Pierre Dmitrienko PrĂŠsences
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Exposition du 8 mai au 3 juillet 2015
Grand-Rue 33, CH –1204 Genève Tél + 41(0)22 312 24 60 Fax + 41(0)22 312 24 82 contact@galerie-interart.com www.galerie-interart.com
Pierre Dmitrienko Présences
MARC H ER SU R U N FI L TEN DU Bernard Marcadé
Je me sens de plus en plus épuisé par le long combat qui dure dans ma vie entre une forme expressionniste et une tendance au symbolisme. Je n’arrive pas à résoudre ce dilemme. […] Quelquefois j’arrive à allier les deux, à marcher sur un fil tendu et j’ai un peu la paix.1 Pierre Dmitrienko, 1972
Approcher l’œuvre de Pierre Dmitrienko, c’est nécessairement affronter la question de la peinture dans son rapport au monde et à l’Histoire : l’histoire de l’art comme l’histoire du monde. Le peintre, en effet, a vingt ans en 1945, date qui est loin d’être indifférente. À cette époque, la France vit, de manière à la fois enthousiaste et confuse, la période dite de la Libération. C’est aussi la date de l’« ouverture des camps ». Cette situation a une incidence sur l’art et sur la peinture. « Au lendemain de la seconde Guerre mondiale, écrit Jean Leymarie, après les tueries, les camps de concentration, la bombe de Hiroshima, toute confiance envers l’ère de la machine et de la société technicienne est brutalement sapée. Alors surgit en Europe […] un art non plus seulement international mais de propagation mondiale, un type de non-figuration organique s’opposant radicalement au constructivisme géométrique antérieur au Bauhaus. » La peinture française de cette période est partagée entre une tendance dite « informelle » (issue des années de l’Occupation, représentée alors par Le Moal, Manessier, Lapicque, Bazaine, Estève, Singier…), une tendance dite « figurative » (Buffet, Gruber) et une tendance que l’on qualifiera de « lyrique » (Matthieu, Wols, Hartung, Zao Wou-Ki…). Le jeune Dmitrienko refuse d’entrée de jeu de se situer dans ce débat. Son approche de la peinture ne se veut ni gratuitement « formaliste » ni platement figurative. Dans sa prime jeunesse, Dmitrienko voue un véritable culte à Mondrian, côtoie Poliakoff, tout en étant également admirateur de Soutine et, plus avant, de Delacroix, Géricault et Goya 2… Si l’on veut trouver une cohérence dans ses goûts, on pourrait dire que Pierre Dmitrienko se situe dans la tradition d’un certain romantisme si l’on entend par-là, non une école formelle ou une période de l’histoire de l’art, mais la conscience aiguë d’être au monde, doublé d’un sentiment exacerbé de l’existence. (En 1952, Pierre Dmitrienko découvrira la peinture de Jackson Pollock chez Paul Facchetti). L’univers pictural du peintre est en effet à l’opposé de celui de l’art pour l’art. Dmitrienko n’a que faire des univers formels refermés sur leur propre nombril. Il 4
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entretient un rapport très fort à la réalité qui l’entoure, sans pour autant avoir une vision mimétique de celle-ci. Usine, un tableau de 1953, est paradigmatique de cette position. Il ne s’agit pas ici de reproduire un motif, mais d’aborder un sujet avec le langage de la peinture afin de le transfigurer. Pas d’anecdote ici, mais une vision cartographique qui « abstractise » le sujet sans l’abandonner. Gennevilliers (1955) est à cet égard sans doute le tableau qui allégorise le mieux la relation du peintre à la réalité. À la réalité et non au réel. Car le réel en question ne saurait être que celui de la peinture. Avec ce tableau, nous nous trouvons à la fois devant un paysage et devant une peinture. On peut en effet, ici et là, reconnaître les signes du référent qui a donné le titre à l’œuvre (des fantômes de cheminées d’usine), mais c’est la peinture qui prend très vite le dessus, la peinture et la couleur. Avec quatre grandes options : le rouge, le noir, le blanc et le gris… Cette palette simplifiée va devenir la signature de la peinture de Dmitrienko. Dès 1953, année de sa première exposition personnelle chez Lucien Durand, la peinture de Dmitrienko obtient un véritable succès. Des personnalités aussi différentes que Charles Estienne, Bernard Dorival ou Michel Ragon la défendent. De 1953 à 1961, Pierre Dmitrienko alterne les peintures flamboyantes de paysages bretons (les séries de Ports en 1953 et des Monts d’Arée, le Carrefour des sorciers en 1955) avec des visions plus âpres (Mines de Bauxite en 1954) voire plus « mystiques » (Gethsémani en 1956). On le voit, Pierre Dmitrienko ne peut se satisfaire d’un seul régime pictural. Son monde visuel est partagé entre une exaltation lyrique de la couleur et une conception plus tendue, plus expressive, voire plus fantastique. La Forêt en feu de 1958 porte au plus haut point ce sentiment. Cette toile est une véritable hallucination. La couleur rouge qu’irradie l’espace au premier plan est plus qu’une représentation de flammes, elle semble constituer comme le fantôme d’un personnage, au point que cette scène d’une forêt aux prises avec le feu devient comme l’évocation d’un bûcher… Dmitrienko ne saurait en effet s’en tenir à une vision purement « naturaliste ». La nature ici se trouve littéralement hantée par la présence humaine. Présence, telle est sans doute l’idée, il faudrait dire l’intensité, qui est désormais la plus chère à Pierre Dmitrienko. « Ce que je cherche, c’est l’aura, note le peintre en 1962, rien de plus rien de moins, je l’ai cherchée dans les éléments naturels, la terre, l’eau, le feu, la pluie – La Sorcière de la pluie – est la fin d’un cycle et le début d’un autre. Je cherche maintenant la présence humaine, l’aura. Le visage ne m’intéresse pas. » La Sorcière de la pluie marque une rupture dans l’œuvre du peintre. « Elle est d’abord, observe justement MarieDomitille Porcheron, un bain de peinture noire, grise et blanche. De près, elle est écriture, réseau dense de signes parallèles verticaux noirs qui tracent – ou sont tracés par – un halo incertain, lumineux, un gris très clair presque blanc, traversé de part en part d’un second réseau, à l’horizontale de la toile 6
celui-là, infléchi, noué, raciné au centre presque du tableau. De loin, préciset-elle encore, elle laisse apparaître au sein même de ce qui aurait pu être une confusion entre forme et fond, ce qu’on ne peut nommer autrement qu’une présence, une aura. »3 La mise en œuvre de cette présence n’est pas gagnée d’avance. Elle s’impose peu à peu, tableau après tableau, au cours de l’année 1962. Elle émerge dans un premier temps du limon de la peinture dans des toiles qui font une référence explicite à la pluie (Pluie Présence). La touche est désormais plus fine, la matière se fait transparente et fluide; la palette à la fois plus dorée et plus grise, moins stridente qu’auparavant… De grandes formes simples, approximativement carrées ou rondes, se détachent d’un fond noir. Au sein de ces formes, se révèle, au travers d’un bouillonnement gris et rose, une manière d’incarnation. Cette révélation ne se veut pas néanmoins déclamatoire et démiurgique. Rien ne se donne à voir d’autre que l’espace de la peinture. Pourtant cette peinture ne renvoie pas simplement à elle-même; de ce chaos coloré sourd avec subtilité l’ébauche d’une intensité vivante; vivante et non représentée, présente effectivement. La même année, Pierre Dmitrienko élabore ses « Blocdoms ». Ce néologisme forgé sur « bloc d’homme » exprime la présence humaine, considérée non comme une entité figurative, mais plutôt comme un monolithe, une forme primitive, sans spécification ni identification. Seuls (Om seul), en couple (Les Aveugles, 1962) ou en groupe (Procession, 1962, Conversation, 1963), ces Blocdoms traduisent la volonté de Dmitrienko d’affronter la question de notre humaine condition. Ce dernier a été formidablement bouleversé par la guerre d’indépendance de l’Algérie. L’opposition à cette indépendance par une partie des français, au début des années 60, est vécue par le peintre comme la permanence d’un danger et d’une angoisse qui, en dépit des leçons de l’Histoire, ne cessent de hanter notre humanité. Dmitrienko reste à cet égard marqué par sa lecture de La Question, ouvrage sur la torture pendant la guerre d’Algérie, écrit par Henri Alleg en 1958, alors interdit mais circulant sous le manteau. Proches des xoana grecs et des totems archaïques, les Blocdoms font référence à un corps à la fois simplifié et morcelé (Dmitrienko a toujours été fasciné par la sculpture Dogon et par l’art des Cyclades). Ces formes qui émergent de l’obscurité de la peinture renvoient en effet autant au torse (L’écorché, 1962), au sexe érigé (Le jeune Homme, 1962) qu’au visage (Vendredi saint, 1962). Difficile de ne pas penser ici au Georges Rouault du Miserere ou même au Jawlensky des sombres Méditations. Ces peintures ont en effet quelque chose à voir avec une certaine spiritualité. En témoigne Comme une Icône (1962), référence explicite à la tradition orthodoxe dont il est issu (son père est russe sa mère grecque). En 1972, deux ans avant sa mort, Dmitrienko assume la proximité de sa démarche 7
avec ce qui est à l’œuvre dans l’icône. « Ai essayé de définir à N. ce qui me hante depuis dix ans, ‹ la présence humaine ›. M. a parlé d’icônes, ce qui m’a touché. Lui ai dit que me sentais dans aucune formule en ‹ isme ›, que des aventures esthétiques ne me concernaient point, que définir la présence humaine pouvait se traduire avec beaucoup d’images différentes car chaque présence est différente et conditionne ses signes propres. » Le caractère « religieux » de ces peintures du début des années 60 s’exprime cependant hors de toute transcendance. Car c’est du fond de la peinture, de son immanence, que surgissent ces figures compactes de la présence. À partir de 1963, les « Présences » de Dmitrienko accèdent à une nouvelle épiphanie picturale. Ce « tournant » n’est pas compris par la critique parisienne qui avait emprisonné le peintre dans les stéréotypes formels de l’« abstraction lyrique ». Jusqu’en 1971, c’est principalement à l’étranger (Londres, Milan, Los Angeles, Copenhague, Lucerne, Bruxelles, Lima, Madrid) que l’on fête et comprend la peinture de Pierre Dmitrienko. Désormais, la forme centrale se dégage nettement du fond et prend un caractère ovoïde. Présence rouge (1964) : une figure rouge émergeant du noir avec en son centre une ponctuation sombre. Présence Masque rouge (1964) : une figure rouge irisée d’inflexions foncées sur un fond gris structuré par une ligne d’horizon comme pour marquer l’inscription du motif dans un espace tangible. On retrouve cette ligne d’horizon dans Silence (1964), tableau qui joue sur les nuances de gris et de noirs. Devant cette dernière œuvre, il est difficile de ne pas évoquer le film d’Ingmar Bergman réalisé l’année précédente en 1963. Avec Le Silence, Bergman revient lui-même à un cinéma épuré en noir et blanc qui se concentre avec une attention extrême sur la « présence » de ses personnages. La dernière scène, où l’on voit l’héroïne Anna qui lave son visage à la pluie et au vent, peut bien évidemment être mise en relation avec l’insistance du peintre sur ces figures frontales qui ne sont déjà plus, ou qui ne sont pas encore, des visages. Car l’art de Dmitrienko se situe, entre effacement et émergence, dans une zone indécidable ayant la « présence visible » pour seul horizon. « L’homme, note le peintre, est parfois au-delà et en deçà du monde. J’essaie de le placer dans un monde hors de la puissance du temps, un monde qui ne serait que visibilité. Qui serait ‹ la part essentielle du monde ›, pure présence visible. » Dans ces tableaux, la peinture est déposée à fleur de toile, faisant venir la lumière de l’intérieur. Nous assistons effectivement à une véritable transpiration du sujet et de la matière. « J’ai le sentiment quelquefois, précise encore l’artiste, que l’art est un domaine totalement étranger au monde, qu’il ne peut agir sur la réalité et qu’il ne peut se confronter aux activités humaines en général. Seule une 8
prise de conscience de sa nature propre peut amener l’homme à sa remise en question, à l’action. L’art n’y arrive que très rarement ou trop peu. J’espère simplement de temps en temps que mes tableaux peuvent y parvenir, non pas en montrant la réalité visible, mais bien ce qui est derrière la face humaine, ce qui transpire en elle, ce qui quelquefois peut nous paraître étrange. J’aimerais éveiller chez l’homme un soupçon sur sa nature. » On le voit, Dmitrienko ne peut se résoudre à abandonner le sujet qui le hante depuis toujours : l’homme. L’artiste ne cultive cependant pas l’illusion que l’art puisse transformer le monde. Selon lui, l’art peut plus humblement contribuer à une prise de conscience de l’homme. Tel est l’enjeu qui transpire de ses « Présences » qui n’ont pour seul territoire d’élection que celui de la peinture. « J’ai l’impression que pour saisir l’immanence de l’homme, sa réalité intérieure, sa présence, cela ne peut se faire que si j’arrive à libérer complètement la figure du figuratif. » Cette libération du caractère anecdotique de la figure humaine s’effectue, toile après toile… Toutefois, il est possible de voir poindre, ici et là, des références plus explicites et frontales aux inquiétudes du peintre. Le Goulag (1960) et Le Nazi (1963) nous rappellent ainsi par leur titre (mais aussi par leur traitement pictural) la permanence des interrogations existentielles et humanistes de Dmitrienko. Le monde des années 60 est politiquement un monde inquiétant. Les exactions de l’OAS sont contemporaines de la construction du mur de Berlin en 1961. Les conflits post-coloniaux naissent partout dans le monde : la « crise des missiles » de Cuba en 1962, l’implication américaine dans la guerre du Vietnam en 1964, la guerre des six jours au Moyen-Orient, celle du Biafra en 1967, l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968. Tous ces événements tragiques se développent sur un fond d’assassinats politiques : John F. Kennedy en 1963, Mehdi Ben Barka en 1965, Che Guevara en 1967, Martin Luther King en 1968… Ce contexte tumultueux et violent résonne dans la peinture de Pierre Dmitrienko. Non de façon anecdotique ou documentaire, mais du tréfonds même de la peinture. À la différence d’une peinture qui s’attache à stigmatiser les infamies d’une époque en mettant la peinture au service d’une pensée militante (comme dans la « figuration narrative »), Dmitrienko part de son vocabulaire plastique personnel et retrouve au travers de lui les stigmates de l’Histoire. Son approche participe à cet égard d’une écriture picturale qui se situe, historiquement, entre la série Elegy to the Spanish Republic de Robert Motherwell et le triptyque L’Espoir d’un condamné à mort de Joan Miró (réalisé en 1974 à la mémoire du révolutionnaire Salvador Puig Antich). À partir de 1965, la peinture de Dmitrienko change radicalement de régime formel. Le peintre utilise un compresseur et réalise certains de ses tableaux à la 9
bombe aérosol et au pistolet. Une nouvelle écriture naît. Plus directe, plus inscrite dans l’urgence du temps. 1965 est l’année de l’enlèvement et de l’assassinat de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka par des sbires aux ordres du général Oufkir, avec la complicité des services secrets français. Pierre Dmitrienko est frappé par la violence des faits et réalise (entre 1965 et 1968) une série de tableaux en référence à cet événement (le peintre nommera d’ailleurs pour lui-même cette série Le Procès Ben Barka, ironique et inquiétant clin d’œil à un procès qui n’a effectivement jamais eu lieu). L’Angoisse (1965), Paroles, Se taire (1966) portent témoignage du caractère tragique de l’Histoire sur un mode métaphorique. Les visages, réduits à un seul œil, sont littéralement muselés, barrés rageusement par de larges bandes noires. Car au-delà de l’horreur du crime proprement dit, c’est bien le fait que la parole et l’expression soient bâillonnées qui est ici en jeu. Avec Le Cri et La Victime (1966) l’expression dramatique atteint à son paroxysme. À la différence du tableau éponyme d’Edvard Munch, Dmitrienko focalise son attention sur la bouche grande ouverte, qui devient le trou générique de toutes les horreurs. Le visage de La Victime, au contraire, barré par un large coup de pinceau noir, exprime à la fois la terreur et l’anonymat face à une menace et une violence qui n’ont pas véritablement de nom. L’Angoisse blanche, C’est à l’Aube, Le Bourreau (1967) font directement et frontalement référence au « petit matin des fusillés ». Bourreaux et victimes sont ici interchangeables, pour bien signifier que le point de vue du peintre ne relève pas du jugement moral. Le « mal » en effet ne saurait être d’un seul côté. C’est l’humanité toute entière en effet qui est traversée par une cruauté que nous avons tous en partage. El Fuerte (1968), portrait générique (et non figuratif) de tous les tyrans, est ainsi traité de la même manière que leurs victimes (à l’aveuglement du bourreau, dissimulé par ses lunettes noires, renvoie le bandeau du condamné à mort). Dans une de ses notes de 1969, titrée Homo homini lupus, Dmitrienko évoque d’ailleurs ces monstrueuses équivalences. « Violence, Fusillés, Massacrés, Torturés, Bâillonnés, Troués, Faces déchirées, Prisonniers, Bourreaux, Victimes, vous, vous, moi, vivants en sursis et d’un jour à l’autre, morts sans raison essentielle. Férocité. Réalité terrible de la face humaine sous cet épiderme trompeur. Vous faites percevoir ce que nous sommes ou pouvons être. Provoquer en vous un désir profond de rédemption et de grâce et ne plus jamais être le loup. » Les séries des Voyants (Voyant III, Voyant aux paroles, 1967) et des Fusillés (1969-1970) radicalisent davantage encore cette position. La transcription picturale des baillons, des bandeaux et des impacts de balles, se fait à la fois plus explicite et plus abstraite. Dans ces tableaux, les « visages-torses » barrés, raturés, troués sont traités avec une palette colorée plus franche, plus tranchée, où les rouges, les noirs et les blancs, quelquefois les bleus, explosent 10
de toute leur violence chromatique. Cette violence atteint son punctum dans des œuvres qui font référence dans leur titre à la France guerrière (Soldat au drapeau inconnu, Soldat inconnu, 1969). Dans une lettre en forme de poème de 1966, Pierre Dmitrienko évoque l’ambiguïté qui est au cœur de sa peinture. Le peintre n’a de cesse d’errer entre la nécessité d’exprimer prosaïquement l’angoisse du monde et sa volonté picturale de l’allégoriser, de la sublimer. « Sang de vie / Sang de mort / Sang de peur / (la peur cache l’horizon). Sang de joie / Sang des femmes / Sang des hommes / bon sang / mauvais sang / et après le sang / tous les sangs : le ROUGE. Différence entre tache rouge et fond rouge / Le premier réaliste, le deuxième spiritualiste / (essence même du sang) / Rouge vif : sang de vie / Rouge pourpre : sang de mort. » Entre le rouge de la peinture et le rouge du sang, il y a en effet l’écart de l’art et Dmitrienko tient à cet écart. La relation de Dmitrienko à la couleur ne va pas de soi. En effet, le peintre s’est au fil du temps méfié des séductions chromatiques qui l’éloignaient selon lui de ce qui était essentiellement en jeu dans sa peinture. « Il me semble que gagner une couleur de plus est un dur combat, note-t-il en 1972. Quand j’étais jeune je pouvais utiliser les couleurs. Puis il m’a fallu après les avoir toutes perdues volontairement, les regagner une par une et les ancrer en moi comme chaque fois un doigt supplémentaire. J’en suis à peu pour le moment et j’ai toujours la tentation d’en gagner et en même temps n’en accepter que deux ou trois. Le rouge, le noir, le blanc et le gris et les bruns sont acquis. Le bleu et le vert pointent de temps en temps, mais sans beaucoup de résonance. J’aimerais posséder le jaune. » Quelques tableaux à la fin des années 60 portent témoignage de cette conquête, et de ce désir, de la couleur (Marocaine, 1968, La belle Japonaise, 1969). Très vite cependant, la peinture de Dmitrienko est rattrapée par les bouleversements sanglants de l’Histoire. Au début des années 70, Pierre Dmitrienko est heurté par les événements sanglants de la guerre du Biafra. Il assiste, « impuissant », à un reportage à la télévi sion, qui montre l’assassinat d’un biafrais effectué « en direct ». Cette « mort pour l’image » le scandalise. Il réalise alors une série de peintures directement liées à ce meurtre médiatique qui reprennent formellement le cadrage de la télévision. Devant son polyptique des Ensablés de 1972, il est, de la même manière, difficile de ne pas évoquer le conflit israélo-palestinien. On y voit des visages littéralement rongés par le fond de la peinture (l’ensablement des figures préfigure en quelque sorte l’envahissement doré du fond de ses Icônes). Pourtant, il ne saurait y avoir ici de complaisance anecdotique avec un sujet dramatique (Dmitrienko ne peint en effet jamais des cadavres, mais plutôt un état de déréliction du vivant). Le grand Martyr, la belle Rose (1972) est sans doute le tableau qui « clôt » l’aventure des « Présences » et qui inaugure celle des « Blasons-Nous » 11
(Nous joue sur l’ambiguïté du « nous » pronominal et du « noûs » grec, synonyme d’esprit). S’y trouve en effet condensé tout le vocabulaire du peintre : une grande « peau » grise maculée de roses et de rouges, se détachant sur un fond noir. S’y exprime de façon quintessenciée cette palpitation, ce tremblement, de la surface picturale qui donne accès à l’innommable des choses. « C’est ainsi que le peintre, remarque justement Daniel Dobbels, soutenu par un motif inconscient mais dont il aime et accepte les visibilités, l’aide à se départir d’elle-même [la présence], à s’effacer devant cette sorte de suintement qui vient de plus loin qu’elle »4. Pierre Dmitrienko n’a pas de l’art en général et de la peinture en particulier une conception pathologique. Toute sa vie, il restera un homme joyeux, un hédoniste amateur de westerns « spaghettis » et de pêche à la ligne. Si son œuvre, à partir des années 60, investit des sujets aussi sombres, aussi tragiques, c’est donc en connaissance de cause. Il n’y a en effet aucune complaisance dans cette peinture, aucune inclination particulière pour la morbidité de notre époque. C’est parce qu’il est révolté par les errements cruels de l’Histoire, qu’il décide de les affronter picturalement. Dmitrienko ne projette en aucune manière son malaise sur le monde. C’est le malaise du monde qui lui impose de réagir. Ces peintures ne reflètent donc pas l’angoisse personnelle du peintre face à la mort, mais sont la manifestation active de la mort et de l’angoisse qui sont au cœur de notre humaine condition. Car l’angoisse qui se manifeste ici n’est pas particulière, elle n’est pas inscrite dans la vie du peintre, mais bien de notre expérience commune. Nous nous trouvons avec ces œuvres aux antipodes d’une esthétique de la mélancolie. La peinture de Dmitrienko est traversée par l’Histoire. Le talent du peintre consiste précisément à ne pas imposer un point de vue subjectif / expressif, mais à accueillir, à laisser advenir, dans sa peinture les figures du monde. Jusqu’au début des années 70, la peinture de Pierre Dmitrienko relève d’une forme de responsabilité politique. Politique et non militante. Dmitrienko ne se bat en effet sous aucun drapeau, ni celui de la figuration ni celui de la non-figuration. Son art n’est pas non plus, de façon illustrative, politique. Profondément artistique, l’engagement de Dmitrienko ne peut néanmoins en rester aux seules formes. Son art ne parle pas du monde et de l’Histoire de façon volontariste. Car c’est au sein de l’acte pictural lui-même que le peintre accède à une dimension morale (et non moraliste) et politique (et non militante). « Je ne cherche pas à ce que l’élément historique soit constitutif de mon œuvre, remarque avec lucidité le peintre, mais j’ai le sentiment que malgré ma volonté de situer l’homme dans aucun lieu défini, ni lui signifier par aucun signe extérieur l’appartenance à un événement particulièrement reconnaissable, je ne peux m’empêcher de penser que ce sont des êtres ‹ historiques ›, authentiques et qu’ils n’échappent pas au contenu historique de mon époque. Ils le sont d’autant plus lorsque la 12
forme est expressionniste. J’aimerais arriver à les faire sortir de cette ‹ histoire › parfois trop humaine. » C’est en effet l’Histoire qui finit par s’imposer dans la peinture et non la volonté du peintre d’inscrire sa peinture dans l’Histoire. De même, ce n’est pas la volonté figurative de Dmitrienko qui s’impose, mais la figure humaine qui finit par transpirer de sa peinture. « Je reçois, malgré moi, la figure de l’homme… » écrit-il en 1967 lors de son séjour à Lima. Il faut parler ici d’image acheiropoïète si l’on entend cette notion dans une acception non exclusivement religieuse. La figure humaine et son inscription historique ne naissent en effet pas de la volonté du peintre, mais bien du corps de la peinture. S’éloigner le plus possible de sa propre histoire, de sa propre expérience, afin d’accéder à une forme d’universalité : tel est désormais la seule exigence exprimée par Dmitrienko, le seul combat qu’il trouve digne de livrer. « Si j’ai la chance de pouvoir sortir un jour de moi-même et j’y aspire de toutes mes forces, écrit-il deux ans avant sa mort, je pense alors arriver à exprimer un universel qui sera de quelque utilité pour les autres. Sinon, je resterai comme un peintre ayant raconté sa vie avec plus ou moins de bonheur, de réussites et d’échecs. » Ce souci est à l’œuvre dans les dernières années de sa vie (le peintre meurt en 1974). À partir de 1972, Pierre Dmitrienko inaugure une nouvelle phase dans sa peinture qui le mène à réaliser ses séries d’Icônes et de Blasons. Le peintre introduit le doré dans le fond des ses peintures (Martyr Icône, Blason noir et or, 1972). « L’acceptation de l’or va me permettre, je l’espère, de sortir cet homme de son tombeau, de le faire cheminer vers la lumière » écrit-il alors. Le 14 juillet 1972, il note encore : « Je crois que je suis petit à petit amené à abandonner l’homme dans mon travail ». Pierre Dmitrienko n’aura pas le temps de mener totalement à terme cet « abandon ». Sans doute parce que cette « conquête » était un horizon par essence inaccessible. Au fond, l’exigence de Pierre Dmitrienko aura été de tenir dangereusement sa peinture, à l’instar du danseur de corde de Ainsi parlait Zarathoustra, en équilibre entre deux abîmes. Et ceci à son corps défendant.
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Les notes citées de Pierre Dmitrienko proviennent toutes des différents catalogues consacrés à l’artiste, principalement : Dmitrienko, Musée de Sens, Musée d’Art Moderne de Troyes, 1997 ; Pierre Dmitrienko, éditions Adamas, Henry Bussière, Paris, 2002 ; Dmitrienko, Galerie Le Minotaure, Paris, 2005. Sur ce point, voir l’excellente étude de Marie-Domitille Porcheron, «Pierre Dmitrienko ou l’histoire des aveugles», in cat. Dmitrienko, Musée de Sens et de Troyes, 1997. Marie-Domitille Porcheron, art. cité. Daniel Dobbels, «L’immanence même» (1988), repris in cat. Dmitrienko, Musée de Sens et de Troyes, 1997.
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Pierre Dmitrienko dans son atelier Ă Ibiza, 1968.
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ナ置vres sur toile
Dives-sur-Mer 1954 Huile sur toile 81 × 100 cm Signé et daté en bas à droite : P. Dmitrienko 1954 Ce n’est pas l’aspect d’un paysage individualisé qui fait l’objet de son art, mais c’est la vie même du monde — un monde qu’il appréhende comme une puissance changeant perpétuellement et en train de se recréer elle-même. Son essence, à ses yeux, c’est son existence — et c’est cette existence essentielle qu’il traduit… Bernard Dorival, 1960
P ROVE NANCE Collection particulière. EXP OS ITION 1954, Paris, Galerie Lucien Durand.
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Port 1954 Huile sur toile 52 × 31 cm Signé en bas à droite : Dmitrienko … ses œuvres figuratives [sont] animées d’un lyrisme coloré assez violent. Georges Boudaille, 1962
P ROVE NANCE Collection particulière. EXP OS ITION 2 juin-31 juillet 2005, Paris, Galerie Le Minotaure, Dmitrienko 1925-1974, pp. 12-13 (repr. en couleurs).
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Golgotha 1954 Huile sur toile 97 × 130 cm Signé et daté en bas à gauche : Dmitrienko 1954 De l’abstraction, Pierre a conservé le caractère visionnaire ; la réalité y ajoute la présence humaine mais par suggestions, allusions éclairées par une lumière irréelle qui, chargée d’émotion, provoque chez le spectateur des sensations égales à celles inspirées par le spectacle de la nature. Pierre Cabane, 1985
P ROVE NANCE Baron et Baronne Urvater, Bruxelles ; Collection particulière. B I B LIO G RAP H I E Temmerman, Danièle de, Jacqmain, André, Langui, Emile, Roberts-Jones, Philippe, Alechinsky, Pierre, Urvater, Histoire d’une collection, Oostkamp, Stichting Kunstboek, 2013, pp. 153 (repr. en couleurs), 212, n°135. EXP OS ITION S 29 juin-2 septembre 1957, Otterlo, Museum Kröller-Müller, 1957, Liège, Musée des Beaux-Arts, Collection Urvater, n°18 (repr.) ; 13 septembre-4 octobre 1958, Leicester, Leicester Museum and Art Gallery, 11 octobre-1er novembre 1958, York, City of York Art Gallery, 12 novembre-14 décembre 1958, Londres, Tate Gallery, Paintings from the Urvater Collection (exposition organisée par The Arts Council of Great Britain), n°10 ; 1959, Belgrade, Zagreb, Nadrealisti, Apstraktni, Zbirka Urvater, n°18.
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Empire de Darius Juin-juillet 1957 Huile sur toile 22 × 33 cm Signé et daté en bas à gauche : P. Dmitrienko 1957 Naguère la toile était considérée à travers une vitre, le verre déformant de la personnalité de l’artiste… La toile y trouvait un caractère objectif. Aujourd’hui Dmitrienko ne peint plus seulement ce qui se passe au-delà de la vitre, il peint aussi la fenêtre, c’est-à-dire la nature et le prisme qui la métamorphose. Il rentre dans son tableau… Il oppose à une vision que sa vraisemblance rendait évidente une réalité subjective. Georges Boudaille, 1962
P ROVE NANCE Baron et Baronne Urvater, Bruxelles ; Collection particulière.
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La Forêt en feu 1958 Huile sur toile 195 × 97 cm Signé et daté en bas à gauche : Dmitrienko 1958 Par moment je me demande si tout cela n’est pas vain, je ressens une solitude infinie, je me dis que je n’arriverai jamais à atteindre le mystère… quelquefois, au contraire, la peinture me permet d’approcher le mystère, alors je me rends compte que ma solitude a des limites. Cela me pousse à essayer de comprendre un peu plus… la peinture. Pierre Dmitrienko
P ROVE NANCE Collection particulière. B I B LIO G RAP H I E Lévy, Sophie, Le Mens, Magali, Lanskoy : un peintre russe à Paris, Villeneuve-d’Ascq, LaM – Lille Métropole, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 2011, p. 111 (repr. en couleurs). EXP OS ITION S 1958, Paris, Galerie Jacques Massol ; 2003-2004, Saint-Pétersbourg, Musée National Russe, Wupperthal, Von der Heydt-Museum, Bordeaux, Musée des Beaux-Arts, Paris Russe 1910-1960, p. 163 (repr.) ; 2 juin-31 juillet 2005, Paris, Galerie Le Minotaure, Dmitrienko 1925-1974, pp. 18-19 (repr. en couleurs).
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Terre mouillée 1960 Huile sur toile 149,5 × 119,5 cm Signé et daté en bas à droite : P. Dmitrienko 1960 Dmitrienko s’est attaché, autant qu’à sublimer ses sensations pour les détacher des accidents particuliers de la nature, à soumettre tous les attributs du réel à un ordre unitaire, ordre pictural évidemment, mais ordre mental aussi. Ce qui l’entraîna souvent à pratiquer une économie chromatique et une austérité formelle. Si les étapes de cet accomplissement peuvent se définir nettement par leurs prétextes avoués qui ont été, chronologiquement, les usines d’une banlieue parisienne, des calvaires flamboyants, des campagnes inondées, une forêt pétrifiée, l’incendie de terres brûlées, un grand port, l’espace givré d’un rude hiver, un fouillis de ferrailles, la chute de la pluie, d’autres spectacles et d’autres étendues encore, ces différents ‹ sujets › ne sont pas tellement reconnaissables, en tout cas pas tellement distincts les uns des autres, car Dmitrienko, en les développant, ne se préoccupait guère du réalisme des apparences, mais tentait toujours de se rapprocher de l’essence de toute réalité ou, tout au moins, de mettre en évidence seulement l’animation substantielle et la vibration lumineuse qui sont communes à toutes choses et à tous les états de choses. Roger Van Gindertaël, 1966
P ROVE NANCE Collection particulière. EXP OS ITION S 1960, catalogue XXX. Biennale de Venise, (repr.) ; 1960, catalogue prix Marzotto, (repr.) ; 1961, Bruxelles, Palais des Beaux-arts ; Avril 1962, Belgique, Musée de Verviers, (repr.).
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Mao 1966 Huile sur toile 148 × 114 cm Signé et daté en bas à gauche : P. Dmitrienko 1966 Je ne cherche pas à ce que l’élément historique soit constitutif de mon œuvre, mais j’ai le sentiment que malgré ma volonté de situer l’homme dans aucun lieu défini, ni lui signifier par aucun signe extérieur l’appartenance à un évènement particulièrement reconnaissable, je ne peux m’empêcher de penser que ce sont des êtres ‹ historiques ›, authentiques et qu’ils n’échappent pas au contenu historique de mon époque. Ils le sont d’autant plus lorsque la forme est expressionniste. J’aimerais arriver à les faire sortir de cette ‹ histoire › parfois trop humaine. Pierre Dmitrienko
P ROVE NANCE Baron et Baronne Urvater, Bruxelles ; Collection particulière. EXP OS ITION S 1967, Madrid, Galerie Juana Mordo ; 1967, Lima, Instituto de Arte Contemporaneo, Dmitrienko, n° 2 ; 1968, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, Dmitrienko, n° 7.
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La belle Veuve 1967 Huile sur toile 162 × 130 cm Signé et daté en bas à droite : P. Dmitrienko 1967 Ce que je cherche, c’est l’aura, rien de plus rien de moins, je l’ai cherchée dans les éléments naturels, la terre, l’eau, le feu, la pluie […] Je cherche maintenant la présence humaine, l’aura. Le visage ne m’intéresse pas. Pierre Dmitrienko, 1962
P ROVE NANCE Collection particulière. EXP OS ITION 15 mars-15 avril 2007, Paris, Hôtel de l’Industrie, Moscou-Paris 1960-2000, Editions Galerie Le Minotaure, p. 45 (repr. en couleurs).
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Voyant 1967 Huile sur toile 162 × 130 cm Signé en bas à gauche : Dmitrienko HOMO HOMINI LUPUS Violence, Fusillés, Massacrés, Torturés, Bâillonnés, Troués, Faces déchirées, Prisonniers, Bourreaux, Victimes, vous, vous, moi vivants en sursis et d’un jour à l’autre, morts sans raisons essentielle. Férocité. Réalité terrible de la face humaine sous cet épiderme trompeur. Vous faire percevoir ce que nous sommes ou pouvons être. Provoquer en vous un désir profond de rédemption et de grâce et ne plus jamais être le loup. Pierre Dmitrienko, 1969
P ROVE NANCE Collection particulière. EXP OS ITION S 1968, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts ; 1971, Fontainebleau, INSEAD ; 1974, Marcq-en-Baroeul, Centre Artistique Septentrion, Dmitrienko ; 1978, Bâle, Galerie Van Der Voort ; 1978, Auvernier, Galerie Numaga ; 14 juillet-30 septembre 1984, Toulon, Musée de Toulon, Dmitrienko : « présences », 1961-1974 ; 27 novembre 1984-13 janvier 1985, Paris, Centre National des Arts Plastiques, Dmitrienko, pp. 42-43 (repr. en couleurs), p. 75 (repr.) ; 22 juin-29 septembre 1997, Sens, Musée de Sens, Palais Synodal, Troyes, Musée d’Art Moderne, Dmitrienko ; 8 janvier-9 février 2004, Paris, Galerie Henry Bussière, Pierre Dmitrienko ; 2 juin-31 juillet 2005, Paris, Galerie Le Minotaure, Dmitrienko 1925-1974, pp. 28-29 (repr. en couleurs) ; 15 mars-15 avril 2007, Paris, Hôtel de l’Industrie, Moscou-Paris 1960-2000, Editions Galerie Le Minotaure, p. 44 (repr. en couleurs).
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Cri 1968 Huile sur toile 160 × 130 cm J’ai l’impression que pour saisir l’immanence de l’homme, sa réalité intérieure, sa présence, cela ne peut se faire que si j’arrive à libérer complètement la figure du figuratif. Il me faut pour cela trouver une écriture. Une écriture visible, débarrassée de la narration, affranchie du temps et de l’espace. Pierre Dmitrienko, 1966
P ROVE NANCE Collection particulière. EXP OS ITION S 1968, Bruxelles, Palais des Beaux Arts, Dmitrienko, n°16 ; 14 juillet-30 septembre 1984, Toulon, Musée de Toulon, Dmitrienko : « présences », 1961-1974, n° 28 ; 2011, Paris, Fiac, Galerie Le Minotaure, Carte blanche et noire à Bernard Marcadé, p. 5 (repr.).
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Soldat au drapeau inconnu 1969 Huile sur toile 162 × 130 cm Signé et daté en bas à gauche : P. Dmitrienko 1969 J’ai le sentiment quelquefois que l’art est un domaine totalement étranger au monde, qu’il ne peut agir sur la réalité et qu’il ne peut se confronter aux activités humaines en général. Seule une prise de conscience de sa nature propre peut amener l’homme à sa remise en question, à l’action. L’art n’y arrive que très rarement ou trop peu. J’espère simplement de temps en temps que mes tableaux peuvent y parvenir non pas en montrant la réalité visible, mais bien ce qui est derrière la face humaine, ce qui transpire en elle, ce qui quelquefois peut nous paraître étrange. J’aimerais éveiller chez l’homme un soupçon sur sa nature. Pierre Dmitrienko
P ROVE NANCE Collection particulière. EXP OS ITION 22 juin-29 septembre 1997, Sens, Musée de Sens, Palais Synodal, Troyes, Musée d’Art Moderne, Dmitrienko, p. 51 (repr. en couleurs).
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Jeune Fille 1969 Huile sur toile 146 × 114 cm Je m’efforce de faire entrer un contenu humain dans chaque solution plastique. Et cela sans concession au représentatif. Pierre Dmitrienko, 1962
P ROVE NANCE Collection particulière. EXP OS ITION S 1990, Paris, Salon de Mars ; 15 mars-15 avril 2007, Paris, Hôtel de l’Industrie, Moscou-Paris 1960-2000, Editions Galerie Le Minotaure ; 31 janvier-29 mars 2014, Paris, Galerie Le Minotaure, Galerie Alain Le Gaillard, Confrontation, p. 5 (repr.).
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Cette Idée qui t’inquiète 1970 Huile sur toile 146 × 114 cm Signé en bas à gauche : P. Dmitrienko Je pense que mes tableaux les plus bénéfiques sont les tableaux statiques. Dès que la figure se déplace dans un mouvement, apparaît l’angoisse et la souffrance. Ceux-là, à l’extrême limite, peuvent devenir maléfiques. Il faudrait avoir le courage de les détruire. Je le fais souvent mais pas pour tous. Pierre Dmitrienko, 1972
P ROVE NANCE Collection particulière. EXP OS ITION S 1975, Lucerne, Galerie Raeber ; 1975, Paris, Galerie Albert Verbeke ; 15 mars-15 avril 2007, Paris, Hôtel de l’Industrie, Moscou-Paris 1960-2000, Editions Galerie Le Minotaure, p. 51 (repr. en couleurs).
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ナ置vres sur papier
La Route 1956 Gouache, aquarelle et crayon sur papier 44 × 53 cm Signé et daté en bas à droite : P. Dmitrienko 1956 Quand on analyse le processus créateur chez Dmitrienko, on constate que si une émotion originelle conditionne la naissance de l’œuvre, jamais la nature visible ne s’impose matériellement. Jamais le réel ne prend le pas sur la peinture ou l’élan intérieur. Jamais non plus des recherches gratuites ne viennent dénaturer l’inspiration. Toujours la facture s’efforce d’épouser le plus fidèlement possible les mouvements de la sensibilité du peintre. Georges Boudaille, 1962
P ROVE NANCE Collection particulière.
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Martyr 1968 Huile sur papier monté sur toile 76 × 57 cm Signé et daté en bas à gauche : P. Dmitrienko 1968 Je recherche une écriture, une écriture de l’homme. Des signes qui auraient la puissance de pouvoir être compris au-delà du langage propre à chacun, capable de définir d’un seul regard une situation, un état, une expérience. Ecriture, qui en quelques signes serait la quintessence de l’être. Pierre Dmitrienko, 1966
P ROVE NANCE Collection particulière.
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Voyant 1968 Gouache sur papier 37,1 × 32,2 cm Annoté au crayon en bas : Pour Monsieur Mesure amicalement Signé et daté en bas à droite : P. Dmitrienko. 1968 L’homme est parfois au-delà ou en deçà du monde. J’essaye de le placer dans un monde hors de la puissance du temps, un monde qui ne serait que visibilité. Qui serait ‹ la part essentielle du monde ›, pure présence visible. Pierre Dmitrienko
P ROVE NANCE Collection particulière.
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Voyant 1968 Huile sur papier 41 × 33 cm Signé et daté en bas à droite : P. Dmitrienko 1968 Je reçois, malgré moi, la figure de l’homme… Pierre Dmitrienko, 1967
P ROVE NANCE Collection particulière.
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Fusillé 1969 Huile sur papier marouflé sur toile 75 × 57 cm Signé en bas à gauche : P. Dmitrienko Je me sens de plus en plus épuisé par le long combat qui dure dans ma vie entre une forme expressionniste et une tendance au symbolisme. Je n’arrive pas à résoudre ce dilemme. J’ai beau me raconter que telle présence est plus vraie dans une expression plus violente, par exemple mes tableaux de 1966 à 1970 issus beaucoup après ‹ le procès Ben Barka ›, qu’une autre présence est plus vraie avec quelques signes équivalents, je n’arrive pas à trancher. Quelquefois j’arrive à allier les deux, à marcher sur un fil tendu et j’ai un peu la paix. Pierre Dmitrienko, 1972
P ROVE NANCE Collection particulière.
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Homme d’ailleurs 1970 Gouache sur papier 19 × 14 cm Il me semble que gagner une couleur de plus est un dur combat. Quand j’étais jeune je pouvais utiliser les couleurs. Puis il m’a fallu après les avoir toutes perdues volontairement, les regagner une par une et les ancrer en moi comme chaque fois un doigt supplémentaire. J’en suis à peu pour le moment et j’ai toujours la tentation d’en gagner et en même temps n’en accepter que deux ou trois. Le rouge, le noir, le blanc et le gris et les bruns sont acquis. Le bleu et le vert pointent de temps en temps, mais sans beaucoup de résonnance. J’aimerais posséder le jaune. Pierre Dmitrienko, 1972
P ROVE NANCE Collection particulière.
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Blason 1973 Encre sur papier 42 × 32 cm Signé et daté en bas à droite : P. Dmitrienko 73 J’ai l’impression qu’avec mes dernières toiles (Les Blasons) je sors d’un cycle dans lequel j’étais enfermé. Je quitte cette obsession qui me hante depuis si longtemps. Enfin je me débarrasse de leurs souffrances, et de leurs peurs. Je pense trouver désormais quelque chose de plus lointain, quelque chose qui rassemble ces présences, peut-être sur un plan plus symbolique, mais dorénavant plus proche d’une vérité débarrassée de ces stigmates encombrants. Cette idée d’un universel vers lequel je tends, je ne savais jusqu’à maintenant comment y parvenir, ni la définir exactement. Je pense pouvoir y arriver, il fallait que j’attende ! Cela n’était pas inutile ! Et aujourd’hui je sens que je suis dans la bonne voie. J’espère avancer très vite dans cette nouvelle direction. J’ai une soif incroyable ! Pierre Dmitrienko, 1973
P ROVE NANCE Collection particulière. EXP OS ITION 15 mars-15 avril 2007, Paris, Hôtel de l’Industrie, Moscou-Paris 1960-2000, Editions Galerie Le Minotaure, p. 46 (repr. en couleurs).
Page suivante : Pierre Dmitrienko dans son atelier Place de la Bastille, 1970.
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REPÈRE S BIOGRAPH IQU E S
EXPOSITION S PERSON N ELLE S
1925 Né le 20 avril à Paris, d’un père russe et d’une mère
1964 Voyage au Japon. Il reçoit le Premier Prix de la Biennale
grecque, Pierre Dmitrienko est élevé dans la langue et la culture paternelle.
des Jeunes Peintres à Tokyo.
1965 Il commence à sculpter et continuera jusqu’en 1973, 1944-1946 Après ses études secondaires, il entre à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, dans la section architecture. Simultanément il commence à peindre et fréquente la Grande Chaumière. Il y reçoit les conseils du peintre académique Conrad Kickert et s’y lie également avec Serge Rezvani et Jacques Lanzmann.
1947 Il débute dans le groupe « Mains Éblouies » à la galerie
réalisant quelques œuvres monumentales.
1966 Il reçoit la Médaille de la Biennale d’Alexandrie.
1950 1952 1953 1954 1956 1958
York, où il rencontre Mark Rothko.
1959 1960 1961
1968 Voyage au Maroc.
1967 Voyage au Pérou (exposition IAC, Lima), puis à New
Maeght. Il épouse Lilian Carroll. Naissance de sa fille Ludmila.
1969 Rencontre à Ibiza de Conrad Marca-Relli avec qui il se
1962
1947-1954 Pour vivre, il exerce différents métiers, notamment
lie d’amitié.
celui d’étalagiste-décorateur au Printemps. Il rencontre Jacques de Pindray, Peter Knapp et se lie d’amitié avec Serge Poliakoff.
1971 Il quitte Ibiza.
1953 Le public parisien découvre sa peinture avec un ensemble
1972 Il tombe malade d’un cancer.
1963 1965 1966
d’œuvres présentées chez Lucien Durand, dont la galerie a joué un rôle essentiel dans la découverte et la défense de la jeune peinture non figurative. Il rencontre l’actrice Christiane Lénier qui deviendra sa seconde femme.
1954-1962 Il vit à la campagne proche de Paris, dans différentes maisons, Nerville, Dieudonne, Bois Ricard.
1959 Il achète le château de Nivillers (Oise). Il reçoit le Premier Prix de la Biennale de Paris.
1960 C’est une année déterminante pour le peintre. Sa technique picturale, aussi, change radicalement. Il achète une presse et commence à pratiquer la gravure. Il en réalise 200 entre 1960 et 1973. Naissance de son fils Rurik.
1962 Obligé de vendre le château de Nivillers, il passe un premier hiver avec sa famille à Ibiza où il installera un atelier et travaillera la moitié de l’année jusqu’en 1971. Il y rencontrera beaucoup d’artistes, d’écrivains et de musiciens (Karl Damhen, Manolo Monpo, Manolo Millares, Douglas Portway, Bob Thompson, Franz Krajcberg, etc.).
1963 Dmitrienko installe son atelier Place de la Bastille, à Paris.
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1974 Dmitrienko décède le 15 avril à Paris dans son atelier.
1967
1968 1969
1970 1971 1973
1974
1975
1978
1980 1984
1986 1988
Lausanne, Galerie de la Paix Bruxelles, Galerie Ex-Libris Paris, Galerie Lucien Durand Paris, Galerie Lucien Durand Paris, Galerie Lucien Durand Paris, Galerie Lucien Durand Paris, Galerie Jacques Massol Paris, Galerie Jacques Massol Paris, Galerie Jacques Massol Londres, Galerie Mac Roberts-Tunnard Los Angeles, Galerie Gilles de Turenne Paris, Galerie Jacques Massol Ibiza, Galerie Ivan Spence Copenhaque, Galerie Kobenhavn Paris, Galerie Creuzevault Milan, Galleria del Naviglio Ibiza, Galerie Ivan Spence Lucerne, Galerie Raeber Toulouse, Galerie Galia Lima, Instituto de Arte Contemporanea Madrid, Galerie Juana Mordo Bruxelles, Palais des Beaux-Arts Lucerne, Galerie Raeber Nancy, Librairie des Arts Ibiza, Galerie Ivan Spence Ibiza, Galerie Can’Pablo Bruxelles, Galerie Porte de Jade Paris, Galerie 55 Paris, Galerie 55 Paris, La Tortue Marcq-en-Baroeul, Centre artistique Septentrion Paris, Galerie Albert Verbeke Paris, Galerie Biren Lucerne, Galerie Raeber Luxembourg, Galerie la Cité Bâle, Galerie Carl Van der Voort Auvernier, Galerie Numaga Paris, Galerie Albert Verbeke Luxembourg, Galerie la Cité Paris, Centre National des Arts Plastiques Toulon, Musée de Toulon Bâle Art’86, Neuchâtel, Galerie Ditesheim Paris, Galerie Arlette Gimaray
1997
2002 2004 2005 2009
Sens, Musée de Sens, Palais Synodal Troyes, Musée d’Art Moderne Paris, Galerie Henry Bussière Paris, Galerie Henry Bussière Paris, Galerie Le Minotaure Paris, Galerie Christophe Gaillard
Sélection Biennales et Prix
1954 1958
Prix Pacquement Exposition Internationale de Bruxelles, Pavillon français 1959 Biennale de Paris 1 er Prix Biennale de Paris 1960 Biennale de Venise 1960 Prix Guggenheim, New-York 2 e Prix Marzotto (Italie) 1961 Biennale de São Paulo 1961 Prix Carnegie, New-York 1963 Biennale de Tokyo 1964 Prix Biennale des Jeunes Peintres de Tokyo 1965 Prix Carnegie, Pittsburgh Salon de Mai Salon des Réalités Nouvelles Salon des Grands et Jeunes d’Aujourd’hui Salon d’Octobre 1966 Médaille de la Biennale d’Alexandrie
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La Galerie Interart exprime ses très vifs remerciements à Benoît Sapiro et Alexandra Lantz de la galerie Le Minotaure à Paris pour leur collaboration précieuse et enthousiaste. Nous tenons aussi à remercier chaleureusement les collectionneurs qui ont accepté de se séparer de leurs œuvres le temps de l’exposition, et qui préfèrent garder l’anonymat. Nous sommes également reconnaissants quant à l’aimable contribution de Monsieur Rurik Dmitrienko à cette exposition.
Documentation, rédaction et coordination Annick Füster, Chiara Mazzoletti Conception graphique Séverine Mailler Photogravure Bombie, Genève Impression Imprimerie Genevoise SA,Genève
Crédits photographiques Rurik Dmitrienko. Page 15: Lilo Raymond; page 61: Christiane Lénier.
© 2015, Galerie Interart, Genève © 2015, ProLitteris, Zurich Achevé d’imprimer en avril 2015 à Genève
« . .. la présence humaine [peut] se traduire avec beaucoup d’images différentes car chaque présence est différente et conditionne ses signes propres. » pierre dmitrienko
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