Le Théâtre de la Mer de Robert COMBAS

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PORTRAITS D’AUTOPORTRAITS par Michel Onfray

Je sais depuis longtemps que Robert Combas est un chamane – c’est la thèse du premier livre que je lui ai consacré. Mais chaque démonstration qu’il effectue de cette théorie me sidère, me souffle, me colle au sol. C’est à faire douter l’athée que je suis de l’inexistence d’un monde parallèle, d’une autre vie que la vie, de signes qui parcourent les mondes et les intermondes des philosophes épicuriens et nous viendraient d’ailleurs, donnés par des morts qu’on aimerait savoir encore vivants ! Il a existé dans ma vie des moments avérés, non rêvés, vécus en toute sobriété, autrement dit sans consommation d’alcools, de drogues, de médicaments ou de quelque substance psychotrope que ce soit, qui me mettent devant des faits que je ne m’explique pas mais qui ont été avérés. Que je ne parvienne pas à me les expliquer ne suffit pas à me les faire classer comme n’ayant pas eu lieu, ou à écarter. Quand un fait met à mal ma vision du monde, je n’ai pas pour habitude de le nier afin de conserver intacte ma vision du monde !

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La vérité compte plus que ce que je crois qu’elle est. Si je m’aperçois que je me suis trompé, alors il est plus important pour moi d’en faire l’aveu que d’entrer dans un processus de dénégation. J’ai trop vu cette pathologie à l’œuvre près de moi pendant mon enfance ( et ensuite…) pour ne pas mépriser cette façon qu’ont ceux qui commettent des erreurs d’entrer dans l’incroyable mécanique du déni parce qu’ils croient qu’ils sortiront indemnes de ce long voyage en pays pathologique. Un exemple. Alors que je dormais seul dans le studio que j’occupais alors deux nuits par semaine au 81, rue Saint-Martin de Caen parce que j’y enseignais, j’ai été réveillé par un cauchemar en pleine nuit - trempé, le cœur battant à tout rompre, ahuri, je sortais d’une vision dans laquelle j’avais vu la forme d’un corps dans un linceul tomber et m’emporter dans sa chute. C’était une forme pure, une silhouette impossible à identifier – une forme comme on la définit dans La Métaphysique d’Aristote : un corps qui vaudrait tous les corps, serait tous les corps, sans en être aucun en particulier. La forme pure d’un corps pur. Une idéalité transcendantale ! J’ai allumé la lumière. Il était exactement trois heures du matin sur mon réveil. J’ai éteint. Je me suis rendormi.

À sept heures du matin, mon téléphone a sonné. C’était le père de ma compagne, Marie-Claude. Il ne m’appelait jamais. C’était sa femme, Jeannette, qui aimait le téléphone, qui y travaillait d’ailleurs comme employée des PTT, qui passait les coups de fil à donner. J’ai décroché. Je n’ai pas reconnu la voix, brisée, cassée, détruite de Roger, son mari. Il m’a alors annoncé la mort subite de sa femme à trois heures du matin. Ravagé par la douleur, un sanglot a emporté sa voix, il a raccroché. Quatre heures après le cauchemar qui m’avait mis en présence immédiate avec cette mort sous cette forme incompréhensible ce que j’avais cauchemardé s’avérait réalité. Le rêve n’était pas réalité, il avait été réalité. Réalité instantanée, immédiate, directe, simultanée, concomitante, coïncidente. Quelles sont les probabilités pour que pareille vision corresponde à sa réalité ? Les chiffres seraient probablement vertigineux… Or, ce réel a eu lieu. Alors ? Alors : rien. Je ne sais pas. Il a eu lieu, je n’ai rien compris, je n’ai toujours pas compris et je crains de ne comprendre jamais. Ce fut, point, à la ligne…

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Alléchés par la bonne aubaine, les vendeurs d’arrière monde se précipitent ! Si d’un seul coup mon athéisme pouvait exploser en plein vol ! Si je passais de l’autre côté du miroir, en compagnie des elfes et des anges, des entités et des esprits, des djinns et des mystiques, comme ce serait ragoutant, croustillant, émoustillant ! Les vendeurs de vie après la mort, de vies multiples, de vies parallèles, de vies réitérées, tendent le mufle : un petit clone de Rancé touché par la grâce ! Un libertin en passe de devenir trappiste ! Hélas, non. Je n’en suis pas là. Que faut-il faire de ce fait ? Rien. Du moins : je ne sais pas. Un jour peut-être ce genre d’interrogation trouvera sa résolution et l’on réduira ce qui semble un mystère avec une équation matérialiste. Nous fûmes des papillons de nuit et des anguilles et je n’oublie pas, pour l’avoir lu dans ma jeunesse chez Gourmont dans Physique de l’amour, qu’un papillon tenu sous une cloche séparé d’une femelle elle aussi tenue sous une cloche prend immédiatement la direction de sa partenaire quand on le libère de sa cage de verre même si cinquante kilomètres les séparent. Notre devenir humain s’est payé d’une dénaturation qui elle-même a supposé que nous nous sommes éloignés du génie animal qui sent mieux, perçoit mieux, voit mieux, ressent mieux que nous. Chacun sait qu’avant le tremblement de terre, les plus petits animaux manifestent de la terreur, les oiseaux cessent de chanter, les chiens accrochés à leurs chaînes deviennent fous, les animaux domestiques manifestent une torpeur ou un énervement inhabituels : ils sont forts en monde – pour prendre le contrepied d’Heidegger qui les disait pauvres en monde… Voilà pourquoi ils partagent l’hyperesthésie du chamane.

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Et Robert Combas là-dedans me direz-vous ? Robert me touche depuis que je l’ai vu un jour peindre un portrait de Sartre en direct à la télévision. Le voir peindre c’est assister à la création d’un monde – donc assister à la création du monde. Quand il me fait l’amitié de me laisser le regarder travailler, c’est un ravissement – c’est le même que celui qu’on a en regardant le Mystère Picasso de Clouzot - le trait fait, défait, refait, surfait, fait encore, donc défait et refait à nouveau, et ce dans d’infinies métamorphoses, avant que la couleur, les volumes ne soient soumis au même principe : composer, décomposer, recomposer, composer à nouveau. J’ai vu plusieurs fois Robert peindre en direct – dont une fois à l’université populaire du goût d’Argentan et une autre au centre culturel français de l’Île Maurice pour deux œuvres produites du début à leur fin. Je l’ai vu aussi continuer, préciser, augmenter, poursuivre des toiles et, c’est sa marque de fabrique, conjurer le vide entre deux traits ou sur un volume par des signes cabalistiques qui tiennent l’angoisse à distance et qui sont l’une de ses marques de reconnaissance. Des alphabets d’une langue qui lui est propre et qui lui permet de communiquer avec les choses – c’est le langage du chamane, la langue des poètes qui se taisent. Ce plein de signes conjure la peur du vide. Mais qu’est-ce qu’une peinture sinon une proposition de ces signes dans un style ?

Et puis, Robert m’a offert l’un de ces miracles qui donnent l’impression qu’il y aurait des trous, des failles, des interstices entre notre monde et un autre. Ou plutôt : dans notre monde, mais entre des mondes qu’on ignorerait mais qui, eux, ne s’ignoreraient pas. Nous étions le dimanche 17 juin. La dernière fois que nous nous étions vus, c’était le dimanche 28 janvier, le lendemain de mon AVC. Geneviève et Robert m’avaient fait l’amitié de venir avec leurs amis devenus les nôtres Zina et Alain Ciani assister à l’un de mes cours à l’Université Populaire de Caen décentralisée cette année-là à Deauville. C’était vingt quatre heures après cet AVC, je venais de faire cours devant près de mille personnes j’avais un terrible mal de tête et des papillons partout dans les yeux, nous étions allé dîner ensemble, et ils ont assisté à mes échanges téléphoniques avec des médecins indolents. C’était le début du festival des Diafoirus !

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Cet AVC m’a permis de cartographier à nouveau mon paysage affectif grâce aux défections manifestes, aux éloignements tangibles, aux inélégances repérables ici ou là qui m’ont été données de voir pendant un mois : les couloirs des hôpitaux et les bords de tombe sont de formidables révélateurs de la nature des êtres qui nous entourent. C’est l’occasion d’une incroyable démonstration de ce que la nature humaine peut faire de mieux, c’est rare, mais aussi de pire, c’est plus fréquent. Fatigué par l’épreuve, à tous les sens du terme, j’ai souhaité sortir de l’hiver, lui aussi à tous les sens du terme, qui s’éternisait en Normandie, par une orgie de soleil et de lumière, de chaleur et d’antipode mental. J’en avais assez de ce ciel bas, blanc, opaque qui saturait mon cinquième étage chaque matin quand j’ouvrais mes volets. Assez aussi de ce confinement dans un lazaret que me signifiaient d’aucuns que je croyais mes amis qui avaient opté pour le silence total et l’absence de signes. Dorothée et moi sommes partis une semaine en Martinique. Il y eut là-bas un soleil brûlant et des plages de sable blanc, d’immenses cocotiers et une mer bleue turquoise, des poissons de toutes les couleurs et des végétations luxuriantes, des matins doux et frais et des nuits à contre-courant, des grenouilles et des crapauds qui chantent la nuit tombée puis des oiseaux aux plumages magnifiques qui prennent le relais dès le lever du soleil. Qui le sut? Très peu. Presque personne. Je réparais ma carcasse en la chauffant à la chaleur des caraïbes. Encore moins sont ceux qui savent que Dorothée et moi avons eu un coup de foudre pour un village dans cette île. J’ai toujours aimé les volcans. La présence de la Montagne Pelée me ravissait. J’ai toujours eu le fantasme d’une rupture épistémologique existentielle, pourrait-on dire, comme Rimbaud l’a connue : quitter « l’Europe aux anciens parapets » - du moins, disposer d’un lieu qui nettoie des scories de ce continent qui s’effondre, du climat perpétuel de guerre civile en France et de l’indécrottable jacobinisme qui fait de Paris l’arbitre des élégances d’un pays qui s’effondre dans une Europe qui s’effondre… Le voyage aux Marquises fut en ce sens un test. Mais c’est loin : partir là-bas suppose n’en point revenir. Je n’en suis pas encore là. La terre normande attend mon cercueil. C’est donc au pied du volcan, à Saint-Pierre, que ce coup de foudre a eu lieu. Nous nous sommes arrêtés à la sortie du village dans un endroit sans grand charme. La surface de la mer y semblait d’acier dans cette fin d’après-midi. La plage de sable était grise, noire, comme si le volcan qui était derrière nous couvrait en plus ses cendres répandues sur la plage en 1902 d’une ombre qui lui donnait sa couleur, sa texture, sa lumière. Il n’y avait personne, aucun touriste, rien, personne. La route passait, ingrate, à quelques mètres de la plage. De l’autre côté, des maisons sans charme, de bric et de broc – mais cette absence de charme dégageait un incroyable charme. Une sérénité, un calme, une quiétude régnaient – comme après l’irruption, longtemps encore après… Nous étions assis sur un banc, Dorothée et moi, avec des fruits, du fromage et de l’eau. J’ai avisé des mâts, puis des voiles, puis des bateaux au loin : c’était la rade de Saint-Pierre. J’y suis allé à pied, seul, pendant que Dorothée me rejoignait en voiture. Elle et moi sommes entrés dans un village qui nous rappelait les nôtres – Dorothée, celui de vacances familiales passées dans le Périgord, à La Salle, moi, Chambois, mon village natal. À dix-neuf heures, l’angélus a sonné avec la même couleur que le clocher de Chambois… Nous étions dans l’anse et nous longions une étrange courbe faite de maisons dont on ne savait lesquelles étaient habitées lesquelles en ruines! Nous cheminions dans une peinture de Monsu Desiderio… Les pieds dans le sable noir, bercés par le sac et le ressac de la mer, couverts par un soleil dont la chaleur se fit plus douce, chauffés par le miroir de la mer sans cesse tremblant, je me disais que c’était ici le paradis sur terre… Je n’entre pas dans les détails. Quelque six ou sept semaines plus tard, nous étions propriétaires d’une de ces maisons dont la porte s’ouvre sur la plage qui est à cinq ou six mètres de la mer des Caraïbes… Je commençais alors la rédaction d’un recueil de poèmes martiniquais. Cessons-là. On en sait assez pour l’intelligence de la suite de mon histoire. 13


Je retrouve donc Robert ce lundi de juin. Geneviève, Robert et Nigou qui fut probablement sage dans une autre vie pour être ce chien si doux et bon dans la sienne, sont là comme si nous nous étions quittés la veille. Depuis son mariage avec Geneviève, sa compagne depuis de si longues années, Robert est métamorphosé. Il a gardé son génie, il y ajoute une infinie prévenance doublée de tendresse et de précaution. Sa vie d’avant était pleine de diables, de démons et de dragons ; il les a congédiés et la puissance de sa volonté est remarquable. Je suis curieux de voir sa peinture depuis qu’il a remis l’église au milieu du village. Robert est à son atelier. J’entre. J’avise deux toiles accrochées au mur. Il travaille sur deux œuvres en même temps. À gauche, une sorte de guerrier grec sort de la mer ; mais c’est la toile de droite qui me cloue sur place : elle représente un personnage le visage en partie caché par ce qui pourrait être la végétation d’un palmier avec ses grandes feuilles facilement reconnaissables. Un tronc noir barre la toile et va de son fût élargi à la base vers le sommet en s’affinant. Les branches sortent par le bord en haut à gauche de la toile, cette partie contient des chimères propres à Robert – visages, insectes, oiseaux, figures, visages comme des insectes, insectes comme des oiseaux, oiseaux comme des figures, figures comme des insectes, autant de petits personnages qu’en régime polythéiste on appellerait des divinités païennes …

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De ce côté-là du monde, de mauvais augure selon la symbolique, on trouve également, tranchant sur le violet pâle et le rose chair, un arbre vert taillé comme une grande feuille qui porterait des citrons ou des oranges. C’est un monde d’elfes et de nains, de génies et d’esprits, de farfadets et de gnomes. Le tronc de l’arbre noir partage la toile en deux, comme il couperait la vie en deux. À droite de cet arbre qui est un axe, outre la feuille de palmier qui cache le personnage debout, les bras contre le corps, on aperçoit la mer au loin et le ciel dans lequel volent des oiseaux aussi bien que des avions. Or ce personnage porte les cheveux courts et des lunettes rectangulaires noires… Il me saute à l’œil que ce personnage c’est moi à Saint-Pierre en Martinique… Je ne dis rien ; j’appelle Dorothée qui entre dans l’atelier et qui, franchissant le seuil, sans en voir ou en savoir plus s’écrie : « mais c’est Saint-Pierre ! »… Et je raconte notre histoire, le coup de foudre, l’achat de la maison. Robert ne savait pas, mais savait tout de même ; il avait vu ce qu’il ne savait pas ; il voyait ce qu’il y avait à voir et ce qui, dans ce qu’il y avait à voir, était essentiel – ce qui triomphait dans ma vie changée depuis cet AVC : le désir d’une existence en compagnie du soleil, de la mer, de la nature, de l’isolement – le temps venu de la contemplation, le temps du recours aux forêts… Le lendemain matin, je retrouve Robert dans son atelier. Il a ajouté deux choses : une série de rectangles bleus cernés d’un trait noir sur la mer, ce peut-être, au choix, soit les bateaux dont j’ai pu parler et qui, au loin, m’avaient attiré, mais aussi, et pourquoi pas, les épaves qui se trouvent au fond dans cette anse quand l’explosion de la montagne Pelée a été précédée d’un retrait de la mer, d’une chute dans les fonds marins soudains asséchés des bateaux de la rade, puis dans le recouvrement par la mer revenue de ces bateaux magnifiques devenus d’un seul coup d’un seul des épaves au fond des Caraïbes – ou bien tout autre chose encore qui n’obéirait qu’au désir de l’artiste de ne pas laisser cette zone vide. Or, habituellement, quand il s’agit de combler un vide, de boucher un trou, de remplir un espace, le motif géométrique rectangulaire, donc apollinien, est rare chez Robert Combas, car c’est bien plutôt un motif vitaliste, donc dionysiaque, qu’on trouve dans ces cas-là – des virgules, des labyrinthes, des volutes, des spirales, des enroulements, des torsades, des coquilles, des arabesques, des étoiles et autres zigouigouis … Et puis, entre la mer au loin et le personnage au-devant, il a également ajouté une maison. S’il savait depuis la veille au soir pour l’achat de ce bâtiment, il en ignorait la couleur : saumon et chair pour les murs et rouge pour le toit. Or, cette maison était peinte avec ces couleurs aux bons endroits.

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Plus étonnant : la toile laissait matériellement place à un volume dans lequel la bâtisse pouvait prendre plus ou moins d’importance, donc plus ou moins de place. Robert choisit de la représenter dans le lointain. De ce fait, et uniquement de ce fait, elle fournit la mesure, elle donne l’échelle esthétique. Or, il se fait que cette échelle permet une réelle extrapolation géographique, voire géomorphologique. Si l’on tire un trait entre cette maison sur la plage et le personnage au premier plan on obtient une ligne qui conduit du bas de l’anse Saint-Pierre aux hauteurs sur lesquelles… Gauguin a vécu plusieurs mois quand il a séjourné en Martinique entre début juin et octobre 1887 à deux kilomètres du village de Saint-Pierre dans une case sur une plantation. Son premier contact avec l’exotisme s’effectue dans cet endroit. Il peint peu de toiles, mais elles sont majeures dans le passage de sa période postimpressioniste à ce qui est devenu son style. Il rentre très vite en France après avoir attrapé la dysenterie et le paludisme. À peu de chose près, ce point sur lequel se trouve Robert Combas s’il peignait sa toile sur place, ce serait le lieu choisi par Paul Gauguin pour réaliser Végétation tropicale qui est considéré comme son chef-d’œuvre martiniquais : le Morne d’Orange qui domine l’anse maritime sud ! De même, les historiens de l’art qui ont retrouvé ce lieu précisent que Gauguin a fait disparaître la ville en contrebas avec les feuillages qui fournissent l’occasion d’un bouquet de peintures avec différentes gammes de vert, du plus sombre presque bleu nuit, au plus clair troué de lumière blanche, mais aussi jaune et ocre. Robert a fait de même avec son paysage réduit aux éléments : l’eau, la terre, l’air et le feu. À droite du personnage, on trouve une plante de haute tige avec des fleurs rouges. Certes, il n’est pas question de chercher une correspondance botanique, ce serait ridicule, mais on trouve en Martinique nombre de fleurs rouges dont le balisier qui convient parfaitement ! Voilà. Le portrait est là. Robert aussi. Il a les yeux pétillants et son sourire d’enfant. Comme s’il m’avait bien joué un tour. Comme un magicien content de son coup. Comme si je n’avais eu d’yeux que pour le chamarré du haut-de-forme huit reflets qu’il manipulait avant d’en extraire un lapin tout droit sorti de mon âme – et du plus profond de mon âme à l’heure de cette peinture… Je suis comme devant moi-même. Mieux : comme devant une image de moi-même qui dit au même moi-même ce qu’il est et ce qu’il convient désormais de faire dans la vie. Dans sa formule païenne et exotique, entre l’eau lustrale de la mer des Caraïbes et la colline qui surplombe SaintPierre, en chamane qui porte l’âme de ceux qui l’accompagnent, morts et vivants, grands anciens ou simples contemporains, Robert Combas le dit, mais sans un mot, avec son sourire : « Ecce Homo » – voici l’homme. Reste alors cet alter ego figé dans l’éternité.

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Le lendemain, dans une librairie de Sète, j’achète de la poésie américainedes femmes de la Beat-Generation. J’avise également une belle et élégante nouvelle traduction des Métamorphoses d’Ovide que j’achète pour l’offrir à Robert. Il est le peintre des métamorphoses et son autre toile qui mettait en scène un hoplite grec sortant de la mer côtoyait d’ailleurs des arbres qui possédaient des visages. Nous nous retrouvons à une terrasse de café. Je sors le livre du paquet pour le lui donner. Geneviève a devant mon cadeau le même arrêt que moi devant sa peinture : Robert a souhaité quelques jours plus tôt lire Les Métamorphoses d’Ovide et le lui a dit. Nous avons alors le même sourire. Le silence est alors une fête. Michel Onfray

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RETOUR À LA TERRE oui Ulysse ou n’importe tu reviens à la maison. Tu reviens hanté mais gai rejoindre la terre de Méditerranée. Et, au bord d’un ponton, de la plage ou d’une piscine, tu fêtes les pins, le thym et le romarin plein de la lumière du midi resplendis dans tous les nids d’oiseaux d’aujourd’hui. Acrylique sur toile 199 x 197 cm 2018

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LE RESSENTI, LE DEDANS ET LE DEHORS. Toujours la mer immobile et bougeante, les deux à la fois. Tant que je peux penser, réfléchir, ressentir, c’est que je suis en vie. Je réfléchis, je pense, et je dors peut-être non ? alors je dors, je pense et réfléchis Acrylique sur toile 191 x 161 cm 2018

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UN DAY VINT ONFRAY. Après une Avalanche de mots, on aurait dit que Dieu existait. La maison près de la mer. Un premier tableau en ressenti de la lumière et des pins et rien d’autre que mon dedans dans le dehors. Couleurs claires et chaleur peu chères. Acrylique sur toile 174 x 201 cm 2018

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LA MAISON DU JOUIR A Combas qui fut Gauguin A Gauguin qui était Combas Et à deux autres qui savent Avant les Marquises Il y eut Saint-Pierre de la Martinique Avant les chevaux verts Et les feuilles de satin blanc du tiaré Il y eut les chants des crapauds et des grenouilles la nuit Avant les vahinés païennes Et de mélancoliques singes orange Il y eut le vol immobile des colibris verts Avant les eaux de mer jaunes Et les plages de sable rose Il y eut les frégates dans le ciel d’un bleu éblouissant Avant les peaux cuivrées Et les paréos rouges Il y eut les plis des coiffures multicolores Avant les chiens roux Et les immenses fleurs violettes Il y eut les poissons jaunes et noirs sur le marché GENEVIÈVE ENTOURÉE DE SES VERTS PAS TURAGES, des verts de feuilles et des bleus du ciel et de la mer. Depuis quelques jours, un bébé est arrivé qui se ballade dans le jardin de ma fée. Il chie partout mais va bientôt s’envoler, il commence à se faire grand ce goéland. Acrylique sur toile 210 x 127 cm 2018

Avant les sources d’eaux lumineuses Et les verdures monstrueuses Il y eut l’eau sombre au pied du volcan Avant les corps ici et maintenant Et les couronnes de fleurs blanches Il y eut la démarché chaloupée des femmes sans dieu Avant les idoles à la coquille Et les bois de la maison du jouir Il y eut les volutes et la chair des lambis clairs Avant les fleurs aux yeux de vache Et les tahitiennes accroupies Il y eut mille regards remplis de mémoire africaine

Avant la femme à la mangue Et les idoles à la perle Il y eut les pierrotines aux plateaux sur la tête Avant les paysages aux paons Et les palmiers sinueux Il y eut les troncs puissants qui barraient les paysages Avant les bananes rouges Et le bol rempli d’eau de mer Il y eut les enfants bouviers auprès de la mare Avant la goyave ouverte Et les citrons sauvages Il y eut la récolte des mangues Avant le feu sur la plage Et sa flamme qui monte vers l’étoile polaire Il y eut les tapis chamarrés posés sur le sable noir Avant la femme du roi Et son éventail pourpre Il y eut des noces barbares Avant la maorie aux lèvres bleues Et son Noël tropical Il y eut des solstices d’hiver lumineux Avant les seins tendus Et leurs aréoles de fruits rares Il y eut des promesses de bonheur Avant le silence des scènes Et la langueur des poses Il y eut le temps arrêté Avant l’indolence des poules Et l’innocence des enfants Il y eut l’annonce d’un autre enfant Avec les Marquises Il y a toujours Saint-Pierre de la Martinique Michel Onfray

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EN HIPPOCAMPE ROUGE ET BLANC. Fier con et intelligent étalon des mers et des sons de la houle, dieu du vent qui parle et des vagues qui roulent en tapis de restes de larmes qui parviennent jusqu’au rivage. Des larmes et des lames, des bleus et des verts et le reste d’outre ciel ou de mer. Acrylique sur toile 199 x 149 cm 2018

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PORTRAIT EN AUTO-TAMPON pas vraiment ressemblant malgré les poissons volants foisonnant sur sa tête. Homme de l’eau, homme de terre. C’est le Terre-EAU. Acrylique sur toile 184 x 141 cm 2018

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LES DEUX COMPÈRES ODIN ET OSCAR les chatons fougueux font des débuts peureux dans les terres du midi de la fée Geneviève. Complètement impressionnés par toutes ces feuilles géantes qui bougent et la mer comme un mur devant eux au loin. Ils pissent quand même dans leur litière mais ils chient dehors dans les plantes du jardin. Acrylique sur toile 174 x 209 cm 2018

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Acrylique sur toile 89,5 x 130 cm 2018

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Tel un tableau impressionniste géant, petit homme au milieu d’une mer de lumière. Clignotants de brillance, trait joyeux en camaïeu, c’est terrible et PSYCHO Bordélique de traits colorés. Acrylique sur toile 205 x 190 cm 2018

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EN FOND, DES TYPES ET DES FEMMES QUI DANSENT Un monde de couleurs dans ma tête et devant, un hippocampe simple et fier comme un dieu cheval de la mer entouré de ses sujets poissons blancs et mer argentée. Acrylique sur toile 146 x 114,5 cm 2018

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LE SONGE DE NIGOU par Michel Onfray

1 Nigou est un chien Qui n’est pas un chien D’abord c’est une chienne Ensuite c’est une âme Elle fut Chamane dans une grotte aux peintures magiques Elle fut Pharaonne couronnée d’or et de pierres précieuses Elle fut Brahmane au bord du Gange Elle fut Sage sur l’agora aux statues polychromes Elle fut Prêtresse sur le forum des Antonins Elle fut Moniale dans une cellule toscane Elle fut Philosophe dans un boudoir des Lumières Elle fut Poétesse sur la côte ouest des Etats-Unis Puis Après tant de sagesse Elle fut chien Ou plutôt chienne Son regard le dit Elle fut tout cela Princesse des silences Reine des quiétudes Souveraine des vertus Elle l’est resté Elle protège le faible des forts Elle se blottit près de qui pleure Elle donne son énergie à qui la perd Elle lèche la main sous laquelle pousse le squelette Elle choisit les couleurs du peintre Elle parle en silence à sa muse Elle garde la mémoire de tout

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Elle ne dort que d’un œil On croit qu’elle contemple la mer Mais c’est la mer qui la contemple On croit qu’elle regarde le palmier Mais c’est le palmier qui la regarde On croit qu’elle guette la tortue Mais c’est la tortue qui la guette On croit qu’elle observe les oiseaux Mais ce sont les oiseaux qui l’observent Un jour Abandonnée dans une cathédrale de béton Seule à n’être pas perdue Elle attendait l’heure de porter des âmes en peine Elle a choisi la femme du chamane Puis le chamane lui-même Nigou parle en couleur Elle pense en couleur Elle se tait en couleur Elle aime en couleur Elle vit en couleur Elle regarde en couleur Elle se tait en couleur Et le chamane peint ce qu’elle tait

2 Un jour Le peintre a peint ce qu’elle a songé

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3 Voici ce qu’il a vu : Nigou était au pied d’un arbre C’était à la fois L’arbre de la connaissance L’arbre de la sagesse L’arbre de la vie Trois arbres en un seul Un yggdrasil méditerranéen Au lieu de feuilles Et de fleurs Ses branches ont des épines Comme un cactus Car on se pique à la connaissance On se pique à la sagesse On se pique à la vie Savoir c’est saigner Saigner c’est savoir Nigou couve ses racines Comme l’œuf d’un nouveau monde Le chaud de son ventre nourrit la vraie vie Elle regarde qui la regarde Elle voit qui la voit Elle seule a vu Ce que l’homme a cru voir Son ventre épouse la terre La terre épouse son ventre Son ventre est une glèbe La glèbe est un ventre Les racines de cet arbre Sont ses entrailles Le fruit béni de ses entrailles C’est cet arbre Dans le songe de Nigou L’air est dans l’eau L’eau est dans l’air Car tout est éther

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Des poissons volent dans l’air A moins que l’arbre ne pousse dans l’eau Les poissons rouges sont verts Leurs bouches Sont peintes au rouge à lèvre L’ourlet cherche le baiser Leurs nageoires Sont en papiers Le froissement bruisse pendant le vol Leurs yeux Sont globuleux Le monde s’y courbe Nigou songe à des étoiles Qui sont des fleurs Ou à des fleurs Qui sont des étoiles Etoiles d’air En même temps que de mer Nigou songe à de l’air Qui est terre Ou à de la terre Qui est air Fleurs de terre En même temps que d’air Nigou songe à l’arbre Qui est sous l’eau Ou dans l’air Qui est terre Dans l’eau de mer Sur le sol de cette mer qui est terre Nigou pose son ventre Il nourrit l’arbre Qui porte le sage Car

Au sommet de cet air d’eau Qui est éther Au sommet de cette mer d’air Qui est mer de terre Au sommet de cet éther d’air Qui est terre Et mer donc Au sommet d’une seule et même matière Qui est feu sans flamme Un sage bouddhiste Brûle sans chaleur Autour de son crâne rasé Vibrent des auréoles de silence Ce silence est l’arche Qui s’enracine dans le ventre de Nigou Son regard le dit : «Tout ce qui est Est bien Car c’est ce qui est»

Dans l’aube du 22 septembre 2018 A Saint-Pierre de la Martinique

Dans un bruit de papier froissé Passent alors dans l’eau du ciel Les verts poissons rouges Qui effacent toute mémoire Et donnent aux morts de nouvelles vies Chaque vie nouvelle Venue des morts anciens Passe par l’œil de Nigou Qui est bienveillance Ce qu’elle regarde est ce que d’autres ont vu Et peuvent voir à nouveau Certes ils ne sont plus là Mais par ce regard doux Ils demeurent

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NIGOU se repose et fait union avec la terre qu’elle semble ressentir comme nous, sous notre couverture. Toutes les odeurs se rapprochent de son groin pour lui donner des sensations de méditerranée. Et c’est le calme plat malgré les poissons verts qui passent en groupe dans le ciel bleu clair. Elle aussi respire sur la terre imprégnée de l’herbe et des pierres des feuilles et de la chaleur de l’été légèrement brisé.

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Parmi les arbres, Parmi les pins, Poissons volants à calme entreprise Chienne roulant son groin sur le parterre de terre. L’ombre des plantes vertes rafraîchit sa gueule d’atmosphère. Acrylique sur toile 205 x 224 cm 2018

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COMME UNE BATAILLE HIPPOCAMPE ET GUERRIÈRE DE LA MER. Mais aujourd’hui c’est la guerre des fois pour un morceau de mer entre deux pays. Comme ces guerriers qui se ressemblent et se haïssent. Une bataille dans l’eau c’est bien Water l’eau ? Acrylique sur toile 210 x 168 cm 2018

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LE BATEAU BLEU ILLUMINÉ. Chalut, Cargo ou pétrolier, c’est la beauté de la nuit bleutée. Soleil jaune citronné. Acrylique sur toile 115 x 140 cm 2018

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HIPPOCAMPE UNICORNE Comme un animal fantastique du Moyen-Âge, un truc qui vient de loin, plein de bosses et de formes tarabiscotées. Un cheval de mer de mes rêves imaginaires jusqu’à preuve du contraire. Acrylique sur toile 130 x 89 cm 2018

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DOUBLE PAGE TABLEAU

EMBRINGUÉS COMME PAS DEUX, poissons de mer, poissons bleu mais pas vert en violet de couleur. Mélangés, rameutés par le plein évidé, c’est à dire sans vide. Acrylique sur toile 97 x 146 cm 2018

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Acrylique sur toile 73 x 60 cm 2018

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Acrylique sur toile 65 x 50 cm 2018

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Acrylique sur toile 65 x 50 cm 2018

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Acrylique sur toile 70 x 50 cm 2018

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Acrylique sur toile 73 x 60 cm 2018

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Miroir en aluminium poli 106 x 72 cm 2016 Miroirs de la page précédente (de gauche à droite) Miroir en aluminium poli 106 x 72 cm Miroir en aluminium poli 194 x 121 cm MIROIR AVEC UNE SADIENNE ATTACHÉE ENCOULURÉE Miroir en aluminium poli 194 x 121 cm CELLE QUI RABAT SES CHEVEUX D’UN CÔTÉ Miroir en aluminium poli 149 x 91 cm

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Miroir en aluminium poli 149 x 91 cm 2016


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TOTEM, sculpture en aluminium poli 176 x 45 x 45 cm 2018

Plateau de verre peint, pied en aluminium poli Plateau 1 x 65 x 20 cm Pieds : 34 x 24 x 6 cm 2018 LA FEMME EN CHARGÉE RECHARGÉE DE SA VOLONTÉ DE QUELQUE CHOSE Table carrée, plateau de verre peint, pied en aluminium poli Plateau 3 x 130 x 130 Pieds : 34 x 24 x 6 2016

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Acrylique sur toile et objet collĂŠ 60,5 x 50 cm 2018

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Acrylique sur toile 65 x 50 cm 2018

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Acrylique sur toile 60,5 x 50 cm 2018

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Acrylique sur toile 60,5 x 50 cm 2018

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De gauche à droite Lampadaire en aluminium poli 165 x 56 x 56 cm 2018 UN CAUNE OU CÔNE OU KHON Lampadaire en aluminium poli 220 x 70 x 70 cm 2018 Lampadaire en aluminium poli 192 x 67 x 67 cm 2018

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Acrylique sur carton 79,5 x 60 cm 2018

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Acrylique sur carton 99,5 x 59 cm 2018

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Acrylique sur carton 89 x 55 cm 2018

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LES MÉTALIERS PAS FINIES DE FINIES - Recto Sculpture en aluminium poli 183 x 80 x 55 cm 2018

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LES MÉTALIERS PAS FINIES DE FINIES - Verso Sculpture en aluminium poli 183 x 80 x 55 cm 2018

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Tapis des pages suivantes (de gauche à droite) BATAILLE DE ROMAINS Tapis pure laine tufté main 295 x 275 cm 8 exemplaires - 4 EA 2017 PIANISTE Tapis pure laine tufté main 232 x 304 cm 8 exemplaires - 4 EA 2015

BATAILLE DE LAPIN Tapis pure laine tufté main 230 x 300 cm 8 exemplaires - 4 EA 2014

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Acrylique sur carton 73,5 x 56,5 cm 2018

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Acrylique sur papier chiffon 80 x 59,5 cm 2018

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Acrylique sur carton 105 x 56 cm 2018

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Acrylique sur papier 76 x 56,5 cm 2018

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Pages précédentes Visuel de gauche (de gauche à droite) Bureau en aluminium poli 78 x 140,5 x 85,5 cm 2018 Sculpture en aluminium poli 53 x 42 x 25 cm 2018 Sculpture en aluminium poli 183 x 80 x 55 cm 2018 Visuel de droite (de gauche à droite) Sculpture en aluminium poli 182 x 65 x 50 cm 2018 CHAISE TRAINEAU 8 exemplaires Aluminium poli 113 x 194 x 43 cm 2003

Chaises en aluminium poli et assise en cuir 100 x 49 x 64 2016

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LE THÉÂTRE DE LA MER 19.10.2018 - 22.12.2018 Coordination Marie Laborde Textes Michel Onfray Graphisme Juliette Susini Photos Harald Gottschalk Jean-Louis Bellurget Tapis Éditions AQUESTECOP Mobilier Sculpture Travail en collaboration avec Jean Claude MAILLARD Impression Agpograph, Barcelone LIENART ISBN : 978-2-35906-267-0 Imprimé en Europe Achevé d’imprimer : Octobre 2018 Dépot légal : Septembre 2018 © Galerie Laurent Strouk Paris © Robert Combas

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