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COUP DE CŒUR

par Patric CLANET

L'HOMME EN ANIMAL Fatoumata DIABATÉ

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L’artiste photographe malienne Fatoumata DIABATÉ pratique une photographie profondément humaniste et sociale. Elle s’intéresse notamment à la place des femmes dans la société africaine et conçoit l’acte photographique comme une manifestation, une mise en lumière des maltraitances que subissent encore bon nombre d’entre elles.

Son travail photographique d’auteur a pour objectifs de libérer les tabous, de changer les mentalités afin d’agir sur les comportements et les pratiques.

Fatoumata DIABATÉ est une artiste engagée.

Dans la série « L’homme en animal » - qu’elle a réalisée à Sikasso au Mali avec des enfants interprétant des rôles des animaux – elle aborde un nouveau sujet en lien avec ses origines culturelles en mettant en avant les croyances animistes qui occupent encore aujourd’hui une place de choix au Mali comme sur le continent africain.

Chaque portrait d’enfant masqué raconte une histoire en lien aux contes qui ont été transmis de génération en générations. Chacun d’entre eux sous-tend des règles morales et sociales des communautés et symbolise les liens qui unissaient humains et animaux.

La pandémie a révélé nos multiples contradictions quant à nos façons de voir et de faire avec le vivant, avec « l’homme en animal » le propos de l’artiste est de transformer cette suspension à un moment de bifurcation pour penser et mettre en œuvre la reconstruction de la connaturalité dynamique qui nous liait avec les autres êtres vivants présents sur notre planète.

Pour recomposer ces « nouvelles visions du monde » il nous faut d’abord les figurer, les rêver, les imaginer et c’est précisémment ce que nous préconise l’artiste avec cette série. Elle puise dans les croyances de sa culture ancestrale pour nous éclairer et nous aiguiller vers de nouvelles directions.

L’angoisse de notre propre extinction doit nous faire agir sur nos rapports de domination-exploitation de tout ce qui nous entoure. Il y a dix millions d’espèces vivantes sur terre dont une nous les humains. Il nous faut « atterrir » comme nous le suggérait Bruno LATOUR.

Nous nous devons de réinventer de nouvelles cosmologies qui interrogent la façon dont on se représente le monde : quels en sont les valeurs et quel est la consistance du monde oú l’on vit.

De nouvelles manières d’être au monde qui prennent mieux en compte les autres espèces vivantes.

Fatoumata DIABATÉ masque ces modèles pour figurer ainsi de nouveaux régimes d’être au monde s’adossant sur les relations ancestrales qu’ont entretenus, ou entretiennent encore, les humains avec les animaux mais aussi les plantes et les esprits.

Sous ces masques improvisés de représentations animales l’homme passe au second plan et se transforme en un corps hybride mi-humain mi-animal. Ainsi elle nous offre un mode d’identification avec les animaux qui leur attribuent une intériorité semblable à celle des humains même si leur physicalité est différente.

Par cet acte symbolique elle tente de retisser la relation de l’humanité aux animaux et plus largement à l’étendue terrestre et au cosmos. Elle invente de nouvelles formes visuelles de cosmologies qui reconstruisent une relation rhizomique aux autres espèces vivantes sur la terre et qui redonnent toute sa place au monde du sacré.

Partagée entre sa culture d’origine et celle du continent européen, où elle vit une grande partie de l’année, par cet acte photographique elle réhabilite la pensée mythique et la pensée symbolique en luttant pour donner une dimension spirituelle à la relation de l’homme à son environnement. Elle dénonce la destruction du monde sacré, du monde de la consommation improductive sur notre terre livrée aux hommes et à leurs productions effrénées. Son geste artistique est un « symbolon » qui tente de rétablir entre les forces de la nature et l’homme une connexion ; c’est-à-dire l’élément de liaison, l’acte magique qui établit des liens concrets en déléguant un médiateur : ici l’artiste photographe. Plus largement elle nous éclaire sur l’utilité des artistes dans notre société qui, comme les chamans dans son pays d’origine, sont ces personnes capables de voir des choses que les communs des mortels ne voient pas et de les rendre publiques.

Fatoumata DIABATÉ est une artiste résolument engagée.

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