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L E S C E N T R E S D ’ E X P R E S S I O N E T D E C R É AT I V I T É , EN MILIEU RURAL RENCONTRE : STEPHANE DEPREE, A N I M AT E U R C U LT U R E L E N Z O N E R U R A L E Publication de la Fédération des Centres d’Expression et de Créativité - Janvier 2015


SOMMAIRE EDITO 2 Edito 3 Les Centres d’Expression et de Créativité en milieu rural 11 Rencontre : Stéphane Deprée, animateur culturel en zone rurale

Par Isabelle Gillard Nos vœux… malheureusement, ne seront que « du moins pire pour le reste de 2015 » ! La triste actualité de ce début d’année, rappelle, souligne, et nous crie à la figure que OUI l’action socioculturelle est essentielle à la construction d’un vivre ensemble respectueux et pacifiste ! Que OUI les gens, la population peut et est en capacité de s’indigner et de se mobiliser pour témoigner du sens de l’HUMANITÉ. Que dites-vous ? La culture et l’éducation, l’ouverture aux points de vue contradictoires sont primordiaux pour une démocratie vivante ? Nous sommes heureux de vous l’entendre dire au travers de diverses interviews, débats, témoignages, lettres ouvertes en France, en Belgique et ailleurs dans le monde… Merci à ces personnalités, intellectuelles ou politiques, de nous renforcer dans notre conviction que l’expression citoyenne et la créativité sont le moteur et l’essence d’une société pluraliste et solidaire… N’en restez peut-être pas qu’aux discours : une révision des économies de moyens imposées à la culture serait une réflexion intéressante à concrétiser, non ? Dans cette tempête, nous vous proposons un Publica(c)tion résolument campagne ! Nous sommes partis questionner les pratiques et les spécificités du travail en milieu rural : lien avec la population, convergences et/ou divergences de méthodes, choix de ce mode d’action, type de management… Belle promenade !

Editeur responsable : Isabelle Gillard, Rue Godefroid 20 à 5000 Namur Ont collaboré à cette publication : Isabelle Gillard, Maïté Marcos, Jean-François Flamey Illustration de couverture : Maude Soudain, extrait de la série «Témoins» pour le projet «Territoires Sans Cible» Photos intérieures : Les Créateliers, l’Atelier Graffiti, Osez’Art, Les Z’Ateliers Mise en page : Jean-François Flamey et Imène Mecellem La Fédération Pluraliste des Centres d’Expression et de Créativité (FPCEC) reçoit le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

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LES CENTRES D’EXPRESSION ET DE CREATIVITE EN MILIEU RURAL Texte : Isabelle Gillard et Maité Marcos

Coup d’oeil sur nos débats

Le travail d’un CEC en milieu rural, c’est une pratique particulière… ? Comme tous les CEC, l’observation de son milieu et de sa population en est le maître mot. Ensuite, le passage à la concrétisation recèle une multitude de petits et grands défis, une agilité d’esprit ainsi qu’une volonté d’entreprendre avec ce qui est !

Ce sont les liens préexistants et stimulés au quotidien entre l’animateur-artiste et son entourage social qui permettent l’éclosion d’un atelier théâtre, par exemple ou le développement d’un projet à plus long terme. De plus, avec le temps, les noms se font : les gens viennent à l’atelier parce que c’est un tel qui l’anime. Pour Nadine Fabry, du CEC Atelier Graffiti, leur travail de décentralisation à Houffalize fonctionne bien parce que Stéphane Deprez, l’animateur-artiste, vit et est connu dans la région. La mobilité dans nos campagnes est à la fois une chance et un frein ! Les ruraux ont une habitude de déplacement. Ils prennent facilement la voiture pour se rendre à une activité, qui plus est, si celle-ci n’est pas noyée dans mille et une autres propositions ! Paradoxalement, certains « trous » de nos régions, entendez par-là nos vastes étendues verdoyantes à faible densité de population, comptent plus d’activités culturelles par habitant que certains centres urbains.

Au travers de nos déambulations campagnardes, les témoignages se rejoignent, la réussite des activités, à la fois une certaine fréquentation et une qualité de production, relève de divers paramètres constamment en évolution. Au CEC Les Créateliers de Florenville, Brigitte Fabry nous explique que l’accent est mis sur la reconnaissance, voire la popularité, des animateurs-artistes. Ceux-ci travaillent aux alentours ou dans leurs villages d’adoption ou d’origine.

La bougeotte rurale est cependant malmenée par un réseau de transport en commun peu étendu, parfois inexistant ou complètement inadapté aux horaires de la pratique culturelle. Les personnes dépourvues d’un moyen de locomotion individuel ou dans l’incapacité d’en utiliser (enfants, adolescents, personnes âgées, personnes à mobilité réduite…) sont donc des publics « à aller chercher », « à faire se déplacer » ou « faire là où ils sont », non ?

Deux questions en dialogue : quelles sont pour vous les spécificités du travail en milieu rural ? Comment est née et est travaillée la décentralisation au sein de votre CEC ? Trois CEC aux réalités bien distinctes ont témoigné de leurs expériences : le CEC «Les Créateliers» (Florenville) à travers la voix de Brigitte Fabry, le CEC «Atelier Graffiti» (Liège) à travers celle de Nadine Fabry et enfin le CEC «Osez’Art» (Perwez) avec Laurence Garot.

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D’où une grande diversité des possibles… Ainsi le CEC Atelier Graffiti propose un partenariat avec la garderie d’une école fondamentale. Les enfants traversent la rue avec la gardienne après l’école pour aller à la salle communale où se donne leur atelier d’arts plastiques. L’animatrice-artiste, Bénédicte Helsemans, des Créateliers investi quant à elle clairement l’école après les heures scolaires. Tables, bancs et chaises sont poussés contre les murs, deux bandes de tissus pendues et voilà que la classe devient le théâtre du village ! Les questions de la reconnaissance par le public et de la mobilité, le CEC Osez’Art de Perwez en a fait un projet : L’Audacieuse ! L’idée était de se différencier des activités et de s’adresser à un autre public que celui du Centre culturel dont est issu le CEC. Alors, Laurence Garot, la coordinatrice du CEC, nous dit: « Allons en roulotte, nous installer pour quelques mois dans les villages avoisinants ! ». Un lieu atypique, coloré et chaleureux s’ancre près de nouvelles portes… où des ateliers, des stages, des spectacles y sont proposés. Elle est également prêtée pour des activités culturelles propres aux villageois. Les gens attendent impatiemment l’installation de leur roulotte. Ils viennent voir dans les autres villages ou quand elle revient au centre-ville, les habitués du Centre culturel nous disent : « Ha ! La revoilà ! ». L’objet marque les esprits.

Travailler en milieu rural, c’est également être sur la route avec son lot de contraintes très physiques : m³ de votre coffre, le format des caisses de matériel, la grandeur des rouleaux de papier, de la tringle, le nombre de projecteurs, la hauteur de la pile de tissus, le poids des rondins de bois... Les artistesanimateurs sont des déménageurs de choix, des équilibristes de l’empilage et des débusqueurs de remorques, camionnettes, tracteurs ou charrettes hors pair ! A cet obstacle musclé quotidien digne d’un Tetris nature, s’ajoute la contrainte d’une équipe éparpillée géographiquement. L’artiste-animateur porte seul au sein d’une population le sens de son travail : l’expression artistique et citoyenne. La coordinatrice du CEC Les Créateliers, sillonne donc la région, tantôt pour redynamiser un collègue essoufflé, tantôt pour conclure un partenariat avec la bibliothèque ou encore pour informer les animateurs-artistes des dernières dispositions pratiques du prochain festival. Le management de l’équipe est un équilibre entre l’autonomie imposée par les conditions du travail en ruralité et le sentiment d’appartenir à une équipe et à une institution particulière. Il peut y avoir un sentiment de non-reconnaissance, de solitude, d’incompréhension de sa pratique vis-à-vis d’un collègue qui lui anime très différemment ou de ne pas tenir compte du projet institutionnel du CEC. Brigitte Fabry, à Florenville, y est très attentive et depuis 5 ans, construit et intensifie les liens entre les artistes-animateurs par des réunions d’animateurs, des co-animations d’atelier, des repas d’équipe, des rencontres informelles…

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«L’Audacieuse» - Photo © Osez’Art

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Un tissage délicat empreint d’une certaine militance qu’elle transmet petit à petit : le sens de l’action socioculturelle dans nos villages. Travailler en milieu rural c’est aussi être confronté à des difficultés de recrutement: peu d’artistes-animateurs vivent dans nos régions reculées, les heures et les frais de transports sont donc onéreux, les rémunérations sont moins attractives qu’en plein centre urbain… En contrepartie, le CEC rural permet une appréhension de son travail très en lien avec les populations, les traditions, les contextes, les paysages, les habitudes et les histoires locales… Des artistes-animateurs s’y lancent donc, voire même profite de leur acquisition de compétences au sein du CEC pour développer leur propre activité- le CEC peut aussi être un tremplin pour les jeunes professionnels ! – ou crée de nouvelle structure. Le partenariat entre le CEC Atelier Graffiti et la commune d’Houffalize en est l’exemple. Cette dernière a engagé Stéphane Deprée, l’artiste-animateur, initiateur de la décentralisation du CEC. Le souhait est de faire reconnaitre une nouvelle structure indépendante et toutefois en lien avec l’Atelier Graffiti. Un bel exemple que ce qui peut naître d’un partenariat pertinent et respectueux. Celui-ci est indissociable du travail en milieu rural : y a pas le choix ! Peu de structures ou seule structure en place dans l’un ou l’autre village, il faut donc s’associer avec d’autres professionnels du territoire afin d’être au plus proche des populations, d’être centrer sur ses

Photo © Atelier Graffiti

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missions, d’utiliser au mieux les ressources du mi- La ruralité… une notion décrétale lieu, d’échanger les pratiques professionnelles… Le décret du 30 avril 2009 relatif à l’encadrement et Travailler en milieu rural, au sens actuel du décret, au subventionnement (…) des Centres d’Expression c’est également décentraliser des actions, qui et de Créativité prévoit la possibilité d’obtenir une naissent d’aspirations bien différentes. subvention complémentaire d’un montant de 5.000 Le CEC Osez’Art, par exemple, est parti de cette euros lorsqu’un CEC poursuit un des 5 objectifs défivolonté de différenciation entre le CEC et le Centre nit en son article 14. culturel et d’avoir une visibilité et une communication particulière auprès de la population. Parmi ceux-ci, il y a la décentralisation d’actions en Le CEC Atelier Graffiti quant à lui, s’y aventure grâce milieu rural, dans notre jargon : l’objectif 2. L’article à une opportunité ! Un de ses artistes-animateurs dé- 14,2° fixe les critères d’éligibilité : ménage sur une commune rurale et le CEC y investi les lieux. Enfin, d’autres CEC, comme Les Créate- « Décentralisation d’actions en milieu rural : les asliers, sont par essence ruraux : leurs lieux d’activités sociations qui décentralisent leurs actions dans au sont implantés dans une commune définie rurale au moins un lieu d’implantation différent de leur siège sens du décret. Ils décentralisent alors par néces- d’activité soit directement, soit en collaboration, soit sité : être là où la population, les infrastructures, les en partenariat, sont éligibles à la subvention complépartenaires… sont ! mentaire à condition que ladite décentralisation : - s’effectue dans un « milieu rural « tel que défini à N’y a-t-il pas aussi autre chose dans ce travail d’in- l’article 3; vestissement d’un milieu particulier ? N’est-ce pas - porte sur un minimum de 3 ateliers de 30 h par an; une politique portée par le CEC de développer, au - implique au moins 24 participants distincts sur la cœur de nos villages, l’action socioculturelle : de somme des ateliers; donner la chance à chacun de se découvrir, de com- - comporte un total de 150 h d’activités dans le cadre prendre son milieu et la société, de pouvoir l’interro- de la décentralisation. ger et la transformer à travers la pratique artistique ? Dans sa note d’intention ou son plan d’action, l’association définit la zone géographique d’action sur laquelle elle entend travailler et fixe les moyens permettant de faciliter l’accès des habitants de cette zone à ses activités(…) ».

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Mais qu’est-ce qu’un milieu rural : une grande friche désertique ? Le décret le définit en son article 3 comme étant « l’implantation du siège principal d’activités du CEC dans une commune dont la densité de population soit ne dépasse pas 70 habitants par kilomètre carré; soit ne dépasse pas 200 habitants par kilomètre carré à condition d’être situé dans une commune antérieure à la fusion de moins de 4 .000 habitants.» Un problème se pose donc : les articles 3 et 14,2° sont en contradiction ! Selon l’article 3, pour qu’un CEC soit considéré comme étant en milieu rural, il faut que son siège principal d’activité soit lui-même en milieu rural. Par contre, l’article 14,2°, n’a pas cette exigence. Seule la décentralisation doit se trouver en milieu rural ! Dès lors, comment interpréter un texte contradictoire ? Les juristes interprètent le décret dans le sens le plus favorable aux CEC. En effet, lorsque le texte est susceptible de deux interprétations différentes, on ne peut pas l’interpréter dans un sens qui aurait pour effet de limiter les droits. Un CEC qui a donc son siège principal dans un milieu « non-rural » et qui décentralise en milieu rural, peut être éligible à la subvention complémentaire. Prise en compte des spécificités du travail en milieu rural… la volonté des initiateurs du décret ?

Photo © Les Créateliers

En outre, le décret précise que les CEC éligibles à la subvention complémentaire pour la décentralisation en milieu rural verront certaines de leurs obligations quantitatives, comme le nombre d’heures d’ateliers annuel ou le nombre de participants, diminuées de 25%.

Les initiateurs visaient-ils à l’origine uniquement les CEC qui ont leurs principales activités en milieu rural ? On serait tenté de le penser. En effet, travailler en milieu rural demande une démarche supplémentaire. Il faut aller chercher son public. L’offre de trans-

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port étant moins grande, celui-ci devient plus difficilement mobilisable. Les artistes-animateurs doivent couvrir de plus grandes distances pour rejoindre leur lieu de travail ou pour assurer des ateliers qui se donnent dans des endroits différents… Cela coûte du temps et de l’argent ! On peut donc légitimement penser que les penseurs du décret ont voulu pallier à la hausse des coûts qu’entraîne le travail en milieu rural en prévoyant une subvention complémentaire. Les critères quantitatifs seraient quant à eux diminués pour faire face à la difficulté de mobiliser les gens en milieu rural et tenir compte de la réalité démographique de certaines communes. Dès lors, faut-il aller vers une modification du décret pour en revenir à la volonté supposée ou doit-on laisser l’opportunité aux CEC de profiter de l’interprétation actuelle? Quelles en seraient les conséquences?

de Philippeville. Supposons qu’il peut prétendre à la reconnaissance en objectif 2 (600 heures d’ateliers à justifier annuellement). Il est également éligible à la subvention complémentaire pour décentralisation d’actions en milieu rural car il respecte les conditions de l’article 14,2° : décentralisation en milieu rural qui porte sur 3 ateliers de 30h/an et qui comporte un total de 150h d’activités/an. Dans ce cas, le CEC verrait les 600 heures d’ateliers à justifier dans le cadre de la reconnaissance en catégorie 2 passer à 450 heures (600h – 25%). Les 150 heures dans le cadre de la décentralisation sont à comptabiliser dans les 450 heures à justifier. Le CEC urbain n’aurait donc plus qu’à justifier 300 heures d’ateliers ordinaires au lieu des 600 (450h – 150h). Il verrait également le nombre minimum de ses participants diminuer de 25% alors même que ses ateliers son principalement implantés dans le centre-ville, là où la densité de la population, paradoxalement, est plus forte.

Actuellement, un CEC implanté en milieu urbain (les CEC ayant l’implantation de leur siège principal d’activités dans une commune dont la densité de population dépasse les 70 habitants par kilomètre carré) qui décentralise en milieu rural, bénéficie comme nous l’avons précisé plus avant, d’une diminution de 25% de certains critères quantitatifs qui va profiter aux ateliers implantés en milieu urbain alors que le CEC n’aura pas les mêmes contraintes qu’en milieu rural. Les CEC qui sont implantés en milieu rural se voient dans l’obligation de décentraliser de nouveau en milieu rural pour obtenir le bénéfice de l’article 14. N’y a t-il pas là une double contrainte pour ces derniers ? Explicitons ceci par un exemple. Un CEC qui a son siège d’activités au centre-ville de Namur propose des ateliers hebdomadaires dans la commune

© Stéphane Deprée

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Allons un peu plus loin dans notre démonstration. Prenons un CEC qui postule en catégorie 1 (300 heures d’ateliers à justifier) et est également éligible à la subvention complémentaire pour décentralisation d’actions en milieu rural. Ce CEC verrait les 300 heures d’ateliers à justifier passer à 225 heures (300h – 25%) y compris les 150 heures d’activités dans le cadre de la décentralisation. Le CEC ne devrait plus justifier que 75 heures d’ateliers ordinaires contre 150 en décentralisation ! La situation peut paraître insolite. La décentralisation deviendrait-elle son activité principale… et pourquoi pas ? Vers une solution intermédiaire? Est-il possible de concevoir une modification du décret qui permettrait aux CEC “non-ruraux” de se décentraliser et ainsi bénéficier des 5.000 euros complémentaires mais sans pouvoir bénéficier de la diminution de 25% des critères quantitatifs? Seul le CEC en milieu rural pourrait passer de 600 à 450 heures dont 150 en décentralisation à justifier et diminuer son nombre de participants. Le CEC urbain devrait quant à lui, continuer à justifier 600 heures dont 150 en milieu rural. © Stéphane Deprée

La volonté de tenir compte des spécificités de travail en milieu rural serait ainsi préservée sans pour autant priver certaines régions d’une décentralisation de la part de CEC urbains.

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RENCONTRE: STEPHANE DEPREE ANIMATEUR CULTUREL EN ZONE RURALE Houffalize (Province du Luxembourg) Texte : Jean-François Flamey éloignée de l’offre institutionnelle, c’est ce que nous étions avides d’apprendre en allant à la rencontre de ce diplômé de l’Ecole Supérieure des Arts de Saint-Luc, section illustration.

Photo : DR

Stéphane Deprée est artiste-animateur pour la part « décentralisation » du Centre d’Expression et de Créativité Atelier Graffiti. Il est également l’animateur culturel de la commune de Houffalize, entité de 5000 âmes en Province du Luxembourg. Avec une densité de 30 habitants par km2, Houffalize est à considérer comme une commune rurale au sens décrétal du terme. Sur quoi repose l’action culturelle menée par Stéphane, comment en est-il arrivé à vouloir en faire son métier alors que rien ne l’en destinait, avec quels moyens mis à disposition et quels apports pour la population sur une zone géographique

Impossible de parler du travail journalier de Stéphane Deprée sans évoquer son parcours. C’est à Liège que tout a débuté. Des études à Saint-Luc suivies de l’obtention d’un CAP (Certificat d’Aptitudes Pédagogiques) l’amèneront dans un premier temps à effectuer des remplacements comme prof de dessins mais aussi et surtout à réaliser ses premières animations au Musée des Papillons, en l’occurrence de l’animation pour le jeune public. Il y prend tellement goût qu’il intègre « l’Atelier Graffiti » en 1995 en tant qu’animateur bénévole, cela durant plusieurs années sans réelle rentrée d’argent si ce n’est lorsqu’il répond à quelques commandes d’illustration pour le privé. Stéphane logera d’ailleurs souvent dans l’atelier de la Rue d’Harscamp. Stéphane : Des années de galère mais une prise de conscience de ce que l’art pouvait devenir un prétexte à une prise de parole, à une émancipation de l’individu sans parler des liens qui se créent. Lors de mon parcours académique, à aucun moment je n’avais imaginé pareille chose. Il m’était impossible de faire marche arrière, cela malgré l’incompréhension de mon entourage que j’ai vécu comme une violence terrible. Je venais de découvrir qu’animer des ateliers était un métier et que je voulais plus

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que tout en faire le mien, loin des préceptes d’excellence qu’on m’a enseigné à Saint-Luc ou lors du CAP. Lors d’ateliers créatifs, on ne laisse personne sur le côté, il n’y pas de compétition, pas de bons ou de mauvais élèves, pas de modèle de réussite.

Une autre raison du succès immédiat – sur un autre public cette fois – tient dans un message que j’ai fait passer : les ateliers ne sont pas de type occupationnel, on va bien plus loin que ça, une part de l’histoire de l’art fait même partie intégrante de l’atelier. Du coup, une certaine élite de la population locale a été séduite par ces aspects ! Ensuite, il s’agissait pour moi d’assurer une mixité des participants aux ateliers, ateliers qui se sont rapidement multipliés, sans lieu fixe, entre l’école et la salle du coin. L’un d’eux, pour les adultes, se déroulait même dans mon propre grenier aménagé.

Après une petite quinzaine d’années dans cette situation, « l’Atelier Graffiti » parvient à créer un poste à mitemps qui reviendra tout naturellement à Stéphane. Au même moment, des aléas de la vie feront qu’il décidera de revenir s’installer (en 2000) dans sa région natale de Houffalize où il ressentira immédiatement l’envie de tenter l‘expérience d’ateliers décentralisés pour le compte du CEC Liégeois. Les « Z’Ateliers » Si Stéphane Deprée à décroché un mi-temps au sein sont nés ! de l’Atelier Graffiti, c’est en grosse partie parce que le CEC voit son volet emploi financé par la FESC - un Stéphane : Dans mon cas, il s’agit là de réaliser une fond dédié à l’accueil extra-scolaire pour les enfants expérience en milieu rural où tu n’as pas le choix que de 3 à 12 ans et dont les montants sont calculés sur de prendre ton bâton de pèlerin et d’aller au contact base du nombre d’inscrits aux ateliers. On imagine des gens et des associations. L’action culturelle est ainsi aisément à quel point il est économiquement mon arme contre les inégalités ou encore contre le vital pour l’Atelier Graffiti de maintenir des activités racisme malheureusement fortement présent dans décentralisées à Houffalize. notre région. Et puis, ici, les gens sont très renfermés sur eux-mêmes, sur leur école, leur rue. Ils ne sont par Aujourd’hui, une opportunité pourrait se présenter à exemple pas ouverts sur les néo-ruraux, comme par l’Atelier Graffiti. En effet, avec la mise en application exemple vis-à-vis de ceux qui s’installent à Houffalize toute récente du Décret « Créativité » (remplaçant pour être plus proche de leur travail au Luxembourg. une circulaire datant de 1976) les CEC qui rentreront une demande de reconnaissance pourront demanFace à ce constat, on se dit que cela n’a pas du être der une aide supplémentaire en cas de décentralisimple de remplir les premiers ateliers avec en ligne sation d’ateliers en milieu rural. Avec les Z’Ateliers, de mire un objectif de cohésion sociale. l’Atelier Graffiti s’inscrit dans ce cadre. Et pourtant, contre toute attente : Dès le début de la décentralisation d’ateliers de Liège à Houffalize, nous avons rencontré un certain succès du côté des enfants. Il faut dire qu’il n’y avait pas d’offre à cette époque. Les parents ont vite compris l’opportunité d’inscrire leurs enfants au lieu de les voir tourner en rond à la maison ou de les laisser courir dans les rues. FPCEC _ 12


Houffalize © Google map

Si jusque là, c’est avec Stéphane Deprée artiste-animateur en CEC que nous avons fait connaissance, intéressons-nous maintenant à sa deuxième casquette, celle d’animateur culturel, employé par sa commune.

C’est l’asbl Miroir Vagabond (basée à Hotton) qui a été désignée comme pilote de ce Contrat de Pays, tandis que Stéphane Deprée a été engagé sur son second mi-temps comme le référent culturel de la commune de Houffalize.

En 2003, un grand tournant socio-culturel s’est amorcé en Province du Luxembourg avec la mise en branle du « Contrat de Pays », objet d’un engagement de Rudy Demotte à l’époque Ministre de la Culture, de la Province de Luxembourg et de six communes concernées (Hotton, Rendeux, La Roche, Vielsalm, Gouvy et Houffalize). Le but ? Favoriser le développement de toute une région à travers la culture, grâce à des outils socioculturels spécifiques au milieu rural. Concrètement, cela passe par du théâtre-action et des ateliers créatifs, par des échanges culturels avec des jeunes d’autres pays, par une sensibilisa tion des jeunes aux Droits de l’Homme, ou encore la pérennisation des projets déjà existants.

Stéphane : La commune et mes collègues ne savaient pas trop ce qu’était un animateur culturel. Un type qui allait repeindre des barrières pour les rendre plus jolies ? Ou peut-être arranger les chapelles du coin ? Force est de constater que le métier d’animateur culturel était une notion très vague dans l’esprit de beaucoup mais le Miroir Vagabond a oeuvré à clarifier les choses en organisant une série de rencontres entre les personnes concernées dans les différentes communes.

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Stéphane : Un premier effet du Contrat Pays fut de travailler sur une programmation et une diffusion de productions de qualité provenant d’artistes professionnels en veillant bien à mêler les populations à l’aventure. L’art de rue est par exemple un excellent moyen pour provoquer des rencontres et des échanges. Le nombre d’événements s’est rapidement accru : Festival de la Marionnette, théâtre dialectal, travail avec les harmonies, etc ; comme autant de possibilités de valoriser le vivre ensemble par une pratique réellement active de la culture. La commune de Houffalize m’a proposé de passer à temps-plein, ce que j’ai accepté mais avec une volonté de garder la collaboration avec l’Atelier Graffiti à travers l’outil de décentralisation que sont les Z’Ateliers. Il faut savoir que 120 enfants sont inscrits aux Z’Ateliers et que la demande ne cesse de croître. On le comprend à travers les mots de Stéphane, une réelle dynamique culturelle et participative s’est installée dans la région autour des propositions d’activités à la fois du Service culturel de Houffalize et des Z’Ateliers. De nombreux jeunes qu’il a connu dans les ateliers ont a fortiori grandi et se proposent aujourd’hui comme bénévoles sur les événements culturels organisés par la commune, événements qui affichent le plus souvent complet et dont l’accueil ne pourrait pas exister sans ce bénévolat. On mesure aisément tout l’enjeu entre le développement des pratiques artistiques en amateurs et la diffusion de spectacles vivants proposés par des professionnels.

© Les Z’Ateliers

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REFERENT AUPRES DES ASSOCIATIONS ET DES HABITANTS Dans les missions confiées à Stéphane Deprée, on retrouve également celles liées à la mise en place de partenariats. Nécessaires à la construction d’une politique culturelle digne de ce nom dans une zone rurale par définition pauvre en équipements structurants, les actions menées en partenariat pallient à l’absence de moyens. Et puis, Stéphane l’a bien compris, pour être au plus prêt des publics visés par l’action culturelle, il faut passer par les associations en place sur le territoire. La définition d’animateur culturel en milieu rural prend ici tout son sens. Stéphane donne des impulsions, facilite la réalisation et accompagne les acteurs de terrain à la réalisation d’objectifs communs.

© Les Z’Ateliers

Cela a commencé avec les écoles : de moments de créativité proposés au pied levé pour remplacer des professeurs absents, surgissent aujourd’hui des projets culturels impliquant des élèves des différents réseaux d’enseignement, ce qui n’était pas gagné d’avance il y a encore quelques années. Des oeillères ont en effet longtemps agi comme autant de barrières au vivre ensemble. Outre les écoles, Houffalize compte 120 associations sur son territoire : bibliothèque, harmonies, troupes de théâtre en Wallon, club de Scrabble, etc. La liste est aussi longue que le champ des possibles mais aussi des difficultés à co-construire des projets. © Les Z’Ateliers

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Stéphane : Toutes ces associations ont leurs habitudes et ne sont pas forcément en demande de partenariats ou de collaborations. Néanmoins, elles sont contentes de me voir débarquer avec des idées et certaines adhèrent à l’un ou l’autre projet. Autre avancée majeur en terme de projet tourné vers la population, celui développé autour de « Houtopia, Le Monde Aux Enfants », un centre récréatif né d’une volonté de commémorer les atrocités de la guerre 4045 tout en se tournant vers les générations futures. A ses débuts, « Houtopia » n’intéressait que les touristes. Cela a bien changé aujourd’hui de par la seule tenue régulière de stages des Z’Ateliers conjugués à des spectacles. Il y a une réelle réappropriation de cet outil de la Ville par les habitants ! explique Stéphane. Les enfants participent même à la réalisation d’expositions temporaires.

Un des paramètres prépondérant à la mise en oeuvre de son action culturelle tient dans la popularité de Stéphane Deprée dans la région. Plus nous avançons dans la conversation, plus il apparait comme évident que Stéphane est vu comme le référent culturel par les associations Houffaloises comme par les habitants. Un climat de confiance est établi, particulièrement avec les jeunes qui vont jusqu’à lui confier leurs soucis du quotidien. Ces mêmes jeunes qui lui formulent par ailleurs un tas de demandes d’activités. A l’issue de cette rencontre, on sent pleinement tout le potentiel de cohésion sociale et de vivre ensemble induit par l’action culturelle de Stéphane Deprée à Houffalize. Il permet à tout un chacun de vivre des expériences esthétiques et créatives de qualité. Reste très certainement à éduquer de manière continue les publics potentiels sur l’axe de la participation citoyenne afin qu’ils comprennent au mieux les enjeux des actions qui leurs sont proposées. Il en va de l’affirmation de l’identité de tout un territoire, tout en veillant à laisser le choix à chacun de ce qui l’intéresse ou pas...

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LA CARTOGRAPHIE DES CENTRES D’EXPRESSION ET DE CREATIVITE DISPONIBLE SUR WWW.FPCEC.BE Une publication de la Fédération Pluraliste des Centres d’Expression et de Créativité Rue Godefroid 20, 5000 Namur - 081/ 65 79 99 - info@fpcec.be - www.fpcec.be Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Service de la créativité et des pratiques artistiques)


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