachigen Autoren, herausgegeben von Klaus e . Bohnenkamp und sophie levie, Roma, edizioni di storia e letteratura, 2012.

gallimard/ paulhan gaston gallimard – Jean paulhan, Correspon dance 1919-1968, édition établie, présentée et annotée par laurence Brisset, paris, gallimard, 2011.

Jouhandeau/ paulhan marcel Jouhandeau – Jean paulhan, Corres pondance 1921-1968, édition établie, annotée et préfacée par Jacques Roussillat, paris, gal limard, 2012.

larbaud/ paulhan

valery larbaud – Jean paulhan, Correspon dance 1920-1957, édition établie et annotée par Jean-philippe segonds, paris, gallimard, 2010.

levie sophie levie, Commerce, 1924-1932 : une revue internationale moderniste, Roma, Fondazione Camillo Caetani, 1989.

La rivista «Commerce» e Marguerite Caetani, Direzione di Sophie Levie. V. Correspondance française. Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français , édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2016 ISBN (stampa) 978-88-6372-878-1 (e-book) 978-88-6372-879-8 – www.storiaeletteratura.it

levie/Rabaté

levie/smith

levie/tortora

BRÉviations

La Rivista “Commerce” e Marguerite Caetani, IV. Correspondance française. Paul Valéry, Léon-Paul Fargue, Valery Larbaud, édition présentée et annotée par sophie levie et Ève Rabaté, Roma, edizioni di storia e letteratura, 2016.

La Rivista “Commerce” e Marguerite Caetani, III. Letters from D.S. Mirsky and Helen Iswolsky to Marguerite Caetani, edited by sophie levie and g.s. smith, Roma, edizioni di storia e letteratura, 2015.

La Rivista “Commerce” e Marguerite Caetani, II. Giuseppe Ungaretti, Lettere a Marguerite Caetani, a cura di sophie levie e massimiliano tortora, Roma, edizioni di storia e letteratura, 2012.

La NRF La Nouvelle Revue Française.

paulhan/ ungaretti

Correspondance Jean Paulhan – Giuseppe Un garetti, 1921-1968, paris, gallimard, 1989 (Ca hiers Jean paulhan n° 5).

Risset/santone/tamassia

La Rivista Botteghe Oscure e Marguerite Caetani. La corrispondenza con gli autori stranieri, 19481960, direzione di Jacqueline Risset, i. sezione francese, a cura di laura santone e paolo tamassia, Rome, « l’erma » di Bretschneider, 2007 (Fondazione Camillo Caetani).

Rabaté

Ève Rabaté, La Revue Commerce. L’esprit « clas sique moderne » (1924-1932), paris, Éditions Classiques garnier, 2012.

a
xlvi

i

CORRESPONDANCE (1924-1945)

La rivista «Commerce» e Marguerite Caetani, Direzione di Sophie Levie. V. Correspondance française. Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français , édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2016 ISBN (stampa) 978-88-6372-878-1 (e-book) 978-88-6372-879-8 – www.storiaeletteratura.it

ma RgueR ite Caetani et J ean paulhan

1.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

lundi. [été 1924]

princesse, voici luce1 ; je n’ose pas trop compter sur votre bienveillance pour une fille qui a encore maigri.

Je vous prie d’accueillir et de transmettre au prince 2 mes souvenirs très respectueux et très attachés, les meilleurs

Jean paulhan.

2.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

mardi. [septembre ? 1924]

princesse,

Je vous remercie bien vivement de votre lettre, et d’une invitation1, que je suis navré de ne pouvoir accepter : je dois quitter paris vendredi, pour une

Lettre 1.

1

Jean paulhan, « luce, l’enfant négligée », Commerce, ii, automne 1924, pp. 159-164. il s’agit d’un fragment de Progrès en amour assez lents, récit resté inédit dans son ensemble jusqu’à la parution du premier tome des Œuvres complètes de paulhan (Cercle du livre précieux, paris, Claude tchou, 1966).

2

Roffredo Caetani, prince de Bassiano (1871-1961), que la princesse avait épousé en 1911.

Lettre 2.

1 Cette lettre n’a pas été retrouvée. i l s’agit sûrement d’une invitation à déjeuner à la villa Romaine, domicile versaillais des Caetani. tous les quinze jours, ils y conviaient « des habitués et des gens de passage » : « les conversations qui s’y tenaient ont présidé, dit-on généralement, à la naissance de la revue » (levie, p. 16).

La rivista «Commerce» e Marguerite Caetani, Direzione di Sophie Levie. V. Correspondance française. Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français , édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2016

ISBN (stampa) 978-88-6372-878-1 (e-book) 978-88-6372-879-8 – www.storiaeletteratura.it

semaine (je n’y vais en ce moment qu’assez irrégulièrement, et pardonnezmoi aussi le retard avec lequel je vous réponds) ; il ne m’est plus possible de remettre un voyage décidé depuis longtemps, j’en suis au regret 2 . voudriez-vous accepter un recueil de poèmes malgaches – des poèmes assez singuliers, qui servent aux hovas à se disputer ? mais il s’agit d’un livre un peu encombrant, que je ne vous enverrai certes pas sans permission 3 . Je suis extrêmement heureux que luce vous ait plu. veuillez bien recevoir, je vous prie, pour vous et pour le prince, mes hommages les plus respectueux et mes meilleurs souvenirs

Jean paulhan.

Je vous remercie du chèque, joint à votre lettre, que j’ai bien reçu. Francis ponge me demande de vous soumettre les “Fables logiques” que vous recevrez, en même temps que cette lettre4. avez-vous lu un livre de poèmes de g. limbour, Soleils bas, qui me semble très beau 5 ? ungaretti m’écrit, de Rome, que le premier Commerce s’ouvre par un jugement dernier de la littérature 6 .

2 au mois d’août, Jean paulhan et sa compagne germaine pascal passèrent quinze jours à Jeu-maloches par Écueillé (indre). Durant l’hiver 1924, ils vécurent principalement dans le gre nier du château des imbergères à sceaux, tout en gardant l’atelier de peintre de la rue Campagnepremière à paris. paulhan prit un congé de plusieurs mois pour travailler à sa thèse de doctorat.

3 Les Hain-teny merinas, poésies populaires malgaches recueillies et traduites par Jean paulhan, librairie paul geuthner, 1913, 461 pages. paulhan avait vécu à madagascar de décem bre 1907 à novembre 1910.

4 les « Fables logiques » de Francis ponge (1899-1988) forment un ensemble de textes écrits entre 1922 et 1928. C’est sans doute à la suite du refus de Jacques Rivière de publier dans La NRF ces textes (en 1924) que paulhan les proposa à la princesse. ils ne verront le jour qu’en 1953, dans le Disque vert de Franz hellens (n° 3, juillet), avant d’être repris sous le même titre (avec des textes plus récents) dans les « méthodes » du Grand Recueil (paris, gallimard, 1961).

5 Soleils bas, poèmes illustrés d’eaux-fortes par a ndré masson, paris, Éditions de la galerie simon, 1924. il s’agit de la première publication de georges limbour (1900-1970), d’abord lié au mouvement surréaliste (dont il sera exclu pour des poèmes jugés trop littéraires, qui lui avaient valu l’admiration de max Jacob). il mêlait savamment rêve et réalité dans des récits poétiques (L’illustre cheval blanc, La Pie voleuse, Les Vanilliers…) que paulhan jugeait de toute beauté. « Je trouve ce limbour vraiment doué », écrira marguerite Caetani à Rilke le 26 mai 1925. elle voit en lui un « troubadour moderne » (voir Bohnenkamp/ levie, p. 38). limbour, qui enseignait alors la philosophie à l’étranger, publia toute son œuvre romanesque chez gallimard (cinq livres entre 1930 et 1963), ainsi qu’une pièce de théâtre (Élocoquente, 1967). son œuvre poétique sera réunie après sa mort sous le titre Soleils bas (paris, gallimard, 1972).

6 Cette lettre n’a pas été retrouvée. l e premier cahier de Commerce, de l’été 1924, parut en septembre. i l s’ouvre par une « lettre » de paul valéry. paulhan considérait le poète italien giuseppe ungaretti (1888-1970) comme son « frère » et estimait qu’il était « le pre

CoRR espon DanCe FR ançaise4

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

Jeudi. [septembre ? 1924]

9 rue Campagne-première. ev.

princesse, vous recevrez dans quelques jours les poèmes malgaches. limbour est en tchécoslovaquie, et difficile à atteindre. Je lui écris – mais sans doute pourrai-je vous envoyer, d’ici une semaine, une nouvelle admirable de lui, qu’il a laissée en France1 avez-vous lu, dans la même collection que Soleils bas, le Tric-Trac du ciel d’a ntonin artaud 2 ? Que pensez-vous de vitrac ? ses pièces ne sont peutêtre pas nécessaires, après celles de Breton : mais puis-je vous faire lire un long poème en prose qui vous plairait, qu’aimerait Fargue3 ?

Je vous présente, avec mes hommages, mes souvenirs les meilleurs Jean paulhan.

mier et le seul très grand poète italien depuis leopardi » (Jean guérin, « les revues, les journaux », La NRF, mars 1957, pp. 560-561).

Lettre 3.

1 georges limbour ne publiera qu’un seul texte dans Commerce, dans le cahier X viii de l’hiver 1928 : « le Cheval de venise ». i l s’agit peut-être ici de « l’acteur du lancashire ou l’illustre cheval blanc », qui paraîtra dans L a NRF de mai 1925.

2 a ntonin a rtaud, Tric Trac du ciel, illustré de gravures sur bois par e lie lascaux, galerie simon, 1923.

3 le poète surréaliste Roger vitrac (1899-1952) a publié deux textes dans Commerce : « i nsomnie », iii, hiver 1924, pp. 61-68 ; « le goût du sang », vii, printemps 1926, pp. 83-111. i l est question ici du premier texte.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 5
3.

4.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

le 13 octobre. [1924] princesse, Je quitte paris après-demain, et dois me trouver Dimanche à Rome1. J’en suis au regret, et vous remercie d’une invitation, que j’avais le plus vif désir d’accepter.

Recevez, je vous prie, mes hommages

Jean paulhan.

voudrez-vous bien accepter les deux plaquettes qui vous parviendront, peu après cette lettre.

5.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

Dimanche. [décembre 1924] princesse, J’accepte avec un grand plaisir votre invitation pour le 4 janvier. voici l’i nsomnie de vitrac, dont je vous ai parlé1.

Connaissez-vous un poème singulier de Charles Cros, rare : la vision sur le Canal des deux-mers2 – (et voudriez-vous bien l’accueillir dans une bibliothèque, dont je connais déjà quelques richesses ?)

Lettre 4.

1 Jean paulhan séjournera quinze jours à Rome, avec sa compagne germaine et Franz hellens. i l y retrouvera notamment ungaretti et giorgio de Chirico.

Lettre 5.

1 voir plus haut, lettre 3. le poème en prose « i nsomnie » parut dans la troisième livraison de la revue (hiver 1924).

2 Charles Cros, La Vision du grand canal royal des deux mers, a lemerre, 1888, 15 pages.

CoRR espon DanCe FR ançaise6

Recevez, je vous prie, pour vous et pour le prince, mes souvenirs les meilleurs

Jean paulhan.

6.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Jeudi. [ fin février 1925]

Chère madame et amie, l’on me demande de devenir rédacteur en chef (mais non pas directeur, je ne le voudrais pas) de La NRF2. Je voudrais bien vous demander conseil, avez-vous confiance en moi ? (mais ne parlez de ceci à personne, je vous prie).

*

J’ai été bien touché de votre offre si gentille à madame Rivière : je ne pense pas qu’elle puisse l’accepter en ce moment, décidée qu’elle est à quitter pour quelques semaines la France. mais j’en ai avisé aussitôt Copeau et Jean schlumberger3.

*

Je serai tout à fait heureux de venir le 8 mars à versailles. – et, puisque vous m’y invitez, laissez-moi vous dire que je serais bien désireux de vous

Lettre 6.

1 lettre à en-tête des Éditions de la n RF, avec l’adresse du 3, rue de grenelle (vie).

2 le 14 février 1925, Jacques Rivière avait été emporté par une fièvre typhoïde. i l fallut trouver un nouveau directeur à La NRF. gaston gallimard choisit Jean paulhan mais, pour ménager isabelle Rivière et Charles Du Bos, qui présentèrent également leur candidature, il prit toutefois lui-même le titre de directeur. Jean paulhan ne devint officiellement directeur de la revue qu’en 1935.

3 Jacques Copeau (1879-1949) et Jean schlumberger (1877-1968) faisaient partie du groupe fondateur, autour d’a ndré gide, de La NRF, dont ils assurèrent en outre la codirec tion de 1909 à 1912 avec a ndré Ruyters. Copeau assuma ensuite seul la direction jusqu’en 1914. mais il s’en éloigna en 1913 quand il fonda le théâtre du vieux-Colombier, et c’est Jacques Rivière, alors secrétaire de la revue, qui dirigea réellement la revue. Depuis la repa rution de la revue en juin 1919, Rivière en était le directeur en titre.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 7

présenter ma fiancée (qu’un divorce absurdement long empêche d’être déjà ma femme), madame pascal4. *

et si j’apportais max Jacob ? Je deviens bien indiscret 5 .

Je vais lire Lenz6, et je vous remercie très vivement, en vous envoyant les meilleurs souvenirs qui soient

Jean paulhan.

(J’ai ici une tout à fait belle – je pense – nouvelle de Jouhandeau7. Devrai-je, Dimanche, la joindre au port enseveli qu’il me tarde de vous remettre, que vous aimerez8.)

4 germaine pascal, née Dauptain (1885-1976), est la compagne de paulhan depuis 1920. i ls ne pourront se marier qu’en décembre 1933, la première épouse de paulhan, sala, ayant longtemps refusé le divorce. germaine travaille comme secrétaire aux Éditions gallimard depuis mai 1920. attachée à La NRF, elle était secrétaire de la publication quand paulhan était secrétaire de rédaction. e lle tenait notamment la permanence de la revue, et accueillait les visiteurs. son rôle prit plus d’importance quand paulhan succéda à Jacques Rivière.

5 max Jacob (1876-1944) a publié trois séries de « poèmes » dans la revue, dans les cahiers iii (hiver 1924), viii (été 1926) et XX ii (hiver 1929, sous le pseudonyme de morven le gaëlique). marguerite Caetani avait chargé paulhan de lui demander des poèmes (voir lettre de paulhan à larbaud de 1924, in larbaud/ paulhan, p. 32).

6 Lenz, nouvelle inachevée de georg Büchner (1813-1837), publiée en 1839. Deux textes du dramaturge allemand parurent dans Commerce : « léonce et léna », iii, hiver 1924 (traduction de Denise levé et louis a ragon), et « Woyzeck », XX vii, printemps 1931 (traduction de Jeanne Bucher, Bernard groethuysen et Jean paulhan).

7 Commerce publia dans le cahier iv du printemps 1925 une nouvelle de marcel Jouhandeau (1888-1979) intitulée « ermeline et les quatre vieillards ». mais l’écrivain avait d’abord proposé à la revue une autre nouvelle, « la mère et le fils », refusée selon paulhan pour « des scrupules religieux ». voir lettre du printemps 1925 à Jouhandeau in marcel Jouhandeau, Jean paulhan, Correspondance 1921-1968, paris, gallimard, 2012, p. 39. paulhan admirait beaucoup l’œuvre de Jouhandeau, qui sera l’un de ses plus grands amis.

8 i l s’agit d’un recueil de poèmes d’ungaretti, Il Porto Sepolto, publié en italie en 1916.

CoRR espon DanCe FR ançaise8

7.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

vendredi. [avril ou mai ? 1925]

Chère madame et amie

J’ai trouvé groethuysen fort déçu à la pensée d’un divorce entre le portrait et la traduction1. il vous prie de ne pas les séparer – soit dans Commerce, soit dans la lettre qui les lui rendra. et bien qu’il préfère la première solution (comme moi), la seconde, je vous assure, ne le désobligera pas. mais peut-être serait-il possible aussi de donner, en tête du portrait une note comme celle que je vous envoie ici, (et dont la dernière ligne devrait, peut-être, être supprimée)2.

Je vous envoie mes souvenirs, et mon amitié, bien vivement respectueuse Jean paulhan.

Que je suis surpris de ce que vous a dit valéry3

8.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

Jeudi. [ fin avril ou mai 1925]

Chère madame et amie, je presse ungaretti1 ; je pense recevoir sade dans quelques jours2 ; et pour

Lettre 7.

1 i l est question des « Fragments mystiques » de maître eckhart, traduits et précédés d’un portrait par Bernard groethuysen, Commerce, iv, printemps 1925, pp. 149-155 (pré sentation) et pp. 156-173.

2 Cette note n’a pas été retrouvée.

3 nous ne sommes pas en mesure de préciser.

Lettre 8.

1 ungaretti, « appunti per una poesia », iv, printemps 1925, pp. 15-29.

2 aucun texte du marquis de sade, auquel paulhan commença à s’intéresser en 1925, ne parut dans la revue.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 9

eckart, je serais désolé si vous le deviez publier, si peu que ce fût, à contrecœur3. peut-être est-il déplaisant à un esprit religieux. (Je me trouve un peu lourd dans cet ordre de sentiments.)

J’ai un nouveau Chirico, que je ne vous montrerai certes pas4. savez-vous que Chagall a gravé cent eaux-fortes pour les Âmes mortes : ce sera une chose splendide, je pense. J’ai aussi décidé gaston gallimard à lui demander d’illustrer Alcools. C’est un bon choix, n’est-ce-pas5 ? mais Eloges sera tiré (me répond-on) à 500 exemplaires, comme Anabase exactement6.

J’ai demandé à Jouhandeau une étude sur a ndré masson7. et j’ai été tout à fait joyeux de ce que vous me dites de La NRF : gardez-moi quelque confiance, je vous prie. (par exemple, Cocteau, par l’effet d’une vieille pro messe, sera en tête du prochain numéro. Quoi, on ne l’y verra plus)8. *

Je vous prie de recevoir mes amitiés, bien vivement respectueuses Jean paulhan.

3 maître eckhart, « Fragments mystiques », traduits et précédés d’un portrait par Bernard groethuysen, Commerce, iv, printemps 1925.

4 paulhan posséda plusieurs tableaux et dessins de giorgio de Chirico (1888-1978), qu’il admirait beaucoup, notamment « l e secret de l’h iérophante » (huile sur toile, vers 1911) et « la statue silencieuse, a riadne » (huile sur toile, 1913). pendant la guerre, paulhan avait accepté de garder à l’abri des toiles du peintre, mobilisé en italie. Chirico se réinstalla à paris en 1925 et y resta jusqu’en 1931.

5 Ce projet d’illustration du recueil d’apollinaire n’eut pas de suite. pour le marchand d’art a mbroise vollard (1868-1939), le peintre marc Chagall a notamment travaillé à l’illus tration des Âmes mortes de gogol (1923-1927 ; le livre sera édité par tériade en 1948), des Fables de la Fontaine (1927-1930) et de la Bible (à partir de 1931).

6 saint-John perse, Éloges, paris, gallimard, 1925. i l s’agit d’une réédition remaniée et augmentée du livre publié en juin 1911 par les toutes jeunes Éditions de la n RF et signé alors saintleger leger. Anabase avait paru en 1924, dans une édition semi-luxueuse.

7 Cette note de Jouhandeau sur le peintre a ndré masson (1896-1987), que paulhan demande à l’écrivain dans une lettre du 21 avril 1925, sera publiée dans La NRF de septem bre 1925, dans la rubrique « l es a rts », pp. 377-379. voir la note 2 de Jacques Roussillat, in Jouhandeau/ paulhan, p. 40.

8 Jean Cocteau ouvre en effet le sommaire de La NRF de juin 1925 avec un poème intitulé « prière mutilée ».

CoRR espon DanCe FR ançaise10
*

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Dimanche. [été 1925 ?]

Chère amie, J’ai oublié hier soir de vous donner le projet de lettre pour aragon. le voici.

votre train est parti, si sûr de lui, que nous ne pouvons pas imagi ner que vous n’ayez pas fait un très bon voyage.

Je suis ennuyé que vous ayez été préoccupée – me dit groeth – de quel ques mots de ma tante 2 . i l vous faut bien supposer que quelques person nes vous posent dans la classe des fées.

Recevez nos souvenirs et notre affection

Jean paulhan. louis aragon 3 12 r. st. pierre neuilly – seine

Cher monsieur, vous m’aviez promis que votre collaboration à Commerce ne s’arrêterait pas à la “vague de rêves”4. Je puis donc attendre, n’est-ce-pas un nouvel essai, ou un poème de vous. mais je désirerais beaucoup le recevoir à temps pour notre prochain numéro, qui doit paraître entre le 1er et le 15 octobre.

Recevez……………………………………

Lettre 9.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 suzanne, la sœur de sa mère Jeanne paulhan.

3 Feuillet séparé. nom et adresse encadrés.

4 louis a ragon, « une vague de rêve », Commerce, ii, automne 1924, pp. 91-122. Ce sera la seule contribution d’a ragon à Commerce on peut supposer, d’après deux télégrammes adressés par la princesse à valéry que ce dernier s’y est opposé. Dans le premier, du 30 mars 1926, elle lui demande si « nous » pouvons « publier une chose d’a ragon ». le deuxième, de début avril, nous laisse deviner la réponse de valéry : « entendu pour a ragon. Je ne ferai rien avant votre retour ». voir levie/Rabaté, et m ichel Jarrety, Paul Valéry, paris, Fayard, 2008, pp. 579-580.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 11 9.

10.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

lundi. [28 septembre ou octobre 1925]

Chère madame et amie, orso devient jeune chien, saute, bouscule, est brusquement fatigué1 i l n’était que temps : nos entretiens devenaient sentimentaux, et il savait trop bien y prendre cet air triste et bête “mais si je savais parler je n’aurais rien à te dire”, qui est la délicatesse des chiens.

Que je vous suis reconnaissant de songer à me montrer cette chimère 2 .

Je serais ravi d’avoir l’introduction à Anabase. J’écris à larbaud, j’espère bien que ma lettre lui parviendra (je n’ai pas son adresse actuelle). merci d’avoir si gentiment songé à la NRF3 .

et vous recevrez dans quelques jours cette “expérience du proverbe”, qu’il me tarde que vous lisiez 4

Je vous envoie mes amitiés très vives, très respectueuses Jean paulhan.

Jean Cassou me demande de vous remettre ce conte (que je n’aime pas beaucoup)5.

Lettre 10.

1 en septembre 1925, marguerite Caetani a donné un chiot de trois mois à paulhan, un berger anglais. orso mourra en février 1927, d’une jaunisse foudroyante.

2 i l s’agit d’un texte de Rudolf Kassner (1873-1959), que paulhan et groethuysen tradui ront pour le cahier X vii de l’automne 1928. la princesse de Bassiano avait elle-même tenté de traduire deux textes de l’auteur allemand, dont celui-ci, en août 1925 (voir lettre à Rilke du 11 août 1925, in Bohnenkamp/ levie, p. 48).

3 l’éditeur Jacques povolovsky publiera en 1926 Anabasis (traduction russe) de saintJohn perse, avec la « préface pour une traduction russe d’Anabase » de larbaud. Ce texte paraîtra d’abord dans La NRF de janvier 1926 (pp. 64-67). voir lettres à larbaud de 1925, in larbaud/ paulhan, pp. 39-41.

4 Jean paulhan, « l’expérience du proverbe », Commerce, v, automne 1925, pp. 25-77.

5 aucun texte de Jean Cassou (1897-1986), que larbaud recommande par ailleurs à la princesse, ne parut dans Commerce. l’écrivain avait été un collègue de travail de paulhan, rédacteur au m inistère de l’i nstruction publique jusqu’au 1er avril 1925. Cassou, futur conser vateur en chef des musées nationaux, est l’auteur de nombreux essais et romans, parus chez

CoRR espon DanCe FR ançaise12

[En marge, sur le côté gauche :] si vous le vouliez bien, l’histoire de la chrysalide pourrait être une petite note, à mettre à la fin de l’article (à cause de l’influence du proverbe)6. mais ne voulez-vous pas la garder pour vous ?

11.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Dimanche [18 octobre 1925]

Chère madame et amie, Commerce m’a bien trop gâté.

Je suis déjà au bord des bois, avec tout ce qu’il faut pour dormir sur les aiguilles de pins et pour faire cuire du chocolat.

Francis ponge m’avait dit un jour que vous étiez, pensait-il, la seule per sonne qui eût tout à fait le sens de l’authentique. (c’était bien avant de vous envoyer un poème). Ce sont des choses que j’aimerais vous dire, que je serais tout à fait libre de vous dire si vous m’aviez refusé quelques manuscrits. voici mes épreuves, que j’ai revues tout aujourd’hui 2. Que je serais heu reux que germaine pascal pût les revoir encore, avant le bon à tirer.

différents éditeurs. i l fut par ailleurs directeur de la revue Europe, de 1936 à 1939 et, après un engagement actif dans la Résistance, de 1946 à 1949. 6 ***, « Ra-Chrysalide », Commerce, v, automne 1925, pp. 79-85. Jean paulhan, qui a traduit ce texte, signe la note suivante, p. 79 : « l’histoire de Ra-chrysalide vaincue par un proverbe est connue de tous les vieillards malgaches. le père Callet en a donné une version dans le Tantaran’ny Andriana (i. X v. 3). J’ai recueilli à a mbohimanga le récit, plus bref, dont voici la traduction ». paulhan avait recopié et envoyé le manuscrit à marguerite Caetani le 22 septembre 1925, par lettre recommandée (postée de paris et adressée à princesse marguerite de Bassiano, villa saint-nicolas, Bénerville par Blonville, Calvados). Cachet postal de Blonville : 24 septembre 1925. paulhan joignit également à cet envoi un poème, recopié par ses soins, de paul valéry : « la Caresse ».

Lettre 11. 1 Carte postale des « environs d’hyères. giens – percée sur le niel». 2 i l s’agit de « l’expérience du proverbe » (voir lettre précédente).

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 13

songer à présent à une traduction que vous écririez pour La NRF, ce serait une bien gentille preuve d’amitié3.

Je vous envoie mes souvenirs, et ma reconnaissance Jean paulhan.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

[Fin octobre 1925]

Chère madame et amie, ce n’est pas à cause des vers que je vous envoie ces deux cartes1, mais elles ressemblent vraiment à la plus belle île qui existe, que je voudrais vous montrer : Rien que des bois de pins et, sur le port, des eucalyp tus : enfin, quelques ouvriers italiens qui chantent toute la journée et n’arrêtent pas de s’amuser parce que l’un d’eux s’appelle, ou est appelé mussolini. il y a aussi moi, qui tiens peu de place, mais qui ai presque apprivoisé hier un jeune poulpe – et qui vous envoie ses souvenirs les meilleurs

Jean paulhan.

3 marguerite Caetani ne donna aucune traduction à La NRF.

Lettre 12.

1 Dans les a rchives Caetani, une seule carte postale de l’île de port-Cros (var) repré sentant « Dans un isolement poétique : / la petite Église au clocheton gracieux ». paulhan a barré ces deux vers. i l s’agit du premier séjour de paulhan à port-Cros, l’une des îles d’hyè res. i l y reviendra chaque année. marcel et marceline henry, propriétaires d’une partie de l’île, loueront en effet le vieux fort de la vigie à la n RF pour un franc symbolique.

CoRR espon DanCe FR ançaise14
12.

Germaine Pascal et Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

7 novembre [1925]

Chère madame et amie, nous commençons à songer au retour et ce n’est pas sans regret. les promenades ici sont merveilleusement belles, et le temps jusqu’à avant-hier était très beau. la foudre est tombée, il y a eu un grand orage et aujourd’hui il pleut. mais la pluie même ici nous est sympathique. a bientôt, chère madame est amie, recevez, je vous prie, mes plus affec tueux souvenirs.

germaine pascal

nous avons reçu de bonnes nouvelles d’orso – [Jean Paulhan poursuit sur la même ligne :] oui, et nous avons eu une vague tristesse en voyant ici un grand chien sauter sur son maître. Comme on devient. les animaux ne se gênent pas, dans l’île. les chiens s’entendent à deux pour courir les lapins sans hommes, et deux lézards, devant nous, se sont pendant un peu plus d’une heure, défiés, mordus, puis retournés comme une chaîne.

l’île n’est pleine de ronces qu’aux endroits où les hommes ont habité ; il n’y a ailleurs que des arbres bienveillants, si peu différents qu’on peut apprendre leurs noms : des pins, des arbousiers et des eucalyptus. Je vous envoie mes meilleurs souvenirs

Jean paulhan.

Lettre 13. 1 Deux cartes postales de port-Cros.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 15 13.

14.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

Jeudi. [ fin 1925 ?]

Chère amie, Je vous avais dit que je serais libre Dimanche, et je ne pourrai pas l’être. J’en ai un bien grand regret. (une leçon, qu’il m’a fallu accepter, doit néces sairement commencer ce jour-là). unga a violemment désobligé les royalistes en affirmant que son roi n’avait du plaisir qu’à grimper dans les arbres, pour photographier les oiseaux. est-ce vrai ? orso avait fait une faute, et craignait d’être grondé. i l s’est couché au bord du talus, et a roulé jusqu’en bas, par hasard. nous avons ri. Chaque fois qu’il a eu tort, il va maintenant s’allonger à la même place, et donne de petits coups de patte pour se faire tomber. Que pensez-vous d’a ndré malraux1 ? nous vous envoyons beaucoup de souvenirs, les meilleurs qui se puissent Jean paulhan.

15.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

Jeudi. [ fin 1925 ?]

Chère amie, voici le plus beau poème qu’ait jamais écrit artaud. et quelques pages d’eluard.

Lettre 14. 1 a ndré malraux (1901-1976) publiera deux textes dans Commerce : « le voyage aux îles fortunées » (X ii, été 1927) et « i ntroduction à la lettre du prestre Jehan » (X vii, automne 1928).

CoRR espon DanCe FR ançaise16

(j’ai préféré ne dire ni à artaud, ni à eluard que je vous montrais ces poèmes1. mais dites-moi vite votre décision) avez-vous vu jouer la Ruée vers l’or2 ? C’est une chose merveilleuse. nous vous envoyons beaucoup d’amitié Jean paulhan.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

mercredi. [ fin 1925 ou début 1926 ?]

Chère amie, J’ai beaucoup de regret de ne pas venir ce soir à versailles. i maginez-vous qu’à la suite (je pense) d’une violente discussion avec un collaborateur de La NRF, ma figure a enflé. aujourd’hui il faudrait presque parler de museau. Je crois que c’est ce que l’on appelait “concevoir de l’humeur”. Je me trouverais très embarrassé d’être vu, et puis j’ai presque constamment de la fièvre, et je reste couché.

Je songe à un essai que je donnerai à Commerce (mais dans cinq à six mois seulement) et qui sera la chose la plus grave que j’aie jamais faite – et qui changera même, je pense, un peu le monde 2. (mais c’est là un senti ment qui doit tenir à la fièvre).

la singulière bête de pascin 3 ne cesse pas beaucoup de me regarder.

Lettre 15.

1 une seule publication d’a rtaud dans la revue, au printemps 1926, avec « Fragments d’un journal d’enfer… » (voir plus loin, lettre 21). le poète paul Éluard (1895-1952), quant à lui, n’y a rien publié.

2 la première projection du film de Charlie Chaplin, « la Ruée vers l’or », eut lieu le 26 juin 1925 à los a ngeles. le film sortit à paris le 9 octobre.

Lettre 16.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 paulhan ne donna aucun texte à la revue avant le cahier X vi de l’été 1928, où parut « sur un défaut de la pensée critique ». voir plus loin, lettre 69.

3 le peintre d’origine bulgare Julius mordecai pincas dit Jules pascin (1885-1930), rat taché à l’École de paris.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 17 16.

Je vous envoie beaucoup d’amitiés, très vives, très attachées Jean paulhan.

voici le récit de Jacques massoulier, dont je vous parlais. i l me semble qu’il ne peut pas vous paraître détestable4.

17.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

mardi. [ janvier ou début février 1926 ]

Chère amie groeth est rentré tout à fait fier2, en disant qu’il avait guéri le prince. mais le conseil venait de moi, je vous le promets. (et votre dernière lettre était trop sévère pour que j’oublie rien de ce qui peut me faire pardonner.)

J’ai trouvé hier un tableau tout à fait beau : ce sont deux maisons “bour geoises”, une tour derrière la plus grande (et près ou loin, on ne sait pas), un vieux pont, son fleuve – et le facteur aide la jeune fille à descendre de bateau. mais je ne veux pas vous dire combien tout cela est bouleversant : c’est, je pense, que les deux maisons ont été ajoutées par leur propriétaire au paysage de 1840. Ce qui donne une sorte de mouvement à la nature. Je vous le donnerai, si vous ne le dédaignez pas. et je surveille Charlot, le mieux que je peux. mais il est déjà sur le Boulevard sébastopol ; il touchera les boulevards extérieurs dans dix jours3. où sera-t-il en mars ? J’ai beaucoup d’inquiétudes.

4 l’écrivain Jacques massoulier (1902-1970) n’a rien publié dans Commerce. Des « Épisodes normands » paraissent en revanche dans La NRF d’avril 1926, puis en volume chez gallimard, la même année.

Lettre 17.

1 Cette lettre se trouve à la Fondation saint-John perse. papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 groethuysen et paulhan sont voisins de 1920 à 1928. i ls habitaient tous deux, avec leur compagne respective, un atelier de peintre rue Campagne-première.

3 i l est peut-être question de « la Ruée vers l’or », film de Charlie Chaplin que paulhan avait recommandé à la princesse. i l existait un cinéma bd sébastopol, le “Cyrano-journal”.

CoRR espon DanCe FR ançaise18

Dans les deux maisons du tableau, je vous assure, l’on ne retrouve que très adoucie l’influence de leliah4. (Dans les traits un peu appuyés qui les entourent, par exemple, et les empêchent de bouger). mais que fait leliah ? est-ce qu’elle a recommencé à peindre. J’étais tout à fait heureux des bonnes nouvelles que vous me donniez5. *

mon père désirait vous envoyer un de ses livres. Je lui ai conseillé de choisir le Mensonge du monde6 . Je ne connais pas du tout Fazio degli liberti7. et le trésor, je crois bien que c’était celle de ses œuvres que préférait Brunetto latini (vous savez que Dante lui fait dire : siati raccomandato il mio tesoro nel qual io vivo ancora ; e piu non cheggio) mais peut-être ce qu’il y dit de la politique a-t-il plus de poids que les histoires d’animaux. Je vous en ferai lire8

4 lélia Caetani (1913-1977), la fille de marguerite et Roffredo Caetani, était peintre et paysagiste. paulhan, au sujet d’une de ses expositions, écrira à marc Bernard : « (…) la fille de m. de B. qui était si gentille du temps de Commerce expose hélas des toiles » (lettre de la mi-novembre 1948, in marc Bernard, Jean paulhan, Correspondance 1928-1968, paris, Éditions Claire paulhan, 2013, p. 277).

5 en décembre 1925, lélia Caetani avait été gravement malade. voir lettre 199 de marguerite Caetani à Francis ponge du 24 janvier 1926.

6 le philosophe Frédéric paulhan (1856-1931), fondateur de l’école française de psy chologie scientifique avec t héodule Ribot, a lfred Fouillée et pierre Janet, est l’auteur de nombreux ouvrages, qui eurent une nette influence sur son fils Jean paulhan. Le Mensonge du monde fut publié en 1921 (paris, Félix a lcan, coll. « Bibliothèque de philosophie contem poraine »).

7 Fazio degli u berti (vers 1305 - après 1367), Il Dittamondo, m ilan 1826. Ce poème allégorique composé de six livres et inspiré de Dante, « l es dits du monde », qui relate un voyage imaginaire, connut une première publication en 1474. paulhan a écrit « liberti » et non « u berti ».

8 Brunetto latini (vers 1220-1294) fut l’un des chefs florentins du parti guelfe. i l dut s’exiler à paris, où il composa en français une vaste encyclopédie en trois volumes, le Trésor. la revue Mesures publiera en janvier 1937 « Du secret de la Rhétorique » de paulhan, qui introduit le « traité de rhétorique » de Brunetto latini. i l fut l’un des maîtres et amis de Dante, qui imagine leur rencontre dans le chant X v de l’Enfer, dédié aux sodomites. les vers 119 et 120 cités par paulhan (avec de petites inexactitudes : il écrit « siati » au lieu de « sieti », oublie l’accent sur le « piú » et remplace la virgule par un point-virgule) ont été traduits ainsi par Jacqueline Risset : « Je te recommande mon trésor, / en qui je vis encore, et ne demande pas davantage ».

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 19

Quand je veux vous écrire je suis bien plus préoccupé de ce que je vou drais vous demander que de ce que j’ai à vous dire. pourquoi aimez-vous ceci, et cela, que pensez-vous vraiment de la poésie ? enfin…

J’ai été très heureux que La NRF donnât la préface de larbaud – mais qu’elle me plaise tout à fait, qu’elle me suffise, non, pas du tout9. Je vous envoie beaucoup d’amitié

Jean paulhan.

18.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

[Entre janvier et mars 1926 ]

Jean prévost 2 dit que vous avez fait signer à valéry l’engagement qu’il ne donnerait jamais rien au Navire. C’est vrai 3 ?

il doit bien rester, près de Beaulieu, des gens du pays4. vous devriez aller parler avec eux, de temps en temps. vous verrez. et dites-moi aussi si port-Cros vous a plu.

nous songeons à vous avec une affection bien vive Jean paulhan.

9 valery larbaud, « préface pour une traduction russe d’Anabase », La NRF, janvier 1926, pp. 64-67. voir plus haut, lettre 10.

Lettre 18.

1 Cette lettre se trouve à la Fondation saint-John perse. papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie). le haut de la lettre a été coupé.

2 le romancier et essayiste Jean prévost (1901-1944), secrétaire de rédaction du Navire d’argent

3 Rien ne permet de l’affirmer. valéry ne donna aucun texte à la revue d’adrienne monnier, même s’il avait autorisé cette dernière à annoncer sa collaboration, en mai 1925 (voir michel Jarrety, Paul Valéry, paris, Fayard, 2008, p. 600).

4 marguerite Caetani séjourna à Beaulieu, dans les alpes maritimes, de janvier à mars 1926.

CoRR espon DanCe FR ançaise20
*

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

samedi. [13 février 1926 ]

Chère amie, que pensez-vous, ne faut-il pas écrire à :

Le Dialogue sur l’essence de la Poésie (150 pag.) demande rapid. edit ou Rev. “Vradini” journal. Athènes 2 . ?

savez-vous que j’ai trouvé une maison 3 ? elle appartient à l’etat et est construite en charbon (mais on ne la voit noire que si on la regarde de très loin ; de près, elle est plutôt rose). orso aura un assez grand jardin. la prin cipale curiosité est une sorte de gouffre en fer blanc qui fait disparaître les balayures, dit-on. près des forêts.

*

i l n’y a dans le jardin qu’une tempête d’arbres morts : oui, nous serons tout à fait heureux des pins et des romarins. et merci aussi de ce dittamondo, dont j’aime tant la couverture4. Je vais le lire. artaud est prêt à toutes les suppressions, que vous désirerez ; il a trop de mépris, dit-il, pour tout ce qu’il écrit. il est rentré hier de marseille (je me suis aperçu pour la première fois qu’il avait véritablement une peau de momie) : il est triste, et un peu effrayant. il me dit que votre Kassner lui a donné des forces5.

*

Jean prévost va se marier avec marcelle auclair6. (C’est encore un secret.)

Lettre 19.

1 Cette lettre se trouve à la Fondation saint-John perse. papier à en-tête de la nRF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 Ces trois lignes ont été découpées dans un journal.

3 germaine et Jean paulhan emménagent à la cité-jardin du plessis-Robinson au mois de mars. voir lettre 21.

4 voir plus haut, lettre 17.

5 antonin artaud, originaire de marseille, séjourna dans le midi du 7 décembre 1925 au 12 février 1926. artaud a sans doute évoqué « le lépreux » de Rudolf Kassner, paru dans le cahier v de Commerce, à l’automne 1925. les “suppressions” concernent les « Fragments d’un journal d’en fer… » qu’artaud donne au cahier vii de Commerce, daté du printemps 1926 (voir lettre 21).

6 le mariage fut célébré le 28 avril 1926. au sujet de marcelle auclair, voir lettre 125.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 21 19.

i l y a, depuis deux jours, un printemps brusque. les crapauds se sont mis à chanter chaque soir.

marcel Duchamp (le grand joueur d’échecs) fait vendre tous ses picabia : 80, dont cinq impressionnistes, les dadas, les mathématiques et à peu près vingt espagnoles7. en voici une, je les trouve tout à fait belles8.

et une autre9 :

7 la vente eut lieu le 8 mars 1926 à l’hotel Drouot.

8 paulhan a collé ici la reproduction en noir et blanc d’une de ces espagnoles – décou pée vraisemblablement dans un magazine. i l s’agit d’une aquarelle, représentant une « espagnole au châle bleu » (© Francis picabia, senza titolo, By siae , 2016).

9 paulhan a découpé et collé ici une autre reproduction en noir et blanc d’aquarel le : « a ndalouse (peigne brun) » (© Francis picabia, senza titolo, By siae , 2016).

CoRR espon DanCe FR ançaise22

Je ne pense pas qu’elles puissent se vendre plus de 800 francs. Dites-moi si je dois vous en prendre une.

i l me semble que vous vous êtes moquée, dans une lettre, de mes deux Chirico. eh bien, celui que j’avais fait réentoiler demeure guéri de cette tache d’acide rouge et horrible – et surtout horrible parce qu’elle faisait dire aux ennemis : quelle belle tache, etc.

*

Fargue est venu me dire hier qu’il allait être saisi10. est-ce possible ? aussi il cherche une maison – depuis un an, je me le suis rappelé et j’ai eu honte d’avoir tant parlé de la mienne. J’ai Commerce. Quelle belle couverture d’hiver11. mais je n’ai lu encore que hoppenot, qui me fait hésiter, mauron que j’aime beaucoup (surtout le portrait du vieillard ; “i l sait joindre à l’ironie lunaire…” me gâte le pain), suarès, (que le respect est un sentiment agréable) et Fargue12. Je crois que ce numéro est un des plus riches, qu’ait eus Commerce et deux ou trois lignes, prises en passant à ortega, me tentent aussi très vivement13

*

Je vous envoie la correspondance de la momie et je vous promets bien qu’artaud n’a rien écrit encore d’aussi grand. la dernière leçon de groeth a été presque un succès : 12 auditeurs. Fernandez arrive à 30, dont 28 dames ; du Bos à vingt, mélangés. (je la donnerai dans La NRF, elle était tout à fait bien.)14

10 Fargue sera en effet exproprié à la fin du mois de juin 1926 de sa maison, qui abritait l’ate lier familial de céramique et de verrerie qu’il avait repris à la mort de son père léon Fargue, en 1909. elle doit être démolie en raison de l’agrandissement de la gare de l’est. Fargue engagera en vain plusieurs procès. par la suite, Fargue et sa mère seront relogés au 37, rue Château-landon. voir louise Rypko schub, Léon-Paul Fargue, genève, librairie Droz, 1973, pp. 143-144.

11 i l s’agit du cahier vi de l’hiver 1925, dont la couverture devait être gris-bleu.

12 henri hoppenot, « traversée de la ville », pp. 203-208 ; Charles mauron, « poèmes », pp. 125-137 (il s’agit d’un ensemble de poèmes en prose : « le sable », « la jarre », « le pain », « le store », « le mont », « praeludium » et « portrait d’un vieillard ») ; a ndré suarès, « saint-Juin de la primevère », pp. 83-122 ; léon-paul Fargue, « Banalité », pp. 7-12.

13 José ortega y gasset, « mort et résurrection », pp. 171-185.

14 paulhan évoque les conférences de la « petite université », créée en 1926 par paul Desjardins au 21 de la rue visconti. groethuysen y donna trois conférences en janvierfévrier : celle du 13 février était consacrée à husserl. en 1926, La NRF ne publia que son « i ntroduction à la vie bourgeoise » (numéro de décembre). le critique Ramon Fernandez (1894-1944), autre conférencier et auditeur de la rue visconti, était depuis 1923 l’un des principaux animateurs de La NRF

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 23

i l était trop tard pour faire passer le 1er mars l’annonce de Commerce –mais elle paraîtra régulièrement, à partir du 1er avril. vous me direz ce que vous pensez de l’apprenti de hertz15 i l me semble qu’il pourrait nous donner quelque chose de très bien pour Commerce. et léautaud (qui est très réconcilié avec valéry) ? il vient de se fâcher avec les Nouvelles littéraires16 .

Chère amie, nous vous envoyons tous deux, et aux vôtres, notre bien vive affection. Revenez bientôt à paris, à qui vous manquez.

Jean paulhan. et Charlot ! i l est déjà tout au bord de paris. Je n’ai presque plus d’espoir17

[En marge, sur le côté gauche :] non, je garde artaud. Je vous le lirai, à votre retour18

15 henri hertz, « l’apprenti », La NRF, mars 1926, pp. 292-297. Écrivain et poète sin gulier, proche de Jarry, d’apollinaire et de max Jacob, henri hertz (1875-1966) collabora à de nombreuses revues, notamment Europe où il tint la chronique « panorama des livres » dans les années trente.

16 paul léautaud, qui y publiait, sous le nom de maurice Boissard, une chronique d’art dramatique, venait en effet de rompre avec Les Nouvelles littéraires, hebdomadaire culturel fondé par maurice martin du gard en 1922. on lui reprochait son anticonformisme et il refusait d’être censuré. i l connut des démêlés similaires avec La NRF.

17 voir lettre 17.

18 la « Correspondance de la momie » d’a ntonin a rtaud paraîtra dans La NRF de mars 1927.

CoRR espon DanCe FR ançaise24 *

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

villa mercédes Beaulieu. a m. le 5 mars [1926 ]

Cher a mi, Je viens vous demander une immense faveur mais si s’est trop – que vous n’avez pas le temps ou que cela vous ennuie vous jurez de me le dire n’est ce pas ?

puis-ce que cette lettre accompagne un manuscript vous devinez déjà ce que je vais vous demander ? voilà : mademoiselle isvolsky m’a traduit ce conte inachevé de pouchkine1 Je l’ai donné à lire à valéry qui à déjeuné avec nous hier. i l l’a trouvé très co-co comme français surtout dans les descriptions, pas tant dans les dialogues, et il trouvait qu’il faudrait que cela soit presque entièrement refait. i l m’a dit qu’il l’aurait fait mais pas en ce moment même et j’ai pris cette excuse – que je le désirais pour le prochain numéro – pour ne pas le lui laisser, et je lui ai dit que j’allais vous prier de faire le changement nécessaire. maintenant voilà ce que je pense, que valéry l’aura gâté en le transformant absolument et en lui enlevant sa saveur spéciale de l’époque et de l’écrivain, quelque chose d’un peu naïf, un peu barbare même, mais qui fait partie du génie même de l’homme. Je crois qu’il y a bien des corrections à faire dans le français et cer taines tournures de phrases par trop co-co et qui peuvent prêter au ridicule et il n’y a vraiment que vous qui puissiez faire des corrections pareilles mais encore je vous supplie, si cela vous ennuie ne le faites pas2 ! les autres, n’importe qui, feraient trop et l’abimeraient, j’en suis certaine. Je trouve nuls les poèmes de essenine3. C’est peut-être la traduction. Je n’ai

Lettre 20.

1 pouchkine, « l e maure de pierre le grand », Commerce, vii, printemps 1926, pp. 157200. l’écrivain et traductrice hélène iswolsky (1896-1975) avait déjà traduit pour le cahier vi des textes de pasternak. voir Rabaté, pp. 434-438 et La Rivista “Commerce” e Marguerite Caetani, III Letters from D.S. Mirsky and Helen Iswolsky to Marguerite Caetani, edited by sophie levie and g s smith, Roma, edizioni di storia e letteratura, 2015.

2 selon sophie levie, paulhan a « sans aucun doute » collaboré à cette traduction : « Comme il ne connaissait pas le russe, il a dû se contenter de réviser le français » (p. 158).

3 Commerce ne donna aucun texte du poète russe sergueï essenine (1895-1925), qui venait de mettre fin à ses jours.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 25 20.

pas reçu la dernière NRF. Je vais l’acheter aujourd’hui. Je suis très curieuse de lire le pourrat et le hertz4. si vous croyez que cela vous faciliterez les corrections de faire faire une autre copie avec plus d’espace entre les lignes je vous prie de le faire. Je voulais le faire faire avant de l’envoyer mais je ne voulais pas non plus perdre du temps. avez-vous vu cette exposition ? Je me demande s’il y avaient des beaux Dufresne5. toutes mes amitiés affectueuses pour vous deux m. d. B.

21.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Jeudi. [25 mars ? 1926 ]

Chère amie, Je suis heureux de vous savoir revenue, et leliah guérie. C’est orso qui m’a enrhumé, pour deux jours encore : ses cheveux s’étaient un peu feutrés en normandie, je me suis mis à genoux dans le jardin pour le défeutrer, juste ce jour que l’hiver est revenu.

J’ai reçu, avec orso, cette lettre de l’ami qui le gardait 2 :

“voilà orso qui va partir. Je savais bien que je m’attacherais à lui : il est fidèle, docile et obéissant. C’est un être sans méchanceté, ni rancu ne. on dirait qu’il sent que notre séparation approche ; il est plus affectueux depuis quelques jours. i l est vrai que c’est bientôt le printemps.

4 henri hertz, « l’apprenti », La NRF, mars 1926, pp. 292-297 ; henri pourrat, « le mauvais garçon (i) », pp. 307-343.

5 le peintre Charles Dufresne (1876-1938), influencé par Cézanne, puis par les Cubistes (surtout la Fresnaye). marguerite Caetani appréciait son œuvre variée et onirique.

Lettre 21.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 paulhan avait passé les premiers jours de janvier à saint-vigor, en haute-normandie, chez a lbert et germaine uriet. i l a dû leur laisser orso en garde à ce moment-là, peut-être en raison de leur futur déménagement. voir la lettre 35 du 23 décembre 1926 : paulhan écrit à la princesse qu’uriet a « un peu élevé orso ».

CoRR espon DanCe FR ançaise26

i l ne faudra pas dans ta joie de le retrouver le traiter comme un enfant. Dis-toi que c’est un chien, qu’il faut le considérer comme tel et s’abstenir de lui donner des sucreries. etc.”

Bon. Je ne lui donne pas de sucreries.

*

le Navire d’argent (c’est tout à fait secret) disparaît, dans deux mois3. Je vous envoie les poèmes d’artaud, tous. (C’est le Journal d’enfer que je préfère)4 notre numéro de téléphone est : sceaux, 190. et notre maison : pavillon 43, Bd de l’union, cité-jardin du plessis-Robinson 5 pour vous seule. (de sorte que germaine n’a pu vous le dire hier au téléphone). nous vous envoyons nos amitiés les plus attachées

Jean paulhan. (voudriez-vous lire les Chants d’innocence de Blake traduits par soupault6 ?)

3 la revue mensuelle « de littérature et de culture générale » Le Navire d’argent (douze numéros entre juin 1925 et mai 1926), dirigée par adrienne monnier. la revue n’avait que 400 abonnés, et adrienne monnier d’importantes dettes.

4 a ntonin a rtaud, « Fragments d’un journal d’enfer… », Commerce, vii, printemps 1926, pp. 65-79. a rtaud ne lui cache pas sa reconnaissance : « Je suis si touché que vous m’ayez conduit chez m me de Bassiano et que vous m’ayez fait prendre le Journal d’enfer par Commerce » (lettre de 1926, in a rtaud, Œuvres complètes, supplément au tome i, paris, gallimard, 1970, p. 54). i l s’agit de son unique publication dans la revue.

5 paulhan venait de déménager. i l écrit à larbaud, le 9 mars 1926 : « […] je suis devenu l’un de ces hommes que l’on voit habiter, aux environs de paris, des maisons de bois ou de briques assez déplaisantes » (larbaud/ paulhan, p. 44).

6 William Blake, Chants d’innocence et d’expérience, traduit par p. soupault, paris, Éditions des cahiers libres, 1927.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 27

Germaine Pascal à Marguerite Caetani1

le 28 août [1926 ]

Bien chère amie, nous avons été heureux d’apprendre que vous aviez fait un bon voyage, et que vous étiez si contente de votre séjour à salzburg. nous, après quelques arrêts : gerardmer, la schlucht, Colmar nous nous sommes installés à aubure où nous avons trouvé un bon et chaud soleil, des forêts de pins, et des bruyères qui répandent une douce odeur de miel. malgré toutes ces bonnes choses, les premiers jours nous ne nous sentions pas très bien et Jean a même eu un très fort accès de fièvre qui m’a inquiétée. mais il se sent bien maintenant et nous avons déjà fait quelques longues pro menades dans les forêts. Dans ces forêts il y a des sentiers tout à fait beaux qui n’aboutissent nulle part malgré les nombreux écriteaux portant des indi cations comme celles-ci : Roche du Diable 1 K m , pierre des trois Bans 3 K m . on fait les trois Kilomètres et même plus sans rien trouver, ce qui est un peu vexant ; surtout qu’au retour on retrouve un écriteau indiquant que la Roche du Diable n’est qu’à 500 m. C’est un peu embrouillé comme vous voyez. *

nous ne rentrerons pas à paris avant le 12 et nous resterons encore dix jours ici. nous serions heureux d’y recevoir de vos nouvelles. pour le téléphone pouvons-nous refuser une offre faite si gracieuse ment. tout de même vous voulez bien que nous pensions un peu que c’est en grande partie pour nous que vous la faites et que nous vous en soyions reconnaissants.

Je vous embrasse bien affectueusement et vous prie de me croire bien sincèrement votre amie.

germaine pascal

Comment va votre orso ?

Lettre 22.

1 Deux cartes postales, jointes aux deux cartes de paulhan (voir lettre suivante) dans la même enveloppe, postée de aubure et adressée à la villa saint nicolas de Bénerville, par Blonvil le (Calvados). Cachet postal de Blonville : 1er septembre 1926.

CoRR espon DanCe FR ançaise28 22.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

[1er septembre 1926 ]

Chère amie, gide m’écrit que décidément il préfère donner à Commerce l’histoire du petit singe, Dindiniky, qu’il avait remporté d’a frique, et qui est mort. Je pense que ce sera bien. mais il ne l’a pas encore achevée 2 .

*

Je dois vous paraître mauvaise langue, avec savinio3. mais voici, par exem ple, ce dont je lui en veux. il dîne un soir chez les Crémieux et remarque ou bien imagine que mme Crémieux “avait une mauvaise odeur”4. le lendemain soir, plus de douze italiens à paris le savent déjà. C’est à dire que non seulement il l’avait dit ; mais fier de le dire, devant plusieurs personnes à la fois, d’avoir cette nouvelle.

*

nous avons appris quelques détails : ungaretti et B[ontempelli]. en se battant au café, ont cassé une table et plusieurs soucoupes5. Je crois qu’unga

Lettre 23.

1 trois cartes postales, jointes à celles de germaine.

2 a ndré gide, « Dindiki », Commerce, i X, automne 1926, pp. 43-59. i l s’agit de la première des trois contributions de gide à la revue. en août, ce dernier écrit en effet à paulhan : « Je réserve aux Bassiano (…) la monographie de mon petit compagnon de voyage, le petit nocturne-grimpeur pérodictique potto, (…) préférant garder pour La NRF la totalité de mes carnets de route, qui perdraient trop à être morcelés » (lettre du 16 août 1926, in a ndré gide, Jean paulhan, Correspondance 1918-1951, paris, gallimard, 1998, p. 51).

3 la princesse avait proposé en mai 1926 des textes d’alberto savinio, pseudonyme d’an drea de Chirico (1891-1952), frère de giorgio, mais larbaud émit un avis négatif (voir lettre du 30 mai 1926, in levie/Rabaté) et paulhan aussi vraisemblablement… aucun texte de cet auteur ne parut dans Commerce

4 madame Crémieux était la traductrice et romancière (à partir de 1930) marie-a nne Comnène (1887-1978).

5 ungaretti faisait peu de cas de l’œuvre de l’écrivain et polémiste massimo Bontempelli (1878-1960), fondateur avec Curzio malaparte de la revue Novecento (1926). ungaretti racon te le duel à paulhan dans une lettre d’août 1926 et lui adresse des coupures de journaux

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 29 23.

a été terrible. sur les photos du duel, il est ramassé sur lui-même et semble arriver en tournoyant. Bont. a simplement l’air d’un jeune homme bien mis. Bont. a profité de la réconciliation pour m’envoyer un nouveau manuscrit6.

Ce n’est pas vrai bien entendu ; je n’ai pas été décoré7. mais les Nouv[elles] Litt[éraires]. l’ont annoncé et je reçois un grand nombre de lettres : quatre sur cinq viennent de jeunes auteurs, qui ont de l’estime pour La NRF et n’y ont pas encore écrit.

C’est le moment où les papillons blancs montent en tournant, deux par deux. mais aubure est trop haut pour qu’il y ait beaucoup d’autres animaux. et même les sapins commencent à y avoir la “maladie des vieux sapins” : leurs branches portent des sortes de toiles d’araignées blanches.

le chaud et le froid y circulent par colonnes d’air, le soleil y brille sans être chaud, les gens y sont rudes et éclatent brusquement en plaisanteries inexplicables.

Je vous envoie mes souvenirs, et mon amitié, la mieux attachée

(voir Correspondance Jean Paulhan – Giuseppe Ungaretti, paris, gallimard, 1989, Cahiers Jean paulhan, n° 5, pp. 79-80).

6 aucun texte de massimo Bontempelli ne parut dans La NRF ou Commerce mais les Éditions gallimard publièrent en 1930 son roman Le Fils de deux mères, traduit par emmanuel audisio.

7 C’est son père, le philosophe Frédéric paulhan, qui avait été nommé chevalier de la légion d’honneur.

CoRR espon DanCe FR ançaise30
*
*
*

24.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

le 2 sept. [1926 ]

Bien chère amie

J’ai été trompé, comme vous, par cette carte innocente. Je vous écris d’un pays fou où l’air marche par colonnes, froides ou chaudes suivant le cas, auxquelles on peut se heurter, où les arbres fument. une sorte d’at mosphère épaisse et brutale nous empêche aujourd’hui de faire un pas. l’on ne peut sortir des maisons sans recevoir un coup de bâton au cou. le soleil est caché pourtant, et ne se montre que lorsque la pluie commence à tomber. (enfin, je puis relire les 80 lettres de félicitations reçues pour une décoration que je n’ai pas reçue : elles ne sont pas toutes très intéressantes.) nous partons pour strasbourg lundi et de là pour paris le délicieux.

Qu’il nous tarde de vous revoir. Recevez notre meilleure affection Jean paulhan.

25.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

mercredi. [8 septembre 1926 ]

Chère amie, Je ne savais pas qu’il y avait des pépinières de forêts : imaginez quelque cinq mille sapins, plus petits que des radis, que soigne un garde : le garde sera de la

Lettre 24.

1 Carte postale d’aubure, représentant l’entrée du village.

Lettre 25.

1 la carte postale est accompagnée d’une enveloppe postée de strasbourg et adres sée à la villa saint-nicolas de Bénerville, par Blonville (Calvados). Cachet de la poste du Calvados, au verso : 9 septembre 1926. la carte représente le château de st u lrich.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 31

terre et des pierres quand les sapins commenceront à profiter de leur jeunesse. on regarde ce garde avec amitié. nous voici à strasbourg. nous avons vu des cueilleuses de houblon, les diables guetteurs de l’église de Rosheim et à sainte-odile une plaque por tant que “c’était ici que maurice Barrès a réfléchi”2. trouverons-nous à paris, Dimanche, un mot de vous ? ne nous oubliez pas Jean paulhan

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

mercredi. [15 septembre 1926 ]

Chère amie, le jardin était brûlé ; orso devenu un peu trouble. i l parvenait à se sauver dans la nuit, pour aller rôder où ? (i l a rendu folle une petite chèvre voisine, qu’il prenait pour une chienne, qui ne le prenait pas pour un bouc). la femme de ménage a nettement accusé m me martin de venir lui ouvrir les portes, toutes les fois qu’il gémissait, et l’empêchait de dormir. nous avions presque privé de bonjours m me martin pour la punir, mais elle est inno cente. orso lui-même, nous l’avons vu, dans ses moments de désespoir ou de frayeur (provoquée cette fois par l’ouverture de la chasse, et les coups de feu) sait grimper en gémissant avec ses dents et ses griffes jusqu’au sommet de sa porte. ensuite, il se laisse tomber de l’autre côté, comme un sac. si trouble enfin qu’il n’est parvenu à tout à fait savoir que c’était nous, qui nous étions, qu’au bout d’un jour. nous ne l’abandonnerons plus. *

groeth est revenu de pontigny, pas du tout honteux. D’ailleurs une des décades est arrivée à une conclusion : c’est que le christianisme diffère du paganisme par l’idée qu’il a de la faiblesse de l’homme ou mieux comme l’a dit

2 une plaque indique plus exactement : « C’est ici que maurice Barrès vers l’automne 1903 écrivit son livre “au service de l’a llemagne” ». Au service de l’Allemagne avait paru chez Fayard en 1905.

CoRR espon DanCe FR ançaise32
26.

m. Desjardins dans une formule particulièrement heureuse (cette phrase est de m. du Bos) par sa conception de ne pas pouvoir vouloir1.

*

gardez-vous bien i ndienne, jusqu’à votre retour. Je pense que l’a lsace m’aurait paru très belle, si je n’avais pas été continuellement fiévreux (par l’effet, je crois, des vaccins)2 ; mais la fièvre mettait un certain espace entre nous. germaine est même allée jusqu’à me dire deux fois que j’avais pris un caractère bizarre. mais je crois qu’elle ne le pense plus. D’ailleurs c’est fini, je n’irai pas me réconcilier avec l’a lsace.

*

Claudel a refusé Partage de Midi. les 101 dames bibliophiles songent à choisir les Derniers Plaisirs de Fernand Fleuret. Que vous seriez gentille d’écrire à ce sujet un mot à la princesse schakowskaja (à la n RF)3. etesvous pour ou contre les Derniers Plaisirs, que segonzac illustrerait4 ? C’est une histoire qui a trait aux derniers jours de Don Juan. C’est, comme on dit, “très bien écrit” (dans la manière d’a natole France, etc.) enfin, c’est un bon pastiche.

Lettre 26.

1 De 1910 à 1939, paul Desjardins organisa les fameuses « décades » de pontigny, où se rencontraient et débattaient de grandes personnalités de l’époque. le critique littéraire Charles Du Bos (1882-1939) en était l’un des animateurs. voici les deux décades auxquelles groethuysen participa en 1926 : « Questions sur la vie de l’esprit. l’empreinte chrétienne. À quoi est-elle reconnaissable ? Disparaît-elle ? » (Décade du 15 au 25 août) ; « Questions sur notre civilisation. l’humanisme. ses divers visages ; son essence. un nouvel humanisme est-il possible ? » (décade du 26 août au 5 septembre).

2 « avant de partir en vacances, raconte paulhan à Jouhandeau, et à la suite d’un léger furoncle, j’avais dû me faire piquer au vaccin le plus singulier qui soit. […] le résultat a été que j’ai eu, plus de 20 jours, la fièvre et que l’a lsace m’a paru un pays inhumain » (lettre de septembre 1926, in Jouhandeau/ paulhan, p. 51). i l s’agit du sérum Bruschettini (voir lettre 41).

3 les Cent-une, société de femmes bibliophiles, publient une fois tous les deux ans un beau livre illustré. l’association fut fondée en 1926 par la princesse schakhowskoy, intel lectuelle avant-gardiste russe, collaboratrice de la n RF. le premier livre publié, en 1927, fut Suzanne et le Pacifique de giraudoux, illustré par Jean-Émile laboureur. suivit en 1928 Partage de Midi, illustré par a lfred latour. paul Claudel dut donc revenir sur sa décision.

4 Fernand Fleuret, Les derniers plaisirs. Histoire espagnole, paris, Éditions de la n RF, 1924. le poète et romancier Fernand Fleuret (1884-1945) a publié une dizaine d’ouvrages chez gallimard entre 1922 et 1937. a ndré Dunoyer de segonzac (1884-1974), peintre et ami de la princesse.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 33

Je vous enverrai le livre, si vous le désirez : mais ayez confiance en moi, je vous prie.

nous vous remercions infiniment. le téléphone était bien resté dans la pièce mais il avait perdu, plus qu’orso, toute connaissance et voix. Je crois que les fils, que nous allons faire remettre, ont été coupés. merci.

J’ai mis simplement sur l’annonce, pour changer, que Commerce avait publié “entre autres poèmes, récits, essais : valéry : sur les Lettres Persanes etc. et qu’il publierait……”5

*

Je viens de lire le Monde Désert. C’est un roman, que Jouve vient d’ache ver, que je trouve bien supérieur à Paulina et à ses poèmes, et par instants très grand. peut-être pourrait-on en détacher quelque passage, quelques poèmes (car il y a aussi des poèmes). Qu’en pensez-vous. mais qu’aviez-vous pensé des Déserts, qu’avait publiés La NRF6 . Je n’ai encore eu de réponse, ni de green7, ni de Chennevière8.

5 a nnonce parue dans La NRF d’octobre 1926. 6 paulhan soutenait depuis 1924 l’œuvre tourmentée de pierre Jean Jouve (1887-1976), aux confins de la mystique et de la psychanalyse – une « œuvre élevée et difficile » dira le poète lui-même, dans une lettre à paulhan d’octobre 1933 (voir pierre Jean Jouve, Lettres à Jean Paulhan 1925-1961, paris, Éditions Claire paulhan, 2006, p. 114). paulhan avait décidé gaston gallimard à publier Paulina 1880 (1925), qu’il aimait « extrêmement ». son deuxiè me roman, Le Monde désert (paris, gallimard, 1927), le « frappa » davantage encore et le laissa « sans défense », comme l’indique une lettre du 15 septembre 1926 : « mon cher ami, c’est une très grande chose que vous avez écrite ici, et que je mets à côté des plus grandes que je connaisse » (p. 38). La NRF avait publié « Des déserts » en février 1926, pp. 160-165.

7 paulhan a écrit à Julien green (1900-1998) pour lui proposer de participer à Commerce mais il n’avait alors, expliquera-t-il plus tard à marguerite Caetani, « rien d’assez court » à lui présenter. voir plus loin, lettre 168.

8 georges Chennevière (1884-1927), qui fonda le mouvement « unanimiste » avec son camarade de khâgne Jules Romains, publiera La Légende du roi d’un jour aux Éditions de la n RF, dans la collection « une œuvre, un portrait », en 1927. paulhan appréciait cette œuvre.

CoRR espon DanCe FR ançaise34
*
*

Chère amie et pour moi, j’ai bien peur. Je n’ai pu travailler à rien pour Commerce, ni songer même à travailler. Ces Fleurs de tarbes me préoccu pent toujours : elles n’ont encore rien dont je sois sûr, il me faut penser à les refaire. Je suis très malheureux, mais je vous en parlerai encore9. nous songeons à vous avec une affection très vive Jean paulhan.

27.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Jeudi. [16 septembre 1926 ]

Chère amie, Je pense qu’il est méchant à moi de vous demander des corvées. voulezvous me prendre comme secrétaire ? (sans quoi il me faudrait vous envoyer le livre, il vous faudrait le lire) : segonzac donnerait sans doute de l’intérêt aux Derniers plaisirs2 . mais à ce compte, pourquoi ne pas choisir franchement quelque récit du X viiie siècle ? et si nous préférons un auteur moderne, ayons du moins le courage de notre choix : je vote pour Barnabooth3, ou bien encore pour

ici, je vous laisse. Anicet encore, pourquoi pas 4 ?

9 Jean paulhan, Les Fleurs de Tarbes ou La Terreur dans les lettres, paris, gallimard, 1941. paulhan travailla de longues années à cet essai, dont une première version parut dans La NRF, de juin à octobre 1936. en août 1927, il crut l’avoir terminé.

Lettre 27.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 voir lettre précédente. i l s’agit toujours de choisir un livre pour les Cent-une, société de femmes bibliophiles.

3 valery larbaud, A.O. Barnabooth, ses œuvres complètes, paris, Éditions de la nRF, 1913.

4 louis a ragon, Anicet ou le Panorama, paris, Éditions de la n RF, 1921.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 35 *

tout s’éclaire peu à peu. orso nous a attendus patiemment sept jours. C’est le 8me qu’il a commencé à pousser quelques hurlements atroces. i l a retrouvé son calme, et sa tête éclatante. au revoir, nous vous envoyons beaucoup d’affection

Jean paulhan.

28.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

Dimanche. [19 septembre 1926 ]

Chère amie

Je suis un peu effrayé. la “grandeur humaine” me paraît splendide (je n’ai fait encore que la parcourir), et la traduction détestable. voici quelques notes sur les deux premières pages ; dois-je continuer, et comment continuer sans avoir le texte1 ?

Je suis fâché, contre moi, de vous ennuyer. pourtant j’aime beaucoup n’importe quelles singularités et maladresses : mais il s’agit ici de platitudes et d’obscurité.

*

la comtesse de noailles a parlé de Commerce, et de guilleré, mais de Fargue, non. Ce qui l’a bien déçu 2 .

Lettre 28.

1 Rudolf Kassner, « Des éléments de la grandeur humaine », traduit de l’allemand par la princesse a lexandre de la tour et taxis, Commerce, i X, automne 1926, pp. 107-170. la traduction sera en fait entièrement revue par groethuysen et paulhan, même si leurs noms ne sont pas mentionnés dans le numéro (voir lettre suivante).

2 paulhan fait allusion à un entretien avec Frédéric lefèvre paru dans Les Nouvelles littéraires du 18 septembre 1926, « une heure avec la comtesse de noailles ». la comtesse évoque en effet la revue : « Je sais, je vois, et l’on me dit de toute part avec enchante ment qu’il y a une littérature ultra moderne. voici entre mes mains le dernier numéro de Commerce, édition luxueuse et rare. Je l’ouvre sous vos yeux, au hasard, et je lis de brèves pages rusées, brutales, cyniques de m. René guilleré, où l’espagne, résumée, est comme tangible ». suivent quelques remarques sur un texte de Cecchi traduit par larbaud. la

CoRR espon DanCe FR ançaise36 *

ne vous ai-je pas dit que gide se proposait de ruiner pontigny ? i l rêve précisément d’un nouveau pontigny, au bord de la mer, et sans décade. Fautil accepter cet allié3 ? J’écris à Jouve4.

De sichel, ne voudriez-vous pas lire un nouveau manuscrit 5 ?

*

ne faut-il pas apprendre à orso à se battre, et comment le lui apprendre ? Quand il se voit menacé par le chien de la marchande de chiffons (ce chien fauve qui est toujours fiévreux, les poils collés) ou bien par le petit chien blanc à qui il faisait tellement peur il y a un mois par sa taille et qui veut à présent se rattraper, il se couche et prend l’air le plus inoffensif qu’il peut. si l’autre le mord, il gémit sans bouger. et quand je me précipite contre les chiens, il ne songe qu’à me féliciter, pas du tout à en profiter pour les mordre.

*

les Fleurs de Tarbes ne valaient rien, et j’ai dû les recommencer. (et qu’il n’y ait pas de vrai langage sans grandeur, c’est la chose la plus dif ficile du monde à établir, dès que l’on veut être précis, et ne pas parler trop vite de la grandeur, un secret.)

*

ne voudrez-vous pas écrire à la princesse schakowskaja ? un mot de vous aurait un tel poids, entraînerait peut-être le choix d’un beau livre6… comtesse nuance toutefois son jugement en estimant que les « études certes captivantes » des jeunes auteurs « risquent de moins s’installer dans notre mémoire » que celles de leurs devanciers, giraudoux, morand et Cocteau, qui sont à ses yeux les « inventeurs de notations audacieuses, exactes, multiformes » (p. 2).

3 gide était pourtant un habitué de pontigny. son amie maria van Rysselberghe note toutefois dans ses carnets, le 26 août 1926 : « [gide] m’avoue qu’il est crispé par le program me de la décade élaboré par Desjardins : le fond, la forme, tout l’agace par sa pédanterie ». voir Les Cahiers de la Petite Dame, tome i : 1918-1929, paris, gallimard, 1973, p. 269.

4 i l lui écrivit le jour même, comme l’indique une lettre de Jouve datée du 21 septembre (voir pierre Jean Jouve, Lettres à Jean Paulhan 1925-1961, paris, Éditions Claire paulhan, 2006, pp. 42-43). Jouve refuse une publication partielle des poèmes (figurant dans Le monde désert) dans la revue.

5 pierre sichel, écrivain et peintre, avait publié en 1926 Banal ou Les ruses dans la presse dans la collection « une œuvre, un portrait » de gallimard. malgré les avis favorables de paulhan, valéry et larbaud, aucun texte de sichel ne parut dans Commerce.

6 i l s’agit toujours du choix d’un livre pour les Cent-une, société de femmes bibliophi les. voir lettres précédentes.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 37

nous vous envoyons plus de mille amitiés

Jean paulhan.

(le plus simple ne serait-il pas que je continue à indiquer des corrections possibles, que groeth à Bénerville7, d’après le texte, reverrait ?)

29.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

Dimanche. [26 septembre ou début octobre 1926 ]

Chère amie, nous avons bien travaillé ; à 7 heures il ne demeurait plus, jusqu’à la page 25, un seul mot qui appartînt à la princesse de tour et taxis. nous recom mençons demain, chez groeth. Je crois que j’aimerai beaucoup Kassner1. *

Que dira Fréret 2 ? Je lui ai apporté, vendredi soir, villes mouvantes3. Je lui remettrai demain le jeune européen, Drieu accepte4. a h, et j’oubliais que

7 la princesse séjournait à Bénerville.

Lettre 29.

1 i l est toujours question de la deuxième contribution de l’écrivain et philosophe autrichien à la revue, « Des éléments de la grandeur humaine » (voir lettre précédente). Rudolf Kassner est un auteur très présent dans la revue. Jean paulhan avait déjà traduit « le lépreux », paru dans le cahier v de l’automne 1925, pp. 95-122. C’est Rilke, un des conseillers de la princesse pour la littérature étrangère, qui lui avait fait découvrir l’œuvre de son grand ami. voir Bohnenkamp/ levie.

2 R. Fréret, employé de la société générale d’imprimerie et d’édition, anciennement i mprimerie levé, chargé du suivi d’impression de Commerce. Cette petite imprimerie se trouvait rue de Rennes.

3 henry m ichaux, « villes mouvantes », Commerce, i X, automne 1926, pp. 73-84.

4 pierre Drieu la Rochelle, « l e Jeune européen », Commerce, i X, automne 1926, pp. 87-104. Comme l’indique une lettre de l’écrivain à marguerite Caetani (voir plus loin, lettre 143), Drieu devait publier un extrait de son essai dans La NRF. i l dut accepter de privilégier Commerce, puisque La NRF n’en donna aucun extrait.

CoRR espon DanCe FR ançaise38

je dois vous dire du bien de guilleré5. Fargue admire beaucoup les nouveaux poèmes, qu’il vous remettra ; il me prie de les aimer aussi.

Je vous envoie bien des amitiés

Jean paulhan.

30.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

vendredi. [début octobre ? 1926 ]

Chère amie

J’ai remis hier à m. Fréret (qui m’accueille toujours avec beaucoup de bienveillance) toute la fin de la “grandeur humaine”1.

Je vous enverrai de temps en temps des petites notes pour les services de Commerce en voici une 2 et de ce Berthault, que penserez-vous3 ? J’ai aussi un récit de hertz, pour vous. puis-je vous l’envoyer ? très bon4.

nous avons reçu une demande en mariage pour orso. la jeune chienne semble très bien élevée ; bien entendu, de race tout à fait pure. Je ne décide rai rien sans vous la montrer. notre bien vive et grande amitié

Jean paulhan.

5 Des poèmes de René guilleré (1878-1931), sous le titre « Dans les espagnes arbitraires », ont paru dans le cahier viii, à l’été 1926.

Lettre 30.

1 « Des éléments de la grandeur humaine », de Rudolf Kassner (voir lettres précédentes).

2 Cette note n’a pas été retrouvée.

3 aucun texte de François Berthault (1887-1934), auteur notamment de Cathédrale appa rue chez gallimard (1929), ne parut dans Commerce. larbaud regrettait que paulhan soit « si peu partisan » de cette œuvre (lettre à la princesse du 10 mai 1928, voir levie/Rabaté).

4 paulhan lui adressera les « préparatifs de création » de hertz, publiés dans le cahier X i du printemps 1927, le 23 décembre (voir lettre 35).

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 39

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

lainville. mardi. [30 novembre ? 1926 ]

Bien chère amie

J’ai mis de côté pour vous, avant de partir, une étude sur les sérums et les vaccins – contre lesquels il y a, vous le savez, une assez vive réaction chez les jeunes médecins (moi, je n’y entends pas grand’chose, mais il me semble qu’une sorte d’imprévoyance médicale qui se soucie peu des effets profonds des remè des, de ce qu’ils peuvent détruire dans la part la plus lointaine du corps – pour vu que l’effet immédiat soit agréable – ne se montre nulle part plus naïvement. Je me défie aussi de cet idéal : tout le monde malade, mais légèrement, dont les médecins ne se défont pas tout à fait. ainsi les littérateurs imaginent tous les autres gens comme légèrement littérateurs : mais ils n’ont que des moyens assez doux pour imposer leur idéal, au lieu que les médecins… enfin je me demande si vous ne donnez pas, bien trop facilement, des sérums à leliah et à Camillo)2

*

un monsieur très bien s’est jeté sur moi à la gare saint-lazare, pour me faire compliment d’orso. “Je vous écrirai” m’a-t-il dit. i l a une chienne, non pas moins belle. De loin il m’adressait encore de petits sourires et me criait : “ayez le à l’œil, surtout !” à la surprise des gens. i l s’appelle Cabaret, et il a une villa à trouville.

*

i l fait hiver ici ; il pleut et je travaille comme un fou. Je crois que vous serez contente de ces fleurs de tarbes (que j’ai complètement recommen

Lettre 31.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie). Jean paulhan passa cinq jours à lainville (seine-et- oise) autour du 25 septembre et aussi en fin d’année. une enve loppe à en-tête de la n RF, postée de montalet-le-Bois le 30 novembre 1926 et adressée à la villa Romaine de versailles (cachet du 1er décembre 1926) se trouve dans les a rchives Caetani, mais associée par erreur à une autre lettre.

2 Camillo Caetani (1915-1940), le fils de marguerite et Roffredo Caetani.

CoRR espon DanCe FR ançaise40 31.

cées : à vrai dire je pense que c’était leur préoccupation continuelle et tout ce qui allait contre elle, tout ce qui m’avait arrêté de les refaire, qui m’avait tellement fatigué, les derniers jours de paris). Que d’amitiés je vous envoie

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

mardi. [décembre 1926 ou janvier 1927]

Chère amie, je suis navré. tout semble perdu de nouveau.

J’avais promis de donner la lettre le 1er Février (à un tarif un peu plus élevé que le tarif habituel de La NRF ). i l était entendu de plus avec Du Bos, sous réserve du consentement de schiffrin – qui nous paraissait à tous deux assuré – que la lettre porterait le copyright au nom de schiffrin 2 . or, schiffrin aujourd’hui refuse, et exige que le copyright vaille pour les autres écrits en prose de h. et serve à les annoncer – c’est à quoi il a été entendu que La NRF se refuserait toujours (qu’il s’agisse des éditions de la nRF ou d’autres éditions ; et j’ai fait trop d’efforts afin de faire accepter de gaston gallimard ce principe, pour qu’il me soit aujourd’hui possible de changer d’avis).

J’ai fait proposer à schiffrin de donner dans le no du 1er mars de La NRF une note sur le livre de h., qui débuterait par : “l’on a lu dans la dernière NRF…”. i l maintient son refus. on n’a pas idée d’un homme aussi buté, et pour une telle sottise. J’ai eu beau lui faire remarquer qu’il s’agissait d’une règle de conduite absolument fixe, à laquelle nous ne manquons jamais, qu’une revue n’a pas pour rôle de servir de réclame aux maison d’édition… enfin, je ne vois aucun moyen de repêcher la chose. schiffrin estime qu’il

Lettre 32.

1 papier à en-tête de la n RF, 3 rue de grenelle.

2 hugo von hofmannsthal, « l ettre de lord Chandos », La NRF, mars 1927, pp. 283295. une note précise, en première page : « Copyright by editions de la pléiade J. schiffrin 1927 (Œuvres en prose de h. von hofmannsthal) ». les Éditions de la pléiade, créées en 1923 par Jacques schiffrin (1892-1950), allaient en effet publier les Écrits en prose de hofmannsthal, traduits par e hermann, avec un avant-propos de Charles Du Bos.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 41
32.

nous fait, en retardant la publication du livre, un grand sacrifice, qu’il faut lui payer.

marsan m’a lu l’hérétique3. Ce sera merveilleux. Que je suis ennuyé. Que j’aurai voulu, pour vous, réussir.

Jean paulhan.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

mercredi. [décembre 1926 ?]

mon amie, que je vous écrive pendant que votre lettre me donne encore tant de joie (dont je suis un peu confus) : peut-être avez-vous raison, et je vous adore bien plus que je vous aime (que ces mots ennuient ! tant pis, je vous les laisse) peut-être aussi ne peut-on parler d’amitié tout à fait, si quelque autre question ne s’est pas posée. ma seule frayeur est que vous ayez un peu exagéré ce que vous dites de notre amitié, et que vous ne le pensiez pas toutà-fait. peut-être voudrez-vous un jour me le redire (sans rien avoir à ajouter cette fois). Je voudrais vous défendre de bien autre chose que d’un rêve1 etes-vous guérie, tout à fait guérie ? si non, je vous prie, ayez toujours près de vous une tasse où vous mélangerez du miel et du jus de citron. goûtez-y lentement, chaque demi-heure. vous guérirez en un demi-jour. au revoir, mon amie

3 anonyme, « Brûlement d’un hérétique », traduit par eugène marsan, Commerce, X, hiver 1926, pp. 189-200. il s’agit d’un texte de la fin du trecento, relatant l’histoire de Frère michel minorita.

Lettre 33.

1 paulhan fait allusion à ces troubles de l’amour ou de l’amitié dans ses carnets intimes, édités par Claire paulhan sous le titre La Vie est pleine de choses redoutables : textes auto biographiques (seghers, coll. « pour mémoire », 1989 ; titre repris en 1997 par les Éditions Claire paulhan). le 27 août 1925, il note ainsi : « Dans le second [rêve], je ne sais si quelque avertissement oral, ou quelque lettre m’avait informé que “je cessais d’aimer maine, j’aimais dorénavant madame de B.” » (p. 221). Claire paulhan indique en note qu’il s’agit probablement de m me de Bassiano. Dans un autre passage, daté du 3 décembre [1926], paulhan fait part de sa joie d’occuper la place d’honneur à versailles, à la droite de marguerite Caetani (p. 239).

CoRR espon DanCe FR ançaise42
33.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

mercredi. [21 ? décembre 1926 ]

Chère amie, voici Beucler et hertz 2 savez-vous que Jacomet va reproduire, et très bien, vingt-cinq la Fresnaye3 ? Je vous prie, dites que personne ne les retienne pour vous, laissez-nous vous les donner. l’hiver a commencé juste avec l’hiver. nous vous envoyons de grandes amitiés

Jean paulhan.

J’ai dû quitter nietzsche quatre jours4, pour mon numéro du 1er janv. (qui sera très bien, vous verrez – et nous y disons le plus grand mal de Deberly5.)

Lettre 34.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 a ndré Beucler (1898-1985) n’a publié qu’un seul texte dans Commerce, « entreprise de fééries », v, automne 1925, pp. 141-168. henri hertz, « préparatifs de création », Commerce, X i, printemps 1927, pp. 163-180.

3 Daniel Jacomet (1894-1966), imprimeur et éditeur d’art, connu pour son célèbre pro cédé de reproduction. i l reproduira des œuvres du peintre cubiste Roger de la Fresnaye (1885-1925) en 1949, pour une édition de son œuvre complète parue chez Rivarol en 1949 (présentée par Raymond Cogniat et Waldemar george).

4 paulhan a traduit deux textes de nietzsche pour la revue : « le drame musical grec » (cahier X de l’hiver 1926) et « socrate et la tragédie » (cahier X iii, automne 1927).

5 gabriel marcel signe en effet une note sévère sur Le Supplice de Phèdre d’henri Deberly (Éditions de la n RF) dans La NRF de janvier 1927, évoquant notamment « un style voyant et guindé » (p. 124).

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 43 34.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

vendredi. [23 décembre 1926 ]

Chère amie, voici hertz (que je n’avais pas eu assez tôt pour vous l’envoyer avant-hier).

i l fait froid et vent, le vent le plus violent que j’aie jamais entendu. on entend presque les loups qui le mangent. Demain, nous quittons paris pour saint-vigor, où nous resterons 6 jours (c’est la tsF anglaise qui nous y sou haite le nouvel an). C’est : “le parc, saint-vigor, par Bayeux, Calvados”, chez a lbert uriet 2, dont nous vous avons parlé, qui a un peu élevé orso, qui a le caractère le plus sauvage et pourtant (on ne sait pourquoi, peut-être parce qu’il n’y a pas de rapports entre l’un et l’autre) dessine d’une manière, il me semble, trop apprivoisée. D’abord, j’y achèverai nietzsche, puis – enfin, j’ai des projets.

nous vous envoyons une histoire d’une église : il ne faut peut-être pas la lire dans tout le détail ; pourtant il me semble qu’elle est d’un sérieux extraordinaire. (Dans sa façon de ne pas distinguer entre ce qui est artiste et le reste, enfin de vous placer avant l’église, et toutes les façons dont on s’ar range ensuite pour parler d’elle commodément.) et qui, à la longue, donne des tas d’idées. enfin, je voudrais bien qu’elle vous intéressât. est-ce que vous songez à l’année, quand elle finit ? eh bien, ici, il nous semble que notre amitié pour vous est devenue plus forte et plus grande, qu’elle nous rend plus contents encore. et les souhaits que nous faisons pour vous dépassent de beaucoup ceux qu’il nous faut faire aujourd’hui (que vous soyez vite de nouveau tout à fait guérie – mais je vous promets que le miel au citron vous sauvera en deux jours – voyageuse, volante). germaine, à peine remise de sa grippe, a eu beaucoup de soucis : son fils3 s’est marié lundi dernier, n’est parti qu’hier soir en voyage de noces :

Lettre 35.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle. enveloppe n RF postée de paris le 23 décembre 1926 et adressée au golf-hôtel de Beauvallon par sainte-maxime.

2 a lbert uriet (1889-1954), peintre et illustrateur (notamment pour les Éditions mame et fils de tours), que paulhan avait connu au front en 1915, et à qui le liait une solide amitié. i l avait illustré des exemplaires de luxe du Guerrier appliqué (sansot, 1917).

3 germaine avait deux enfants, marcel et odette, nés respectivement en 1904 et 1906.

CoRR espon DanCe FR ançaise44 35.

ce n’est que demain qu’elle va commencer à se reposer vraiment. où nous allons, dans une sorte de grande ferme ou château avec son parc et au milieu du parc, un pré à vaches (pour orso). au revoir, nous vous souhaitons un heureux noël.

Jean p votre lettre vient d’arriver. mais vous gâtez trop pierrot et pékou4, très heu reux tous deux. pierrot, je crois, se décide pour une belle montre, que nous irons chercher demain (il décide aussi de vous remercier lui-même, mais je ne sais pas s’il y arrivera avant quelques jours). merci.

[En marge, sur le côté gauche :] J’ai lu le dernier livre de marsan, qui vous donne bien raison. mais ses tra ductions sont parfaites, je vous le promets5

*

Je suis très heureux de travailler au nietzsche.

*

le prince m irsky doit venir me voir le 6 janvier6

4 pierre (1913-2000) et Frédéric (1918-1993) paulhan, les fils de Jean paulhan et de saloméa prusak, dite sala (1884-1951), sa première épouse.

5 le dernier livre d’eugène marsan (1882-1936), homme de lettres et de revues proche de Barrès et de maurras, est sans doute Les Chambres du plaisir, paru en 1926 aux Éditions de la n RF.

6 prince Dmitri sviatopolk-m irsky (1890-1939), historien et critique littéraire, conseillait la princesse Bassiano pour la littérature russe. voir levie/smith.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 45

36.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

mardi [ janvier 1927]

Chère amie, vous savez bien quel plaisir c’est d’aller dans la petite imprime rie1 (aujourd’hui j’y possède même un bureau) mais je n’ai reçu votre lettre qu’hier soir ; peut-être êtes-vous impatiente. *

Ce sont cent trente pensées, un peu plus claires, un peu plus épaisses que le suarès habituel 2 – (et presque sans images, et qui commencent toutes, franchement ou non, par : je…) par exemple : paradoxe, vérité neuve ; préjugé vérité usée. (il y en a beaucoup de ce genre. mais, suarès, regardez-vous un peu mieux ; ne soyez pas si raisonnable) ou :

Rien ne me plaît que d’entreprendre3. a h, je vous préviens aussi : il appelle les a nglo-saxons des “mâles imbéciles”. (p. 56) i l dit aussi : “l’espagne est la ressource du monde contre l’a mérique du nord, qui prétend asservir le monde à la machine”4. vous ne saviez pas ? Je préfère : le clair de lune rend les nègres frénétiques. C’est qu’ils sont l’ombre5 Que vous dire. Comment refuser ce que vous avez demandé ? (et deman der des coupures, ce n’est pas loin de refuser). mais enfin il me semble que ces variables n’ont à peu près aucun intérêt.

Lettre 36.

1 l’i mprimerie levé, 71 rue de Rennes.

2 i l est question de « variables » d’a ndré suarès, paru dans le cahier X de l’hiver 1926, pp. 49-87.

3 « Rien ne me plaît que d’entreprendre. pédant qui persévère. Cuistre, qui s’en sait gré. et lequel y manque ? », Commerce, X, p. 56.

4 « l’espagne est la grande ressource de l’europe contre l’a mérique du nord, qui pré tend asservir l’ancien monde à la machine ». Ibid., p. 60.

5 « le clair de lune rend les nègres frénétiques : c’est qu’ils sont l’ombre de l’ombre, alors, et la nuit noire ». Ibid., p. 62.

CoRR espon DanCe FR ançaise46

*

puisque c’est une lettre pratique, je vais vous donner deux conseils. i pour pêcher des poulpes

i l faut agiter devant les trous de rocher que l’on voit sous l’eau son bras, ou une branche d’olivier (avec ses feuilles) ; et, dès que le poulpe se montre, le saisir par la tête (et jamais par ses doigts).

ii pour gagner à la roulette

i l ne faut prendre avec soi que trois cents, ou trois mille francs ; traverser les trois salles de monte-Carlo en ne songeant à rien, en se sentant devenu différent (et en se disant, par exemple : tiens, voilà une table, voici un homme à chapeau vert) ; aller s’asseoir sur un fauteuil jusqu’au moment où l’on a le pressentiment que le rouge va sortir. a lors se précipiter à une table et jouer sur la rouge 100 ou 1000 fr. on ne reprend connaissance qu’ensuite.

*

nous vous envoyons à tous une grande amitié, et quelques nouveaux sou haits.

37.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

samedi. [22 janvier 1927]

J’aurais dû vous écrire plus tôt ; mais il est devenu pénible de parler d’orso. i l est mort Jeudi matin, à 10 heures. i l avait commencé la veille, et il avait

Lettre 37.

1 accompagnée d’une enveloppe postée de paris le 23 janvier 1927 et adressée au golf hôtel de Beauvallon, par sainte-maxime (var). paulhan a noté son adresse sur l’enveloppe : 43, bd de l’union, plessis-Robinson, seine.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 47

continué pendant la nuit à rendre un sang décomposé. ses yeux étaient deve nus plus jaunes encore et il ne pouvait pas toujours relever la tête, quand nous venions près de lui. la première injection de sérum Quinton, le mercredi, l’avait fait souf frir, et ne l’avait guère soulagé. le Jeudi matin, il pouvait de nouveau nous regarder, son regard n’avait pas changé. a un moment où nous étions tous deux près de lui, il a poussé deux cris et est mort presque aussi tôt ; mais son cou a eu des soubresauts pendant quelques instants encore. nous n’avions pas compris si les cris étaient forts, ou non ; mais ils devai ent l’être, les voisins les ont entendus et nous en ont parlé. Ce sont les seuls qu’il ait poussés pendant sa maladie.

i l est étrange de penser à tout ce qu’il a été pour nous (ainsi, si nous avons quitté sceaux pour Robinson, etc.). i l est difficile de ne pas avoir le sentiment que c’est une nouvelle phase de vie qui commence.

le vétérinaire pense qu’il devait avoir le foie atteint depuis très long temps, et que tout ce qu’à maisons-a lfort l’on avait attribué au ver tenait à une maladie de foie qui avançait. sa maladie aiguë a duré six jours ; c’est le vendredi 14 qu’en le voyant schlumberger avait eu cette impression bizarre qu’ “il avait l’air vieux”. i l nous semblait qu’il n’avait que l’air inquiet ; le vétérinaire est venu ce jour-là, et n’a encore parlé que d’entérite ; ensuite, il s’était assez attaché à orso pour nous parler de tous les chiens qu’il connais sait, et qui auraient dû mourir plutôt que lui.

J’ai écrit à Jouhandeau, qui ne m’a pas encore répondu (mais il a été, quelques semaines, désespéré et près de se tuer)2.

puisque ce sont les “préparatifs de création” que vous choisissez3, il n’est pas pressé qu’ils paraissent. (mais, je vous prie, rendez-moi vite les autres, que l’on me redemande). Dois-je tout de même leur sacri fier suarès ? Je ne le ferai pas, sauf dépêche de vous.

les Nouvelles Littéraires étaient complètes : l’annonce ne passera que dans huit jours 4. (vous avez dû d’autre part recevoir tous les numéros, n’estce-pas ?)

Robert aron, qui fonde le théâtre Jarry, me demande de vous le présen ter. J’ai une très grande confiance, moins encore peut-être en lui (mais qui

2 aucune lettre de leur correspondance publiée ne mentionne cet épisode.

3 i l s’agit d’un texte de henri hertz, auteur dont il a déjà été question (voir par exemple lettre 30).

4 le sommaire du cahier d’hiver, numéro X, sera annoncé le 5 février dans l’hebdoma daire Les Nouvelles littéraires. pour les textes de nietzsche et de Woolf, on peut noter la précision suivante : « entièrement inédit ».

CoRR espon DanCe FR ançaise48

est très tenace ; très énergique – et d’ailleurs excellent organisateur) qu’en vitrac et artaud, qui sont ses deux metteurs en scène – (mais ne l’avouent pas encore trop, à cause des surréalistes, dont ils ont peur)5. au revoir, notre amie

Jean p

Je vous envoie le dernier maeterlinck, la vie des termites (ce n’est pas à cause de lui, mais d’eux. vraiment cela vous intéressera beaucoup, et lélia et Camillo.)6

38.

Roffredo Caetani à Jean Paulhan1

24 janvier 1927

Cher ami, ça m’est bien pénible d’apprendre que aussi votre orso a rejoint la lon gue liste des morts. voilà 8 de perdues sur 10. Je suis navré pour vous et pour madame pascal ; vous avez entouré cette pauvre bête de tant de soins que vraiment vous ne méritiez pas autant de malchance. Faites vous donner Whimsey ; la sœur vous consolera un peu de la perte de son frère. veuillez bien exprimer toute ma sympathie à madame pascal, et croyezmoi votre bien dévoué

R. di Bassiano

5 l’intellectuel Robert a ron (1898-1975), un temps secrétaire de gaston gallimard, sera notamment l’un des animateurs du groupe non-conformiste « ordre nouveau » (1930-1938). auteur de nombreux ouvrages historiques et politiques, il sera élu à l’académie française en 1974. avec a ntonin a rtaud et Roger vitrac (exclus du mouvement surréaliste en 1926), Robert a ron anima le t héâtre a lfred-Jarry de 1927 à 1929. en juin 1928, les surréalistes perturbèrent la représentation de leur troisième spectacle, le Songe de strindberg.

6 maurice maeterlinck (1862-1949), La Vie des termites, Fasquelle, 1927. une édition ornée de gravures sur cuivre parut chez Jean variot bibliophile la même année.

Lettre 38.

1 papier à en-tête : villa romaine / av d ouglas h aig / versailles (tel. 13-28)

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 49

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

Dimanche soir. [6 février 1927]

Chère amie, Fargue nous dit que vous serez à paris vers le 15 Février1. C’est donc que lélia va tout à fait bien. Que vous devez être heureuse. et nous.

*

(Fargue est guéri, il n’a plus ces joues enflées, qui lui étaient si étranges). pardonnez-moi, je ne vous ai pas écrit parce que j’étais assez fatigué toute la semaine. et j’ai bien eu tort d’aller revoir mon médecin, quoiqu’il ne me l’ait pas demandé : il était revenu à une sorte de vue plus sage des choses, et presque philosophique. i l a renoncé à me trouver aucune maladie précise, même pas la jaunisse comme la 1re fois, il a simplement admis que c’était comme ça.

i l m’est arrivé une autre histoire étrange. Figurez-vous que valéry, larbaud et Crémieux ont voulu me faire décorer, ils sont allés gentiment voir herriot, lui parler de moi. mais la fin de l’histoire est moins touchante, c’est que j’ai été décoré 2 . germaine, qui est révolutionnaire et veut que je ne la porte pas, a parlé de ma décoration avec un tel dédain, que marsan, qui était à la revue ce jour-là, a pensé que je l’avais obtenue par des moyens indélicats. *

un autre trait pénible de la maladie d’orso, c’est que, si douillet jusque là, il était devenu tout d’un coup courageux et dur à la douleur, au point que rien ne lui semblait impossible ; il avait tous les regrets. la veille de sa mort encore, en m’entendant, ou en entendant germaine sortir sans lui, il avait un regard, sans aucun gémissement, que nous n’oublions pas.

Lettre 39.

1 marguerite Caetani séjournait à sainte-maxime. e lle ne rentra à versailles qu’au milieu du mois de mars.

2 le 29 janvier 1927, paulhan avait été nommé chevalier de la légion d’honneur. un banquet présidé par Édouard herriot, ministre de l’i nstruction publique du gouvernement poincaré, sera organisé le 6 avril.

CoRR espon DanCe FR ançaise50 39.

– Chère, chère amie, c’est tant de joies au contraire que nous vous devons. et les tristesses, seulement l’autre côté de quelques joies. Quand paraît Commerce 3 ? Fréret m’a promis un jeu d’épreuves complet. et bien sûr, le nietzsche devait être en petits caractères, et l’allemand pareil au français. a le relire, je l’ai aimé bien davantage (je veux dire la pensée). en relisant Agnès je me suis aperçu que c’était du marie laurencin : le même charme, les mêmes vides4. avez-vous lu les Sept frères de Kivi ? C’est une histoire finlandaise assez belle. puis-je encore vous l’envoyer5 ?

*

(voudrez-vous bien prévenir leclerc6 que l’annonce de Commerce a paru dans les N[ouvelles]L[ittéraires] – soit 68 lignes à 10 frs.) songez-vous déjà au numéro de printemps ?

*

J’ai tâché de profiter de la maladie de du Bos pour lui arracher la préface de st augustin. mais schiffrin lui a même refusé, il paraît, de laisser publier la préface qu’il a écrite pour Boylesve7 i l faut donc parvenir jusqu’à s. luimême : ce sont ses amis qui le font sévère. i l est indécis et timide, mais il

3 le cahier de l’hiver 1926, contenant la traduction de nietzsche de paulhan, parut en février 1927. « la traduction de nietzsche est une merveille de précision », lui écrit ungaretti en avril 1927 (voir paulhan/ ungaretti, p. 105). 4 CK, « a gnès », La NRF, février 1927. le texte, paru sous ces seules initiales, est de Catherine pozzi. paulhan ne découvrit son identité qu’en mai 1927. le texte avait d’abord été proposé à Commerce par valéry mais la princesse « ne l’aim[ait] pas outre mesure » et craignait qu’on ne le lui attribue, puisque l’auteur tenait à son anonymat. voir Catherine pozzi et Jean paulhan, Correspondance 1926-1934, paris, Éditions Claire paulhan, 1999, p. 36 (extrait de lettre à valéry cité par Françoise simonet-tenant). au sujet du peintre et portraitiste marie laurencin (1885-1956), qui fut la muse d’apollinaire et l’amie de picasso, voir plus loin, lettre 109.

5 a leksis Kivi (1834-1872), Les Sept frères, stock, 1926.

6 sur les cahiers de la revue, jusqu’à l’automne 1928, et dans l’annonce des Nouvelles littéraires, la « rédaction et administration » se trouve à la librairie henri leclerc, au 219, rue saint-honoré.

7 Du Bos dirigeait la collection « Écrits intimes » aux Éditions de la pléiade, créées par Jacques schiffrin. i l y publia en 1927 les Soliloques de saint-augustin, avec une introduction de groethuysen (voir lettre 41), et Feuilles tombées de René Boylesve (1867-1926), dont il signa l’introduction. Du Bos souffrait alors d’un ulcère du duodénum.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 51 *

faut s’attaquer à lui quand il est seul. si vous voulez, nous monterons un guet-apens, comme pour suarès. le 16 février, il y aura à l’hôtel des ventes des Rouault à en devenir tout à fait fou : les plus beaux que j’aie jamais vus : des magistrats, et des filles8. vos corrections à la notice de m. oehler étaient très justes9. (seulement il devient encore plus injuste que je sois seul à signer la traduction).

Je vous envoie stuart merrill10 et nous sommes bien près de vous Jean paulhan.

40.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Jeudi. [10 février ? 1927]

Chère amie voici le silence d’amor2. Qu’a dit Chauvet3 ? i l nous tarde de le savoir. si vous ne revenez pas vite, vous ne me verrez plus avec ma décoration (c’est comme de conduire une auto, ça ne devient pas machinal, c’est assez embar rassant, plutôt intimidant). C’est aujourd’hui que groeth prend part pour la première fois aux délibérations du Conseil de la n RF. C’est un grand jour. J’ai été tout à fait heureux de le revoir, et avec des joues rouges. mais nous

8 paulhan possédait plusieurs toiles de georges Rouault (1871-1958). De 1903 à 1913 environ, il a peint de nombreuses gouaches représentant des clowns, des prostituées, puis une série de juges et de tribunaux grotesques.

9 « note » de max oehler, Commerce, X, hiver 1926, p. 46. paulhan a traduit cette cour te présentation de la conférence de nietzsche faite par l’archiviste du Nietzsche-Archiv

10 le poète stuart merrill (1863-1915) avait traduit de l’anglais des poèmes en prose (« silence d’a mor ») de Fiona mac leod, pseudonyme féminin, caché de son vivant, de l’écrivain écossais William sharp (1855-1905). Ces poèmes, évoqués dans la lettre suivante, ne seront pas retenus par la revue.

Lettre 40.

1

Deux cartes postales de la Basilique saint François d’a ssise représentant des détails de fresques de giotto, provenant de l’église supérieure et de l’église inférieure.

2 voir lettre précédente.

3 le docteur stephen Chauvet (1885-1950), médecin de famille des Caetani.

CoRR espon DanCe FR ançaise52

n’avons pas eu encore notre grande explication avec a lix guillain4. la citéjardins va avoir deux grandes allées de platanes. nos plus vives, nos plus grandes amitiés

Jean p. est-ce qu’un long article de Davray sur Wilde après la prison (avec beaucoup d’extraits de lettres inédites à Ross) vous plairait ? si oui, télégraphiez-moi, je vous prie. mais je ne le pense pas. C’est une chose assez poignante, et triste5.

41.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

mardi. [ février 1927]

agnès a gentiment répondu à l’envoi de la lettre du surprenant professeur de philosophie1. groeth, quand je lui ai parlé du professeur, a eu l’air sceptique ; j’ai pensé qu’un aussi mauvais sentiment ne pouvait lui venir que de vous. Je vous envoie la réponse, pour bien me justifier.

si ce que je vais vous dire vous semble sot, tant pis, n’y attachez aucune impor tance. mais je me demande s’il n’y a pas un rapport entre la fièvre mystérieuse

4 a lix guillain (1876-1951) était la compagne de Bernard groethuysen, décédé en 1946. Cette communiste fervente était journaliste à L’Humanité.

5 Ce long article ne parut pas dans Commerce henry Davray (1872-1944), animateur de revues et traducteur de Wilde, Kipling, Wells, Conrad… le mercure de France réédita quelques mois plus tard La Ballade de la geôle de Reading d’o scar Wilde, avec des poèmes en prose inédits, traduits et annotés par Davray, et accompagnés d’un texte de ce dernier intitulé : « l’histoire de la ballade de la geôle de Reading ».

Lettre 41.

1 le 9 février, paulhan avait remis cette lettre, reçue à La NRF, à valéry pour qu’il la transmette à Catherine pozzi (qui n’avait pas encore révélé son identité à paulhan). Celle-ci note dans son journal, le 10 février 1927 : « le premier lecteur conquis est un professeur de philosophie de Bastia : “i l n’a rien lu depuis proust… ”, etc. » (Journal 1913-1934, paris, Éditions Claire paulhan, 1997, p. 362). la lettre est reproduite dans la correspondance échangée entre Catherine pozzi et Jean paulhan (paris, Éditions Claire paulhan, 1999, p. 38).

Catherine pozzi écrit à paulhan, le 17 février : « Agnès répondrait sans doute aux lignes par vous transmises que l’amitié inconnue est le plus charmant accident du monde […] » (p. 40).

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 53

de lélia et cette doctrine des meilleurs médecins aujourd’hui qui revient à créer dans le corps une sorte de défense légère et continue – une manière d’éviter les grandes maladies par un système de concessions réciproques. or vous êtes exposée aux meilleurs.

la fièvre que j’avais eue à la suite du sérum Bruschettini ne m’étonnait pas, tant que je me croyais paludéen. mais, à l’analyse du sang, il s’est trouvé que je ne l’étais plus du tout : la fièvre n’était due qu’au sérum. Ce n’est ni étonnant, me dit mon docteur, ni inquiétant. Bien. mais je me demande si la fièvre larvée de lélia ne pourrait pas avoir une origine analogue. enfin, pourquoi ne faites-vous pas examiner lélia par un spécialiste des poumons, Rist par exemple 2 ? Chauvet n’est-il pas plutôt un philosophe de la médecine ? est-ce que vous ne vous inquiétez pas trop, et est-ce que vous ne laissez pas trop voir à lélia que vous vous inquiétez. vous savez aussi qu’on peut avoir la fièvre par idée.

Fargue est très fâché d’une faute d’impression dans son article. i l avait mis, je crois, saimon et on lui a remis maison. voudriez-vous un sollier ? (c’est peut-être pour que je vous le montre, on ne sait pas, qu’adrienne monnier m’a envoyé ce Bâilleur)3 le saint-augustin est très bien. groeth est déjà allé voir du Bos, mais il n’a pas osé l’attaquer, tant il l’a trouvé malade 4 .

Je vous promets sur tout ce que vous pouvez imaginer, sur les comptes de Commerce, que Ra-chrysalide ne contient pas un mot de moi 5 .

Je suis bien ennuyé, il est impossible de vous envoyer les contes (il sont collés sur carton, à cause des aquarelles). mais si quelqu’un pouvait vous les apporter ? Dites-le moi6.

2 i l s’agit certainement du professeur Édouard Rist (1871-1956).

3 Commerce ne retint pas ce « Bâilleur », qui fait partie des Fableaux publiés par adrienne monnier en 1932, sous le nom de J.m sollier, à la maison des amis des livres.

4 Bernard groethuysen, « essai sur la pensée de saint augustin », Commerce, X i, prin temps 1927, pp. 149-160. voir lettre 39.

5 ***, « Ra-Chrysalide », v, automne 1925, pp. 81-85. voir lettre 10.

6 i l doit s’agir du manuscrit de Lalie, illustré par a lbert uriet. voir lettre 75.

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*
*
*

nous avons vu au cinéma ces plantes, que l’on a cinématographiées longuement, puis dont on accélère le mouvement et qui prennent ainsi une sorte d’activité animale : les grimpantes qui agitent en rond une sorte de bras, un grain qui germe et pousse dans la terre durement une sorte de pointe blanche, ou une tige qui commence par se replier, s’ouvrir, se replier encore (comme une main qui dit adieu –). enfin, le plus surprenant était que ces plantes-animaux mettaient dans une sorte d’angoisse. i l était difficile d’éviter le sentiment que le fond des choses était assez effrayant. peut-être parce que l’on avait le sentiment d’une action inflexible, machinale ; peutêtre parce qu’il est toujours pénible de voir que la même chose que l’on fait en y songeant peut être faite sans y songer. i l y avait des hommes dans les films voisins, Charlot et moana. Qu’ils paraissaient peu sérieux, inconsis tants, sans défense.

i l y avait aussi une fécondation de plantes, vue au microscope et grossie. mais il faut absolument que vous voyiez tout cela.

*

J’imagine très bien saint tropez et le vieux mât.

J’ai confié préparatifs de création à Fréret7.

Je vous envoie un portrait d’ungaretti ; et autant d’amitiés qu’il est possible Jean p.

s’il faut vous dire la vérité, je n’ai plus rien écrit depuis deux mois dans le t. B.8

7 henri hertz, « préparatifs de création », Commerce, X i, printemps 1927, pp. 163-180.

nous ne sommes pas en mesure de préciser.

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8

42.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Jeudi. [17 mars 1927]

Chère amie, est-ce que nous pouvons encore vous dire un mot ? C’est pour vous souhaiter un bon voyage 2

J’ai découvert pour vous trois articles du Docteur Chauvet. mais vous n’auriez pas le temps de les lire, je les garde ici. saviez-vous que groeth croit à l’immortalité de l’âme (ou plutôt de l’es prit). i l nous l’a tout à fait avoué hier soir, et qu’il ne craint guère, pour lui, que la seconde mort, celle qui sépare l’esprit de l’âme.

(Ce n’est pas son idée qui était nouvelle pour moi, mais la foi qu’il y met tait tout d’un coup)

i l fait de plus en plus beau. Bonjour à lelia, à Camillo, et pour vous de grandes amitiés

Jean p. les cartes étaient très bien. nous avons tout à fait vu le mât, et le port avec vous.

Lettre 42. 1 enveloppe (portant la mention « express ») envoyée de paris le 17 mars 1927 et adres sée au golf hôtel de Beauvallon, par sainte-maxime (var).

2 marguerite Caetani était sur le point de rentrer à versailles, après plusieurs mois passés à sainte-maxime.

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43.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Jeudi. [31 mars 1927]

Chère amie, je renoncerai volontiers au Rosanov, si vous désirez que Commerce soit seul à le donner2. Dites-le moi. et recevez beaucoup d’amitiés Jean p.

44.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

mardi [2 août 1927]

grande amie, ne me grondez pas, je vous écris. J’ai fini les Fleurs de Tarbes, il n’y a pas trois minutes. tout le monde est fou du dernier Commerce 2 .

Lettre 43.

1 accompagnée d’une enveloppe postée de paris le 31 mars 1927 et adressée à la villa Romaine (cachet de versailles, 1e avril 1927).

2 un seul texte de v. Rozanov parut dans Commerce, dans le cahier XX de l’été 1929 : « l’apocalypse de notre temps, fragments ». i l doit s’agir des « Fragments » de Rosanov [sic] dont La NRF annonça régulièrement la publication (avant d’y renoncer) entre début 1926 et octobre 1929.

Lettre 44.

1 Carte postale représentant « la lampe » de paul sérusier.

2 la princesse, qui se trouve à la Baule, répète ce mot dans une carte à Fargue du 4 août 1927. voir levie/Rabaté.

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Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

mercredi. [3 août 1927]

Bien chère amie, C’est que je voulais vous obéir : il m’a fallu achever les fleurs de tarbes. eh bien, elles sont finies depuis hier soir, et j’ai cessé d’être tranquille. D’abord elles sont devenues un livre, ou à peu près ; puis il me semble que ceux que j’aime ne les aimeront pas. i l y a quelque chose de plus grave ; j’ai peur qu’elles soient prétentieuses – je veux dire qu’elles aient un air de vouloir tout bouleverser : mais cela ne vient pas de moi, vous verrez. Je pense seulement que les meilleurs ne se défont pas, quand ils jugent les lettres, d’une sorte d’illusion – dont je voudrais montrer qu’elle est une illusion, simplement. mais vous les lirez en ayant un peu confiance en moi, n’est-ce-pas ?

*

groeth est arrivé hier : il n’a pas changé, mais il a les yeux malades. a lix guillain est venue passer deux jours chez nous, elle était souffrante aussi et n’a pas cessé d’avoir la fièvre. Comme chacun ne consent à se soigner que si l’autre se soigne aussi, je crois que tous deux seront sages.

J’ai commencé à traduire nietzsche ; et je pense aussi vous donner bientôt l’article de martin-guelliot. Je suis content que vous preniez neveux, je lui écris2.

entre deux chapitres des Fleurs, je filais dans le bois, chercher de la mous se. Je l’ai écrasée assez pour la faire prendre, tout autour d’une sorte de bassin,

Lettre 45.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 la seconde traduction de nietzsche parut dans le cahier X iii d’automne 1927 (voir lettre 52), ainsi que la prose poétique de georges neveux, « Quelle ombre soulève votre main » (pp. 123-127). René martin- guelliot, qui avait dirigé la revue critique Le Spectateur (1909-1914), n’a rien publié dans Commerce

CoRR espon DanCe FR ançaise58 45.
*
*

(qui est fait d’une vieille pierre d’évier) avec des salamandres d’eau. les merles y viennent, chipotent la mousse et en jettent des morceaux dans le bassin.

Je suis sûr à présent que le portrait (c’est son portrait à lui) est la plus belle œuvre que j’aie vue de la Fresnaye3. ne la regrettez-vous pas déjà ? voulez-vous que j’aille voir si Christophe Colomb est toujours là4 ? (mais j’ai oublié si c’est chez hessel ou chez Bernheim).

J’aurais bien voulu pouvoir accompagner groeth à la Baule5. mais j’ai un mois assez effrayant : songez, deux numéros à faire au lieu d’un, si je veux être libre le 1er septembre. Qu’avez-vous pensé du second Kierkegaard, celui de La NRF ? J’aime décidément beaucoup l’étude de Kassner6. nous vous envoyons bien de l’amitié et d’affection

Jean p (voici un service qu’il serait bien de faire)7

3 le peintre cubiste Roger de la Fresnaye (1885-1925) a peint plusieurs autoportraits.

4 i l pourrait s’agir d’un tableau éponyme de Charles Dufresne, que marguerite Caetani appréciait.

5 la princesse se trouvait depuis dix jours dans la villa païta de la Baule.

6 sören Kierkegaard, « i ntermèdes » (présentation et traduction de lucien maury), La NRF, août 1927, pp. 192-209. le “premier” Kierkegaard est celui de Commerce : des « Fragments d’un journal », traduits par Jean gateau, avaient paru dans le cahier X ii de l’été 1927, pp. 165-202. Ces fragments étaient précédés d’une « i ntroduction à Kierkegaard » de Rudolf Kassner, traduite par a lix guillain, pp. 155-164.

7 paulhan a sans doute signalé à marguerite Caetani (sur un feuillet séparé ?) un auteur ou journaliste à qui adresser Commerce en service de presse.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 59
*

46.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

vendredi. [août 1927]

Bien chère amie, les oiseaux comprennent mal ce qu’on fait pour eux. imaginez qu’ils ravagent tous les jours, depuis que je leur offre des grains, un bassin que j’avais entouré de mousse : cela faisait songer à des poésies classiques sur les lacs, et j’avais rapporté la mousse du parc dans un sac, avec beaucoup d’efforts. il semble qu’ils se roulent dans la mousse, la déchirent et la jettent dans le bassin : j’ai retrouvé ma tortue d’eau étouffée tout au fond, ou à peu près. Je n’ai jamais surpris qu’un oiseau coupable : c’était un merle.

* i l fait chaud, et paris commence à devenir un peu épais2. gide est là, la chaleur le rassure : il sent qu’il lui devient bien plus facile d’avoir envie de partir du jour au lendemain. au revoir. nous vous souhaitons les airs les plus légers qui soient

47.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

samedi. [6 août 1927]

Bien chère amie, le grand événement de la semaine est que Du Bos commu nie. i l y a un mois qu’il s’était jeté en larmes dans les bras d’a ndré maurois, en priant que rien ne fût changé à leur amitié1. les lectures, que Fernandez

Lettre 46.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 paulhan passa tout le mois d’août à paris.

Lettre 47.

1 Charles Du Bos s’était confessé et avait communié le 30 juillet, jour qui marque donc sa « conversion ». s’il avait été élevé dans la religion catholique, il s’en était nettement éloigné.

CoRR espon DanCe FR ançaise60

venait chaque soir lui faire (et qui étaient d’esprit très évolutionniste) l’ont rete nu quelques jours. puis tout s’est décidé le 29 juillet. Je crains qu’une déception littéraire n’y ait été pour beaucoup : l’on reprochait à ses articles d’être longs, et à sa mystique d’être courte. Je crois qu’on n’osera plus rien lui dire. *

i l est impossible d’avoir une idée du temps qu’il fait, s’il est chaud ou froid. i l varie et exagère d’une façon si inattendue qu’il semble que l’air ait plusieurs fonds. on n’ose plus en parler, et il devient difficile de croiser quelqu’un dans la rue. nous commençons à organiser port-Cros. les maçons vont s’y mettre ; ici, nous choisissons des chaises, et de l’étoffe à rideaux. Je me demande si j’ai bien achevé les Fleurs de Tarbes. au revoir, amie

Jean p. [En marge, sur le côté gauche :] larbaud nous a composé un drapeau (pour port-Cros)2. Je pense que l’inaugu ration sera une chose assez solennelle. vous y serez, n’est-ce-pas ?

48.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1 [1927 ?] tout le meilleur de l’azur n’en reste-t-il qu’une cendre soir impalpable, et des murs ?

Du Bos et a ndré maurois étaient très liés, comme l’indique le titre d’un article que ce dernier publiera dans Les Nouvelles littéraires du 30 avril 1938 : « vingt ans d’amitié avec Charles Du Bos ». 2 paulhan lui en avait fait la demande dans une lettre du 31 juillet, à laquelle larbaud répondit favorablement le 3 août (voir larbaud/ paulhan, pp. 65-67).

Lettre 48. 1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie). Dans les a rchives Caetani, cette lettre est classée entre deux lettres d’août 1927.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 61

pourtant des vitres encore te font des sources de ciel tremblantes, mais non taries ; Du ciel pour une heure encore Du bleu qui serre le cœur a mour couleur de paris. * les ombres peuvent descendre : la rue et l’âme sont prêtes. mais il faudra que tes yeux me regardent de tout près pour que je les reconnaisse.

i l faut te pencher un peu maintenant que c’est la nuit. te pencher sur mon épaule a mour couleur de paris *

(Chère amie, je vous dirai un autre jour de qui sont ces deux poèmes2, pour qui j’ai de la faiblesse, pour qui je voudrais que vous en ayez au moins un peu.)

49.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

vendredi. [2 septembre ? 1927]

Chère amie, je vous envoie en hâte le manuscrit de mann 2. (Je ne vous écrirai que demain). puisque l’inauguration du fort de port-Cros sera en mars 28, Lettre 49.

2 i l s’agit de Jules Romains (Amour couleur de Paris, paris, Éditions de la n RF, coll. « une œuvre, un portrait », 1921). aucun texte de lui ne parut dans Commerce

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 i l s’agit d’un manuscrit inédit de t homas mann (1875-1955), que marguerite Caetani envisageait de publier dans le cahier d’hiver 1927. e lle le refusa finalement, ayant eu sans

CoRR espon DanCe FR ançaise62

vous y serez, n’est-ce-pas ? i l est impossible de trouver des écureuils à paris, je ne sais si je pourrai tenir mes promesses. Fargue était hier à la revue, fort préoccupé de questions pratiques, et du devoir d’être autoritaire. où en est Vers et Prose, il semble avoir disparu 3 . nous vous envoyons nos affections les plus grandes

50.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Dimanche. [4 ? septembre 1927]

Bien chère amie merci d’avoir songé à nous inviter ; mais nous partions, le lendemain du jour où Fargue est venu. nous voici à port-Cros : il semble qu’elle ait grandi, enfin l’installation à la vigie sera bien plus difficile que nous ne pensions : toutes nos caisses devront être transportées à dos d’homme, sur quelque 4 à 5 kilom. i l y en a trente, c’est très effrayant. les gens du village ont l’air pleins d’ironie pour nous. Quant aux ânes, ils ne consentent jusqu’à présent, ni à marcher l’un sans l’autre, ni à rien porter. mais rien ne nous abattra. au besoin on suspendra La NRF jusqu’à ce que tout soit installé, fallût-il s’entêter six mois. Chère amie, non, nous ne voudrions pour rien au monde

doute quelques avis défavorables (paulhan et Kassner, notamment, appréciaient peu l’écri vain allemand, qui ne publia aucun texte dans Commerce). voir plus loin, lettre 170, et Rabaté, pp. 408-409.

3 une nouvelle série de la revue de paul Fort disparue en 1914 vit le jour en janvier 1928, codirigée avec paul valéry. la princesse craignait la concurrence, à en croire une lettre de paulhan à larbaud de la seconde quinzaine d’août 1927 : « savez-vous qu’il est arrivé des drames, pendant votre absence ? Fargue a brusquement écrit à la princesse, qui en a été effrayée, que si elle ne revenait pas à toute vitesse, Commerce était perdu. i l songeait à Vers et Prose, que valéry a accepté de diriger à côté de paul Fort, et qui se proposerait, dit-on, de vaincre Commerce. a la réflexion, rien n’a paru très grave ; Fargue n’était pas un peu fier d’avoir si bien tenu son rôle de directeur ». (larbaud/ paulhan, pp. 67-68).

Lettre 50.

1 Carte postale de port-Cros, représentant « la plage d’a rgent ou du sud ».

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 63

vous exposer à de telles difficultés ; pourtant, vous avoir ici avec nous, nous en serions très heureux

Jean p. les cigales chantent encore.

51.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Jeudi. [septembre 1927] hôtellerie provençale port-Cros. (var.)

Chère amie, le plus surprenant de ces libellules, c’est qu’il y en a qui se met tent à deux ou à trois pour mourir (pensent-elles) se serrant les unes les autres avec une grande force, et une expression d’amitié (puisqu’elles ne connaissent l’amour, je crois, qu’étant devenues tout à fait libellules, et volant : elles for ment alors dans l’air une sorte d’anneau brillant). si vous le voulez, je vous en rapporterai quelques-unes.

Que vous dire de port-Cros ? Que j’ai assez de malheurs dans mes Fleurs de Tarbes (et dans toutes ces autres choses, où je vois bien que tout le monde se trompe, mais où il m’est très difficile encore d’exprimer en quoi il se trom pe) pour n’avoir aucune honte d’aimer, en [ce] pays, une sorte de paradis. i maginez-vous que le propriétaire de ce paradis s’est pris d’amitié pour nous – il est vrai que je lui avais proposé de peupler son île de makis – et veut nous donner, pour tout le temps que nous voudrions, le fort qui la domine toute entière, et toute la mer autour d’elle, et jusqu’à saint-tropez. nous hésitons un peu à accepter, pour bien des raisons. mais, si vous promettez de venir ici nous voir, ces raisons deviendront pâles. les chambres du fort n’ont vue sur les rochers que par des meurtrières, mais par de grandes fenêtres carrées sur une cour intérieure, couverte de thym et d’immortelles.

D’ailleurs une île assez petite fait que l’on s’intéresse même à des choses aussi privées d’intérêt que les plantes : c’est que l’on sent que l’on finira

Lettre 51.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

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assez vite de les con naître. C’est un sentiment que l’on ne peut guère avoir en europe.

i l vous manque aussi de connaître les gens du m idi qui sont si touchants qu’à toute demande de renseignements ils répondent d’abord par un geste des mains réunies devant la poitrine, qui veut dire “quelle bonne idée de vous adresser justement à moi”. au revoir, chère amie. Donnez-nous des conseils, ne nous oubliez pas, qui aimerions tout ici avec bien plus de tranquillité si nous étions sûrs que vous le verrez

[En marge, sur le côté gauche :] Vers et Prose a-t-il paru 2 ?

52.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

samedi. [septembre 1927]

Bien chère amie Je n’ai guère fait que les travaux rudes, qui demandent plus de suite que d’intelligence : par exemple, j’ai peint tous les volets et toutes les portes ; j’ai aussi arraché les chardons et les ronces de notre cour et de notre colline (car nous avons une colline au milieu de notre fort). mais germaine a été mer veilleuse : elle a décidé un âne à porter des paquets, elle sait prévoir, trois jours à l’avance, ce que nous mangerons, elle donne des ordres à nos trois ouvriers (il y a un maçon, un aide-maçon sicilien qui n’arrête pas de chanter et un “homme à tout faire” qui s’appelle olympe) et court elle-même plus vite qu’eux d’un bout à l’autre du fort. nous pensons tous deux que vous seriez émerveillée de voir notre fort (nous avons seulement peur que la route qui y conduit ne vous paraisse trop longue). notre fort, et :

2 voir plus haut, lettre 49.

Lettre 52.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 65

ses deux éperons couverts de petits pins où l’on peut s’allonger, le soir, entre les étoiles, les phares et toutes les lumières des villes de la côte de toulon à saintemaxime, qui tremblent comme une lanterne vénitienne un jour de grand vent. son mirador vitré où chaque soir on trouve pris un nouveau cerf-volant (c’est un insecte à longues pinces, à trompe d’éléphant et à l’air rusé) des gekkos. C’est une sorte de petit lézard qui a au bout des doigts des pelo tes comme une rainette et, quand on le prend, change d’abord de couleur, puis complètement de peau. une cigogne de passage, qui est venue se reposer dans la vallée. a insi de suite.

*

Chère amie, que faites-vous à la Baule ? Qu’y aura-t-il dans le prochain Commerce ? le nietzsche est déjà avancé, je vous le donnerai le 10 octobre2 ; rien d’autre, mais je crois que pour les numéros suivants j’aurai des tas de cho ses à vous donner. en peignant mes volets, je me sens plein de projets. Je crois aussi que je vais ajouter un chapitre aux fleurs de Tarbes nous serons à paris le 5 octobre. et vous ? nous vous envoyons nos plus grandes amitiés

Jean p.

53.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

vendredi. [21 ou 28 octobre ? 1927]

Bien chère amie nous avons enfermé hier soir ungaretti dans cette caisse qui va le porter jusqu’à vous2. nous l’aurions bien accompagné. (puis je crois que je l’aime de

2 nietzsche, « socrate et la tragédie », traduit de l’allemand par Jean paulhan, Commerce, X iii, automne 1927, pp. 6-43.

Lettre 53.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 après un petit séjour parisien chez les paulhan, ungaretti fit une escale à menton, où se trouvaient la princesse et lélia, puis rentra à Rome à la fin du mois d’octobre.

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plus en plus). D’ailleurs, nous supporterions mieux d’être sans nouvelles de vous, si je pensais que vous êtes très heureuse, très joyeuse, enfin comme nous voudrions.

Camillo est tout à fait remis, n’est-ce pas ?

i l s’est ouvert au muséum de nouvelles cages de singes. nous y sommes tous allés. après un quart d’heure, gide était déjà fort triste à l’idée de s’en aller, mais ungaretti n’avait pas encore réalisé qu’il s’agissait de singes, un chimpanzé l’ayant d’abord fait penser à Cardarelli 3 . i l y a aussi un insecta rium, très beau : avec de petites crevettes aveugles dans des grottes de boue ; des insectes-feuilles, des insectes-tiges, des insectes-tronc d’arbre, (enfin tout ce qu’il faut pour garder l’impression, devant tous les arbres que l’on voit ensuite, qu’ils vont remuer). Quand viendrez-vous les voir4 ?

* i l m’a fallu recommencer un chapitre des fleurs de tarbes. ne vous fâchez pas.

*

Recevez nos bien grandes et fortes amitiés

Jean p.

3 vincenzo Carderelli (1887-1959), auteur italien publié dans Commerce, vii, printemps 1926.

4 paulhan raconte cette visite à de nombreux correspondants. i l écrit ainsi à Francis ponge, le 13 octobre 1927 : « i l y a maintenant au jardin des plantes un vivarium d’insec tes avec des petits paysages merveilleux (du sahara, d’a mérique du sud etc.). J’ai surtout aimé les scorpions du sahara et les insectes feuilles » (Jean paulhan, Francis ponge, Correspondance 1923-1968, tome i, paris, gallimard, 1986, p. 77).

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 67
*

54.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

[5 décembre ? 1927]

merci de tout serai paris hotel Ritz jeudi prière rien dire à Fargue compte sur vous deux déjeuner Foyot vendredi une heure mille amitiés2 m. de B.

55.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

[15 décembre 1927]

vous prie faire annonce retrospective Commerce comme vous jugez pour le mieux sans mentionner nouveaux projets2 très reconnaissante si vous télé phonez léger pour renseignements sur port Cros bien affectueusement m. de B.

Lettre 54.

1 télégramme envoyé de menton et adressé à : monsieur paulhan, 3 rue de grenelle, paris. le cachet postal n’est pas très lisible.

2 la princesse conviait souvent ses amis à déjeuner au célèbre hôtel-restaurant Foyot, situé à l’angle de la rue de vaugirard et de la rue tournon.

Lettre 55.

1 seul le texte de ce télégramme a été conservé : l’en-tête a été découpé.

2 Dans L a NRF de janvier et de février 1928, on trouve en effet une annonce “rétros pective”, mentionnant un certain nombre de titres et d’auteurs que Commerce a publiés de 1925 à 1927.

CoRR espon DanCe FR ançaise68

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

le soir de mardi. [3 janvier 1928]

Cher a mi, Quelle déception ! nous étions si heureux à la pensée de vous voir tous les deux dans quelques heures et maintenant cette vilaine dépêche a enlevé d’un coup tout notre plaisir ! –nous avions préparé un petit arbre de noël pour vous aujourd’hui –au fond j’avais toujours du remords de vous avoir demander de faire ce long voyage mais en fin de compte je pensais que s’était moins fatiguant, je pensais toujours que vous serez restés deux jours, que de venir déjeuner à quelques heures de voyage et devoir rentrer à port-Cros de nouveau. moi je serais allée vous voir n’importe où mais depuis noël et jusqu’à l’autre jour Camillo a eu mal à la gorge, obligé de rester au lit ou à sa chambre et je n’aurais pas pu le quitter pour si longtemps. C’est la vraie raison que je vous ai prié de venir jusqu’ici.

Comme s’est malheureux de ne pas vous voir avant votre retour à paris. pour mille raisons et entre autre Commerce. J’avais tant de choses à discuter et décider avec vous. maintenant je vais vous demander une immense faveur – voulez-vous aller trouver léger au m inistère et tout décider avec lui. Dites lui toutes les objections que vous voyez à changer maintenant, tout-de-suite, que les s. R.1 seront enchantés et feront des potins sans fin etc. Je voudrais que l. sache tout ce qu’on pourrait dire de ce changement projeté et après – s’il trouve toujours qu’il faut le faire et immédiatement, je désire le faire.

Lettre 56.

1 les initiales « s.R. » désignent les surréalistes. i l est question ici de la « nouvelle fon dation » de Commerce, envisagée par marguerite Caetani (et a lexis léger) après les remous causés par la publication de fragments d’un conte du surréaliste Benjamin péret, « la Brebis galante », dans le cahier X iii de l’automne 1927. paulhan craignait notamment que les surréalistes, avec qui il avait lui-même rompu en octobre 1927, ne tournent la revue en dérision dans La Révolution surréaliste, comme cela avait déjà été le cas par le passé. Dans la rubrique « Correspondance » du numéro 4 daté du 15 juillet 1925 (p. 32), un échange de lettres entre marguerite Caetani et Benjamin péret, concernant l’éventuelle publication de son poème « attention au simoun », était reproduit, et semblait indiquer que « l’anonyme rédac tion de Commerce » tenait à le censurer. le poète refusait fermement ces conditions. les let tres originales n’ont pas été retrouvées, mais il existe un brouillon de ce document paru dans la revue surréaliste à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. voir Rabaté, pp. 311-312.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 69 56.

i l n’y a que vous à qui je peux demander ceci et il n’y a que vous en qui l. a entière confiance – aussitôt ceci décidé alors vous et moi nous déciderons tous les détails, format etc. savez-vous encore le format de Vers et Prose ? peut-être déciderez-vous avec l. qu’il vaudrait mieux faire encore un autre numéro et changer avec le no de printemps mais je pense que lui préférera de changer de suite 2 –voulez-vous aussi discuter un peu le contenu de ce nouveau 1er-n° avec lui ? Jouhandeau3 ? Ribemont-Dessaignes4 ? vous n’avez pas trouvé de poète depuis ? et vous ? C’est promis. n’oubliez pas. ça serait très grave cette fois-ci. et les “Fleurs de tarbes” ? ne viendrez-vous jamais passer quelques jours avec nous pendant que les groeths sont encore ici ? ça serait tellement beau –a vous deux tous nos regrets de ne pas vous avoir ici avec nous demain et encore mille vœux bien affectueux pour cette nouvelle année qui j’espère vous apportera des joies grandes et inattendues.

57.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

mercredi. [4 janvier 1928]

Bien chère amie, nous avons eu des malheurs : c’est avant-hier que nous voulions partir pour menton, vous surprendre. mais la tempête a arrêté tous les bateaux : il a fallu remettre à hier, vous télégraphier : la tempête a été plus violente encore.

2 Ce changement ne sera finalement pas signifié dans la revue, qui gardera par ailleurs les mêmes format et présentation. voir « la “nouvelle fondation” de Commerce » in Rabaté, pp. 329-330.

3 marcel Jouhandeau, « l e marié de village », Commerce, X iv, hiver 1927, pp. 81-138.

4 georges Ribemont-Dessaignes (1884-1974), « l’Évasion », Commerce, X iv, hiver 1927, pp. 45-78. C’est la première des cinq contributions à la revue de l’écrivain, ancien dadaïste, proche des surréalistes (jusqu’à sa rupture avec Breton en 1929) et du grand Jeu.

Lettre 57.

1 Deux cartes postales accompagnées d’une enveloppe, postée de port-Cros le 4 janvier 1928 et adressée à la villa Feuillée, Boulevard de garavan, à menton-garavan (a lpes-mmes).

CoRR espon DanCe FR ançaise70

le courrier était arrêté (et nous, privés de pain) aucun pêcheur n’a consenti à nous emmener. aujourd’hui, la mer est calme – mais il faut, je l’ai absolument promis, que je sois à paris le 5 au soir. nous voici bien déçus et tristes. le fort n’a pas mal résisté au vent ; moins bien à la pluie, mais il fera des progrès. nous avons découvert des forêts et des plages inconnues. les jours de tempête, on faisait de grands feux, qui fumaient un peu (mais avec une odeur d’encens). mais viendrez-vous jamais voir tout cela, que vous aimeriez tant ? nous vous envoyons nos plus grandes amitiés,

Je vous remercie bien fort, j’ai reçu ici le beau cache-nez qui est très doux, et dont je suis fier.

58.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

[18 janvier 1928 ?]

Je vous prie d’aller trouver léger au ministère s’il est occupé on vous dira quand il pourra vous voir. il faut que la question Commerce soit décidée immédiate ment entre vous deux je penserai aux autres. Je vous supplie d’agir pour moi. il n’y a personne que vous qui puisse le faire merci lettre affectueusement.

Lettre 58. 1 télégramme envoyé de menton.

maRgueRite Caetani et
paulhan 71

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

mardi [ janvier 1928]

Bien cher a mi vous avez été un vrai ange et je vous remercie mille et mille et mille fois. J’ai reçu votre charmante lettre ce matin. savez-vous combien vos lettres sont exquises ? voilà. nous avons décidé ici à la villa Feuillee1 que vous êtes un poète et que vous [devez] absolûment à Commerce d’écrire un poème pour le prochain cahier. Qu’en dites vous. aussi court que vous désiriez –Repondez-moi vite à ce sujet. i l faudra que ce fameux cahier paraisse la fin Février alors vous voyez que vous avez beaucoup de temps – vous le ferez n’est ce pas cher ami ?

J’ai déjà averti Fargue et valéry disant tout simplement que s’est décidé comme cela. a larbaud j’écrirai aujourd’hui exactement ce qui s’est passé 2 vous pouvez toujours dire à qui le veut savoir que vous m’avez conseillé ainsi à cause des inutiles potins que vous prevoyiez – n’est ce pas ? vous n’avez pas un poème pour Commerce ? J’attends une réponse de Fargue et de valéry à propos de leur collaboration à ce cahier –Quel dommage que vous n’avez pas pu venir pour deux jours ! –les groeths nous quittent Dimanche –encore merci de tout cœur et mille affectueuses pensées à vous deux m. de B.

Je suis vraiment bien heureuse au fond que la décision pour Commerce est ainsi –

Lettre 59.

1 la villa que loue la princesse à menton.

2 i l est toujours question de la « nouvelle fondation » de la revue (voir lettre 56). marguerite Caetani écrit en effet à larbaud, sans doute début 1928 : « paulhan m’avait écrit à plusieurs reprises qu’il craignait que changer Commerce maintenant au beau milieu d’une série surtout après le péret ferait des potins inutiles et sans fin et serait une joie pour les sur-réalistes alors voyant que vous n’étiez pas encore de retour à paris et devant décider immédiatement j’ai prié paulhan d’aller trouver léger et discuter la question avec lui. i ls sont arrivés à la conclusion qu’il valait mieux ne rien changer extérieurement à la revue. seulement être plus sévère à l’avenir et choisir plûtôt d’être moins volumineux si nous ne pouvons pas trouver les textes d’une certaine qualité et surtout ce prochain cahier devra être superlatif ». voir levie/Rabaté

CoRR espon DanCe FR ançaise72 59.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

vendredi [ février 1928]

[en haut de page, sur le côté droit :] vous n’avez pas d’autres manuscripts pour Commerce ?

Bien cher a mi, voilà il faut que je vous demande de vous occuper encore de l’annonce de C dans La NRF et c’est assai compliqué1 – notre pièce de resistance est un poème inédit de hardy – le dernier qu’il ait écrit – je l’ai envoyé à valéry le priant de le traduire – pourquoi ne savez-vous pas l’anglais (!)2 – nous avons le poe de valéry, il faut lui demander le titre exact3 – “neuvième enfantine” de larbaud4 – Fargue mais je ne sais pas quoi, il faut lui demander aussi 5 . un choix du “zibaldone” (Journal) de leopardi, traduit par ungaretti (mais revu par vous j’espère) (que de parenthèses)6 – et puis en réserve si nous avons la place Jouhandeau et Ribemont-Dessaignes, ou l’un ou l’autre7. et un poème De vous, n’est ce pas cher ami ? Dites-moi que vous l’écrivez ? J’y tiens tellement8.

Lettre 60.

1 marguerite Caetani évoque le cahier de l’hiver 1927, paru vraisemblablement en avril 1928… La NRF de mars annonce en effet, dans ses pages publicitaires, que « le prochain numéro de Commerce paraîtra le 1er mars ». les auteurs annoncés sont les suivants : t homas hardy (traduit par valéry), leopardi (traduit par ungaretti), Fargue, Jouhandeau, larbaud, Ribemont-Dessaignes, valéry. mais une nouvelle annonce, parue dans le numéro de mai, précise que le numéro vient de paraître.

2 t homas hardy, « abatage d’un arbre », traduit de l’anglais par paul valéry, Commerce, X iv, hiver 1927, pp. 6-9.

3 edgar poe, « Quelques fragments des marginalia », traduit de l’américain par paul valéry, Commerce, X iv, pp. 12-41.

4 larbaud n’écrivit jamais cette nouvelle, dont il avait parlé à la princesse. marguerite Caetani lui écrivit en effet, fin 1927 ou début 1928 : « naturellement je pense à cette neuviè me “enfantine” et je suis si touchée et fière que vous voulez l’écrire pour moi ». voir levie/ Rabaté. Enfantines, recueil de huit nouvelles, avait paru en 1918 aux Éditions de la n RF.

5 léon-paul Fargue, « esquisses pour un paradis (fin) », X iv, pp. 183-228.

6 leopardi, « pensées », traduit de l’italien par ungaretti, Commerce, X iv, pp. 147-180. une « note sur leopardi » d’ungaretti précède ce choix (pp. 141-146).

7 voir lettre 56.

8 le mot est souligné quatorze fois !

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 73 60.

maintenant voulez-vous arranger l’annonce comme vous pensez pour le mieux. Je pense que c’est guère possible que nous puissions paraître avant le 15 mars. ecrivez-moi vite au sujet du poème. Je ne désespère pas de léger9 ! –peutêtre j’irai passer deux jours à paris vers la fin du mois – m ille pen sées bien affectueuses à vous deux m. de B.

(Ceci pour manuscripts pour C – merci)

61.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Jeudi. [24 février 1928]

Bien chère amie, si vous aviez pu me voir ces dernières semaines, je vous le promets, vous auriez de l’amitié pour moi et vous ne seriez pas fâchée : un poème ou un récit, même s’il est mauvais, existe ; c’est une chose, que l’on peut reprendre ou corriger ; mais une pensée qui ne parvient pas à se former, ou qui s’aperçoit qu’il lui manquait un trait nécessaire, un plan, je ne sais quoi, ou bien – c’est le plus pénible – qui paraît tout à fait satisfaisante, sans pourtant qu’on lui réponde, sans qu’on ait cette envie de lui donner adhésion (qui ne se commande pas, qui est la plus imprévue qui soit) c’est un senti ment pire que n’importe quoi, parce qu’il n’a même pas d’objet précis où se prendre. on envie alors tous les malheurs, qui sont du moins précis. enfin, c’était mon état, jusqu’à ces derniers jours. (Ce qui m’y avait mis, c’était une difficulté qui tient moitié aux fleurs de tarbes, moitié à ma sémantique 2

9 a lexis leger, conseiller occulte de Commerce, suggérait parfois des poètes à marguerite Caetani.

Lettre 61.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie). enveloppe postée de paris le 24 février 1928 et adressée à la villa Feuillée, à menton- garavan (a lpes-m mes).

2 Depuis 1912, paulhan travaillait à une thèse de doctorat, qu’il ne soutint jamais, sous la direction de lucien lévy-Bruhl. le titre exact de son sujet, déposé à la sorbonne, était le suivant : « sémantique du proverbe, essai sur les variations des proverbes malgaches ». « l’expérience du proverbe », qu’il publie dans Commerce en 1925, est le fruit de ses réflexions.

CoRR espon DanCe FR ançaise74

et telle que je ne pouvais dans aucun sens avancer, sans la résoudre.) peutêtre en suis-je sorti. Je le pense, mais je n’en serai sûr que demain – (parce qu’aujourd’hui encore je suis trop pris par La NRF.)

Chère amie, je vous remercie de votre lettre, et de tout ce que je ne méri tais guère. vous avez été bien trop gentille. Je voulais aussitôt vous répondre – mais c’était un moment où tout me manquait.

Je vous écrirai mieux dans quelques jours. mais le poème, comment y songer encore ? il ne faut rien regretter, je pense que vous ne l’auriez pas aimé, que vous auriez eu raison. mais je demeure triste de ne rien donner à ce Commerce.

Je vous envoie le premier projet d’annonce3. (Je l’ai corrigé ensuite) si demain et après-demain sont comme je l’espère, tout peut se transfor mer pour moi (je veux dire tout ce que je peux voir, tout ce dont je peux justement parler). *

au revoir, viendrez-vous bientôt ? ne m’en veuillez pas de cette lettre. i l nous tarde et il nous tarde de vous voir.

Jean p.

62.

Marguerite Caetani à Germaine Pascal

lundi [mars 1928] très chère a mie, je suis si heureuse que tout s’est bien passer pour votre fille mais j’aimerais tant avoir des détails sur elle et sur l’enfant1. ça a dû être un

3 i l s’agit de l’annonce de Commerce parue dans La NRF du 1er mars. voir lettre précé dente.

Lettre 62.

1 odette Dauptain, épouse du docteur Frédéric Choffé, médecin généraliste puis direc teur de sanatorium, avait donné naissance à son premier enfant, Bernard, le 8 mars. paulhan rejoignit début avril germaine au sanatorium de hendaye.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 75

moment angoissant pour vous tout de même. paulhan m’a écrit que vous serez de retour vers la fin du mois et nous le 1er avril 2 . nous avons remis notre départ à cause du froid. même ici il ne fait pas chaud en ce moment. merci de votre bonne lettre à laquelle j’ai bien tardé de répondre. J’étais bien malheureuse de ne rien avoir de paulhan pour Commerce mais pour le prochain numéro il faut absolument3. au dernier moment Fargue a dit que s’était essentiel qu’il ajoute 6 pages au « paradis » mais je suppose que le numéro sortira un de ces jours4 ! – Je serais bien, bien heureuse de vous revoir tous les deux. ça me semble bien long depuis le mois de décembre. Chère amie envoyez moi un petit mot pour me rassurer tout-à-fait et bien des choses à votre fille. a vous mes très affectueuses pensées

m. de B.

63.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

mercredi. [avril 1928] très cher a mi, j’aimerais tant savoir comment vous allez tous les deux –j’étais désolée de ne pas vous trouver à paris mais vous reviendrez bientôt n’est ce pas et vous me ferez immédiatement signe1 ? vous avez fait un chef d’œuvre du leopardi absolument 2 merci plus ce que je ne peux vous dire.

2 marguerite Caetani, qui se trouve toujours à menton, rentra en effet le 1er avril à versailles.

3 paulhan ne participa pas au cahier X v du printemps 1928.

4 « esquisses pour un paradis » de Fargue parut en deux livraisons, dédiées à paulhan : cahier vii du printemps 1926 et cahier X iv de l’hiver 1927, qui parut en avril 1928 ! en mars 1928, paulhan écrit à larbaud, avec humour : « Fargue télégraphie chaque jour à la princesse que le Paradis est achevé et, suivant le jour, qu’il tient vingt ou cinquantes pages » (larbaud/ paulhan, pp. 82-83).

Lettre 63.

1 la première quinzaine d’avril, paulhan séjourne à hendaye, puis en périgord.

2 voir lettre 60.

CoRR espon DanCe FR ançaise76

Cher ami il faut que vous me trouvez des textes pour le prochain cahier du printemps3. sur votre collaboration j’y compte absolument mais en plus il faut trouver dans vos secrètes archives au moins deux textes épatants. Revenez vite autrement je suis perdue. Je trouve que parmi les textes que j’ai en main rien n’est assai bien !! – C’est terrible – J’ai vu groeth Dimanche et m lle g. vient demain –m ille et mille pensées affectueuses à vous deux m. di B.

64.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

[Mai ? 1928]

Bien cher a mi, voici les places pour Jeudi. C’est si ennuyeux de ne pouvoir discuter avec vous l’annonce de Commerce1. Je ne sais pas comment faire. voici ce que je sais à peu près. Je pense après tout votre travail au “Cavalier de Bronze” mettre une ou deux nouvelles traduites par gide à la place 2 ! me pardonnerez vous ? en tout cas ne precisez pas pour pouchkine. i l faut que je vous voie avant de décider pour Jacob et supervielle3. J’espère pouvoir aller à l’opéra Jeudi Baignoire 7. Faites ce que vous jugez pour le mieux. m ille affectueuses amitiés. m. de B.

3 le cahier de printemps dut paraître à la fin du mois de juin. au sommaire : t. s. e liot, suarès, valéry, guïraldes, Cheng-tcheng, larbaud, supervielle, Fargue.

Lettre 64.

1 l’annonce du cahier de printemps parut dans La NRF de juin. pouchkine et mirsky, annoncés pour ce cahier, paraîtront finalement dans celui d’été. t.s. eliot, suarès, valéry, Fargue, larbaud sont également annoncés, sans mention de titre. le sommaire n’était donc pas encore bien défini.

2 « le Cavalier de bronze » est un poème de pouchkine. Dans le cahier X vi de l’été 1928 paraîtra en effet « le Coup de feu », récit traduit du russe par andré gide et Jacques schiffrin.

3 max Jacob publiera une dernière série de « poèmes » dans le cahier XXii (hiver 1929, sous le pseudonyme de morven le gaëlique). le poète Jules supervielle (1884-1960), grand ami de paulhan, publia « la pampa aux yeux clos » dans le cahier du printemps.

maRgueRite Caetani et
paulhan 77

65.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

samedi. [28 juillet ? 1928]

Bien chère amie

J’ai renvoyé mes épreuves et celles de m irsky, le jour même où je les avais reçues2. i l est vrai que la poste des salins d’hyères semble très paresseuse ; et la lettre de Fréret avait mis quatre jours à me parvenir.

la pampa aux yeux clos, c’est vraiment très bien. mais larbaud m’a déçu3.

*

la mer est couverte de brume, et la terre. C’est une vraie brume, qui trempe les livres qu’on laisse dehors. mais on ne dit guère d’elle que : “c’est un signe de chaleur.” parfois le soleil la disperse sur un petit coin de la mer, qui semble aussitôt faire étage, être bien plus haut que le reste de la mer. enfin, port-Cros n’est pas en beauté ; on n’y rencontre plus cette mer admirable, arrêtée, nette, qui ne donnait que des idées de sècheresse. mais n’y viendrez-vous pas quand même ? elle va sans doute changer. *

Je songe beaucoup à Commerce. (Beaucoup, je veux dire activement.) les supervielle sont arrivés, il y a une semaine déjà4 J’ai frayé un sentier dans le maquis, retrouvé de vieilles routes et abattu plus de soixante arbres.

Lettre 65.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 paulhan et m irsky publient respectivement, dans le cahier X vi de l’été 1928, « sur un défaut de la pensée critique » (pp. 31-52) et « sur pouchkine » (pp. 85-97), Commerce, X vi, été 1928. le numéro parut dans le courant du mois d’août.

3 Jules supervielle, « la pampa aux yeux clos », Commerce, X v, printemps 1928. paulhan avouait à larbaud, en novembre 1928, qu’il avait d’abord été déçu par ses « Deux artistes lyri ques », paru dans ce même cahier du printemps 1928, pp. 109-136 : « eh bien, j’ai réfléchi à ma déception et je pense qu’il faut y voir le signe d’une œuvre qui plus tard comptera pour nous infi niment plus que celles qui, du premier abord, nous semblent “être quelque chose” » (larbaud/ paulhan, p. 112). Ce texte sera repris dans Aux couleurs de Rome (paris, gallimard, 1938).

4 Jules supervielle résidait avec sa famille chaque été à port-Cros, dans le Fort François 1er

CoRR espon DanCe FR ançaise78

nous vous envoyons nos amitiés, les plus affectueuses

Jean p. 66.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

la Baule les pins villa païta lundi [30 juillet ou début août 1928].

[mention manuscrite de Jean Paulhan, en haut de page, sur le côté gauche :] p.v. rien à Commerce1

Bien cher a mi, J’ai très honte de ne pas vous avoir écrit depuis votre départ. mais j’ai été si affolée ce dernier mois à versailles je ne savais plus ce que je faisais – J’en suis pardonnée ?

J’aime tant – tant votre histoire 2. J’avais si peur que vous alliez me faire longtemps attendre la seconde partie et j’étais si heureuse de la voir venir. vous êtes vraiment un être extraordinaire. vous condensez en quelques pages ce qu’un autre mettrait 350 à dire. là dans cette petite histoire je trouve le materiel pour un roman à la Dostoiefski en deux vols de 300 pages chaque au moins – J’aimerais tant en parler avec vous – vous y pensez depuis quelque temps ou seulement depuis que vous êtes là-bas ? naturellement vous l’écrirez pour Commerce ? Comme je serai fière.

nous sommes ici depuis 2 jours. il fait un temps magnifique, radieux, par fait – pas trop chaud. C’est vraiment un climat idéal. Je pense que groeth et m lle guillain viendront vers le 10. et quand viendrez vous ? Quand rentrez

Lettre 66.

1 i l est certainement question de paul valéry, qui ne publia rien dans les cahiers d’été et d’automne 1928.

2 i l doit s’agir des « gardiens ». voir plus loin, lettres 74 et 75.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 79 *

vous à paris ? Quel dommage que vous ne pouvez pas rester tout le mois d’août en vacances – venir directement ici par ex. de votre ile3. J’aimerais bien connaitre giono. vous me direz exactement comment il est. Comme je suis reconnaissante à vous de m’avoir cédé “Colline”4 – J’ai laissé le Journal de m ichaud, avec une autre copie du manuscript de Bernard à la n RF5. Je garde le vieux texte si vous voulez bien. Cher ami je vous écri rai de nouveau aussitôt que j’aurai votre réponse. tant de pensées affectueuses à vous deux chers bons amis.

marguerite de B

67.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

le 1er septembre. [1928]

Bien chère amie merci de votre gentille invitation. J’aurais voulu l’accepter, seulement je ne pouvais trop tarder à rentrer à port-Cros, et mon père, assez fatigué depuis quelques semaines, m’avait demandé de venir le voir aux laumes, où il a passé le mois d’août.

Je l’ai trouvé d’ailleurs bien moins souffrant que je ne l’avais craint. mais la facilité avec laquelle lui revient, depuis quelques années, une sorte de grippe larvée, m’ennuie et m’inquiète.

3 Jean paulhan passa tout l’été à port-Cros mais rentra sept jours à paris (autour du 15 août) pour préparer le numéro de septembre de La NRF

4 Jean giono, « Colline », X vi, été 1928, pp. 121-210. Ce sera la seule contribution de l’écrivain à la revue. voir plus loin, lettres 160 à 167.

5 marguerite Caetani évoque sans doute Ecuador de m ichaux (paris, gallimard, 1929) et Zig-Zag, premier roman de marc Bernard (paris, gallimard, 1929), deux livres dont La NRF publiera des extraits en 1929. paulhan venait de faire la connaissance de son com patriote nîmois marc Bernard (1900-1983), qui publiera tous ses livres chez gallimard et obtiendra le prix goncourt en 1942 pour Pareils à des enfants i l rencontrera marguerite Caetani en 1929, avec paulhan, mais aucun texte de lui ne parut dans Commerce

Lettre 67.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

CoRR espon DanCe FR ançaise80

*en ce moment, nous embellissons port-Cros. (peut-être attendez-vous, pour y venir, qu’il ait fait quelques progrès) par exemple, la cheminée de la poudrière a été transformée en chaise-longue, d’où l’on domine la mer, juste à votre taille et qui vous plaira. (les planches risquent encore un peu de basculer et de vous jeter dans l’ancienne cheminée d’aération, mais nous les fixerons.) nous avons aussi planté quatorze ombús : c’est une plante d’uruguay, qui devient plus haute et plus épaisse qu’un arbre. avec tous les soins que l’on néglige trop souvent, quand il s’agit d’une plante : ainsi supervielle a-t-il chanté l’hymme urugayen.

*on me parle avec enthousiasme du dernier Commerce. tout le monde est fou de giono. et je crois aussi que « Colline » est très grand 2 . Qu’avez-vous pour l’automne ? larbaud paraît content de la nonnain 3 . De mon côté, je ne vois trop rien encore à vous proposer. mais, sitôt arrivé à paris, je chercherai.

nous quittons port-Cros mardi prochain4, ce n’est pas amusant : pour marseille d’abord, où nous rencontrerons Bréal (l’auteur de Cheminements, mais vous ne l’aviez pas aimé, n’est-ce-pas5 ?) et gaillard (voulez-vous lire de nouveaux poèmes de lui6 ?), puis pour Dijon et paris.

Chère amie, dites-bien autour de vous nos grandes amitiés, et acceptez pour vous les plus vives.

Jean p

2 le cahier X vi de l’été 1928 venait de paraître.

3 valery larbaud, « une nonnain », Commerce, X vii, automne 1928, pp. 27-70. Ce récit fut repris dans Aux couleurs de Rome (paris, gallimard, 1938).

4 mardi 4 septembre.

5 auguste Bréal (1869-1941), peintre et historien d’art, collègue de matisse à l’École des Beaux-a rts, avait publié Cheminements aux Éditions de la n RF en 1928.

6 le poète a ndré gaillard (1898-1929), l’un des premiers animateurs des Cahiers du Sud, n’a rien publié dans la revue.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 81

68.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

mercredi. [5 ? septembre 1928]

Bien cher a mi – Ce matin j’ai reçu votre bonne et gentile lettre. merci. J’imagine que demain vous serez à paris. oui je lirais volontiers d’autres poèmes de gaillard. i l faut que vous me trouviez un poète pour le prochain no. et a lvaro ? vous ne m’en parlez pas. est ce que la traduction est très mau vaise1 ? les groeths sont encore ici et il fait un temps trop exquis. À notre retour vous m’aiderez à trouver une maison n’est ce pas ? i l faut que nous quittons la villa Romaine le 1er Jan. et nous n’avons encore rien en vu. C’est affreux. avez-vous vu Fargue qui faisait une croisière en méditerrannée ! –vous ne pourriez pas dire deux mots en faveur de Commerce à Claudel qui depuis péret se dit dégouté de C2 ? m ille pensées affectueuses à madame pascal. Comme ça me parait long depuis que je ne vous ai vu tous deux. pensez à Commerce ! et sauvez ma vie et mon honneur encore une fois ! mes grandes amitiés

m. de B.

Lettre 68.

1 aucun texte du romancier et journaliste calabrais Corrado a lvaro (1895-1956) ne parut dans Commerce (ni à L a NRF ). l’écrivain avait envoyé une nouvelle à la princesse, qui était décidée à la publier et qui demanda dans un premier temps une traduction à larbaud. Ce dernier refusa, le 10 mai 1928 : « Décidément, c’est trop difficile pour moi. i l y a des nuances qui m’échappent, des choses d’une subtilité que mon italien ne fait qu’entrevoir. Je préfère donc renoncer à la traduire ». voir levie/Rabaté. aucune traduction ne parut finalement satisfaisante (voir lettre suivante).

2 la publication d’un conte anticlérical de Benjamin péret, « la Brebis galante », dans le cahier X iii de l’automne 1927 (voir lettre 56), avait indigné Claudel. i l se réconcilie avec la revue en 1929 et figure au sommaire de deux livraisons : le cahier de printemps 1929 publie ses « Conversations dans le loir-et-Cher », celui d’automne « le livre de Christophe Colomb ».

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Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

samedi. [septembre ? 1928]

Bien chère amie, a lvaro m’embarrasse : je n’en suis pas très fou, êtes-vous décidée à le prendre ? J’ai tenté de reprendre la traduction, mais vraiment je ne peux y parvenir seul : la traduction de Caffi est souvent très délicate, parfois ingénieuse – mais elle est presque tout entière à récrire, et je ne sais pas assez l’italien pour le tenter. le mieux serait peut-être que nous la revoyions ensemble (je veux dire Caffi et moi)2.

J’ai beaucoup travaillé tous ces jours-ci (surtout à la suite du “défaut de la critique”)3. un jour, l’on avait dit à ungaretti que La NRF allait publier un récit d’a lvaro. i l s’est jeté chez moi à six heures du matin pour m’apprendre qu’il ne me reverrait pas de toute sa vie. mais il a un peu changé depuis, et, chère amie, je ne viendrai pas vous réveiller aussi tôt4. mais nous vous envoyons de grandes affections

Jean p.

Lettre 69.

1

Carte postale de port-Cros légendée par Jean d’a grève (m. de vogüé) : « Derrière un rideau de palmiers et d’eucalyptus. le manoir d’hélène avec ses tourelles crénelées et sa grâce mystérieuse ».

2 l’écrivain a ndrea Caffi (1887-1955), « un garçon d’une très très grande valeur » selon son vieil ami ungaretti, était depuis peu le précepteur de Camillo Caetani (voir paulhan/ ungaretti, p. 136, et levie/ tortora).

3 Jean paulhan, « sur un défaut de la pensée critique », suivi de « note sur taine et Jean-Jacques Rousseau », Commerce, X vi, été 1928, pp. 31-52. paulhan écrit à larbaud le 4 août 1928 qu’il s’agit d’« une sorte d’introduction » aux Fleurs de Tarbes (larbaud/ paulhan, p. 97). le texte sera d’ailleurs remanié puis repris dans cet essai.

4 C’est ungaretti qui dut proposer la nouvelle d’a lvaro à la princesse, mais il confie à paulhan, en juillet 1928 : « tu aimes a lvaro ? Ce n’est pas mal. J’ai tant insisté pour sa publi cation, parce qu’il est en ce moment très pauvre. i l a été, en d’autres temps, assez méchant pour moi. i l ne faudra pas dire à personne les raisons de mon “admiration” » (paulhan/ ungaretti, p. 145).

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70.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

mercredi. [10 octobre 1928]

Bien chère amie J’ai trouvé hier Kassner sur ma table 2 merci.

*

est-ce que vous voudrez lire jusqu’au bout tout ce premier carnet3 ? Je ne puis vous dire combien je le désirerais.

*

un de mes amis malgaches est à paris, en voyage, avec sa jeune femme. si charmants tous deux que je voudrais beaucoup vous les faire connaître. (i l est aussi question des malgaches dans le carnet)

À Dimanche, nous vous envoyons de grandes amitiés, Jean.

(Je vous assure, c’est amusant, au moins par endroits, et Camillo pourrait le lire.)

Lettre 70.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie). lettre recommandée, dans une grande enveloppe à en-tête des Éditions de la n RF. postée de paris le 10 octobre 1928 et adressée à la villa Romaine, versailles (cachet du 11.10).

2 i l pourrait s’agir de « la Chimère », dont paulhan et groethuysen assurèrent la tra duction, publiée dans le cahier X vii de l’automne 1928.

3 Jean paulhan, « Carnet du spectateur », La NRF, novembre 1928, pp. 694-723. paulhan a découpé les pages de la revue et les a adressées à la princesse.

CoRR espon DanCe FR ançaise84

71.

Jean Paulhan à Lélia Caetani

le 30 Décembre. [1926-1928 ?]

Bonjour, lélia. C’est vous que cette image représente, en bergère d’écureuils (Je pense que vous êtes plus ressemblante que les écureuils mais ils sont très difficiles à dessiner). Je vous remercie de votre gentille petite carte, et je vous envoie à tous deux, à Camillo et à vous, beaucoup de vœux de bonheur.

Jean paulhan.

C’est vrai, vous devriez bien décider de faire, l’année prochaine, un élevage d’écureuils. songez qu’ils sont plus doux que des chats, et qu’ils sont si vifs que l’on pense avoir une ménagerie d’éclairs1.

72.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

[Décembre 1928 ou janvier 1929 ?] secrets *

Bien chère amie, je ne vous donne ceci que si vous me promettez de le déchirer, sitôt lu. il ne faut pas traiter de la même façon toutes les choses écrites,

Lettre 71.

1 À la suite de la lettre, sur le même feuillet, paulhan a imaginé un « plan général de la villa Romaine » (voir page suivante).

Lettre 72.

1 Ce manuscrit en forme de lettre intitulé « secrets », glissé dans une enveloppe de l’im primerie levé, se présente comme un livret : cinq feuillets rectangulaires ont été pliés en deux, et paulhan a écrit sur les neuf pages de droite après avoir inscrit le titre sur la “couverture” (voir p. 88). « secrets » sera publié – de manière très confidentielle, et légèrement remanié – en 1949, puis repris dans le tome iv des Œuvres de paulhan, paris, tchou, 1969, pp. 459-460.

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CoRR espon DanCe FR ançaise86 Lettre 71

s’il est vrai qu’elles ont charge de nous rendre les objets les plus différents qui puissent être : un lac, un orage, la même loi intérieure qui fait le déve loppement d’un orage et d’un arbre. Ce serait peu : elles vont jusqu’à rendre d’autres choses écrites. (i l est vrai qu’elles y parviennent mal.) i l fait partie de celles-ci qu’elles soient secrètes, ou du moins le redeviennent très vite. et si vous les conserviez, ce serait les exposer à manquer pour toujours à leur sens véritable.

nous sommes chargés à chaque instant de ce qu’il y a de plus varié au monde ; il faut quelques ruses pour le soutenir. *

nous avons été forcés d’apprendre tant d’événements, tant de sciences, tant de lois (et formées par les esprits différents, dont elles ne cessent jamais tout à fait de porter la marque) – et celles-là même que nous avons pu refuser n’en demeurent pas moins autour de nous, où nous ne sommes jamais sûrs qu’elles ne soient pas parvenues à se glisser, à la faveur de quelque idée d’as pect innocent ; tant de débris ou de commencements d’idées, sans qu’il soit possible de les distinguer, nous sollicitent, et tant d’allusions (où nous engage trop souvent la peur de paraître ignorants) qu’il faut enfin nous défier, pour commencer, des idées qui nous semblent le mieux évidentes et certaines ; plutôt que le clair et le vraisemblable, je voudrais prendre pour point de départ l’absurde, et le clairement faux, dont on ne peut nier qu’il soit faux, au lieu que pour le vraisemblable l’hésitation est toujours possible.

l’on est étonné de voir que le faux se compose, et forme un corps, dont l’influence ou les ramifications se laissent partout reconnaître.

i l n’est rien de plus absurde que de dire, comme l’on fait chaque jour, que les mots ont un grand empire sur nous (et plus d’une grave philosophie n’a pas d’autre base) : un orateur parle de constitution, de coopération, de liberté, et bouleverse son monde. Ce sont de grands mots, disons-nous. Qu’en savons-nous ? C’est peut-être en tant qu’idées. (Car nous ne savons pas les distinguer.)

nos idées et nos sentiments, dit-on encore, deviennent épais et grossiers en passant par le langage ; le pur de l’esprit s’y perd. pourtant, je vous défie bien de me citer une phrase, un mot qui ne soit certainement que langage. vous n’en trouverez pas : il vaudrait mieux ne pas parler de ce que vous ne savez pas isoler.

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*
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telle est l’extrême différence des lettres d’avec la musique ou la pein ture, si profonde qu’elle en fait des mondes opposés : c’est qu’un mot ne se laisse jamais tout à fait priver de sens, comme une couleur ou un son. un proverbe hindou dit qu’il n’est rien de plus merveilleux que les pas sages, qui ne laissent point de trace, de l’oiseau dans l’air, du serpent dans l’herbe, de l’homme dans la femme. mais quelle est la phrase qui ne laisse à deviner, plus difficilement encore, si elle a été traversée d’esprit ?

mais il peut sembler qu’il est difficile de retrouver par la réflexion ce qui nous semblait tout naturel – et qui l’est – tant que nous n’avions pas réfléchi. le sens commun admet tout naturellement, par exemple, que le poète retouche ses mots et par là serre du plus près ses pensées. mais dès l’instant que le critique, ou le savant, s’en empare, il n’y a plus moyen de s’y reconnaî tre. « la réflexion sur les mots, dit la raison, ne peut que nous mener plus avant dans les mots ; et sur les pensées, dans les pensées ».

Je ne vois qu’un moyen d’éviter ici l’absurde, et de conserver l’évident : c’est d’appuyer chaque part de raison à une part égale de magie. nous som mes tous a lice au pays des merveilles.

les contes peuvent bien nous apprendre qu’une jeune femme se change en girafe, un cloporte en carrosse. mais la vie nous montre à chaque moment une chose plus extraordinaire encore : car une jeune femme peut bien res sembler à une girafe, et un cloporte à une voiture, mais jamais un mot n’a ressemblé à une pensée, ni une phrase à une émotion. un dessin de mots fond mieux que la neige.

Kamaralzaman 2 dans ses voyages trouva un pays où chaque soir les champs, les huttes, la route, le soleil et la lune se retiraient, on pouvait les suivre jusqu’à l’horizon, en même temps que le jour. nous habitons tous ce pays, mais il ne faut pas trop le dire, il ne faut y songer qu’en passant, et vous m’avez bien promis, dès la première page, de les déchirer toutes. au revoir, chère amie. C’est un si petit changement dans le monde, au prix des autres, que votre retour à paris, qu’il ne faut pas nous le faire trop attendre.

un personnage des Mille et une nuits

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*
* 2

73.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

samedi. [ janvier ? 1929]

très cher a mi

C’est la chose la plus exquise que vous avez jamais écrite et vous me demandez de la déchirer ! nous en reparlerons n’est-ce pas ? Je serai certai nement à paris dans 10 jours à peu près. merci tant et tant et tant de secrets. Je suis si fière que c’est écrit pour moi – et merci de tout ce que vous avez fait pour Commerce ! J’espère que dans peu de jours maintenant vous aurez un exemplaire1. Je trouve l’index parfait maintenant – grace encore à vous 2 ! Je pense que j’ai reçu “secrets” après plusieurs jours de retard avec ces tempê tes qui ne veulent pas finir3. Je n’aime pas assai le petit conte 4. Je regrette –a vous deux mes plus affectueuses pensées et la joie de vous revoir ces jours-ci et à vous encore tant de reconnaisse émue.

marguerite de B.

Je n’ai pas encore La NRF

Lettre 73.

1 le cahier X vii de l’automne 1928 dut paraître en janvier.

2 marguerite Caetani avait écrit à larbaud, le 28 octobre 1928 : « Je fais faire en ce moment un index de ce que Commerce a publié dans ces 4 années pour en faire une sorte de circulaire. C’est vraiment imposant et c’est vous qui avez le plus beau record ! » voir levie/ Rabaté.

3 paulhan dut envoyer son manuscrit « secrets » de port-Cros, où il séjourna jusqu’à la mi-janvier.

4 i l pourrait s’agir d’un récit de georges limbour intitulé « h istoire de famille », refusé par la princesse, et que paulhan publia en tête de La NRF de novembre 1929.

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Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

mardi [ janvier 1929]

Bien cher a mi, merci merci de votre si bonne et exquise lettre. Je ne vous ai pas écrit immédiatement parceque j’ai une sorte de fausse grippe sans fièvre mais qui me fatigue un peu. Ce n’est rien – et j’espère me lever demain. merci du vieux texte il est très amusant seulement il y a une complication. gelasio est en train de trouver toutes sortes de choses pour Commerce dans les archives2 – seulement nous ne sommes pas encore sûrs si c’est de l’inédit. Je le saurai dans peu de temps. Dans ce cas j’aurai des vieux textes pour 4 ou 5 numéros et si pia3 est pressé pour voir paraître ceci il vaut mieux que je vous le rends – mais attendons un peu. mais que si Commerce désire absolument “les gardiens”4. Je pensais que c’était écrit pour Commerce ! Je me trompe. ça sera pour le prochain cahier de fin avril n’est ce pas ? avez-vous autre chose pour ce cahier là ? – avez-vous vu limbour ? Je n’ai pas de réponse depuis que j’ai envoyé les poèmes a nglais – mais il les fera sûrement 5 . le climat ici est extraordinaire quand on pense à ce qui ce passe partout, et pas de vent surtout – j’espère que vous ne souffrez pas trop du froid6. mais c’est toujours embêtant à paris. Bon soir cher ami. m ille et mille affectueuses pensées. Qu’est ce que ça sera “vieille France”7 ! –m. de B. merci du petit mot reçu aujourd’hui !

Lettre 74.

1 papier à en-tête : villa caldana / quartier mont fleury / cannes – a. m.

2 gelasio Caetani (1877-1934), l’un des quatre frères de Roffredo.

3 l’écrivain et journaliste pascal pia (1903-1979), amateur d’éditions érudites et de faux littéraires (il avait publié un faux Baudelaire en 1927 aux Éditions de la grenade)…

4 Jean paulhan, « l es gardiens », Commerce, X i X, printemps 1929, pp. 83-96.

5 georges limbour traduisit des poèmes de Roy Campbell pour le cahier X viii de l’hiver 1928. i l répondit à la princesse le 4 février 1929.

6 marguerite Caetani séjourne à Cannes depuis la fin du mois de novembre.

7 léon-paul Fargue, « vieille France », Commerce, X viii, hiver 1928, pp. 51-66.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 91 74.

[Deux mentions manuscrites de Jean Paulhan, sur le côté droit, en bas de page :] mercredi arland8

écr. à [illisible] s. max

75.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

vendredi. [25 janvier ou début février 1929 ?]

Bien chère amie, Fargue a déjà reçu ses épreuves : il a promis de les rendre demain. (i l paraît que beaucoup d’éditeurs lui proposent de l’or en ponts.)

*

vous êtes déjà guérie, n’est-ce-pas ? i l me semble que vous n’étiez plus malade, en m’écrivant, que le temps, pour votre lettre, de voyager jusqu’à paris. mais dites-le nous vite.

Je suis content que vous ayez aimé le vieux texte. Bien sûr, pia attendra volontiers.

ici l’on n’entend parler que de grippe, et de maladies. Beaucoup de gens très bien ont un œil enflé1.

*

mon ami, a lbert uriet, aurait besoin des lalie pour les montrer à un édi teur (qui voudrait lui commander une revue, moitié revue, moitié almanach,

8 l’écrivain marcel a rland (1899-1986), qui allait recevoir le prix goncourt en 1929 pour L’Ordre (gallimard), était devenu un proche ami de paulhan et un collaborateur régu lier de La NRF. avant d’en partager avec lui la direction, à partir de 1953, a rland appartint au petit comité critique que paulhan établit en 1927, avec Benjamin Crémieux, Ramon Fernandez et Jean schlumberger.

Lettre 75.

1 Jean paulhan avait souffert des yeux au mois de décembre, comme gide l’écrit à marguerite Caetani (voir lettre 154).

CoRR espon DanCe FR ançaise92

sur des histoires de vieilles maisons, d’herbes, d’insectes et de mares. Je crois qu’il fera quelque chose de délicieux.) est-ce que je pourrais les prendre à versailles ? mais sans doute non. a lors je viendrai vous les demander, dès votre retour2.

*

Je pensais que vous n’aimiez plus beaucoup les gardiens mais bien sûr, ils étaient et ils restent pour Commerce. (plus tard, j’aurai autre chose à vous donner, qui n’est pas encore tout à fait prêt.)

*

i l ne fait plus froid ici. nous songeons beaucoup à vous

76.

lundi. [ février 1929]

Bien cher a mi –vous êtes bien ironique quand vous dites que nous laissons toujours neuf mois entre vos collaborations à Commerce ! C’est bien malgré nous et Commerce serait bien fière de pouvoir publier quelque chose de vous chaque fois qu’elle parait ! vous le savez bien j’espère. Je suis désolée qu’on vous aie ennuyé avec le nointel1. C’est Caffi qui le corrige parce que nous avons les mots turcs.

2 le récit Lalie, achevé en février 1916 et illustré par uriet à cette époque, est resté inédit jusqu’à la parution du premier tome des Œuvres complètes de paulhan (paris, Claude tchou, 1966, pp. 9-35). voir la notice sur Lalie dans la nouvelle édition de ses Œuvres complètes établie par Bernard Baillaud (tome i, paris, gallimard, 2006, pp. 453-455).

Lettre 76.

1 marquis de nointel, « Dépêches d’un ambassadeur de France au X viie siècle » (documents inédits), Commerce, X viii, hiver 1928, pp. 209-256. Ce texte avait été trouvé par groethuysen.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 93

Je vous prie de ne pas vous occuper de la correction des épreuves sans que je vous prie exceptionnellement de le faire.

Je vous fais envoyer simplement parceque je pense que cela vous amuse de les voir. C’est compris. J’ai déjà assai honte de tout ce que je vous demande de faire pour Commerce ! – J’ai reçu aujourd’hui les traductions de limbour et je les trouve très belles2. Je dis à Fréret qu’on lui envoie de secondes épreuves. J’ai fait tout recomposer le nointel en italique, mais cela nous a pas retardé car valéry vient de donner la fin de son texte3. J’aimerais un ou deux texte encore pour le cahier de printemps plutôt courts –

Qu’en dites vous ? essayez de savoir si Fargue a l’intention de donner la suite à ses souvenirs d’enfance4 – ou – autre chose.

Quel froid vous avez eu de nouveau. C’est effrayant. soignez vous bien tous les deux surtout.

i l faut que le printemps commence vite maintenant. ici temps magnifi que. nous serons encore ici à pâques5 et nous irons vous voir surement –m ille affectueuses pensées à vous deux m de B

2 georges limbour a traduit les « poèmes » de Roy Campbell pour ce même cahier, pp. 68-85. i l les a envoyés à l’imprimeur début février.

3 paul valéry, « l éonard et les philosophes », Commerce, X viii, pp. 153-205. le numé ro d’hiver dut paraître fin février (comme l’annonça La NRF du 1er février).

4 la princesse songe sans doute à « trouvé dans des papiers de famille en 1909 », cahier X i, printemps 1927, pp. 73-131. Fargue publiera « signaux », bref texte en prose, dans le cahier X i X du printemps 1929 (pp. 99-103).

5 C’est-à dire le 31 mars 1929. marguerite Caetani rentrera en effet de Cannes, où elle séjournait dans sa villa Caldana, au mois d’avril.

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77.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

Cannes [21 février 1929]

voudriez vous pour la n RF la parabole de Kanner qui se trouvait à la fin de l’essai sur la physionomie & qu’il a revue depuis c’est inédit 2 a ffectueusement m. de B.

78.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

vendredi. [début mars ? 1929]

Bien chère amie

Que devenez-vous ? nous voici bien privés de nouvelles. tout le monde admire le dernier Commerce, (surtout le gide et le hawthorne)2.

Ramuz – j’avais insisté encore – va vous envoyer un manuscrit, dont il semble très content3.

Lettre 77.

1 télégramme envoyé le 21 février 1929.

2 i l s’agit bien sûr d’un texte de Kassner et non « Kanner », que L a NRF publiera en décembre 1929 : « la parabole du pauvre et du Riche (au sujet du Démonisme) », trad. d’a lexandre vialatte (pp. 767-773).

Lettre 78.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie). enveloppe n RF postée de paris et adressée à : princesse marguerite de Bassiano, villa Caldana, la Californie, Cannes (a m mes). Cachet postal illisible.

2 i l s’agit du cahier X viii de l’hiver 1928, déjà évoqué dans les lettres et notes précédentes. a ndré gide, « montaigne », pp. 7-48 ; nathaniel hawthorne, « idées et germes de nouvelles », pp. 101-111, précédé d’une « note sur nathaniel hawthorne » de valery larbaud, pp. 89-98.

3 l’écrivain suisse Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) ne publia rien dans la revue.

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Je voudrais beaucoup lire hofmannsthal (mais, à ce propos, ne serait-il pas possible de réunir en un livre Eloges et l’Anabase4 ? ne pensez-vous pas qu’il le faudrait ? on me les demande très souvent, on a fini par ne pas me rendre mes livres et je ne peux même plus les relire.) accueillez notre amitié bien grande

Jean p

Je vous en prie, une réponse pour les poèmes franco anglais de Jean achel 5 !

79.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

Cannes [7 mars 1929]

si vous êtes a paris six heures samedi vous prie venir hotel meurice ou bien téléphoner suis prise diner samedi & déjeuner dimanche mais pourrais aller vous voir l’après midi a ffectueusement m de B

4 i l est question de la préface de hofmannsthal à l’édition allemande d’Anabase, de saintJohn perse, qui paraîtra dans Commerce peu après sa mort. voir Bohnenkamp/ levie.

5 Ces poèmes ne seront pas retenus.

Lettre 79.

1 télégramme envoyé le 7 mars 1929.

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a ma RgueR ite Caetani, pR inCesse De Bassiano…

t R ait É De metaph YsiQue pou R le nouvel an……1

Bien chère amie, je pourrais vous dire tout ce qui vous arrivera en 1930 – mais quoi ! chaque voyante vous le dira. Je vous dirai plutôt tout ce qui arrivera, ou bien tout ce qui arrive, et que voient les voyantes.

il y faut seulement que vous me donniez la même confiance qu’à elles. l’on ne sait pas encore tout à fait si la métaphysique peut se dire par des mots, et s’il ne faut pas, pour l’entendre, le même pressentiment qui l’a fait d’abord découvrir.

Je ne suis pas devenu exprès ce que je suis aujourd’hui (et que je ne sais trop comment appeler). avant d’aimer ce que je gagnais, j’ai souvent regretté ce qu’il m’arrivait de perdre. Je sais seulement aujourd’hui que c’est par leur revers que commencent les découvertes, et que ce n’est pas d’abord un nouvel éclat qui illumine le monde – mais qu’il faut commencer par supporter un monde, qui semble éteint.

nous vivons communément dans cette croyance étrange que chaque jour nous apporte un progrès – n’oubliant que ce qu’il nous plaît d’oublier, (et même profitant dans l’instant de l’oubli de ce que nous abandonnons à nos habitudes, comme l’élève musicien marque toutes ses journées par un nouvel enrichisse ment) recevant de la vie matière à sans cesse de nouveaux choix.

nous vivons dans cette croyance, et j’y vivais, – jusqu’à l’instant où se pro duisirent tant d’oublis et de négligences. les idées commencèrent à ne plus tenir sur moi. Je ne gardais pas l’habi tude ; j’oubliais un peu mieux chaque mois les langues que j’avais apprises ; mes opinions se défaisaient aussi, tout me devenait égal, ou plutôt c’étaient

Lettre 80. 1 i l s’agit d’un nouveau manuscrit en forme de lettre, présenté comme un petit livre (voir l’image reproduite page suivante). paulhan n’a pas repris ce texte en volume par la suite.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 97 80.
*
CoRResponDanCe FRançaise98

les différences communes qui s’atténuaient à mes yeux, qui me paraissaient moins différences.

Je m’étonnais par exemple de l’écart que l’on établit couramment entre la guerre et la paix. et je sais bien que dès la guerre, dans ces étranges romans où les soldats parlaient amicalement à leur baïonnette, et plus tard dans ces romans non moins étranges où de sinistres guerriers passaient de la tristesse au désespoir – par des modes aussi opposés –, une seule tentative se pour suivait : il s’agissait de nous faire croire que nous étions, durant la guerre, invraisemblables. mais je sais trop que nous nous ressemblions.

ou bien entre les sauvages et nous, à la faveur de quelques illusions un peu grossières – supposant, par exemple, que ces sauvages ont plus de sensations que nous et moins d’idées. (mais la seule raison en est qu’une idée, qui nous semble fausse, nous semble aussi par là cesser d’être idée, & d’exister même).

ou encore entre les hommes raisonnables et les fous – s’il est vrai que la principale différence tient à ce que le fou imagine nécessairement un monde plus ordonné, et plein d’intentions jusqu’en ses plus minces détails. au lieu que l’homme sensé demeure libre d’imaginer un monde inconsistant et fou.

Je n’ai découvert que plus tard les différences d’une telle confusion, alors que le monde me devenait insupportable par tant d’égalité.

*

J’ai assisté, par hasard, à l’assassinat du boxeur Young Francis par le danseur torrini 2 . a la suite de diverses querelles sentimentales, qui eussent pu être atté nuées, mais qui furent plutôt aggravées du fait que torrini, Francis et leur maî tresse commune, formant ensemble un numéro de music-hall vivaient nus une partie de la journée. torrini poursuivit Francis dans la rue à travers un encom brement de voitures, et le tua de deux coups de revolver. l’on apprit dans la suite que Francis désespéré tentait, dans ce même moment, de se suicider en se jetant sous un taxi. mais peu importe. la surprise, la curiosité me pressaient dès cet instant de préciser ce qu’il m’avait été réellement donné de voir. Je laisse l’anecdote, que je n’appris que par la suite. mon premier senti ment fut d’avoir assisté à une sorte de forfait, ou de crime. Bien entendu, je n’avais rien vu qui eût pour nature d’être, en dehors de moi, mauvais ou

2 Jean paulhan évoque un fait divers de l’époque. le danseur Jean torrini avait abattu à coups de revolver le 4 mai 1929 le boxeur Young Francis, bd poissonnière. avant le drame, ils se produisaient en effet ensemble sur scène, dévêtus, avec la danseuse de music-hall a ndrée maryse, spécialisée dans les numéros acrobatiques et désignée ici par paulhan comme leur « maîtresse commune ». le procès eut lieu en décembre de la même année : torrini fut acquitté le 8 décembre.

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criminel : ce n’était qu’appliquer à des événements indifférents l’idée que je forme du mal et du bien. si j’avais tenu l’assassinat pour un art, j’aurais été frappé, au contraire, de la beauté des gestes de torrini, ou bien de leur laideur. Qu’avais-je donc reçu ? le sentiment même que torrini avait eu le dessus, qu’il l’avait emporté sur Francis – encore que ce fût par des moyens irréguliers – tenait à une certaine opinion, que j’ai sur la vie. si je pensais – comme il arrive à plus d’un homme – que la vie ne vaut point du tout la peine d’être vécue, étant une duperie et un supplice, j’aurais vu Francis vainqueur de torrini. toute la scène n’aurait été qu’un triomphe lent vers la mort, savamment gradué du suicide à l’assassinat, de Young Francis.

C’est l’effet d’une naïveté curieuse, remarquant, par exemple, qu’il n’y a point de justice ou d’égalité dans la nature, d’en conclure qu’il y a donc de l’inégalité ou de l’injustice. la nature ne me montre non plus ni le vivant supérieur, ni le mort vaincu : elle ne me les montre même pas inégaux (car il se peut que la vie et la mort se vaillent et ne soient qu’une même chose : je puis seul en décider.) me fait-elle seulement voir la vie et la mort : il n’est pas trop difficile d’imaginer les pensées qui m’auraient montré un Francis péné trant dans la vie véritable, un torrini, à peine plus animé qu’un fantôme.

Que reste-t-il ? Que j’ai vu un homme poursuivre un autre homme, l’in jurier, le frapper ? mais qu’est-ce encore là, sinon voir jouer devant moi ces personnes mystérieuses : l’injure (dont une idée différente de l’honneur, des convenances, du respect humain m’aurait montré une figure tout opposée), la poursuite (mais un sentiment opposé de la direction, du sens & de la suite de nos mouvements m’en aurait révélé une autre apparence), l’homme… au premier plan de la scène, à laquelle j’avais cru assister, je ne distin guais plus que ces grandes figures sans traits.

les philosophes, quand ils ont fait des remarques comme celles-là, ne manquent pas d’ajouter, comme Kant, qu’entre les choses et nous vient toujours se placer notre intelligence – et qu’ainsi nous ne voyons jamais véritablement un chêne, une maison ou un bœuf, mais nos seules idées du bœuf, du chêne et de la maison. C’est à quoi d’autres ajoutent que le monde n’est donc qu’une simple projection de notre pensée, et qui n’a pas d’autre existence. i l me faut, s’ils ont raison, renoncer à savoir du tout ce qui s’est passé devant moi, à la mort de Young Francis – ou bien encore admettre que rien absolument ne s’est passé. mais je doute qu’ils aient raison : ce n’est pas que leur opinion soit trop fantastique : elle me semblerait plutôt d’une raison un peu courte, (et peutêtre inventée pour nous retenir prudemment sur le bord d’un monde trop merveilleux, ou trop effrayant.) et je puis même douter qu’elle ait un sens.

CoRR espon DanCe FR ançaise100
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Car il est sans doute raisonnable de dire, comme il nous arrive chaque jour : “tu crois qu’aytré est bon3, c’est une idée que tu te fais, il n’y a pas plus méchant”. ou : “tu vois cette toile bleue, mais c’est une impression que tu as : elle est verte”. or le sens de telles réflexions – & comme leur équilibre – tient à ce que l’on confronte à son objet réel la pensée que nous en avons, soit fidèle ou fausse. si l’objet venait à lui manquer, ou la pensée, elles s’effondreraient, et ne seraient plus qu’une apparence de réflexions ou de phrases. Comme qui dirait : “mais qu’aytré soit méchant, c’est aussi ton idée… mais le vert est aussi une impres sion”. soit entendant par là que notre interlocuteur se trompe sur la nature réelle de l’homme, la couleur véritable de l’objet (c’est où la pensée retrouve les deux mêmes supports qu’elle avait tout à l’heure) – soit donnant à entendre que toute couleur, tout trait de bonté ou de méchanceté, n’est jamais qu’une impression que nous avons – et dans ce cas n’ayant du sens qu’une simple apparence (due sans doute au hasard de sa ressemblance extérieure avec la première phrase) car si plus rien de réel n’est tenu pour existant et n’est par nous pris en compte, il s’en suit aussitôt que l’impression ou l’idée – qui n’avaient sens pour nous que dans leur rapport (d’opposition, ou de légère différence) au monde véritable – sont vidées aussitôt de tout sens, de tout suc, ne sont plus que des bruits vides.

ainsi m’étaient rendues, à peine un instant menacées, ces personnes invisi bles que j’avais vu un jour descendre dans la rue, à côté d’un boxeur malheu reux. Je ne les ai plus quittées. leurs différences, leurs débats m’occupent à présent plus que n’ont jamais fait les choses apparentes. et même, je m’explique mieux ainsi la défiance où m’ont toujours jeté les arbres et les maisons que je ren contrais : vrais sans doute, mais bien moins que l’arbre lui-même, que la maison en soi – que je tente ici de vous donner prudemment. non pas sans inquiétude : le monde n’est pas rassurant. il me semble parfois que c’est au moment où il est le plus réel et le plus riche qu’il risque le plus de se briser – comme l’homme ne se sent jamais aussi fragile que dans ses moments de meilleure santé ; comme la nuit, dans l’instant où son silence est parfait, semble parfois près d’éclater. mais ce ne sont peut-être là que des impressions. au revoir, chère amie. Que 1930 me garde toute votre amitié, sans jamais d’autres inquiétudes que celle qui accroît l’amitié

Jean p.

3 aytré est le personnage d’un récit paulhanien : Aytré qui perd l’habitude, paru dans La NRF de février 1921, repris en volume en 1943 (Éditions de la nouvelle Revue de Belgique, Bruxelles). aytré apparaît également dans « luce, l’enfant négligée » (voir plus haut, lettre 1).

maRgueRite
101
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81.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

golf hotel st. lunaire samedi [ fin août ou début septembre 1930]

Bien cher a mi Juste au moment de recevoir votre livre avec cette exquise dédicace qui m’a tant touchée Camillo est tombé malade alors j’ai été si malheureuse et inquiète que j’ai tout oublié1 ! pardonnez-moi ! – J’étais si heureuse de rece voir le petit mot me donnant vos nouvelles ce matin. i l me semble un siècle que je ne sais rien de vous. Camillo est gueri et depuis quelques jours il est à versailles pour reprendre ses études avec Caffi – Roffredo les ramène à Rome le 10 sept. lélia et moi retournons à versailles mardi pour être ensem ble un peu avant leur départ – Je suis allée passer 24 heures à paris et j’ai vu groeth à la gare 5 minutes. Je suis bien impatiente de le voir vraiment – Quand rentrez-vous à paris ? Combien de temps doit durer cette cure à salins2 ? Je suis heureuse que vous avez passé un bon moment en hautesavoie et que vos nouvelles sont plutôt bonnes – m ille et mille affectueuses pensées à vous deux marguerite di B.

Lettre 81.

1 i l doit s’agir du livre suivant : Entretiens sur des faits divers, avec un portrait de l’auteur signé a ndré lhote, pour la société des médecins Bibliophiles, 1930. au sujet de Camillo, paulhan écrit à larbaud, le 26 août 1930 : « sans doute avez-vous appris que Camillo avait donné de grandes inquiétudes (typhoïde ? typhoïde larvée ?) aujourd’hui dissipées ou pres que » (larbaud/ paulhan, p. 199).

2 les paulhan se trouvent chez la fille et le gendre de germaine, le Dr Choffé, à saliesde-Béarn dans les Basses p yrénées, du 25 août au 20 septembre environ.

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Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

le 9 Janvier. [1931]

Bien chère amie, nous attendions, nous ne savions trop à quelle adresse vous écrire. nous étions impatients de recevoir un mot de vous (et celui-ci, qui est du 31, vient seulement de nous arriver aujourd’hui à saint-nizier, où nous sommes dans les neiges.) mais la dépêche, que nous vous avons envoyée le 30, ne vous estelle pas au moins parvenue 2 ? eh bien, nous songeons beaucoup à vous, et nous vous imaginons tant de bonheurs pour cette année que cela fait une sorte de montagne, une montagne légère. nous les imaginons pourtant avec beaucoup d’assurance et de force.

*

nous ne faisons pas de ski, mais nous étions prêts à regarder les autres en faire. i ls en font très peu. i ls ont prétendu, toute la semaine, que la neige était trop légère, trop poussière. aujourd’hui cependant, il leur arrive de grimper péniblement jusqu’en haut d’un petit monticule pour en descendre en un clin d’œil, insectes un bon quart d’heure pour oiseaux deux minutes. la neige n’a guère cessé de tomber, pas beaucoup plus épaisse qu’un nuage. le soleil se montre tantôt comme une pastille blanche, et tantôt comme un ver-luisant. i l pend sur les routes des églises de glace. nous faisons de grandes courses, dans les champs ou dans les bois, et germaine se sent bien plus forte.

*

tout près d’ici demeure a ndré monglond, le préromantique3. i l vient de découvrir un curieux livre de raison de m me de Warens, et j’avais songé

Lettre 82.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée de grenoble (isère) le 11 janvier 1931 et adressée à : princesse marguerite de Bassiano, villa Caetani, vicolo tre madonne, Roma (136), (italie). Cachet de Rome : 13 janvier 1931.

2 Cette dépêche ne se trouve pas dans les a rchives Caetani.

3 a ndré monglond (1888-1969), historien du préromantisme, avait notamment publié Vies préromantiques (les Belles-lettres, 1925) et Le Préromantisme français (arthaud, 1930).

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 103 82.

à Commerce : mais il n’y a guère que des comptes (d’où il ressort que cette dame était très avare) et, signé J. J. Rousseau, le procès-verbal de fouille d’un domestique renvoyé.

i l a trouvé aussi toute une correspondance inédité de senancour – pas très passionnante 4 .

gide y tient beaucoup et, puisque vous y consentez, Œdipe paraîtra dans La NRF du 1er Février (avec des remercî ments – adressés à qui ? à Commerce, n’est-ce-pas5 ?) nous vous envoyons une grande amitié

83.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

Dimanche. [mars 1931]

Cher, cher a mi vous savez bien que de tout mon cœur je suis près de vous dans votre tristesse 2. J’ai tant admiré votre père. Je l’ai trouvé si bien votre père en tout et je comprends le vide qu’il doit laisser dans votre vie – les paroles sont peu de chose en de tels moments et je sens les miennes très pauvres mais je pense que vous me comprenez assai pour sentir ce que je ne sais pas dire. Je vous écrirai bientôt de nouveau votre très affectueuse

marguerite di Bassiano

4 a ndré monglond publia en 1931 un ouvrage intitulé Le Mariage et la vieillesse de Sénancour : Sénancour en Suisse (1789-1803) ; lettres de Sénancour à Ferdinand Denis (18321846), i mpr. Daupeley- gouverneur, nogent-le-Rotrou, 1931.

5 Commerce avait en effet déjà publié « Œdipe » dans son cahier XX v, de l’automne 1930. le texte paraîtra en entier dans les NRF de février et mars 1931, précédé d’une note de remerciement à Commerce

Lettre 83.

1 papier à en-tête : villa caetani / vicolo tre m adonne / roma (136) / tel. 88492.

2 Frédéric paulhan fut emporté par une crise d’urémie le 14 mars 1931.

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84.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

samedi. [8 août 1931]

Bien chère amie, Que devenez-vous ? et vous nous laissez bien longtemps, bien durement sans nouvelles.

voici la traduction, par D. Decourdemanche, de l’i ndividu et l’homme collectif 2 . elle me semble très belle.

m. a lbert gyergyai-szegoe (1, ménesi ut 11-13 à Budapest – hongrie) est un hongrois qui aime beaucoup Commerce, et qui tâcherait de le répandre. voudriez-vous bien le faire inscrire au service, par exemple pour un an ? C’est un homme délicieux, doux et très obéissant3.

Charles Du Bos a été opéré4 i l va mieux. groeth et a lix vont partir pour le var. et nous aussi : on voit dans chaque chambre le bec ouvert d’une malle. et les chats se montrent déjà inquiets.

nous vous envoyons nos affections

Jean p. [Mention manuscrite de Germaine Paulhan :]

Bien chère amie, pourquoi nous oubliez-vous ? nous en sommes tristes. nous serons à port-Cros mardi ; nous voudrions savoir si vous êtes bien à Beg-meil. Je vous embrasse

germaine

Lettre 84.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 3, rue de grenelle (vie).

2 Rudof Kassner, « l’i ndividu et l’homme collectif », traduit de l’allemand par Jacques Decour, Commerce, XX viii, été 1931, pp. 199-229. Daniel Decourdemanche, dit Jacques Decour (1910-1942), auteur gallimard et futur grand résistant. avec paulhan, il fondera en 1942, dans la clandestinité, le journal Les Lettres françaises, avant d’être fusillé par les nazis.

3 a lbert gyergyaï-szegoë (1893-1981), écrivain, traducteur et professeur de français, chroniqueur à la revue hongroise Nyùgat (Occident). « C’est quelqu’un d’excessivement sym pathique », écrit paulhan à Jouhandeau en octobre 1934 (Jouhandeau/ paulhan, p. 245).

4 Charles Du Bos souffrait (depuis 1928) d’une affection des cordes vocales.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 105

Décidément, nous ne prendrons pas moony5 ; nous nous absentons trop, elle ne serait pas heureuse ; mais nous vous sommes reconnaissants d’avoir songé à nous la donner. notre adresse : paulhan – port-Cros par les salins d’hyères (var)

85.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

vendredi. [3 octobre 1931]

Bien chère amie, voici les épreuves revues.

Qu’avez-vous pensé de l’étude de Rougemont sur Kassner2 ? aragon a écrit sa “défense de l’infini”3 mais faut-il la lui demander, et comment ?

(i l écrit aussi de petits poèmes communistes, pour des revues russes)

Je regarde tous (ici, vous m’avez téléphoné ; c’est impossible de me rappeler ce que je regardais.

si, je crois qu’il s’agissait de manuscrits, et que je voulais arriver sour noisement à vous dire que je suis un peu malheureux que vous ayez pris un poème de Desnos quand Ribémont-Dessaignes vous le présentait et jamais quand c’était moi4 ; que je vous trouve en général trop sévère pour les manuscrits que je vous présente… etc. mais c’est peut-être de la jalousie.)

5 i l s’agit sûrement d’un chien.

Lettre 85.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée de paris le 2 octobre 1931 et adressée : princesse marguerite de Bassiano, villa Romaine, avenue Douglas haig, versailles (s. et o.). Cachet de versailles : 3 octobre 1931.

2 La NRF d’octobre 1931 contient une note de Denis de Rougemont sur Les Éléments de la grandeur humaine de Rudolf Kassner (pp. 640-643).

3 a ragon travailla entre 1923 et 1927 à un grand roman intitulé La Défense de l’infini avant d’en brûler les pages en 1927. seuls des fragments ont été publiés.

4 Robert Desnos n’a publié qu’un seul texte dans la revue (« siramour », XX viii, été 1931, pp. 167-196).

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Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

le 30 jan. [1935]

Bien cher ami J’adore mon petit livre2. C’est trop charmant – le contenu et la forme – il n’y a que vous pour faire une chose pareille. merci, grand merci de toute ma profonde et sincère affection pour vous. J’ai été au lit depuis quelques jours avec une sorte de grippe – mal-de-gorge – c’est pour cela que je n’ai pas écrit immédiatement. merci aussi de la bonne et gentile lettre. oui nous avons été bien attristés par toutes les nouvelles qui nous sont parvenues après la mort de mon pauvre beaufrère3 ; il parait qu’il a souffert si terriblement – C’est affreux vraiment. C’est une vie tragique où tout est toujours mal tourné pour lui. un peu de sa faute je suppose – mais ce n’est pas moins triste pour cela. pauvre Camillo commence samedi la seconde partie de son service militaire, mais il reste à Rome, Dieu merci, et aussi il parait que pendant que dure son service, c’est à dire jusqu’au 1er septembre il n’y a pas de danger qu’on l’envoie là-bas – espérons qu’avant septembre on sera arrivé à une solution – lélia travaille beaucoup et vous envoie ses affectueuses pensées. avez-vous vu l’exposition “nouvelle génération” où elle avait 2 tableaux ? J’étais très heureuse qu’on l’ait invitée.

Je trouve qu’il s’y trouvé réuni tout ce qu’il a de plus intéressant dans la jeune peinture française aujourd’hui – puisque tous avaient moins de 30 ans –seulement il n’y avait pas Balthus4. l’avez-vous vu ? Je voudrais tant que vous

Lettre 86.

1 papier cerné d’un liseré noir de deuil, à en-tête : palazzo caetani / 32 via botteghe o scure / roma (18)

2 paulhan a dû adresser à marguerite Caetani une de ces « lettres-manuscrits » dont il a le secret. peut-être s’agit-il ici de « portrait » (voir a nnexe).

3 gelasio Caetani (1877 - 23 octobre 1934).

4 paulhan connaissait et appréciait Balthazar Klossowski de Rola dit Balthus (19082001). une première exposition avait été consacrée au peintre en avril 1934, à la galerie pierre (paris).

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Je vous envoie bien et bien des amitiés Jean p. 86.

le voyiez. Beau numéro de Mesures5. Je suis en train de finir une lotterie pour onze peintres et 2 sculpteurs. 150 billets à 100 lires le billet – il y a 15 tableaux, un bas-relief en bronze et une tête de Fazzini6. Je pense que c’est une bonne idée. on donne 1000 lires à chaque peintre et 2000 aux sculpteurs. l’opéra de Roffredo est remis et les circonstances sont un peu inquiétant. J’aurais beau coup de choses à vous dire qui sont hélas difficiles à écrire. ecrivez-moi vite. C’est si bon de recevoir vos nouvelles et vos merveilleuses lettres. merci encore de mon délicieux cadeau. mille et mille affectueuses amitiés à vous deux marguerite di. B.

87.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

Chez madame de Beaumarchais st. Forcet, Bayonne Basses p yrénées 14 août [1935 ?]

Chers amis, À mon retour de londres j’ai téléphoné chez vous et vous étiez déjà partis. J’ai tant regretté de vous manquer partout – mais j’espère vous voir beaucoup en automne – je serai à paris pour octobre et novembre. J’organise pour la société de l’art présent1 une exposition d’art contemporain anglais à paris du 15 nov. au 15 déc. chez paul Rosemberg, qui prête gracieusement sa galerie pour l’occasion 2

5 la revue Mesures (1935-1940), financée par le mécène américain henry Church (1880-1947). paulhan sera le rédacteur en chef de cette luxueuse revue trimestrielle, dont adrienne monnier prendra en charge l’administration. le nom des membres du comité de rédaction figurait en deuxième de couverture, où la fonction exacte de paulhan et de henry Church n’était pas précisée.

6 le sculpteur italien pericle Fazzini (1913-1987).

Lettre 87.

1 les statuts de la société, faits à paris le 27 novembre 1934, se trouvent dans les archives Caetani.

2 la galerie de paul Rosenberg (1881-1959) se trouvait 21 rue la Boétie. Rosenberg ouvrit une autre galerie à londres en 1935.

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t he Contemporary art society nous aide en nous permettant d’em ployer son nom et en nous apportant une certaine aide financière3. J’espère que cela sera intéressant. l’exposition à londres a eu un joli succès. nous avons vendu 24 tableaux et une sculpture et on s’est beaucoup intéressé à cela. nous avons eu un très bel article de Clive Bell qui nous a aidés énormément4.

Comment allez-vous tous les deux ? J’aimerais tant avoir vos nouvelles. et les groeth ? où sont-ils et comment vont-ils ? J’espérais toujours les voir à londres – Je suis ici jusqu’au 28 quand je pars pour venise où je rencon tre les enfants qui sont en ce moment à st. moritz avec des cousins. ne me maudissez pas de vous envoyer cette chaine ! Je pense vraiment qu’on peut avoir beaucoup d’argent si elle n’est pas interrompue et vous connaissez tant de gens ! Comment va toute votre famille ? et port Cros ? l’été prochain nous voulons absolument passer un mois à Cassis ou sanary alors nous irons vous voir surement. Je suis arrivée si absolument morte de fatigue et pas bien du tout et maintenant je vais beaucoup mieux. Je me suis terriblement fatiguée à londres.

Bien chers amis, je vous envoie toutes mes bien affectueuses amitiés marguerite di B. est-ce que paulhan ne pourrait pas faire une notice autour de cet article de Clive Bell et en même temps annoncer l’exposition anglaise ? Je peux vous donner des détails des noms – nous voulons faire une chose assez complète de sickert 5 jusqu’aux jeunes. i l y aura le 7 déc. un concert avec Beecham6 et le philharmonique de londres a l’opéra mais pas organisé par nous.

3 t he Contemporary a rt society, fondée à londres en 1910.

4 l’exposition franco-italienne, organisée en collaboration avec la société de l’a rt présent, présenta à londres (Wertheim gallery) 26 artistes français et 23 artistes italiens à partir du 25 juin 1935. Clive Bell (1881-1964), critique d’art et cofondateur du Bloomsbury group.

5 le peintre anglais Walter sickert (1860-1942).

6 le chef d’orchestre t homas Beecham (1879-1961).

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88.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

Rome

le 6 mars [1937]

mes chers amis, J’aimerais avoir vos nouvelles ! surtout de germaine1 – Comment ça va avec la skarius2 ? elle m’a écrit qu’elle voulait venir soigner le pape et j’ai demandé si on pensait que ça serait possible et on pense que ça serait la chose la plus difficile du monde ! J’espère tant que vous allez mieux chère germaine et je suis si impatiente de savoir. Comme j’aimerais pouvoir parler avec vous deux à cœur ouvert ! Que de choses nous aurions à nous dire !! – Bientôt nous allons commencer les excursions qui sont si agréables ici au printemps – pour le moment il pleut trop même ici –

Je sais que ungaretti est parti avec sa famille pour 3 ans à Buenos ayres mais je ne l’ai pas vu 3 ! – Dites moi quelques choses libres, je ne sais plus rien. et écrivez-moi vite !! Je pense à vous deux avec une si grande tendresse et je vous embrasse

marguerite

où sont les groeths et quel est leur adresse ? a-t-on rien fait pour martinetti Cristo e il Cristianesimo4 ? et Commerce !

Lettre 88.

1 germaine paulhan avait commencé à souffrir de « rhumatismes » au début des années trente. À cette époque, les médecins évoquent une névrite. i ls ne diagnostiqueront la mala die de parkinson qu’en 1940.

2 le nom de ce médecin est difficilement lisible : skarius, s. Karius ou Dr Karius ? skarins, s. Karins ou Dr Karins ?

3 ungaretti écrit à paulhan début février 1937 : « Des nouvelles : le 20 de ce mois je pars pour le Brésil. J’y vais faire un cours à l’univ. de saint-paul. Je m’en vais avec Jeanne et les enfants. en octobre nous serons de retour » (paulhan/ ungaretti, p. 297). s’ils partirent bien le 20 février au Brésil (et non en a rgentine), ils y restèrent finalement jusqu’en 1942, où ungaretti obtint un poste à l’université de Rome.

4 piero martinetti (1872-1943), Gesù Cristo e il Cristianesimo, m ilano, edizioni della « Rivista di filosofia », 1934. l’ouvrage du philosophe italien antifasciste sera publié en français en 1942, sous le titre Jésus Christ et le christianisme (Bocca Frères editeurs).

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89.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

Rome le 21 avril [1937]

Chers, chers amis, je suis au milieu de Mesures que je trouve excellent. m ichel simon sort d’ici très préoccupé du malentendu au sujet de son Cardan1. Je lui ai promis de vous en parler mais je pense que c’est tout-à-fait inutile après sa lettre où il vous aura tout dit certainement – que sa traduction a un tout autre caractère, bien plus litéraire et que l’autre n’est même pas en circulation – j’espère certainement que vous trouverez moyen de donner la sienne. lélia et moi partons samedi pour un petit voyage en grèce. Je vous enverrai des cartes. nous allons avec des a méricains gentils. plus d’espoir pour Commerce ! C’est un coup ! – dans mon cœur et dans ma bourse 2 ! Donnez-moi vite vos nouvelles. hotel grande Bretagne jusqu’au 6 mai – Je vous embrasse tous les deux bien tendrement marguerite

90.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

Rome, dimanche [ juin 1937]

très chers amis, nous arriverons mercredi matin et je téléphonerai aussitôt à seaux pour voir si je peux vous voir un moment si vous partez toujours le 241. Comme

Lettre 89.

1 michel simon, lecteur de langue et littérature française à l’université de Rome de 1932 à 1937, a publié plusieurs notes dans La NRF en 1939-1940. aucune traduction du savant italien Jérôme Cardan (1501-1576), publié dans Commerce, ne parut dans Mesures ou La NRF 2 marguerite Caetani avait toujours espéré pouvoir relancer la revue.

Lettre 90.

1 les paulhan partirent pour port-Cros à la fin du mois de juin.

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vous partez tôt cette année ! Je regrette tant mais je ne pouvais pas partir plus tôt à cause des examens de Camillo et d’autres questions très impor tantes pour lui – i l a décidé ces jours-ci d’aller pour une année scolaire à harvard aux etats unis – Je suis bien heureuse pour lui.

À mercredi alors j’espère. m ille choses affectueuses marguerite 91.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

c/o m me de Beaumarchais st. Forcet Bayonne Basses p yrénées le 7 août [1937]

très chers amis

J’étais si heureuse de recevoir votre petit mot. J’espère que vous vous ferez radiographier immédiatement à paris – et vous me direz tout-desuite le resultat n’est-ce pas ? hélas pas encore cet été port Cros ! mais je suis sure qu’un jour ou l’autre nous irons – nous passerons quelque jours à Cassis en passant peutêtre. nous sommes ici jusqu’à vers le 20. J’ai parlé avec marx du m inistère au sujet de Commerce sur le conseil de groeth1. i l a été très gentil et voudrait bien que cela se fasse mais d’abord ça n’a jamais été mis sur la liste de possibles acquisitions et deuxiemement ils ne prévoient pas l’achat de revues épuisées il parait – ce qui fait une grande difficulté. pensez-vous que sur cela vous pourriez faire quelque chose ? – J’en aurais le plus grand besoin en ce moment. on a arrêté complètement ma revenue pour payer une nouvelle taxe en a mérique sur les étrangers non-résidents. C’est épouvantable – c’est 10% sur la revenue brute et commençant en ’36. on va très probablement contester cette loi infâme mais en attendant il faut payer ! – lelia travaille à son portrait. Je pense que ça sera très amusant.

Lettre 91.

1 Jean marx (1884-1972), universitaire et diplomate, dirigeait le service des Œuvres françaises à l’étranger, au m inistère des affaires étrangères.

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Donnez-moi vite de vos nouvelles. J’envoie à paulhan un petit livre de poesie d’un jeune homme que j’admire beaucoup et j’espère que cela lui plaira assez pour le faire traduire. i l y a une autre très belle collection de ses poesies que je peux lui envoyer si ce livre lui plait. C’est aussi un garçon très utile pour signaler des nouveaux talents ce que ungaretti n’aime guère faire. vous n’avez aucune possibilité de faire travailler Fautrier à l’exposition 2 ? i l est très blessé qu’on n’a pas pensé à lui pour rien. Bien chers amis, j’attendrai impatiemment vos nouvelles et je vous envoie mille tendresses à tous les deux

marguerite

92.

Cher ami, pardon de ne pas avoir écrit avant. J’ai pensé si souvent à vous deux et je voulais avoir des nouvelles de germaine mais nous avons été prises dans un tourbillon de déjeuners de diners de thés. lelia a un très grand succès vraiment – et quand je rentre je suis morte. Je vous prie de m’envoyer vite un petit mot me donnant vos nouvelles à tous les deux – j’espère tant que vous allez mieux. toutes mes affectueuses pensées

2 paulhan connaissait le peintre Jean Fautrier (1896-1964) depuis 1928, mais c’est en 1942 qu’il le découvrit vraiment. i l devint alors un de ses plus fervents admirateurs et défenseurs, notamment de la série des Otages. « C’est, depuis Braque, le seul peintre qui sache ce qu’est la matière d’un tableau, et ce qu’il faut en faire », écrit-il à ponge le 9 août 1943 (Jean paulhan, Francis ponge, Correspondance 1923-1968, tome i, paris, gallimard, 1986, p. 302).

Lettre 92. 1 papier à en tête du stafford hotel, st. James, london, s.W.1.

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Lettre 93.

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Jean Paulhan à Marguerite Caetani

le 15. i. XXX viii. [19381] moDÈle pour marguerite de Bassiano2.

non, ce n’était pas ainsi avant l’accident. a présent, que me reste-t-il que venir chaque soir sur ce banc. lorsque le soleil se couche, il se forme d’un bout à l’autre du ciel des traînées, que je distingue à leur teinte, comme les courants de la mer : les violents sont les rouges, ou les jaune d’or ; mais les violets, les plus calmes.

puis, je vois trois îles s’élever au dessus du soleil, qui grandit. la plus haute bave, et se déverse dans l’île du milieu, qui figure une a frique – ou c’est du moins le nom que je lui donne sur sa forme. mais la troisième île demeure immobile et verte, alors même que les derniers rayons la traversent.

Cependant le soleil disparaît, et ce n’est qu’après un instant que je vois revenir sa lumière – mais d’un tel élan qu’elle inonde l’a frique et ses lacs (à l’exception toutefois d’un lac de montagne), l’île froide et le reste du ciel. a lors j’éprouve un grand enthousiasme, et je suis des allées et venues de grandes taches dans les courants, jusqu’à ce que le tour de mes yeux devienne sec. puis je rentre par le sentier. a h, l’on se distrait comme on peut. et il n’est plus question pour moi, depuis que je suis aveugle, de travail, de champs et de filles.

J.p.

Lettre 93.

1 la date est indiquée à la fin du manuscrit, sur un feuillet séparé (voir image reprodui te). un petit mot accompagne ce manuscrit de neuf feuillets, « modèle », présenté dans un double feuillet noué par un fil doré, illustré par les soins de paulhan et dédié à marguerite de Bassiano. i l s’agit d’une première version de « la bonne soirée », l’une des Causes célèbres de paulhan (la première édition complète du recueil parut chez gallimard en 1950).

2 la dédicace est inscrite sur un feuillet séparé, illustré par un paysage de bord de mer (voir image reproduite).

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 115 93.

Lettre 93.

CoRR espon DanCe FR ançaise116

le 16 janvier. [1938]

Bonjour, bien chère amie. Que d’affections et de vœux vous envoient germaine et Jean p. [Mention manuscrite de Germaine Paulhan] Donnez-nous de vos nouvelles. 94.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

25 Jan. [1938]

très cher ami,

Je suis si enchantée de mon charmant cadeau1 ! merci de tout cœur. C’est charmant à lire, à regarder, à toucher ! Que peut-on avoir de plus – je voudrais avoir vos nouvelles par ex. de vous et germaine. Je vous envoie un autre livre – le plus beau je crois – de ce poète de libero. ça serait si bien si vous pouviez donner une chose de lui un jour. ici personne l’apprécie bien entendu 2 . vu une fois ungaretti et puis il a disparu à la campagne. lelia travaille beaucoup parce que on veut lui faire une exposition chez Bignon à new York vers le 20 avril. Ce n’est pas tout-à-fait décidé. un très gentil écrivain italien a ngioletti – je crois même que vous avez publié dans la revue une chose de lui dans le temps – habite en ce moment paris et m’écrit que vous êtes la seule personne qu’il désire connaître3. i l

Lettre 94.

1 « si » est souligné quatre fois.

2 i l s’agit du poète et romancier libero De libero (1903-1981), dont ungaretti faisait peu de cas. i l trouve paulhan trop indulgent à son égard (voir lettre de mai 1938, in paulhan/ ungaretti, p. 321). Dans le bulletin de La NRF d’avril 1938 (p. 704), on peut lire en effet, au sujet du recueil Solstizio (Rome, edizioni di novissima, 1936), le livre qu’évoque sûrement la princesse : « Des Bucoliques et des géorgiques parmi les plus gracieuses de la littérature contemporaine ». aucun texte de lui ne parut dans Commerce

3 l’écrivain et critique giovanni Battista a ngioletti (1896-1961), animateur de plu sieurs revues (dont La Fiera Letteraria, après la guerre, pour laquelle il traduira un article de paulhan sur la peinture moderne) était en relation avec valery larbaud au temps de Commerce, et aurait aimé en être le correspondant étranger. aucun texte de lui ne parut

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 117

demeure à 6 rue Dulong X vii. pourriez vous lui donner un coup de télé phone ? vous seriez angélique. Je me réjouis de lire le dernier Mesures qui semble bien intéressant4. Combien j’aimerais vous voir ! vous me manquez terriblement. ecrivez moi de temps en temps. nous partirons les premiers jours d’avril – d’ici j’ai bien peur. encore merci tant de fois merci si cher ami et mille affectueuses et tendres pensées à vous deux

95.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

où sont les groeths ?

le 18 mars [1939]

très chers amis, en vérité j’espérais toujours recevoir vos nouvelles vous ayant envoyé un mot pendant notre voyage ici et n’ayant pas eu de réponse. i l me semble maintenant que vous ne l’ayez jamais reçu ! – nous sommes tellement angoissés tout le temps qu’on a l’impression de ne pas vivre du tout. Quelles horreurs vraiment et vers quelle tragedie allons-nous. nous sommes beaucoup à la campagne, moi je travaille dans un jardin qui empêche de trop penser, c’est tout ce qu’on peut demander. les enfants travaille chacun de leur côté. lelia est à sestrière en ce moment pour 15 jours et Camillo ira la rejoindre dans quelques jours. elle est avec la petite Charles-Roux1. Combien j’aimerais vous voir et causer à cœur ouvert de tant de choses. nos lundis me manquent toujours beaucoup2. C’était bien sympathique. ecrivez-moi

dans la revue. i l ne participera qu’une seule fois à La NRF, à l’occasion de l’hommage à larbaud de septembre 1957 : « larbaud l’européen ».

4 Claudel, tomas o’Criothain, supervielle, Kafka, henri t homas, a rmand petitjean, swift, m ichaux, essenine, sartre, Dostoïevski et paulhan se trouvent au sommaire du numéro 13 de la revue Mesures, daté du 15 janvier 1938.

Lettre 95.

1 sans doute la femme de lettres edmonde Charles-Roux (1920-2016), fille du diplomate François Charles-Roux, ambassadeur auprès du vatican de 1932 à mai 1940.

2 marguerite Caetani recevait des écrivains, parfois invités par paulhan, dans son appar tement de la rue du Cirque.

CoRR espon DanCe FR ançaise118

vite et je répondrai aussitôt. J’enverrai 200 francs pour la revue de petitjean 3 . m ille et mille choses affectueuses marguerite

[En marge, sur le côté gauche :] Que se passe-t-il de Cingria4 ?

96.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

le 20 mars. [1939]

Chère grande amie

Que faites-vous à Rome ? Je ne sais ce qui s’y passe, mais nulle part vous ne serez plus aimée que rue du Cirque, ni plus attendue, ni mieux souhaitée. i maginez que j’avais rencontré chez Bousquet le petit paysage de Klee qui habitait l’escalier de la villa Romaine. vous savez, ces rues de neige ou de lune qui rougissent brusquement (avec au centre cet étrange escalier, qui mène où ? et dans le coin, en bas, un dé à jouer). enfin, l’on songe à m inorque, à i biza, à de grandes courses dans la neige, à ce que deviendront les villages quand les hommes ne seront plus là. (Je ne sais que votre petit paysage de Derain pour contenir tant de secrets).

3 l’essayiste a rmand petitjean (1913-2003) avait publié son premier livre chez Denoël en 1936 (Imagination et réalisation) avant de rejoindre en 1937 les Éditions gallimard aux quelles il donnera quatre essais. véhément patriote, il sera dans La NRF, jusqu’en 1940, le porte-parole de paulhan. i l y publia également des critiques littéraires. en 1939, il fonda avec a ndré u lmann le Courrier de Paris et de la Province, mais cette revue ne connut qu’un seul numéro, paru le 20 juillet 1939.

4 paulhan admirait beaucoup l’écrivain suisse Charles-a lbert Cingria (1883-1954), auteur inclassable et fantaisiste, privilégiant les formes brèves. i l ne publia aucun texte dans Commerce mais participa à la revue Mesures et s’illustra notamment dans « l’a ir du mois » de La NRF, à partir de 1933.

Lettre 96.

1 lettre avec adresse imprimée : 29, avenue jean jaurès / chatenay m alabry (seine).

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 119

enfin, Bousquet vient de me le donner, et je l’ai à présent tout devant moi, sur ma table. Je ne pense pas que je me fatigue jamais de le regarder2.

*

Je vous envoie trois cartes japonaises, où la réflexion (non l’effet) est curieuse. Je crois que c’est votre lulle qui disait : “i l y a de beaux paysages, il n’y a pas de beaux chemins3.” (et bien entendu, elles sont de l’ordre plutôt du chemin). i l disait aussi : “le ciel flotte dans notre esprit, comme un rayon de soleil dans l’eau.” (voilà qui est pour lelia.)

*

Quand repassez-vous par paris ? vous y manquez. petitjean fait paraître dans dix jours son premier cahier. Caillois fait des recherches sur le bour reau (et son rapport mystérieux avec le roi)4 groeth achève dans le m idi son grand livre sur le temps. armand Robin, en traduisant maïakovski, a été pris d’une joie si absolue (dit-il) que de très peu s’en est fallu qu’il ne se tue aussitôt 5 . i l en est demeuré un peu troublé. i l a poussé à Jean Wahl dans le dos deux légères ailes, qui ne lui permettent pas encore de franchir plus que les Champs-elysées6. enfin, vous aurez en revenant plus d’une surprise.

2 paulhan écrit à Jouhandeau dix jours plus tard, le 31 mars 1939 : « i magine-toi que j’ai à présent le petit tableau de Klee que tu avais vu chez m me de Bassiano. Des façades de maison sous la lune, un arbre qui semble s’envoler comme des oiseaux, un double esca lier. le tout, rouge ou rougeâtre. i l est devant ma table, et m’enchante toute la matinée ». (Jouhandeau/ paulhan, p. 401). selon Jacques Roussillat, qui a établi l’édition de leur cor respondance, il pourrait s’agir de Rote Saulen Vorbeiziehend (Défilé de colonnes rouges), daté de 1928. paulhan posséda plusieurs tableaux de paul Klee (1879-1940).

3 Raymond lulle (1232-1316), théologien et écrivain catalan.

4 l’écrivain Roger Caillois (1913-1978), cofondateur du Collège de sociologie en 1938, avait publié en 1935 Procès intellectuel de l’art (Les Cahiers du Sud, marseille), après avoir rompu avec a ndré Breton et le surréalisme. « Roger Caillois, c’est très simple, a du génie », écrit paulhan à gallimard le 10 juillet 1937 (voir gallimard/ paulhan, p. 142). l’éditeur publiera peu après Le Mythe et l’homme (1938). le 21 février 1939, Caillois avait donné au Collège de sociologie une conférence intitulée « sociologie du bourreau ».

5 l’écrivain a rmand Robin (1912-1961), poète et romancier, polyglotte. ses premières traductions parurent dans les revues Mesures et Les Cahiers du Sud paulhan évoque ici sa traduction de « sur une flûte de vertèbres » de maïakovski, parue dans La NRF d’avril 1939, pp. 634-640.

6 le philosophe et poète Jean Wahl (1888-1974), professeur à la sorbonne, collaborait à La NRF depuis 1929. i l marqua de son influence nombre de jeunes philosophes, sartre en particulier.

CoRR espon DanCe FR ançaise120

J’oubliais qu’adrienne monnier a écrit un livre sur les Juifs (ou une bro chure plutôt) si beau qu’un fourreur de paris, m. h irschblumfeld l’a fait tirer à 250 000 ex. et on le distribue dans paris. adrienne est donc devenue d’un orgueil insensé, on ne peut plus guère la voir7. Je crois que je vais faire au Collège de sociologie une (petite) conférence sur le langage sacré. Ce sera le 16 mai8. i l y sera aussi question de la méta morphose (qui me semble l’essentiel de nos aventures dans le monde.) mais je vous dirai cela un autre jour. au revoir, bien chère amie. nous vous embrassons fort

97.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

27 april [1939]

Bien cher ami, voici les chèques 900 pour Cingria 200 cahiers quinzaines. J’étais si, si heureuse de recevoir vos nouvelles1, comme vous ne pouvez pas avoir une idée – vos lettres sont une joie, surtout quand je suis si loin. ecrivez-moi vite je vous en prie. J’espère tant que germaine va mieux, elle ne m’en parle pas. lelia et moi esperons partir pour la sicile ou l’ombrie la semaine prochaine. J’ai été bien angoissée dans la crainte que C. soit appelé mais non. Quel poids on porte toujours dans son cœur par ces temps affreux. R. travaille beaucoup a un nouvel opéra 2 – une chose beaucoup plus légère. nous sommes beaucoup

7 i l doit s’agir de ses « Réflexions sur l’antisémitisme », publiées dans La Gazette des Amis des Livres en novembre 1938 (voir adrienne monnier, Les Gazettes, paris, gallimard, 1996, coll. « l’i maginaire », pp. 214-230).

8 Jean paulhan, « D’un langage sacré », publié en espagnol sous le titre « sobre un lenguaje sagrado », Sur, X (février 1940), n° 65, et à titre posthume in Jean Paulhan et Madagascar, paris, gallimard, 1982 (Cahiers Jean paulhan, n° 2), pp. 312-336. paulhan pour suivait sa réflexion sur les proverbes malgaches, les hain-tenys.

Lettre 97.

1 « si » soulignés trois et cinq fois.

2 Roffredo Caetani travailla jusqu’en 1939 à son deuxième opéra, L’Isola del Sole repré senté pour la première fois à Rome le 30 janvier 1943.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 121

a la campagne où il fait si beau en ce moment. J’aimerais tant vous avoir là avec nous. un jour peutêtre. ma tendresse a vous deux marguerite di. B. 98.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

24 déc. [1939]

très chers amis,

Je suis vraiment trop longtemps sans vos nouvelles. J’ai eu tant de peine en octobre quand lelia et moi étions à paris de savoir que vous étiez au loin et que je ne vous verrai pas2. nous voulions tant rester à paris mais j’espère bien y retourner au printemps. J’aimerais tant vous voir tous les deux et les groeths – que font-ils et où sont-ils ? ecrivez-moi je vous prie vite et par donnez-moi ce long silence dont j’ai souffert moi-même.

Racontez moi tout sur vous, sur votre vie, est-ce que malgré tout on a publié des choses bien ? J’ai très envie d’une bonne longue lettre. Je me sens si loin si loin et un peu oubliée. nous allons bien. Jusqu’à présent nous avons été beaucoup à la campagne. Ce n’est guère que là qu’on arrive à oublier un peu les horreurs qui se passent.

Chers amis mille affectueux souhaits et que cette année voie la fin de ce cauchemar. Je vous embrasse bien tendrement marguerite de B.

Lettre 98.

1 papier à en-tête : palazzo caetani / roma.

2 les pauhan se trouvaient à mirande, en normandie, avec les gallimard. voir lettre 100.

CoRR espon DanCe FR ançaise122

99.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

25 Jan. [1940]

très chers amis, Je vois que vous m’oubliez tout-à-fait. Je ne reçois même plus La NRF. Je vous prie de me l’envoyer sous papier uni car c’est encore défendu ici je crois !!! ecrivez moi de vous, de tous les amis. Je viens de recevoir une lon gue lettre charmante de Cingria. Mesures existe toujours2 ?

Bien affectueusement

marguerite di B.

J’aimerais l’adresse de limbour. ou êtes vous ? C’est terrible de ne rien savoir pourtant on peut s’écrire – et les groeth ?

100.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

m irande sartilly (manche) le quatorze février [1940]

Bien chère amie, je vous ai pourtant envoyé une longue lettre (où je vous par lais de l’histoire du médecin chinois). C’était vers le dix janvier. naturellement je vous envoyais mille vœux. Que sont devenus ces vœux, qu’est devenu

Lettre 99.

1 papier à en-tête : palazzo caetani / roma

2 le vingt-deuxième et dernier numéro de Mesures parut le 15 avril 1940.

Lettre 100.

1 la lettre est écrite sur trois petits feuillets, qui comportent les deux dessins reproduits ici, et une carte postale.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 123

le médecin ? Je crains qu’ils n’aient profité à des gens indignes. a quel point on peut se défier de tout ce qui vient de la n RF dans votre pays, vous n’ima ginez pas. (m. pavolini nous demande encore quelque temps de patience 2 . vraiment, vraiment…)

Ce n’est pas aujourd’hui que je vous raconterai le médecin. Je suis mala de, et je me lève pour vous écrire. C’est une grippe ordinaire, mais vivement encouragée par cette maison de campagne où gaston gallimard a transpor té la n RF, et qui doit être très légère en été, mais en hiver traversée de vents, de froids, de nuages qui se jettent sur vous sitôt que vous mettez l’œil hors de la chambre3. D’ailleurs c’est en normandie, qui est bien connue pour ses nuages. i l me faut vous donner des nouvelles : a lix et groeth habitent notre maison de Châtenay. très isolés. travaillant. (très convaincus (entre autres) que la Finlande a méchamment attaqué l’u R ss.) petitjean, en première ligne depuis septembre, a déjà été blessé une fois4. Caillois, enlevé par victoria ocampo, est toujours en argentine, où il a rédigé plusieurs manifestes contre m h. et le n s5 m. Bachelard parle de vous très tendrement. i l a publié un Lautréamont qui finit mal, après avoir très bien commencé6. i l a paru des livres très bien. i l y a aussi une mer veilleuse exposition, à paris, de Chagall.

2 a lessandro pavolini (1903-1945), ministre de la Culture populaire dans le gouvernement mussolini de 1939 à 1943 et chef du parti fasciste républicain de 1943 à 1945. La NRF était censurée en italie.

3 Du 15 septembre 1939 au début de juin 1940, la n RF se replia à m irande, près de sartilly dans la manche, où m me gallimard mère possédait une villa. les paulhan rejoi gnirent m irande le 18 septembre.

4 a rmand petitjean sera plus sérieusement blessé en mai 1940 ; il aura une main arra chée par une grenade. après avoir combattu courageusement (il s’était porté volontaire), il versera dans la collaboration en participant à La NRF de son ami Drieu. i l s’en repentira, rejoindra la Résistance in extremis, et se condamnera au silence après la publication en 1944 de son autocritique, La Mise à nu (vigneau).

5 Caillois avait rencontré en 1939, au Collège de sociologie, victoria ocampo (1890-1979), écrivain et mécène argentine qui animait la revue francophile Sur. elle l’invita à venir donner des conférences en argentine, où il fut surpris par la déclaration de guerre. i l restera à Buenos a ires jusqu’au printemps 1945 ; il y fonda l’institut français et la revue Lettres françaises (19411947). paulhan évoque sans doute ici, de manière cryptée, son article « naturaleza del hitle rismo » (« nature de l’hitlérisme ») paru dans Sur en octobre 1939 (n° 61), et dont Caillois lui avait envoyé une version française. le 11 novembre 1939, paulhan écrit à armand petitjean : « J’ai reçu le manifeste anti-hitlérien de Caillois, sage, appliqué, un peu lent ». voir armand petitjean, Jean paulhan, Correspondance 1934-1968, paris, gallimard, 2010, p. 319. « m.h. et le n.s. » pourrait donc signifier : « m. hitler et le national-socialisme ».

6 gaston Bachelard, Lautréamont, José Corti, 1939.

CoRR espon DanCe FR ançaise124

Lettre 100.

Caetani et Jean paulhan

maRgueRite
125

Je ne sais trop ce qu’on pense de la guerre à Rome. elle ressemble si exac tement à ce que les militaires imaginaient (en bâtissant des lignes maginot, et autres) que tout le monde ici est surpris : c’est la première fois que les militaires ont raison. Ce sera peut-être la dernière. Que fait lelia, est-elle contente ? et Camillo ? Dites-nous des choses. nos enfants sont, pour le moment, à l’arrière : Fred est élève officier à st Cyr. marcel chargé du port de st malo. pierre à paris7 mais où seront-ils dans deux mois, et que va-t-il se passer ? Bien chère amie, il ne faut pas nous oublier d’un instant durant toute cette année. et moi, sitôt guéri, je vous promets l’histoire du médecin. Je vous embrasse

Jean p. l.p. Fargue est séquestré dans l’appartement, que lui a enfin donné une dame-peintre, m me Chériane8. (i l écrit des pas très bons articles, pour les hebdomadaires.) mais nous venons tous les mois, en général les derniers jours, à paris. surtout avertissez-nous très vite, quand vous songerez à venir. et, si vous voyez m. pavolini, dites-lui qu’il est bien dur, que La NRF aime l’italie, dont nous ne cessons de parler gentiment (en février, l’exposition léonard de vinci, par lo Duca ; en mars, le Baudelaire critico de macchia ; en avril, des traductions de d’a nnunzio9…) ou même dites-le à m. Ciano10. (dont il n’a été parlé désagréablement qu’une fois, mais c’était après l’inter diction).

limbour : prof. au collège de parthenay (2 sèvres). i l y a dans Mesures de très beaux poèmes d’aragon, et d’henri t homas11. (Ce sera quelqu’un de vraiment très bien, vous verrez.)

[Au dos d’une carte postale représentant le Tombeau d’Agnès Sorel, au Château de Loches :]

7 Frédéric et pierre paulhan, marcel pascal.

8 Fargue avait épousé en 1939 la femme peintre Chérie-a nne, dite Chériane, Charles (1900-1990) et résidait boulevard du montparnasse.

9 giuseppe maria lo Duca, « l’actualité de léonard de vinci », La NRF, février 1940, rubrique « l’a ir du mois », pp. 280-282 ; georges Blin, « Baudelaire critico, par giovanni macchia (sansoni) », La NRF, mars 1940, pp. 415-416. aucune traduction de d’a nnunzio ne parut dans La NRF

10 l’homme politique gian galeazzo Ciano (1903-1944), gendre de mussolini et figure majeure du régime fasciste.

11 Dans le n° 21 de Mesures, daté du 15 janvier 1940, on peut lire « petite suite sans fil » d’a ragon et « travaux d’aveugle » d’henri t homas. René Daumal, audiberti, groethuysen, m ichaux, pourrat figurent notamment au sommaire.

CoRR espon DanCe FR ançaise126

Jean

mais sans doute connaissiez-vous déjà ce beau tombeau. Je suis fâché que le médecin se soit perdu. Je vous l’envoie de nouveau. 101.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

le 1er mars [1940]

Dearest friends, merci, merci, merci de votre si gentile lettre qui m’a remplie de joie. ne me laissez pas si longtemps sans nouvelles à l’avenir ! – Je vous prie d’envoyer votre revue et Mesures depuis le 1er jan à monsieur Jean Rivière conseiller d’ambassade auprès du saint siège palazzo taverna monte giordano Rome 2 .

pour moi. Comme cela aussi, je pourrai commander les livres qui m’inté ressent. Je voudrais tant vous voir mais cela sera vite j’espère. Dites-moi que vous êtes guéri. envoyez-moi l’h istoire du médecin chinois je vous supplie. Je vous envoie mille et mille tendresses

marguerite di B.

Lettre 101.

1 Carte postale (sans image) adressée à monsieur Jean paulhan / m irande / sartilly / (manche) / Francia. Cachet de Rome : 2 mars.

2 paulhan a souligné en rouge « votre revue et Mesures » et « pour moi », encadré l’adresse de Jean Rivière et noté sur la carte « urgent », toujours en rouge.

maRgueRite Caetani et
paulhan 127

102.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

le 18 mars. [1940]

Bien chère amie, il nous arrive un malheur. i l semble bien, d’après le Dr heuyer qui a longuement observé germaine, et la suit depuis deux mois, que sa maladie soit grave et peut-être inguérissable (ce léger tremblement du bras, ces mouvements parfois mal coordonnés, cette difficulté à écrire viendraient de plus profond qu’une simple fatigue nerveuse, peut-être d’une lésion sous-corticale, d’une sorte d’encéphalite larvée.)2

C’est ce que j’ai appris à paris, et ce voyage était pour nous deux atroce. mais nous voici revenus à m irande, et les remèdes ont déjà fait grand bien à germaine, et elle est toute changée. a lors je recommence à avoir grand espoir.

eh bien, si même tout devait revenir ou s’aggraver dans quelques années, nous tâcherons d’aller vivre aux champs, dans une petite ferme du m idi. vous passeriez bien parfois de nos côtés ? nous élèverons des animaux. Je vois très bien déjà nos champs.

au revoir, chère amie. mais à paris, quand reviendrez-vous ? a lix et groeth vivent toujours à Chatenay, groeth s’est remis au Bourgeois 3. Caillois en argentine est tombé de cheval, s’est cassé le bras. m ichaux vient de ren trer du Brésil4. n’est-ce pas que Queneau avait très bien traduit le saroyan (dans La NRF )5 ?

Lettre 102.

1 enveloppe postée de m irande et adressée à : princesse marguerite de Bassiano, palazzo Caetani, via Botteghe o scure, Roma (18), italie Cachet postal de Rome : 27 mars. l’enveloppe a été ouverte par le « contrôle postal militaire ».

2 les médecins allaient diagnostiquer une maladie de parkinson.

3 groethuysen avait publié chez gallimard en 1927 la première partie – « l’Église et la bourgeoisie » – d’un essai intitulé Origines de l’esprit bourgeois en France. la seconde partie ne vit jamais le jour.

4 henri m ichaux (1899-1984) était un des écrivains les plus proches de paulhan, qui le publiera régulièrement dans La NRF paulhan avait découvert ses premiers textes dans la revue belge Le Disque vert de Franz hellens et édité son premier livre chez gallimard en 1927, Qui je fus. m ichaux, également très lié avec Jules supervielle, fit de nombreux séjours à port-Cros.

5 William saroyan, « le z eppelin du Dimanche », traduit par Raymond Queneau, La NRF, mars 1940, pp. 319-338.

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Je vous embrasse

Jean p.

les revues sont parties. [Feuillet séparé – en haut à gauche, signes chinois :] loung dit au médecin Wenn : “vous êtes un médecin habile. pourrez-vous me guérir ?” Wenn répondit : “s’il plaît au Destin. De quoi souffrez-vous ? – voici, dit loung. C’est un mal étrange. la louange ne me fait pas plaisir. le dédain ne me fait pas de peine. le gain me laisse froid, la perte ne m’est de rien. Je regarde avec le même calme la mort et la vie, la richesse et la pauvreté. Je ne fais pas plus de cas des hommes que des chevaux, et de moi que des autres. Je me sens aussi étranger dans ma maison que dans un hôtel, et dans mon pays que chez les Barbares. aucune distinction ne me tente, aucun supplice ne m’effraye : fortune ou infortune, joie ou tristesse, tout m’est égal. Dans ces conditions, il me devient difficile, vous le comprenez bien, de servir mon prince, de parler à mes serviteurs, de veiller à ma famille. Qu’est-ce que c’est que cette maladie ? Comment peut-on la guérir ?” Wenn dit à loung de se mettre nu jusqu’à la taille, ensuite il le plaça face au soleil et se mit à regarder au travers. “a h ! a h ! s’écria-t-il, j’y suis ! Je vois votre cœur, c’est un petit objet vide, d’un pouce carré. De ses orifices, six sont déjà parfaitement ouverts, le septième va se déboucher. vous souffrez de la sagesse des sages. et que peuvent là-contre mes remèdes ? – mais, dit loung, ce septième orifice ? – voici, dit Wenn, il vous reste à guérir de la seule illusion que vous êtes malade”.

lie-tzeu. (tchoung-hu-tchenn king)

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 129

103.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

le 23 avril [1940]

très cher ami, J’étais si bouleversée des nouvelles de germaine que je voulais vous écrire immédiatement mais je partais avec lélia pour 15 jours en sicile juste au moment de recevoir votre lettre. tous les jours je pensais vous écrire le soir et chaque soir j’étais si fatiguée et stupide que je remettais cela au lendemain ! maintenant nous sommes de retour depuis quelques jours. J’ai tant pensé à ces jours terribles d’inquiétude que vous avez vécus mais j’espère tant que cela s’arrangera au moins partiellement et la fin de votre lettre me donnait cet espoir. Je vous prie, cher, cher ami de m’écrire vite un petit mot me disant comment elle va à présent. Jusqu’à il y a deux semaines je n’ai rien reçu comme NRF mais Jean Rivière a été absent ces 2 semaines –peutêtre est-il arrivé quelque chose. merci tant pour le médecin chinois – il est exquis. nous sommes très préoccupés pour nous en ce moment comme vous pouvez bien l’imaginer. mais nous n’admettons pas que quelque chose de sérieux puisse arriver. Je crois que pour nous autres cela va a merveille ce qui est essentiel. nous passons plus que la moitié de notre temps à ninfa où c’est divin en ce moment 2 . oh si seulement vous étiez là tous les deux ! – les premiers jours de juin paris espérons le. m ille tendresses à vous deux

marguerite

Lettre 103.

1 papier à en-tête : palazzo caetani / roma.

2 les Caetani avaient beaucoup de terres dans le sud de Rome. ninfa, l’un de leurs villages, possédait un magnifique jardin.

CoRR espon DanCe FR ançaise130

104.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

le 12 juin [1940]

mes très, très chers amis, D’abord je veux dire à Jean combien j’aime son mot, sa déclaration de foi dans la dernière revue1. C’est magnifique. vous pouvez imaginer mon angoisse de ces dernières semaines et maintenant pour notre paris, et comme comble ce qui s’est passé ici, et la possibilité que Camillo soit appelé d’un jour à l’autre combattre contre vous quand il sent comme moi comme nous tous2. C’est vraiment tragique. i l me semble que ma vie est finie. si ce n’était pas que mon vrai pays sera bientôt à vos côtés hélas si tard. mais j’ai confiance absolue dans la France et notre histoire finale. J’ai si besoin d’avoir vos nouvelles, savoir comment va germaine, ce qui se passe de vos fils. Je vous prie de m’envoyer un mot aux bons soins de m me van der mühll

29 malzgasse Bâle, suisse

elle me le renverra seulement il faut parler avec precaution. puis je vous prie d’envoyer à

monsieur Jean Rivière Conseiller de l’ambassade de France près le saint siège Cité du vatican aux bons soins de s. e . le nonce apostolique Berne suisse

Lettre 104.

1 Jean paulhan, « l’espoir et le silence », La NRF, 1er juin 1940, pp. 721-722. Ce fut le dernier numéro de L a NRF dirigée par paulhan. la revue reparut en décembre sous la direction de Drieu la Rochelle.

2 Camillo, en tant que fils unique de famille noble, n’était pas obligé de partir au front mais il décida de combattre pour l’italie, sa patrie, bien qu’il fût antifasciste.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 131

votre revue, Mesures (que je n’ai jamais eue) et auxquelles je veux m’abonner (par les temps qui courent, aussi le dernier livre de malraux 3 et tout autre livre que vous croyez m’intéresserait – comme ça j’espère recevoir quelque chose – c’est notre seule chance). vous savez, que les représentants français et anglais auprès du pape sont enfermés dans la cité du vatican à partir de demain ! C’est vraiment affreux pour eux. surtout ce pauvre d’ormesson qui a deux fils au front et bientôt un 3ème4 tant de choses affectueuses aux groeths. ecrivez-moi vite. toutes mes pensées sont avec vous et avec ces merveilleux soldats qui combattent pour le monde entier civilisé, pour tout ce que nous aimons. ma tendresse infinie à vous deux et je vous embrasse de tout mon cœur marguerite

Je vois que petitjean est blessé. J’aimerais tant avoir des nouvelles de tous les amis.

105.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

le 1er oct. [1940]

Bien chère, bien chère amie, nous aurions cent mille choses à vous dire, et l’on nous assure que les lettres pour l’italie n’arrivent pas toujours. pourtant il nous faut rentrer à paris tout à l’heure et cette fois ce sera le silence, où même votre voix ne passera pas.

3 a ndré malraux n’a publié aucun livre entre 1937 (L’Espoir) et 1943 (La Lutte avec l’Ange). i l pourrait s’agir du Tableau de la littérature française (paris, gallimard, 1939) qu’il avait mis en œuvre et auquel il donna une étude sur laclos.

4 l’homme de lettres et diplomate Wladimir d’ormesson (1888-1973), futur académi cien, avait été nommé le 20 mai 1940 ambassadeur auprès du saint-siège, mais il sera rappelé en octobre par le gouvernement de vichy. i l entra par la suite dans la clandestinité.

Lettre 105.

1 enveloppe postée d’a mbert le 2 octobre 1940 et adressée à : madame la princesse marguerite de Bassiano, palazzo Caetani, 32 via Botteghe o scure, Roma (italie). Cachet de Rome : 7 octobre 1940. paulhan a noté au dos : exp. Jean paulhan, chez m. henri pourrat, rue du petit-Cheix, a mbert (p. de Dôme), France.

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elle nous était bien précieuse, il y a deux mois, plus précieuse que cela ne peut se dire, ni s’écrire. (les livres, je vous les enverrai, bien sûr, dès qu’il sera possible.) Justement, nous étions au bout de notre fuite, repoussés de village en village (toujours avec cet espoir de faire sortir une NRF encore libre) jusqu’à Carcassonne 2 . presque adossés aux pyrénées. i l était vraiment bon d’entendre votre chant, dans tout ce silence (où nos enfants vivaient encore, mais tous nos amis s’étaient tus. groeth resté près de paris mais pas inquiété jusqu’à présent. Jouhandeau, à paris aussi, trouvait à s’émerveiller de la discrétion, disait-il, des a llemands3. m ichaux depuis est parvenu dans le m idi. aragon, qui s’est battu sans arrêt, nous a rejoints, sitôt démobilisé, à Carcassonne, où eluard aussi est passé. petitjean a eu, après trois jours de combats, la main droite emportée. Caillois était resté en argentine. armand Robin, il faut l’avouer, a été troublé par la radio allemande annonçant que les poètes, dans la zone occupée, seraient couverts d’honneurs : il est rentré à paris avec des espoirs 4 . a paris, qu’arrivera-t-il ? Que je voudrais revoir la douce rue du Cirque ! Jean Wahl, étant juif, doit chaque semaine se pré senter à la Kommandantur de son quartier5 patience, je crois malgré tout fermement qu’il viendra un temps où l’on pourra parler du passé sans trop de dégoût ni de honte.

Chère marguerite, où sont les vôtres, que fait Camillo ? Je ne pense pas à lui sans anxiété. (et lelia a-t-elle pu travailler ? pourvu que les deux toiles d’elle qui sont à Chatenay n’aient pas souffert. Je le saurai dans trois jours.) mais je compte bien sortir dans quinze ou vingt jours. Je vous en prie, si ce mot vous parvient, écrivez-nous une petite lettre : chez henri pourrat, a mbert (puy de Dôme) a a mbert, nous y sommes depuis deux jours. i l y gèle quand il n’y pleut pas. non, c’est une ville aussi peu faite pour vous réconcilier avec la nature

2 De juin à septembre 1940, Joe Bousquet avait hébergé paulhan, gallimard et les autres exilés de m irande dans sa propriété de villalier, « l’évêché », près de Carcassonne.

3 Jouhandeau écrit ainsi à paulhan, le 29 juillet 1940 : « Je trouve cependant beaucoup de charmes au vainqueur, je veux dire si peu d’arrogance, une telle discrétion avec nous. on est étonné. les démocraties n’ont pas apparemment, et sans doute en réalité, la souplesse et l’intelligence de ces prétendues dictatures. et que le spectacle de l’ordre après le désordre a de la grandeur ! on n’échappe que de justesse à l’adhésion ». voir Jouhandeau/ paulhan, p. 449.

4 paulhan écrit à la même époque à supervielle : « Robin est reparti pour paris, si joyeux que tout le monde s’en trouvait offensé, et que guehenno l’a mis à la porte » (lettre de 1940, in Jean paulhan, Choix de lettres, tome ii : 1937-1945, paris, gallimard, 1992, p. 189).

5 en décembre 1940, Wahl sera mis d’office à la retraite, comme tous les professeurs d’origine juive. a rrêté en juillet 1941, il sera interné à Drancy, puis libéré en novembre, grâce à l’intervention de quelques amis. i l parviendra l’année suivante à gagner les États-unis.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 133

que vichy (où nous avons passé hier) avec l’humanité. mais il y aurait trop à dire. i l vaut mieux vous embrasser de toutes nos forces Jean.

les nouvelles de larbaud sont meilleures6. surtout, il me faut rentrer à paris pour trouver (comme on dit) une place. mon article de Juin a paru aux autorités allemandes injuste, paraît-il. et si La NRF reparaît, il y a bien des chances pour que ce soit sans moi. a y réfléchir, c’est un peu triste, et j’espère que vous l’aimerez un peu moins7. voilà. mais que nous voudrions être près de vous.

106.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan le 27 nov. [1940]

Cher cher ami, vous n’avez aucune idée de ma joie quand j’ai reconnu votre écriture. Quelle bonne lettre et comme je suis touchée de tout ce que vous dites. Je l’ai lue assez vite du reste. Je n’ai pas répondu avant, puisceque vous devez vous absenter. Je désire tant savoir si vous continuez avec la n RF ou qu’est-ce que vous allez faire. Je vois en ce moment dans un journal suisse que l’édition de la pléiade continue avec platon. J’étais si heureuse des

6 en novembre 1935, larbaud avait eu une attaque cérébrale qui le laissa hémiplégique et aphasique jusqu’à sa mort en 1957.

7 paulhan rentra à paris le 5 octobre, après deux mois à Carcassonne et un séjour chez henri pourrat. Quant à gaston gallimard, il rentra le 22 octobre, peu de temps avant la reparution de La NRF sous la direction de Drieu la Rochelle et la tutelle allemande. La NRF allait être la seule revue d’avant-guerre autorisée en zone occupée. gallimard avait été rapidement favorable à la reparution de la revue puisqu’elle constituait une sorte d’as surance pour la maison d’édition. s’il se plia aux mesures raciales, il refusa cependant que des capitaux allemands entrent dans son entreprise. paulhan, après avoir été un temps sans situation (il avait refusé la codirection de L a NRF, ne voulant pas cautionner cette reprise : une revue fermée aux juifs et aux antinazis n’avait plus rien à voir avec La NRF ), prit la direction de la Bibliothèque de la pléiade. le fondateur et directeur historique de la presti gieuse collection, Jacques schiffrin, avait en effet dû quitter ses fonctions chez gallimard, à la suite des premières mesures raciales portant sur le « statut des Juifs ». avant de s’exiler aux etats-unis, début 1941, schiffrin transmit ses dossiers en cours à paulhan.

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nouvelles des amis que vous m’avez données mais il y en a tant dont il me manque des nouvelles. limbour par ex. Quelle tristesse la mort de patrice de la tour du pin1 ! et vous ne me parlez pas de la santé de germaine. et tous les petits peintres, je n’en sais rien ! si vous connaissez des prisonniers à qui nous pourrions envoyer des paquets ? on peut très bien d’ici, tout ce qu’on veut sauf le beurre, 5 kilos à la fois et aussi souvent qu’on veut. sima que devient-il 2 ? J’ai eu des nouvelles de segonzac du m idi. très triste, il a peur de ne plus avoir de couleurs. nouvelles aussi de Balthus de savoie, très courageux, travaillant mais en mauvaise santé. Je l’ai vu, elle a ntoinette3, à genève en septembre où je suis allée avec lélia passer dix jours. et Cingria et ses livres ? et m me Bucher en savez vous quelque chose 4 ? ecrivez-moi vite. C’est si beau de pouvoir s’écrire de nouveau après tout ce qui s’est passé où on croyait perdre tout ce qu’on aimait. Je suis très malheureuse parce que C. est en a lbanie et je n’ai pas de nouvelles depuis le 13 de ce mois. C’est long surtout en ce moment. lelia travaille et va bien. nous sommes la moitié du temps à la campagne, je lis le journal de gide à mon beau-frère malade5 pauvre Mesures6 ! et tous les Commerces dans les caves de giraud-Badin7 ! savez-vous combien de temps le louvre gardera les tableaux des gens qui les y ont déposés ! Quelle nostalgie de paris, de notre vie là et tout ce que ça représente pour nous. mais j’ai aussi de l’espoir au fond de mon âme.

Je vous embrasse tous les deux avec une très grande tendresse marguerite vous pouvez aussi m’écrire adressant ma lettre à madame von der mühll

Lettre 106.

1 i l s’agit d’une fausse nouvelle – le poète, fait prisonnier en octobre 1939, passa trois ans en a llemagne. i l fut libéré en 1943.

2 le peintre français d’origine tchèque Joseph sima (1891-1971), l’un des animateurs du Grand Jeu, proche de pierre Jean Jouve. une exposition de ses œuvres avait eu lieu en juin 1939 dans une galerie de l’avenue matignon. entre 1939 et 1949, sima délaissa la peinture. marguerite Caetani s’inquiète de lui à plusieurs reprises (voir lettres suivantes).

3 a ntoinette de Watteville (1912-1997), que le peintre avait épousée en 1937.

4 Jeanne Bucher (1872-1946) avait ouvert une librairie-galerie d’art en 1925, tournée vers l’avant-garde. e lle a cotraduit de l’allemand, avec groethuysen et paulhan, « Woyzeck » de Büchner pour le cahier XX vii du printemps 1931.

5 i l s’agit sûrement du Journal 1889-1939 paru en mai 1939 chez gallimard dans la Bibliothèque de la pléiade.

6 paulhan et henry Church espérèrent un temps pouvoir relancer la revue Mesures, qui avait cessé de paraître en avril 1940, mais ce projet n’aboutit pas.

7 Du numéro 9 jusqu’à la disparition de Commerce, le libraire louis giraud-Badin (1876-1960) fut le gérant de la revue, au 219, rue saint-honoré, puis, à partir d’octobre 1928, au 128 Bd saint- germain.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 135

29 malzgasse – Bâle. si vous m’appelez marguerite elle saura que c’est pour moi. mais il me semble que les lettres vont assez bien de vous à nous.

[En marge, sur le côté gauche :] oh. Que je voudrais vous voir ! 107.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

horgen1 le 9 août [1941] très chers amis, je vous ai écrit trois fois depuis trois semaines et je viens d’apprendre que vous ne recevrez aucune de ces lettres parce que de la suisse, où nous nous trouvons jusqu’au milieu de septembre, on ne peut pas écrire en France occupée, mais de l’italie on peut parfaitement, et vous pouvez m’écrire parfaitement et vos lettres mettent 6 jours – les miennes à vous plus longtemps. J’ai bien reçu votre si chère lettre du 18 juillet envoyée ici de Rome 2 . il y a si longtemps que je l’attendais ! Je savais que vous étiez près de moi dans mon atroce douleur mais je voulais tellement un signe3. Cet hiver je vous ai écrit plusieurs fois à seaux aussi à groeth. Jamais de réponses. ne saviez-vous pas que vous pouviez m’écrire depuis octobre dernier ? et j’étais si angoissée sans vos nouvelles avec seulement cette lettre écrite chez pourrat il y a si long temps. en désespoir j’ai écrit à pourrat ces derniers jours et il m’a si gentiment répondu me disant ce qu’il savait de vous. heureusement que vous allez bien à présent et que vous travaillez, mais je voudrais savoir plus de votre vie de votre santé à tous les deux. ecrivez-moi vite à Rome. il y a un fil de chance que j’irai à paris au commencement d’octobre si c’est possible pour 15 jours peutêtre –j’aimerais beaucoup louer mon appartement 25,000 francs le prix de mon loyer et impôts si vous connaissez quelqu’un ! Que devient huyghes4 ? J’aimerais

Lettre 107.

1 le mot est difficilement lisible, mais il pourrait s’agir de horgen.

2 Cette lettre n’a pas été retrouvée.

3 Camillo était mort au front le 15 décembre 1940.

4 l’historien et critique d’art René huyghe (1906-1997), directeur de la revue mensuelle L’ Amour de l’art (1920-1938, rebaptisée Prométhée en 1938-1940), était également conserva teur en chef des peintures du louvre.

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bien savoir combien de temps encore je peux laisser mes tableaux dans les caves du louvre. peutêtre que c’est déjà indiscret ? Faudrait-il que j’écrive à hautecœur et où faut-il l’adresser5. vous me parlez d’une précédente lettre, mais celle-là je n’ai pas reçue. oh combien j’aimerais vous voir et que de cho ses nous aurions à nous dire ! Racontez-moi chers amis. valéry m’a écrit, m’a envoyé des livres. segonzac m’a écrit plusieurs fois. où est sima et michaux ? Donnez-moi surtout l’adresse de votre fils prisonnier. on peut envoyer très facilement des paquets d’italie et cela me ferait tant plaisir. Je vous embrasse tous les deux avec ma très grande et fidèle affection

marguerite

108.

Rome le 10 oct. [1941]

Cher, cher ami, avez-vous compris enfin que vous pouvez m’écrire ici tant que vous voudrez ? Ce que je n’ai pas compris moi c’est qu’on ne peut pas écrire à paris de la suisse et je vous ai écrit une grande lettre qui m’est retournée. Je vous ai envoyé une carte de a nnecy et deux jours avant de partir de a. le bruit courait que vous étiez en savoie. imaginez mon agitation. J’ai télégraphié à R. gallimard à Cannes à un hôtel qu’on m’a indiqué1 la dépêche est revenue destinataire inconnu. etiez vous vraiment par là ? ça aurait été trop affreux. J’ai reçu cet été votre si chère lettre du 18 juillet qui m’a suivie en suisse. Celle d’un mois avant je n’ai jamais eue. J’ai écrit à un certain moment à pourrat pour vos nouvelles. Je ne pouvais pas comprendre que vous ne m’écriviez pas et je n’avez pas votre adresse. J’ai écrit plusieurs fois à seaux aussi à gr. Que devient-il et elle ? Je vous prie de m’envoyer l’adresse de votre fils prisonnier. on peut très facilement envoyer des paquets d’ici. nous sommes revenus

5 louis hautecœur (1884-1973), historien d’art et conservateur de musées, était alors directeur général des Beaux-a rts.

Lettre 108.

1 Raymond gallimard (1883-1966), le frère de gaston, était le directeur financier des Éditions gallimard, qui avaient une succursale à Cannes.

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à Rome depuis peu de jours et restons beaucoup à la campagne. tout est tellement plus facile et nous travaillons au jardin ce qui est la seule chose qui empêche de penser pendant quelques heures. mon cœur est plein de désespoir mais je dois vivre le plus courageusement possible pour lelia qui a tant souffert aussi. oh si je pouvais vous voir seulement. nous pensions peutêtre aller à paris pour mes affaires mais il semble si difficile que j’y ai renoncé pour le moment. Dites moi plus ce que vous faites, qui vous voyez. J’ai vu beaucoup Balthus qui voulait aussi tant vous voir. i l est en suisse pour quelque temps car sa santé est très mauvaise. J’ai aussi vu cher Cingria à lausanne et auberjonois que j’aime beaucoup. votre lettre m’a tellement touchée, cher, précieux, fidèle ami. Je savais que vous étiez près de moi tous les deux pendant ces mois terribles mais c’est bon de l’entendre dire quand même. ecrivez-moi vite. lelia travaille bien heureusement, Roffredo aussi mais il est si triste le pauvre. son cœur est brisé.

Je vous embrasse tous les deux de tout mon cœur marguerite

et la santé de germaine ?

[Sur le côté gauche]

J’ai eu une charmante carte de Jean vaudal 2 .

109.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

le 28.X.1941

Chère marguerite

Je crois que vous n’avez pas reçu ma dernière lettre (où je vous parlais, entre autres, de huyghe). mais peut-être qu’une enveloppe avec nRF inspirera plus

2 le romancier et résistant Jean vaudal (1900-1944), collaborateur de La NRF dans les années trente. son premier roman parut aux Éditions de la nouvelle Revue critique (Un démon secret, 1932), et les deux suivants chez gallimard (Le Portrait du père, 1932 ; Le Tableau noir, 1937).

Lettre 109.

1 papier à en-tête de la n RF. paris, 43, rue de Beaune – 5, rue sébastien-Bottin (viie).

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de respect. essayons. mais le mieux, vous voyez bien, serait que vous veniez à paris. sans compter notre joie.

*

voici l’adresse du prisonnier : Capitaine marcel pascal oflag. viii h. n° 137. 6 e Cie nous sommes heureux que vous songiez à lui. i l semble triste, sur les photos que nous avons eues de lui. et la pensée de demeurer un nouvel hiver prisonnier doit en ce moment l’accabler. sa femme et ses enfants sont restés à saint-malo.

*

nous parlerez-vous un jour de Camillo ? songez comme nous le connais sions ! et ni sa grâce si décisive, ni cette sorte de sensibilité aiguë et oubliée, tendre et cachée, non, rien de tout cela ne se laisse oublier. sa figure ne nous a jamais été plus présente.

avez-vous su toutes les circonstances du malheur, revu quelqu’un de ses amis. Quand l’aviez-vous vu pour la dernière fois ? parlez-nous un peu, je vous prie.

*

h ier, Félix Fénéon nous parlait de vous, jeune fille, de vos goûts, de votre goût 2 .

lui ne semble pas trop vieilli. C’est qu’il a toujours eu cette voix lente, cette patience, cette ironie (mais tout confus de se retrouver ironique.) a quatre-vingtcinq ans, il demeure sans sortir jamais (il a eu une sorte d’éventration) entre mille tableaux, et même les allées de milieu de sa chambre portent des vitrines.

*

2 paulhan se rapprocha de l’écrivain et critique d’art Félix Fénéon (1861-1944) à cette époque et incita gaston gallimard à réunir et publier ses textes : ses Œuvres paraîtront en 1948, avec une introduction signée de paulhan, écrite en 1942-1943. Celle-ci devint une œuvre autonome, F.F. ou le critique (paris, gallimard, 1945). « songez bien, écrit paulhan à gallimard en 1943, que F.F. c’est la n RF avant la n RF (enfin, c’est ce que je tâche de montrer.) C’est par là assez grave, et assez nôtre » (gallimard/ paulhan, p. 250). Félix Fénéon avait notamment dirigé, avec les frères natanson, la prestigieuse Revue blanche de 1895 à 1903 et assuré la direction littéraire des Éditions de la sirène. i l se révéla un grand découvreur de talents. « nous n’avons peut-être eu en cent ans qu’un critique, et c’est Félix Fénéon », affirme paulhan (F.F. ou le Critique, paris, Éditions Claire paulhan, 1998, p. 34).

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 139

Je crains l’hiver pour germaine. Cette maison de la rue des arènes (qui donne sur les vieilles arènes romaines, les seules où l’on noyât la piste, après la course, pour faire des joutes) a plus de courants d’air qu’un pont de bateau 3 . et nous avons du charbon, tout juste pour chauffer une chambre.

C’est une rue silencieuse, où l’herbe pousse entre les pavés – trop serrés pourtant pour que l’on puisse y planter des herbes utiles, choux ou carottes. on se contente d’une sorte de chiendent.

mes Fleurs de Tarbes viennent de paraître. (Ce n’est que le tome i, mais il fait très bien un tout. et je travaille à la suite4.)

Je voudrais beaucoup vous les envoyer (j’ai pour vous un exemplaire sur vélin). mais croyez-vous qu’il arrivera ?

(encore qu’il n’ait rien de très tentant pour n’importe qui. on en parle, dans la presse, très gentiment 5. C’est peut-être parce que je suis en général sympathique – on doit me plaindre de ne plus diriger La NRF – mais rien ne montre que ce soit parce qu’on l’a lu.)

*

i l me semble pourtant que vous l’aimeriez un peu.

*

Chardonne, Jouhandeau, montherlant, Bonnard, Fernandez, quelques autres, ont accepté de se rendre, après un voyage qui passait par strasbourg, Berlin et prague, à Weimar où ils ont fondé “l’association des grands écri vains européens”6

3 paulhan habitait rue des a rènes depuis novembre 1940.

4 Jean paulhan, Les Fleurs de Tarbes ou La Terreur dans les lettres, paris, gallimard, 1941. paulhan travailla plus de vingt ans à un deuxième tome qui devait s’intituler Le Don des langues – le texte, qui paraîtra finalement dans ses Œuvres complètes et qui marque l’aboutissement de sa recherche, ne peut toutefois être considéré comme « la suite » des Fleurs de Tarbes (voir Œuvres III, paris, tchou, 1967, pp. 369-423).

5 maurice Blanchot consacra ainsi trois articles aux Fleurs de Tarbes, parus dans Les Débats les 21 octobre, 25 novembre et 2 décembre 1941. i ls seront rassemblés et publiés dans un livre intitulé Comment la littérature est-elle possible ? (José Corti, février 1942), repris plus tard dans Faux Pas (paris, gallimard, 1943, pp. 97-107).

6 goebbels avait organisé à Weimar un premier « Congrès européen » en octobre 1941, auquel participèrent sept écrivains français (les « quelques autres » sont Drieu la Rochelle, Brasillach et andré Fraigneau). en revanche, contrairement à ce qu’écrit paulhan, montherlant ne se rendit pas à Weimar. peu de temps après, un autre congrès fut organisé pour les musiciens, les peintres et sculpteurs français. Ces voyages resteront l’un des symboles de la collaboration.

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*

mais je préfère que Weimar me rappelle d’autres souvenirs7.

*

savez-vous que l’on parle souvent de Commerce, qu’on le recherche ? (ah, j’aurais à présent un libraire qui serait tout prêt à le prendre à cœur, s’il était libre.)

tous les événements ont brouillé le temps. l’on ne sait plus s’il paraît encore, si tel numéro n’était pas d’hier, si tel autre n’est pas (je l’ai entendu dire chez un libraire) “annoncé”.

*

avant-hier, on a inauguré une exposition de manuscrits d’eluard. (À tout hasard, je vous envoie ses derniers poèmes, dont j’ai écrit l’introduction8.) picasso travaille à un buste de femme corinthienne ou milanaise, je ne sais, éternelle. auric était bouillant d’indignation contre Drieu qui a écrit, sur (et contre) aragon, un article ignoble9 les nouvelles de Jean Wahl sont mauvaises : il s’affaiblit beaucoup10. Étrange vie, dont toute une part est retranchée ; et de nos amis, quelques-uns parmi les meilleurs. mais qu’il serait bon de revoir la rue du Cirque.

*

marie laurencin a fait nos portraits. maine y ressemble, et moi, à nos anges gardiens11. paris, sans lumières, fait songer à la Rome de piranèse. nous avons, dans notre petit jardin, quelques lapins qui grandissent mal, et des salades que grignotent les moineaux. pas d’autres animaux.

7 paulhan s’était rendu à Weimar en mai 1926 pour assister à l’opéra du prince de Bassiano, Hypatia.

8 paulhan préfaça le bref recueil Sur les pentes inférieures, avec un portrait par picasso (Éditions de la peau de chagrin, 1941). gallimard publia aussi en octobre un Choix de poèmes (1914-1941) d’e luard.

9 Drieu la Rochelle avait publié dans La NRF d’octobre 1941 une chronique assassine intitulée « a ragon » (pp. 483-488), dans laquelle il ironisait sur le patriotisme « cousu de fil rouge » d’a ragon. l’article sera repris le 11 octobre dans l’hebdomadaire de Jacques Doriot, L’Émancipation nationale. le compositeur georges auric (1899-1983), ami des Bassiano et compagnon de route du parti Communiste français.

10 Jean Wahl était alors interné à Drancy. i l sera libéré en novembre.

11 paulhan reprendra cette idée dans un court texte écrit en 1949 pour le catalogue d’une de ses expositions : « marie n’était guère faite pour un temps où les tableaux sont devenus des réflexions, et des vues, plutôt que des visions. elle nous a été donnée tout de même. Comme une pure grâce. […] Ce que la sage marie vous montre ici, ce ne sont pas les hommes. mais plu tôt leurs anges gardiens ». voir Œuvres de Jean paulhan, tome v, paris, tchou, 1970, p. 175.

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au revoir, ne nous oubliez pas. nous vous embrassons bien fort. Jean. si l’eluard vous parvient, je vous enverrai vite les Fleurs de Tarbes. groeth et a lix vont bien : peu changés. mais groeth se plaint du manque de tabac. ni les fanes de carottes ou les barbes de maïs ne l’aident à tra vailler, dit-il, quoique étant, sur le moment, agréables. a lix fait la queue, avec beaucoup de patience, quand il le faut (deux ou trois fois par jour). aujourd’hui, il est déjà tombé un soupçon de neige. m ichaux est dans le var. (villa d’armor, le lavandou.) on vous aime de tout notre cœur.

[Mention manuscrite de Germaine Paulhan, sur le côté droit :] oui, nous pensons beaucoup à vous et ce serait un vrai bonheur de se retrou ver. merci de ce que vous ferez pour mon fils, ici nous sommes très limités pour les envois. Dites à lélia notre amitié. Je vous embrasse tendrement germaine

ma santé ? pas très bonne et elle me rend la vie encore plus lourde. 110.

le 21 Dec. [1941] palazzo Caetani Rome

Cher, cher ami J’ai bien reçu votre dernière chère lettre du 28 X et elle était une vraie joie pour moi. Je vous supplie de m’écrire souvent maintenant que nous savons que n RF porte à bon port. J’ai aussi reçu les poèmes de eluard et j’ai si hâte

Lettre 110.

1 Feuillet cerné d’un liseré noir de deuil.

CoRR espon DanCe FR ançaise142
Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

d’avoir votre livre. ça serait affreux si ça se perdait. Qu’en pensez-vous ? Je reçois par la suisse tous les livres que je veux et des revues Poesie 41, Fontaine, Cahiers du Sud2. Dites moi s’il y a autre chose intéressante aussi comme livre. Que fait sima ? i l me semble que aragon est en très bonne forme. J’ai eu une lettre si gentile de m me Bucher. Je suis heureuse groeth et a lix vont bien, comme ça serait bon de pouvoir nous reunir. Je suis très triste ces jours-ci. J’espérais tant que cela n’arriverait pas avec mon pays et l’italie. et puis ces jours-ci ont été l’anniversaire des derniers jours de sa vie et de sa mort. oui nous savons tout et je vous l’ai tout écrit mais je vois que vous n’avez pas reçu plusieurs lettres de moi. pendant longtemps plus de deux mois nous avions un peu d’espoir qu’il soit dans un hôpital sans possibilité de communiquer avec nous car personne ne l’a vu mort. on l’a vu tomber. et puis un jour un grand ami un général a fait tout ce pays où il combattait, à pieds – les hautes montagnes de l’a lbanie – et il l’a trouvé terriblement blessé, tombé au milieu de ses hommes. i l avait ma dernière lettre tout près de sa main. i l y a toutes sortes de choses que je pourrais sûrement vous dire quand nous nous verrons. le témoignage de quelques-uns de ses camarades et de ses hommes est touchant. i ls l’aimaient tant et il était si courageux – trop courageux. oh mes amis, quelle tristesse. Quel désespoir – je ne peux pas parler de lui, je ne peux pas regarder sa photographie sans pleurer comme un enfant – et je tache et je désire ne pas assombrir la vie de lélia qui l’a senti si profondément. a lors la vie est un effort de toutes les minutes et il me semble que le temps qui passe me porte seulement une réalisation plus aigue plus absolue de ce que j’ai perdu. i l s’approchait toujours de moi, de ma façon de voir la vie, de mes goûts, de mes désirs pour lui. i l avait tant changé depuis que vous l’avez connu. i l était si beau et charmant et doux et intelligent. ma seule consolation est la certitude qu’il a été pleinement heureux ces dernières années pendant et depuis son année en a mérique. mes amis pensez à moi et aimez moi. J’en ai besoin. J’aurais voulu aller à paris mais il parait que je n’aurais pas eu la per mission. mon appartement est loué jusqu’en sept. Que m’avez-vous écrit de huyghe ? Je dois lui écrire pour savoir s’il veut garder mes tableaux qui ont

2 Ce sont trois grandes revues littéraires, engagées dans la Résistance. la revue bimes trielle Poésie 41 (puis Poésie 42, etc.), dirigée en zone sud par pierre seghers (1906-1987), avait été lancée en 1939 (et fut d’abord appelée P[oètes] C[asqués]). la revue Fontaine, dirigée par max-pol Fouchet (1913-1980), avait été créée en avril 1939 à a lger. e lle parut simultanément à paris et à a lger à partir de la fin 1944, devint parisienne en novembre 1945, avant de disparaître en 1947. Les Cahiers du Sud (1925-1966), dirigés à marseille par Jean Ballard (1893-1973).

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 143

été déposés au louvre. J’ai des nouvelles de segonzac de temps en temps. Je suis bien heureuse que vous n’êtes pas allé à Weimar. Je suis inquiète pour germaine pendant l’hiver et votre description de votre appartement ne me rassure pas beaucoup. J’imagine que a lix est très heureuse en ce moment –moi aussi du reste ! – de la façon que se conduisent ses amis. Je veux écrire à Joë Bousquet un de ces jours. Commerce doit être toujours dans la cave de giraud-Badin s’il ne les a pas déjà brûlés. nous irons en suisse au milieu de Jan. pour un mois ou six semaines mais écrivez-moi ici j’aurais toujours votre lettre. nous avons déjà envoyé plusieurs boites de provisions au fils de germaine. pauvre petit Wahl. on ne peut rien pour lui ?

oh que de choses nous aurions à nous dire. J’espère tant que l’été pro chain nous pourrons nous rencontrer.

Je vous embrasse tous les deux cher Jean et chère germaine avec toute ma grande tendresse

marguerite palazzo Caetani Rome

111.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

palazzo Caetani le 11 janvier [1942]

très cher ami, un autre petit mot avant de partir pour la suisse. avez-vous vu dans Fontaine tout ce qu’on disait de gentil sur vous et votre NRF ? – J’ai oublié de vous dire dans ma dernière lettre combien j’étais heureuse d’avoir des nouvelles de Fénéon. si vous y allez de nouveau dites lui tant de cho ses de ma part, de bons souvenirs du passé et que aussitôt que je serais un jour à paris j’irai le voir. i l n’a pas de petit seurat qu’il voudrait me ceder ? Combien j’aimerais voir ceux qu’il a encore. Combien je regrette mon petit “tour eiffel” que j’ai vendu pour continuer Commerce !

Lettre 111.

1 Feuillet cerné d’un liseré noir de deuil.

CoRR espon DanCe FR ançaise144

J’espère avoir vite une lettre de vous. ça prend plus longtemps à présent ça me semble. Je verrai Balthus, auberjonois, Cingria et autres. Je verrai les tableaux de B. qu’il a à présent à Berne. Je vous embrasse tous les deux bien tendrement marguerite 112.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

palazzo Caetani, Roma 5 juillet [1942 ?]

très cher Jean, je suis si longtemps sans vos nouvelles et j’en suis très mal heureuse. vers noël je crois j’ai reçu une lettre et plus rien et je vous ai écrit deux ou trois fois, aussi groeth. J’ai reçu enfin une si bonne lettre de lui quand nous étions à la montagne en suisse (renvoyée d’ici) j’ai répondu aussitôt revenue ici au commencement de mars et plus rien 2 .

C’est bien triste. Je serais si heureuse d’avoir régulièrement de vos nou velles à tous les deux. Que faites-vous. vous dirigez “la pléiade”3 ? pouvez vous m’envoyez le catalogue ? et puis ? J’espère trouver votre livre en suisse. Dernièrement nous avons eu une lettre du fils de germaine disant qu’il recevait nos paquets 4. Comment va germaine et a lix ? nous sommes à la campagne presque entièrement depuis longtemps et maintenant nous par tons lélia et moi pour la suisse pour deux mois – mais si vous m’écrivez ici votre lettre me suivra.

Je vous prie de m’écrire et dites-moi toutes les nouvelles possibles. Je vou drais aller à paris en octobre mais je crois que ça sera impossible avoir le per mis d’après ce qu’on dit. lelia travaille beaucoup vous envoie mille amitiés à vous quatre. i l y a un éditeur ici Bazlen qui admire tellement groeth 5 i l fera les œuvres complètes de Kassner, Kierkegaard et newton pour commencer.

Lettre 112.

1 Feuillet cerné d’un liseré noir de deuil.

2 i l s’agit peut-être de la lettre du 1er janvier 1942 (voir plus loin, lettre 173).

3 paulhan dirigeait la Bibliothèque de la pléiade depuis la fin 1940.

4 marcel pascal.

5 Roberto Bazlen (1902-1965) travaillait pour les éditions Bompiani et einaudi.

maRgueRite
et
paulhan 145

Ce n’est pas mal ! i l est un peu fou mais connait tout dans tous les genres. i l aime surtout les confessions, les autobiographies etc. oh comme ça sera bon de se retrouver de nouveau et parler de tant de choses ensemble. si ça pouvait être cet été ! vous ne bougerez pas ? m ille mille tendresses et je vous embrasse tous les deux de tout cœur marguerite 113.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan1

le 24 Dec. [1942]

Chers, chers amis aimés, i l y a si, si longtemps que je suis sans nouvelles de vous. Je vous prie de m’écrire tout de suite car les premiers jours de Février j’espère aller à la montagne avec lélia comme nous avons fait l’an passé. l’opéra de R. est fixe pour le 28 Jan 2 . nous sommes beaucoup à la campagne lélia et moi. i l fait tellement beau et il n’a jamais fait froid encore. J’ai bien peur qu’à paris on ne peut pas espérer de même. Ce petit mot est pour vous dire toute ma grande tendresse et combien je pense a vous et combien j’aimerais vous voir. Je vous embrasse tous les deux bien fort et de tout mon cœur marguerite m. Caetani di Bassiani, palazzo Caetani, Roma

Lettre 113.

1 Feuillet cerné d’un liseré noir de deuil.

2 voir plus haut, lettre 97.

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Marguerite Caetani à Jean Paulhan

le 18 octobre [1944]

Cher, cher, très cher Jean, Quelle émotion de pouvoir enfin vous écrire, d’avoir eu les premières nouvelles de vous après tous ces longs mois d’angoisse, d’inquiétude affreuse et quelles nouvelles – que vous avez [été ] magnifique mais j’en étais sûre. Je le savais déjà dans mon cœur. J’ai lu votre récit si beau et émouvant dans “présences” il y a quelques jours1. Je désire tant, tant avoir des nouvelles direc tes. si vous pouviez m’écrire par Couve de murville s’il est encore à paris2 ? et puis j’ai su que groeth a écrit à gide. Jacques heurgon est une grande consolation pour moi3. il est si gentile et par lui je touche à la France bien aimée. a paris aussi c’est bon d’avoir Jacques de Beaumarchais4 nous avons passé par des mois très durs à la campagne, à ninfa où on nous a bombardé puis à sermoneta où nous étions en première ligne avec la batterie allemande à nos pieds. on voyait toute la bataille dans la plaine. les navires qui venaient à a nzio et tout le reste. en fin mai nous sommes revenus ici. oh comme je voudrais vous voir, vous ne pouvez pas imaginer. J’ai une nostalgie de paris insupportable. Quand pourrons nous nous voir. et vos fils et germaine. Je crois que limbour était avec vous. Je fais des tas de choses entre autres j’or ganise avec des amis un cercle italien où il y aura aussi des alliés mais c’est surtout notre désir de travailler pour le rapprochement franco-italien tout ce que nous pouvons. nous ferons des expositions permanentes, de la musique, des conférences. notre Comité français consiste en heurgon, Beaumarchais, le Comte de Fleury (qui est à la villa medicis avec le général le Couteux)5

Lettre 114.

1 Jean paulhan, « une semaine au secret », Présence, Rome, 15 octobre 1944.

2 maurice Couve de murville (1907-1999), futur premier ministre du général de gaulle en 1968-1969, était alors ambassadeur à Rome, depuis le second semestre 1944.

3 Jacques heurgon (1903-1995), historien de l’a ntiquité classique et latiniste. en 19441945, il était attaché culturel à l’a mbassade de Rome près le Quirinal. i l avait épousé en 1926 la fille de paul Desjardins, animateur des décades de pontigny. a nne heurgonDesjardins fondera d’ailleurs en 1952 le Centre culturel de Cerisy.

4 Jacques de Beaumarchais assistait maurice Couve de murville.

5 le général le Couteulx de Caumont commandait la mission militaire française auprès des forces alliées à la villa médicis.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 147 114.

nous espérons que notre seconde exposition sera des tableaux français que nous pourrons trouver ici. Je ne sais pas du tout ce qu’il y a. on verra. si seule ment vous pouviez nous envoyer des tableaux mais cela viendra. Que sera-t-il arrivé de sima, ce charmant garçon. Je vois ungaretti de temps en temps mais j’ai de chers nouveaux amis depuis les dernières années terribles. Je suis très liée avec une fille de Croce et son mari et nina Ruffini que vous connaissez de pontigny je crois et umberto morra qui aura une très interessante revue inces semment6 etc etc. et maintenant quelques alliés sympathiques. pensez que quelques personnes sérieuses m’ont prié de reprendre Commerce ici en fran çais ! vous êtes trop loin décidément. J’espère tant que cette maudite guerre finirait avec l’année et je pourrais aller vous voir bientôt mais à présent je suis moins optimiste. Quand commencerez-vous La NRF ? Je garde précieusement le dernier numéro où vous avez écrit. C’est bien beau ce “silence”7.

Cher, cher Jean écrivez-moi vite et aussi souvent que possible j’ai si besoin de rompre le long silence qui a été si dur à supporter. J’ai si besoin de mes vieux amis, plus que jamais. Je vous embrasse aussi germaine de tout mon cœur et vous envoie mille tendresses

marguerite

palazzo Caetani

115.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

le 24 oct. [1944]

Chère marguerite ungaretti nous apprend que vous êtes à Rome. nous, on pensait à vous, un peu de tous les côtés : en suisse, en a mérique. i l est déjà bon de savoir

6 marguerite Caetani évoque les traductrices nina Ruffini et e lena Croce (1915-1994), également écrivain, qui participeront toutes deux à la revue Botteghe Oscure, et le journaliste antifasciste umberto morra di lavriano (1897-1981).

7 Jean paulhan, « l’espoir et le silence », La NRF, 1er juin 1940, pp. 721-722 (voir lettre 104). la Commission d’épuration de l’édition, mise en place début septembre 1944, interdisit la reparution de La NRF. Jean paulhan dut procéder à sa « liquidation ». un communiqué parut dans Les Lettres françaises du 25 novembre 1944. voir gallimard/ paulhan, pp. 301-308.

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où notre pensée vous trouvera. mais nous voudrions bien davantage. parleznous de vous. Du prince de Bassiano. De lelia.

*

aux jours de la libération, nous étions tous deux cachés près de la porte maillot (la gestapo étant revenu m’arrêter) près d’un cirque, dont l’éléphant a eu une sorte de passion pour moi : il me prenait chaque jour à la taille et me plaquait, non contre son cœur (je suis trop petit) mais contre sa patte gauche. aux combats de la libération dans le X vie nous étions là1. a présent, nous voilà, à vrai dire, très fatigués. on nous envoie (les méde cins) à la campagne. nous partons ce soir. a vrai dire, nous voudrions par venir à trouver une petite maison aux champs, où nous passerions la moitié des semaines2.

mais quand revenez-vous ? Bien sûr, tout le temps que vous ne revien driez pas, nous y passerons la semaine entière.

*

Fargue réapprend très péniblement à se servir de ses jambes3. groeth et a lix, très bien tous deux : ils ont passé le plus innocemment du monde à travers tous les dangers. Jouhandeau se cache, et j’espère qu’on ne parvien dra pas à l’arrêter4.

i l y a eu une splendide exposition de toiles d’un jeune peintre, Dubuffet (que j’ai découvert 5.)

Lettre 115.

1 ayant été dénoncé comme « juif » par Élise Jouhandeau à la gestapo en mai 1944, paulhan avait dû quitter précipitamment la rue des arènes, en s’enfuyant par les toits, et entrer dans la clandestinité (de mai à août). il trouva refuge rue marbeau, chez georges Batault, mem bre de l’action française, beau-frère du Dr le savoureux (que paulhan connaissait bien).

2 les paulhan séjournèrent en effet quinze jours « aux champs », à Bailleau sous galardon, petit village de l’eure au bord de la forêt de maintenon. René Drouin leur avait prêté sa ferme. i ls ne trouvèrent pas en revanche de « petite maison » où passer la moitié de la semaine.

3 en avril 1943, Fargue avait eu une attaque d’hémiplégie qui le laissa paralysé jusqu’à sa mort.

4 Jouhandeau avait collaboré à La NRF de Drieu et publié notamment, en décembre 1941, « témoignage », un court article où il évoque son admiration pour l’a llemagne après son voyage à Weimar. i l regrettera par la suite ce voyage et se taira jusqu’à la fin de la guerre. son dossier, alourdi aussi par ses articles antisémites de 1936-1937, sera classé sans suites.

5 la galerie René Drouin organisa du 20 octobre au 18 novembre 1944 la première exposition consacrée à Jean Dubuffet (1901-1985), dont paulhan avait fait la connaissance en décembre 1943. une forte amitié, nourrie d’admiration, les avait rapidement unis. « Je crois que j’ai découvert un grand peintre », écrivait paulhan à Jouhandeau le 1er janvier 1944

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 149

Fénéon est mort, vous l’avez su6. J’en ai eu une grande peine. Benjamin Crémieux, mort en a llemagne (au cours des tortures, il avait eu un poignet cassé)7. Jean prévost, tué en combattant dans le maquis de grenoble8. Bonjour, marguerite. nous vous embrassons comme nous vous aimons. Revenez bientôt

[Mention manuscrite de Germaine Paulhan, à côté de la signature de JP :] et germaine

116.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

très cher ami, J’ai reçu une si chère lettre adressée à heurgon mais je vois par cette lettre que vous n’avez jamais reçu ma première lettre envoyée à paris par Couve de murville et adressée à 5 rue sébastien Bottin. vous pourriez peutêtre demander là ou à Couve même qui porte aussi cette lettre1. J’y tiens un peu parce que je vous racontais toute notre histoire ou à peu près et on n’a plus le courage de recommencer. C’était merveilleux d’avoir de vos nouvelles directes

(Jouhandeau/ paulhan, p. 530). i l publiera une « lettre à Jean Dubuffet » dans le catalogue de l’exposition, qui présentait 82 œuvres, essentiellement des peintures à l’huile.

6 Félix Fénéon disparut le 29 février 1944.

7 Benjamin Crémieux avait organisé à marseille, sous le pseudonyme de lamy, un réseau de renseignements. i l sera arrêté le 28 avril 1943, transféré à la prison de Fresnes, puis déporté à Buchenwald. C’est à la fin du mois de juillet 1944 que paulhan apprit la mort de Benjamin Crémieux à Buchenwald, vers la fin avril, des « suites d’une extrême fatigue ».

8 Jean prévost était mort le 1er août 1944, à sassenage. Ce grand résistant, connu sous le nom de Capitaine goderville, fut pris dans une embuscade comme il quittait le maquis du vercors, où il commandait une compagnie des Forces Françaises de l’i ntérieur (FF i). i l avait également participé à la création du journal clandestin Les étoiles à la fin de 1942.

Lettre 116.

1 i l s’agit peut-être de la lettre 114.

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par heurgon. tant de belles choses il m’a racontées de vous. Je ne suis certai nement pas surprise ! – envoyez moi quelques livres de votre choix. heurgon me gâte mais ce n’est pas la même chose. J’aimerais tant avoir des livres choi sis par vous et parlez-moi des jeunes peintres que vous aimez. et limbour ? et sartre et tous les autres amis. pauvre Fargue ! Combien cela me fait de la peine. tant de choses affec tueuses à germaine. mon appartement est vide. ne connaissez-vous per sonne qui aimerait l’habiter pour à peu près 6 mois (j’espère tant revenir à ce moment-là) en payant la moitié du loyer et des impôts. Je vous prie dans ce cas de vous mettre en rapport avec m me de Beaumarchais, 6 rue du Cirque ou l’agence Franck arthur, Bould haussmann. vous me garderez une série de votre revue clandestine n’est-ce pas2. ça me serait si précieux. Quand même je regrette que La NRF ne continue pas avec vous3 ! Je vous embrasse tous les deux de tout mon cœur et vous envoie mille et mille tendres pensées

marguerite

Que de nouvelles de Rouault, Derain, segonzac, etc.

[Sur le côté gauche] et les géorgiques de de s[egonzac].4 ?

2 i l pourrait s’agir de Résistance, organe du réseau du musée de l’homme (cinq numéros parus entre décembre 1940 et mars 1941) ou des Lettres françaises, que paulhan fonda clan destinement en 1942 avec Jacques Decour.

3 voir plus haut, lettre 114.

4 Les Géorgiques de virgile, traduites par m ichel de marolles, ornées de 119 eaux-fortes originales de Dunoyer de segonzac, paris, aux Dépens de l’a rtiste, i mprimerie nationale, 1944-1947 (deux volumes).

maRgueRite
et
paulhan 151

117.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Jeudi 4 Janv. 1945 pa X 1945

Chère marguerite, que de vœux nous formons pour vous, pour lelia et Roffredo2. Je vous envoie une petite Clef plutôt ennuyeuse3 ; mais gardez-la simplement un peu entre vos mains, elle sera contente. aussi un Dubuffet (c’est un jeune peintre que j’ai découvert tout seul. vous voyez, moi aussi4.) Du Fautrier, nous vous avions, F. et moi, envoyé déjà un grand exemplaire, avec dedans un dessin de Fautrier. ne l’avez-vous pas reçu 5 ? C’est armand guibert6, cette fois, qui se charge gentiment du petit paquet.

Fautrier achève en ce moment une suite d’otages : têtes de fusillés, de victimes7. très horribles, admirables. Que fait lelia ? Ce serait gentil, dans votre prochaine lettre, de glisser quelque photo d’une toile d’elle récente.

Lettre 117.

1 enveloppe adressée à Rome, non postée. mention manuscrite : valise c/o délégation Française Rome.

2 marguerite Caetani lui a vraisemblablement envoyé ses vœux la semaine précédente mais la lettre n’a pas été retrouvée. paulhan écrit en effet à Jouhandeau, le 26 décembre 1944 : « hier, longue lettre de marguerite de Bassiano qui parle de toi » (Jouhandeau/ paulhan, p. 586).

3 Jean paulhan, Clef de la poésie qui permet de distinguer le vrai du faux en toute observation ou doctrine touchant la rime, le rythme, le vers, le poète et la poésie, paris, gallimard, 1944, coll. « métamorphoses ».

4 voir plus haut, lettre 115. paulhan lui adressa certainement le catalogue de l’exposi tion organisée à la galerie Drouin.

5 paulhan avait aidé René Drouin (1905-1979) à organiser dans sa galerie de la place vendôme une première grande exposition des œuvres de Jean Fautrier, qui se tiendra en novem bre 1943. en présentant le catalogue, Fautrier. Œuvres (1915-1943), paulhan ébauche son Fautrier l’enragé (Blaizot, 1949). il est certainement question ici de ce catalogue, achevé d’imprimer en novembre 1943, qui comporte, selon les exemplaires, « le Compotier », une planche lithogra phique en couleur tirée par mourlot Frères et rehaussée au vernis par l’artiste, ou un hors-texte en noir et blanc de Fautrier.

6 armand guibert (1906-1990), écrivain et éditeur, enseignait alors au lycée Chateaubriand de Rome, où il assurait par ailleurs la direction littéraire de l’hebdomadaire français Présence.

7 Fautrier réalisa cette série de tableaux intitulée les Otages entre 1943 et 1945, principale ment à la « vallée aux loups », à Châtenay-malabry, où le peintre vécut clandestinement en 1943-

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Lettre 117.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan

153

mais on voudrait vous revoir rue du Cirque. (i l nous arrive d’y retourner tout près de chez vous, chez Jeanne Castel8. eh bien, même des esprits abs traits comme groeth, ce n’est pas sans tristesse.) segonzac et Derain ne se montrent guère. on leur a reproché le voyage à Weimar9. (Derain a d’ailleurs un fils de deux ans, qui suffit à l’occuper.) Rouault, je l’ai souvent vu, depuis deux ans. i l est plus grand que jamais. Braque aussi. limbour fonde une petite revue : le Spectateur des Arts, qui commence très bien (par un picasso de limbour et un Dubuffet d’arland10.) vous verrez. mais que vous nous manquez à tous ! J’ai trouvé pour vous un candidat locataire : m. a lbert lévy, le directeur d’Art et Décoration. mon fils Fred est aspirant au front, en a lsace. marguerite, bonne année, meilleure année ! nous vous embrassons comme nous vous aimons germaine11 Jean. Je suis sans nouvelles de sima12.

[Mention manuscrite de Germaine Paulhan, sur la même ligne que la phrase précédente :] si, il est à nice et travaille bien.

1944, et où il fut témoin des fusillades de prisonniers résistants, par les nazis, dans une clairière voisine. paulhan participera à l’organisation de l’exposition Fautrier (« Les Otages – peintures et sculptures de Fautrier ») qui se tint à la galerie Drouin du 26 octobre au 17 novembre 1945.

8 Jeanne Castel, qui a joué un grand rôle dans la vie et l’œuvre de Fautrier, tenait une galerie d’art au 3, rue du Cirque.

9 au sujet des congrès de Weimar, voir lettre 109.

10 Le Spectateur des Arts, petite revue lancée par René Drouin, ne connut qu’un seul numéro, en décembre 1944. georges limbour en fut le directeur éphémère. le sommaire comportait également un Message de Marc Chagall aux peintres français et un texte de ponge sur Fautrier.

11 mention manuscrite de germaine paulhan.

12 Cette phrase a été ajoutée sur le côté gauche d’un feuillet.

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Marguerite Caetani à Jean Paulhan

le 12 avril [1945] Rome palazzo Caetani

Cher, cher Jean, merci de tout cœur, de tout, de vos lettres, de votre pensée. ne me laissez pas trop longtemps sans vos nouvelles. hélas j’ai bien peur que ça sera encore long avant que je puisse aller vous voir. J’y volerai le pre mier moment que cela sera possible.

Ce mot vous sera porté par notre nouvel ambassadeur Joseph saragat que vous connaissez certainement de réputation et qui desire beaucoup vous connaitre. C’est un ami de Caffi. Je vous prie de le voir le plus possible et de le faire connaitre groeth et les amis susceptibles de l’intéresser. Je suis certaine que vous serez très heureux de le connaître.

Que diriez vous si un de ces jours je pourrais reprendre Commerce en Français italien et a nglais ? Je veux dire publier dans un numéro des poè mes et des proses dans ces trois langues sans traductions1. vous m’aideriez comme avant ? C’est peutêtre simplement un trop beau rêve et pas possible encore. vous me direz ce que vous pensez. J’ai écrit à eliot et à [macleish]2. ici on est suffoqué par tant de littérature politique, critique historique et j’ai une telle nostalgie de poesie et un peu de fantaisie. ça ferait du bien peutêtre.

Certainement en France vous en avez et tant et tant alors c’est peutêtre pas très intéressant pour vous. i l faudrait un choix superlatif. toutes mes tendres amitiés et je vous embrasse tous les deux marguerite.

Lettre 118.

1 marguerite Caetani animera à Rome de 1948 à 1960 la revue Botteghe Oscure (19481960), dont il sera question dans les lettres suivantes.

2 le deuxième nom est difficile à déchiffrer mais il pourrait s’agir de l’écrivain a rchibald macleish, qui participa à Commerce et à Botteghe Oscure

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 155 118.

119.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

Rome, le 16 nov. [1945]

très cher ami, J’attends vos nouvelles avec tant d’impatience. m’écrirez-vous par heurgon ? J’ai à vous demander une grande faveur. Je suis sans nouvelles de mon cousin Frédéric gibert qui a un appartement ave. henri martin 881. i l était en prison pendant à peu près un an et depuis deux ans au moins je n’ai plus de nouvelles de lui. sa femme est Française et sa fille est mariée à un Français de Boudy et habitait la campagne. peutêtre est-il avec elle. si vous pourriez vous informer je serais si reconnaissante. vous êtes constamment dans mes pensées comme vous le savez j’espère. heurgon me passe des livres des revues mais j’aimerais encore et toujours encore.

Je viens d’écrire aussi à groeth. C’est si émouvant de recevoir des livres français des etats unis ! Je ne peux plus vous écrire avant d’avoir des nou velles de vous. i l y a trop de choses à vous dire.

Je vous embrasse bien fort tous les deux

marguerite et vos fils ?

Je suis si impatiente d’avoir des nouvelles de germaine. et tous nos petits peintres ?

Lettre 119.

1 Frédéric gibert est un cousin français du côté de la mère de marguerite, née gibert Chapin.

CoRR espon DanCe FR ançaise156

Lettre 120.

120.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani

30.X ii. [1947]

Bonne année, chère marguerite. nous songeons bien à vous et nous vous embrassons. Quand paraissent vos Cahiers1 ? Dhôtel a aujourd’hui quarante ans, il a été longtemps professeur en grèce. son livre le plus grand s’appelle Les rues dans l’aurore 2 . savez-vous que larbaud chaque jour parle un peu mieux, retrouve peu à peu toutes les langues qu’il savait. Bien, j’écris à saucier3 i l y a eu une belle exposition d’un tout jeune peintre, Rey-m illet4 (mais aimez-vous encore les jeunes peintres français ? a h, vous êtes bien

Lettre 120.

1 la revue Botteghe Oscure (1948-1960), que marguerite Caetani animera à Rome. voir plus haut, lettre 118.

2 a ndré Dhôtel (1900-1991), Les rues dans l’aurore ou les aventures de Georges Leban (paris, gallimard, 1945). marguerite Caetani aimera beaucoup ce roman, qu’elle lira fin 1948 (voir Risset/santone/ tamassia, p. 27).

3 Roland saucier (1899-1994) dirigea la librairie gallimard, boulevard Raspail, de 1921 à 1964.

4 Constant Rey-m illet (1905-1959), originaire de savoie, s’était installé à paris en mars 1945. paulhan évoque certainement l’exposition qui eut lieu à la galerie pierre en novembre 1947, et dont le catalogue fut préfacé par René de solier.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 157

injuste pour Wols et pour Dubuffet 5.) Bonne année, germaine et Jean vous embrassent comme ils vous aiment.

121.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

[Mention manuscrite de Paulhan en haut de page, qui déborde un peu sur la lettre :] le 9 mardi 4h. essayage versé 2500 Jacquel[ine]. hop. colonial1

mardi [début 1951]

Cher Jean, J’ai oublié de vous donner ceci hier. J’étais très heureuse avec vous hier. savez-vous si Robert ernst Curtius est ici et son adresse ? J’étais enchantée de la note si flatteuse sur ma cousine isabel Bolton. Je vais immédiatement lui envoyer un exemplaire. la pauvre a les yeux si malades à présent. C’est tragique. J’aime tant le larbaud ! C’est ravissant. Du meilleur larbaud 2 . Bien affectueusement

marguerite

5 a lfred o tto Wolfgang schultze, dit o tto Wols (1913-1951), qui résidait en France depuis 1932, est un des principaux représentants du tachisme. sa première exposition se tint à la galerie Drouin en décembre 1945 et lui fit connaître une certaine notoriété. i l illustra des œuvres de paulhan, a rtaud et sartre notamment.

Lettre 121.

1 Cette dernière mention est entourée. i l est question de Jacqueline paulhan, la bellefille de Jean, qui vécut à madagascar avec Frédéric paulhan de 1949 à 1952.

2 marguerite Caetani commente ici la onzième livraison des Cahiers de la Pléiade, de l’hiver 1950-1951 (achevé d’imprimer le 10 janvier 1951), qui s’ouvre par une nouvelle de larbaud, « gwenny-toute-seule ». Wladimir Weidlé, dans un texte intitulé « la littérature et sa négation », évoque le dernier livre du critique et philologue allemand ernst Robert Curtius (1886-1956), Littérature européenne et Moyen Âge latin (Europäische Literatur und lateinisches Mittelalter, 1948) ainsi que le récit L’ Arbre de Noël (The Christmas Tree, 1949) de la romancière américaine isabel Bolton (1883-1975), qui témoigne notamment, « d’une parfaite maîtrise dans l’art de la construction » et « d’un sens très particulier du tragique » (p. 63).

CoRR espon DanCe FR ançaise158

122.

Marguerite Caetani à Jean Paulhan

5 rue du Cirque mercredi le 29 août [1951]

très chers amis,

Je suis ici de passage pour qlqs jours en route pour londres et le mariage de lelia1. J’aimerais tant vous voir tous les deux et j’ai téléphoné maintes fois finalement on me dit que vous revenez le 1er sept. Je m’en vais le 5 alors j’espère encore vous voir.

Je vous prie de me téléphoner aussitôt de retour. Jean vous m’avez écrit de venise sans me donner d’adresse 2. J’accepterais même un essai critique de vous si vous l’aviez prêt tout de suite ! Je vous embrasse tous les deux de tout cœur et espère bien vous voir

marguerite

123.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1 le 15 septembre. [1954]

Bien chère amie les derniers mois de Cingria ont été atroces : il avait une grande enflure du ventre qui l’obligeait à demeurer sur le dos, sans bouger. Bien sûr, privé de vins et d’alcool. i l a pourtant exigé d’être transporté à a ix, et puis a eu un

Lettre 122.

1 lelia Caetani épousa le 17 septembre 1951 hubert howard (1907-1987).

2 en mars-avril 1950, paulhan avait passé dix jours à venise avec Dominique aury et paul pilotaz, riche colonial natif d’a lbertville qui avait une plantation de bananes en guinée.

Lettre 123.

1 papier à en-tête de la n RF. 17, rue de l’université, paris.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 159

soudain désir de revenir à genève. a genève, on lui a aussitôt fait une ponc tion, dont il est mort 2 .

affreuse vie : imaginez qu’il la voyait comme vous ou moi. tout : les visites intéressées, les emprunts, les dîners qu’il fallait payer d’une vive conversation, et, rentré chez lui, la petite chambre d’où il entendait tous les bruits des cabinets. i l me parlait de tout cela, la dernière semaine, et j’avais envie de pleurer. mais aimiez-vous encore Cingria ?

imaginez que je suis passé, il y a deux mois, rue des Botteghe oscure. Rome était brûlante. il y avait de petites vagues d’air chaud au-dessus de vos pavés.

Je me suis rappelé que j’avais dû vous blesser, un jour où nous déjeunions vers l’odéon, en vous avouant que je n’aimais pas Kassner sans réserves3.

C’est sans doute mon défaut de ne pas aimer sans réserves ceux des poètes qui s’annoncent, je veux dire au-dessus de qui flotte une sorte d’atmosphère de beauté. J’ai trop de tendresse pour les modestes : ceux qui trouvent la grandeur sans l’avoir, semble-t-il, recherchée : une grandeur jusqu’au dernier instant inattendue.

De sorte que je préfère Broch, musil ou Kafka à Kassner. (outre que la beauté particulière de K. est trop évidemment kierkegaardienne.)

*

J’étais mécontent de la note (pleine de réserves, pourquoi ?) qu’à ma demande on m’avait remise sur B.O4. Je vais en recevoir une autre, enthousiaste, juste.

a h, et j’ai enfin reçu, de gabriel Bounoure, l’article sur René Char, promis depuis si longtemps5. il est très beau, et vous l’aimerez, je pense. au revoir, chère marguerite. Je vous embrasse

Jean paulhan.

2 Charles-a lbert Cingria mourut à genève le 1er août 1954, d’une cirrhose du foie.

3 au sujet de Kassner, paulhan écrit ainsi à Jouhandeau, début avril 1931 : « Je ne sais trop qu’en penser. tantôt il me plaît infiniment, et tantôt il m’exaspère (dans certains pas sages des éléments… ou du Christ et l’âme…, purement métaphysiques : il me semble qu’il relie ses découvertes véritables par des raisonnements forcés). J’aime le Lépreux ; tout entier, et c’est le Lépreux qui m’avait donné envie du reste ». voir Jouhandeau/ paulhan, p. 120.

4 la revue Botteghe Oscure.

5 gabriel Bounoure, « Base et sommet de la poésie de Char », La NNRF, février 1956, pp. 300-307.

CoRR espon DanCe FR ançaise160
*
*

124.

Jean Paulhan à Marguerite Caetani1

Jeudi [années cinquante ?]

Bien chère amie, hélas, non. et les docteurs ont raison. tout ce que je tente en ce moment est piteux et absurde. le repos, et le repos seul… ajoutez que l’œuvre, que j’ai entreprise sur la méthode (et les secrets) de la peinture moderne, me jette dans une sorte d’hébétude et d’anxiété, d’où je ne sais encore quelle découverte pourra me tirer2. vous le voyez, il faut me plaindre et me pardonner, qui suis avec ma grande affection et mon respect, vôtre

Jean paulhan.

Lettre 124.

1 papier à en-tête de la n RF. 17, rue de l’université, paris.

2 paulhan s’intéressait à la « peinture moderne » depuis les années quarante. i l avait publié un article intitulé « la peinture moderne ou l’espace sensible au cœur » dans le deuxième numéro de La Table ronde, en février 1948 (pp. 267-280), version augmentée d’un autre texte, « la peinture moderne et le secret mal gardé », paru dans Fontaine en février 1944 (n° 35, pp. 527-530). paulhan travaillera à cet essai, finalement intitulé La peinture cubiste, jusqu’en 1959. i l paraîtra dans le dernier tome de ses Œuvres, paris, tchou, 1970, pp. 43-146.

maRgueRite Caetani et Jean paulhan 161

annexe

manusCR it De J ean paulhan : « poRt R ait »1

[1926 ?]

1 Ce manuscrit intitulé « portrait » correspond (avec des variantes notables, des textes parfois différents) aux textes publiés par Claire paulhan dans La Vie est pleine de choses redoutables : textes autobiographiques (seghers, coll. « pour mémoire », 1989, pp. 227-234). i ls dateraient, selon Claire paulhan, du séjour que firent en 1926 germaine et Jean paulhan, avec le chien orso, chez leurs amis germaine et a lbert uriet dans le Calvados. paulhan avait réuni cet ensemble de textes dans un dossier intitulé « Causes célèbres » : peut-être songea-t-il un moment à intégrer ces courts récits dans le recueil (composé en 1944, pre mière édition complète en 1950).

La rivista «Commerce» e Marguerite Caetani, Direzione di Sophie Levie. V. Correspondance française. Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français , édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2016 ISBN (stampa) 978-88-6372-878-1 (e-book) 978-88-6372-879-8 – www.storiaeletteratura.it

le seul exemplaire qu’il y ait appartient à marguerite Caetani princesse de Bassiano

table

i. surprises.

ii. les mauvaises langues.

iii i ntérieur de la chambre.

iv. autres disputes.

v. h istoires qu’il se raconte. vi les difficultés.

vii. mort de Diane.

viii. les exigences d’amitié.

i X. le chien jaloux.

X. les loups des ardennes.

X i. Fin du portrait.

portrait i.

« on dit bien un fer à cheval, n’est-ce pas ? parce que c’est un fer qu’on met sous le pied du cheval. et puis l’on en vient à dire une table en fer à cheval, un escalier en fer à cheval. eh bien, j’ai changé tout ça. » il tire son sabot.

« C’est un sabot de quarante francs. en vingt jours il n’en resterait plus si je n’avais pas inventé d’y mettre du cuir. » C’est une bande de cuir, qui est clouée à la semelle.

« l’on peut appeler ça un cuir à homme. ne vous étonnez pas si je dis une table en cuir à homme, un jardin en cuir à homme. a partir d’aujourd’hui. »

C’est par là qu’il commence, à peine nous a-t-il dit bonjour. il porte une peau de bique, et balance une lanterne tempête, dont la lumière en se reflétant dans ses jambières fait peur à orso. on nous attend justement, le dîner est prêt. mais il nous quitte, nous abandonne à des cousines, ne revient qu’aux légumes, c’est pour dire : « J’avais du travail ». il ajoute que le poudingue de l’après-midi lui pèse, et qu’il faut être fou pour faire des gâteaux avec de la graisse de bœuf. « ça laisse de la satiété ; c’est comme d’avoir vu plein de monde le Dimanche. » i l est justement Dimanche, et nous sommes bien douze à table.

ii.

a-t-il vraiment barbouillé de rouge, pour jouer, le front et les joues, ce serait peu, et les seins d’une jeune fille, qui a passé les vacances chez eux ? a-t-il parlé avec dédain du docteur Boyé, devant une dame qui est allée tout rapporter ? C’est ce que l’on dit à paris, et d’autres choses. « moins je m’oc

CoRR espon DanCe FR ançaise164

cupe d’eux, dit-il, et plus ils viennent me chercher. mais toi, avec isabelle. est-ce que ça s’est oublié, ça s’est tassé ?

– non, moins que jamais. elle dit que je suis plein de traîtrise, et que je pré sente à tous mes amis une fausse maîtresse de georges. on me le répète, on ajoute : c’est trop invraisemblable pour que personne puisse le croire. – mon vieux, c’est ce qu’on te dit ; mais tu n’as qu’à te brouiller avec eux, tu verras s’ils ne sont pas les premiers à aller dire à droite et à gauche que tu promènes une maîtresse de georges. moi, depuis que je ne suis plus là, il me semble que tout le monde me prend pour un mufle. »

les sentiments sont en l’air autant qu’en nous, et d’abord je me défends mal. i l me semble que l’on m’a changé de place. si je voulais retrouver du premier coup les idées qui me donnent confiance, je les compromettrais peut-être, elles n’ont rien à faire ici. le mieux est d’accepter un instant d’abandon, et de me dire : c’est ainsi que je puis le comprendre.

iii.

i l travaille à sa table, et je ne vois de lui que sa figure rouge et sèche, où les rides se remplacent et ne durent pas. De temps en temps :

« J’ai froid aux pieds ; c’est plutôt parce que je les ai comprimés qu’autre chose » ou :

« ça me rappelle un jour, le 14 décembre 1913 comme si j’y étais avec cet air qui éblouit et cette terre qui craque. » ou encore :

« Quand j’ai eu fini ce travail, je me suis dit : ça te manquera peut-être. après tout c’était un rempart. » pour voir sa chambre, il faut la regarder en détail : il y a d’abord, contre le mur, une presse à fruits, un rouet, et une sorte de petit cabriolet qui porte un nid, une léda peinte sur zinc et deux pots dorés. un bocal contient des fleurs sèches, des os de chauve-souris et de la poussière de grenier. Dans un autre bocal, c’est une salamandre de terre, pas des plus grosses ; une photo représente un zouave, une autre trois enfants déguisés.

D’ailleurs, personne ne sait qui est le zouave, la presse ne porte que des bri ques et la salamandre pourrit par le dos. enfin tout y est moins ancien que privé de quelque chose.

iv.

Qu’après m’avoir recommandé d’ôter mon chandail avant le dîner, il mette lui-même un col, mais sur lequel vient s’appliquer en le froissant le

anneXe 165

col de la veste de chasse qu’il n’a pas renoncé à mettre, il s’assied devant la glace et se laisse assister à quelque discussion où chaque col fait valoir ses droits : « mais en conseillant d’ôter le chandail, dit le premier, tu t’es engagé toi-même… – si tu gardes la veste, dit l’autre, tu ne peux l’humilier au point… ». D’ailleurs les cols cessent vite de s’adresser à lui : une foule les entoure, et tantôt ricane, tantôt sourit. i ls parlent enfin par avocats, l’on nomme des experts. Chaque ingénieur offre son plan, et dit qu’il est sûr de la réussite, soit qu’il s’agisse d’accorder les cols en dissimulant par derrière celui que l’on montrera par devant, soit que l’on veuille user de brutalité. « Des actes, des actes ! » crient les gens. a lors pierre leur prête ses doigts et se trouve important, une sorte de roi. D’autres calculent : « Je parie que six fois sur dix… » et celui qui tient le rôle du notaire. mais pour qui le regarde, pierre reste devant la glace, à peu près immo bile, et paresseux.

v.

Quand il se raconte pour lui des histoires, il se dit, par exemple : « a Fontenay, en 1897, je recherchais l’amitié de maurice préseau ; j’ai eu un rêve qui m’est toujours resté dans la mémoire. i l n’avait pourtant rien d’extraordinaire : simplement préseau ne devenait pas mon ami, et se mariait avec un autre élève nommé mazier (c’était la seule originalité). tous deux se tenaient à la petite table du moniteur, qui de mon temps ne servait jamais. eh bien, ce rêve, chaque fois que j’y pensais, je me disais : mais non, ça n’est pas si vieux ; tu l’as rêvé la nuit dernière. enfin, beaucoup plus tard, je pris la précaution d’écrire sur un mur : j’ai bien rêvé le rêve préseau. De cette façon quand il me revenait, j’allais voir mon mur et je me disais, soulagé : oui, c’est bien un souvenir. malheureusement, j’y pense ce matin, je suis loin du mur où j’ai marqué cette histoire et je me demande si je n’ai pas rêvé le tout cette nuit. ça m’en nuie ; ça me tracasse, même. surtout que je pensais hier aux chemins dans les champs, à Fontenay. on voyait briller au soleil des éclats de verre, des tessons de vaisselle et, sur les murs de plâtre, de petits morceaux de gypse. J’allais souvent jusqu’à une vieille voûte de pierre, sous laquelle il y avait de l’eau et des orties. on l’ap pelait la Fontaine des soucis. C’était derrière le fort Cardinal. plus bas, des trains filaient sur la ligne de mulhouse et quelquefois dans le ciel un ballon, quand c’était Dimanche.

– Feuillet(s) manquant(s)]

CoRR espon DanCe FR ançaise166
[VI.

vii.

Diane est devenue si maigre que l’on décide de la garder dans la maison. elle refuse de manger, puis elle enfle. le troisième jour on la trouve morte : elle n’a pas gémi ; elle tient sa tête écartée du corps et détournée, le plus qu’il est possible.

le vétérinaire n’arrive qu’une heure après. « elle n’était plus la même depuis un an », lui dit-on. i l parle, et retient jusqu’au dernier moment ce qu’il finit par dire : « si l’autre chien est jamais malade, tâchez de m’appeler un peu plus tôt ». nous le pensions tous, une sorte de remords sans doute faisait que Diane semblait tout d’un coup devenue à charge à georgette, et à pierre (mais pierre aurait-il le premier proposé une dépense ?). pourtant on fait l’autopsie, et le vétérinaire avoue qu’il n’aurait pas délivré Diane d’un abcès qui lui étrangle l’intestin. i l ajoute : « l’autopsie, ce sera quinze francs. »

[Feuillet manquant ?]

viii

« Je me fais une égratignure au doigt : c’est en cassant des branches. le soir comme de juste j’ai tout oublié, je ramasse des feuilles sèches, des brindilles ; dans la journée l’on avait charrié du fumier par là. le lendemain à table, juste comme l’on apporte les épinards, je veux aider à les passer, mon petit doigt se tend tout seul. Je me dis : c’est le tétanos. tu comprends, je prends les choses dans ces moments-là d’un plan un peu plus élevé. Je me dis : les hommes, les docteurs, il n’y aura plus personne tout à l’heure. C’est des choses comme ça qui m’empêchent de me débrouiller. » Je réponds à tout autre chose : « mais de toute façon je pense que tu n’es pas courageux. Car enfin tu pour rais ne rien gagner et en être fier. ou bien te décider carrément à gagner de l’argent, et en gagner. encore te faut-il choisir, tu acceptes de te mépriser. »

nous avons été amis ; et même il nous tardait à chaque moment d’achever notre amitié : chaque mot que nous imaginions de nous dire, chaque chose de nous montrer, nous mettait dans l’impatience. Dans ce temps, tout allait sans réflexion ; nous pensions tous deux que l’autre était supérieur ; ce n’est rien, que l’autre était bien plus vivant (et pour nous-mêmes nous avions des doutes), qu’il y avait un secret dans ses façons d’écrire, de parler ; nous les imitions, nos femmes s’en étonnaient.

manque-t-il vraiment de courage ; et moi, qu’est-ce que je ferais à sa place ? mais je cherche, pour recommencer, à le rendre meilleur que moi.

anneXe 167

i X.

orso se montre tout d’un coup tel que personne ne l’imaginait : violent, et se mettant en fureur contre m iraut qu’il mord ; jaloux aussi et qui nous boude longtemps s’il nous est arrivé de parler à m iraut. D’ailleurs joyeux au possible d’avoir à sa disposition les trois vaches du pré : il court sur elles, aboie, se sauve en rond et finit par se trouver derrière la vache qui cède, et s’en va. orso revient en roulant sur lui-même, de joie. i l court encore avec m iraut à toute vitesse, et disparaît. le matin, si je le détache seul, il commence par bondir de plaisir ; aussitôt, il se souvient de m iraut enchaîné, l’appelle, le lèche. Je détache miraut : il se jette sur lui, le mord d’abord : il me boudera toute la journée. Qu’y faire : il semble que la jalousie et la joie d’avoir m iraut soient à la fois les plus violentes en lui, sans qu’aucune l’emporte. (les sentiments ne tiennent pas de place). Quand pierre me dit, brusquement : « Ce lavaud, il t’en a toujours voulu, je ne sais pas pourquoi. léon passait un jour avec lui sur le pont de la Concorde, il l’a pris par le bras pour lui dire : “enfin léon, avouez-moi que maast est un sot 2.” » J’entends aussi que son amitié, en revenant, l’oblige à me dire tout ce qu’il a pu apprendre sur moi et qu’il satisfait à la fois un certain goût, qu’il a pris, de voir chaque homme entouré de difficultés et d’embûches. oui, qu’il satisfait à la fois sa bonne et sa mauvaise volonté, sans que l’une des deux l’emporte.

X.

« si j’avais besoin d’une chauve-souris, je saurais la trouver à l’instant même. et surtout une chauve-souris morte. veux-tu voir ? » non. i l me donne alors une coquille d’escargot ; « un carrosse abandonné, dit-il. ne te retourne pas. pour rien au monde. »

Quand il m’appelle, je le vois aller et venir dans le cellier, qui râcle le sol de son bâton. i l est bossu, sa lanterne qui tremble fait sauter son ombre d’un bout à l’autre de la cour. « tu vois, je suis le chercheur de trésors. » puis il se met à quatre pattes, aboie, agite au bas du dos sa main retournée et devient le chien du chercheur de trésors. puis il cache la lanterne dans son ventre, se tasse, et brille autant que le trésor lui-même. Quand il s’est assez ennuyé immobile, comme un trésor, il me jette de petites pierres : « C’est le signe de la réconciliation », dit-il.

2 Jacques maast est le narrateur de plusieurs récits paulhaniens, à commencer par Le Guerrier appliqué (sansot, 1917).

CoRR espon DanCe FR ançaise168

aussitôt il se jette sur orso, la lanterne à bout de bras. orso s’enfuit, revient, hurle. pierre se croit attaqué par les loups, dans la forêt des ardennes. i l pose la lanterne, et se sauve. orso et la lanterne demeurent face à face, sans bouger. orso souffle, et fait briller ses yeux. Déjà le lierre pend, les étoiles se gonflent. nous rentrons lentement, nous laissons à elle-même une amitié, presque rétablie.

X i.

Quand une douleur fine se met à questionner le corps, que l’on se chante : ce n’est pas un pêcheur, c’est un autre inférieur (ou toute autre, rien de plus, l’on ne tient à rien), quand la chèvre passe contre une pierre après l’autre et s’il le faut pour passer se met à genoux, c’est alors qu’elle casse le fil d’argent que tendaient les murs, qui ne tombe pas sans le bruit d’une étoile filante, ou d’un grelot de chat.

anneXe 169

CORRESPONDANCE (1921-1944)

La rivista «Commerce» e Marguerite Caetani, Direzione di Sophie Levie. V. Correspondance française. Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français , édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2016 ISBN (stampa) 978-88-6372-878-1 (e-book) 978-88-6372-879-8 – www.storiaeletteratura.it

ii
ma RgueR ite Caetani et les auteu R s FR ançais

ma RCel aCha RD (1899-1974) 125.

Marcel Achard à Marguerite Caetani1

[6 mars 1926 ]

madame,

Je suis infiniment honoré par votre demande. et je serais très heureux d’envoyer à Commerce un dialogue ou une pièce de théâtre 2. Je n’ai malheu reusement rien de prêt actuellement. mais avant deux mois j’espère pouvoir vous envoyer quelque chose qui vous satisfera.

Je vous prie d’agréer, madame, mes sentiments très respectueux et mes remercîments.

marcel achard 5, rue Rameau

Lettre 125.

1 la lettre est accompagnée d’une enveloppe postée de paris le 6 mars 1926 et adressée à : madame de Bassiano, villa mercédès, petite a frique, Beaulieu, a lpes m mes .

2 marcel achard, auteur dramatique à succès et homme de théâtre, futur académicien, n’a rien publié dans Commerce

La rivista «Commerce» e Marguerite Caetani, Direzione di Sophie Levie. V. Correspondance française. Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français , édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2016

ISBN (stampa) 978-88-6372-878-1 (e-book) 978-88-6372-879-8 – www.storiaeletteratura.it

ma RCelle auClai R (1899-1983) 126.

Marcelle Auclair à Marguerite Caetani1

villa le lac. hossegor. landes. 25 Janvier 1925

Chère madame,

Je vous remercie beaucoup de votre lettre, qui m’a fait revivre la si agréa ble journée de versailles. très heureuse de l’approbation de monsieur saintléger-léger, j’enverrai les morceaux traduits à la Revista de Occidente 2 – et je vous sais gré, chère madame, de vous être donné la peine de me commu niquer cette bonne nouvelle.

Je n’oublie pas Commerce ; toujours à votre disposition, je serai charmée de vous voir à votre retour3.

Recevez, chère madame, avec l’expression de ma reconnaissance pour votre extrême obligeance à mon égard, l’assurance de ma sympathie et de mon dévouement. marcelle auclair

Lettre 126.

1

la lettre est accompagnée d’une enveloppe postée le 26 janvier 1926 et adressée à : madame la princesse de Bassiano, petite a frique, “villa mercedes”, Beaulieu, a lpes maritimes

2 marcelle auclair, qui avait passé sa jeunesse au Chili, avait proposé au poète qu’elle admirait, et avec qui elle aura une liaison, de traduire en espagnol des extraits d’Éloges.

3 marcelle auclair devait être la « traductrice pour l’espagnol » de Commerce, selon les vœux de larbaud. mais la jeune femme ne participera finalement pas à la revue. voir Rabaté, p. 451.

CoRR espon DanCe FR ançaise174

anDRÉ BeuCleR (1898-1985)

127.

Marguerite Caetani à André Beucler 1

le 16 mai [1925 ?]

monsieur,

Fargue m’a dit que vous avez un manuscript pour Commerce et je serais heureuse si vous vouliez me l’envoyer2. nous serions heureux de vous avoir avec nous à déjeuner dimanche prochain si vous êtes libre. veuillez agréer monsieur mes meilleurs souvenirs

marguerite de Bassiano

128.

Marguerite Caetani à André Beucler

villa mercédes petite a frique Beaulieu-a.m le 13 Fev. [1926 ]

Cher monsieur

Je viens vous demander de venir en aide à Commerce et voilà comment. en proposant au comité de lecture de C des manuscripts de jeunes auteurs

Lettre 127.

1 lettre avec adresse imprimée : villa romaine / av douglas h aig / versailles (tél 13-28). Cette lettre a été reproduite en fac-similé in Rabaté, annexe 14.

2 l’écrivain a ndré Beucler, grand ami de léon-paul Fargue et de gaston gallimard, auteur notamment de Gueule d’amour (paris, gallimard, 1926 ; adapté au cinéma en 1937) et de mémoires évoquant le tout-paris littéraire (De Saint-Pétersbourg à Saint-Germain-desPrés, deux tomes, paris, gallimard, 1980-1982). une seule contribution d’a ndré Beucler à la revue : « entreprises de fééries », Commerce, v, automne 1925, pp. 141-168.

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais
175

que vous pourrez procurer et que vous considérez dignes d’intérêt. Je pro poserais de vous donner trois cents francs pour chaque manuscript accepté pour publication. le côté le plus difficile de notre tâche est là et je crois que si vous voulez bien vous pourrez nous aider beaucoup. vous êtes un jeune vous-même et vivant au contact avec la jeune littérature.

Je préfère que vous ne parlez pas du tout de moi dans cette affaire. vous pouvez simplement dire que la Rédaction de Commerce vous a chargé de chercher des manuscripts1.

Dans l’espoir d’une réponse favorable agréez monsieur mes meilleurs souvenirs

marguerite de Bassiano

129.

André Beucler à Marguerite Caetani1

Clos des Cigales Fonsainte. la Ciotat Bouches du Rhone dix-huit juin [1928 ?]

Chère madame

Je vous ai remis l’année dernière, je crois que c’était en décembre, un texte pour Commerce, mais je pense que vous ne l’avez pas retenu et surtout qu’il devait être négligeable2. avant de quitter paris, j’avais demandé à Fargue, un jour qu’il allait à versailles, de vous en parler. Je vous écris parce qu’il aura sans doute oublié. il me serait bien utile d’avoir ces quelques pages aujourd’hui afin de les

Lettre 128.

1 Beucler ne trouva aucun manuscrit. le 26 mars 1926, il écrit à paulhan : « Je continue à y penser. si vous avez l’occasion de la voir, voulez-vous lui dire que j’ai fait tout mon pos sible. J’ai tellement peur qu’elle m’en veuille un peu » (Fonds paulhan, imeC).

Lettre 129.

1 Cette lettre d’a ndré Beucler se trouve dans le Fonds paulhan de l’imeC, classée avec les lettres de Beucler adressées à paulhan. si marguerite Caetani a transmis cette lettre à paulhan, c’est sûrement parce que le manuscrit évoqué ici devait se trouver dans ses papiers.

2 paulhan remit un texte de Beucler à la princesse en décembre 1926 (voir lettre 34).

CoRR espon DanCe FR ançaise176

revoir et de les donner à une publication où l’on me demande quelque chose pour l’été. puis-je vous demander de me les faire envoyer ici ?

Je m’excuse de vous déranger comme je le fais, chère madame, et je vous prie de croire à mon respectueux souvenir a ndré Beucler 130.

Marguerite Caetani à André Beucler 1

le 25 mars [1930]

Cher monsieur,

Je vous prie d’excuser mon long silence au sujet de votre traduction si belle de « Cœur mangé »2. J’aimerais beaucoup le publier dans le cahier de printemps de Commerce qui paraitra fin mai. est-ce que cela peut aller ? Fargue n’a pas compris pour le texte anglais de ce poème. Je lui ai dit que si cela était inédit en a nglais ce que j’espérais alors il nous faudrait le texte anglais comme nous faisons toujours. Je sais à présent que le poème n’est pas inédit mais je l’aime tant et je le trouve justement si bien traduit que je suis bien tentée s’il est temps encore de le publier malgré nos conventions contre tout ce qui n’est pas inédit. Que me conseillez vous ? Je suis heureuse de savoir que vous n’oubliez pas Commerce pour vous-même et qu’un de ces jours bientôt nous verrons arriver quelque chose signée de votre nom. excusez moi encore de ce long retard.

Bien cordialement à vous

marguerite de Bassiano

Lettre 130.

1 lettre avec adresse imprimée : villa caetani / vicolo tre m adonne / roma (136) / tel. 88942.

2 Richard a ldington (1892-1962), « le Cœur mangé », traduit de l’anglais par a ndré Beucler et henry Church, Commerce, XX iii, printemps 1930, pp. 165-189.

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Caetani et les auteuRs FRançais
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131.

Marguerite Caetani à André Beucler

golf hotel st. lunaire (i lle et vilaine) le 31 Juillet [1930]

Cher monsieur excusez-moi le retard que nous avons mis à vous remettre vos exs de Commerce. vous aurez 6 dans quelques jours. J’avais demandé à paulhan l’adresse de m. a ldington et il n’a pas pu me l’indiquer. Je n’ai plus ici l’adresse de m. Church1. on m’a aussi affirmé qu’il n’est pas question d’honoraires pour mr Church et pour m. a ldington je vous prie de me faire savoir possiblement ce que Commerce lui doit car je n’ai pas eu de cas analogue jusqu’à présent. C’est la première fois que nous donnons un auteur anglais dont le texte anglais avait déjà été publié en anglais. Je serais bien heureuse d’avoir quelque chose de vous pour Commerce. C’est inutile de l’envoyer d’abord à paulhan ! –avec mes meilleurs souvenirs Bien cordialement à vous marguerite di Bassiano

Lettre 131. 1 voir note 2 de lettre 130. au sujet de henry Church, voir aussi lettre 86.

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Caetani et les auteuRs FRançais

Joe BousQuet (1897-1950) 132.

Joe Bousquet à Marguerite Caetani

Joe Bousquet 41, rue de verdun Carcassonne (aude)

Carcassonne, 4 février 1931

madame la princesse, vous avez bien voulu vous abonner, il y a deux ans à la revue Chantiers dont les numéros paraissent à de très longs intervalles1. un membre de notre groupe “pierre sire” vient de publier chez lemerre son premier roman L’homme à la poupée 2 i l m’a demandé s’il pouvait s’auto riser de votre bienveillance pour notre revue pour vous envoyer un exem plaire de son livre, vous manifester ainsi, en notre nom à tous, que notre activité se poursuivait et que nous vous étions bien reconnaissants d’avoir voulu la favoriser.

J’ai pris sur moi de lui affirmer que cet hommage serait pris en bonne part. Je vous écris pour m’excuser de mon audace.

Croyez-moi, madame la princesse très respectueusement à vous Joe Bousquet Lettre 132.

1 la revue littéraire carcassonnaise Chantiers, dirigée par René nelli et animée par Joe Bousquet (secrétaire de rédaction), publia huit numéros entre avril 1928 et mars 1930.

2 Joe Bousquet chercha vivement à faire connaître ce livre, comme l’indique une lettre écrite le même jour à Colette : « un de mes amis, pierre sire (Caillau – aude) vient de publier, chez lemerre L’Homme à la poupée. ignorant un peu quelle était l’étendue des libertés que lui accordaient les convenances, il est venu me parler un peu de la profonde admiration qu’il avait pour votre œuvre, et me demander s’il pouvait s’autoriser de sa qualité d’écrivain débutant pour vous en offrir un exemplaire. J’ai rassuré cette candeur touchante. mais j’ai voulu qu’elle garde en vous atteignant sa véritable ingénuité. aussi, me suis-je permis, madame, de vous écrire. Je ne vous dis pas que je vous recommande ce livre. Je me permets de vous affirmer qu’il est de ceux que vous pourrez aimer » (Centre d’études Colette, lettre reproduite sur le site http://www.centre-colette.fr, consulté le 10/03/2015).

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paul Clau Del (1868-1955) 133.

Paul Claudel à Marguerite Caetani1

10 mai 1925 madame

Comme je l’ai écrit à mon ami valéry je serai très heureux d’accepter votre aimable invitation et de faire plus ample connaissance avec Commerce. si vous n’y voyez pas d’inconvénients je préférerais le samedi 16 au lieu du vendredi 152

veuillez agréer, madame, avec mes remerciements, mes respectueux hom mages.

p. Claudel

Lettre 133.

1 lettre avec adresse imprimée : 80 rue de passy (xvi e), accompagnée d’une enveloppe postée de paris le 10 mai 1925 et adressée à : marguerite gaetani princesse Bassiano, villa Romaine, versailles, s. & o.

2 Claudel vint déjeuner à versailles pour la première fois le samedi 16 mai 1925 (puis le dimanche 31 mai).

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Paul Claudel à Marguerite Caetani1

28 mai 1925

Chère madame en arrivant d’italie je trouve vos deux aimables lettres. Comme ma femme a dû vous le téléphoner je viendrai avec grand plaisir Dimanche. J’apporterai avec moi la maquette du “vieillard sur le mont omi”2. Quel bonheur si vous avez pu trouver du papier Coréen ! Je voudrais causer de la réalisation pratique avec vous, mais avec vous seule, car, comme vous savez, un artiste n’aime pas à montrer ce qu’il fait avant la complète exécution.

Quelle joie et presque quel saisissement m’ont causé ces numéros de La Vogue que vous avez eu la délicate pensée de m’envoyer3 ! i ls m’ont fait remonter à quarante ans en arrière, à ce moment de ma jeunesse où toute ma vie s’est décidée ! Je vous remercie du fond du cœur, et en échange je vous apporterai quelques curiosités bibliographiques.

veuillez agréer, chère madame, mes hommages respectueux p. Claudel

Lettre 134.

1 la lettre (avec adresse imprimée : 80, rue de passy xvi e) est accompagnée d’une enveloppe postée de paris le 28 mai 1925 et adressée à : princesse Bassiano, villa Romaine, versailles, s. & o.

2 paul Claudel, « le vieillard sur le mont omi », Commerce, iv, printemps 1925, p. 7. i l s’agit de la première des cinq contributions du poète à la revue, au format hors norme : le poème est présenté sur une grande page repliée.

3 La Vogue est une revue littéraire hebdomadaire de la fin du X i Xe siècle, d’orientation symboliste. son premier numéro, qui parut en avril 1886, sous la direction de gustave Kahn et léo d’orfer, bientôt remplacé par Félix Fénéon, publia notamment mallarmé, verlaine et Rimbaud. la parution cessa au bout de 31 numéros mais le titre fut repris plusieurs fois, de manière éphémère, en 1889 puis en 1899.

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135.

Château de lutain par Cellettes (loir et Cher) 1 août 1925

Chère madame, Je suis bien en retard pour vous remercier de la forme tout à fait réussie que vous avez donnée à ma planche de petits poëmes, que voici désormais affichés pour l’éternité 2 ! un poète est toujours si heureux d’être réalisé de cette manière intelligente. i l est probable d’ailleurs que nous allons causer pas mal d’étonnement. les gens sont en général si solennels, si sérieux, si peu disposés à comprendre qu’un poète a besoin de temps en temps de se détendre par quelques grimaces et gambades. même dans la fantaisie on n’a pas le droit de sortir des formes et des sujets surratifiés par l’usage ! i l est probable que vos lecteurs ne se douteront pas que dans le sectionnement typographique bizarre de certains mots j’ai été inspiré par shakespeare qui dans ses dernières pièces a pratiqué l’enjambement d’une manière si curieuse. en arrêtant le mot violemment on fait suspendre tout le sentiment qui s’y trouvait contenu, en le sectionnant en pleine chair on provoque une espèce d’hémorragie du sens. on provoque l’intervention active du lecteur qui est en général plongé dans une espèce de demi sommeil. De même en coupant le poème au beau milieu et en en suspendant les morceaux de tous les côtés, on le met en quelque sorte sur les bras du lecteur qui cherche affolé à trouver l’endroit où il pourra se débarrasser de cette charge mutilée et tressautante3.

Lettre 135.

1 lettre avec adresse imprimée (80, rue de passy), accompagnée d’une enveloppe adres sée à : madame la princesse Bassiano, villa Romaine, versailles, s. & o.

2 « le vieillard sur le mont omi », voir lettre précédente.

3 paul Claudel reprendra ces idées dans « Réflexions et propositions sur le vers français » que L a NRF publie en octobre et novembre 1925. Dans la première partie, nous pouvons lire ainsi : « si par exemple au lieu d’écrire la Clo-che, j’écris la C-loche. (…) voilà le lecteur à qui on met sur les bras ce corps mutilé et tressautant et qui est obligé d’en prendre charge jusqu’à ce qu’il ait trouvé le moyen de recoller cet isis typographique » (La NRF, octobre 1925, p. 421).

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merci aussi pour Mardi que je me prépare à lire avec délectation. mais c’est Moby Dick dont j’avais pensé à traduire des passages pour Commerce4 . veuillez agréer, madame, mes respectueux hommages. p. Claudel

Je prépare une nouvelle édition assez curieuse du “vieillard sur le mont omi” pour Ronald Davis5, si gallimard y consent.

[Noté en tête de la lettre, sur le côté gauche :] nous serions tous si heureux de vous voir à lutain, ainsi que le prince.

136.

Paul Claudel à Marguerite Caetani1

Château de lutain par Cellettes (loir et Cher) 7 sept. 1925

Chère madame

Je suis bien touché de votre aimable lettre et me réjouis de l’idée de vous revoir dès mon retour à paris. mes enfants seront tout à fait enchantés de faire connaissance avec les vôtres. Quel dommage que ce Fabulet ait défloré ce magnifique sujet “herman melville”2 ! J’ai préparé une très curieuse édi tion du “vieillard” mais je ne puis tirer une réponse de gallimard.

4 herman melville, Mardi (1849) et Moby-Dick (1851). paul Claudel renoncera finale ment à ce projet de traduction et Commerce ne publiera aucun texte de melville.

5 Ronald Davis s’occupa un temps de la gestion de la revue après la démission d’adrien ne monnier, jusqu’au huitième cahier. Davis était un petit éditeur indépendant, qui publia, entre 1920 et 1931, une trentaine de livres à tirages limités, notamment de Claudel, Jarry, Rimbaud et valéry.

Lettre 136.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe adressée à : madame la princesse Bassiano, Bénerville par Blonville, Calvados.

2 louis Fabulet (1862-1933), l’un des principaux traducteurs français de l’œuvre de Kipling. i l a également traduit Walden ou la vie dans les bois de t horeau. nous ne savons pas à quelle traduction de melville Claudel fait allusion ici.

veuillez agréer, chère madame, mes respectueux hommages p. Claudel 137.

Paul Claudel à Marguerite Caetani

Château d’hostel en valromey par virieu-le- grand – a in – 23 sept. 1925

Chère madame

Je vous remercie de votre aimable lettre. Je rentre après-demain à paris, mais n’y serai pas d’une manière définitive avant le 15 octobre. Je me réjouis beaucoup de vous revoir, comme vous voulez bien aimablement m’en don ner la permission.

gallimard a définitivement permis à Ronald Davis de se charger de l’édi tion à tout petit nombre du Vieillard. Je crois que ce sera assez curieux.

Je suis bien obligé de vous avouer que l’idée de traduire herman melville a perdu pour moi beaucoup de son intérêt, depuis que Fabulet a défloré ce magnifique sujet. D’autre part la lecture des autres ouvrages de h m. a été pour moi une cruelle déception. Je n’ai pu aller jusqu’au bout.

J’espère pouvoir vous apporter une petite contribution pour le Commerce de Janvier.

veuillez agréer, chère madame, mes hommages respectueux et me rap peler au bon souvenir du prince. p. Claudel

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138.

Marguerite Caetani à Paul Claudel1

le 16 nov. [1926 ]

Cher grand poète, on m’a dit que vous étiez parti du Japon pour revenir en France et s’est seulement l’autre jour que j’ai appris par léger que ce n’était pas vrai 2 . Je sais que larbaud vous a déjà remercié au nom de Commerce pour ce beau poème que vous l’avez envoyé, mais je veux aussi vous envoyer mes remercîments profonds et reconnaissants et vous dire combien j’aime per sonnellement ce dialogue si plein de belles pensées et si vivant et varié et combien nous sommes tous fiers d’avoir encore une fois votre nom au som maire de Commerce et que vous nous ayez envoyé une si belle œuvre3.

J’espère que vous recevrez en même que cette lettre dix exemplaires de la revue et si vous désirez davantage ou si vous voulez m’envoyer une liste de services à faire ici je serais trop heureuse de faire ce que vous préférez. Resterez-vous très longtemps absent ? vous avez des amis ici qui trouve que s’est déjà bien longtemps comme ça. veuillez agréer cher maître l’expression de ma reconnaissance émue et sincère

marguerite Caetani di Bassiano

Lettre 138.

1 Bibliothèque nationale, fonds Claudel. Deux feuillets avec adresse imprimée : villa romaine / av. d ouglas h aig / versailles (tél. 13-28).

2 paul Claudel a été ambassadeur au Japon de 1921 à février 1927.

3 paul Claudel, « le poëte et le shamisen », Commerce, i X, automne 1926, pp. 7-40.

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ançaise

139.

Paul Claudel à Marguerite Caetani1

W. le 12 décembre 1928

Chère madame

J’ai bien reçu votre aimable lettre du 27 octobre. i l est possible que je sois en état de vous envoyer quelque chose et même d’assez long pour Commerce, mais ce ne serait pas prêt avant la fin de 1929.

Croyez, je vous prie, chère madame, à mes sentiments les plus sincère ment dévoués

p. Claudel

140.

Paul Claudel à Marguerite Caetani1

W. le 19 avril 1929

Chère madame

J’ai bien reçu votre aimable lettre du 29 mars dernier et vous remercie du chèque de $195.00 qui m’a été adressé par Commerce. Je vous retournerai

Lettre 139.

1 lettre à en-tête de l’a mbassade de France aux États-unis, accompagnée d’une enve loppe postée de Washington D.C. le 12 décembre 1928 et adressée à : princesse marguerite de Bassiano, villa Romaine, avenue Douglas haig, versailles, s. & o., France l’adresse a été barrée et la lettre envoyée à : villa Caldana, Californie (Cannes). Cachet postal de versailles : 24 décembre 1928.

Lettre 140.

1 lettre à en-tête de l’a mbassade de France aux États-unis, accompagnée d’une enve loppe postée de Washington D.C. le 19 avril 1929 et adressée à : madame la princesse de Bassiano, villa Romaine, avenue haig, versailles, s. & o., FR anCe . Cachet postal de versailles : 30 avril 1929.

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les épreuves de “Dimanche” par le prochain courrier2. Je suis très sensible à l’appréciation que vous faites de ma collaboration et ne demande pas mieux, dans la mesure du possible, que de vous réserver chaque année un morceau important. veuillez agréer, chère madame, mes respectueux hommages p. Claudel

141.

Paul Claudel à Marguerite Caetani1

Washington 16 sept. 29

Chère madame

Je suis vivement touché de votre lettre amicale et ne demanderais pas mieux que de vous être agréable. malheureusement, à supposer que Christophe Colomb, qui a plutôt le caractère d’un livret que d’un livre, se prêtât à une publication partielle, il n’a plus complètement l’attrait de l’inédit car une édition de scène va sortir incessamment à l’universal de vienne 2. Je suis donc désolé de ne pouvoir vous donner satisfaction et vous prie d’agréer, chère madame, mon meilleur souvenir et mes respectueux hommages p. Claudel

2 i l s’agit de sa contribution au cahier X i X du printemps 1929, « Conversations dans le loir-et-Cher », pp. 7-81. l’extrait publié par la revue est la « seconde conversation », intitulée « Dimanche ».

Lettre 141.

1 lettre à en-tête de l’a mbassade de France aux États-unis.

2 paul Claudel, Christophe Colomb, vienne, universal edition, 1929. le poète publiera tout de même « le livre de Christophe Colomb » dans le cahier XX i de l’automne 1929, pp. 7-98.

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RoBeRt Desnos (1900-1945) 142.

Marguerite Caetani à Robert Desnos

villa Romaine versailles le 5 octobre [1931] monsieur

Je vous prie de me renvoyer les épreuves corrigées. Je suis très heureuse de voir paraître « siramour » dans Commerce1 . Bien cordialement à vous

marguerite de Bassiano

Je vous prie de faire toutes les corrections de mise-en-page que vous désirez

Lettre 142.

1 Robert Desnos, « siramour », Commerce, XX viii, été 1931, pp. 167-196. le numéro parut au mois d’octobre ; ce fut la seule contribution de Desnos à la revue.

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pieRR e DR ieu la RoChelle (1893-1945) 143.

Pierre Drieu La Rochelle à Marguerite Caetani1 [Été-automne 1926 ?]

Jean paulhan avait pris cette première partie pour La NRF, mais il ne pou vait en commencer la publication qu’en Décembre. souhaitant publier mon livre plus tôt, je l’ai donc prié de me rendre le manuscrit.

Ce livre doit être présenté au jury de L’ Europe nouvelle à la fin d’octobre, sur les bonnes feuilles que m. gallimard tiendra prêtes, à ce moment 2 . au cas où ces pages pourraient paraître convenables pour Commerce, on pourrait n’en retenir qu’une partie, et le reste passerait dans La NRF d’oc tobre où je dois donner en tous cas un fragment3

Ces pages pourraient aussi remplacer “les Bords de la seine” qui ont été adressées à Commerce, il y a quelque temps 4 . pierre Drieu la Rochelle 70, rue st louis en l’i le Danton 79-64

Lettre 143.

1 i l manque le premier feuillet.

2 i l pourrait s’agir du Jeune Européen paru en 1927 chez gallimard, et dont Drieu publia un fragment dans Commerce : « le Jeune européen », i X, automne 1926, pp. 87-104. Ce sera sa seule contribution à la revue. mais Drieu présenta plusieurs livres, sans succès, au prix annuel de la revue L’Europe nouvelle (1918-1940) fondé en 1926 – notamment Genève ou Moscou (paris, gallimard, 1928).

3 en 1926, Drieu ne publia rien dans La NRF. voir lettre 29.

4 la nouvelle « les Bords de la seine » parut dans La Revue Européenne en décembre 1928.

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anDRÉ gi De (1869-1951)

144.

André Gide à Marguerite Caetani1

vendredi. [21 octobre 1921]

madame paul valéry me transmet votre aimable invitation, que j’accepte avec un grand plaisir. Je serai d’autant plus heureux de vous revoir qu’il est assez probable que j’irai passer à Rome quelques mois de cet hiver2. mardi donc je vous présenterai de vive voix mes hommages. veuillez croire à mes sentiments bien dévoués

a ndré gide.

145.

André Gide à Marguerite Caetani1

[25 décembre 1921] hélas, princesse, c’est un regret que m’apporte votre très aimable lettre. avec quel plaisir j’eusse accepté votre invitation ! mais c’est à Cuverville que

Lettre 144.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée le 21 octobre 1921 et adressée à : madame la princesse de Bassiano, villa Romaine, avenue Douglas haig, versailles (cachet du 22 octobre).

2 gide partit en effet pour Rome le 30 octobre.

Lettre 145.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe (à en-tête des Éditions de la n RF) postée le 25 décembre 1921 et adressée à : madame la princesse de Bassiano, villa Romaine, avenue Douglas haig, versailles (cachet du 26 décembre).

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je pense passer ces quelques jours derniers et premiers de l’année 2 . au demeurant accablé de travail et ne sachant comment faire face à tout ce que je voudrais et devrais faire. veuillez présenter au prince mes souvenirs les meilleurs et croire à mes sentiments bien respectueux et dévoués a ndré gide

146.

André Gide à Marguerite Caetani1

vendredi [9 mai 1924]

princesse, le Cinnamon a fait merveille – au point que je me suis cru tout aussitôt guéri. sorti trop tôt, j’ai repris froid et me voici plus empêché qu’avant. Je vous supplie de m’excuser si je ne me joins pas au groupe si amical qui, demain, doit se rallier autour de vous. Je m’en désole et voudrais que pour tant vous me sentiez des vôtres, de tout cœur et de tout esprit, mais toussant, éternuant, frissonnant je ne me sens vraiment pas présentable. même pas en état d’aller à la n RF faire le service de mon nouveau livre, qu’il me tarde de vous envoyer2. mon amitié pour valery larbaud et Fargues, mon grand désir de vous être agréable m’ont poussé à acquiescer aussitôt aux intéressants projets qu’ils sont venus m’exposer l’autre matin. Je voudrais en reparler avec eux. J’ai depuis revu Jacques Rivière, qui, vous le savez sans doute, vient d’être très ignoblement insulté par le grossier personnage qu’est henri Béraud 3. Je ne lui

2 Cuverville, commune de haute-normandie où sa cousine et épouse madeleine vécut de 1900 à sa mort en 1938. gide, qui n’y vécut que par intermittence, y sera lui-même inhumé en 1951.

Lettre 146.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée de paris le 9 mai 1924 et adressée à : princesse de Bassiano, villa Romaine, avenue Douglas haig, versailles

2 gide publia deux livres chez gallimard en 1924 : Incidences (achevé d’imprimer le 8 avril, et dont il est sans doute question ici) et Corydon.

3 l’écrivain et journaliste henri Béraud (1885-1958) venait de publier un pamphlet intitulé La Croisade des longues figures (Éditions du siècle, 1924), dans lequel il s’en prenait au groupe de La NRF

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ai point parlé de ces projets, craignant, au moment même où je suis le plus désireux de lui marquer ma très fidèle sympathie qu’il ne s’affectât très dou loureusement de ce qu’il ne pourra considérer que comme une désertion4… Je voudrais lui épargner cette tristesse, qu’il mérite si peu ; et cela me fait réfléchir. veuillez, princesse, accepter mes respectueux hommages et croire à mes sentiments bien dévoués.

a ndré gide.

147.

André Gide à Marguerite Caetani1

samedi soir. [ juin ? 1926 ]

princesse

Je reçois de vous, coup sur coup (renvoyées de partout) des lettres exqui ses, et qui m’emplissent de confusion. Je voudrais tant pouvoir prouver mes sentiments, qui sont excellents, je vous assure, et même un peu tendres – les prouver autrement que par des protestations. i l est vrai que, par zèle, j’ai dit à valéry mon désir de donner à Commerce des pages que je pensais pouvoir extraire de la partie inédite de Si le grain ne meurt2. Je viens, pour vous, de la relire. hélas ! je ne vois rien, rien, rien, qui se puisse détacher de l’ensemble sans perdre tout intérêt réel, toute signification. Que faire ? mes notes de voyage3 ? il n’y faut pas songer. il me faut complètement les revoir, les récrire. si je vois la possibilité d’en distraire pour Commerce quoi que ce soit, je le ferai bien volontiers ; mais je ne puis le faire aussitôt. De plus,

4 Ce n’est qu’après la disparition brutale de Jacques Rivière, en février 1925, qu’a ndré gide collabora à Commerce, dont la création est ici évoquée. la première de ses trois contri butions a été publiée à l’automne 1926.

Lettre 147.

1 Cette lettre se trouve à la Fondation saint-John perse.

2 l’édition définitive du récit autobiographique de gide, Si le grain ne meurt, parut en 1926 aux Éditions de la n RF.

3 De juillet 1925 à mai 1926, gide voyage au Congo et au tchad avec marc a llégret. i ls rentrèrent à paris au début du mois de juin. gide publiera Voyage au Congo : carnets de route en 1927 (Éditions de la n RF).

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je crains qu’elles n’aient aucun, presque aucun, intérêt littéraire et qu’elles ne paraissent, dans Commerce, parfaitement déplacées. ajoutez à cela que je suis éreinté et que je ne sais où donner de la tête devant le formidable « arriéré » que je trouve à mon retour en France. Je voudrais qu’on ne me sût pas de retour. Je me cache. Je disparais. et je vous supplie néanmoins de ne point douter de mes sentiments bien fidèles. veuillez me rappeler au bon souvenir du prince et me croire, bien respectueusement votre a ndré gide

[En marge, sur la gauche et en tête du recto du feuillet :] p.sc. oui certes, n’hésitez pas à sonner à ma porte si le cœur vous en dit. venant de versailles, et gagnant paris, la villa montmorency se trouve sur votre route – et je serais très heureux de vous introduire dans mon antre, temple du désor dre et de l’inconfort4. mais si j’étais sorti vous trouveriez porte close – car je vis ici sans aucune aide domestique – avec mon compagnon de voyage qui développe dans une office films et clichés, tandis que je vous écris. Je n’ai pu trouver encore un instant pour déballer ma « petite vitesse » – et devant cet encombrement, vous comprendrez mieux mon retrait, m’excuse rez – et même me plaindrez un peu.

148.

André Gide à Marguerite Caetani

Chablis. 22 août. [1926 ]

princesse, votre lettre court après moi depuis le 6 août. Comment faire excuser ce retard, sinon en vous envoyant aussitôt cette “copie” que je ne vous ai que trop fait attendre. a insi que vous pourrez vous en rendre compte lorsque vous en prendrez connaissance, il ne m’était pas possible de fragmenter la relation de mon voyage, et d’autre part il ne me paraissait pas décent de ne vous donner qu’un fragment. les pages que je vous envoie forment un tout ; elles sont

4 gide habita villa montmorency de février 1906 à début août 1928.

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d’un ton presque extra-littéraire qui surprendra peut-être vos lecteurs – mais ne vous déplaira pas, je l’espère1. si l’usage de Commerce est de régler aussitôt, vous seriez bien aimable et me rendriez service en m’envoyant la somme promise, à l’abbaye de pontigny

Yonne

C’est un de mes regrets de n’avoir encore pu vous revoir. veuillez le dire au prince et accepter avec mes hommages l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Respectueusement votre a ndré gide.

149.

André Gide à Marguerite Caetani

pontigny 4 sept. 26

Chère princesse, Dix-huit cents mercis pour le chèque et plus encore pour l’aimable let tre qui l’accompagne. Des épreuves m’atteindraient à l’hotel terminus de marseille, si elles ne se font pas trop attendre ; et je les renverrais aussitôt. mais passé le 15, embarqué sans doute pour la tunisie, je résignerais tout espoir de les pouvoir corriger à temps pour octobre, et compterais sur le zèle des protes et de votre correcteur. avec le grandissant espoir de vous revoir bientôt. veuillez recevoir mes respectueux hommages et mes sentiments très affectueux. a ndré gide.

Lettre 148. 1 « Dindiki », i X, automne 1926, pp. 43-59. Dindiki désigne un petit singe. voir plus haut, lettre 23.

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150.

André Gide à Marguerite Caetani1

tunisia palace tunis 15 sept. 26

Chère madame les épreuves corrigées vous atteindront-elles à temps ? pour plus de rapi dité, je me permets de les envoyer directement à l’imprimeur. extrêmement heureux de savoir que ces pages vous ont plu – et vous me le dites d’une manière à quoi je vous prie de me croire très sensible. soyez assurée, je vous prie, de mon respectueux et très particulier dévoue ment. a ndré gide.

151.

André Gide à Marguerite Caetani1

Cuverville 12 octobre [1926 ]

Chère madame, marc a llégret, mon compagnon de voyage au Congo (vous me permettrez de vous le présenter un jour2 ?) me renvoie de paris votre aimable dépêche.

Lettre 150.

1 avec enveloppe postée de tunis et adressée à : madame princesse de Bassiano, villa Romaine, avenue Douglas haig, versailles, seine et oise l’adresse est biffée, on a écrit à la place : villa st nicolas, Benerville par Blonville (Calvados). Cachet de Blonville du 21 sep tembre 1926.

Lettre 151.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée de Criquetot le 13 octobre 1926 et adres sée à : princesse m. de Bassiano, villa Romaine, avenue Douglas haig, versailles.

2 marc a llégret (1900-1973), photographe et réalisateur, avec qui gide entretint une grande relation amoureuse puis amicale.

Revoir Rudolf Kassner !! Quel événement ! mais il faut remettre à plus tard – à mon retour à paris… très prochain 3 .

J’attends l’apparition de Commerce avec une grande impatience – et avec une non moins grande le grand plaisir de vous revoir. veuillez, je vous prie, me rappeler au bon souvenir du prince (des échos de son succès m’ont atteint jusqu’en tunisie) et croire à mes sentiments bien respectueusement dévoués.

a ndré gide.

152.

André Gide à Marguerite Caetani

21 avril 28.

Chère madame, paulhan m’avait déjà pressenti et fait espérer votre aimable lettre… oui, collaborer au prochain numéro de Commerce… Ce serait bien volontiers ; mais je ne vois pas au monde ce que je pourrais vous donner. Rien de prêt ; et je n’ose me distraire du livre que je prépare et qui réclame tous mes soins. si pourtant, avant la fin du mois je voyais se dessiner quelque chose, je vous en aviserais aussitôt. veuillez me rappeler au bon souvenir du prince et croire à l’assurance de mon respectueux et fidèle dévoûment. a ndré gide.

3 gide connaissait Rudolf Kassner, qui avait traduit en allemand son Philoctète (leipzig, i nsel-verlag, 1904), depuis 1900. i ls se retrouvèrent chez Charles Du Bos le 19 octobre (voir Les Cahiers de la Petite Dame, tome i : 1918-1929, paris, gallimard, 1973, p. 289).

CoRR espon DanCe FR ançaise196

153.

André Gide à Marguerite Caetani

1bis rue vaneau viie 8 août 28

princesse, i l sied d’être plein d’indulgence pour un malheureux qui déménage, qui, depuis son retour à paris, vit entre deux domiciles, parmi des caisses et des paquets, dans un hourvari indicible1.

Je ne puis consentir à envoyer à Commerce des pages dont je ne serais qu’à moitié satisfait. Je suis heureux que la traduction de pouchkine vous ait plu 2 ; vous êtes exquise de me le dire ainsi. mais je voudrais en être plus satisfait moi-même. Revoyant les épreuves, pour la publication en volume, j’y ai trouvé encore beaucoup à reprendre hélas ! et me désole de vous avoir livré un texte aussi mal léché.

Dans quelques jours pourtant, j’espère être à peu près délivré des soucis matériels et pouvoir me remettre au travail. si je parviens à mettre en état quelques pages, je vous les enverrai tout aussitôt. mais, je vous en prie ne comptez pas sur elles pour une date fixe : rien n’arrête ma plume plus sûre ment que la pensée d’une échéance. Ce qui me presse bien davantage, c’est le désir de vous être agréable. Donc ne doutez pas de mon zèle, et veuillez accepter, princesse, mes respectueux hommages et l’assurance de mon bien cordial dévouement. a ndré gide.

Lettre 153.

1 gide quitta en effet la villa montmorency pour emménager au 1 bis rue vaneau. 2 a lexandre pouchkine, « le Coup de feu », traduit du russe par a ndré gide et Jacques schiffrin, Commerce, X vi, été 1928, pp. 55-81.

maRgueRite
Caetani et les auteuRs FRançais
197

154.

André Gide à Marguerite Caetani1

24 Décembre 1928

Chère madame,

Je reçois avec joie votre bonne dépêche, et vous envoie tout aussitôt le texte de mon montaigne2 ; avec certaine crainte : j’en avais bien pris un double, il est vrai, mais j’ai apporté tant de remaniements à ce texte qu’il est devenu mécon naissable ; et je me trouverais fort embarrassé si cette copie se perdait.

J’espère que l’imprimeur saura s’y reconnaître à travers l’embrouillamini des menus béquets et rajouts. J’espère que ceux-ci ne vous gêneront point trop, si vous même souhaitez me lire.

Je vous le redis encore : je comprendrais fort bien que mon texte pût vous déplaire, et que vous préfériez ne pas le donner dans Commerce tout en croyant fermement avoir donné de montaigne un portrait véritable, la ressemblance même de ce portrait, et la hardiesse de cette libre pensée, risquent de heurter nombre de personnes, dont certaines nous sont très chè res… à commencer par vous-même, peut-être. encore que j’aie cru devoir assez souvent le faire, hélas, il m’a toujours été très pénible de scandaliser.

puis-je espérer que l’imprimeur ne me fera pas attendre trop longtemps les épreuves ? la correction de celles-ci en devra être très minutieuse ; à cause de l’orthographe du vieux français que je voudrais respecter. Je vou drais donc avoir le temps de les revoir très soigneusement. et j’aurais besoin de ce texte qui doit, après la publication dans Commerce, figurer dans l’h is toire de la littérature, de la n RF3.

J’aurais eu grand plaisir à vous revoir dans le m idi, répondant à votre aimable appel. mais si je me laisse emporter southward, ce sera pour m’em

Lettre 154.

1 lettre dactylographiée (seule la signature est manuscrite). en-tête : 1bis, rue vaneau. viie littré 57-19.

2 a ndré gide, « montaigne », Commerce, X viii, hiver 1928, pp. 7-48.

3 i l s’agit du Tableau de la littérature française (de Rutebeuf au X i Xe siècle), où un écri vain vivant rendait hommage à un grand aîné. les historiens de la littérature étaient écar tés. Ce projet d’anthologie, lancé en 1928 par le nouveau directeur artistique de la maison gallimard, a ndré malraux, ne vit le jour qu’en 1939, avec la parution d’un premier tome, préfacé par a ndré gide, qui y donne en effet son « montaigne ». Deux autres volumes suivront, en 1962 et 1974.

CoRR espon DanCe FR ançaise198

barquer aussitôt à marseille : je viens de louer un appartement à a lger pour la mi-janvier.

notre ami Jean paulhan vient d’être assez malade, vous le savez peutêtre. on parlait d’un furoncle dans l’œil, ce qui nous inquiétait beaucoup. i l est resté nombre de jours sans pouvoir écrire ni lire. Je crois, heureusement, qu’il commence à aller beaucoup mieux.

veuillez croire, Chère madame, à l’assurance de mes sentiments respec tueux et dévoués.

a ndré gide.

p.sc.1. – pour les citations de montaigne, j’ai indiqué les références d’après la petite édition Jouaust en 7 volumes, ainsi qu’il y a lieu de le dire4. Ces réfé rences seraient à indiquer, il me semble, non point dans le corps du texte (ce qui l’alourdirait beaucoup), mais bien en note, ou, de préférence encore, me semble-t-il : en marge, ainsi que je l’ai fait moi-même la plupart du temps. ne croyez-vous pas ? i l y aurait lieu de l’indiquer dans une lettre à l’imprimeur – que je suis prêt à lui écrire, sur vos indications.

p.sc.2. – etant donné noël, le paquet que je voudrais recommander ne par tira que mercredi matin.

155.

André Gide à Marguerite Caetani1

29 avril 1929

Chère madame et amie, Combien je vous suis reconnaissant de la charmante insistance que vous avez mise, pour obtenir de moi cette visite à votre protégée. Je m’y prêtais à

4 l’imprimeur-éditeur Damase Jouaust (1834-1893), fondateur de la « librairie des bibliophiles », avait publié entre 1886 et 1889 une édition en sept volumes des Essais de montaigne, réimprimés sur l’édition originale de 1588, avec notes, glossaire et index par h motheau et D. Jouaust.

Lettre 155.

1 lettre dactylographiée, BlJD. i l s’agit donc d’un brouillon de lettre ou d’une lettre non envoyée.

199

contre-gré, comme à la lecture de ces manuscrits chaudement recommandés par quelque ami de l’auteur, et pour lesquels le jugement que l’on porte est dicté par la philanthropie bien plutôt que par la libre critique. oui, je crai gnais qu’il ne fût de même pour simone marye, et ce n’est pas sans appré hension que je sonnais à sa porte 2 . sitôt rentré, je fus pleinement rassuré. mon admiration pour les œuvres qu’elle m’a montrées, ma sympathie pour elle, ont été si vives que, dès le lendemain, j’ai voulu retourner chez elle, sous prétexte de lui apporter quelques photographies de nègres du Congo, désireux qu’elle comprît bien que cette fois ce n’était pas à cause de vous, mais bien à cause d’elle-même, que je venais. De tout mon cœur je vous remercie d’avoir si bien compris l’intérêt passionné que, nécessairement, je devais prendre à ses sculptures. Je m’attendais à des velléités, des ébauches, de méritoires tâtonnements dignes d’être encouragés… Je me suis trouvé devant des œuvres d’un art accompli, témoignant d’une intelligence profonde, d’une sensibilité à la fois robuste et exquise, profondément authentique et spontané, ne devant rien à la culture, aux influences et aux imitations, mais tout à la plus sincère ferveur et à l’amoureuse compréhension de l’objet.

me voici tout à la fois très désireux d’écrire ces quelques pages que vous souhaitiez, et bien embarrassé par la profonde estime que m’inspire simone marye : tout reportage pittoresque de journaliste est vraiment indi gne d’elle ; et j’aurais honte de parler de ce petit studio en désordre, de ce magasin encombré de vieux meubles charmants, de cet étroit jardinet peu plé d’animaux familiers, et c’est précisément là, pourtant, ce qui pourrait intéresser le public frivole et mondain qu’atteindrait la revue américaine qui publierait ces pages, et que feraient bailler des considérations artistiques, où du reste je craindrais de me montrer bien incompétent. simone marye ne trouverait-elle pas peu décent que j’aille informer ce public de ce que sa vie offre précisément de plus admirable, que nous ne connaissons que par confidences, et que la pudeur me retient d’étaler au grand jour. i l me semble qu’elle y pourrait voir un abus de confiance, et je suis trop soucieux de son estime pour m’y risquer. i l me semble du reste impossible que des œuvres si remarquables ne lui vaillent pas presque aussitôt la notoriété la plus méritée.

2 simone marye (1890-1961), sculpteur animalier, avait été découverte par a lexis leger. Reconnue dans les années vingt et trente, elle disparut ensuite des cercles artistiques. e lle souffrait de troubles mentaux et fut internée en hôpital psychiatrique. les dessins « bruts » qu’elle y réalisa à la fin de sa vie intéressèrent Jean Dubuffet. simone marye publiera les lettres que lui a adressées gide après la mort de ce dernier : Lettres à un sculpteur, précédées d’une lettre de Madame André Gide, paris, marcel sautier, 1952.

CoRR espon DanCe FR ançaise200

C’est vraiment la galvauder que d’organiser autour d’elle une réclame qui prendrait vite un fâcheux aspect de battage. ne voyez surtout pas, dans ce que j’en dis, une « défaite », car je reste, néanmoins, très désireux de parler de simone marye, et déjà j’ai fait part de mon admiration à plusieurs personnes susceptibles d’admirer ses œuvres et de s’intéresser à elles. mon admiration est trop vive pour ne point me pous ser à l’aider de tout mon possible, et elle peut compter, désormais, sur mon plus affectueux dévouement. ne serait-il pas possible de vous revoir avant mon départ ? (Je pense ne quitter paris que vendredi ou samedi prochain) mais je serais heureux de reparler d’elle avec vous. veuillez croire, Chère madame et amie, à mon bien affectueux et respec tueux dévouement.

156.

Marguerite Caetani à André Gide1

villa Romaine le 18 mai [1929]

Cher ami les livres sont partis aujourd’hui et je pense avec un manuscrit de grenier qui appartient à paulhan 2 . si c’est le cas je vous serai très reconnais sante de me le renvoyer. Depuis vous avoir parlé de traduction je suis tour mentée à la pensée qu’une traduction peut priver Commerce d’une œuvre de vous-même ! – mais non n’est-ce pas ? – ça serait trop triste. mes meilleures amitiés

marguerite di Bassiano

Lettre 156. 1 BlJD. 2 l’écrivain et philosophe Jean grenier (1898-1971), qui collaborait à La NRF depuis 1927.

201

157.

André Gide à Marguerite Caetani1

paris, le 5 Juin 1929

Chère madame et amie, me voici de retour du m idi. J’ai bien reçu les petits livres que vous avez eu la gentillesse de m’envoyer. J’y ai pris un intérêt très vif, mais suis loin d’avoir achevé de les lire. vous êtes exquise de me dire que vous n’osez sou haiter trop que j’entreprenne la traduction de l’un d’eux, et d’attacher plus de prix à mon travail personnel qu’à une traduction que je ne pourrais faire qu’au détriment de celui-ci. si j’ai bien compris ce que vous me disiez au sujet du petit article sur simone marye que je vous avais envoyé, je n’ai pas à m’occuper moi-même du placement de cet article, et n’ai qu’à attendre patiemment des épreuves de la revue où vous jugerez opportun de le faire paraître avec reproduction de photographies2. mais ai-je besoin de vous dire que je me tiens à votre entière disposition pour toute démarche qu’il y aurait lieu de tenter… votre bien cordialement et respectueusement dévoué, a ndré gide.

Lettre 157.

1 lettre dactylographiée (avec signature manuscrite). une copie se trouve à la BlJD.

2 Cet article de gide sur simone marye parut dans le numéro de juin 1929 de la revue mensuelle L’ Amour de l’art, pp. 208-212.

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158.

André Gide à Marguerite Caetani1

Djerba 26 nov. 30

Chère amie (puisque vous me permettrez de vous appeler ainsi) vous aurez reçu n’est-ce pas ma dépêche. Je voudrais tant qu’elle ne vous ait pas impatienté. mais j’avais bien prié groet et a lix g. de vous redire que je ne pourrais apporter la “dernière main” à mon Œdipe que sur épreuves, et que je demandais pour cela tout mon temps2. Je n’ai pu encore voir les épreuves des dernières pages ; et celles du début, portant mes remaniements, sont restées entre les mains d’un ami, à marseille… où je pense rentrer dans une quinzaine de jours. J’écrirai, à cet ami de marseille, de vous les faire par venir, si d’ici là je reçois la fin que je vous renverrais aussitôt. mais, malgré le soin de votre excellent imprimeur, j’ai si grand peur des confusions (il y a eu, au milieu du 2e acte un important remaniement – deux ou trois pages dactylographiées envoyées à groet en remplacement des précédentes et pour lesquelles j’attends également des épreuves) que je crois souhaitable de revoir l’ensemble.

Que je suis heureux de pouvoir apporter mon meilleur à Commerce, en reconnaissance de votre exquise amabilité. votre respectueusement et attentivement devoué a ndré gide.

Lettre 158.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée de Djerba le 2 décembre 1930 et adressée à : princesse de Bassiano, villa Romaine, avenue Douglas haig, versailles, france.

2 « Œdipe », XX v, automne 1930, pp. 7-83.

maRgueRite
Caetani
et les auteuRs FRançais 203

159.

André Gide à Marguerite Caetani1

Cuverville 30 sept. 31

Chère amie,

Je crains que vous ne vous exagériez beaucoup l’importance de mes pages sur goethe ; néanmoins votre aimable insistance me touche et vous savez combien je tiens à cœur de vous être agréable ; mais je crains bien de ne pouvoir faire défaut à paulhan, si, comme je l’y encourage, il consacre un no spécial à goethe, à l’occasion de l’anniversaire de sa mort (de même que la Neue Rundschau à qui la traduction de ces pages est promise)2.

J’ai su par paulhan que vous alliez sans doute donner des proses de pierre herbart dont a lix guillain vous avait envoyé la dactylographie ; et je m’en réjouis beaucoup3.

Je rentre à paris vendredi prochain ; pour peu de jours ; mais j’espère beaucoup trouver l’occasion de vous revoir… enfin. veuillez accepter mes hommages (excuser cet affreux pâté 4) et croire à mon respectueux et affectueux dévouement.

a ndré gide.

Lettre 159.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe adressée à : princesse de Bassiano, villa Romaine, avenue Douglas haig, versailles. Cachet postal de versailles : 1er octobre 1931.

2 a ndré gide, « goethe », La NRF, mars 1932, pp. 368-377.

3 aucun texte de pierre herbart ne parut dans Commerce. paulhan considérait le protégé de gide, et émule de Cocteau, comme un piètre écrivain. « Je ne dirai pas que ces nouveaux poèmes me paraissent détestables ; mais inutiles, sans aucun doute », écrit-il à gide le 20 septembre 1931, en ajoutant que ce serait « un service à lui rendre que d’arrêter la publicaton des poèmes dans Commerce » (a ndré gide, Jean paulhan, Correspondance 1918-1951, paris, gallimard, 1998, p. 111). gide lui répond le 22 septembre : « J’ai grand peur que vous n’ayez raison au sujet des pages de pierre herbart » (p. 113).

4 une tache d’encre.

CoRR espon DanCe FR ançaise204

J ean giono (1895-1970)

160.

Jean Giono à Marguerite Caetani

29. Juin 28 madame

monsieur Jean paulhan me prie de vous adresser le manuscrit de mon livre : Colline, diminué de 40 pages, en vue de sa parution dans Commerce1 . J’apprécie hautement l’honneur qu’on me fait en me réservant une place dans cette revue. Dans un paquet qui suit ma lettre, vous trouverez Colline.

J’ai encadré de bleu, et barré les passages à supprimer. Je me suis efforcé de les choisir pour ne pas trop troubler le visage du livre. J’ai peur de n’y avoir réussi qu’en partie. en outre, je crois qu’il sera sage de s’en tenir au texte tel qu’il est dans le manuscrit que possède la maison grasset ; celui que je vous adresse aujourd’hui – pour faire vite – n’avait pas été revu, et ne comporte pas toute la série des corrections et des transformations que j’ai fait intervenir en dernier lieu.

J’attache une énorme importance à votre jugement, madame, je vous prierai de le porter sur l’ouvrage entier.

Daignez agréer l’expression de mon respect.

Jean giono

Lettre 160.

1

Jean giono, « Colline », X vi, été 1928, pp. 121-210. le roman paraîtra chez grasset en 1929.

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 205

161.

Jean Giono à Marguerite Caetani

saint Julien en Beauchêne 15/8. 28. madame, votre lettre m’a été remise au coin d’une forêt par le facteur des champs. nous avons dû fuir la terrible chaleur des plaines et nous sommes refugiés sur un escalier de montagne, ma fille, ma femme et moi, dans un village ruisselant de sources et de chants d’accordéons.

nous vous sommes extrêmement reconnaissants, madame, de la généro sité avec laquelle vous avez accueilli Colline. votre lettre tout entière était un message de joie et je vous remercie personnellement pour votre appréciation à laquelle j’attache une grande importance. Dès ma rentrée à manosque –20/8 – je chercherai dans mes cartons quelques contes pour Commerce. Je vous prierai, madame, puisque vous me le proposez si aimablement, de me faire adresser encore cinq exemplaires ; il y a un article de J. paulhan et un conte de pouchkine que je voudrai faire connaître à quelques-uns de mes amis.

l’événement avait été commémoré à la réception des nos de Commerce par une jatte de crème et une bolée de framboises offertes à la ronde ; votre lettre l’a été par l’achat d’une belle poupée montagnarde au corps de genti ane, pour la petite fille. veuillez croire, madame, à l’expression très respectueuse de ma sympathie.

Jean giono p. s. aucune difficulté pour le chèque.

CoRR espon DanCe FR ançaise206

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais

162.

Marguerite Caetani à Jean Giono

villa Caldana la Californie Cannes le 4 mars [1929]

Cher monsieur

Je pense que c’est bien mieux si vous vouliez répondre vous-même à cette let tre. vous feriez tant plaisir ! J’ai tant regretté de manquer votre visite à paris ! ne reviendrez-vous pas ? nous serons de retour à versailles en avril jusqu’au milieu de Juillet.

Quand aurez-vous un texte pour Commerce aussi beau que « Colline » ? J’ai sur la conscience de ne jamais vous avoir remercié pour un livre de vous que vous avez eu la gentillesse de m’envoyer. pardon et merci ! – Je serais très heureuse d’avoir vos nouvelles et de savoir à quoi vous travaillez en ce moment.

Bien sincèrement et cordialement à vous

marguerite de Bassiano 163.

Marguerite Caetani à Jean Giono

villa Caldana la Californie Cannes le 17 mars [1929]

Cher monsieur merci de votre très aimable lettre. J’aimerais bien voir « ebauches et fragments d’a ngiolina »1. voulez-vous me l’envoyer ici ? Je suis heureuse

Lettre 163.

1 Angiolina, ce roman auquel giono travailla en 1928, resta inachevé.

207

que vous désirez écrire une histoire pour Commerce mais j’aime tant Colline que j’aimerais bien que vous réserviez « printemps ou Comme l’herbe » à Commerce 2. C’est peutêtre dommage que Commerce n’aura pas tout le cycle de Colline mais je ne peux pas en vouloir à m. paulhan puis-ceque c’est à lui que je dois Colline 3 . nous avons un beau numéro de Commerce qui vient de sortir4. Je vous le ferai toujours envoyer.

J’espère que votre famille va bien. Bien cordialement à vous marguerite de Bassiano

164.

Marguerite Caetani à Jean Giono

villa Romaine versailles le 18 mai [1929]

Cher monsieur toutes mes excuses pour avoir gardé votre manuscrit si longtemps. merci de me l’avoir envoyé mais certes j’aime infiniment mieux Colline. i l me semble que vous êtes trop jeune et riche de vouloir penser ou d’avoir plaisir à retra vailler une ancienne chose. non ? Je serais très heureuse de savoir où vous en êtes dans votre nouvelle œuvre qui finira le cycle de Colline et qui sera destinée à Commerce ? gide m’a dit que le second volume est très beau.

J’espère que votre femme et votre petite fille vont bien et j’espère surtout vous connaitre tous un jour bientôt.

Je vous prie de me croire bien cordialement à vous marguerite di Bassiano

2

Printemps ou Comme l’herbe est un des titres que giono avait d’abord envisagés pour le roman Regain, qui s’inscrit, avec Colline et Un de Baumugnes, dans sa trilogie de pan. voir lettres 166 et 167.

3 La NRF publiera en feuilleton, du 1er août au 1er novembre 1929, Un de Baumugnes de Jean giono. Commerce ne donnera pas d’autre texte de l’écrivain. sur les rapports entre giono et La NRF, nous renvoyons à l’étude de Jacques mény, « giono et La NRF », Revue Giono, n° 3, a ssociation des a mis de Jean giono, 2009, pp. 141-180.

4 i l s’agit du cahier X viii de l’hiver 1928.

CoRR espon DanCe FR ançaise208

Marguerite Caetani à Jean Giono

villa Romaine versailles le 30 octobre [1929]

Cher monsieur

Je viens vous demander quand à peu près vous aurez fini l’œuvre que vous m’avez promise pour Commerce ?

Je ne voudrais pas que vous vous pressez le moins du monde, c’est seule ment pour savoir où vous en êtes – j’ai aimé excessivement Un de Baumugnes et je vois que vous êtes très loin d’être l’homme d’un livre comme certains ont prédit après avoir lu Colline ! – Fargue me dit que vous viendrez peutê tre passer quelques jours à paris cet automne. nous serons ici jusqu’au mois de Décembre et je serais bien heureuse de vous connaitre –a bientôt alors j’espère

Bien cordialement à vous

marguerite de Bassiano 166.

Marguerite Caetani à Jean Giono

palazzo Caetani via delle Botteghe oscure Rome le 17 fev. [1930]

Cher monsieur

J’ai lu votre livre avec le plus vif plaisir1. Je l’aime autant si non plus que Colline et plus que Un de Baumugnes c’est vous dire combien je l’aime. Je suis

Lettre 166.

1 Jean giono, Regain, grasset, 1930.

très heureuse de l’avoir pour Commerce. voyez-vous la possibilité de faire quelque coupure comme vous avez fait avec si bonne grâce pour Colline ?

J’étais bien tentée ces temps derniers de vous prier de venir passer quel ques jours à menton. gide était à Roquebrune chez les Bussy et groethuysen était ici chez nous. mais j’avais peur que le voyage soit bien ennuyeux et j’ai hésité et le temps est passé et maintenant nous partons demain pour Rome jusqu’au 15 avril à peu près quand nous retournons à versailles et alors j’espère sans faute vous connaître. Quand paraitra « le Regain » en livre ? Je pensais l’insérer dans notre cahier de printemps qui paraitra fin avril ou 1ère quinzaine mai. serait-ce bien ?

J’attendrai vos nouvelles à Rome. Je vous envoie à vous et les votres ma très profonde sympathie.

Bien cordialement à vous

mardi 25. 2. 30

madame, Je suis confus, et je crois que vous êtes bien indulgente. mais je suis très heureux de voir que vous aimez Regains. Je dis Regains au pluriel, et sans article parce que le premier titre avec l’article et le singulier me paraît trop étroit, à la réflexion. Bien sûr, il sera très possible de faire comme pour Colline des coupures. i l me suffira de savoir de combien de pages, environ, vous désirez que je réduise.

Regains ne paraîtra en volume qu’en octobre. Je crois donc que la paru tion dans le cahier de printemps irait parfaitement bien1. Je m’excuse de tout le décousu de ma lettre. Je ne vous dis pas assez combien votre opinion

Lettre 167.

1 la publication n’aboutit pas. C’est dans Europe que seront publiés des extraits du livre avant sa parution.

CoRR espon DanCe FR ançaise210

m’est précieuse et réconfortante. C’est la première sur Regains. vous êtes la première à le lire et à m’en parler. Je me sens un peu plus assis.

i l m’aurait été certes fort agréable d’aller vous voir à menton mais j’avais ces temps derniers un peu de soucis. J’étais à la recherche d’un logement. enfin, toute la famille s’est unie, et je viens d’acheter une petite, minuscule, maison de campagne à manosque à 300 mètres de la ville, sur un coteau et les soucis sont près de finir. i l est vrai qu’il reste encore le déménagement, mais cela fait le 6e depuis 10 ans. Je finis par avoir une certaine habileté.

La Revue de Paris vient de donner de moi (no de Février) la présentation de la trilogie : pan soit Colline. Un de B. Regains2. Je m’excuse de n’avoir pu vous adresser cet article mais la R. de P. ne m’a fait un service que de 2 exem plaires. toutefois, grasset va tirer de présentation de pan une plaquette de luxe que je vous demanderai la permission de vous offrir. veuillez croire, madame, à notre profonde sympathie.

Jean giono

2 Jean giono, « présentation de pan », La Revue de Paris, 15 février 1930, pp. 793-822. le texte sera publié chez grasset (dans la collection « les a mis des Cahiers verts ») en juin 1930.

211

J ulien gR een (1900-1998) 168.

Julien Green à Marguerite Caetani1

24 septembre 1927.

16 Rue Cortambert paris. 16 e madame, i l y a plus d’un an déjà, Jean paulhan m’a dit que vous seriez disposée à m’accueillir dans votre belle revue. a cette époque, j’écrivais Adrienne Mesurat et je n’avais rien d’assez court à vous présenter mais je m’étais bien promis de vous donner la première nouvelle que j’écrirais après mon roman. Je viens d’en finir une que je vous enverrai lundi ou mardi. Je serais extrê mement heureux si elle pouvait vous plaire. elle doit paraître en volume chez schiffrin et à ce propos j’ai une requête à vous adresser. schiffrin voudrait que le livre parût à la fin de l’année, je crois même qu’il parle de novembre ; dans tous les cas il me prie de vous demander si vous ne pourriez pas publier cette nouvelle, au cas où vous l’en jugez digne, dans le prochain numéro de Commerce. vous allez nous trouver bien exigeants et je vous supplie de m’en excuser. ma nouvelle s’appellera sans doute : “secrets de famille”, et elle a cinquante pages dactylographiées2.

Je n’ai pas besoin de vous dire qu’une réponse favorable me ferait le plus grand plaisir et je vous prie de croire, madame, à mes sentiments les plus respectueusement dévoués

Julien green

Lettre 168.

1 Feuillet cerné d’un liseré noir.

2 i l est sûrement question de la longue nouvelle intitulée Les clefs de la mort que Julien green publia aux Éditions de la pléiade de Jacques schiffrin en 1927 (145 pages) aucun texte du romancier ne parut dans Commerce.

CoRR espon DanCe FR ançaise212

Caetani

les auteuRs FRançais

BeR na RD gRoethu Ysen (1880-1946)

Bernard Groethuysen à Marguerite Caetani1

paris le 8. sept 1925

Chère madame, en rentrant de pontigny j’ai trouvé votre petit mot. i l va sans dire que je suis heureux de pouvoir venir et travailler avec vous2. pour l’instant il ne m’est pas encore possible de fixer exactement le jour de mon arrivée (en rentrant j’ai dû aussitôt reprendre un travail que j’avais interrompu), mais je vous écrirai à temps pour vous dire quand je viendrai. Ce sera pour la fin de cette semaine ou pour la semaine prochaine. veuillez agréer, chère madame, l’expression des sentiments les meilleurs et les plus respectueusement dévoués de votre très reconnaissant

Lettre 169.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée le 9 septembre 1925 et adressée à : princesse de Bassiano, villa st. nicolas, Benerville par Blonville (Calvados). Cachet postal de Blonville du 10 septembre 1925.

2 le philosophe d’origine allemande Bernard groethuysen, proche ami des paulhan, chroniqueur à La NRF et membre du comité de lecture des Éditions gallimard, est notam ment l’auteur d’une Introduction à la pensée allemande depuis Nietzsche (stock, 1926). en 1927, il publia la première partie – « l’Église et la bourgeoisie » – des Origines de l’esprit bourgeois en France, dans la « Bibliothèque des idées », collection fondée avec Jean paulhan et dont ce fut le premier titre. groethuysen quitta définitivement l’a llemagne en 1932, pour des raisons politiques, et obtiendra la nationalité française en 1937.

maRgueRite
et
213
169.

170.

Bernard Groethuysen à Marguerite Caetani

abbaye de pontigny (Yonne) le 24 août 1927

Chère amie, voici la lettre à t homas mann1. C’est bien ça, n’est-ce pas ? un refus, mais gentil, voire flatteur. t homas mann ne pourra pas vous en vouloir, et tout le monde sera content.

les heures passées à la Baule ont été très douces et après les bousculades de Berlin, quel bon repos ! J’aime surtout à me rappeler les soirées. Je m’en retournais à l’hôtel tout heureux. Ce sont de bien chers souvenirs parmi tant d’autres que je vous dois. Bien affectueusement, votre très fidèle,

171.

Bernard Groethuysen à Marguerite Caetani1

Berlin, le 10 juillet 1928

Chère amie, avant d’envoyer le manuscrit à Kippenberg, j’avais cru utile de lui écrire pour m’entretenir un peu avec lui sur les conditions dans lesquelles a nabase

Lettre 170.

1 À la demande de marguerite Caetani, groethuysen a rédigé en allemand une lettre à t homas mann. la princesse dut la recopier et l’envoyer en son nom.

Lettre 171.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée de Berlin et adressée à : princesse m. de Bassiano, villa Romaine, avenue Douglas haig, versailles, Frankreich (cachet postal de versailles du 13 juillet 1928).

CoRR espon DanCe FR ançaise214

serait publiée. i l ne m’a pas répondu 2. Je crois donc préférable que vous lui écriviez vous-même au sujet du tirage, et que moi, je lui envoie simplement le manuscrit que j’ai revu soigneusement. vous avez tout à fait raison de vouloir qu’on l’imprime à 500 exemplaires.

Je serai très probablement à paris le 31 juillet, et je suis tout à fait heureux à l’idée de pouvoir être avec vous au mois d’août. to be sure, qu’on travaille très bien chez vous, et je m’en suis aperçu avec grande reconnaissance, en relisant mon “persan et l’a nthropologie”3. mais il me faut maintenant, avant de pouvoir continuer mes travaux en train, venir faire un triage parmi les documents conservés à paris, tout en y déposant d’autres etc. et sans guillain – vous devinez ce que je vais dire – je suis tout à fait perdu. mais cela ne prendra pas beaucoup de temps et puis, si vous le voulez bien, on ira tous deux vous rejoindre.

avez-vous un programme pour les enfants ? peut-être serait-il bon de leur faire un peu de lecture allemande. Des pièces de théâtre ? Des cho ses gaies ? peut-être les enfants ont-ils eux-mêmes quelqu’idée à ce sujet. envoyez-moi un petit mot là-dessus.

Croyez, chère amie, à ma sympathie très affectueuse

B. groet a nabase sonne bien en allemand. Cela a quelque chose d’entraînant et de puissant. on dirait de la musique.

2 i l est question de la traduction d’Anabase de saint-John perse en allemand, que proje tait d’éditer a nton Kippenberg (1874-1950) sur les conseils impérieux de marguerite Caetani. groethuysen devait en revoir la traduction. voir Bohnenkamp/ levie, pp. 361-396.

3 Dans sa lettre à Jean paulhan qui sert de préface aux Origines de l’esprit bourgeois en France (1927), groethuysen écrit, après avoir cité Les Lettres persanes : « J’ai souvent pensé à montesquieu pendant que je voyageais dans le monde bourgeois » (p. xiii). Cette pensée nourrira d’autres travaux, notamment son Anthropologie philosophique (Philosophische Anthropologie, Berlin-munich, R. oldenbourg, 1931).

215

172.

Bernard Groethuysen à Marguerite Caetani

Berlin le 2 juin 1930

Chère amie,

J’aime vos télégrammes.

i l y en a de très longs et d’autres qui sont excessivement courts. les uns commandent et ordonnent, les autres invitent et persuadent. les uns furieux et menaçants, les autres doux et gracieux.

Cela vient tout à coup. on sonne, on frappe. le petit facteur est tout excité : pas de temps à perdre. on y va, on court. vite, vite, vite. on est comme transformé. magie du petit mot qui en coup de vent vient tout chambarder.

l’adresse de Kessler. Köthenerstrasse 28. Berlin. W.91

J’ai été à l’exposition de simonne marye 2, le jour de l’ouverture. i l y avait beaucoup de monde, et ses sculptures sont bien présentées. madame goldschmidt-Rothschild a acheté une de ses œuvres, un poisson, je crois. J’avais espéré rencontrer simonne marye, mais elle était déjà rentrée à paris.

Jeudi ou vendredi je partirai pour le harz et j’y passerai quelques jours. mon adresse restera la même. mesestrasse 28i bei Dreyer Berlin-schöneberg (sur le télégramme elle était mal indiquée).

Dites-moi quelque chose. un petit mot, je vous prie, où il est beaucoup question de vous-même.

très affectueusement, groet.

Lettre 172.

1 harry graf Kessler (1868-1937), collectionneur d’art, éditeur et mécène.

2 au sujet de simone marye, voir plus haut, lettre (et notes) 155.

CoRR espon DanCe FR ançaise216

Bernard Groethuysen à Marguerite Caetani

paris, le 1er janvier 1942 ma chère amie,

Que puis-je vous dire à cette triste fin d’année ? l’amitié est bien impuis sante devant les grandes douleurs. De tout ce qui s’est passé ces temps-ci rien ne m’a semblé plus triste que la mort de Camillo. C’était comme si le monde avait perdu son printemps. i l était bon et beau. nous l’avions vu grandir, et c’était chaque fois une joie de le revoir. Je me le rappelle encore si bien quand je l’ai vu la dernière fois à paris. C’était un beau jeune homme qui avait conservé tout le charme de l’enfance. C’était notre Camillo que nous aimions tous.

mais comment vous dire tout cela ? et pourquoi ne suis-je pas auprès de vous et ne puis-je vous tendre simplement la main ? Chère amie, que c’était beau quand nous étions tous ensemble ! C’est pour vos amis un peu comme le paradis perdu. nous voyons souvent germaine et Jean, qui n’étant plus directeur de La NRF dirige maintenant la collection des Classiques : la pléiade. i l a fini les Fleurs de Tarbes. les avez-vous reçues ? l’autre jour nous sommes allés voir madame Bucher qui nous a donné de vos nouvelles. et puis je vois de temps à autre Fargue, qui ne change pas. tout à fait par hasard nous avons fait, il y a quelque temps, la connaissance de Félix Fénéon qui vous a connue quand vous étiez toute jeune et qui a gardé de vous un très bon souvenir1 lui est vieux et malade, mais on aime l’entendre raconter des histoires du vieux temps. i l vient de vendre sa belle collection, tout en ayant conservé chez lui quelques-uns de ses plus beaux tableaux et sa belle collection d’art nègre. valéry est à paris, mais je ne l’ai pas vu ces derniers temps ; gide s’est installé à nice. on nous avait dit que vous alliez venir à paris. mais nous vous avons attendue en vain. et nous nous étions tant réjouis de vous revoir parmi nous. i l me semble que tout irait mieux et que nous aurions été moins tristes si vous aviez été là. mais ce sera pour une autre fois, n’est-ce pas ? ecrivez-lemoi bien vite pour que je sois le premier à apporter la bonne nouvelle aux amis. voilà mon vœu de nouvelle année.

Lettre 173. 1 voir plus haut, lettre 109.

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 217 173.

nous pensons souvent à Rofredo et vous prions de lui dire notre pro fonde sympathie ainsi qu’à lélia que nous espérons revoir bientôt.

Bien affectueusement votre fidèle groeth.

Bernard Groethuysen à Marguerite Caetani

paris, le 24 nov 1944

Chère, bonne amie, Quel bonheur de vous savoir là présente pour vos amis et de pouvoir se dire que bientôt – n’est-ce pas bientôt, at once – vous serez parmi nous ! C’était bien dur de ne vous avoir pas vue pendant si longtemps et d’avoir été séparé de vous par d’infranchissables barrières. enfin, bonheur presqu’ines péré, nous nous retrouvons libres. on aura tant de choses à se dire et pour tant quand on se reverra, tout sera comme si on ne s’était jamais quittés. les amis vous attendent. germaine ne va pas très bien et Jean, tout en restant excessivement jeune, a un peu vieilli et se sent parfois fatigué. madame Bucher est toujours la même ; elle pense peut-être aller en a mérique rejoin dre sa fille. Fargue a eu un « stroke » et ne se remet que très lentement. valéry va bien. C’est un petit vieillard sautillant et pétillant, d’une mobilité extraordinaire. gide va rentrer pour cet hiver à paris. mais cela vous le savez par heurgon1 que j’ai vu à la n RF et qui doit venir chez nous ce soir pour nous donner des nouvelles plus détaillées de vous, de lélia et de Rofredo. a lix ne va pas trop mal ; mais elle devrait bien pouvoir se reposer. la vie pour elle a été très dure. ne vous faites pas trop attendre. vous nous manquez beaucoup, et nous ne serons vraiment joyeux que le jour où vous serez de nouveau des nôtres. Bien affectueusement votre fidèle

groeth. Lettre 174.

1 voir plus haut, lettre 114.

CoRR espon DanCe FR ançaise218
174.

Marguerite Caetani à Marcel Jouhandeau

villa Romaine versailles le 27 avril [1925 ?]

Cher monsieur avec les vifs remercîments de Commerce et l’espoir de vous voir un de ces jours à versailles1. Je vous serais infiniment reconnaissante si jamais vous me faites parvenir des manuscripts de vos camarades que vous jugez intéressants pour notre Revue. Je crois que la seule façon d’assurer sa vie, ou plutôt une vie prolon gée et surtout qu’elle puisse se tenir au même niveau qu’elle a gardé plus ou moins jusqu’à présent, serait que ses jeunes collaborateurs s’intéressent activement à lui procurer la nourriture qui lui est nécessaire. tous mes meilleurs souvenirs

marguerite de Bassiano

Lettre 175.

1 la première des six contributions de Jouhandeau à Commerce date du printemps 1925 : « ermeline et les quatre vieillards » (cahier iv, pp. 33-74). marguerite Caetani le remercie sans doute ici pour ce texte, en lui adressant un chèque.

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 219 ma RCel JouhanDeau (1888-1979) 175.

176.

Marguerite Caetani à Marcel Jouhandeau1

le 25 sept. [1926 ?]

Cher monsieur,

Je vous prie de m’excuser de vous envoyer ceci ni du retard, et de ne pas avoir répondu avant à votre lettre. encore une fois mes plus sincères remer cîments. Commerce est bien fier de l’honneur que vous lui faites2. Je serais si heureuse et reconnaissante si quand vous avez une chose que vous aimeriez voir dans Commerce vous me l’enverriez directement3. voulez-vous que je vous envoie une dépêche la semaine prochaine vous indiquant le jour que la voiture passera prendre les suarez4 ? avec tous mes meilleurs souvenirs

Bien cordialement à vous

Lettre 176.

1 papier à en-tête de la villa Romaine, av Douglas haig, versailles, comme les deux autres lettres de marguerite Caetani.

2 i l pourrait s’agir ici de la deuxième contribution de Jouhandeau à la revue, « léda », cahier viii, été 1926, pp. 83-124.

3 paulhan jouait jusque-là les intermédiaires, comme l’indique sa correspondance avec Jouhandeau.

4 en 1926, marguerite Caetani avait demandé de vive voix à Jouhandeau une étude sur Francisco suarez (1548-1617), théologien espagnol. Jouhandeau crut qu’il s’agissait d’a ndré suarès et demanda à consulter ses œuvres complètes. la princesse, « qui n’admettait rien comme impossible » selon Jouhandeau, lui fit alors envoyer deux cent quarante volumes… la voiture dont il est question ici devait sans doute venir les récupérer, même si Jouhandeau garda les livres un temps et se plongea dans cet « océan d’idées ». s’il n’écrivit pas cette étude, il raconte cette anecdote dans le tome v de ses Journaliers (voir Le Bien du Mal, paris, gallimard, 1964, pp. 84-86 ; voir aussi la note n° 3 de Jacques Roussillat in Jouhandeau/ paulhan, p. 54).

CoRR espon DanCe FR ançaise220

177.

Marcel Jouhandeau à Marguerite Caetani

5 Février 1928

27. Bd de grenelle. madame,

J’ai bien reçu votre lettre et un chèque dont je vous suis très reconnais sant1. Je lis de temps en temps suarez et je n’oublie pas votre désir de me voir traduire quelques pages de ces énormes livres. Quand j’aurai arrêté mon choix, je vous aviserai. veuillez agréer, madame, mes remercîments et l’expression de mes sen timents respectueux m. Jouhandeau

178.

Marcel Jouhandeau à Marguerite Caetani

14 Janvier 1929

Chère madame, Je me permets de vous demander si vous avez bien reçu le manuscrit de “la Bosco”1. Je vous l’ai adressé en décembre au moment où le service des postes est surchargé. serait-il égaré ? Je tiens à m’excuser de ne pas vous avoir envoyé mon dernier livre, mais ce n’est que parce que je ne l’aime pas moi-même et parce que je le soupçonnais de ne pas devoir vous plaire.

Lettre 177.

1 sans doute pour « le marié de village », Commerce, X iv, hiver 1927, pp. 81-138.

Lettre 178.

1 Jouhandeau, « la Bosco, léocadie, pierre l’aveugle », Commerce, X vii, automne 1928, pp. 139-174. le manuscrit se trouve dans les a rchives Caetani, avec cette mention manuscrite de Jouhandeau, suivie de sa signature : « a madame la princesse de Bassiano, avec mon meilleur souvenir ».

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 221

les dix exemplaires du dernier numéro de Commerce me sont bien par venus. merci.

Croyez, chère madame, à mes sentiments les meilleurs m. Jouhandeau p.s. si vous pouviez à l’occasion me faire adresser un exemplaire du numéro de Commerce dans lequel a paru “le marié de village” je vous serais très reconnaissant 2 .

179.

Marguerite Caetani à Marcel Jouhandeau

lundi soir [1925-1930 ?]

Cher monsieur

Je suis si désolée d’avoir été si peu claire dans mon invitation pour déjeu ner hier que j’ai été privée du plaisir de vous voir ici.

J’étais absolument convaincue de vous avoir demandé de venir. Je vous prie d’excuser ma stupide distraction si je ne l’ai pas fait et pour me dédom mager de ma déception hier je vous prie de venir dimanche prochain. Je regretterais beaucoup de partir pour tout l’hiver sans vous revoir. si vous voulez bien venir ma voiture passera vous prendre à midi.

Bien cordialement à vous

2 Commerce, X iv, hiver 1927, pp. 81-138.

marguerite de Bassiano

CoRR espon DanCe FR ançaise222

Caetani

aleX is legeR – saint John peR se (1887-1975) 180.

Alexis Leger à Marguerite Caetani1 26 nov. XX iii [1923]

Chère madame, excusez-moi de vous écrire de mon bureau.

Je me faisais fête de vous accompagner, cette semaine, au Cirque dans l’intimité de vos enfants ; j’aimais d’avance cet après-midi de mon goût : j’apprends à l’instant qu’il m’y faudra renoncer : je viens d’être inclus dans une Commission qui siégera toute cette semaine et comblera d’ennui mes après-midi, sans possibilité de fuite. vous me savez désolé et je vous prie très simplement de croire à mon profond regret.

Je garde un charmant souvenir de notre dernière réunion 2 accueillez, je vous prie, avec mes respectueux hommages, mes vœux les plus sincères à partager avec votre mari a lexis st leger leger

Lettre 180.

1 papier à en-tête : a ffaires étrangères – Direction des a ffaires politiques et commer ciales.

2 a lexis leger avait fait la connaissance de marguerite Caetani en cette année 1923, par l’entremise de Fargue, qui lui avait adressé ce pneumatique : « la princesse Bassiano, avec qui je parle souvent de vous […] est très impatiente de vous connaître. e lle me charge de vous amener demain dimanche, pour le déjeuner, à versailles. venez, je vous en prie, vous nous ferez un immense plaisir ». lettre citée par Renaud meltz, in Alexis Léger dit SaintJohn Perse, Flammarion, 2008, p. 234.

maRgueRite
et
les auteuRs FRançais
223

181.

Alexis Leger à Marguerite Caetani1

samedi [5 janvier 1924]

Chère a mie

vous êtes bonne de vous enquérir ainsi de ma santé. Je sens la présence de votre amicale pensée et je lui suis tout reconnaissant.

J’ai dû sortir avant-hier, pour une affaire urgente au m inistère, en dépit d’une forte fièvre et d’un très mauvais temps : il m’a fallu hier m’aliter de nouveau. mais je pensais pouvoir être à mon bureau ce matin.

Ce n’est rien. Je vais me débarrasser de cela le plus rapidement possible. Je voudrais vous savoir en bonne santé et moins imprudente que moi. Je ne sais plus rien de vous ni des vôtres : je ne puis recevoir aucun de nos amis communs, ma porte étant close. J’espère que vous aurez pu réconforter valéry de votre présence à sa conférence 2. Je n’ai pas vu Fargue ni larbaud depuis longtemps. Je lis les livres pris chez vous : j’ai beaucoup aimé les lettres de lear3 ; je maintiens toutes réserves sur eliot ; je relis Donne. Je voudrais savoir dessiner comme lelia, ouvrir des yeux nouveaux comme Camillo, et me sentir sociable comme Bear4. partagez, je vous prie, avec votre mari, les vœux que je voulais vous apporter de vive voix. vous les savez sincères et choisis parmi les meilleurs. a bientôt, j’espère

st l. leger

Lettre 181.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée de paris le 5 janvier 1924 et adressée à : la princesse de Bassiano, villa Romaine, av Douglas haig, versailles.

2 valéry fit une conférence le 5 janvier sur « l’esprit de la pléiade », à la société de géographie, dans le cadre du quatrième centenaire de la naissance de Ronsard. le prince de Bassiano et Fargue y assistaient notamment.

3 i l s’agit sans doute des Letters of Edward Lear : to Chichester Fortescue, Lord Carlingford and Frances countess Waldegrave, edited by lady strachey, london, t. Fisher unwin, 1907. edward lear (1812-1888) est un auteur et illustrateur anglais notamment connu pour son Book of nonsense (1846).

4 Bear est l’un des chiens de marguerite Caetani.

CoRR espon DanCe FR ançaise224

Georges Limbour à Marguerite Caetani1

11 Janvier 1929

Chère madame, vous me demandez si je pourrais traduire “t he sad shepherd”2. Je viens de lire cette pièce pour en juger et me rendre compte des difficultés : je pourrai la traduire pour Commerce dès que vous le désirerez. Je suis heureux que vous ayez aimé le “Cheval de venise”3. Je pense que je pourrai vous soumettre prochainement quelque chose de plus récent. Recevez, Chère madame, mes respectueux souvenirs.

georges limbour

Lettre 182.

1 lettre à en-tête de « DoCuments », avec adresse imprimée : paris / 39, rue la boétie, viiie

2 i l s’agit sans doute de la pièce de Ben Jonson (1572-1637), The Sad Sheperd limbour ne traduisit pas ce texte, mais donna une traduction de « poèmes » de Roy Campbell pour le cahier X viii de l’hiver 1928.

3 georges limbour, « le Cheval de venise », Commerce, X viii, hiver 1928, pp. 115149. limbour ne publia aucun autre texte personnel dans la revue.

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 225 geoRges lim Bou R (1900-1970) 182.

183.

Georges Limbour à Marguerite Caetani1

lundi, 4 Février. [1929]

Chère madame, vous avez pu comprendre par le télégramme comment, étant parti de chez masson 2 il y a quinze ou vingt jours et ayant omis de vous en informer sur le champ, je n’ai pas eu votre lettre jusqu’à ce que j’aille chez lui où il pensait toujours me voir arriver. a insi j’ai trouvé ensemble la lettre et le télégramme.

les poèmes n’offrant pas de grandes difficultés de traduction, je pensais les remettre tous les deux à l’imprimeur demain matin, mais j’ai reçu votre second télégramme : je les remettrai mercredi.

Je trouve les poèmes assez beaux. i ls seraient d’un poète français, je crois qu’on pourrait dire qu’il a lu valéry. Je serais curieux d’en lire d’autres de Campbell. veuillez recevoir, Chère madame, mes meilleurs souvenirs. georges limbour 1 rue livingstone

184.

Georges Limbour à Marguerite Caetani

[Juin 1929 ?]

Chère madame, Je serai très heureux de vous voir dimanche. Je pense avoir fini de corriger

Lettre 183.

1 lettre à en-tête de « DoCuments », avec adresse imprimée : paris / 39, rue la boétie, viiie .

2 le peintre a ndré masson.

CoRR espon DanCe FR ançaise226

et de recopier mon conte pour ce jour1. Je pense que j’aurais pu vous voir ces jours-ci à l’exposition du grand Jeu, car vous veniez – sans doute de signer sur le grand livre, quand je suis entré par la grande porte 2 . Je vous envoie mes meilleurs souvenirs.

georges limbour

Desnos devait me donner quelque chose à vous montrer mais je n’ai encore rien reçu 3 .

185.

Georges Limbour à Marguerite Caetani

1er Janvier [1932]

Chère amie,

Je me souviens d’une journée de noël passée chez vous il y a deux ans et du petit arbre qui se trouvait sur la table. (il me semble bien que c’était un petit arbre, mais les bougies n’étaient pas allumées). Je voudrais que vous ayez passé encore heureusement ces fêtes, et je souhaite de tout mon cœur que Commerce triomphe de tous ses ennemis visibles et invisibles, de toutes les forces occultes et destructives de ces temps malsains. vous me disiez vaguement que vous alliez bientôt quitter versailles. est-ce en italie que ma lettre vous trouvera1 ?

J’avais fait quelques petites retouches à la traduction du poème d’eliot 2 ; malheureusement je les ai laissées à varsovie, étant venu dans le tatra passer

Lettre 184.

1 i l s’agit peut-être du récit intitulé « h istoire de famille », refusé par la princesse. paulhan, qui le jugeait « admirable » (voir lettre à larbaud du 28 juin 1929, in larbaud/ paulhan, p. 144), le publia en tête de La NRF de novembre 1929, pp. 581-604.

2 une première exposition du groupe le grand Jeu eut lieu du 8 au 22 juin 1929 à la galerie Bonaparte.

3 Robert Desnos ne publia qu’un seul texte dans la revue (« siramour », Commerce, XX viii, été 1931).

Lettre 185.

1 Commerce rendra malheureusement les armes en 1932. les Bassiano avaient des diffi cultés financières et durent vendre la villa de versailles.

2 limbour traduira les « Difficultés d’un homme d’etat » de t. s. e liot pour le cahier XX i X de l’hiver 1932, pp. 80-87.

maRgueRite
Caetani et les auteuRs FRançais
227

les vacances. Je fais du ski, peut-être tout de suite plus par conviction que par goût du sport, car cela a de grands avantages moraux.

J’espère recevoir bientôt de bonnes nouvelles et vous envoie mes meilleu res amitiés.

georges limbour

n.B – J’ai répondu à une lettre de m irsky envoyée de londres. J’avais mis l’adresse suivante gorner street3. Ce cher m irsky écrit aussi mal que moi et ma lettre m’est revenue. i l me croit à paris et me donnait rendez-vous pour les vacances. Je lui disais que cela m’était malheureusement impossible de le rencontrer. peut-être pourrez-vous le lui faire savoir et m’excuser. vous le verrez très probablement si vous êtes en France et je vous en remercie.

3 le prince russe m irsky, homme de confiance de marguerite Caetani pour la littérature russe, était réfugié en a ngleterre, gower street. i l avait traduit avec limbour un récit d’o s sip mandelstam, « l e timbre égyptien », pour le cahier XX iv de Commerce (été 1930).

CoRR espon DanCe FR ançaise228

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais

Cha R les mau Ron (1899-1966) 186.

Marguerite Caetani à Charles Mauron1

lundi [ fin 1925 ?]

monsieur

nous sommes très heureux de publier vos poèmes dans le prochain numéro de Commerce qui paraîtra à la fin Janvier2. vous recevrez deux jeux d’épreuves et comme nous sommes en retard avec ce numéro je vous prierais de renvoyer les épreuves corrigées à l’imprimeur avec le moins de délai possible. Je vous envoie en même temps cet essai de Roger Fry que vous voulez bien traduire m’a-t-il dit3. i l nous suffirait d’avoir cette traduction fin Février.

J’espère un jour avoir le plaisir de faire votre connaissance. veuillez agréer monsieur mes sentiments les meilleurs marguerite di Bassiano

Lettre 186.

1 adresse imprimée : villa Romaine / av. Douglas haig / versailles (tél 13-28).

2 Charles mauron, « poèmes », Commerce, vi, hiver 1925, pp. 125-137. mauron publia deux recueils mais est surtout connu pour son œuvre de traducteur et de critique littéraire. i l mit au point une méthode de « psychocritique » inspirée de la psychanalyse.

3 Roger Fry, « moustiques », traduit de l’anglais par Charles mauron, Commerce, vii, printemps 1926, pp. 147-154.

229

187.

Marguerite Caetani à Charles Mauron1

villa mercédes petite a frique Beaulieu a.m. le 24 Jan. [1926 ]

Cher monsieur, nous serons ici jusqu’au 1er mars, et je me demande si pendant que nous sommes pas si loin de vous qu’à paris, je ne pourrai pas avoir le plaisir de faire la connaissance de vous et de votre femme – par example si nous pourrions nous rencontrer quelque part à déjeuner ? Quel est l’endroit le plus près d’ici où vous pourriez arriver dans la matinée ? mais je vous demande peutêtre une chose tout-à-fait stupide. en cas vous me le direz. Commerce sortira dans 8 à 10 jours j’espère et je serais heureuse de savoir que vous êtes satisfait de la présen tation de vos poèmes. Je vous fais envoyer 10 examplaires et si vous en désirez d’autres je vous prie de me le dire et c’est avec le plus grand plaisir qu’on vous les enverra. ne pouvez-vous pas suggerer des collaborateurs pour Commerce. Je suis sûre que oui et c’est une autre raison pour nous rencontrer. veuillez agréer monsieur tous mes sentiments les meilleurs marguerite di Bassiano

Lettre 187. 1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée le 26 janvier 1926 et adressée à : monsieur Charles mauron, la mairie, le mas Blanc par tarascon, Bouches du Rhône.

CoRR espon DanCe FR ançaise230

188.

Marguerite Caetani à Charles Mauron1

villa mercédes le 17 Fev [1926 ]

Cher monsieur,

Je suis désolée tout-à-fait de vous avoir causé le moindre ennui par mon silence. J’aurais dû vous écrire avant en réponse à votre si charmante et hospitalière lettre, mais j’ai toujours attendu dans l’espoir de pouvoir vous dire quelque chose de précis sur nos projets et surtout l’espoir de pouvoir combiner une rencontre avec vous.

C’est la faute de mon mari si je ne sais jamais d’avance ce que nous allons faire. i l a composé un opéra qui sera joué à Weimar en mai et comme vous pouvez imaginer il est très occupé en ce moment, mais nous avons l’intention d’aller passer deux jours à hyères avant notre départ d’ici et je me suis demandé si peutêtre de là, nous ne pourrions pas nous rencontrer quelque part. mais cela ne serait peutêtre pas pratique pour vous. Dans ce cas là il faudrait à mon grand regret remettre la rencontre jusqu’à une autre année quand j’espère nous aurons le temps de faire cette belle excursion et aller vous voir dans votre pays. avez-vous complété la traduction de « mosquitos »2 ?

Cette œuvre dont vous me parlez de e .m. Forster est-elle inédite, car vous savez que nous tenons à ce que même les traductions d’auteurs vivants soient inédites à part de grandes exceptions.

J’aimerais bien avoir quelque chose de lui pour Commerce et surtout si vous voulez bien le traduire. Je viens de regarder encore la carte et je vois que c’est malheureusement très loin de mas Blanc à hyères ! C’est dommage – mais je viens aussi de relire votre première lettre et en même temps que je suis remplie de remords de ne pas avoir répondu quelque chose avant, je vois que vous envisagez la possibilité de venir à marseille pendant quelques heures alors peutêtre après tout nous pourrons arranger quelque chose pen dant que nous sommes à hyères.

Lettre 188.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée le 20 février 1926 et adressée à : monsieur Charles mauron, mas Blanc par tarascon, Bouches du Rhône.

2 « moustiques », de Roger Fry.

maRgueRite
Caetani
et
les auteuRs FRançais
231

Finalement Commerce est prêt et sortira ces jours-ci 3. Je ne pensais pas pour une minute trouver un autre collaborateur à mas Blanc4 ! – Je vous demandais votre opinion en général et votre conseil, surtout parmi les « jeu nes », le côté le plus difficile de notre tâche.

J’ai pris la liberté de vous faire envoyer la Revue anglaise New Criterion qui est éditée par t.s. eliot. Je désire l’aider autant que je peux à la faire connaitre en France malgré que je n’approuve pas toujours son choix d’écri vains français comme par ex dans le 1er n°5 ! –puis-je vous demander de m’envoyer toujours vos poèmes, en tout cas ceux que vous aimeriez voir publier dans Commerce ?

Recevez cher monsieur tous mes sentiments les meilleurs marguerite di Bassiano

189.

Marguerite Caetani à Charles Mauron1

villa mercédès le 18 mars [1926 ]

Cher monsieur,

Cette fois-ci c’est peutêtre mon facteur qui a séquestré la dernière lettre que je vous ai écrite, ou peutêtre attendiez vous que je vous fasse savoir le jour de notre arrivée à hyères ? malheureusement nous n’y allons plus et nous partons d’ici le 22, dans quelques jours. nous sommes presque sûrs de reve nir l’hiver prochain et alors nous trouverons certainement l’occasion de nous rencontrer. Ce qui me fait penser que vous n’avez pas eu ma dernière lettre

3 i l s’agit du Cahier vi de l’hiver 1925.

4 la première épouse de Charles mauron, marie Roumanille (1896-1986), en littérature marie mauron, souvent qualifiée de « Colette provençale », est l’auteur d’une œuvre abon dante.

5 un seul auteur français figure au sommaire du premier numéro (janvier 1926) de la revue trimestrielle The New Criterion : Jean Cocteau…

Lettre 189.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée le 18 mars 1926 et adressée à : monsieur Ch. mauron, le mas Blanc par tarascon, Bouches du Rhône.

CoRR espon DanCe FR ançaise232

est que je vous demandais quand je pourrais compter sur votre traduction de « moustiques » et je vous priais de me l’envoyer le plus tôt possible –maintenant mon adresse sera villa Romaine, versailles. Je vous prie d’agréer monsieur tous mes sentiments les meilleurs marguerite di Bassiano 190.

Marguerite Caetani à Charles Mauron1

villa st. nicolas Benerville par Blonville Calvados

[Fin août - début septembre ? 1926 ]

Cher monsieur,

Je vous prie de bien m’excuser de ne pas vous avoir remercié immédia tement de votre belle traduction d’« europe » que je préfère de beaucoup à l’autre nouvelle 2. Je l’ai reçue à mon arrivée à versailles de salzbourg, en route pour ici. J’étais très fatiguée et un peu affolée de tout ce que j’ai trouvé à faire en rentrant. Je regrette que vous avez eu une déception en ne pas voyant annoncés vos poèmes mais vous les trouverez au Cahier d’hiver ou de printemps. en dehors des directeurs nous ne donnons jamais plus d’une fois par an une œuvre du même écrivain. nous publierons « europe » dans le Cahier d’octobre et aussitôt que je vous sais de retour à mas Blanc je vous ferai envoyer ce que Commerce vous doit pour cette nouvelle et pour vos poèmes3. nous ne pouvons pas publier l’autre nouvelle de James mais si vous ne pouvez pas la placer je la prendrai naturellement. vous comprenez bien que la place que nous pouvons donner aux traductions est très limitée vu le charactère essentiel de la Revue. Je n’ai pas encore écrit à Forster mais je le ferai ces jours-ci et je vous communiquerai aussitôt la réponse 4

Lettre 190.

1 adresse imprimée barrée : villa Romaine / av. Douglas haig / versailles (tél 13-28).

2 « europe » est une nouvelle de henry James, que la revue ne publiera finalement pas.

3 Charles mauron, « poèmes », Commerce, X ii, été 1927, pp. 55-74.

4 aucun texte de e m. Forster ne parut dans Commerce

maRgueRite
Caetani et les auteuRs FRançais 233

avec tous mes plus vifs remercîments et meilleurs sentiments marguerite de Bassiano 191.

Marguerite Caetani à Charles Mauron1

villa st nicolas Benerville par Blonville Calvados le 23 sept. [1926 ]

Cher monsieur,

Je vous envoie aujourd’hui par mandat 1250 frcs – ce que Commerce vous doit pour la traduction d’« europe ». Je ne sais pas encore combien de pages seront prises par vos poèmes et alors ça je vous l’enverrai plus tard. J’ai dû remettre « europe » au mois de Janvier car au dernier moment valéry m’a envoyé un texte en me priant de l’insérer dans ce cahier-ci – un texte ano nyme avec titre « agnes » et j’ai dû retirer europe mais je pense que cela vous est égal n’est ce pas2 ? J’ai reçu une lettre très aimable de Forster me promettant d’envoyer quelque chose à Commerce le plus vite possible mais que pour le moment il n’a rien.

J’ai aussi écrit à m. du Bos pour les droits de James3. Je n’ai pas encore de réponse.

nous rentrons à versailles le 1er octobre. veuillez agréer monsieur tous mes sentiments les meilleurs marguerite de Bassiano

Lettre 191.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée de Deauville le 23 septembre 1926 et adressée à : monsieur Ch. mauron, mas Blanc par tarascon, Bouches du Rhône. le mandatlettre, daté également du 23 septembre, se trouve aussi joint à la lettre.

2 i l s’agit d’un texte de Catherine pozzi, qui paraîtra finalement dans La NRF. voir plus haut, lettre 39.

3 Charles Du Bos, grand admirateur de henry James (1843-1916), avait permis de faire connaître son œuvre en France.

CoRR espon DanCe FR ançaise234

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais

192.

Marguerite Caetani à Charles Mauron1

le 11 nov. [1926 ]

Cher monsieur, voici le texte de mrs Woolf que je trouve admirable – très difficile à traduire mais s’il y a quelqu’un qui peut le reussir c’est certainement vousmême 2 . puis-je vous demander si je peux l’avoir pour le 15 décembre ? Je serais très heureuse de voir les autres poèmes en prose que vous proposez et peutêtre faire un nouveau choix dans la quantité.

Bien cordialement à vous

marguerite di Bassiano

193.

Marguerite Caetani à Charles Mauron

golf-hotel Beauvallon par ste maxime (var) le 11 Déc. [1926 ]

Cher monsieur, voulez-vous me dire le titre en français du texte de m rs Woolf et aussi à peu près combien de pages ça prendra dans Commerce ? ça sera composé dans les gros romains.

Lettre 192.

1 adresse imprimée : villa Romaine / av. Douglas haig / versailles (tél 13-28).

2 « le temps passe » de virginia Woolf, traduit par Charles mauron pour le cahier X de l’hiver 1926. i l s’agit d’un extrait de son roman To the Lighthouse (La Promenade au phare) paru en 1927. marguerite Caetani avait demandé à virginia Woolf de suggérer le nom d’un traducteur et elle aurait songé à mauron sur les conseils de e m. Forster.

235

J’ai dû vous télégraphier l’autre jour car nous avions besoin de savoir le titre pour l’annonce dans La NRF du 1er Jan1. Quand pensez vous le finir ? Je vous prie de l’envoyer directement à monsieur Fréret i mprimerie levé 71 rue de Rennes paris

nous sommes ici depuis hier et nous resterons deux mois. peutêtre pour rons nous nous rencontrer cette fois-ci. Je l’espère. Je pense que la traduction de mrs Woolf n’a pas été facile ! –agréez cher monsieur tous mes sentiments les meilleurs marguerite di Bassiano

194.

Marguerite Caetani à Charles Mauron1

golf-hotel Beauvallon par ste-maxime (var) lundi. [20 décembre 1926 ]

Cher monsieur, C’est si pressé que le texte de mrs Woolf soit envoyé immédiatement à l’imprimeur. Je vous prie si m. Fry ne vous l’a pas encore renvoyé de lui télé graphié à ce sujet lui disant que s’est très urgent. i l faut que nous paraissons fin janvier et avec toutes les fêtes il nous faudraient tous les textes mainte nant et celui de mrs Woolf est le seul qui manque – J’ai si hâte de voir votre traduction mais s’est entendu n’est ce pas que vous l’enverrai directement

Lettre 193.

1 l’annonce parut dans La NRF de février 1927. le titre du texte de Woolf est signalé, et accompagné de la mention suivante : « œuvre entièrement inédite ».

Lettre 194.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée de sainte maxime le 20 décembre 1926 et adressée à : monsieur Ch. mauron, mas Blanc par tarascon, B. du R.

CoRR espon DanCe FR ançaise236

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 237 à i mprimerie levé 71 rue de Rennes.

Je verrai les épreuves. avec tous mes remercîments et meilleurs souvenirs marguerite di Bassiano 195.

Marguerite Caetani à Charles Mauron

golf-hotel Beauvallon par ste maxime (var) [Janvier ? 1927]

Cher monsieur,

Je vous prie de me faire savoir si ça vous ennuie que je vous envoie un chèque en paiement de vos honoraires pour « le temps passe » – Quelle merveille de traduction. Je trouve que vous avez vraiment fait l’impossible. Je suis certaine que mrs Woolf doit être enchantée – C’est certainement une chance d’être traduit de cette façon et qui n’est malheureusement pas l’expérience de beaucoup d’écrivains. Je vous remercie infiniment de la part de Commerce – J’espère mettre vos poèmes dans le Cahier de printemps1. J’ai bien aimé les derniers.

Je vous envoie tous mes sentiments les meilleurs marguerite di Bassiano

Lettre 195. 1 i ls paraîtront dans le cahier d’été.

196.

Marguerite Caetani à Charles Mauron

villa païta la Baule-les-pins (loire-i nf) le 5 août [1927]

Cher monsieur, J’attendais toujours une réponse de valéry qui n’est pas encore arrivée. Je vous envoie donc ce chèque avec les remercîments de Commerce.

ça fait un très beau cahier cette fois-ci je trouve – le Kierkegaard est bien beau n’est ce pas1 ?

J’attends groethuysen dans quelques jours ainsi que le prince m irsky. vous allez vous rencontrer de nouveau à pontigny2 ?

i l me semble que la lettre que vous m’avez envoyée est parfaite et j’espère pourra faire quelque chose d’utile pour vous.

avec tous mes sentiments les meilleurs

marguerite de Bassiano

Lettre 196.

1 sören Kierkegaard, « Fragments d’un journal », traduit du danois par Jean gateau, Commerce, X ii, été 1927, pp. 165-202.

2 les décades de pontigny avaient lieu de début août à début septembre environ.

CoRR espon DanCe FR ançaise238

Charles Mauron à Marguerite Caetani

mas Blanc par tarascon Bd – R 9 août 1927.

Chère madame, Comment pourrai-je vous remercier un jour de ce que vous faites pour moi ? l’accueil que vous m’avez réservé dans Commerce et votre sollicitude me sont aujourd’hui d’autant plus précieux que je dois m’accoutumer à plus de renoncements. la maladie dont ma vue souffre vient de faire un pas encore ces jours derniers et l’obligation où je suis de suivre un traitement sévère pendant au moins quelque temps me force d’abandonner pontigny, cette année-ci du moins. voulez-vous avoir la bonté de dire à vos hôtes com bien je regretterai de ne pas les rencontrer1 ? ma femme est en train de me lire ce numéro de Commerce qui est en effet bien beau – et si européen. Je n’ose espérer que mes poèmes ne le gâteront pas trop. Je suis vraiment confus de me trouver là. mais je suis confus de tant de choses – mieux vaut n’en pas parler. votre intervention auprès de paul valéry m’a beaucoup touché – et m’a rempli de crainte en même temps2. i l est si ridicule à moi – n’est-ce pas ? – de parler de mon œuvre – quelques photographies, quelques poèmes. Je puis dire seulement que je travaille. i l vaudrait mieux ne rien dire du tout. excusez, je vous prie, cette lettre si courte. i l ne m’est pas permis d’écrire longuement. Croyez, chère madame, à mes remerciements et à mes senti ments les meilleurs.

C. mauron.

Lettre 197.

1 groethuysen et m irsky.

2 paul valéry devait le défendre au prix Blumenthal. la prestigieuse bourse Blumenthal était décernée par la Fondation américaine pour l’a rt et la pensée française, fondée par m me georges Blumenthal.

maRgueRite
Caetani et les auteuRs FRançais
239 197.

FR anCis ponge (1899-1988) 198.

Francis Ponge à Marguerite Caetani1

19 bis Bd de port Royal paris, 30 oct. [1925]

vous avez regardé ces petits écrits avec trop d’indulgence, madame 2. Je vous assure que j’ai l’ambition de pouvoir me dire un jour avec plus de mérites, vôtre, très respectueux,

Francis ponge

Je vous prie de pardonner la maladresse où je me suis trouvé si coupable –quand il aurait fallu vous laisser voir quel plaisir je ressentais à votre accueil et à votre entretien ! p.s. Je vous remercie vivement de votre envoi au nom de Commerce.

199.

Marguerite Caetani à Francis Ponge

villa mercedes petite a frique Beaulieu – a.m. le 24 Jan [1926 ]

ma réponse au sujet de votre poème est de vous demander la permission de le garder pour un prochain numéro de Commerce.

Lettre 198.

1 la lettre est accompagnée d’une enveloppe postée de paris le 30 octobre 1925 et adres sée à : princesse marguerite de Bassiano, villa Romaine, avenue Douglas haig, versailles.

2 i l s’agit vraisemblablement des « poèmes » à paraître dans le cahier v de Commerce, à l’automne 1925. ponge ne donnera pas d’autre contribution à la revue.

CoRR espon DanCe FR ançaise240

J’ai bien des excuses à vous faire surtout que votre lettre et l’envoie de votre poème m’ont fait un vrai plaisir et je vous en remercie.

Je ne sais pas si paulhan vous a dit que ma petite fille a été gravement malade au mois de décembre d’une grippe pulmonaire violente et quand elle était convalescente je suis tombée malade moi-même – de fatigue plus qu’autre chose. mais avant d’aller mieux nous sommes partis pour ici et je suis restée assai souffrante pendant quelque temps. Ceci ne peut pas m’ex cuser entièrement à vos yeux je sais mais peutêtre en partie. J’aimerais bien avoir le manuscript de « pauvre pecheurs » et « Rhum des fougères » et je serais toujours heureuse de recevoir d’autres poèmes de vous1

Bien sincèrement

marguerite di Bassiano

200.

Marguerite Caetani à Francis Ponge

villa mercédes Beaulieu – a.m le 23 fev. [1926 ]

monsieur,

Je suis contente que vous me laissez votre poème pour un prochain numéro de Commerce qui vous en remercie vivement. J’espère vous voir à versailles à notre retour dans quelques semaines et en attendant recevez tous mes meilleurs souvenirs

marguerite de Bassiano

[Au dos du feuillet, Francis Ponge a écrit au crayon :]

i.

tes fleurs distraites – et trahies par leur entourage d’insectes

Lettre 199.

1 « pauvres pêcheurs » et « le Rhum des fougères » sont les poèmes publiés dans le cahier v, et repris plus tard dans le Parti pris des choses, paris, gallimard, 1942.

241

Depuis que leur robe est éclose montrent un cœur fort empiété parle, parle contre le vent Jeune homme vêtu comme un arbre parle, parle contre le vent (Car cela seul est important)….

ii

tes sœurs distraites et trahies par leur entourage d’amants Depuis que leur robe est ouverte ont le con toujours enfieffé parle, parle contre le vent Jeune homme vêtu comme un arbre parle, parle contre le vent tu pourras vivre sans argent par son entourage d’insectes Distraite – et même trahie –Rose aussitôt sa robe éclose montre un con sans cesse empiété pense, parle contre le vent, Jeune homme vêtu comme un arbre tes sœurs distraites – et trahies, par leur entourage d’insectes, Depuis que leur robe est éclose montrent un con fort empiété parle, parle contre le vent Jeune homme vêtu comme un arbre parle, parle contre le vent tu pourras vivre sans argent1

Lettre 200. 1 i l s’agit de deux ébauches du « Jeune arbre », daté de l’hiver 1925-1926, publié dans Proêmes (paris, gallimard, 1948) avec « Caprices de la parole », qui évoque la genèse du poème.

CoRR espon DanCe FR ançaise242

Caetani et les auteuRs FRançais 243 anDRÉ sua RÈs (1868-1948) 201.

André Suarès à Marguerite Caetani1

paris, 2 déc 1925 Jeudi soir

n’en soyez plus inquiet, cher monsieur : j’ai maintenant les revues, moins le tome premier qui, sans doute, est trop rare pour qu’un libraire avisé s’en dessaisisse.

Commerce est assurément une belle revue, où la pensée est à l’honneur ainsi que la poésie. Je serais content d’en être. Je vs donnerai, d’abord, une suite de = va R ia Bles =2, qui n’aura pas moins de trente pages. voilà sur quoi vs pouvez compter. i l me faut quelques jours pour fixer le mns/ sur ma propre copie, et vs en transmettre ensuite une copie à la machine. D’ici là, votre santé sera meilleure, j’espère, et j’aurai pu m’entretenir une autre fois avec vs : il est nécessaire de nous entendre sur deux points, et il serait trop long d’en écrire. si vs le voulez bien et si vs ne gardez pas la chambre, je vs attends lundi prochain entre trois et quatre heures.

Croyez bien, cher monsieur, je vs prie, aux meilleurs compliments du s 20 rue Cassette vi.

Lettre 201.

1 Cette lettre, écrite à l’encre rouge comme les huit autres lettres d’a ndré suarès, se trouve à la Fondation saint-John perse. l’enveloppe n’a pas été conservée mais nous supposons que suarès, ne connaissant pas l’histoire de Commerce, croyait s’adresser à un « monsieur Caetani » et non à marguerite Caetani, dont le nom n’apparaît pas sur les cahiers. la princesse avait l’habitude, dans ses premiers courriers à un auteur, de signer : « m. Caetani di Bassiano ». nous pouvons d’ailleurs remarquer que, dans la lettre suivante, elle signe « marguerite Caetani di Bassiano », manière discrète de lui signaler son erreur.

2 suarès écrit la plupart du temps « vs » pour « vous ». « variables », Commerce, X, hiver 1926, pp. 49-87. mais la première contribution de suarès fut « saint-Juin de la primevère ». voir plus loin.

maRgueRite

202.

Marguerite Caetani à André Suarès1

le 19 déc. [1925] monsieur, permettez-moi de vous dire combien je suis heureuse que vous voulez bien collaborer à Commerce, et puis[que] nous désirons mettre votre article au prochain numéro qui est déjà presque entièrement composé, je vous prie de m’envoyer votre manuscript le plus tôt possible.

veuillez agréer monsieur l’expression de mes sentiments les plus distingués marguerite Caetani di Bassiano

203.

André Suarès à Marguerite Caetani

paris, 21 déc. 1925 lundi matin

Combien je suis fâché, madame, de ne pas mieux répondre à vos instances : je devrais vs avoir déjà remis les pages que je vs destine1 : je souffre de ce retard plus que personne : il n’est dû, en effet, qu’à la maladie. Je m’en expliquerais mieux avec vous, si l’occasion m’en était offerte. Je ne voudrais pourtant pas vs faire attendre, et toujours vainement. ayez donc pour moi, madame, cette autre complaisance, et dites moi, je vs prie, quel délai vs m’accordez encore ? si je ne puis être prêt pour la date de votre choix, je vs le ferai savoir aussitôt :

Lettre 202.

1 papier à en-tête de la villa Romaine. lettre accompagnée d’une enveloppe postée le 19 décembre 1925 et adressée 20 rue Cassette à paris.

Lettre 203.

1 il s’agit ici de « saint-Juin de la primevère », première des cinq contributions de suarès, parue dans le cahier vi d’hiver 1925.

CoRR espon DanCe FR ançaise244

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 245

vs aurez alors mon article pour le printemps : à vrai dire, j’en suis l’homme bien plus que de l’hiver, qui me tue. Croyez, je vs en prie, madame, à mes sentiments les meilleurs, comme à tous les respects de votre très humble, s a ndré suarès 20 rue Cassette, paris – vi 204.

Marguerite Caetani à André Suarès1

Jeudi [24 décembre 1925] monsieur malheureusement lundi le 4 janvier est le dernier délai que Commerce peut vous accorder et on aurait été bien content d’avoir votre manuscript avant mardi ou mercredi de la semaine prochaine ! vous me direz n’est pas ce que vous pouvez faire. Je désire beaucoup le mettre au prochain numéro. pour ne pas perdre de temps veuillez l’envoyer directement chez l’impri meur, levé, 71 rue de Rennes, si vous pouvez le donner le 4 ou avant, si non je vous prierai de me l’envoyer ici. Je regrette infiniment d’apprendre que la cause de ce retard est dû à la maladie et je me permets de profiter de cette occasion pour vous envoyer tous mes vœux les plus sincères pour votre santé et pour l’année qui vient.

marguerite di Bassiano

Lettre 204. 1 enveloppe envoyée de versailles. le cachet postal est illisible mais suarès a noté, au dos de l’enveloppe : « 24/26/X ii – 1925 ».

205.

Marguerite Caetani à André Suarès1

mardi [29 décembre 1925] monsieur, je viens vous ennuyer encore mais comment faire autrement quand je tiens tellement que vous fassiez partie de ce numéro 6, et que si vous vous retirez à présent il me parait impossible de rétablir le bel équilibre d’avant. Je vous prie de me dire le jour que vous pourriez donner votre manuscript à l’imprimeur et nous verrons alors si nous ne pouvons pas vous attendre. excusez-moi monsieur d’insister comme ça mais je suis très entêtée.

votre dernière lettre m’a fait grand plaisir et je vous en remercie. veuillez agréer monsieur l’expression de ma profonde admiration marguerite di Bassiano

206.

Marguerite Caetani à André Suarès1

[17 janvier 1926 ] puisque nous nous sommes arrangé de façon à pouvoir attendre jusqu’au vingtcinq vous prie de donner celle des deux œuvres que vous préférez et que vous jugez la plus importante pour Commerce. prière télégraphier déci sion. très reconnaissante si vous envoyez manuscrit imprimeur.

Baswano [sic] villa mercedes Beaulieu s mer

Lettre 205.

1 papier en-tête villa Romaine. avec enveloppe adressée 20 rue Cassette à paris. Cachet postal : 30 décembre 1925.

Lettre 206.

1 télégramme envoyé de Beaulieu sur mer à paris le 17 janvier 1926.

CoRR espon DanCe FR ançaise246

Caetani

les auteuRs FRançais

Marguerite Caetani à André Suarès

villa mercédes petite a frique Beaulieu. a m Jeudi [ février 1926 ]

Cher monsieur, Commerce vous envoie ceci avec ses remercîments les plus vifs et les plus reconnaissants.

Comment vous dire le plaisir que j’ai eu à lire st Juin et comme je suis heureuse que Commerce ait le privilège de publier ces belles et nobles pages qui me plaisent infiniment. J’espère de tout cœur que vous trouverez la présentation de votre œuvre satisfaisante comme aussi ses collaborateurs. serait-ce trop vous demander de m’envoyer un petit mot quand vous aurez vu le numéro ?

si vous désirez plus que les six qu’on vous enverra, je vous prie de me le faire savoir et nous serions heureux de vous envoyer autant que vous dési rez. si jamais parmi les manuscripts que vous devez recevoir en quantité des jeunes et des inconnus qui désirent ou votre conseil ou votre appui, vous trouviez quelque chose que vous considérez digne de Commerce je vous serais très reconnaissante de me l’envoyer ou au moins de me signaler l’auteur, car la tâche de trouver toujours des jeunes et des inconnus dignes d’intérêt et de la qualité que nous espérons conserver à la Revue n’est pas chose facile. veuillez croire cher monsieur à mes sentiments les meilleurs et les plus reconnaissants

maRgueRite
et
247 207.

208.

André Suarès à Marguerite Caetani1

paris, 2 mars 1926 on me fait tenir six exemplaires de Commerce, chère madame. Je vs en remercie et ne serais pas fâché d’en avoir trois ou quatre autres. voilà une belle Revue, pleine de goût et d’une grave élégance. Je ne serais pas très content de la place qu’on m’y a donnée, si je n’étais pas sûr que je ne dois m’en prendre qu’à moi seul : je vs ai confié mon article si tard, que l’ordre du numéro était déjà fixé, sans doute. la prochaine fois, chère madame, je tiens à être en tête de la livraison. Je vs dirai pourquoi, un autre jour. les raisons en sont tristement puériles, comme tout ce qui touche au monde affreux des gens de lettres : ce sont des gamins à tête de vipère. vs, princesse, ayez la bonté de me faire savoir en quelle saison vs comptez publier le second article que je vs réserve. C’est un fragment des « va R ia Bles », œuvre que je dois donner cette année. Je voudrais bien qu’il vs plût de l’insérer dans Commerce, dès cet été : car, pour le printemps, il est déjà trop tard, je pense. sans en avoir d’autre preuve qu’un gracieux et secret pressentiment, je sais, princesse, que je ne me confie pas en vain à votre goût, et que je puis même compter sur votre faveur, je n’ose dire votre préférence. soyez sûre que je m’en fais un plaisir et un honneur. et croyez bien, je vs prie, aux sen timents d’entier respect de votre très humble

Lettre 208. 1 Fondation saint-John perse.

CoRR espon DanCe FR ançaise248
s

209.

Marguerite Caetani à André Suarès1

villa Romaine versailles le 3 avril [1926 ]

monsieur

Je vous prie de me pardonner mon long silence mais j’ai reçu votre lettre au moment de partir de Beaulieu et depuis mon arrivée ici j’ai eu une quan tité de choses pressantes à faire et pas un moment de paix. Je serais très heu reuse de publier « variables » au numéro d’été qui paraîtra vers la fin Juin et vous seriez bien aimable de m’envoyer le manuscript vers le premier mai 2 . Cher monsieur vous aviez la première place, ms depuis peu, pour toutes sor tes de raisons, nous avions décidé de mettre toujours les 3 directeurs en tête, excepté comme par example c’était le cas au n°v où larbaud a donné des notes simplement. mais valéry et Fargue restaient en tête et paulhan avait la première place3. Dans l’espoir d’avoir le grand plaisir de vous voir bientôt veuillez agréer monsieur mes sentiments les meilleurs marguerite de Bassiano

Lettre 209.

1 l’enveloppe porte le cachet postal du 5 avril 1926.

2 « variables », Commerce, X, hiver 1926, pp. 49-87. suarès tarda visiblement à envoyer son texte (voir lettre suivante).

3 valery larbaud, « notes sur maurice scève », Commerce, v, automne 1925, pp. 211-214 et 225-231. i l s’agit d’une présentation des « Fragments de Microcosme » de scève que publie la revue dans ce même cahier, pp. 215-223. Celui-ci s’ouvre en effet sur « a BC » de valéry (pp. 7-14), suivi de « tumulte » de Fargue (pp. 17-22), puis de « l’expérience du proverbe » de paulhan (pp. 25-77).

maRgueRite
Caetani et les auteuRs FRançais
249

210.

André Suarès à Marguerite Caetani1

paris, 2 déc. 1926

puisqu’il en est ainsi, chère madame, je suis trop heureux de répondre à votre désir. Je vais faire en sorte que vous ayez le manuscrit avant huit jours, mercredi prochain, sans doute, entre cinq et six heures du soir. soyez bien sûre, princesse, que je ne trouve pas le moindre prix ni la moindre raison à ces questions de préséance : elles sont d’une vanité ridi cule : je ne tiens à ces vains honneurs que si on me les refuse. on n’invite pas les gens à sa table pour se servir trois fois le premier ; et si trois hommes s’entendent là-dessus, ils font une famille par trop étrangère à tout tact et toute courtoisie. Je ne permets à personne d’avoir avec moi de ces façons, et je ne dîne pas avec les académiciens de ce style 2 . vs devez sentir, princesse, combien je vs distingue et vs sépare, ici, de tout ce qui n’est pas vs même. Je ne sais rien de vs qui ne me fasse autant d’obli gations à votre égard, et qui ne me persuade, aujourd’hui comme hier, de me dire votre très humble s

où vs adresser le manuscrit, dès qu’il sera prêt ? et ne puis-je espérer de vs le remettre moi-même ?

Lettre 210.

1 Fondation saint-John perse. Cette lettre est accompagnée d’une « copie » de m me leger mère : « copie d’une autre lettre de suarès que je trouve dans mes affaires ».

2 suarès obtint la « deuxième place » pour ses « variables », la première étant donnée à une traduction de nietzsche par paulhan. Ce dernier se montrera désolé de cet épisode. i l écrit à suarès, le 13 décembre 1926 : « i l me vient à la pensée que la 1ère lettre de m me de Bassiano (dont je ne connais que depuis deux jours le sens exact) a pu peut-être me donner, à vos yeux une expression déplaisante ». i l s’en explique, de crainte « que l’une des phrases dont s’est servi m me de Bassiano n’ait pas rendu tout à fait exactement [s]on intention ». (Jean paulhan, a ndré suarès, Correspondance 1925-1940, paris, gallimard, 1987, Cahiers Jean paulhan, n° 4, pp. 18-19).

CoRR espon DanCe FR ançaise250

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 251

211.

Marguerite Caetani à André Suarès1

[29 décembre 1926 ]

prière me télégraphier quand imprimeur peut compter sur votre manuscrit meilleurs souvenirs – marguerite de Bassiano golf hotel Beauvallon par ste maxime

212.

Marguerite Caetani à André Suarès1

golf-hôtel Beauvallon par ste maxime (var)

[27 janvier 1927]

Cher monsieur

Commerce vous envoie vos honoraires pour « variables » avec profonde reconnaissance et remercîments.

Je pense que ça fera un des plus beau numéro jusqu’à présent. Je serais heureuse de savoir ce que [vous] en pensez 2 .

J’ai bien peur que nous devons rester ici jusqu’aux premiers jours de mars mais aussitôt de retour à versailles je vous demanderai de tenir votre bonne promesse de venir chez nous.

Lettre 211.

1 télégramme envoyé de sainte maxime le 23 décembre 1926.

Lettre 212.

1 lettre accompagnée d’une enveloppe postée le 27 janvier 1927 de sainte maxime et adres sée rue Cassette. mention manuscrite de suarès, au dos de l’enveloppe : « très aimable ».

2 le cahier X de l’hiver 1926, qui publie les « variables » de suarès, s’ouvre sur le « Drame musical grec » de nietzsche traduit par paulhan, et contient notamment des textes de virginia Woolf, valéry, Fargue et supervielle.

André Suarès à Marguerite Caetani1 paris, 31 Janv. 1927

Que n’ai je su plus tôt, chère madame, que vs étiez la tête de cette belle Revue ? vs me faites oublier les détestables façons de mes ennemis éternels, les gens de lettres. votre bonne grâce me touche, et chacun de vos gestes me rend plus précieuse la faveur que vs voulez bien me marquer. votre long séjour en provence ne serait donc pas dû uniquement au plaisir que vous y trouvez ? J’aurais du chagrin, s’il me fallait le croire. Ce pays est si aimable, la mer et la lumière y ont tant de charme, le ciel y est si près des dieux qu’il est trop dur de n’en pas goûter la beauté sans inquiétude. J’espère que vs n’en avez pas, chère madame. ou, du moins, que le soleil apaise vos soucis et vs fait tout le bien que vs en devez attendre. entre toutes, la terre de provence est bienfaisante. n’ayez point le regret de n’être pas ici, dans la mélancolie d’une demi nuit perpétuelle, les transes de la brume et l’ennui de la pluie. soyez sûre en tout cas, princesse, de tous les vœux que je forme pour votre paix et votre joie. Je me permets de vs les faire entendre, comme l’expression la plus sincère de mon entier respect et d’une vive sympathie, votre très humble

lundi

Lettre 213.

1 avec une enveloppe postée de paris le 31 janvier 1927 et adressée à : madame la princesse m. C. de Bassiano, golf hotel, beauvallon, ste m axime (var).

2 en guise de signature, suarès utilise tantôt le « s » grec (sigma) tantôt d’autres capita les de l’alphabet grec, parfois cependant difficiles à identifier. nous nous en tenons ici aux seuls caractères « s » et « Σ ».

CoRR espon DanCe FR ançaise252
veuillez agréer cher monsieur tous mes sentiments les meilleurs marguerite de Bassiano 213.
Σ 2

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais

214.

Marguerite Caetani à André Suarès1

villa Romaine versailles le 15 avril [1929]

Cher monsieur

Je viens vous demander si vous avez quelque chose pour Commerce en ce moment. avec le prochain cahier ça sera déjà un an depuis que Commerce a eu l’honneur de publier un texte de vous. en attendant votre réponse je vous prie de me croire cher monsieur

Bien cordialement à vous

marguerite di Bassiano

215.

André Suarès à Marguerite Caetani

paris, 25 avril 1929 voici, chère madame, la matière de deux saisons, le printemps et l’été. partagez la comme il vs plaira. Je ne vs fais qu’une prière : ne laissez pas lire le texte, tant qu’il ne sera pas imprimé dans votre beau Commerce. tous les clowns ne sont pas aussi bons garçons que Bottom1 : je crains ceux de la rue de grenelle qui, pendant la nuit, me jettent des sorts ; et ils lanceraient le mauvais œil à mon livre, s’ils pouvaient le lire par dessus votre épaule 2 .

Lettre 214. 1 enveloppe adressée rue Cassette. au dos, mention de suarès : « 15/17 – iv – 1929 ».

Lettre 215. 1 Bottom, un des personnages du Songe d’une nuit d’été. 2 la rue de grenelle désigne ici la maison gallimard.

253

J’espère, chère madame, que mr. Fréret vs a remis va R ia Bles, et que vs prendrez quelque plaisir au poRt R ait De pRospÉRo que je vs envoie aujourd’hui 3 : ou plutôt je le confie encore à mr. Fréret, pour mieux faire et parce que la poste ne prend pas grand soin des livres.

Croyez, je vs en prie, chère madame, au respect comme aux meilleurs sen timents de votre très humble, Σ

216.

Marguerite Caetani à André Suarès1

villa Romaine [6 mai 1929]

Cher monsieur

J’ai à vous remercier de tant de belles choses ! avant tout ce « voyage » que j’aime infiniment et ensuite les deux livres surtout poète tragique avec une dédicace qui me rend très fière ! merci de tout cœur et pardonnez moi l’épisode du téléphone ! – Je voulais beaucoup mettre le « voyage » dans une fois et je pense que je pourrais peutêtre dans le cahier d’eté qui paraî tra un mois après celui du printemps. Je saurai cela demain, et vous le dirai aussitôt.

a bientôt à la villa Romaine j’espère et encore toute ma reconnaissance marguerite di Bassiano

3 a ndré suarès, Variables, Émile-paul frères, 1929 ; Poète tragique. Portrait de Prospéro, Émile-paul frères, 1921.

Lettre 216.

1 au dos de l’enveloppe qui l’accompagne, suarès a indiqué la date suivante : « 6.v.1929 ».

CoRR espon DanCe FR ançaise254

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 255

217.

Marguerite Caetani à André Suarès

villa Romaine mardi [mai 1929]

Cher monsieur

Comme vous avez été si gentil et que vous m’avez dit de vous dire si je trouvais des passages un peu trop pointus dans votre beau voyage1, j’ose vous envoyer ces épreuves avec quelques indications que je vous prie de modifier. peutêtre même l’auriez vous fait sans que je vous le demande ! –

Je suis bien heureuse que nous pouvons mettre le tout dans ce cahier. Connaissez vous le suarez espagnole mystique du 16 e je pense 2 ? seriez vous disposé à en traduire du latin des fragments que vous choisiriez ? Je peux vous prêter ses œuvres complètes.

Je vous prie d’agréer monsieur mes meilleurs souvenirs marguerite de Bassiano

218.

André Suarès à Marguerite Caetani

paris, 21 mai 1929

Rien n’est plus juste, chère madame. J’étais allé moi même au devant de vos scrupules ; et les passages marqués par vous le sont aussi sur ma copie. Ce que je puis dire, seul, ne doit pas être dit dans votre maison, qui est un palais, où vs recevez avec tant de courtoisie tous ceux qui vs semblent méri ter qu’on les invite. i l ne m’en coûte donc rien de me rendre à un désir, qui fût le mien avant d’être le vôtre.

Lettre 217.

1 « voyage du Condottiere », X i X, printemps 1929, pp. 107-200.

2 voir plus haut, lettre 176.

Dois je vs renvoyer à versailles le Keats’s Shakespeare ? Que ce livre est touchant1. on voit le cher poète lire notre Évangile de poésie, et suivre note à note la voix qui n’eut jamais d’égale. Keats avait un si grand goût, un sens si merveilleux de l’art, qu’à vingt-cinq ans il semble déjà dans son vieil âge. une grande âme n’est jamais jeune, en l’étant toujours, quand elle est sur le point de quitter cette vie.

J’espère vs voir bientôt, chère madame. Je répondrai mieux à vos ques tions, et peut-être me permettrai-je de vs en faire au moins une. Croyez, je vs en prie, aux sentiments de la respectueuse sympathie de votre très humble s

219.

Marguerite Caetani à André Suarès1

30. 9. 1929

arrive de voyage & trouve votre lettre naturellement trop heureuse avoir por trait de Florence 2 vous écris aujourd’hui meilleur souvenir & remerciements marguerite de Bassiano

Lettre 218.

1 marguerite Caetani avait sans doute prêté à suarès le livre suivant, de la critique lit téraire anglaise Caroline spurgeon : Keats’s Shakespeare : a descriptive study based on new material, london, oxford university press, 1928.

Lettre 219.

1 télégramme envoyé de versailles le 30 septembre 1929. suarès a noté au dos : « 9.10.29 ».

2 a ndré suarès, « Fiorenza », Commerce, XX ii, hiver 1929, pp. 127-196.

CoRR espon DanCe FR ançaise256

220.

Marguerite Caetani à André Suarès1

Cher monsieur

Comme je vous ai télégraphié je n’ai reçu votre lettre qu’au retour d’un petit voyage et je me suis empressée de vous dire le plus vite possible ma joie de pouvoir insérer dans Commerce une seconde partie de cet admirable « voyage ». J’ai attendu pour vous écrire dans l’espoir de pouvoir vous dire que j’avais trouvé un appartement à versailles possible pour vous. hélas je pense avoir trouvé seulement un à peu près ! – Je ne l’ai pas visité encore et j’irai demain et vous ferai savoir aussitôt si je pense qu’il y a même une petite chance que cela puisse faire votre affaire. avant de partir pour la mer j’ai fait des recherches sans trouver quoi que ce soit de possible. puis-je savoir la longueur de « portrait de Florence » et puis-je le mettre au cahier de Janvier sans inconvenient. avec ma grande reconnaissance de tout ce que vous m’avez dit dans votre charmante lettre, bien cordialement à vous marguerite di Bassiano

221.

Marguerite Caetani à André Suarès

mercredi. [1929 ?]

Cher monsieur malheureusement j’ai été très enrhumée et je n’ai pas pu aller voir cet appartement mais d’après ce qu’en dit mon maître d’hôtel je pense que cela vaudrait la peine que vous le voyiez, si vous n’avez encore rien trouvé. Je regrette que ce n’est pas mieux.

Lettre 220. 1 lettre accompagnée d’une enveloppe adressée rue Cassette.

maRgueRite
Caetani
et
les auteuRs FRançais
257

222.

André Suarès à Marguerite Caetani1

collioure, p yr - or les 27 nov. 1929

m’avez vous oublié, chère madame ? loin des yeux, suis je déjà victime de cet exil, encore plus que je ne pouvais le craindre 2 ? Je feins d’y croire, pour vs forcer un peu à me détromper ; mais au fond, je n’y crois guère : votre regard et votre voix ont cette vérité irrésistible qu’anime un sentiment plus rare même que la bonne volonté. me voici donc, sans attache et presque sans raison, dans ce petit port catalan, qui m’était inconnu hier, encore. n’était la mer, qui est mon vrai lieu de naissance, je serais bien étranger, ici. a Collioure, on peut s’imaginer sans aucune peine qu’on vit soudain dans une vieille petite rade, un hâvre de la Renaissance ou des temps antiques. tout rappelle vauban et les vieux petits ports de la Côte ligure. la citadelle a le sourcil sévère et les remparts la roideur élégante des siècles où la guerre était un art. et les pierres semblent de pain brûlé. si les filles étaient plus jolies, les pirates barbaresques vien draient assurément les enlever à leurs mères, tandis que les hommes sont à la pêche. Quelles bonnes gens, ces pêcheurs ! Comme ils sont vrais et simples : rien ne ressemble moins aux gens de lettres et n’est plus loin de la n RF. adieu, chère madame. J’ai voulu vs donner de mes nouvelles, pour avoir des vôtres, et peut-être aussi de Florence. vs avez certainement reçu la fin du portrait, que je vs ai envoyée avant mon départ de paris, il y a plus d’un mois.

Lettre 222.

1 le papier de cette lettre comporte un cachet avec les initiales de suarès entrelacées et orné d’un motif de chouette.

2 suarès avait été contraint de quitter son appartement parisien du 20, rue Cassette. De novembre 1929 à mai 1930, il vivra à Collioure, puis à toulon. i l ne regagnera paris qu’en octobre 1930 et s’installera rue de la Cerisaie.

CoRR espon DanCe FR ançaise258
veuillez agréer cher monsieur tous mes meilleurs souvenirs marguerite di Bassiano

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 259

Croyez, je vs en prie, à l’affectueux et plus entier respect de votre très humble Σ 223.

Marguerite Caetani à André Suarès1 [2 janvier 1930]

m ille bons souhaits pour l’année 1930 vous écris marguerite de Bassiano

224.

Marguerite Caetani à André Suarès1

villa Feuillée Bould de garavan menton – garavan a m [Janvier 1930]

Cher maître et a mi Je suis désolée de vous avoir laissé si longtemps sans mes nouvelles mais si vous saviez combien j’ai pensé à vous et à votre belle œuvre je pense que je serais pardonnée.

Lettre 223. 1 télégramme envoyé de Collioure le 2 janvier 1930.

Lettre 224. 1 avec enveloppe envoyée à Collioure, p yrénées orientales. Cachet postal : 13 janvier 1930.

Je voulais tant faire de mannière à ce que Commerce puisse publier le tout mais hélas ce ne sera guère possible et je me vois forcée mais bien contre mon gré de vous prier de réduire cette belle œuvre à 80 pages de votre manuscrit.

Je ne peux pas faire autrement et même comme cela c’est une excep tion qu’on fait pour vous. vous imaginez peutêtre le poids matériel que Commerce représente pour moi et l’année ’29 a été particulièrement dure pour différentes raisons. À mon grand regret j’ai dû me décider à tenir la revue à un nombre de pages plus ou moins fixe. C’est à dire autour de 200 ce qui rend impossible la publication de manuscrits de plus de 50 à 60 pages au maximum pour arriver à la variété nécessaire à une revue. Ceci dit on fera exception pour vous toujours dans la limite du possible.

Je vous prie de me renvoyer ici votre manuscrit avant le 12 février. si vous n’y voyez pas d’objection (en vue de la date de publication du livre) “Fiorenza” sera publiée dans le cahier du printemps paraissant au mois d’avril 2 ?

Comment allez vous et avez vous quelque espoir d’avoir une maison pour le printemps à paris ou aux environs ? merci de cœur pour le charmant petit livre sur st augustin 3

Je vous envoie malgré que cela soit un peu tard mille et mille vœux pour l’année ’30 et qu’elle vous réserve surtout une maison d’après votre cœur. Bien cordialement à vous

225.

Marguerite Caetani à André Suarès

villa Feuillée menton- garavan le 11 fév. [1930]

Cher monsieur vous êtes si charmant pour moi que j’en suis infiniment touchée. merci de tout cœur.

2 « Fiorenza » paraîtra dans le cahier XX ii de l’hiver 1929.

3 suarès, Martyre de St Augustin, liège, Éditions le Balancier, 1929, 42 pages.

CoRR espon DanCe FR ançaise260

Je vous renvoie cette lettre qui se trouvait avec votre manuscrit et de laquelle je n’ai vu que « monsieur » ! – Je vous renvoie votre manuscrit en vous priant de remettre le si beau morceau sur le titien et les pages sur machiavel et peutêtre si vous croyez sacrifier à la place p. 149-152 qui me semblent moins essentielles à l’ensemble ?

Je vous prie alors d’envoyer votre manuscrit directement à Fréret qui l’attend. Je suis si peinée par vos nouvelles. n’avez vous encore rien en vue à paris ou dans les environs ? Je serais si heureuse d’avoir vos nouvelles. Je suis ici jusqu’au 18 et après à palazzo Caetani via delle Botteghe oscure, Rome. J’aurais voulu laisser tout ce qui pourrait paraitre un peu anti-Romain. Je suis tellement de votre avis ! –

Je vous envoie ma très profonde sympathie et vous prie de me croire bien cordialement à vous

226.

Marguerite Caetani à André Suarès1

villa Romaine versailles le 13 sept. [1931]

Cher maitre et a mi excusez moi ! – J’ai reçu votre lettre au moment de partir pour la mer et je voulais vous répondre aussitôt settled down. mais hélas j’ai laissé passer trop de temps et ensuite j’étais malade – une bronchite de laquelle je suis à peine remise. J’étais infiniment touchée de votre mot. Je craignais même que votre long silence voulait dire que vous n’étiez pas content de moi – ou de Commerce ! – Je serais très heureuse de vous revoir. le nom de votre rue est charmant 2 !

Lettre 226.

1 la lettre est accompagnée d’une enveloppe de versailles adressée rue de la Cerisaie. adresse barrée : Château de la Barre les a méniers / toulon var. Cachet postal : 16 sep tembre 1931.

2 suarès s’était installé rue de la Cerisaie en octobre 1930.

261

peutêtre vous n’oubliez pas Commerce qui a besoin de tous ses amis en ce moment ? J’espère que vous allez bien et à très bientôt.

Bien cordialement à vous marguerite de Bassiano 227.

André Suarès à Marguerite Caetani1

11, rue de la cerisaie, paris – iv 19 nov. XXX i [1931]

À présent que je suis de retour, chère madame, me donnerez-vous le plaisir de votre visite, comme vs me l’avez promis ? vs verrez la Cerisaie. hélas, elle est à la Bastille. Ce n’est pas la vallée aux Cerises de solliès-pont à Belgentier, cette merveilleuse fiancée de provence, toute en bouquets de fleurs candides, au printemps. oubliez aussi, en venant sur cette rive, votre belle villa de versailles, avec son air de piranèse en i le de France. vs ne trouverez que votre serviteur avec ses manuscrits : il y en a pour Commerce, et de toute sorte. Je vs dirai mes projets ou, du moins, ceux qui, je l’espère, vs intéressent.

Je suis toujours à vs, chère princesse, en tout respect, votre très humble Σ

Lettre 227. 1 la lettre comporte un cachet avec les initiales de suarès entrelacées et orné d’un motif de chouette.

CoRR espon DanCe FR ançaise262

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 263 228.

Marguerite Caetani à André Suarès1

[11 décembre 1931]

sauf contre avis serai chez vous deux heures lundi meilleurs souvenirs marguerite de Bassiano

229.

Marguerite Caetani à André Suarès1

[15 décembre 1931]

très reconnaissante si vous vouliez m’envoyer un choix de vos poèmes meilleurs souvenirs marguerite de Bassiano

Lettre 228. 1 télégramme envoyé de paris le 11 décembre 1931.

Lettre 229.

1 télégramme envoyé de versailles le 15 décembre 1931 et adressé rue de la Cerisaie.

230.

Marguerite Caetani à André Suarès1

vendredi [18 décembre 1931]

Cher poète – excusez ma dépêche et moi ! – J’ai pensé après réflexion faite que puisque nous n’avons jamais donné de poèmes de vous je préfère main tenant en donner si vous permettez – et j’aimerais les avoir avant mercredi, jour de mon départ, si possible, pour vous les rendre ensuite. naturellement ils seront composés en grandes italiques et je vous prie de m’envoyer le nom bre que vous désirez voir paraître dans une série 2 . si vous me dites le jour que vous les aurez je les ferai prendre, comme cela nous gagnons du temps. Je pourrais les faire taper moi si vous avez assai de confiance en moi – merci d’avance et excusez moi de nouveau.

Bien cordialement à vous

marguerite de Bassiano

231.

Marguerite Caetani à André Suarès

villa Romaine lundi. [décembre 1931 ?]

Cher monsieur

Je suis si heureuse de ce que vous me dites et sauf contre-ordre de votre part je serai chez vous à trois heures mercredi.

Bien cordialement à vous

marguerite di Bassiano

Lettre 230.

1 enveloppe adressée rue de la Cerisaie. Cachet postal : 18 décembre 1931.

2 Ce projet de publication ne vit pas le jour puisque Commerce disparut en 1932. Des poèmes de suarès furent en revanche publiés dans La NRF, en janvier puis en novembre 1933.

CoRR espon DanCe FR ançaise264

maRgueRite Caetani et les auteuRs FRançais 265 232.

Marguerite Caetani à André Suarès1 [19 février 1932]

excusez silence vous prie disposer de goethe écris2 marguerite Bassiano

Lettre 232. 1 télégramme envoyé de Rome rue de la Cerisaie. Cachet de paris : 19 février 1932. 2 i l est question d’une étude sur goethe que suarès avait promise à Commerce et qu’il donnera finalement à La NRF, pour le numéro d’hommage à goethe paru en mars 1932 : « goethe l’universel », pp. 378-413.

inDeX COMMERCE (1924-1932)

1924

Cahier I – été 1924 – 158 pp. paul valÉRY, lettre lÉon paul FaRgue, Épaisseurs valeRY laRBauD, Ce vice impuni, la lecture st J. peRse, amitié du prince James JoYCe, ulysse – fragments, traduc tion de MM. Valery Larbaud et Auguste Morel

Cahier II – automne 1924 – 188 pp. emilie teste, lettre lÉon paul FaRgue, suite familière valeRY laRBauD, lettre à deux amis louis aRagon, une vague de rêve miChel iehl, Willerholz: Féerie drama tique en 3 tableaux (Premier tableau) Jean paulhan, luce, l’enfant négligée RaineR maRia RilKe, poèmes RoBeRt heRRiCK, poèmes, traduction d’Auguste Morel, préface de Valery Larbaud

Cahier III – hiver 1924 – 258 pp. saint-J. peRse, Chanson t.-s. eliot, poème, adaptation de s.-J. perse maX JaCoB, poèmes anDRÉ BReton, introduction au dis cours sur le peu de réalité RogeR vitRaC, insomnie J.-B. taveRnieR (1605 -1689), Épître au Roi, d’un commerçant français suivie de fragments de ses relations de voyage

BÜChneR, léonce et léna lÉon paul FaRgue, nuées valeRY laRBauD, lettre d’italie 1925 Cahier IV – printemps 1925 – 186 pp. paul ClauDel, le vieillard sur le mont omi FRanCis Jammes, trois extraits de ‘ma France poétique’ giuseppe ungaRetti, appunti per una poesia maRCel JouhanDeau, ermeline et les quatre vieillards John antoine nau, au mouillage paul valÉRY, préface pour une nouvelle traduction de la soirée avec m teste lÉon paul FaRgue, poème siR thomas WYat, poèmes, traduction d’Annie Hervieu et Auguste Morel valeRY laRBauD, sir thomas Wyatt maÎtRe eCKhaRt, Fragments mysti ques, traduits et précédés d’un portrait par Bernard Groethuysen giaComo leopaRDi, poèmes, traduc tion de Benjamin Crémieux

Cahier V – automne 1925 – 231 pp. paul valÉRY, a B C lÉon paul FaRgue, tumulte Jean paulhan, l’experiénce du proverbe XXX, Ra-Chrysalide

XXX, nukarpiartekak

RuDolF KassneR, le lépreux FRanCis ponge, poèmes aRChiBalD maCleish, poèmes Jean pRÉvost, l’homme à la montre anDRÉ BeuCleR, entreprises de féeries hŒlDeRlin, poèmes, suivis d’une docu mentation sur la folie de Hœlderlin réunie par B. Groethuysen

mauRiCe sCÈve, Fragments de micro cosme, suivis de Notes sur Maurice Scève par Valery Larbaud

Cahier VI – hiver 1925 – 208 pp.

lÉon paul FaRgue, Banalité eDmonD teste, Extraits de son log Book valeRY laRBauD, le vain travail de voir divers pays anDRÉ suaRÈs, saint-Juin de la primavère ChaRles mauRon, poèmes hugo von hoFmannsthal, voies et rencontres louis massignon, trois mystiques musulmans JosÉ oRtega Y gasset, mort et résurrection BoRis pasteRnaK, poèmes ossipe manDelstam, 1er Janvier 1924 henRi hoppenot, traversée de la ville 1926

Cahier VII – printemps – 200 pp. lÉon paul FaRgue, esquisses pour un paradis valeRY laRBauD, Écrit dans une cabine du sud-express Jules supeRvielle, poème antonin aRtauD, Fragments d’un journal d’enfer… RogeR vitRaC, le goût du sang eDith sitWell, poème vinCenzo CaRDaRelli, prologues RogeR FRY, moustiques

(1924-1932)

pouChKine, le maure de pierre le grand Cahier VIII – été 1926 – 204 pp. paul valÉRY, au sujet des lettres persanes valeRY laRBauD, Rues et visages de paris maX JaCoB, poèmes RenÉ guilleRÉ, Dans les espagnes arbitraires maRCel JouhanDeau, léda emilio CeCChi, aquarium-Kaléidoscope le pÈRe FRançois (e. Binet), Deux extraits de l’essai des merveilles de nature et des plus nobles artifices JaCQues RiviÈRe, 22-25 août 1914

Cahier IX – automne 1926 – 194 pp. paul ClauDel, le poëte et le shamisen anDRÉ giDe, Dindiki maX elsKamp, poèmes henRY miChauX, villes mouvantes p. DRieu la RoChelle, le Jeune européen RuDolF KassneR, Des Éléments de la grandeur humaine antoine hÉRoËt, Complainte d’une dame surprise nouvellement d’amour Quelques notes sur antoine héroët par m. valery larbaud

Cahier X – hiver 1926 – 200 pp. nietzsChe, le Drame musical grec, traduit par Jean Paulhan anDRÉ suaRÈs, variables viRginia WoolF, le temps passe, traduit par C. Mauron paul valÉRY, oraison funèbre d’une fable BRuno BaRilli, trois essais, traduits par Mme Maria Nebbia et M. Valery Larbaud Jules supeRvielle, oloron- saintemarie lÉon paul FaRgue, second récit du naufrageur p. De lanuX, voix dans le vieux louvre

in De X COMMERCE
268

XXX, Brulement d’un hérétique, traduit par Eugène Marsan 1927

Cahier XI – printemps 1927 – 197 pp. paul valÉRY, essai sur stendhal (à propos de Lucien Leuwen) lÉon paul FaRgue, trouvé dans des papiers de famille valeRY laRBauD, sur le rebut BeRnaRD gRoethuYsen, essai sur la pensée de saint augustin henRi heRtz, préparatifs de création pieRRe Jean Jouve, Quatre fleurs RenÉ guilleRÉ, sainte Russie

Cahier XII – été 1927 – 233 pp. lÉon paul FaRgue, la Drogue giuseppe ungaRetti, notes pour une poésie aRChiBalD maCleish, poèmes, traduits de l’anglais par Valery Larbaud ChaRles mauRon, poèmes FRanz hellens, indications peu salutaires anDRÉ malRauX, le voyage aux îles fortunées henRi miChauX, l’Époque des illu minés RiCCaRDo BaCChelli, trois divinités sur les apennins, traduit de l’italien par Valery Larbaud sÖRen KieRKegaaRD, Fragments d’un journal, traduits du danois par Jean Gateau et précédés d’une introduction de Rudolf Kassner miChel psellos, Deux épisodes du règne de Constantin iX, traduit du grec par Émile Renauld

Cahier XIII – automne 1927 – 193 pp. nietzsChe, socrate et la tragédie, tra duit de l’allemand par Jean Paulhan paul valÉRY, sur Bossuet

lÉon paul FaRgue, l’exil valeRY laRBauD, le miroir du café marchesi anDRÉ BReton, nadja geoRges neveuX, Quelle ombre soulève votre main BenJamin pÉRet, la Brebis galante liam o’ FlaheRtY, Barbara la Rouge, traduit de l’anglais par Valery Larbaud

Cahier XIV – hiver 1927 – 228 pp. thomas haRDY, abatage d’un arbre, traduit de l’anglais par Paul Valéry eDgaR poe, Quelques fragments des marginalia, traduits et annotés par Paul Valéry RiBemont-Dessaignes, l’Évasion maRCel JouhanDeau, le marié de village leopaRDi, pensées, traduites de l’italien et précédées d’une note de Giuseppe Ungaretti lÉon paul FaRgue, esquisses pour un paradis (Fin)

1928

Cahier XV – printemps 1928 – 209 pp. t.-s. eliot, perch’io non spero …, traduit de l’anglais par Jean de Menasce anDRÉ suaRÈs, valeurs paul valÉRY, préface au livre d’un chinois Cheng tCheng, ma mère RiCaRDo gÜiRalDes, poèmes solitaires, traduits de l’espagnol par Valery Larbaud valeRY laRBauD, Deux artistes lyriques Jules supeRvielle, la pampa aux yeux clos lÉon paul FaRgue, Bruits de café

Cahier XVI – été 1928 – 210 pp. lÉon paul FaRgue, souvenirs d’un fantôme, fragments valeRY laRBauD, actualité Jean paulhan, sur un défaut de la

inDeX COMMERCE (1924-1932) 269

pensée critique pouChKine, le coup de feu, traduit du russe par A. Gide et J. Schiffrin D.-s miRsKY, sur pouchkine t.-F. poWYs, John pardy et les vagues, traduit de l’anglais par Charles Mauron Jean giono, Colline

Cahier XVII – automne 1928 – 174 pp. ***, lettre du prestre Jehan à l’empereur de Rome, texte établi par Louis Chevasson, précédé d’une introduction d’André Malraux valeRY laRBauD, une nonnain FeDeRiCo gaRCia loRCa, le mar tyre de sainte eulalie, traduit de l’espagnol par Jules Supervielle liam o’FlaheRtY, l’aviron, traduit de l’anglais par Valery Larbaud RuDolF KassneR, la Chimère, traduit de l’allemand par B. Groethuysen et J. Paulhan maRCel JouhanDeau, la Bosco

Cahier XVIII – hiver 1928 – 256 pp. anDRÉ giDe, montaigne lÉon paul FaRgue, vieille France RoY CampBell, poèmes, traduits de l’anglais par G. Limbour valeRY laRBauD, note sur nathaniel hawthorne nathaniel haWthoRne, idées et germes de nouvelles, traduit de l’anglais par M. Valery Larbaud geoRges limBouR, le Cheval de venise paul valÉRY, léonard et les philosophes maRQuis De nointel, Dépêches d’un ambassadeur de France au Xviième siècle (documents inédits)

1929

Cahier XIX – printemps 1929 – 230 pp. paul ClauDel, Conversations dans le loir-et-Cher Jean paulhan, les gardiens

(1924-1932)

lÉon paul FaRgue, signaux anDRÉ suaRÈs, voyage du condottière BRuno BaRilli, vieille parme, traduit de l’italien par Valery Larbaud

Cahier XX – été 1929 – 213 pp. hugo von hoFmannsthal, Émancipation du lyrisme français, traduit de l’allemand paul valÉRY, littérature alFonso ReYes, les herbes du tarahu mara, traduit de l’espagnol par Valery Larbaud g. RiBemont-Dessaignes, première épître aux directeurs JÉRÔme CaRDan, Fragments, adaptés du latin, présentés par B. Groethuysen v. Rozanov, l’apocalypse de notre temps, fragments

Cahier XXI – automne 1929 – 223 pp. paul ClauDel, le livre de Christophe Colomb t.-s eliot, som de l’escalina, traduit de l’anglais par Jean de Menasce valeRY laRBauD, le patron des traducteurs siR thomas BRoWne, Chapitre v de ‘hydriotaphia’, précédé d’opinions de s.t. Coleridge sur sir thomas Browne, traduit de l’anglais par Valery Larbaud lÉon paul FaRgue, mimes

Cahier XXII – hiver 1929 – 245 pp. moRven le gaËliQue, poèmes miChel Yell, le Déserteur henRi miChauX, le Fils du macrocépha le anDRÉ suaRÈs, Fiorenza paul valÉRY, petite préface aux poésies de t’au Yuan ming t’au Yuan ming, oraison funèbre sur sa mort, traduit du chinois par Liang Tsong Taï RuDolF KassneR, le Christ et l’âme du monde, traduit de l’allemand par Jean Paulhan

in De X COMMERCE
270

1930

Cahier XXIII – printemps 1930 – 260 pp. valeRY laRBauD, trois belles men diantes henRi BosCo, Dans les petits pays de provence g. RiBemont Dessaignes, au-delà du pouvoir maRCel JouhanDeau, le Cadavre enlevé RiChaRD alDington, le Cœur mangé, traduit de l’anglais par André Beucler et Henry Church Jean paulhan, sur une poésie obscure

Cahier XXIV – été 1930 – 194 pp. paul valÉRY, moralités RenÉ Daumal, poèmes valeRY laRBauD, Du sel ou du sable ossipe manDelstam, le timbre égyptien, traduit du russe par D.S. Mirsky et Georges Limbour ÉCole BouDDhiste zen, ‘les dix étapes dans l’art de garder la vache’, adap tation française de Paul Petit

Cahier XXV – automne 1930 – 220 pp. anDRÉ giDe, Œdipe lÉon paul FaRgue, une violette noire BenJamin FonDane, ulysse louis BRauQuieR, panama Jean Follain, poèmes henRi miChauX, un certain plume geoRges meReDith, amour moder ne, traduit de l’anglais par Gilbert de Voisins

Cahier XXVI – hiver 1930 – 211 pp. paul valÉRY, allocution maRCel JouhanDeau, tite-le-long lÉon paul FaRgue, D’un porteplume à un aimant geoRges sChehaDÉ, poèmes g. RiBemont-Dessaignes, Deuxième épître aux serins et même aux rossignols

(1924-1932)

FRanz KaFKa, Récits, traduits de l’alle mand par Alexandre Vialatte 1931 Cahier XXVII – printemps 1931 – 186 pp. paul valÉRY, amphion anDRÉ Delons, poèmes JoÉ BousQuet, l’ombre d’une ombre XXX, un miracle de notre-Dame, adapta tion de Jean Schlumberger geoRg BÜChneR, Woyzeck, traduit de l’allemand

Cahier XXVIII – été 1931 – 229 pp. paul ClauDel, les cinq premières plaies d’Égypte

JaCQues pRÉveRt, tentative de des cription d’un dîner de têtes à paris-France g. RiBemont-Dessaignes, Faust RoBeRt Desnos, siramour RuDolF KassneR, l’individu et l’homme collectif, traduit de l’allemand par Jacques Decour 1932

Cahier XXIX – hiver 1932 – 197 pp. paul valÉRY, Réponse valeRY laRBauD, le vaisseau de thésée t.-s eliot, Difficultés d’un homme d’état, traduit de l’anglais par Georges Limbour geoRges gaRampon, Réveil du début de l’été henRi miChauX, nous autres geoRges RoDiti, l’abdication du matin William FaulKneR, une Rose pour emily, traduit de l’anglais par Maurice-Edgar Coindreau ***, sinica: Récits de missionnaires jésuites, présentés et précédés d’une introduction par Bernard Groethuysen

inDeX COMMERCE
271

(1924-1932)

Auteur

anonYme (moyen age)

Titres Français

un miracle de notre-Dame, comment elle garda une femme d’être brûlée. adaptation par Jean schlumberger d’un texte anonyme du moyen-âge

Numéro Pages

XXvii 75-139

aRagon, louis (1897-1982) une vague de rêves ii 89-122

aRtauD, antonin (1896-1948)

BeuCleR, andré (1898-1985)

Fragments d’un journal d’enfer vii 63-79

visite à une entreprise de féeries v 139-168

BosCo, henri (1888-1976) Dans les petits pays de provence XXiii 31-47

BousQuet, Joé (1897-1950)

BRauQuieR, louis (1900-1976)

BReton, andré (1896-1966)

l’ombre d’une ombre XXvii 59-73

panama

CaRDan, Jérôme (1501-1576)

introduction au discours sur le peu de Réalité nadja (première partie)

Fragments [Cardan peint par lui-même: extraits du livre De vita propria (ed. de 1654) et du livre De Rerum varietate (ed. de 1558) adaptés du latin par Bernard groethuysen. extraits de livre de Cardan intitulé De subtilitate Rerum, traduit du latin en français par Richard leblanc, et publié en 1578. avec note sur Cardan par B. groethuysen.]

ClauDel, paul (1868-1955) le vieillard sur le mont omi le poète et le shamisen seconde conversation dans le loir-et-Cher le livre de Christophe Colomb les cinq premières plaies d’egypte

XXv 113-122

iii Xiii 27-57 77-120

XX 107-150

iv iX XiX XXi XXviii

(inséré) 5-40 5-81 5-98 5-39

Daumal, René (1908-1944) poèmes XXiv 67-98

Delons, andré (1909-1940) poèmes XXvii 51-58

in De X COMMERCE
272

inDeX COMMERCE (1924-1932)

Desnos, Robert (1900-1945)

siramour

XXviii 165-196

le Jeune européen iX 85-104 elsKamp, max (1862-1931) poèmes iX 61-70

DRieu la Ro Chelle, pierre (1893-1945)

FaRgue, léonpaul (1876-1947)

Épaisseurs suite familière nuées poème: ‘gare de la douleur’ tumulte Banalité esquisses pour un paradis esquisses pour un paradis (Fin) Caquets de la table tournante: second récit de naufrageur trouvé dans des papiers de famille en 1909 la Drogue l’exil Bruits de café souvenirs d’un fantôme vieille France signaux mimes une violette noire D’un porte-plume à un aimant

i ii iii iv v vi vii Xiv X Xi Xii Xiii Xv Xvi Xviii XiX XXi XXv XXvi

27-59 31-55 225-231 103-109 15-22 5-12 5-33 181-228 165-175 71-131 5-20 51-57 183-209 5-19 49-66 97-103 217-223 85-90 125-130

poèmes XXv 123-141 FonDane, Benjamin (1898-1944)

Follain, Jean (1903-1971)

ulysse: Fragments (poèmes) XXv 91-111 père René François (e. Binet, 1631)

Deux extraits de l’essai des merveilles de nature et des plus nobles artifices viii 149-166 gaRampon, georges (1899- ?)

Réveil du début de l’été XXiX 89-98 giDe, andré (1869-1951)

Dindiki, ou le pérodictique potto montaigne Œdipe, pièce en trois actes

iX Xviii XXv

41-59 5-48 5-83 giono, Jean (1895-1970) Colline Xvi 119-210

273

in De X COMMERCE (1924-1932)274

gRoethuYsen, Bernard (1880-1946)

notice sur J.B. tavernier maître eckhart essai sur la pensée de saint augustin Jérôme Cardan: Fragments, adaptées du latin et présentées note sur Büchner sinica: Récits de missionaires Jésuites pré sentés et précédés d’une introduction

guilleRÉ, René (1878-1931)

hellens, FRanz (1881-1972)

Dans les espagnes arbitraires sainte Russie

indications peu salutaires

iii iv Xi XX XXvii XXiX

73-142 147-173 147-160 107-150 141-144 139-198

viii Xi 73-79 187-197

Xii 75-92

hÉRoËt, antoine (1492-1568)

préparatifs de création

Xi 161-180

Complainte d’une dame surprise nouvelle ment d’amour iX 171-183 heRtz, henri (1875-1966)

hoppenot, henri (1891-1977)

traversée de la ville vi 201-208

iehl, michel (? - ?) –voir Yell

Willerholz, féerie dramatique en trois tableaux (premier tableau)

ii 123-157 JaCoB, max (1876-1944)

–voir moRven le gaeliQue

trois extraits de ma France poétique iv 7-14

poèmes poèmes iii viii 13-23 61-71 Jammes, Francis (1868-1938)

JouhanDeau, marcel (1888-1979)

ermeline et les quatre vieillards léda le marié de village la Bosco le Cadavre enlevé tite-le-long

iv viii Xiv Xvii XXiii XXvi

31-74 81-124 79-138 137-174 93-161 17-124

Quatre fleurs Xi 181-186 laRBauD, valery (1881-1957)

Jouve, pierreJean (1887-1976)

Ce vice impuni, la lecture lettre à deux amis préface aux poèmes de Robert herrick

i ii ii

61-102 57-88 173-180

inDeX COMMERCE (1924-1932) 275

lettre d’italie sir thomas Wyatt notes sur maurice scève le vain travail de voir divers pays Écrit dans une cabine du sud-express Rues et visages de paris Quelques notes sur antoine héroët sur le rebut le miroir du café marchesi Deux artistes lyriques actualité une nonnain note sur nathaniel hawthorne le patron des traducteurs trois belles mendiantes Du sel ou du sable le vaisseau de thésée

iii iv v vi vii viii iX Xi Xiii Xv Xvi Xvii Xviii XXi XXiii XXiv XXiX

233-285 127-145 225-231 27-79 35-57 29-60 184-194 133-146 59-76 109-136 21-28 25-70 87-98 105-184 5-30 99-118 15-78

moRven le gaeliQue (max Jacob)

le Cheval de venise

poèmes XXii 5-43 limBouR, georges (1900-1970)

Xviii 113-149

malRauX, andré (1901-1976) le voyage aux iles Fortunées introduction à la lettre du prestre Jehan à l’empereur de Rome

Xii Xvii 93-131 7-24 mauRon, Charles (1899-1966)

poèmes poèmes vi Xii 123-137 53-74 miChauX, henri (1899-1984) villes mouvantes l’Époque des illuminés le Fils du macrocéphale (portrait) un Certain plume nous autres

iX Xii XXii XXv XXiX

71-84 133-141 109-123 143-161 99-102

nau, John-antoine (1860-1918) au mouillage iv 75-92

neveuX, georges (1900-1983)

Dépêches d’un ambassadeur de France au Xviième siècle (documents inédits)

Xviii 207-256

Quelle ombre soulève votre main Xiii 121-127 maRQuis De nointel (1635-1685)

in De X COMMERCE (1924-1932)276

paulhan, Jean (1884-1969)

luce, l’enfant négligée l’expérience du proverbe sur un défaut de la pensée critique (suivi d’une note sur taine et Rousseau) les gardiens sur une poésie obscure

peRet, Benjamin (1899-1959) la Brebis galante (fragments)

ii v Xvi XiX XXiii

159-164 23-77 29-52 83-96 191-260

Xiii 129-170

ponge, Francis (1899-1988) poèmes v 123-126

pRestRe Jehan lettre du prestre Jehan à l’empereur de Rome, texte établi par Louis Chevasson, pré cédé d’une introduction d’André Malraux

Xvii 5-24

pRÉveRt, Jacques (1900-1977) tentative de description d’un dîner de têtes à paris-France XXviii 41-61 pRÉvost, Jean (1901-1944)

RiBemont Dessaignes, georges (1882-1974)

l’homme à la montre v 133-138

l’evasion première épître aux directeurs au-delà du pouvoir Deuxième épître aux serins et même aux rossignols Faust

Xiv XX XXiii XXvi XXviii

43-78 79-105 49-92 145-181 63-164

RiviÈRe, Jacques (1886-1925) 22-25 août 1914 viii 167-204

RoDiti, georges (1906-1999) l’abdication du matin XXiX 103-107 saint-John peRse (1887-1975)

amitié du prince Chanson: ‘J’honore les vivants’ i iii 103-119 5-7 sCÈve, maurice (1500-1560) Fragments de microcosme v 209-231 sChehaDÉ, georges (1910-1989

suaRÈs, andré (1868-1948)

poèmes XXvi 131-143

saint-Juin de la primevère variables valeurs voyage du condottiere Fiorenza

vi X Xv XiX XXii

81-122 47-87 13-58 105-200 125-196

supeRvielle, Jules (1884-1960)

inDeX COMMERCE (1924-1932) 277

Whisper

oloron-sainte-marie la pampa aux yeux clos

vii X Xv

59-61 157-164 137-181

Épître au Roi d’un commerçant français suivi de Fragments de ses relations de voyage iii 69-142 ? valÉRY, paul (1871-1945)

taveRnieR, J.-B. (1605-1689)

lettre lettre de madame emilie teste préface pour une nouvelle traduction de la soirée avec m teste a B C edmond teste: log Book (extraits) au sujet des lettres persanes oraison funèbre d’une fable essai sur stendhal (à propos de lucien leuwen) sur Bossuet notes sur les marginalia de poe préface au livre d’un Chinois léonard et les philosophes littérature petite préface aux poésies de t’au Yuan ming moralités allocution (cinquantenaire des concerts lamoureux amphion, mélodrame (musique d’arthur honegger)

Réponse

i ii iv v vi viii X Xi Xiii Xiv Xv Xviii XX XXii XXiv XXvi XXvii XXiX

5-26 5-30 93-102 5-14 13-25 5-27 135-142 5-69 45-50 11-41 59-77 151-205 13-65 197-209 5-66 5-16 5-50 5-14

vitRaC, Roger (1899-1952) insomnie le goût du sang iii vii 59-68 81-111 Yell, michel –voir iehl le Déserteur XXii 45-107

Auteur Titres Anglais

alDington, Richard (1892-1962)

BRoWne, sir thomas (1605-1682)

CampBell, Roy (1901-1957)

Numéro Pages

le Cœur mangé (traduit de l’anglais par andré Beucler et henry Church) XXiii 163-189

Chapitre v de hydriotaphia, précédé d’opi nions de s t. Coleridge sur sir thomas Browne (traduits de l’anglais par valery larbaud)

XXi 185-215

poèmes (textes anglais et traduction par georges limbour) Xviii 67-85

ColeRiDge, samuel taylor (1772-1834)

eliot, t s (1888-1965)

in De X COMMERCE (1924-1932)

opinions sur sir thomas Browne (traduit de l’anglais par valery larbaud)

the hollow men (extrait: texte anglais et adaptation de saint-John perse) perch’io non spero (texte anglais et traduc tion par Jean de menasce) som de l’escalina (texte anglais et traduction par Jean de menasce) Difficultés d’un homme d’état (texte anglais et traduction par georges limbour)

XXi 189-195

FaulKneR, William (1897-1962)

une Rose pour emily (traduit de l’anglais par maurice-edgar Coindreau)

iii Xv XXi XXiX

9-11 5-11 99-103 79-87

XXiX 109-137

Fry, Roger (1866-1934)

moustiques (traduit de l’anglais par Charles mauron)

Felling a tree (texte anglais et traduction par paul valéry)

Xiv 5-9

vii 145-154 haRDY, thomas (1840-1928)

haWthoRne, nathaniel (1804-1864)

heRRiCK, Robert (1591-1674)

idées et germes de nouvelles (traduit de l’anglais par valery larbaud)

poèmes (traduits de l’anglais par annie hervieu et auguste morel, préface de valery larbaud)

Xviii 99-111

ii 171-188

JoYCe, James (1882-1941)

ulysse: Fragments (traduits de l’anglais par auguste morel et valery larbaud, avec note par valery larbaud)

i 121-158 maCleish, archibald (1892-1984)

poèmes (textes anglais et traduction par valery larbaud) poèmes (textes anglais et traduction par valery larbaud)

amour moderne (traduit de l’anglais par gilbert de voisins, avec note du traducteur)

v Xii

XXv 163-220

127-131 43-51 meReDith, georges (1828-1900)

o’FlaheRtY, liam (1897-1984)

poe, edgar allan (1808-1849)

Barbara la rouge (traduit de l’anglais par valery larbaud) l’aviron (traduit de l’anglais par valery larbaud)

Quelques fragments des marginalia (traduits de l’anglais et annotés par paul valéry)

Xiii

Xvii

171-193 79-93

Xiv 11-41

278

poWYs, t.F. (1875-1953)

sitWell, edith (1887-1964)

WoolF, virginia (1882-1941)

WYatt, sir thomas (1503-1542)

inDeX COMMERCE (1924-1932) 279

John pardy et les vagues (traduit de l’anglais par Charles mauron)

une entrevue avec mars (extrait de la mort de vénus, texte anglais et traduction par valery larbaud)

le temps passe (traduit de l’anglais par Charles mauron)

poèmes (traduits de l’anglais par annie hervieu et auguste morel)

Xvi 99-118

vii 113-123

X 89-133

iv 111-126

Auteur Titres Allemands

Numéro Pages

BÜChneR, georg (1813-1837)

léonce et léna (traduit de l’allemand par Denise levé et louis aragon)

Woyzeck (traduit de l’allemand par Jeanne Bucher, Bernard groethuysen et Jean paulhan)

Fragments mystiques (traduits et précédés d’un portrait par Bernard groethuysen)

iii XXvii

iv 147-173

143-223 141-186 maÎtRe eCKhaRt (1260-1327)

gRoethuYsen, Bernard

[siehe unter Büchner, eckhart und hölderlin]

hoFmanns thal, hugo von (1874-1929)

voies et rencontres (traduit de l’allemand par l’auteur; revu par alexis leger)

emancipation du lyrisme français (traduit de l’allemand par l’auteur; revu par alexis leger)

poèmes (traduits de l’allemand et suivis d’une documentation sur la folie de hölder lin réunie par B. groethuysen)

KaFKa, Franz (1883-1924)

KassneR, Rudolf (1873-1959)

Deux récits: premier chagrin, un Champion du jeûne (traduits de l’allemand par alexan dre vialatte)

le lépreux (traduit de l’allemand par Jean paulhan)

Des éléments de la grandeur humaine (tra duit de l’allemand par la princesse alexandre de la tour et taxis)

introduction à sören Kierkegaard (traduit de l’allemand par alix guillain)

vi XX

v 169-207

139-150 5-11 hÖlDeRlin, Friedrich (1770-1843)

XXvi 183-211

v iX Xii

93-122 105-170 153-164

nietzsChe, Friedrich (1844-1900)

in De X COMMERCE (1924-1932)

la Chimère (traduit de l’allemand par B. groethuysen et J. paulhan) le Christ et l’âme du monde (traduit de l’allemand par J. paulhan) l’individu et l’homme collectif (traduit de l’allemand par Jacques Decour)

le Drame musical grec (texte allemand et traduction par Jean paulhan, avec note par max oehler) socrate et la tragédie (texte allemand et traduction par Jean paulhan avec note par max oehler)

Xvii XXii XXviii

95-136 215-245 197-229

X Xiii

5-46 5-44

RilKe, Rainer maria (1875-1926)

la Dormeuse ii 165-169

Auteur Titres Italiens Numéro Pages

anonYme (trecento italiano)

BaCChelli, Riccardo (1891-1985)

BaRilli, Bruno (1880-1952)

Brûlement d’un hérétique (extrait de his toire de Frère michel minorita, traduit par eugène marsan)

trois divinités sur les apennins (traduit de l’italien par valery larbaud)

trois essais (traduits de l’italien par maria nebbia et valery larbaud) vieille parme (traduit de l’italien par valery larbaud)

X 187-200

Xii 143-151

X XiX

CaRDaRelli, vincenzo (1887-1959)

143-156 201-230

prologues (traduit de l’italien par Joseph Baruzzi) vii 127-143

CeCChi, emilio (1884-1966) aquarium (traduit de l’italien par Benjamin Crémieux)

Kaléidoscope (traduit de l’italien par valery larbaud)

viii viii

leopaRDi, giacomo (1798-1837)

ungaRetti, giuseppe (1888-1970)

poèmes (traduits par Benjamin Crémieux) pensées (traduites de l’italien et précédées d’une note de giuseppe ungaretti)

appunti per una poesia appunti per una poesia (2) (texte italien et traduction par l’auteur) note sur leopardi

125-133 135-147

iv Xiv 175-185 139-180

iv Xii Xiv

15-29 21-41 141-146

280

inDeX COMMERCE (1924-1932)

Auteur Russian Titles

manDelstam, osip (1891-1938)

miRsKY, D.s. (1890-1939)

pasteRnaK, Boris (1890-1960)

pouChKine, aleksandr (1799-1837)

Rozanov, v. (1856-1919)

ier Janvier 1924 (traduit du russe par hélène iswolsky)

le timbre égyptien (traduit du russe par D.s mirsky et georges limbour)

sur pouchkine

poèmes (traduits du russe par hélène iswolsky)

le maure de pierre le grand (traduit du russe par hélène iswolsky)

le Coup de feu (traduit du russe par andré gide et Jacques schiffrin)

l’apocalypse de notre temps: fragments (traduits du russe par v. pozner et B. de schloezer)

Number Pages

vi XXiv

193-199 119-168

Xvi 83-97

vi 187-192

vii Xvi

155-200 53-81

XX 151-213

281

inDeX Des noms

achard marcel, 173 et n achel Jean, 96n adler Kathleen, xxii n a gnelli marella, xi n a grève Jean d’, 83n a ldington Richard, 177n, 178 a llégret marc, 192n, 195 et n a lvaro Corrado, 82 et n, 83 a ngioletti giovanni Battista, 117 et n a nrep helen, xv apollinaire guillaume, 10n, 24n, 51n a ragon louis, xxiv, 8n, 11 et n, 35n, 106, 126 et n, 133, 141 et n, 143 a rland marcel, xxxiii n, 92 et n, 154 a ron Robert, 48, 49n a rtaud a ntonin, xxxii, 5 et n, 16, 17 et n, 21 et n, 23, 24 et n, 27 et n, 49 et n, 158n auberjonois René, 145 auclair marcelle, 21 et n, 174 et n audiberti Jacques, 126n audisio emmanuel, 30n augustin (saint), 51 et n, 54, 260 auric georges, 141n aury Dominique, 159n

Bachelard gaston, 124 et n Baillaud Bernard, 93n Baldwin Charles n., x n Ballard Jean, 143n Balthus (Balthazar Klossowski de Rola, dit), 107 et n, 135, 138, 145 Balzac honoré, xxii n Barney natalie Clifford, xvii et n, xxiin

Barolini helen, xi n, xiii n Barrès maurice, 32 et n, 45n Bassani giorgio, ix Bataille georges, ix Batault georges, 149n Baudelaire Charles, 91n Bazlen Roberto, 145 Beach sylvia, xix, xxii n, xxv n Beaumarchais Jacques de, 147 et n Beaumarchais (m me de), 151 Beecham t homas, 109 et n Bell Clive, 109 et n Benstock shari, xxii n Béraud henri, 191 et n Bergson henri, xxviii n Berman a rt, xxviii n Bernard marc, 19n, 80 et n Berthault François, 39 et n Beucler a ndré, xxxii, 43 et n, 175 et n, 176 et n, 177 et n, 178 Bibesco Étienne, xiii Bibesco (marthe, princesse), xx Biddle Francis, x n Blake William, 27 et n Blanchot maurice, ix, 140n Blin georges, 126n Blumenthal (m me georges), 239n Bohnenkamp Klaus, 4n, 12n, 38n, 96n, 215n

Boldini giovanni, xii, xiv n Bolton isabel, 158 et n Bonnard abel, 140 Bonnard pierre, xi, xii, xiii et n Bontempelli massimo, 29 et n, 30 et n

La rivista «Commerce» e Marguerite Caetani, Direzione di Sophie Levie. V. Correspondance française. Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français , édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2016 ISBN (stampa) 978-88-6372-878-1 (e-book) 978-88-6372-879-8 – www.storiaeletteratura.it

Bounoure gabriel, 160 et n

Bousquet Joë, xxxix, 119, 120, 133n, 144, 179 et n

Boylesve René, 51 et n

Braque georges, 113n, 154

Brasillach Robert, 140n

Bréal auguste, 81 et n

Brechmacher Janna, xiii n, xx n, xxix n

Breton a ndré, 5, 70n

Brisset laurence, ix n, xl

Broch hermann, 160

Bucher Jeanne, 135 et n, 143, 218

Büchner georg, xxiv, 8n, 135n

Buchner Jeanne, 8n

Bussy Dorothy et simon, 210

Caetani Camillo, xiv et n, xxxvii, 40 et n, 49, 56, 67, 69, 83n, 84, 85, 102 et n, 107, 112, 118, 121, 126, 131 et n, 133, 135, 136n, 139, 217, 224

Caetani gelasio, 91 et n, 107n

Caetani lelia, xiv et n, 19 et n, 26, 40, 49, 50, 54, 56, 66n, 85, 107, 111, 112, 113, 118, 120, 122, 126, 130, 133, 135, 138, 142, 143, 145, 146, 149, 152, 159, 218, 224

Caetani leone, xiii n

Caetani m ichelangelo, xxii n

Caetani onorato, xiii et n, xiv n, xxii n

Caetani Roffredo, xi n, xiii et n, xiv et n, xv n, xx, xxii et n, xxiii, 3n, 19n, 40n, 49, 102, 108, 121 et n, 138, 141n, 146, 152, 218, 224n

Caffi a ndrea, 83 et n, 93, 102, 155

Caillois Roger, 120 et n, 124 et n, 128, 133

Callet (père), 13n

Campbell Roy, xxiv n, 91n, 94n, 225n, 226

Caracciolo marella, xi n

Cardan Jérôme, 111 et n

Carderelli vincenzo, 67 et n

Casati (les), xiv n

Cassou Jean, xxxii, 12 et n

Castel Jeanne, 154 et n Cecchi emilio, xxiv, 36n Cézanne paul, 26n Chagall marc, 10 et n, 124 Chaliapine Fédor, xxiii Chapin Deacon samuel, x n Chapin Katherine garrison, x n Chapin lindley hoffman paul, x et n Chaplin Charlie, xxiii, 17n, 18n, 24, 55 Char René, 160

Chardonne Jacques, 140 Charles-Roux edmonde, 118 et n Charles-Roux François, 118n Chateaubriand François-René, xxii n Chauvet stephen, 52, 54, 56 Cheng-tcheng, 77n Chennevière georges, 34 et n Chirico giorgio, 6n, 10 et n, 23, 29n Choffé Bernard, 75n Choffé Docteur, 102n Choffé Frédéric, 75n Church henry, 108n, 135n, 177n, 178 et n Ciano gian galeazzo, 126 et n Cingria Charles-a lbert, 119 et n, 123, 135, 138, 145, 159, 160 et n Claudel paul, ix, xxxiii, 33 et n, 82 et n, 118n, 180-187 Cocteau Jean, xxvii et n, 10 et n, 37n, 232n

Cogniat Raymond, 43n Colette, 179n, 232n Colomb Christophe, 59 Conrad Joseph, 53n Copeau Jacques, 7 et n Couve de murville maurice, 147 et n, 150

Craig edward gordon, xii Crapo henry howard, x n Crémieux Benjamin, 50, 92n, 150 et n Crémieux (m me Benjamin, née mariea nne Comnène), 29 et n Croce e lena, 148 et n Cros Charles, 6 et n

in De X Des noms284

Curtius ernst Robert, 158 et n

D’a nnunzio gabriele, xii et n, xiv n Dante, 19 et n

Daumal René, 126n

Dauptain odette, 75n

Davis Ronald, xxvi et n, 183 et n, 184 Davray henry, 53 et n De la tour du pin patrice, 135 De vinci léonard, 126

Deberly henri, 43 et n Decour Jacques, 105 et n, 151n Dennett laurie, xi n

Derain a ndré, xvi et n, xxiii, 119, 151, 154

Desjardins paul, 33 et n, 147n Desnos Robert, 106 et n, 188 et n, 227 et n

Dhôtel a ndré, 157 et n Diaghilev serge, xxii n Diesbach ghislain, xx n Donne John, 224 Doriot Jacques, 141n

Dostoiefski Fiodor (aussi: Dostoïevski), xxxvi, 79, 118n

Drieu la Rochelle pierre, 38 et n, 124n, 131n, 140n, 141 et n, 189 et n Drouin René, 149n, 152n, 154n Du Bos Charles, 7n, 23, 33 et n, 41 et n, 51 et n, 54, 60 et n, 61n, 105 et n, 196n, 234 et n

Dubuffet Jean, 149 et n, 152, 154, 158, 200n

Duchamp marcel, 22

Dufresne Charles, 26 et n, 59n

eckhart maître, xxiv, 9n, 10 einstein a lbert, xxviii n eliot thomas stearns, xvi et n, xviin, xxiin, xxiv et n, xxvii, xxix et n, 77n, 155, 224, 227 et n, 232 e liot valerie, xvii n e llmann Richard, xxiii n eluard paul, 16, 17 et n, 133, 141 et n, 142

essenine sergueï, 25, 118n

Fabulet louis, 183 et n, 184 Fargue (Chérie-a nne, dite Chériane, m me léon-paul), 126 et n Fargue léon, 23n Fargue léon-paul, ix, xvii, xviii et n, xix, xxiiin, xxv, xxvi, xxviii et n, xxxii, xxxiii, xxxv, 5, 23 et n, 36, 39, 50, 54, 57n, 63 et n, 68, 72, 73 et n, 76 et n, 77n, 82, 91n, 92, 94 et n, 126 et n, 149 et n, 151, 175 et n, 176, 177, 191, 209, 218, 223n, 224 et n, 249 et n, 251

Fargue marie, 23n Fautrier Jean, 113 et n, 152, 154n Fazzini pericle, 108 et n Fénéon Félix, xxxix, 139 et n, 144, 150 et n, 181n Fernandez Ramon, 23 et n, 60, 92n, 140 Fitch noel Riley, xx n, xxi n Flanner Janet, xix n Fleuret Fernand, 33 et n Fleury Comte de, 147 Ford hugh, xix n, xx n, xxi n Forster e .m., 231, 233 et n, 234, 235n Fort paul, 63n Fouchet max-pol, 143n Fouillée a lfred, 19n Fraigneau a ndré, 140n France a natole, 33 Francis Young, 99 et n, 100 François d’assise (saint), 52n Fréret R., 38 et n, 39, 51, 55, 78, 94, 236, 254, 261 Freud sigmund, xxviii n Fry Roger, xv, xvi et n, 229 et n, 231n, 236

gaillard a ndré, 81 et n, 82 gallimard gaston, xxxiii et n, 7n, 10, 34n, 41, 49n, 120n, 124, 133n, 134n, 137n, 139n, 148n, 175n, 183, 184, 189

inDeX Des noms 285

gallimard Raymond, 137 et n gateau Jean, 59n, 238n gaulle Charles de, 147n gibert Famille, x n, xii gibert Frédéric, 156 et n gibert Frederic e ., x n gibert lelia maria, x gide a ndré, xvii, xxiii, xxix n, xxxiii, xxxiv n, 7n, 29 et n, 37 et n, 60, 67, 77 et n, 92n, 95 et n, 104, 135, 147, 190-204, 210, 218 gide madeleine, 191n giono Jean, xxxii, 80 et n, 81, 205 et n, 206, 207 et n, 208 et n, 209 et n, 210, 211 et n giotto, 52n giraud-Badin louis, xxvi, 135 et n giraudoux Jean, 33n, 37n goebbels Joseph, 140n goethe Wolfgang von, 204, 265 et n gogol nikolai, 10n goldschmidt-Rothschild m me, 216 green Julien, 34 et n, 212 grenier Jean, 201 et n groethuysen Bernard, xv, xvi et n, xxiv, xxv n, xxix n, xxxv, xxxviii, 8n, 9 et n, 10n, 11, 12n, 18 et n, 23 et n, 32, 33n, 36n, 38, 51n, 52, 53n, 54 et n, 56, 58, 59, 70, 72, 77, 79, 82, 84n, 93n, 102, 105, 109, 110, 112, 120, 124, 126n, 128 et n, 133, 135n, 136, 137, 138, 142, 143, 145, 147, 149, 154, 155, 156, 203, 210, 213 et n, 214 et n, 215 et n, 216, 217, 218, 238, 239n groom gloria, x n, xi n, xii n, xiii n guéhenno Jean, xxxv, xxxv n guérin Jean, 5n, 152 et n guillain a lix, 53 et n, 58, 59n, 77, 79, 82, 105, 124, 128, 142-145, 149, 203, 204, 215, 218 guilleré René, 36, 39 et n guïraldes Ricardo, xxiv et n, 77n gyergyaï-szegoë a lbert, 105 et n

hahn Reynaldo, xxiii hamilton ian, xvii n hardy t homas, xxiv et n, 73 et n harjès morgan, xix haughton hugh, xvii n hautecoeur louis, 137 et n hawthorne nathaniel, 95 et n hellens Franz, 4n, 6n, 128n hellens germaine, 6n henry marcel, 14n henry marceline, 14n herbart pierre, 204 hermann e ., 41n herriot edouard, 50 et n hertz henri, xxxii, 24 et n, 26 et n, 39 et n, 43 et n, 44, 48n, 55n heurgon Jacques, 147 et n, 150, 151, 156

heurgon-Desjardins a nne, 147n heuyer Dr., 128 h ilse Christoph, xiii n, xx n, xxix n h irschblumfeld m., 121 h irshner erica e ., xxii n h itler adolf, 124 et n hofmannsthal Christiane von, xii n hofmannsthal hugo von, xxix et n, 41 et n, 96 et n hölderlin Frédéric, xxiv, xxv n hoppenot henri, 23 et n howard harriet e llis, xxii n howard hubert, xxii n, 159n husserl edmund, 23n huyghe René, 136 et n, 138, 143

iswolsky helen, 25 et n Jacob max, 4n, 8 et n, 24n, 77 et n Jacomet Daniel, 43 et n James henry, 233n, 234 James William, xxviii n Janet pierre, 19n Jarrety m ichel, 11n, 20n Jarry a lfred, 24n, 48, 49n, 183n Jeanne (ungaretti), 110n

in De X Des noms286

Johnston Robert h., xxii n Jonson Ben, 225n

Jouaust Damase, 199 et n Jouhandeau Élise, 149n

Jouhandeau marcel, xxxii, 8 et n, 10 et n, 33n, 48, 70 et n, 73 et n, 105n, 120n, 133 et n, 140, 149 et n, 152n, 160n, 219-222

Jouve pierre Jean, xxxii, xxxv, 34 et n, 37 et n, 135n

Joyce James, xxiii et n, xxxiii

Kafka Franz, 118n, 160

Kahn gustave, 181n Kant emmanuel, 101 Kassner Rudolf, xxix et n, 12n, 21 et n, 36n, 38 et n, 39n, 59 et n, 63n, 84, 95 et n, 105 et n, 106 et n, 145, 160 et n, 196 et n

Keats John, 256 Kessler harry graf, xii n, xiii et n, xx et n, xxix n, 216 et n Kierkegaard søren, 59 et n, 145, 160, 238 et n Kipling Rudyard, 53n, 183n Kippenberg a nton, 214, 215n Kivi a leksis, 51 Klee paul, xxxix, 119, 120n Knight margaret, xxii n

la Fresnaye Roger de, 26n, 43 et n, 59 et n laboureur Jean-Émile, 33n laclos Choderlos, 132n landriano (princesse), xiv n larbaud valery, ix, xvii, xviii et n, xix, xxi, xxiii et n, xxiv, xxvn, xxvi, xxviin, xxviii et n, xxxii, xxxiii, xxxiv et n, xxxv et n, 8n, 12 et n, 20 et n, 27n, 29n, 35n, 36n, 37n, 39n, 50, 61n, 63n, 72 et n, 73 et n, 76n, 77n, 78 et n, 81 et n, 82n, 83n, 90n, 95n, 102n, 117n, 118n, 134 et n, 157, 158 et n, 174n, 185, 191, 224, 227n, 249 et n

lascaux e lie, 5n latini Brunetto, 19 et n latour a lfred, 33n laurencin marie, 51 et n, 141 et n le Couteulx de Caumont (géneral), 147 et n le savoureux Docteur, 149n lear edward, 224 et n léautaud paul, 24 et n lefèvre Frédéric, 36n leger (a lexis, dit saint-John perse) voir saint-John perse leger (m me mère), 250n leopardi giacomo, xxiv, 5n, 73 et n, 76 levé Denise, 8n levie sophie, ix n, xvii n, xxvin, xxviii n, xxix, xxxi et n, xxxiii n, 3n, 4n, 11n, 12n, 25n, 29n, 38n, 39n, 45n, 57n, 72n, 73n, 82n, 83n, 90n, 96n, 215n lévy a lbert, 154 lévy-Bruhl lucien, 74n lewis pericles, xxviii n libero de libero, 117 et n limbour georges, xxxii, xxxv, 4 et n, 5 et n, 90n, 91 et n, 94n, 123, 126, 135, 147, 151, 154n, 225 et n, 226, 227 et n, 228 et n liszt Franz, xiii, xxii n livak leonid, xxii n lo Duca giuseppe maria, 126 et n longfellow henry Wadsworth, xxii n lulle Raymond, 120 et n

macchia giovanni, 126 et n machiavel, 261 macleish archibald, ix, xxivn, 155 et n macleod Fiona (pseud. William sharp), 52n

maeterlinck maurice, 49 et n maginot a ndré, 126 maïakovski v ladimir, 120 maillol a ristide, xii, xiii et n, xxiii malaparte Curzio, 29n mallarmé stéphane, 181n

inDeX Des noms 287

mallet Robert, xxxix n malraux a ndré, xxxii, 16 et n, 132 et n, 198n mandelstam ossip, 228n mann t homas, xxviii, 62 et n, 214 et n marchand Jean, xvi et n marolles m ichel de, 151n marsan eugène, 42 et n, 45 et n, 50 martin (m me), 32 martin du gard maurice, 24n martinetti piero, 110 et n martin-guelliot René, 58 et n marx Jean, 112 et n marye simon, 200 et n, 201, 202, 216 et n

maryse a ndrée, 99n masson andré, xvi et n, 10 et n, 226 et n massoulier Jacques, 18 et n matisse henri, 81n maurois a ndré, 60, 61n mauron Charles, 23 et n, 229-239 mauron (m me Charles, née marie Rou manille), 232n maurras Charles, 45n mayrish a line, xxxix meltz Renaud, 223n melville herman, 183 et n, 184 mény Jacques, 208n merrill stuart, 52 et n mertz-Rychner Claudia, xii n m ichaux henri, xxxv, 38n, 80 et n, 118n, 126n, 128 et n, 133, 137, 142 m irsky D. s., xxix et n, 45 et n, 77n, 78 et n, 228 et n, 238, 239n mommsen t heodor, xxii n monglond a ndré, 103 et n, 104n monnier adrienne, xxv et n, 27n, 54 et n, 108n, 121 et n, 183n montaigne m ichel de, 198, 199 et n montherlant henry de, 140 morand paul, 37n morel auguste, xxiii morra di lavriano umberto, 148 et n motheau h., 199n

moussorgski modest, xxiii murat laure, xxv n, xxvin musil Robert, 160 mussolini Benito, 14, 124n, 126n natanson (frères), 139n nelli René, 179n neveux georges, 58 et n newton isaac, 145 nietzsche Friedrich, xxiv n, xxviii n, xxxiii n, 43 et n, 44, 45, 48n, 51 et n, 52n, 58 et n, 66 et n, 250n, 251n noailles (Comtesse a nna de), 36 et n nointel (marquis de), 93 et n, 94

ocampo victoria, 124 et n o’Criothain tomas, 118n oehler max, 52 et n olympe, 65 op de Coul paul, xi n orfer léon d’, 181n ormesson Wladimir d’, 132 et n ortega y gasset José, 23 et n

pascal germaine voir paulhan (m me Jean, née germaine Dauptain) pascal marcel, 44n, 126 et n, 139, 145 et n pascal odette, 44n pascin Jules, 17 et n paulhan Claire, 163n paulhan Frédéric (pére de J p), 19n, 30n, 104n paulhan Frédéric (fils de J p), 45 et n, 126 et n, 154, 158n paulhan germaine (m me Jean, née germaine Dauptain), xxxviii, 4, 6 et n, 13, 15, 21n, 27, 28, 29n, 33, 44 et n, 49, 50, 65, 75n, 82, 102n, 103, 110, 113, 117, 121, 128, 130, 131, 135, 138, 140, 141, 142, 144, 145, 148, 150, 151, 154 et n, 156, 158, 163n, 217, 218 paulhan Jacqueline, xxix n, 158 et n

in De X Des noms288

paulhan Jean, ix et n, xviii et n, xxiv, xxviin, xxixn, xxxi, xxxii, xxxiiin, xxxiv et n, xxxv et n, xxxvi et n, xxxvii et n, xxxviii, xxxix et n, xl, 1-169, 176n, 178, 189, 196, 199, 201, 204, 206, 208, 212 et n, 213n, 215n, 217, 218, 220n, 227n, 241, 250n, 251n paulhan Jeanne, 11n paulhan pierre, 45 et n, 126 et n paulhan suzanne, 11n pavolini a lessandro, 124 et n, 126 péret Benjamin, 69n, 72n, 82 et n petitjean a rmand, 118n, 119 et n, 120, 124 et n, 132, 133 pia pascal, 91n, 92 picabia Francis, 22 picasso pablo, xxiii, xxvii, 51n, 141 et n, 154 pietromarchi giuppi, xi n pilotaz paul, 159n piranèse giovanni Battista, 141, 262 platon, 134 poe edgar a llan, xxv n, 73 et n poincaré Raymond, 50n ponge Francis, xxxii, 4 et n, 13, 19n, 67n, 113n, 154n, 240, 241 pouchkine a lexandre, 25 et n, 77 et n, 197 et n, 206 pound ezra, xvi et n, xvii n pourrat henri, 26 et n, 126n, 132n, 133, 134n, 136, 137 povolovsky Jacques, 12n pozzi Catherine, 51n, 53n, 234n prévost Jean, 20 et n, 21, 150 et n proust marcel, xxviii, xxxi, 53n prusak saloméa, 45n

Queneau Raymond, 128 et n

Rabaté Ève, ix n, xvii n, xviii n, xxvin, xxxi et n, 11n, 29n, 39n, 57n, 63n, 69n, 72n, 73n, 82n, 90n, 174n, 175n Ramuz Charles-Ferdinand, 95 et n Rauch maya, xii n

Rebay luciano, xxix n Reinthal a ngela, xiii n, xx n, xxix n Reszke Jean de, xi et n, xiv n Reszke m me de, xiv n Reuss (prince héritier/erbprinz), xx et n Reyes a lfonso, xxiv et n Rey-m illet Constant, 157 et n Ribemont-Dessaignes georges, 70 et n, 73 et n, 106 Ribot t héodule, 19n Riederer günther, xiii n, xxix n Rilke Rainer maria, xxix et n, 4n, 12n, 38n Rimbaud a rthur, 181n, 183n Risset Jacqueline, xxxvin, 19n, 157n Rist edouard, 54 et n Rivière isabelle, 7 et n Rivière Jacques, xxiii, xxxi, 4n, 7n, 8n, 191, 192n Rivière Jean, 127 et n, 130, 131 Robin a rmand, 120 et n, 133 et n Romains Jules, 34n, 62n Ronsard pierre de, 224n Rosenberg paul, 108 et n Ross Robert, 53 Rothermere (vicomtesse de), xvii n Rouault georges, 52 et n, 151, 154 Rougemont Denis de, 106 et n Rousseau Jean-Jacques, 104 Roussillat Jacques, 10n, 120n, 220n Rozanov vassili, 57 et n Ruffini nina, 148 et n Ruyters a ndré, 7n Rypko schub louise, 23n Rysselberghe maria van, 37n

sade marquis de, 9 et n saint-John perse, xvii et n, xviii et n, xxii, xxiii et n, xxiv, xxviiin, xxix, xxxi et n, xxxiii et n, xxxivn, 3n, 4n, 10n, 11n, 12n, 18n, 25n, 29n, 38n, 39n, 45n, 57n, 68, 69 et n, 71, 72n, 73n, 74 et n, 82n, 83n, 90n, 96n, 174, 185, 200n, 215n, 223 et n, 224 et n

inDeX Des noms 289

santone laura, xxxvin, 157n saragat Joseph, 155 saroyan William, 128 et n sartre Jean-paul, 118n, 120n, 151, 158n satie erik, xxiii saucier Roland, 157 et n savinio a lberto (pseud. a ndrea de Chirico), 29 scève maurice, xxv n schakowskaja (princesse), 33, 37 scheijen sjeng, xxii n schepfer (les), xiii n schiffrin Jacques, 41 et n, 51, 77n, 134n, 197n, 212 et n schlumberger Jean, 7 et n, 48, 92n schuster Jörg, xiii n, xxix n schweitzer viktoria, xxii n scott Walter, xxii n seghers pierre, 143n segonzac a ndré Dunoyer de, xvi et n, xix, 33 et n, 35, 135, 137, 144, 151 et n, 154 senancour Étienne pivert de, 104 sérusier paul, 57n seurat georges, 144 shakespeare William, 182 sharp William, 52n sichel pierre, 37 et n sickert Walter, 109 et n sima Joseph, 135 et n, 137, 143, 148, 154 simon m ichel, 111 simonet-tenant Françoise, 51n singer Winnaretta (princesse edmond de polignac), xx sire pierre, 179 et n sitwell edith, xxiv smith gerald s., 25n, 45n solier René de, 157n sollier J.m voir monnier adrienne soupault philippe, 27 et n spurgeon Caroline, 256n stein gertrude, xix, xxii n stendhal, xxii n

strachey lady, 224n stravinsky igor, xxii n, xxiii, xxvii strindberg august, 49n suarès a ndré, xxxiv et n, 23n, 46 et n, 48, 52, 77n, 220 et n, 243-265 suarez Francisco, 220 et n, 221 supervielle Jules, 77 et n, 78 et n, 81, 118n, 128n, 133n, 251n sutton Dennis, xvi n swift Jonathan, 118n

taine hypolite, xxii n tamassia paolo, xxxvin, 157n tavernier J.B., xxiv t homas Dylan, ix t homas henri, 118n, 126 et n t horeau henry David, 183n titien, 261 torrini Jean, 99 et n, 100 tortora massimiliano, 83n tour et taxis (princesse a lexandre de la), 36n, 38 tsvetaeva marina, xxii n

u berti Fazio degli, 19 et n u lmann a ndre, 119n ungaretti giuseppe, ix, xxix et n, 4 et n, 6n, 8n, 9 et n, 16, 29 et n, 30n, 51n, 55, 66 et n, 67, 73 et n, 83 et n, 110 et n, 113, 117 et n, 148 uriet a lbert, 26n, 44 et n, 54n, 92, 93n, 163n uriet germaine, 26n

valéry paul, ix, xvii, xviii et n, xix, xxi, xxiii n, xxiv, xxv n, xxvi et n, xxvii n, xxviii, xxix n, xxxii, xxxiii, 4n, 9, 11n, 13n, 24, 25, 34, 37n, 50, 51n, 63n, 72, 73 et n, 77n, 79n, 94 et n, 137, 180, 183n, 190, 192, 217, 218, 224 et n, 226, 234, 238, 239 et n, 249 et n, 251n van auken Cornelia garrison, x et n van der mühll (m me), 131, 135

in De X Des noms290

vaudal Jean, 138 et n vegliante Jean-Charles, xxix n verlaine paul, 181n vialatte a lexandre, 95n virgile, 151n vitrac Roger, xxxii, 5 et n, 6, 49 et n vuillard Édouard, xi et n, xii et n, xiii, xvi et n

Wahl Jean, 120 et n, 133 et n, 141 et n, 144 Waldemar george, 43n Waley a rthur, xvi et n Walsh Keri, xx n

Walsh stephen, xxii n Warens (m me de), 103 Watteville a ntoinette de, 135 et n Weidlé Wladimir, 158n Weinberg h. Barbara, xxii n Weiss nadine, xxix n Wells h g., 53n Wilbraham ada Bootle, xiii, xxii n Wilde oscar, 53 et n Wols o tto (a lfred o tto Wolfgang schultze), 158 et n Woolf virginia, ix, xvi et n, xxviii et n, 48n, 235 et n, 236 et n, 237, 251n Wyatt t homas (sir), xxiv

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puBBliCazioni Della FonDazione Camillo Caetani

Studi e documenti d’archivio Collana diretta da luigi fiorani

1. s levie, Commerce, 1924-1932. Une revue internationale moderniste, Roma 1989

2. Ninfa. Una città, un giardino. atti del Colloquio della Fondazione Camillo Caetani, Roma-sermoneta-ninfa, 7-9 ottobre 1988, a cura di l. fiorani, Roma 1990

3. m vendittelli, “Domini” e “universitas castri” a Sermoneta nei secoli XII e XIV, Roma 1993

4. j. hunter, Girolamo Siciolante pittore da Sermoneta (1521-1575), Roma 1996

5. Boniface VIII en procès. Articles d’accusation et dépositions des témoins (13031311). Èdition critique, introductions et notes par j. coste, Roma 1995

6. l. caetani, Altri studi di storia orientale. Pagine inedite, a cura di f. tessitore, Roma 1997

7. s toussaint, De l’enfer à la coupole. Dante, Brunelleschi et Ficin. À propos del “codici Caetani di Dante”. préambule d’e. garin, Roma 1997

8. s. pollastri, Les “Gaetani” di Fondi. Recueil d’actes (1174-1623), Roma 1998

9. Sermoneta e i Caetani, Dinamiche politiche, sociali e culturali di un territorio tra medioevo ed età moderna. atti del convegno della Fondazione Camillo Caetani, Roma-sermoneta, 16-19 giugno 1993, a cura di l fiorani, Roma 1999

10. La rivista Botteghe Oscure e Marguerite Caetani. La corrispondenza con gli autori italiani, 1948-1960, a cura di s. valli, Roma 1999

11. p. ghione, v. sagaria rossi, L’Archivio Leone Caetani all’Accademia dei Lincei, Roma 2004

12. Alcuni ricordi di Michelangelo Caetani duca di Sermoneta raccolti dalla sua vedo va e pubblicati pel suo centenario, a cura di g. monsagrati, Roma 2005

13. La rivista Botteghe Oscure e Marguerite Caetani. La corrispondenza con gli autori francesi, 1948-1960. Direzione di j. risset. i sezione francese a cura di l. san tone e p. tamassia, Roma 2006

14. Laboratorio Campanella. Biografia, contesti, iniziative in corso. atti del conve gno della Fondazione Camillo Caetani, Roma, 19-20 ottobre 2006, a cura di g. ernst e c. fiorani, Roma 2007

15. La narrativa di Guglielmo Petroni atti della giornata di studi della Fondazione Camillo Caetani, Roma, 27 ottobre 2006, a cura di m. tortora, Roma 2007

Quaderni della Fondazione Camillo Caetani Collana diretta da luigi fiorani

1. r. morghen, Bonifacio VIII e il Giubileo del 1300 nella storiografia moderna, con una introduzione di l. sandri e una premessa di l. caetani, Roma 1975

2. a. stickler, Il Giubileo di Bonifacio VIII. Aspetti giuridico-pastorali, Roma 1977

3. p. o. kristeller, Marsilio Ficino letterato e le glosse a lui attribuite nel codice Caetani di Dante, Roma 1981

4. j. hunter, t. pugliatti, l. fiorani, Girolamo Siciolante da Sermoneta (15211575). Storia e critica, Roma 1983

5. s. levie, La rivista Commerce e il ruolo di Marguerite Caetani nella letteratura europea, 1924-1932, Roma 1985

6. a. gardi, Il cardinale Enrico Caetani e la legazione di Bologna (1586-1587), Roma 1985

7. l. hadermann misguich, Images de Ninfa. Peintures médiévales dans une ville ruinée du Latium, Roma 1986

8. r zapperi, Un buffone e un nano fra due cardinali. Aspetti della comicità a Roma nell’ultimo Cinquecento, con una nota di l. megli, Roma 1995 Fuori collana

Il salotto delle caricature. Acquerelli di Filippo Caetani 1830-1860, a cura di g. gor gone e c. cannelli, Roma 1999

“Il costume è di rigore”. 8 febbraio 1875: un ballo a Palazzo Caetani. Fotografie romane di un appuntamento mondano, a cura di g. gorgone e c. cannelli, Roma 2002

Inventarium Honorati Caietani. L’inventario dei beni di Onorato II Gaetani d’Ara gona, a cura di s. pollastri, Roma 2006 Palazzo Caetani. Storia, arte e cultura a cura di l. fiorani, Roma 2007

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