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3.3 Une économie, construite sur les richesses locales, reposant sur un fragile équilibre
La filière forêt-bois-papier, une économie fragile et vulnérable
Ce massif constitue la clef de voûte de la filière forêt-bois-papier de la région, filière qui regroupe une multitude d’acteurs forestiers allant de l’exploitant forestier à l’industriel. En outre, cette filière et ses emplois irriguent l’ensemble des territoires de la région, et constituent un véritable support d’ancrage territorial, facteur de dynamisme de la vie locale (commerces, services…). La filière bois peut ainsi représenter sur certaines zones jusqu’à 10 % de l’emploi salarié ou 40 % de l’emploi industriel (source INSEE).
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Cette filière est caractérisée par la présence de deux principaux types d’industries liées à la première et deuxième transformation*. C’est une spécificité du massif forestier des Landes de Gascogne. On distingue donc les industries en lien avec le bois d’œuvre* (scieries, emballages en bois, parquets/lambris, charpentes, meubles) et les industries en lien avec le bois d’industrie ou de trituration* (papiers/cartons, panneaux, chimie). Ce sont les deux principaux débouchés du pin maritime. La filière bois d’industrie regroupe les usines de pâte à papier et de panneaux qui mobilisent une part croissante de la ressource correspondant principalement aux bois d’éclaircies et aux résidus des industries du bois d’œuvre. Cependant, la complémentarité des filières autour des différentes qualités de bois a évolué ces dix dernières années dans le sens d’une augmentation d celles-ci liées au bois de trituration et d’industrie, et une diminution du sciage (bois d’œuvre). « Chaque qualité de matière composant l’arbre trouve une valorisation industrielle spécifique, chaque diamètre de bois, des éclaircies jusqu’à la coupe rase, correspond à un débouché industriel. » (Belis-Bourouignon, 2011)
Les différentes qualités de bois du pin maritime
Autre caractéristique du système gascon : les acteurs. On retrouve deux principaux types d’acteurs au sein du massif des Landes de Gascogne et dans son orbite d’influence. Les acteurs productifs et ceux liés au fonctionnement de l’espace forestier. Les acteurs productifs se distinguent par leur positionnement au sein de la filière. Le secteur amont regroupe les propriétaires et exploitants forestiers ainsi que leurs structures professionnelles, le secteur aval, celui des débouchés, relevant des industriels qui valorisent la matière première. Les acteurs liés au fonctionnement de l’espace forestier, ce sont d’abord les organismes publics et parapublics qui accompagnent et orientent l’économie forestière : les services déconcentrés de l’Etat, en premier lieu la DRAAF (veille à l’application de la stratégie nationale à l’échelle régionale). Le Centre régional de la propriété forestière (CRPF) et les chambres d’agriculture qui jouent un rôle important de formation et de contrôle de la gestion forestière en propriété privée.
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Les acteurs de la filière Forêt-Bois
L’économie du massif est fragile, complexe et vulnérable. Elle implique différents acteurs qui sont liés entre eux et doivent chacun trouver leur place. La chaîne productive est constituée d’une diversité de « maillons » dont l’importance et la pérennité sont très variables (petites entreprises locales, filiales de grands groupes, industries multinationales…). L’interdépendance étroite de l’ensemble le rend tributaire d’un incident survenant à tel ou tel stade de la filière. Cependant, ce système industriel est remis en cause par le développement du bois-énergie qui entraîne des tensions sur la ressource, une déconnexion entre une gestion régionale axée sur l’exploitation d’un massif forestier et des entreprises mondialisées ainsi qu’un rôle croissant des opérateurs sectoriels dans la gestion sylvicole. De plus, à l’horizon de la fin du siècle, compte tenu d’une baisse potentielle de productivité des peuplements forestiers actuels (de 30 à 40 %) dû aux changements climatiques, la concurrence entre usages ne pourra être que plus forte et donc renforcé la fragilité de la filière locale.
Cette dernière tendance engendre un affaiblissement des acteurs locaux au profit d’intervenants et de structures moins ancrés dans le territoire forestier. C’est le cas des grands groupes industriels papetiers, mais le processus gagne également l’amont de la filière avec le développement de grandes propriétés entre les mains d’investisseurs institutionnels (Banques, Assurances…) attirés par les dispositifs de défiscalisation dont bénéficie la forêt, d’où des logiques de rentabilité diffèrent de celles des propriétaires landais traditionnels. Le devenir de la forêt semble se délier du devenir territorial, s’éloigner de plus en plus des acteurs locaux, et dépendre de logiques exogènes au territoire liées aux stratégies de firmes mondialisées. En conclusion, la forte interdépendance des industries et entreprises de la filière, l’irrégularité de l’approvisionnement, l’évolution rapide des structures d’exploitation, la nécessité d’une adaptation rapide pour une meilleure compétitivité, est à la fois une nécessité dans le contexte économique global auquel fait face la filière mais aussi un facteur de fragilité pour certains maillons et donc pour l’ensemble de la chaine. Maintenir le système existant de production-transformation dans ce contexte implique aussi pour le tissu local de s’adapter et de faire évoluer ses outils de production. L’expérience montre que face à cette nécessité d’adaptation, la filière doit s’organiser en amont comme en aval pour garantir son ancrage et sa structuration sur le territoire landais. Son maintien n’implique pas uniquement les gestionnaires directs de la forêt, mais aussi tous les acteurs du développement et de l’aménagement du territoire, parmi lesquels les collectivités locales jouent un rôle important. De plus, l’innovation (pôle Xylofutur* …) est à la fois un atout en termes de dynamisme économique et de compétitivité, pour entretenir une capacité d’adaptation aux changements que le massif peut avoir à subir (tout particulièrement le climat).
C’est la pérennité de cette filière qui conditionne l’entretien et la régénération du massif et qui de ce fait est la meilleure garantie du maintien des services environnementaux rendus par celui-ci : paysage, ressources naturelles (eau et biodiversité), lutte contre l’effet de serre, prévention des risques naturels notamment incendie. Et réciproquement, c’est la gestion durable du massif qui est nécessaire aux industries de transformation qui exigent une régularité d’approvisionnement. La valeur patrimoniale de la forêt gérée durablement, les services environnementaux rendus par ce mode de faire valoir, sont des éléments justifiant le soutien de la puissance publique à l’activité de production. L’enjeu principal se pose alors dans les termes d’une alternative : faire durer un équilibre industriel forestier malgré les transformations du contexte ou négocier une forme de redéploiement, dans un contexte changeant (Rebotier et al., 2017).
L’énergie biomasse, entre opportunités et dangers
À l’avenir, les énergies renouvelables apparaissent comme un enjeu important, à la fois dans la perspective d’une réduction des émissions de GES et d’une diversification du mix énergétique régional. Dans la perspective d’une transition énergétique, le premier enjeu concerne le poids respectif de la biomasse par rapport aux autres sources d’énergies renouvelables. Mais au-delà des choix dans l’approvisionnement énergétique des territoires, la mobilisation de la biomasse sylvicole pour la production d’énergie est aussi un enjeu pour la filière bois en termes d’itinéraires sylvicoles.
Le développement du bois-énergie est important pour les acteurs locaux et la mise en place de ce nouveau débouché se présente également comme une opportunité pour rapprocher la filière bois des projets territoriaux. Cependant le développement massif d’une sylviculture plus intensive afin de produire la ressource nécessaire (taillis à courte révolution) pourrait induire des transformations économiques, écologiques et paysagères importantes. En termes d’emplois, si l’on hiérarchise les différents secteurs, on se rend compte que la biomasse peut aussi avoir un impact majeur sur l’emploi car demandant beaucoup moins de main d’œuvre. Le rapport est de 1 pour 200 (voir chiffres ci-dessous). Cette nouvelle filière pourrait fragiliser l’équilibre qui s’opère actuellement au sein de la filière forêt-bois concernant le partage de la ressource. De ce fait, poser des questions quant à la cohabitation possible entre filières forêt-bois et biomasse.
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À l’avenir, ces évolutions pourraient affecter à la fois les caractéristiques des arbres plantés et celles de la forêt. De nombreux acteurs de la sylviculture envisagent ainsi de raccourcir les rotations et de mettre en place des peuplements à croissance rapide : plantations semi-dédiées, taillis à courte rotation ou à très courte rotation basés sur l’introduction de nouvelles essences (robinier, eucalyptus, séquoia) comme le souligne la Directive territoriale d’aménagement et de développement durable (DTADD) sur la forêt des Landes et le littoral aquitain, ci-contre.
« le développement de la biomasse (…) peut changer l’aspect et la destination de la forêt: les taillis à courte rotation n’ont rien de commun avec les majestueuses colonnades de pins maritimes, et leurs débouchés ne sont pas locaux, mais lointains... »
Cela aurait des impacts économique, écologique et social et plus précisément sur la biodiversité, les sols forestiers et la filière forêt-bois comme on l’a évoqué précédemment.
Le pin maritime, une ressource convoitée
Les relations de complémentarité entre les diverses industries du bois sont basées sur un partage de la ressource et sur l’échange de sous-produits. Cette distribution initiale des différents bois entre bois d’œuvre et bois d’industrie détermine donc les relations en aval entre les diverses activités. Ces complémentarités industrielles au sein de la filière se construisent autour des spécificités du pin maritime. Ainsi, l’utilisation des bois s’organise via des liens entre secteurs d’activité qui s’expriment « au travers des produits semi-finis, des produits finis, des résidus et des activités de recyclage ou de valorisation des connexes ». (Banos et al., 2012). Ces relations, qui étaient déjà en situation d’équilibre fragile, apparaissent aujourd’hui mises à mal. Ces tensions reposent sur plusieurs facteurs. Tout d’abord, cette ressource en bois a été fortement déstabilisée par les deux tempêtes qui ont généré un afflux de matière première à faible coût pour les industries de trituration. De plus, à côté des bois d’éclaircies et des résidus des industries du bois d’œuvre, les industries de la pâte à papier et de panneaux consomment actuellement des billons de sciage de deuxième qualité, qui étaient jusqu’alors destinés à l’industrie du bois d’œuvre (GIP Ecofor, 2010). Enfin, parallèlement, le secteur du bois d’œuvre connaît une stagnation voire une baisse de son activité. Mais, c’est surtout l’arrivée d’un nouvel usage du bois, pour la production d’énergie, qui est susceptible de transformer radicalement les relations entre les acteurs industriels au sein de la forêt des Landes de Gascogne. (Cf L’énergie biomasse, entre opportunités et dangers).
Aire de stockage après la tempête Klaus, LE LIEVRE Nicolas, SUD OUEST
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A RETENIR Les enjeux économiques
Penser un éco-système diversifié, productif et durable ancré sur le territoire
- Créer un nouveau métabolisme résilient basé sur la pluralité et la complémentarité des industries locales
- Re-territorialiser la filière forêt-bois (bois industrie, bois d’œuvre, bois énergie) en s’appuyant sur un partage de la ressource locale
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Ce chapitre rappelle à quel point les forêts se trouvent aujourd’hui au centre d’enjeux écologiques et économiques considérables. Ces enjeux sont illustrés par la position duale des forêts dans le contexte du changement climatique. D’une part, leur stabilité écologique est défiée par l’ampleur et l’intensité de ce changement. D’autre part, elles peuvent contribuer de manière significative à l’atténuation du changement climatique. Aujourd’hui, la forêt de pins reste perçue comme un élément identitaire majeur de l’Aquitaine; elle porte des valeurs de grands espaces, d’environnement préservé, de calme, de silence, de lumière... Cependant, les évolutions récentes, depuis la tempête Martin, puis la tempête Klauss ont mis à mal la forêt dans sa dimension environnementale, remis en question les valeurs que véhicule ce massif et enfin fragilisé l’équilibre au sein de la filière forêt-bois. Cette divergence des fonctions et valeurs associées au massif se traduit de différentes manières comme on a pu le voir précédemment. Plus concrètement, cela se traduit par un « décalage croissant entre les qualités de la forêt portées par les pratiques récréatives et résidentielles, celles liées au fonctionnement de l’écosystème forestier, et celles en lien avec les réseaux à orientation productive où la forêt est engagée » (Mora et Banos, 2014). Cependant les valeurs économiques, culturelles, naturalistes, et même sensibles, définissent ensemble et de manière parfois contrastée, voire contradictoire, ce qui fait du massif forestier des Landes de Gascogne, un patrimoine commun à toute l’Aquitaine, mais aussi à la France. Ce territoire a ainsi toujours été décrit (Aude Pottier, 2012). Enfin l’impact, du changement climatique sur les forêts d’Aquitaine est indissociable de l’évolution des demandes sociétales portant par ailleurs sur les forêts. Le massif, géré et exploité, est un milieu fortement et historiquement modifié par l’homme. Sa capacité d’adaptation face aux changements environnementaux est fortement conditionnée par les activités humaines au contraire d’écosystèmes moins anthropisés. Les services écosystémiques attendus de nos sociétés auront tendance à s’accroître en réponse à l’urbanisation croissante et au développement du tourisme. Cette surenchère risque par ailleurs d’augmenter les tensions autour de l’utilisation des zones forestières. Elles illustrent également à quel point l’évolution des forêts résultera de l’évolution de nos sociétés.
On peut donc se demander comment ce territoire pourra prendre en compte l’ensemble de ses composantes, qui font sa valeur et son unicité à l’échelle régionale et nationale, afin de s’adapter et construire une résilience territoriale. Il s’agit d’envisager le changement non seulement en termes de filière et de gestion, mais aussi du point de vue de l’articulation entre forêt et territoire, de la place du massif dans l’espace régional, de son importance en termes de cadre de vie et de sa cohabitation avec d’autres modes d’usage du sol.
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04 / VERS UNE STRATÉGIE DE RÉSILIENCE
Comment adapter ce territoire de plusieurs milliers d’hectares adapté aux évènements futurs tout en conservant son caractère multifonctionnel ? Tel est le grand défi auquel mon projet devra répondre. Celui-ci s’appuiera sur le travail de diagnostic et de recherches réalisés à l’échelle du massif forestier concernant la filière locale, les enjeux écologiques et sociaux auxquels fait face actuellement ce monstre forestier. Le projet s’appuie sur une stratégie territoriale afin de rendre le massif forestier résilient face aux évènements futurs (sécheresse, tempêtes, incendies…). Le paysage, à la base de cette réflexion d’ensemble, doit être vecteur d’une transition à la fois écologique, sociale et économique. S’appuyant sur une vision prospective, il permet la coopération entre acteurs du territoire (gestionnaires, exploitants forestiers, habitants, industriels…) et privilégie l’anticipation. PAYSAGÈRE
Cette transition doit s’inscrire dans un programme sur le long terme. L’écosystème forestier et la gestion sylvicole font appel à des temporalités longues. Les mutations qui s’y sont opérées se sont faites à des échelles de temps de plusieurs décennies, à l’échelle de plusieurs « générations » de pins. Cette longueur temporelle se retrouve donc au niveau de cette réflexion territoriale avec une vision prospective à l’horizon 2100.
Tout l’enjeu de ce travail, à l’échelle du massif forestier, n’est pas de se focaliser sur le « résultat » en l’occurrence la stratégie finale qui en ressort mais plutôt la ou les façon(s) d’y arriver, les actions à réaliser, les dynamiques à amorcer afin de rendre le massif plus adapté et durable d’un point de vue écologique, économique et social. En conclusion, ce qui est important ce n’est pas la finalité, mais le chemin, le processus pour y arriver.
Les processus et mécanismes d’adaptation mis en place au niveau écologique, social et économique conditionnent les réponses apportées au niveau local et global et donc la stratégie paysagère de résilience territoriale. Il faudra donc s’appuyer sur les spécifiés territoriales en l’occurrence les terroirs afin d’apporter des réponses au contexte local.