Mdrv en contexte

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La gouvernance économique de l’UE, baromètre des humeurs nationales Les pays de l’eurozone convergent sur le besoin de coordonner leurs politiques économiques. Mais d’une capitale à l’autre, la température politique varie fortement lorsqu’il s’agit d’appliquer les réclamations venues de Bruxelles.

Petis et grands pays ne réagissent pas de la même manière All rights reserved 14/11/2013 Sanctions, tableaux de bord, réformes structurelles, procédure de déficit excessif, déséquilibres macroéconomiques, recommandations… Depuis le début de la crise qui a fait paniquer la zone euro, l’Europe a élargi sa palette d’outils de surveillance des finances des Etats dans l’idée de sauvegarder sa « crédibilité » et sa « compétitivité ». Pour la première fois, vendredi 15 novembre, la Commission européenne prendra position sur les projets de budgets nationaux avant qu’ils ne soient votés. La France étant en déficit excessif, la Commission pourra aussi s’exprimer sur le régime des retraites de l’Hexagone, ses dépenses sociales ou encore son organisation territoriale.

Intérêt des petits pays Le corpus de règles a beau être le même pour tous, la perception qu’en ont les gouvernements et les opinions publiques n’a rien d’homogène.


L’exercice des recommandations de réformes publiées chaque année en mai par l’exécutif européen l’a démontré : leur contenu reçoit un accueil différent à Paris, Madrid, Berlin, Ljubljana ou encore Vilnius. « Les petits pays attendent les recommandations pays avec beaucoup d’impatience, explique-t-on à la Commission européenne, car ils les abordent comme du conseil économique susceptible de les aider. » Elles sont « pertinentes » et complètent la « politique économique et sociale de notre gouvernement », confirme Vytautas Leskevicius, ministre lituanien des Affaires européennes, joint par Contexte. Paris et Berlin, de leur côté, préfèrent se fier à leur propre expertise, quitte à laisser de côté les souhaits de Bruxelles.

Rébellion de Paris « Telles qu’elles sont écrites, les recommandations de la Commission ne sont pas faites pour être appliquées », ironise un responsable à Bruxelles, qui les juge « trop nombreuses » et pas suffisamment construites « en amont avec les Etats ». La France l’a appris à ses dépens. Avant la publication de l’analyse de Bruxelles en mai, un conseiller de François Hollande a tenté sans succès d’obtenir l’amendement du paragraphe préconisant le report de l’âge légal de départ à la retraite. L’entourage du Président explique : En intervenant de cette manière, « la Commission européenne compliquait la réforme ». Préposée à la supervision des mesures préconisées par la Commission et réputée opiniâtre au travail, la haut fonctionnaire Catherine Day ne retire pas le passage en question, invoquant un risque de traitement inéquitable avec d’autres Etats, comme la Slovénie, également priée de reporter l’âge légal… Mais dans ce cas précis, l’affaire arrange les autorités slovènes, qui cherchent à justifier l’adoption d’une réforme sensible : si Bruxelles le demande, il faut s’exécuter. Ce qui n’est manifestement pas l’approche française, du moins dans sa rhétorique. Quatrième économie de la zone euro, l’Espagne a quant à elle tendance à se fondre dans l’épure de la Commission européenne, sans pour autant se priver de manoeuvres politiques, raconte l’eurodéputé socialiste Alejandro Cercas : « Le gouvernement espagnol a construit un discours où les mesures prises sont tantôt décrites comme inévitables, tantôt comme imposées, ce qui lui permet d’apparaître à la fois comme volontaire et comme victime. »

Zèle de Madrid Dans son décret-loi du 15 mars 2013 sur le système de pensions, Madrid fait explicitement référence au Livre blanc de la Commission sur les retraites, ainsi qu’aux recommandations. En France, au contraire, le projet de Marisol Touraine ne consacre pas une virgule aux procédures européennes. Malgré leur dimension politique avérée, les recommandations de Bruxelles restent optionnelles et les retraites ne sont pas du ressort de la Commission… En Espagne, elles sont devenues « très importantes », estime Manuel de la Rocha, économiste à la Fondation Alternativas (centre gauche). « Dans la pratique, le gouvernement les suit quasiment toutes. »


Ce zèle ne lui vaut pas les lauriers de Bruxelles, loin de là. En remettant ses prévisions économiques le 5 novembre, le commissaire Olli Rehn a rappelé à l’ordre deux Etats, la France, mais aussi l’Espagne. Deux pays dans lesquels des « réformes urgentes » s’imposent. « Comment peut-il dire une chose pareille ? L’Espagne vient de faire deux réformes du marché du travail et trois réformes du système des retraites », objecte l’élu espagnol Alejandro Cercas. « Sait-il au moins de quoi il parle ? Ce genre de démarche politique, faite de propos pontifiants émis par un quasi-gourou, passe très mal auprès de l’opinion publique. »

L’Allemagne prête à bondir En Allemagne, également, des réactions risquent de fuser, mais pour des motifs bien distincts. Celle qui passe pour l’élève modèle ayant fait ses devoirs il y a dix ans, goûte peu le jugement de ses pairs sur le niveau et l’origine de ses excédents. Jusqu’à présent, les recommandations européennes ont été « un élément mineur dans le débat public allemand », relate Stefan Seidendorf, politologue à l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg. « Mais si la Commission décide d’appliquer des sanctions à cause des excédents, les citoyens ne comprendront pas du tout : ils pensent que la richesse doit être empochée par les entreprises pour que l’économie fonctionne. » Encore balbutiante, la gouvernance économique de l’UE présente le paradoxe d’être aussi nécessaire que décriée. Trop complexe, déclinée au fil d’un « semestre européen » dont les échéances sont méconnues ou incomprises par les citoyens, elle repose aussi sur une relation bilatérale entre la Commission et chaque pays, « ce qui favorise le débat en termes nationaux », remarque Stefan Seidendorf.

L’Etat contre Bruxelles Cette logique de bloc (l’Etat contre Bruxelles), empêcherait donc de faire émerger une réflexion sur le pilotage de la politique économique à l’échelle européenne. Dans les pays en crise, cette gouvernance imparfaite produit des décisions où la sensation d’opacité, voire d’injustice, domine. L’un des principes veut que la Commission « donne plus de temps pour résorber le déficit, en l’échange de réformes », constate l’économiste Manuel de la Rocha. Mais à ce jeu, « la France a plus de capacité de négociation que l’Espagne ». Dans l’esprit des Espagnols, la gouvernance européenne est tout simplement « associée à la Troïka », résume Alejandro Cercas. La Commission ou l’Eurogroupe peuvent bien publier des documents officiels, poursuit-il, la population, éprise d’un « sentiment énorme de suspicion » à l’égard des pouvoirs publics, croit davantage en « une sorte de vérité occultée ». Celle qui passerait par « les appels téléphoniques d’Angela Merkel ou de Mario Draghi », afin d’orchestrer la « mise sous pression du gouvernement ». http://www.contexte.com/article/transversal/la-gouvernance-economique-de-lue-barometre-deshumeurs-nationales.html


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