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S’inspirer. Les leçons du Vorarlberg ! I
Dans le Bregenzerwald, les habitants construisent et rénovent avec l’aide d’architectes pas pour 50 ans, mais les 150 ans à venir.
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Architecture les leçons du Vorarlberg
EN SEULEMENT 30 ANS, LE VORARLBERG EST DEVENU UNE RÉFÉRENCE MONDIALE EN MATIÈRE D’ARCHITECTURE ET DE DÉVELOPPEMENT DURABLE. LE CONSEIL D’ARCHITECTURE D’URBANISME ET DE L’ENVIRONNEMENT DE HAUTE-SAVOIE ORGANISE RÉGULIÈREMENT DES VOYAGES D’ÉTUDES DANS CETTE RÉGION D’AUTRICHE AFIN DE RENCONTRER LES ACTEURS ET COMPRENDRE POURQUOI CELA FONCTIONNE AUSSI BIEN. EST-CE QUE CE MODÈLE EST TRANSPOSABLE ET POURRAIT INITIER UN VORARLBERG À LA FRANÇAISE ? QUE RETENIR DE CES VOYAGES ?
REPORTAGE PATRICIA PARQUET
Des forêts de sapins blancs, des vaches ruminant dans l’herbe verte et de grandes fermes dispersées dans le paysage. Bregenzerwald est l’une des principales régions du Vorarlberg, marquée par l’activité agricole, le tourisme doux et la vie de village. Après avoir quitté la plaine industrielle, on emprunte les routes de montagne en direction du hameau de Dafins à Zwischenwasser. À chaque lacet, se succèdent des paysages dignes de cartes postales. Le Vorarlberg tel qu’on nous l’avait décrit ; un mélange de tradition et d’audace. Ici une maison contemporaine en bois clair et en forme de cube côtoie d’anciennes fermes rénovées. Là, sur la place du village, l’auberge centenaire revêtue de tuiles de bois est soigneusement restaurée. Plus loin, la première école solaire d’Autriche, connue dans le monde entier. Le point commun de toutes ces constructions ? Les propriétaires et commanditaires ont fait appel à des architectes car ici tout le monde reconnait leurs expertises et s’intéresse à l’architecture.
L’art de bâtir écologique
Ancienne région pauvre, le Vorarlberg est devenu l’une des plus riches d’Autriche et d’Europe. Situé à la frontière entre la Suisse et l’Allemagne, ce « land » est grand comme la moitié d’un département français, avec seulement 400 000 habitants (deux fois moins qu’en HauteSavoie), une économie florissante et une longue tradition dans l’art de bâtir. Le temps d’un voyage d’études de trois jours, maires, élus, responsables de communauté de communes et architectes sont venus voir, comprendre, apprendre et s’inspirer. Ils ont visité des écoles, des casernes de pompiers, des mairies, des bâtiments classés, des villes, des villages... avec l’envie d’en voir toujours plus. Le programme, élaboré par l’architecte Andrea Spöcker, accompagnée de Stephan Dégeorges, responsable du pôle Architecture, villes & territoires au CAUE 74 (*), consistait en visites de bâtiments remarquables ayant remporté de prestigieux prix de la construction bois, de l’architecture et du développement durable, de la commune favorisant la culture du bâti. Ce fut aussi une fabuleuse occasion d’échanger sur les pratiques, les expériences et découvrir un territoire exemplaire façonné par des pionniers et de farouches défenseurs de l’environnement, de la qualité de vie et du travail artisanal bien fait. Voici ce qu’ils ont retenu de ce voyage.
© Jana Sabo
“ L’architecture du Vorarlberg est servie par des matériaux et une mise en œuvre exceptionnels”,
Arnaud Dutheil
(*) CAUE 74= Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement de Haute-Savoie. Il assure des missions de service public pour les collectivités locales et les particuliers, avec les professionnels du cadre de vie. Son rôle: promouvoir la qualité de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement.
© Kurt Hoerbst
Deux constructions primées. À gauche, l’école maternelle de Zwischenwasser ; à droite le centre de secours de Bezau.
Atteindre l’autonomie énergétique en 2050
Depuis 2009, le Vorarlberg met tout en œuvre afin d’atteindre pas à pas l’autonomie énergétique en 2050, avec pour priorité la sobriété, l’efficacité et l’utilisation d’énergies renouvelables. Cet objectif ambitieux a un impact dans tous les domaines de la vie. L’Institut de l’Énergie, fondé en 1985, joue un rôle important car il accompagne les collectivités dans la mise en place de politiques durables. Ce qui a changé ? Les communes exploitent de plus en plus d’énergies renouvelables (géothermie, solaire, photovoltaïque, biogaz, biomasse, hydraulique). Plus d’une centaine de centrales de chauffage biomasse alimentent les réseaux communaux.
Construire oui, mais passif !
En Europe, le Vorarlberg réunit la plus forte concentration de bâtiments au standard passif (ndlr. constructions qui consomment très peu d’énergie) : des maisons passives et des maisons à énergie positive (c’est-à-dire qu’elles produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment). Depuis 2007, tous les bâtiments neufs publics sont obligatoirement construits selon le standard passif. En France, on compte seulement 300 bâtiments labellisés passifs.
Dans les écoles de Wolfurt et de Lauterach, on trouve des établis dans les classes et une cuisine à taille d’enfant.
Valoriser les métiers manuels
Charpentier est un métier de rêve ici ! Le travail manuel est considéré à sa juste valeur et il est bien rémunéré. Les artisans du bâtiment s’investissent dans les écoles afin de susciter des vocations très tôt. Réaliser des travaux manuels en classe est aussi important qu’apprendre à lire et à écrire. Une philosophie qui permet au Vorarlberg d’avoir d’excellents artisans.
L’innovation est portée par le bois
Le bois est le matériau qui répond au mieux aux enjeux de constructions de bâtiments innovants à haute performance énergétique. Pendant 10 ans, de 1995 à 2005, des bâtiments expérimentaux en bois, avec des structures innovantes, ont été réalisés. Parmi les architectes qui font rayonner l’architecture en bois à travers le monde : Hermann Kaufmann. Titulaire de la chaire européenne bois à l’Université de Munich, enfant du pays et issu d’une famille de charpentiers qui cherche à repousser les limites des possibilités de construction avec le bois. Distingués à de multiples reprises, ses bâtiments ont valeur d’exemple car ils conjuguent prouesses techniques, avancées d’ingénierie et savoir-faire local.
© PP
Utiliser les ressources locales
Le bois est une ressource locale, abondante et renouvelable qui stocke le carbone et lutte contre l’effet de serre. Le roi de la forêt autrichienne, c’est le sapin blanc. Son utilisation et son exploitation génèrent de l’activité pour toute une filière locale : exploitation forestière, sciage, transformation… La provenance du bois est certifiée. On ne construit plus avec du bois importé. Les constructions sont de plus en plus entièrement réalisées en sapin blanc, taillé et scié à quelques kilomètres à peine du chantier.
© CAUE74
Préfabrication en atelier
L’entreprise de construction Berchtold Holzbau à Wolfurt est spécialisée dans la préfabrication de maisons individuelles et de bâtiments à haute performance énergétique, construits avec du bois local taillé, scié et raboté à moins de 10 km. Elle a lancé des maisons aux volumes simples, à prix garanti et au standard passif. La préfabrication en atelier fait partie des pistes de développement dans la construction bois.
© CAUE74
Un travail d’orfèvre
Ici, la recherche de la qualité est une religion ! En visitant les bâtiments municipaux tels que l’école de musique (nos photos) et l’école élémentaire de Wolfurt, les participants aux voyages d’études étaient admiratifs devant le travail d’exécution précis et raffiné. Il existe des liens forts entre les architectes et les artisans, un respect mutuel et cela se ressent dans la qualité des réalisations. >>
Performante sur le plan énergétique, l’école de musique de Wolfurt (architecte Fink Thurnher) offre un mélange de bois, de béton brut et de verre à l’intérieur.
Les élus montrent l’exemple
« Faire bien, c’est contagieux ! », explique Christian Natter, maire de Wolfurt, lors de la visite de l’école de musique et de la médiathèque de sa ville, réunies dans un bâtiment au standard énergétique très performant. Les communes, même les petites, montrent l’exemple dans la lutte contre le changement climatique en se dotant d’équipements publics remarquables. Le maire de Bezau, commune de 2 000 habitants, nous explique « qu’il est important de montrer où vont les impôts». Josef Mathis, maire de Zwischenwasser pendant 30 ans, commune de 3 300 habitants, fait partie des élus pionniers dans l’énergie solaire. Ancien carrossier, il nous fait visiter l’école primaire créée en 1990. Située dans le hameau de Dafins et orientée plein sud, elle fut le premier bâtiment public solaire en Autriche. Désormais, plus de 75 % des constructions neuves du Vorarlberg possèdent des capteurs solaires thermiques.
Pourquoi cela fonctionne si bien dans le Vorarlberg ?
Parce que ce territoire est petit, prospère et créatif. Ses élus sont solidaires sur les enjeux d’avenir et demandent à construire des bâtiments écologiques. Des concepteurs et architectes sont en mesure d’imaginer des projets avec la forme et les matériaux qui répondent à cette demande. Et enfin, il existe des entreprises locales et des artisans capables de réaliser les bâtiments souhaités avec un riche savoir-faire. Les matériaux de construction sont disponibles localement (le bois, la pierre, le verre et un peu de métal). Le Vorarlberg a développé au fil du temps un important tissu de petites et moyennes entreprises. L’économie locale est aujourd’hui forte et fonctionne majoritairement en autonomie.
Valoriser le déjà-là
Avant de construire des bâtiments neufs, les Vorarlbergeois valorisent les bâtiments existants en les rénovant et en créant des extensions. On voit très fréquemment une nouvelle étable en bois aux lignes pures et simples, accolée à une vieille ferme. La philosophie des habitants : rénover plutôt que détruire et construire non pas pour 50 ans, mais 150 ans !
Constructions remarquables primées : En haut à gauche : La première école solaire d’Autriche à Dafins, architecte Hermann Kaufmann. © Gemeinde / Zwischenwasser Ci-dessus : le restaurant Adler à Schwarzenberg transformé par l’architecte Hermann Kaufmann et une serveuse en habit traditionnel. © PP
En haut : La maison Walser de Lucia Riezler à Mittelberg dont la façade est recouverte d’écailles de bois.© Dietmar Denger - Vorarlberg Tourismus En bas : Une maison contemporaine à Schwarzenberg en sapin blanc. © Jana Sabo
Sanctuariser la montagne
Un tiers de la population du Vorarlberg habite en montagne. Les constructions se sont multipliées avec le développement du tourisme, mais il existe une forte volonté politique de les stopper. Il est désormais interdit à tout étranger d’acheter une résidence secondaire dans le Vorarlberg. Il faut résider sur place pour accéder à la propriété. La maison individuelle devient rare car les maires privilégient les petits immeubles collectifs afin de concentrer l’habitat.
Favoriser les transports en commun
Les habitants sont encouragés à se déplacer de manière douce. Les trains circulent toutes les demi-heures, des bus desservent les villes, les campagnes et les zones de montagne.
Miser sur la participation citoyenne
Les maires comptent sur la participation citoyenne et rivalisent d’imagination pour mobiliser leurs habitants. Le week-end, ils organisent des workshops, des ateliers, des rencontres pour les faire réfléchir et trouver des idées à mettre en place afin de faire évoluer leur commune.
Les habitants de Bezau invités à découvrir les maquettes des futurs projets de la commune et à en discuter.
Sortir le plastique des montagnes
Mettre des fenêtres en plastique relève d’un crime ! Le PVC ne fait pas partie des matériaux acceptés pour obtenir des aides à la construction.
Éviter le mitage qui abime le paysage
Dans les années 60, les Vorarlbergeois ont beaucoup construit. Depuis, les élus mettent un frein à cette évolution néfaste pour le paysage. Les grandes industries sont regroupées en plaine. Le tourisme se concentre sur des infrastructures hôtelières plutôt que sur les logements de vacances disséminés. Le paysage est facile à lire car il alterne les zones bâties et naturelles.
Le Vorarlberg
dans nos montagnes ?
La Haute-Savoie accueille chaque année plus d’habitants que les autres départements et on construit plus qu’ailleurs. L’économie du département est florissante. Rencontre avec Arnaud Dutheil, directeur du CAUE de Haute-Savoie, convaincu que les voyages d’études entre professionnels, c’est la vertu de la pédagogie par la découverte et l’expérience.
Le modèle du Vorarlberg est-il transposable dans nos montagnes ? « Oui et non! Oui, car nous avons les mêmes éléments de départ pour constituer une filière constructive forte: la ressource forestière, la tradition constructive, le savoir-faire. Non car le Vorarlberg a construit son modèle autour d’une revendication d’autonomie par rapport à l’État fédéral. Les acteurs et la population se sont rassemblés avec la volonté de constituer une filière autour de l’excellence. »
Que faut-il mettre en place avant tout ? « Les acteurs de la filière, du forestier à l’architecte, doivent être solidaires autour d’un projet de culture constructive pour le territoire. Mais surtout, cette culture doit être partagée par les habitants pour lever nos contradictions: nous voulons du bois local, mais nous nous opposons à la création de nouvelles routes forestières. Nous admirons le bois vieilli de nos chalets traditionnels, mais le refusons pour des constructions récentes. »
Si on ne devait retenir qu’une seule leçon de ce voyage ? «Ce qui fascine dans l’expérience du Vorarlberg, c’est la qualité des bâtiments. L’architecture est servie par des matériaux et une mise en œuvre exceptionnels. La production, parfaitement contemporaine, est construite dans la continuité d’une tradition et de matériaux qui l’ancrent localement.»
CONTACTS Pour participer à un voyage d’études avec le CAUE74, tél. 04 50 88 21 10. www.caue74.fr
(voyages réservés aux élus, personnels des collectivités territoriales, professionnels de l’aménagement du territoire et de la construction, universitaires, chercheurs). Pour tout public : renseignements auprès de l’Office national du tourisme autrichien : www.austria.info et l’office de tourisme du Vorarlberg : www.vorarlberg.travel 6