introduction
Les acteurs de l’eau en Afrique australe Enquêtes de terrain, entre interdisciplinarité et enjeux contemporains
Nicolas Verhaeghe, Paul-Malo Winsback Ce numéro de Lesedi propose une réflexion sur les agents de la gouvernance des eaux douces en Afrique australe. Les ressources hydriques y font en effet l’objet de riches interactions, du fait de la grande diversité du souscontinent, tant sur le plan social et institutionnel que géographique et climatique. Marquée par la forte variabilité de son régime pluviométrique, la région partage cependant une situation de stress hydrique, c’està-dire une tendance générale à la raréfaction de l’eau 1 douce (Msangi 2014) . Confrontée à ces conditions a priori naturelles, la réponse politique des pays de la région est prise en tenailles, de façon paradoxale, entre une apparente bonne coopération régionale en matière de gouvernance de la ressource et une difficulté persistante des populations à y accéder (Swatuk 2017). Cette contradiction n’en est pour tant pas nécessairement une : elle est plutôt le produit d’une illusion d’unicité et de cohérence institutionnelle. La SADC (Communauté de développement d’Afrique australe), dont le milieu hydrique a notamment été étudié par Agathe Maupin (2013), rassemble en effet l’ensemble du sous-continent derrière une étiquette commune qui cache une diversité de situations. Les processus en jeu ont d’ailleurs déjà fait l’objet de nombreuses études portant sur les structures formelles qui conçoivent et font circuler les paradigmes et les modèles de gestion de l’eau (Msangi 2014), ainsi que sur les innovations en matière d’ingénierie qui ont émergé au sein cet espace (Bourblanc 2015). Souvent présentée comme vertueuse par certaines institutions internationales, l’Afrique australe a aussi donné lieu à des recherches sur le déploiement de
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politiques globales, et sur leurs traductions locales et régionales (Mehta, Derman, et Manzungu 2016 ; 2017). Comme le souligne Larry Swatuk (2002 ; 2005 ; 2017), la gouvernance de l’eau en Afrique australe met aux prises des acteurs aux connaissances, aux capacités et au degré de reconnaissance différents, qui négocient et renégocient constamment leur rôle et leurs droits à l’eau. Leurs interactions, sur fond de problématiques complexes et interdépendantes, s’inscrivent dans des réseaux de gouvernance impliquant des agents variés (Meissner et Jacobs 2016). À ce jour, les structures institutionnelles organisées au niveau national ou 2 transnational, à l’échelle du bassin versant , partent du postulat que les « parties prenantes » sont en mesure de faire entendre leur voix de façon adéquate, au sein de cadres formels où sont prises les principales décisions sur l’allocation de l’eau, son utilisation et sa gestion dans la sous-région (Merrey et al. 2017). Pourtant, ces décisions sont imprégnées des considérations politiques, normatives, éthiques et subjectives des acteurs, insérés dans des constellations de forces particulières et dans des contextes singuliers. Dans cette configuration complexe, les structures dites « de société civile » et les institutions extérieures au continent jouent un rôle qui est loin d’être anodin. En Afrique australe, des organisations régionales et mondiales au rôle fédérateur, comme le Global Water Partnership Southern Africa ou le Global Environment Facility, ont ainsi une influence majeure auprès d’ONG nationales et autres structures hybrides de type public-privé
Sur les débats autour du stress hydrique et de la sécurité en eau, voir (Cook et Bakker 2012). Le bassin versant ou bassin hydrographique est une unité géographique qui réunit un cours d’eau et ses affluents, considérés comme un tout cohérent.
Lesedi #22 | Carnets de terrain | IFAS-Recherche | Octobre 2020
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