Les chemins de la mémoire

Page 1

Cinéma

Les chemins de la mémoire À sa mort en 1975, Franco léguait à son pays un terrible héritage de haine et de mort. 30 ans plus tard, les survivants refusent l’oubli, et ont enclenché un vaste processus pour retrouve les corps des disparus. Précis et pragmatique, cet état des lieux de la mémoire espagnole vaut autant pour les faits terrifiants qu’il énonce que l’évocation de cette mémoire pour un peuple hésitant entre ouvrir les yeux ou les fermer définitivement. Éloquent et puissant !

L’

image montre un ministre éploré annonçant que Franco, héros national et leader incontesté du pays, vient de s’éteindre en ce jour de novembre 1975. Cette image officielle possède un autre aspect, incarné par ce brillant légiste qui se rend sur un lieu de fouille perdu dans la compagne. Grâce aux témoignages d’habitants qui osent enfin parler de leur voisin, de leur père, de leur enfant disparu, un programme de recherche national s’emploie à repérer les charniers où les franquistes ont enterré les corps de tous les opposants, communistes déclarés ou juste obstacle à une ambition personnelle. Alors que toute une partie de l’Espagne nie ce passé trop proche, trop douloureux parce qu’il a littéralement remodelé la société espagnole, les descendants et proches des quelques 130 000 disparus sont parvenus à rendre cette réhabilitation officielle. Désormais, à travers toute l’Espagne, on ne compte plus les fosses remplies d’ossements humains, confiés à des équipes de spécialistes chargés de les identifier. Autour d’eux, les langues se délient, les consciences se libèrent, et c’est 40 années de terreur qui prennent forme… Il n’y rien de pire pour une démocratie que de devoir

déterrer, sous ses fondements, les bases d’un état qui a pratiqué la répression la plus abominable pendant près d’un demi-siècle. Faire face à cette mémoire, au prix d’une remise en question de ce qui compose son quotidien, est un risque que très peu sont prêts à courir, préférant de loin qu’une chape de plomb ne tienne éloigné d’eux ces atroces fantômes. Chaque pays a dans son histoire de ces revenants qui tracassent les consciences. Mais ceux de l’Espagne étaient trop encombrants pour rester très longtemps dans l’ombre. Et il en faut du courage à un gouvernement pour officialiser ce devoir de mémoire contre une opinion publique souvent violemment opposée. Un travail pénible et laborieux que ce documentaire entreprend, pour la première fois, de retracer. Ce film, solidement structuré permet en évoquent les mémoires de brosser un portrait réaliste de la vie des opposants franquistes sous la botte du dictateur. La mémoire des morts, que l’on déterre et que l’on identifie à l’aide des voisins et proches qui se souviennent encore. Celle de ceux qui ont vécu ces horreurs, et lutte contre la disparition de l’immense prison où ils ont passé tellement de temps avant de subir au quotidien la vie d’espagnols de seconde zone, bafoués, expropriés, contraint de vivre au coté même de ceux qui ont tué les leurs. Celle des innombrables expatriés, enfants à l’origine parfois définitivement éradiquée par le jeu des adoptions systématiques, et qui reviennent pour retrouver ce passé à défaut d’avoir jamais une vraie vie. Un parcours qui révèle même des pans ignorés de l’Histoire, comme le rôle des camps de concentration du sud de la France, et le destin terrible de ces républicains envoyés pour bâtir les camps de concentration allemands dont ils ne sont jamais revenus. De nombreuses fois primé, ce documentaire riche en images d’archive séduit par sa construction solide, le recul pris d’avec les évènements et le pragmatisme de son exposition des faits. On appréciera plus ou moins l’intervention des deux danseurs qui symbolisent ce combat fraternel pour ou contre la mémoire. Si elle aère un récit souvent

terriblement chargé en émotion, cette figure de style n’était peut-être pas indispensable. Mais pas au point de nous sortir d’un état des lieux qui bouscule. L’intervention de Jorge Semprun s’avère en revanche judicieuse, posée et constructive. Elle nous permet d’apprécier les témoignages bouleversants de ces survivants qui témoignent de leur captivité dans les lieux même de leur prison délabrée, ou plus fort encore dans une classe de collégiens dont beaucoup ignorent les raisons de cette démarche si douloureuse. Les paroles de ce prisonnier devenu poète par résistance, puis de cette expatriée à la simplicité déchirante valent tous les exposés. Leur propos sont aussi

intenses et choquants que peut l’être l’atterrant spectacle de ces nostalgiques de Franco, qui viennent honorer la mémoire de leur idole en saluant la main bien tendue. José Luis Peñafuerte, le réalisateur, est né à Bruxelles. Enfant de ces déportés de la terreur, il s’emploie à en faire renaître l’histoire depuis son premier film. La rigueur de son travail dépasse la dimension politique et militante de sa démarche pour se concentrer avec intelligence sur ce qu’il envisage comme un “dispositif d’alerte” contre l’oubli et les périls de la négation, conçu à l’intention des générations futures. C’est une réussite.

Infos

L’avis de CpourlesSeniors.com Avant l’Espagne de la Costa del Sol, il y avait bien l’Espagne de Franco, l’ami de Hitler et Mussolini, mais tout le monde semble l’oublier. Sauf ceux qui ont souffert d’une dictature qui ne s’appliquait qu’à eux, les “rouges”. Loin de mener une quelconque vengeance, c’est bien pour l’Espagne moderne que ce film retrace avec rigueur un passé bien trop proche pour rester plus longtemps oublié. Bouleversant, édifiant, éprouvant et nécessaire. F.L.

Documentaire Réalisé par José-Luis Peñafuerte Durée : 1h31 Sortie en salles le 16 mars 2011 Internet : www.lescheminsdelamemoire.com

WWW

2


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.