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Silozwane, étude d’un palimpseste rupestre des Matobo Carole Dudognon

the rock art of the hunter-gatherers in southern africa

Silozwane

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Étude d'un palimpseste rupestre des Matobo

Carole Dudognon

Carole Dudognon est chercheure associée au laboratoire TRACES, UMR 5608, spécialisée en art rupestre. Elle est membre de l’équipe MATOBART depuis 2018. Elle a obtenu une bourse pour l’étude du site de Silozwane en 2019 (IFAS-Recherche et MATOBART).

L’étude des palimpsestes en art rupestre répond à de n o m b re u x d é f i s t e c h n i q u e s , m é t h o d o l o g i q u e s e t analytiques dont l’objectif est de donner une structure temporelle aux réalisations graphiques. Lieux de passages répétés de groupes humains, hautement symboliques, ces sites d’art rupestre offrent une grande variabilité de manifestations qui témoignent de la vie culturelle, sociale et spirituelle des populations qui les ont occupés. Leur potentiel informatif existe si nous sommes en mesure de proposer une c hronolog ie relative des graphismes afin d’apprécier l’iconographie dans la diachronie. L’élaboration des séquences de l’art rupestre à travers l’étude des superpositions se développe en Australie (Chippindale et Taçon, 1993) avant de s’exercer sur d’autres continents, en particulier l’Afrique australe (Loubser, 1997 ; Russel, 2000 ; Swart, 2004), où cette méthodologie fait débat (Pearce, 2010). Pourtant, cette technique d’analyse offre une nouvelle étape dans le traitement de l’art rupestre (Le Quellec, 2016) et une profondeur historique longtemps attendue. En parallèle du programme MATOBART, l’ambition première de cette étude est de contribuer à préciser une séquence chrono-stylistique pour servir de cadre de référence au niveau régional, voire extrarégional. Silozwane, situé au sud des der nier s contrefor ts g r a n i t i q u e s d e s M a t o b o, p r é s e n t e d e m u l t i p l e s superpositions et la présence d’une grande variété de styles et de thématiques permettant de dégager une vaste stratification iconographique. Une impor tance significative est accordée aux scènes afin d’assurer la cohérence des épisodes graphiques. L’intérêt porté aux superpositions et aux scènes intègre également un enjeu conceptuel for t : interroger les mutations sociales, économiques et symboliques au cours des derniers millénaires.

Séquence de l’art rupestre dans les Matobo

Les expéditions ethnographiques menées dans les années 1928-1930 par L. Frobenius au Zimbabwe per mettent l’enreg istrement photog raphique et la réalisation de copies de nombreux abris ornés, tel Silozwane. Ces témoignages ar tistiques retiennent l’attention de l’ethnologue dont l’ancienneté présumée repose, toutefois, sur une vision fantasmée de la préhistoire africaine (Ivanoff, 2014). Les premiers relevés font apparaitre les scènes domestiques complexes et la représentation du rain snake – serpent à tête d’antilope (Fig. 1a) – qui alimentent les récits ethnographiques des San et de leurs cérémonies (Stoll, 2016). Simultanément, des fouilles archéologiques sont menées dans l’abri orné de Bambata afin de proposer la première séquence stratigraphique ; elles ont révélé la haute ancienneté des occupations humaines dans la région (Burkitt, 1928 ; Armstrong, 1931). Le système de superposition des peintures est noté par A. Armstrong, qui oppose deux

phases de réalisation, mais le rapprochement avec la culture matérielle dégagée reste approximatif.

La première étude pour la datation de ces manifestations graphiques émerge dans les années 1950 (Cooke, 1955). Conjuguant les fouilles au pied des parois ornées et l’analyse des styles picturaux, C. Cooke propose la première séquence chrono-stylistique de l’art rupestre du sud du Zimbabwe (Cooke, 1963). Basée sur les techniques, les couleurs, les thématiques et le rendu formel, cette séquence isole six phases de réalisation, identifiées notamment à Pomongwe, se déployant de e 4 000 BP au XX siècle. Les sites de Bambata et Pomongwe héritent d’une longue tradition de recherche qui se poursuit jusqu’aux récents travaux de N. Walker (Walker, 2012). Ces travaux attestent l’utilisation des pigments dès 13 000 BP (Walker, 1995) replaçant, possiblement, les pratiques artistiques dans une chronologie plus étendue.

Ancienneté et variabilité chrono-culturelle de l’art r u p e s t re d e l ’ A f r i q u e a u s t r a l e s o n t a u c œ u r d u programme MATOBART. L’étude des sites de Pomongwe et Bambata vise à reconsidérer l’émergence de l’art en croisant les collections archéologiques et l’analyse des parois (Bourdier et al., ce volume ; Porraz et al., ce volume). Le site de Silozwane compile des productions nombreuses et originales dont certaines peuvent renvoyer à des pratiques rituelles documentées par l’ethnographie en Afrique australe (Lewis-Williams, 1981). Cependant, la chronostratigraphie iconographique permet de dégager la dimension diachronique de ces représentations en reconsidérant la diversité des pratiques, à travers le temps, de ces populations.

Silozwane : enjeux de la recherche

Cet abri rocheux est adossé au flanc d’un whaleback, avec une large entrée orientée sud-est qui surplombe la vallée. L’accès libre de l’abri et la proximité du village ndébélé, du même nom, assure une protection à ce site, considéré actuellement comme sanctuaire pour le culte Mwari. Toutefois, ces conditions offrent une

Figure 1 : Silozwane, fond de l’abri orné ; 1a) registre médian : l’empilement de scènes et représentation du serpent à tête d’antilope (Rain snake) ; 1b) registre supérieur : détail des grandes compositions (cl. Dudognon).

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conservation différenciée des peintures. Dans la partie supérieure de l’abri, les œuvres sont parfaitement lisibles, contrairement au registre inférieur marqué par l’écaillement naturel de la paroi, les traces de fumée en lien avec les pratiques religieuses (Taruvinga et Ndoro, 2003) et quelques graffitis (Fig. 1). L’avancée de la voûte protège les peintures de certaines altérations climatiques comme l’ensoleillement et la pluie. Seules les parois ont un caractère informatif dans ce site qui repose directement sur le substrat g ranitique. Sans datation ou contexte archéologique, l’étude des compositions offre pourtant de nombreux indices sur la dynamique des contextes culturels, sociaux et symboliques (Dudognon et Sepúlveda, 2018). La stratigraphie des parois ornées de Silozwane s’inscrit dans une double problématique, soulevant la question des temps et des espaces d’occupation des populations du Later Stone Age. Le terme de « palimpseste » appliqué aux arts rupestres rend compte de la situation de sites remarquables, qui compilent des centaines de représentations permettant de lire la paroi comme une stratigraphie révélatrice des périodes distinctes d’ornementation. De la mémoire de la localisation des abris à l’empilement pariétal, ce type de configuration soulève de nombreuses questions sur le rôle même de ce lieu. La permanence dans l’utilisation de ces sites nous renseigne sur l’ancrage territorial des groupes humains, dont l’étude des superpositions nous permet d’aborder la question des relations entre les différents groupes qui ont e n r i c h i l ’ a b r i . L’ i m b r i c at i o n d e s r é a l i s at i o n s o u l’utilisation de nouveaux espaces g raphiques nous informent sur les continuités ou les ruptures entre chaque phase de production g raphique (Dudognon et al., à paraître). La surimposition et les modifications d’un é t at a n t é r i e u r ( r é e m p l o i , n o u ve l l e s a s s o c i at i o n s , détériorations ciblées, etc.) permettent soit de s’inscrire dans un héritage collectif, soit de créer de nouveaux messages (Lorblanchet, 1980). La recherche des diverses séquences de réalisation n’omet pas l’hypothèse d’inter ventions par iétales simultanées de g roupes humains partageant, potentiellement, au même moment cet espace. Pour appréhender la chronostratigraphie complète des parois, les analyses des scènes permettent d’étendre le phasage, au-delà des superpositions directes des figures. De très grandes compositions, associant hommes et femmes, adultes et enfants, engagés dans de multiples tâches et intègrent de nombreux objets, à proximité de formes qui sembleraient reproduire des tentes, ornent la voûte de Silozwane (Fig. 1b). Ces représentations, caractéristiques de l’art rupestre zimbabwéen (Garlake, 1987), n’apparaissent pas dans la séquence chronostylistique de C. Cooke. Ces scènes, définies comme homogènes dans leurs techniques, thématique et rendu formel (Lenssen-Erz, 1992), sont partiellement intégrées au système de superposition. Elles sont également une clé déterminante pour appréhender la dynamique socioculturelle des populations successives (c hasseur scollecteurs, pasteurs, agriculteurs) dans la région des Matobo. La finesse descriptive des scènes ouvre un pan heuristique résolument novateur pour la recherche sur la paléo-sociologie de ces populations.

Méthode d’analyse du palimpseste

Cette méthodologie s’adapte aux particularismes des productions graphiques et des processus taphonomiques inhérents au Matobo. L’étude de deux palimpsestes rupestres andins, aux conditions atmosphériques et aux s u p p o r t s d i f f é re n t s , a p e r m i s l ’ u t i l i s at i o n d e l a color imétr ie et des compositions pour créer une chronostratigraphie (Dudognon, 2016). Dans les Matobo, le biais taphonomique qui se manifeste principalement par l’écaillement de la surface granitique nous confronte à une per te d’information irréversible. Ce phénomène se produit de manière homogène sur le registre inférieur de l’abri (Fig. 1). Les registres médian et supérieur sont modérément affectés par ce processus, qui ne crée pas de vide infor matif sur ces deux niveaux. Le substrat géologique de l’abri limite l’empoussièrement des parois et offre une bonne lisibilité des superpositions des registres supérieurs. La principale difficulté liée à la taphonomie des parois réside dans la caractérisation des couleurs, qui peuvent varier au sein d’une même figure et d’une même composition en fonction de la teinte du support ou des dégradations naturelles des parois. La colorimétrie ne peut pas être l’unique critère permettant de distinguer des phases de réalisation et doit être complétée par les analyses thématiques, formelles et de composition. Le dispositif artistique de Silozwane se caractérise par d’imposantes scènes de groupes humains aux styles diversifiés, la présence d’un large bestiaire animal

Figure 2 : Analogie stylistique et thématique entre (a) Bambata et (b) Silozwane. c) Scène combinant deux typologies à Silozwane (cl. Dudognon).

(girafes, éléphants, félins, élans, phacochères, impalas, poissons, volatiles, insectes...), les représentations de quelques végétaux et la figuration d’êtres hybrides tels que le serpent à tête d’antilope. Au-delà de l’analyse figure par figure, et face à l’ampleur des représentations, ce travail s’appuie sur la caractérisation des scènes afin d’y dégager des ensembles homogènes. L’examen plastique de c haque composition per met de référencer les techniques et les styles qui se différencient nettement au sein du dispositif pariétal. Une typologie des scènes est ainsi proposée avant de procéder à l’analyse des empilements. Cette typologie s’inscrit dans un contexte artistique plus large où des parallèles avec les sites voisins, tels que Pomongwe et Bambata, sont observables. Une base de données des scènes reprend les critères descriptifs proposés par T. Lenssen-Erz et O. Vogels pour l’art rupestre en Namibie (Lenssen-Erz et Vogels, 2017), afin de garder une homogénéité dans l’étude des arts rupestres d’Afrique australe.

La couverture photographique et un modèle photogrammétrique du site sont les premières étapes pour l ’ é t u d e d u d i s p o s i t i f p a r i é t a l d e S i l o z wa n e. S i x emplacements stratégiques, présentant un grand nombre de superpositions, ont été sélectionnés dans l’abri pour l’enreg istrement macrophotog raphique, combiné à l’utilisation d’un microscope numérique portable afin d’optimiser la lecture des recouvrements. Un relevé analytique de ces sections s’appuie sur un traitement colorimétrique (Dstretch©), afin d’améliorer la lisibilité des figures avant l’élaboration du relevé informatisé qui intègre les niveaux de superposition (Bourdier et al., ce volume). Chaque empilement est indiqué dans la base de données afin de générer une matrice de Harris qui permet de tester la cohérence des successions de figures – et par extension des scènes – aux différents emplacements c hoisis. Le phénomène de scènes cumulatives, où certaines figurations peuvent être réemployées dans de nouvelles compositions, est référencé à travers l’agencement des superpositions (recouvrement total, réutilisation partielle, juxtaposition). À partir de ces données, la restitution de la construction des sections permet d’isoler les différentes phases de réalisation (ou de p o s s i bl e s e n c h ev ê t r e m e n t s ) a f i n d e p r o p o s e r l a chronostratigraphie des inter ventions pariétales. La synchronie des réalisations peut également apparaître

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dans le diagramme de Harris et faire ressor tir des interstratifications entre les compositions.

Étude préliminaire

Compte tenu l’impossibilité de se rendre sur le site de Silozwane en 2020, un travail préparatoire a été effectué à partir des clichés réalisés lors d’une première visite en 2018. Des corrélations formelles ont pu être faites avec d’autres sites des Matobo, notamment Bambata pour certains types de représentations humaines, et Pomongwe pour les représentations animales (Fig. 2a et 2b). Ces données sont particulièrement importantes pour étendre la chronostratigraphie de Silozwane aux sites actuellement repris dans le programme MATOBART. Les premières observations ont mis en relief certains éléments déterminants dans l’étude de ce palimpseste. Les techniques picturales identifiées par C. Cooke se retrouvent dans l’abri, sans toujours correspondre aux styles décrits. Le site rend compte de techniques non référencées comme la réalisation du contour et du remplissage de figures en bic hromie. La diver sité

Remerciements

stylistique pour la représentation humaine (taille, attribut, posture, animation...), peu détaillée dans les travaux précédents, apparaît comme une donnée fondamentale pour la construction plus fine d’une séquence chrono-stylistique de la région. A contrario, des typolog ies différenciées s’imbr iquent dans de mêmes scènes (Fig. 2c). Ce dispositif nous interroge sur les réutilisations ou sur l’existence synchrone de plusieurs types de représentations humaines au sein d’une même réalisation. Les critères d’animation et de composition doivent nous permettre de répondre à ces questions. Enfin, la richesse des attributs associés aux représentations humaines sert à discerner la typologie des scènes qui alternent du descriptif des activités socioculturelles de petits groupes à l’animation de longues files d’hommes armés. Malgré leur emplacement dans des registres différents, ces scènes intègrent le système de superposition qui permettra de dégager l’ordre de succession de ces thématiques. L’éventail de cette scénog raphie peut nous per mettre d’inventor ier, successivement, les multiples témoignages de la vie

sociale de ces groupes.

Cette recherche est nancée par l'IFAS-Recherche (UMIFRE 25) et le programme MATOBART, que je remercie vivement pour l'intérêt porté à ce travail ainsi qu'à toute l'équipe pour les passionnants débats sur l'archéologie du Zimbabwe. Un grand merci à Thulani qui nous a conduits sur de nombreux sites d'art rupestre au sein des Matobo.

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