Cinéma
MA PART DU GATEAU
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Une licenciée économique se retrouve femme de ménage de l’un de ces traders qui sacrifient tout au culte du marché et du profit. Une relation va pourtant se nouer entre cette femme pétillante et cet homme arrogant... Cedric Klapisch ose. Le point de départ est grossier, mais pas son traitement. L’interprétation est formidable et la colère sincère. Face à la crise des consciences, Klapisch s’engage. Le film va faire mouche.
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’un côté la folle activité des marchés boursiers, l’arrogance des grandes tours de la Défense, les sommes vertigineuses de la City Londonnienne. Et de l’autre des ouvrières qui luttent pour garder leur usine, leur outil de travail, leur salaire, nourrir leur famille. Une France qui gagne et une France qui perd, toujours les mêmes, chacune à son extrémité de la société. France a perdu. Mère de famille, France est licenciée économique après la délocalisation de son usine. Mais France n’a pas le droit de baisser les bras, pour ses trois filles et son docker de mari. Retrouvant son énergie, elle doit se résoudre à chercher du travail où il y en a, et quitter Dunkerque pour la capitale. Ou une formation de femme de ménage l’attend pour un nouvel avenir. Steve est son antithèse. Trader aux dents longues, cynique et sans pitié, Steve est dévoué corps et âme au culte de l’argent. C’est le « winner » de notre époque, un aigle sur les marchés boursiers qui se laisse parfois aller à commenter avec le plus froid cynisme les dommages collatéraux de cet âge d’or de l’argent pour l’argent. La populaire France devient la nouvelle femme de ménage de la tour d’ivoire de Steve. Et bien
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que tout sépare ces deux-là, ils vont se rapprocher l’un de l’autre… C’est l’apanage des documentaires d’explorer les affres de nos sociétés, d’argumenter avec intelligence. Une production qui, d’ailleurs, ne cesse d’augmenter en nombre comme en qualité. Sur le registre social, la fiction est plus rare. C’est qu’il faut raconter une histoire tout en restant crédible face au quotidien. Et plus périlleux encore, sortir de la réserve du conteur pour prendre parti soi-même, sans pour cela sombrer dans la démagogie ou être accusé de récupération. C’est un choix délicat qui peut coûter cher, et pourtant Klapisch ose. Prenant un risque réel, il signe seul le scénario et quitte le confort d’un succès, d’une griffe de style qui fait consensus, pour s’engager dans le cinéma avec une conscience sociale. Il utilise son talent, son goût de la comédie, et à défaut de pouvoir leur échapper, enfonce le clou des clichés liés à son postulat de départ. N’est pas Kenneth Loach qui veut, mais si la planche est savonneuse, Klapisch est extrêmement convaincant. À l’image de son affiche très réussie, le contraste entre
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è les personnages fait loi, et s’il pourrait parfois manquer de finesse, il s’avère au final très réussi. Car Klapisch s’arrange de l’analyse sociale par sa sincérité, use d’un humour qui fait mouche contre la facilité des clichés, et enfin compense les faiblesses de ce développement balisé par un casting impeccable. Il est épatant de voir à quel point ses deux stars s’emparent de rôles grossiers, manichéens à l’extrême, pour en faire de formidables personnages, bien vivants. Gilles Lelouche a la plus lourde tâche. Steve est un super Kerviel, une abomination de notre système qui ne pense que gain et profit et pour qui les femmes ont moins d’importance qu’un bibelot posé sur son bureau. Retrouvant un rôle jumeau de celui qu’il jouait dans le triste Krach, il peut enfin donner à son personnage de trader une vraie épaisseur. Une performance d’autant plus notable qu’il aurait pu aisément disparaître derrière la prestation de Karine Viard, véritable premier rôle en mère du Nord. France est un cliché en blouse, une caricature populaire. Mais l’actrice s’empare
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du rôle avec une énergie, un humour et un naturel qui font merveille. À l’image de ce duo, le film est populaire, mais pas récupérateur. C’est pourtant un procès à charge qui est mené contre cette société bouleversée par l’ère des marchés virtuels, où pour gagner un peu plus on décide d’un clic de sabrer des vies. Une onde de choc dévastatrice sur une classe ouvrière boulonnée à un modèle industriel sabré depuis lurette sur l’autel des profits. Ce que l’on reprochera sûrement à Klapisch, c’est de ne pas pointer du doigt les méchants, tous les méchants. C’est en cela que Steve est un énorme cliché. Au personnage de concentrer tout un système, d’incarner une avidité institutionnelle, individualiste, mégalomaniaque et obsessionnelle montrer comme exemple de réussite. C’est cette religion de la spéculation, cette inhumanité toute entière que Klapisch voudrait saisir d’un coup,. Une mise en place, effectuée parfois avec de gros sabots, mais que contrebalance une fin qui ose. Extrêmement frustrante pour quelques-uns, elle sera une ultime claque pour la majorité.
Infos
Avec son titre un peu tarte à la crème, Ma part du gâteau est une peinture musclée qui s’attaque au cynisme lattent en chacun, ce fatalisme épuisé qui veut que l’on accepte, que l’on finisse par considérer que tout cela est inévitable, normal dans une société où la confiance n’est plus de mise, où l’intérêt général est une notion
absurde et dépassée. Avec son discours engagé, sa comédie romantique militante, Klapisch nous invite à refuser de nous apitoyer, de nous habituer. Et à réagir, comme France. Klapisch assume son choix, et donne à nouveau la preuve de son talent. Aux salles obscures de saluer ce courage artistique, ce dont on ne doute pas.
L’avis de CpourlesSeniors La rencontre de l’ouvrière licenciée de Dunkerque et du trader de la Défense est un peu trop symbolique pour être honnête, mais ce film militant est signé de maître Klapisch ! À défaut d’une pléiade de personnages, il concentre sa soif rageuse de justice sociale sur deux personnages formidablement interprétés. Le réalisateur prend parti, dénonce, et en dépit de quelques gros traits, sait surprendre jusqu’à sa conclusion. Le public devrait être emballé. F.L.
Comédie dramatique Réalisé par Cedric Klapisch Avec Karine Viard, Gilles Lelouche, Audrey Lamy, Zinedine Soualem… Durée : 1h49 Sortie en salles le 16 mars 2011
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