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RÉHABILITATION
from Cosy City #45
TÉLÉPHÉRIQUE DU SALÈVE Reconstruire l’inachevé
En réhabilitant le téléphérique du Salève en Haute-Savoie, l’agence Devaux & Devaux Architectes fera revivre le projet initial, imaginé par son créateur l’architecte suisse Maurice Braillard en 1932. Comment redonner vie à une œuvre inachevée ? Explications.
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Texte Patricia Parquet. Illustrations Glct Téléphérique du Salève et Agence Devaux & Devaux
Maîtrise d’ouvrage Groupement local de coopération transfrontalière du Téléphérique du Salève. Maîtrise d'oeuvre Devaux & Devaux architectes, Pascal Olivier, paysagiste, Laure Geneste, architecte d’intérieur. Coût de l’opération 12 millions d’euros (études, maitrise d’œuvre et travaux).
Le téléphérique du Salève, situé sur la commune d’Étrembières, abrite un remarquable bâtiment-pont surplombant le vide et offrant une vue panoramique face au lac Léman et les Alpes. La France d’un côté et la Suisse de l’autre. La frontière suisse est à quelques kilomètres à peine. À quoi ressemblait-t-il avant d’être en chantier ? Des piles de béton brut de décoffrage, ancrées dans la pente et au-dessus une forme aérodynamique, avant-gardiste. C’est ce qui fait la force de l’architecture de ce lieu. Les architectes de l’agence Devaux & Devaux, lauréats du projet, se trouvent confrontés à un bâtiment avec une identité forte et une valeur patrimoniale. Ils doivent désormais tenir compte de nouveaux usages et faire continuer l’histoire du site. Ce patrimoine inscrit aux Monuments Historiques, implanté sur le site classé Natura 2000, fait l’objet de beaucoup d’attention.
RÉUTILISER L’HISTOIRE
Revitaliser la salle panoramique dans l’idée de Maurice Braillard est au cœur du projet de l’agence Devaux & Devaux Architectes. « On voulait réutiliser l’histoire, ne pas muséifier le bâtiment, mais le concevoir comme il était initialement prévu, avec une terrasse panoramique au-dessus. L’idée principale consiste à dégager les vues, retrouver le rapport à la nature, revitaliser les espaces historiques, revenir à une plateforme d’arrivée ouverte. En arrivant, chaque visiteur vivra le vide » a décrypté Claudia Devaux, lors d’une conférence au Caue de Haute-Savoie à Annecy. L’agence Devaux & Devaux Architectes s’est procurée les plans et les photos d’origine auprès de la Fondation Braillard en Suisse. Elle a ainsi découvert les fenêtres à guillotine, imaginées par Maurice Braillard, mais jamais créées.
GARDER L’IDÉE D’INACHEVÉ
« Intervenir sur un projet inachevé est très particulier. En architecture, on restaure, on rénove. Nous étions confrontés à un état brut. Il fallait garder cette idée d’inachevé le plus possible, en améliorant le côté énergétique par rapport à la dalle du haut. Le bâtiment en béton brut est bien abimé. Les réparations ont été réalisées dans les années 80 avec du béton projeté. Nous voulons garder le plafond brut et les piliers comme à l’origine. Nous n’avons pas opté pour la reconstruction des menuiseries, mais garder la
partie inachevée. Nous utiliserons des menuiseries fines pour garder au maximum les ouvertures et les vues » poursuit Claudia Devaux, architecte du patrimoine, formée à l’EPFL (école polytechnique de Lausanne). Pour toute réhabilitation, l’architecte se demande toujours : qu’est-ce qu’on démolit, qu’est-ce qu’on reconstruit, qu’est-ce qu’on fait avec l’existant ? Alors que va-t-on retrouver ? La grande terrasse qui sera accessible à tous, afin de profiter de la vue splendide et impressionnante depuis le haut. Le bâtiment en béton brut sera restructuré. Le micro-béton, qui avait été projeté dans les années 80, sera retiré sur plusieurs centimètres.
UN PROJET VIEUX DE 91 ANS
Le projet lancé par le maître d’ouvrage, le Groupement local de coopération transfrontalière du Téléphérique du Salève, devait absolument conserver et mettre en valeur le bâtiment historique, améliorer l’accueil, offrir des services au public, s’insérer dans le paysage et dégager des vues proches et lointaines. Le téléphérique garde sa fonction première. Les extensions prévues apporteront des fonctions supplémentaires. Les architectes ont opté pour tout enlever, refaire les vues comme existantes en 1930 et conserver uniquement le socle. Le nouveau bâtiment sera doté d’une tour escalier qui permettra, avec des petites passerelles, d’effectuer la liaison entre le bâtiment Braillard et la nouvelle extension. La galerie abritera l’accueil du public, un espace muséographique et permettra d’accéder à l’esplanade et la terrasse. Une salle de séminaires et de réception verra le jour à l’arrière du restaurant. Elle sera en béton, afin de conserver la continuité du matériau, mais ce sera un béton plus lisse, plus contemporain. L’idée est de dissocier l’intervention contemporaine de l’élément patrimonial. Les travaux de déconstruction viennent de démarrer. Il faudra attendre 2023 pour découvrir le nouveau visage enfin achevé du téléphérique du Salève soit 91 ans après sa création.
Un peu d’histoire
Les spécialistes présentent ce bâtiment comme l’œuvre la plus remarquable de l’architecte suisse Maurice Braillard (18701965) qui l’a imaginé en 1932 et conçu avec l’aide d’un ingénieur français André Rebuffel; il fait la liaison entre la plaine et le mont Salève qui domine le bassin genevois. 660 mètres de dénivelé séparent la gare basse de la gare haute. Toute la structure du téléphérique est construite sans pylône, il y a uniquement un câble qui réunit le haut et le bas. C’est une véritable prouesse technique. Le bâtiment devait être restructuré car il était dans un mauvais état de conservation. Depuis sa création, le Téléphérique a été modifié à trois reprises. Le projet de Braillard prévoyait un bâtiment pont, avec des piles avant et des piles arrière. Au dos, un hôtel avec une salle panoramique qui abritait le restaurant et tout en haut une terrasse panoramique. Ce bâtiment n’a pas été achevé probablement à cause de la crise économique des années 30. L’hôtel n’a jamais vu le jour. La salle panoramique était inaccessible car l’escalier n’a pas été construit. Dans les années 50, un chalet se construit au-dessus. Quel contraste! C’est le retour à une architecture régionaliste en contraste avec cette prouesse des années 30. En 1983, la plate-forme d’arrivée est démolie. Le système de téléphérique avec arrivée à l’aide de deux câbles avec toute la mécanique a été déporté. Le projet perd alors son audace initiale.