Fine o
Rinascita?
Peintures, dessins et sculptures du XVIe au XXIe siècle
Laura Marchesini Avant-propos de
Antonio Parisella
Professeur ordinaire d’histoire contemporaine, Université de Parme
Sous la direction de
Laura Marchesini, Maurizio Nobile
Catalogue de l’exposition :
Galerie Maurizio Nobile, 45 rue de Penthièvre – Paris 8e Exposition du 8 novembre au 21 décembre 2012 Sous la direction de Laura Marchesini et Maurizio Nobile Auteur du texte Laura Marchesini Traduit de l’italien par Barbara Baranowski, Kevi Koklis Avant propos de Antonio Parisella, Professeur ordinaire d’histoire contemporaine, Université de Parme Remerciements : Elena Almici, Carola Bertorello, Daniele Bonetti, Atos Botti, Roberto Ciabattini, Frida Comparone, Guido Cribiori, Stefano Cribiori, Paolo Croci, Michele Danieli, Salvatore De Agostino, Luisa De Antoni, Giovanna De Sero, don Riccardo Fangarezzi, Giovanni Feo, Roberto Franchi, Famiglia Galgano, Rachel George, Mauro Lucco, Sergio Marinelli, Miriam Forni, Francesco Giura, Calo Maiolini, Didier Malka, Angelo Mazza, Philippe Mendes, Antonio Parisella, Manuela Perniola, Carmine Pizzi, Morena Poltronieri, Daniela Scaglietti Kelescian, Giancarlo Sestieri, Maurizio Succi, Davide Trevisani, Nicholas Turner, Giorgio Zamboni, Annafelicia Zuffrano, Zoe. Projet d’intérieur : Maurizio Nobile Références photographiques : Michel Bury, Alberto Buzzanca, Stefano Martelli, Studio Blow up Projet graphique : Leonardo Nassini Aucune partie de cet ouvrage ne peut être reproduite ou transmise sous quelque forme que ce soit, par moyen électronique ou mécanique, sans l’autorisation écrite des propriétaires des droits. © Maurizio Nobile En couverture : Francesco Guarino (Solofra, 1611 - Gravina in Puglia, 1651), Joseph le patriarche, huile sur toile, cm 80x50
45, rue de Penthièvre, 75008 PARIS (France) tél. +33 01 45 63 07 75 paris@maurizionobile.com
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Index Galerie Maurizio Nobile....................................................................................... 7 Préface de Maurizio Nobile................................................................................. 11 Avant-propos de Antonio Parisella, Univesité de Parme........................................ 13 Fine o Rinascita? 2012-2013, Laura Marchesini................................................... 19 Pourquoi une exposition sur la fin du monde ?.................................................... 19 L’ampleur d’un thème, les frontières circonscrites d’une recherche : prémisses méthodologiques................................................................................................. 20 I. Connaître le futur............................................................................................ 23 1. Oniromancie.......................................................................... 23 Francesco Guarino (Solofra, 1611 – Gravina in Puglia, 1651), Joseph le patriarche, huile sur toile, 80 x 50, cm, fig. 1
2. Prophétie................................................................................ 27 Giovanni Maria Viani (Bologne, 1636 – 1700), (attribué à), Le prophète Isaïe, huile sur toile, 78 x 105 cm, fig. 2
II. La catastrophe comme Fin. La catastrophe comme Renaissance.................... 31 1. Le temps narratif et la catastrophe.......................................... 31 2. Le Déluge Universel................................................................ 33 Pietro Dandini (Firenze, 1646 – 1712), Déluge Universel, huile sur toile, 67 x 93 cm, fig. 3
3. Les eaux se referment sur les Égyptiens................................... 36 Giuseppe Romani (Côme ?, 1654 – Modène, 1727), Moïse referme les eaux, huile sur toile, 213 x 305, cm fig. 4
4. Destruction du temple ........................................................... 40 Luciano Borzone (Gênes, 1590 – 1645), Samson dans le Temple, huile sur toile, 113,5 x 105 cm, fig. 5
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5. Tremblement de Terre............................................................. 42 Giulietta Grimaldi, Renaître (Église de Santa Maria Maggiore, Pieve di Cento), brique réfractaire et plâtre, 7 x 12 x 12 cm (2012), fig. 6
III. La mort de l’individu, le salut pour l’humanité.............................................. 45 1. Le « déjà et pas encore » : la conception du temps, de l’imminent à l’immanent ....................................................... 45 2. Le Christ................................................................................. 47 Alessandro Turchi, dit l’Orbetto (Vérone, 1578 – Rome, 1649), Flagellation du Christ, huile sur ardoise, 40 x 25,5 cm, fig. 7
Jacopo de’ Barbari (Venise, vers 1445 – vers 1516), attr. à, Christ supporté par la Vierge et par saint Jean, huile sur panneau, cm 69x91, fig. 8
IV. Mourir à la vie terrestre pour renaître à la vie spirituelle ou encore le triomphe de la chasteté, source d’indépendance............................................ 55 1. De pécheresse à sainte .......................................................... 55 Entourage des Carrache, Sainte Marie Egiziaca, huile sur toile, 94 x 80,5 cm, fig. 9
2. De martyre à épouse ............................................................. 57 Lorenzo Pasinelli (Bologne, 1629 – 1700), Mariage Mystique de sainte Catherine, huile sur toile, 136 x 98 cm, fig. 10
V. La vie, la mort................................................................................................. 63 1. De l’eschatologie universelle à l’eschatologie individuelle....... 63 2. Les trois âges de l’homme....................................................... 63 Renato Guttuso (Bagheria, 1911 – Rome, 1987), Saint Jérôme ou Les trois âges, technique mixte sur papier réentoilé, 258 x 152 cm (1978), fig. 11
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3. Vanitas.................................................................................... 66 Anonyme du XVIIe siècle, Vanitas, huile sur bois, 34,1 x 26,2 cm, fig. 12
4. La Mort et le Sommeil............................................................. 69 Anonyme de l’école génoise XVIIe siècle, La Mort et le Sommeil, huile sur toile, 157 x 130 cm, fig. 13
5. Suicide................................................................................... 74 Alberto Carlieri (Rome, 1672 – 1720), La mort de Cléopâtre, huile sur toile, 96 x 134 cm, fig. 14
VI. L’homme artisan de sa propre fin : destructeur / constructeur / destructeur ?.... 79 1. La guerre................................................................................ 79 Luigi Ademollo (Milan, 1764 – Florence, 1849), La guerre de Troie, plume, encre brune et rehauts de blanc sur papier, 140 x 220 mm, fig. 15
2. La construction ...................................................................... 81 Pietro Lucatelli (Rome, 1634 – environ 1710), La construction du Colisée, plume, encre brune et lavis d’encre brune sur papier, 454 x 615 mm, fig. 16
3. Construction ou destruction ?................................................. 83 Robert Guinan (Watertown, New York, 1934), Lumière dans North Avenue, acrylique sur isorel, 112 x 169, (1980/1981), fig. 17
Crise ou Apocalypse ?......................................................................................... 87 Ettore Greco, Le manège, terre cuite patinée (2012), 160 cm, figg. 18-19
Biographies des artistes....................................................................................... 92 6
Galerie Maurizio Nobile Fondée à Bologne il y a plus de vingt ans, la galerie Maurizio Nobile s’est créée une solide réputation dans le commerce d’antiquités. Située dans le cadre suggestif de la place Santo Stefano à Bologne, au sein du Palazzo Bovi Tacconi, la galerie Maurizio Nobile est spécialisée en mobilier, objets d’art, peintures et sculptures réalisés entre le XVIe siècle et le XXIe siècle. Poussé par une véritable passion pour le marché de l’art, Maurizio Nobile a fréquenté depuis son tout jeune âge les expositions, les musées et les grands antiquaires internationaux, approfondissant ainsi sa connaissance, déjà notable, de la matière et en affinant son goût. Beauté, authenticité, qualité et rareté sont le credo qui le guide constamment vers la recherche d’œuvres et objets du marché, destinés à l’accroissement des collections publiques et privées au niveau international. En juin 2010, Maurizio Nobile inaugurait une nouvelle galerie à Paris, au 45, rue de Penthièvre, située au cœur du quartier des antiquaires de la Rive Droite. Présente au rendez-vous annuel de Nocturne Rive Droite dès son ouverture, la galerie a immédiatement entrepris une activité intense d’expositions temporaires. En septembre 2010 la galerie consacrait une exposition à Jared 7
French, chef de file du Réalisme Magique américain dont la galerie possède un fonds très rare d’œuvres personnelles. En septembre 2011 la galerie Maurizio Nobile présentait Fior di barba. La Barbe dans l’art du XVIe au XXIe siècle, entre sacré et profane. L’exposition consacrée à la représentation de l’attribut viril avait suscité un vif intérêt chez la critique et dans l’univers du collectionnisme. En mars 2012 elle présentait un ensemble exceptionnel de dessins du XVIe au XXIe siècle intitulé Magie du Dessin. Outre les expositions au sein de ses galeries qui ne manquent jamais de présenter des œuvres contemporaines, Maurizio Nobile participe aux plus importants salons d’antiquaires italiens (Biennale Internazionale dell’Antiquariato di Firenze, Biennale Internazionale di Antiquariato di Roma, Collezioni d’Arte alla Permanente di Milano, Modenantiquaria).
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Laura Marchesini Laura Marchesini est née en 1978 à Rimini (Italie). Elle est titulaire d’une maîtrise en conservation du patrimoine culturel de l’Université de Parme, avec une mémoire sur « Les établissements médiévaux entre les fleuves Reno et Panaro » dirigé par le prof. Gianluca Bottazzi. En 2005 elle obtient le Diplôme de Recherche appliquée (DRA) de l’École du Louvre à Paris avec une mémoire sur « L’état de la recherche sur le dessin de Leonello Spada (1576-1622) », dirigé par Catherine Loisel, conservateur du musée du Louvre, et Gennaro Toscano, professeur détaché à l’Institut national du Patrimoine. À la même période, elle collabore à sept expositions sur le dessin italien du XVIIe siècle et XVIIIe siècles organisé par le Musée du Louvre et occupe le poste de Chargée de recherches bibliographiques à la bibliothèque de l’Institut National d ‘Histoire de l’art (INHA) à Paris. De 2007 à 2009 elle travaille avec le Musée d’Art Sacré de S. Giovanni in Persiceto (Bologne) où elle conduit un programme d’enseignement pédagogique pour adultes et enfants. En 2008 elle coordonne et codirige aux côtés du professeur Daniele Benati l’exposition consacrée aux livres de chœur proposée par Nicolò di Giacomo (Bologne 13251403) au Musée d’Art Sacré de S. Giovanni in Persiceto. Le même année, elle est chargée de recherche d’archive par la Curie de l’évêché de Reggio Emilia sous la direction du Prof. Gisella 9
Cantino Wattagin, Université de Piemonte Orientale. Depuis le 2009 elle remplit la fonction d’assistante de l’antiquaire Maurizio Nobile au sein de la galerie bolonaise. En 2011 elle supervise la coordination scientifique de l’exposition La femme entre le Sacré et le Profane sous la direction du Prof. V. Fortunati de l’Université de Bologne, pour le compte de l’Association des Antiquaires de Bologne. Elle collabore actellement à un projet de recherche sous la responsabilité du professeur Giovanni Feo du Département de Paléographie et d’Etudes Médiévales de l’Université de Bologne. Publications : 7 notices dans L’art de la Serenissima : Dessins vénitiens des XVIIe et XVIIIe siècles des collections publiques françaises, cat. expo., (Montpellier, septembre-décembre 2006), Papier and Co., Paris, 2006; 4 notices dans Le rayonnement de la République génoise et la Lombardie des Borromée. Dessins du XVIIe et XVIIIe siècles des collections publiques françaises cat. exposition, (Ajaccio, septembre-décembre 2006), Papier and Co, Paris, 2006; « Identificazioni toponomastiche » dans Chartae Latinae Antiquiores, 2nd series Ninth Century, ed. by G. Cavallo and G. Nicolaj, vol. part LXXXIX, Italy LXI, Nonantola II, publ. By G.Feo, L. Iannacci, M. Modesti, Dietikon – Zürich 2009, pp. 31-41; I corali di Nicolò di Giacomo della Collegiata di San Giovanni in Persiceto, sous la direction de D. Benati e L. Marchesini, Bologna 2009; « I Diari dei cerimonieri di Reggio Emilia: considerazioni preliminari » dans Il Mistero del Tempio, Atti della I giornata di Studio sulla Cattedrale di Reggio Emilia, Reggio E. 24-29 octobre 2005, sous la direction de P. Prodi, T. Ghirelli, Bologna 2009, pp. 77-146; 6 notices dans Rêve d’Italie. Paysage et caprices du XVIIe siècle au XIXe siècle, cat. expo. Paris, 31 mars-21 mai 2011, sous la direction de M. Nobile, L. Marchesini, D. Trevisani, S.G. Valdarno (AR), 2011. « Il Protoromanico tra Romanìa e Langobardia » dans Bologna nell’XI secolo, Storia, cultura, economia, istituzioni, diritto, sous la direction de G. Feo, F. Roversi Monaco, University Press, Bologna 2011, pp. 79-161. Fior di Barba. La barba nell’Arte tra Sacro e Profano dal XVI al XX secolo, cat. expo. Biennale int. dell’Antiquariato di Firenze 1-9 octobre 2011, texte de L. Marchesini, sous la directions de L. Marchesini, M. Nobile, , S.G. Valdarno (AR), 2011. Fior di Barba. La barbe dans l’Art du XVIe au XXIe siècle entre Sacré et Profane, cat. expo. Paris 2 novembre-23 décembre 2011, texte de L. Marchesini, sous la direction de L. Marchesini, M. Nobile, S.G. Valdarno (AR), 2011. La Donna tra Sacro e profano, catalogue des oeuvres par L. Marchesini, F.I.M.A. Bologna, Museo di Santa Maria della Vita, Bologna 2 novembre 2011-22 janvier 2012, par V. Fortunati, Treviso 2011. 10
Préface En ce moment historique placé sous le signe de grands bouleversements pour l’univers des marchands d’art, je m’interroge sur la nature du message que l’art est encore en mesure d’émettre. Comment en transmettre et en faire comprendre l’unicité et les qualités esthético-sémantiques face à une culture de l’apparat et une esthétique à vocation homogénéisante au possible, génératrices d’une césure profonde et artificieuse entre passé et présent ? Et c’est alors que je réfléchissais sur un phénomène contemporain tel que le retour à la mode de la barbe chez les jeunes, que l’intuition m’est venue de retracer l’an dernier, à travers des œuvres d’art, l’histoire de cet ornement viril. À mon grand étonnement, cette démarche nouvelle et hasardeuse s’il en est suscita l’intérêt de nombre de collectionneurs, de passionnés et d’experts, me confortant dans mon choix et m’encourageant à la reproposer pour la présente exposition. Sous la houlette de cet interlocuteur brillant et compétent que s’est avéré Giovanni Feo, lequel a su démêler et mettre forme à mes idées, j’ai donc pensé –dans la foulée de ce retour en vogue de la prophétie des Mayas – explorer cette année les peurs eschatologiques qui marquent ce début de millénaire. Le 21 décembre 2012 – jour de clôture de l’exposition – est la date présumée de la fin du monde… Je souhaite, quant à moi, que ce jour donne le la à une Renaissance de notre monde … Maurizio Nobile
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Avant-propos
de Antonio Parisella
Professeur ordinaire d’histoire contemporaine, Université de Parme
Il semble pour le moins insolite qu’un expert d’histoire contemporaine soit interpellé, à l’occasion de la présente exposition, pour commenter des tableaux datant de la période de la Contre-Réforme et de l’âge baroque. D’autant que dans son essai savamment construit, c’est avec culture et intelligence que la directrice de l’exposition met en perspective, dans une approche multidisciplinaire, les différentes facettes de la thématique choisie qu’elle parvient à illustrer de façon exhaustive et à corroborer par des compléments d’information et des approfondissements. Alors donc que nous sommes invités ici à nous poser la question de savoir si crise rime avec fin ou avec renaissance, les marchés financiers européens se voient, quant à eux, bel et bien ébranlés par une crise qui s’avère rien moins que légère. Cette dernière tient lieu de prélude à un rétablissement de pouvoirs et de hiérarchies sociales ainsi qu’à une réorganisation des rapports entre économies, États et sociétés, qui ne manqueront pas de se répercuter sur le quotidien et le bien-être collectif. Amorcée avec la première crise pétrolière de 1973 due à l’instrumentalisation politique et à la croissance exponentielle du prix de l’or noir, cette tendance dure désormais depuis 40 ans : elle vint se greffer sur des marchés internationaux déjà frappés par la fin unilatérale de la parité entre le dollar et l’or sanctionnée en 1946 à Bretton Woods. Pour la première fois on assista alors à ce qu’il convient d’appeler une « stagflation », présence concomitante des phénomènes de l’inflation et de la stagnation, accompagnée d’une croissance conséquente du chômage. Entre-temps il nous fut aussi donné d’assister à l’écroulement du mur de Berlin, à la mise en berne du drapeau soviétique au Kremlin et, chez nous, à « tangentopoli », scandale de corruption généralisée qui plongea l’Italie dans une véritable crise institutionnelle. La thématique abordée s’avère donc d’une actualité cuisante, dès lors que notre génération a vu s’alterner crises, renaissances, miracles, cataclysmes, apocalypses, pour ne citer que quelques exemples. Certains de ces événements ont même si gravement affecté la réalité qu’ils ont parfois donné lieu à la naissance de quelque chose de radicalement nouveau. Si, au tournant des années 70, l’art de la conjecture des « futuribles » ou des futurs possibles était de mise, tant la dureté et le prolongement de la guerre du Vietnam que 13
l’explosion à l’échelle mondiale du mouvement de mai 68 donnèrent à comprendre que les prémisses culturelles et scientifiques sur lesquelles ce modèle se basait demandaient à être revues. Aussi quotidiens et périodiques scientifiques se lancèrent-ils dans des pronostics sur la normalisation des relations internationales et sur la fin du conflit dans les sociétés industrielles avancées. Pour bon nombre d’entre nous, il ne fut pas aisé de reconnaître d’emblée la crise de passage survenue vers la moitié des années 70 avec son cortège de symptômes préfigurant certains phénomènes emblématiques de notre temps. Point de figures bibliques ou gréco-romaines, point de prophètes ou de devins. Pourtant, dans son analyse impitoyable des années 60, intitulée Le Nouvel État industriel, l’économiste libéral américain John K. Galbraith pointait déjà le doigt sur le pouvoir excessif des managers qui mirent à sac les ressources des entreprises en s’auto-octroyant des émoluments exorbitants, et que dénoncèrent les krachs et les crises bancaires aussi bien outre-Atlantique qu’en Italie. Dans une interview de 1976, l’éminent historien Fernand Braudel prenait acte, à son tour, de la croissance des économies asiatiques, de la Corée du Sud à Hong Kong en passant par la Malaisie et Singapore, qu’il identifiait comme une caractéristique du futur système-monde. Au début des années 70, l’historien et sociologue du développement Paul Bairoch voyait, lui, dans l’élargissement des marchés à l’échelle planétaire et dans l’application du chip électronique à la miniaturisation des mémoires des calculateurs les facteurs d’une nouvelle révolution productive et sociale. Quant à Alberto Caracciolo, il définissait la crise définitive de l’homo faber comme une mutation qui allait faire date et marquer indélébilement la société postindustrielle. C’est au début des années 80 enfin que Gabriele De Rosa s’inspira des conclusions d’études sur la Contre-Réforme et la société méridionale pour fournir un paradigme interprétatif du rapport entre global et local en tant que conflit entre le processus d’homologation des États contemporains et les résistances que les cultures et les sociétés locales étaient en mesure de leur opposer. Laura Marchesini évoque dans son catalogue la capacité d’« interpréter la réalité pour voir au-delà des apparences », capacité autrefois perçue comme un don offert par Dieu aux prophètes ainsi promus au rang de porte-parole de la volonté divine auprès des hommes. L’étude scientifique de la réalité consiste à supprimer les causes des angoisses collectives pour mettre au point des stratégies visant à se prémunir du futur. Or, l’homme s’obstine à faire la sourde oreille aux avertissements et rechigne à mettre en œuvre les moyens qui lui permettraient d’adopter des mesures préventives contre les catastrophes annoncées ou redoutées. Les études historiques menées au lendemain du séisme de l’Irpinia et de la Basilicate en 1980 eurent à cet égard le mérite de mettre en évidence le fait que les catastrophes et les grandes craintes collectives avaient, tout au long de l’époque moderne, 14
constitué autant d’occasions pour redéfinir les hiérarchies sociales et les instruments de contrôle social. À compter du XVIIe siècle il fut entrepris de réaliser d’importantes œuvres d’ingénierie hydraulique (voir les très célèbres Regi Lagni) susceptibles de prévenir des cataclysmes à l’image des inondations qui ont, ces derniers temps, fait systématiquement réapparition sur des territoires saccagés par la spéculation foncière, réduisant ainsi à néant tous les efforts auparavant déployés. Dès le retour des pluies torrentielles, le spectre menaçant des catastrophes naturelles n’a pas tardé à pointer son nez là où les cours d’eaux et les endiguements censés lutter contre les divagations de leur lit, ont subi une réduction drastique de leur taille au profit d’une expansion sauvage du bâtiment. Or, après les inondations de 1967 à Florence et ses environs, sous l’impulsion de Giuseppe Medici, l’Association nationale de l’assainissement traçait déjà les lignes directrices pour la régulation des eaux et la protection du sol. Cette initiative avait précédé de peu la naissance officielle de l’environnementalisme international, institué avec le Rapport sur les limites du développement publié en 1972 chez Club di Roma, lequel remettait en cause certains principes fondamentaux de l’organisation même de la production et des marchés capitalistes. La dialectique entre ces deux approches en matière de catastrophes environnementales (planification des prévisions et remise en état de territoires à risque d’une part, réformes économiques environnementales de l’autre) paralysa l’appareil de l’État et tout autre service, sans que l’on ait compris la nécessité d’intégrer ces deux perspectives. Comme le rappelle la directrice de l’exposition, qu’il s’agisse comme autrefois de prophétie divine ou comme aujourd’hui de prévision scientifique, celles-ci auraient leur rôle à jouer dans la suppression non seulement des angoisses et des craintes mais aussi des dangers réels. Dans les communes de la région de Modène, un sentiment d’impuissance est venu s’ajouter au drame des personnes et des familles touchées par le tremblement de terre. Au lendemain du tremblement de terre de 1980 un pas en avant avait été accompli : des documents exhumés des archives ecclésiastiques, communales, notariales et nobiliaires, où ils avaient dormi pendant des siècles, permirent d’établir le taux de sismicité des différentes zones. On s’est ainsi aperçu que la terre émilienne n’avait guère tremblé depuis plus de trois siècles, ce qui explique sans doute le choix de matériaux de construction précaires (briques). D’où, la nécessité d’étendre les monitorages géophysiques au-delà du zonage sismique officiellement reconnu. Et que dire de la guerre, catastrophe par excellence parmi toutes celles qui sont directement générées par l’homme, dont l’Europe fut épargnée par l’équilibre de la terreur dans les années de la « guerre froide » mais qui, après l’effondrement du mur de Berlin et la dissolution de l’U.R.S.S., est revenue frapper en force au seuil de nos portes ? Il ne nous est certes pas permis 15
de taire les événements liés à de tels épisodes. La fin du monde bipolaire, où l’éventuel déclenchement d’un conflit nucléaire se profilait comme une Apocalypse, fut définie comme la « fin de l’histoire » par l’analyste du gouvernement américain Francis Fukuyama, lequel interpréta l’effondrement de l’ « empire du mal » communiste comme l’avènement d’un monde pacifié. Or, il en alla tout autrement. Des conflits locaux (de véritables catastrophes territorialement circonscrites), se déchaînèrent et se déployèrent depuis les rives adriatiques jusqu’à l’Asie centrale en passant par le Golfe Persique. Les politologues occidentaux émirent même comme hypothèse l’éventuel mais non inéluctable effondrement soviétique ; on soutenait, en outre, que les démocraties dites populaires, bien que présentant toutes les caractéristiques d’une déflagration possible, n’étaient pas le moins du monde sujettes à voler en éclats en raison de la main de fer qu’exerçait Moscou sur ces pays. Aucune conjoncture ne fut moins prophétique. Après une mise à mal du régime communiste, contraint à une auto-occupation pour éviter l’intervention du Pacte de Varsovie, par un mouvement ouvrier non communiste en Pologne, le coup de grâce survint en 1989 lorsque les autorités hongroises se dérobèrent au contrôle et autorisèrent les Allemands de l’Est à traverser leur territoire pour rejoindre leurs proches en Allemagne fédérale. La contradiction fut si éclatante qu’elle déclencha le grand mouvement qui culmina avec l’abattement populaire du mur de Berlin : catastrophe pour certains, libération d’un cauchemar pour tous. Evénements de grande portée, dit-on, dont la survenue ne nécessita l’intervention d’aucun prophète, mais dont la prévision relevait assurément du domaine du possible. Vers la fin des années 70, en marge de nos activités didactiques de « précaires » de la faculté des Sciences politiques de l’Université La Sapienza à Rome, nous avions eu l’occasion de nous entretenir à ce sujet avec le professeur Renato Mori, ancien directeur des Archives historiques du Ministère des Affaires Étrangères. S’appuyant sur les propos échangés avec des diplomates venus des quatre coins du monde et sur la lecture de la presse internationale, Mori échafaudait des lignes interprétatives laissant présager l’effondrement de l’URSS ainsi que la crise catastrophique des régimes du real socialisme. Il était surprenant que cet expert formé à la solide école libérale empruntât la méthode analytique développée au sujet de l’État militaire américain, providentialiste s’il en est, par le sociologue marxiste James O’ Connor dans La crise fiscale de l’État, pour l’appliquer, mutatis mutandis, à l’U.R.S.S. Il emphatisait toutefois et l’incluait parmi ses causes l’influence qu’exercerait dans l’effondrement russe l’éveil de l’Islam, à propos duquel il avait entamé des réflexions après 1973 et avant la révolution iranienne, considérant comme illusoire la perspective d’occidentaliser des sociétés à forte composante islamique. Il pensait même – et force est de le constater aujourd’hui – que la renaissance islamique aurait des incidences dans des pays comme la Turquie ou l’Algérie, où les régimes mili16
taires avaient produit des bourgeoisies qui tentaient de les laïciser. En conclusion, la phase que nous sommes en train de traverser, exempte de cataclysmes et d’apocalypses mais caractérisée par des mouvements de haut en bas et en zigzag, ne porte en elle aucune menace de fin du monde, mais certainement celle de la fin d’un monde : voici 40 ans qu’elle parachève sa réalisation. À notre insu, certains piliers de l’histoire contemporaine sont venus à disparaître définitivement. Le premier, évoqué à maintes reprises par Laura Marchesini, porte sur la conception linéaire et téléologique de l’histoire : cumulant des conquêtes innovantes à travers des phases successives, l’humanité s’achemine vers un point final ; le second concerne la fin de l’idée de progrès, en ce qu’une phase historique représente toujours et malgré tout une avancée civilisationnelle vis-à-vis de la précédente ; le troisième raconte l’apport de la recherche scientifique et de l’innovation technologique qui entraînent des effets libérateurs pour l’humanité ; le quatrième évoque l’avancée de l’histoire vers une élimination progressive de la violence dans les relations entre formations et groupes sociaux ; le cinquième enfin établit une correspondance entre croissance culturelle et pacification entre peuples et États. Face à cela, une éventuelle catastrophe – annoncée par la détérioration des changements environnementaux et climatiques – finirait par avoir des effets encore plus destructeurs et dévastateurs que ceux dus à la guerre. Partout dans le monde ne cessent de voir le jour des mouvements convaincus qu’ « un autre monde est possible » : et nouveauté importante, ces mouvements ne s’en remettent pas qu’aux seuls choix dictés par l’autorité, ils mettent en œuvre nombre d’initiatives qui voient des personnes et des groupes s’engager à améliorer leur parcelle de planète. De même que dans le Guernica de Picasso, apocalypse d’un bombardement défigurant les physionomies, les corps, les édifices, les animaux et les personnes, la fleur éclose dans la main tranchée serrant l’épée brisée symbolise la renaissance de la vie, de même dans la tragédie du 11 septembre 2001, l’espoir se niche au creux d’une lettre d’amour retrouvée sous les décombres et qu’adresse une employée à son bien-aimé italien. Et grâce à ce témoignage,il a été possible de les joindre, les rassurer et leur permettre de vivre leur amour.
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Fine o Rinascita ? Laura Marchesini
Pourquoi une exposition sur la fin du monde ? Fine o Rinascita ? 2012-2013. Le titre de ce catalogue s’inspire des peurs eschatologiques qui reviennent en force à l’aube de la désormais trop célèbre date du 21 décembre 2012, jour où, selon la prophétie Maya, le monde serait destiné à disparaître. La fatidique prédiction vient s’insérer en toile de fond, du moins pour l’Occident, d’une profonde crise économique, sociale et politique qui impose à tous, défenseurs comme détracteurs de la prophétie, de s’interroger sur ce que nous réserve l’avenir. Sommes-nous bel et bien en train d’assister à la fin définitive de « notre monde » ou à une simple transition vers le début d’un nouveau cycle ? Et ce que nous croyons être la fin ne serait-elle pas qu’un brusque changement de direction ? Loin de prétendre à une analyse exhaustive, ce catalogue se veut – à partir d’un phénomène aussi contemporain que la diffusion de cette croyance – attirer l’attention sur les concepts universels de fin et de renouveau pour en décliner quelques acceptions par le biais d’œuvres d’art. L’iconographie des œuvres ne constitue qu’un prétexte pour aborder des thématiques et des sujets qui seront respectivement examinés dans la double perspective de fin et de renaissance. L’œuvre d’art devient, en l’occurrence, l’image, la personnification de la fin du monde, où monde ne se réfère pas à la Terre dans son entièreté mais à la réalité telle que nous la connaissons et telle que nos sens nous autorisent à l’appréhender ou simplement à l’imaginer. En effet, l’image se présente comme la synthèse d’une interprétation du monde, laissant aux sens de ne percevoir qu’une réalité parmi toutes les réalités possibles. Les œuvres tant sacrées que profanes – dessins, peintures et sculptures qui s’échelonnent du XVIIe siècle à nos jours – constituent la pierre 19
angulaire de l’ouvrage et sont classés par sujets en sept chapitres : Connaître le futur La catastrophe comme Fin. La catastrophe comme Renaissance La mort de l’individu, le salut pour l’humanité Mourir à la vie terrestre pour renaître à la vie spirituelle ou encore le triomphe de la chasteté, source d’indépendance La vie, la mort L’homme artisan de sa propre fin : destructeur / constructeur / destructeur ? Crise ou Apocalypse. La nature intrinsèque de l’œuvre d’art, susceptible d’une interprétation polysémique (histoire, histoire de l’art, histoire de la religion, iconographie, iconologie), permettra d’aborder le sujet sous ses différentes facettes, à travers le prisme d’une lecture forcément subjective de l’histoire de la fin et de la re-naissance.
L’ampleur d’un thème, les frontières circonscrites d’une recherche : prémisses méthodologiques Ce petit opuscule ne prétend pas à l’exhaustivité de l’analyse des sujets abordés. Pour des raisons contingentes, la narration se caractérise par une connotation subjective et partiale des observations. Subjective, car, pour organiser son texte, l’auteur a privilégié une seule grille de lecture parmi toutes celles auxquelles pouvait donner lieu le sujet. Partiale, en ce que l’analyse systématique et complète de concepts cruciaux et universels pour l’Humanité déborderait inévitablement de l’objectif du présent catalogue, qui reste celui d’ « interroger » et de « faire interagir » l’art du passé et du présent avec des thèmes au cœur du débat contemporain. Dans le souci de prendre à témoin notre présent, nous avons aussi confié le soin à Antonio Parisella, professeur d’histoire contemporaine de l’Université de Parme, de rédiger l’avant-propos de ce catalogue. Que le lecteur ne nous tienne pas rigueur – ou peut-être même nous en saura-t-il gré – de ce que nous ne pouvons ici retracer la discussion critique dans son ensemble, fort intéressante mais complexe, sur l’eschatologie. Notre discours se contentera donc de graviter autour de quelquesunes des plus passionnantes études en la matière, lesquelles ont sti20
mulé nos réflexions et fourni matière à la construction de notre énoncé. Nous avons notamment puisé dans le livre de Frank Kermode, The sense of an Ending. Studies in the Theory of Fiction (1966), qui examine, à travers l’exemple du genre romanesque, le besoin humain de donner un sens à la fin et de tirer un sens de la fin. Par ailleurs, la partialité de cet ouvrage tient aussi à la disponibilité des œuvres sur le marché de l’art. Pour un antiquaire, la difficulté de repérage du matériel influe sensiblement sur l’approche et le développement du thème qui l’intéresse, alors que le directeur d’une exposition de musée dispose, lui, d’un vaste patrimoine susceptible de s’enrichir grâce à un réseau très étendu d’institutions ou de particuliers enclins à prêter leurs œuvres. Il n’en reste pas moins qu’en dépit de ces prémisses contraignantes, une recherche constante et méditée a sans conteste sous-tendu la sélection des œuvres exposées, conditions sine qua non à la construction de notre discours eschatologique, visant entre autres à soulever des questionnements chez le lecteur sensible, appelé – pourquoi pas ? – à s’exprimer sur des thématiques qui nous tiennent tous à coeur.
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I. Connaître le futur
1. Oniromancie Depuis la nuit des temps l’homme s’est efforcé de connaître le futur, tant pour combattre l’angoisse éprouvée face à l’inconnu que pour tenter d’orienter au mieux ses choix. Dès l’Antiquité, toutes les cultures ont inventé et élaboré des systèmes leur permettant de prédire le futur. Il s’agit d’ordinaire de rituels prévoyant l’intermédiation de figures initiées à des pratiques magiques, tels les devins, les sibylles, les cartomanciennes. Autant de personnes qui, par leur sensibilité aiguisée et leur connaissance mystérique, entrent en contact avec la divinité laquelle, si elle est opportunément interrogée, répond aux questions de l’Humanité assoiffée de connaissance1. Cette tradition longue et complexe de divination accorde un rôle prééminent à l’oniromancie, soit l’art de prévoir le futur par l’interprétation des rêves. Présente dans toutes les cultures antiques, cette discipline voit dans les songes le moyen par lequel la divinité délivre des messages à l’Humanité. De par sa nature, le rêve s’avère être une voix brouillée car il se soustrait aux lois de la narration et de la rationalité. D’où, la nécessité d’une interprétation. La révélation de son sens profond est donc indissociable de la communication divine, comme en témoigne notamment l’Ancien Testament. Dans la Bible, Dieu décide maintes fois de communiquer avec son peuple par le biais des rêves et le secours d’intermédiaires aptes à les interpréter2.
G. Minois, Storia dell’avvenire. Dai profeti alla futurologia, Bari, 2007, pp. 9-11.
1
L. Sebastiani, Nella notte mi istruisci. Il sogno nelle sacre scritture, Villa Verucchio, 2007, pp. 5, 7, 47.
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Parmi les dépositaires les plus illustres et les plus importants de ces messages divins figure le patriarche Joseph. Onzième et avant-dernier fils de Jacob, Joseph fit montre, dès son plus jeune âge, d’une grande familiarité avec les songes, à travers lesquels le Seigneur lui dévoilait les événements futurs de sa vie. Fils préféré de Jacob, le jeune et bon Joseph finit par susciter la jalousie de ses frères envieux de la profonde affection que lui portait leur père. Par immodestie ou par naïveté, un jour Joseph, gardant les troupeaux avec ses frères, leur fit part d’un songe qui les voyait tous prosternés devant lui. Toujours est-il que sous le coup de la colère, les frères aveuglés par la jalousie décidèrent de le supprimer, même si pour finir ils l’assommèrent et le vendirent comme esclave au marchand égyptien Putiphar. Ce dernier, devant la fraîcheur, la beauté, la générosité, mais aussi les compétences de Joseph, lui confia alors l’administration de sa demeure, l’exposant par là aux visées concupiscentes de sa femme. Fidèle à son maître, Joseph sut repousser les avances de la séductrice qui, blessée par l’affront subi, n’hésita pas un seul instant à l’accuser de violence charnelle ni à le faire jeter en prison où son destin allait précisément s’accomplir. En effet, il se vit rejoindre dans sa geôle par l’échanson et le panetier du pharaon mis aux arrêts pour avoir irrité le souverain. Or, un beau matin, angoissés par un songe qu’ils ne savaient s’expliquer, ils le racontèrent sur l’insistance de Joseph qui, accoutumé aux messages oniriques, prédit la pendaison du fournier et le retour à la cour de l’échanson. Trois jours plus tard, la prédiction se réalisa. Deux années s’étaient désormais écoulées lorsque le pharaon eut un songe : « Et voici que du fleuve montaient sept vaches belles et grasses […] Et derrière elles, sept autres vaches laides et décharnées » qui les dévorèrent à l’improviste. Puis le Pharaon fit un second songe et vit que « sept épis pleins et beaux poussaient sur une même tige, puis que sept épis maigres et brûlés par le vent d’Orient germaient après ceux-là. Et les épis maigres engloutirent les sept épis pleins et beaux »3. Fort troublé, le pharaon convoqua tous les devins du royaume, mais aucun d’eux ne sut interpréter le songe. C’est alors que l’échanson parla de Joseph au souverain qui le fit mander. Après avoir écouté le récit, Joseph répondit : « le songe de Pharaon est un. Dieu a montré à Pharaon ce qu’Il va accomplir […]. Voici, sept
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Genèse, 41, 1-7
années de grande abondance vont venir dans toute l’Égypte, puis leur succéderont sept années de famine et l’on oubliera toute l’abondance dans le pays d’Égypte, car la famine consumera le pays » à l’exemple des vaches maigres et des épis brûlés qui ont dévoré et consumé les vaches grasses et les épis gorgés de soleil. Joseph fut ensuite élu gouverneur de toute l’Égypte et se chargea d’emmagasiner les vivres en prévision des prochaines années de famine4. Le tableau du peintre napolitain Francesco Guarino représente Joseph le patriarche en demi-figure, penché vers l’avant, la main serrant sept épis de blé tendue vers l’observateur (fig. 1)5. Le jeune et beau patriarche montre les épis que Dieu a envoyés en songe au pharaon et qui sont à la fois la marque de la bienveillance divine qui lui a été octroyée et de l’accomplissement de son destin. En arrière-plan en haut, à droite, se dessinent en profil sur un nuage sept gerbes de blé symbolisant les sept années de prospérité prédites par le jeune homme. Joseph est richement vêtu d’une tunique ocre retenue sur l’épaule par un bijou indiquant le haut rang et le prestige conquis. Son visage jeune et plein révèle toute la palette propre à Guarino qui passe du rose pâle au rose sanguin, tranchant avec les touches de vert indiquant les parties en pénombre. Le jeu de lumière n’éclairant qu’un côté du personnage s’inspire clairement du Caravage, jeu toutefois adouci sous l’influence de peintres comme Ribera, Battistello et Caracciolo. C’est en ces termes que Lattuada décrit la peinture de l’artiste : « Un goût pour les contours effilés du dessin, respectés par un trait de pinceau précis et plein – étendu lentement et souvent retouché à sec – rapproche Guarino des artistes de la dernière période italienne de Simon Vouet, et rappelle bien des aspects du style vibrant et rigoureux de la maturité d’Aniello Falcone. […] ». Pour Guarino, « ce sont les demi-figures qui créent d’extraordinaires occasions de portraits idéalisés, où l’héroïsme de martyrs chrétiens est réévoqué par des images féminines comme Agate, Agnès, Catherine, d’une modernité quasi inégalée dans la peinture italienne du XVIIe siècle »6. Le portrait de Joseph peut donc lui aussi se ranger sous cette catégorie.
Genèse, 36-41.
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Francesco Guarino (Solofra, 1611 – Gravina in Puglia, 1651), Joseph le patriarche, huile sur toile, 80 x 50 cm ; œuvre inédite ; l’attribution est due au prof. Nicola Spinosa que nous remercions.
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R. Lattuada, Francesco Guarino da Solofra. Nella pittura napoletana del Seicento (1611-1651), Naples, 2000, p. 53-54.
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fig. 1 Francesco Guarino (Solofra, 1611 – Gravina in Puglia, 1651), Joseph le patriarche, huile sur toile, 80 x 50 cm.
Le jeune âge du modèle et sa chevelure abondante tombant sur les épaules lui donnent un air presque efféminé, et plongent un court instant l’observateur dans l’ambiguïté de l’identification du sexe, n’étaitce pour le bâton de patriarche que Joseph tient dans sa main gauche. 26
2. Prophétie Dieu ne recourt pas aux seuls songes pour communiquer avec l’humanité. La prophétie, par exemple, occupe une place de choix. La vraie prophétie est un don de Dieu permettant aux hommes d’interpréter la réalité pour voir par-delà les apparences. Songes et prophéties divines répondent alors au besoin et au désir de l’homme de connaître son futur, mais leur fonction, dans le judaïsme et le christianisme, est fondamentalement différente comparée aux autres cultures antiques comme la culture gréco-romaine. Dans la Bible, ce n’est pas l’homme qui stimule la réponse divine, par des rites et des pratiques magiques ; elle se manifeste spontanément selon une volonté supérieure. Dans l’univers biblique, c’est Dieu qui cherche l’homme : le message divin précède l’initiative humaine7. D’où, l’importance de la figure de médiateur élue par Dieu, de l’interprète des rêves comme dans le cas de Joseph, du porte-parole de la prophétie comme dans celui d’Isaïe. Tout en cultivant la vision, une pratique très proche du songe allégorique comme celui du pharaon, le prophète arrive peu à peu à discréditer la valeur de l’activité onirique qu’il considère comme une révélation secondaire en ce qu’elle peut mettre aussi à contribution les païens8. En revanche, l’autorité de la prophétie participe de la considération de son porte-parole, du prophète9 qui joue un rôle fondamental au sein de la communauté, puisqu’il représente une réaction à l’égard de la tendance dominante. Promettre des catastrophes en des temps paisibles et inversement. D’origine souvent humble, il s’emploie à critiquer le fonctionnement des relations politiques et sociales et à annoncer leur bouleversement au profit d’un ordre conforme au dessein divin. Toute société produit des prophètes, garants de l’équilibre du groupe dont ils expriment et maîtrisent les insatisfactions. Par conséquent, la prophétie ne dévoile pas systématiquement des événements à venir. Elle se limite parfois à traduire une volonté divine. Néanmoins, notre culture privilégie l’acception de son rôle prémonitoire, si bien qu’aujourd’hui le verbe « prophétiser » équivaut à
A. Neher, L’essenza del profetismo, Casale Monferrato, 1984, p. 82
7
L. Sebastiani, Nella notte mi istruisci. Il sogno nelle sacre scritture, Villa Verucchio, 2007, pp. 63, 65, 118, 121-122.
8
M. Weber, The Sociology of Religion, Boston 1922, p. 46 ; N. Novello, Sotto una stella umana, dans Apocalisse. Modernità e fine del mondo, sous la direction de N. Novello, Naples, 2008, pp. XVII-XXXIV, à p. XVIII.
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fig. 2 Giovanni Maria Viani (Bologne, 1636 – 1700), (attribué à), Le prophète Isaïe, huile sur toile, 78 x 105 cm
présager. Cette fonction devenue pour ainsi dire « première » offre à la prophétie le pouvoir d’orienter la politique. Aux dires de Minois, il n’est de « moyen plus sûr que la certitude d’une prophétie d’origine divine dûment certifiée » pour avoir un impact psychologique favorable à une victoire ?10 Le prophète le plus étudié sur le plan du prophétisme politique dans la Bible est Isaïe11, tenu pour l’auteur de l’un des textes prophétiques les plus beaux des Saintes Écritures. C’est pourquoi, les arts figuratifs lui ont souvent accordé beaucoup d’intérêt et l’ont inscrit à l’intérieur des cycles vétérotestamentaires, dont faisait probablement partie cette toile fascinante attribuée à Giovanni Maria Viani (fig. 2) 12.
G. Minois, Storia dell’avvenire. Dai profeti alla futurologia, Bari, 2007, pp. 26, 31.
10
A. Neher, L’essenza del profetismo, Casale Monferrato, 1984, p. 181.
11
Giovanni Maria Viani (Bologne, 1636 – 1700), (attribué à), Le prophète Isaïe, huile sur
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La grande précision du dessin d’inspiration bolonaise, donnant corps à une certaine vigueur physique du prophète, s’accompagne dans ce tableau d’une recherche minutieuse des effets de lumière. L’intention édifiante et narrative du sujet, à la composition très simple, repose totalement sur les attributs auxquels le peintre attache grande importance. Derrière le prophète vêtu « à l’orientale » se dresse un putto montrant une scie. L’outil nous rappelle qu’Isaïe fut scié en deux après avoir suscité la colère du roi Manassé. En effet, impie et idolâtre, le souverain, las des reproches adressés au sujet de sa conduite, avait fait exécuter Isaïe en 700 avant J.-C.13. L’attribut rafraîchit donc la mémoire du fidèle sur le rôle clé d’Isaïe dans la politique de l’époque, rôle que Dieu lui avait confié et qui lui avait coûté la vie. Jusqu’alors, quand les prophètes interpellaient les souverains, ils s’attachaient à leur personne, jugeaient leur caractère et non pas leurs actions politiques. Isaïe, lui, critique leurs choix stratégiques, introduisant ainsi un changement radical : Dieu, par l’entremise du prophète, s’ingère dans la politique de l’État hébraïque14. Mais si Isaïe est une figure phare du Christianisme, c’est aussi pour une autre raison que nous dévoile le rouleau de papier déroulé par le prophète : Dominus ab utero Vocavit me Isaia 49 15 Par ces vers tirés de son livre, le prophète introduit l’idée, annoncée par Jérémie (Isaïe, 42, 1-7, ; 49, 1-6; 50, 4-9; 52, 13-53), de l’arrivée d’un Messie individuel et n’appartenant plus à aucune dynastie. Ce sauveur ne se limitera pas à délivrer le peuple d’Israël, son action
toile, 78 x 105 cm ; œuvre inédite. L’attribution a été suggérée par Michele Danieli (communication écrite du 20 juin 2012), que nous remercions. M. Bocian, I personaggi biblici. Dizionario di storia, letteratura, arte, musica, Casal Monferrato 1991, ad vocem.
13
A. Neher, L’essenza del profetismo, Casale Monferrato, 1984, p. 181.
14
Quand le Seigneur m’a appelé J’étais encore dans les entrailles de ma mère Isaïe 49 (Isaïe, 49, 1)
15
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s’étendra jusqu’aux extrémités de la Terre16, annonçant ainsi l’arrivée du Christ. D’après Isaïe, le peuple se divisera : certains trouveront la mort, d’autres la vie, l’humanité élue resurgira d’un seul peuple17. C’est de cette image que découle la force de la prophétie d’Isaïe18. Les destructions provoquées par Dieu se veulent, par conséquent, des épreuves, des mises en garde nécessaires au redressement moral voulu par le Seigneur19. Ce n’est pas dans la catastrophe finale, dans l’Apocalypse que se trouve le salut, mais au sein même de Histoire. Seuls quelques élus, les justes, survivront aux épreuves incessantes.
Isaïe, 49, 6
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Isaïe, 6, 13
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A. Neher, L’essenza del profetismo, Casale Monferrato, 1984, p. 184.
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A. Lods, Le prophètes d’Israël et les débuts du judaïsme, Paris, 1950, pp. 70-74.
II. La catastrophe comme Fin. La catastrophe comme Renaissance
1. Le temps narratif et la catastrophe En Occident, la conception du temps suppose un développement narratif qui découle de la structure d’un des ouvrages fondateurs de notre civilisation, la Bible. Le Texte Sacré commence, en effet, par une création, la Genèse, et s’achemine vers une fin, l’Apocalypse1. Les Saintes Écritures introduisent, par là, une conception linéaire du temps, contrairement à la conception cyclique du temps de la culture gréco-romaine par exemple2, selon laquelle le temps suit le cycle naturel des saisons qui, chaque année, ramène au point de départ. En revanche, pour les chrétiens, le temps s’écoule le long d’une ligne jalonnée d’éléments salvateurs et conduit moins vers un renouveau que vers une fin ultime de la vie sur Terre, dont l’image terrifiante est confiée au texte de l’Apocalypse. Bien que le terme signifie en réalité Révélation, la pensée commune associe au mot Apocalypse le sens de destruction totale se traduisant par d’immenses bouleversements naturels menant à la fin du monde. L’homme occidental ne peut donc s’empêcher de concevoir le temps selon ce schéma narratif, qui le prédispose à attendre la Fin. Nous serions presque tentés de conjuguer le verbe au passé, prédisposait. Cependant le récent regain d’intérêt pour l’éventuelle fin imminente du monde prophétisée par les Mayas, ne peut que tempérer notre
E. Weber, Apocalissi. Culti attese e profezie, Cernusco (Mi), 2000, p. 256.
1
A. Placanica, Segni dei tempi. Il modello apocalittico nella tradizione occidentale, Venise, 1990, p. 58, cfr. Eliade, Trattato di storia delle religioni, Turin, 1976 ; M. Weber, La sociologia della religione, Milan, 1982, II, pp. 369-370.
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optimisme. Mais là n’est pas le moment de s’y attarder…. Nous y reviendrons plus avant, à la fin justement ! Il convient, en tout cas, de rappeler que dans l’Antiquité les grands événements naturels étaient porteurs d’un signe strictement historique et que tout grand fait historique était annoncé par des signes avant-coureurs et l’avènement d’une catastrophe, « car la loi divine présidant à l’histoire et la nature est une et une seule »3. À la différence de l’Homme primitif qui voyait dans tout événement de l’Univers la manifestation d’une volonté divine, l’Homme moderne se trouve, en un certain sens, plus désarmé devant les calamités. Les premiers signes d’un net changement de mentalité nous sont parvenus par le biais des écrits du siècle des Lumières, rédigés lors des séismes tragiques de Lisbonne de 1755 et de Messine de 17834. À ce propos, Giacomoni avance que « l’acceptation du changement dans le corps de la nature transpose la catastrophe du domaine du possible à celui de l’inéluctable »5. Les explications religieuses laissent les consciences sur leur faim. Quant à la science, elle a paradoxalement brouillé les pistes conduisant à la connaissance et à la compréhension de l’Univers6 et laissé ouverte la question de la fonction/explication de la catastrophe. Vu l’écoulement linéaire du temps, Augusto Placanica soutient par exemple que la catastrophe n’est autre que le « fil conducteur » qui, par phases et par degrés, mène à la fin du monde7. En effet, l’Homme interprète la catastrophe comme la préfiguration de l’Apocalypse et comme la représentation symbolique du besoin de donner un sens accompli8 à sa propre existence. La catastrophe
A. Placanica, Segni dei tempi. Il modello apocalittico nella tradizione occidentale, Venise, 1990, p.32.
3
Cfr. Voltaire-Rousseau-Kant. Sulla catastrofe. L’illuminismo e la filosofia del disastro, sous la direction deTagliapietra, Milan, 2004 ; A. Placanica, Il filosofo e la catastrofe. Un Terremoto del Settecento, Turin, 1985.
4
P. Giacomoni, Immagini della catastrofe, dans La terra trema. Catastrofi Terremoti tsunami dalle stampe della collezione Kosák, cat. exposition Trente, Palais des Albere Musée d’art moderne et contemporain de Trente et Rovereto, 10 juin-24 juillet 2005, sous la direction de P. Giacomoni, Rovereto, 2005, p. 13-31, a p. 19.
5
G. Minois, Storia dell’avvenire. Dai profeti alla futurologia, Bari, 2007, p. 44.
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A. Placanica, Segni dei tempi. Il modello apocalittico nella tradizione occidentale, Venise, 1990, p. 31.
7
A. Tagliapietra, Catastrofe e Apocalisse. Le figure del disastro e la fine di tutte le cose, dans La terra trema. Catastrofi Terremoti tsunami dalle stampe della collezione Kosák, cat. exposition Trente, Palais dels Albere Musée d’art moderne et contemporain de Trente et Rovereto, 10 juin - 24 juillet 2005, sous la direction de P. Giacomoni, Rovereto,
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annonce la fin et le moment où toute chose trouvera enfin un sens. Frank Kermode affirme que « si l’on considère le monde, conformément à la matrice de la culture et de la foi judéo-chrétiennes, comme une œuvre, comme le fruit d’un créateur, alors cette même œuvre bénéficie du principe poétique conférant à toute œuvre un sens, celui qui harmonise le début avec la fin »9. Comme pour le dénouement d’un récit, tout se meut inexorablement d’un début vers une fin si l’on veut y trouver un sens. Weber suggère même que « en inscrivant la souffrance humaine dans un contexte cosmique, comme partie d’un ordre global contenant la conclusion, la catastrophe s’en trouve ennoblie, douée d’un sens et partant, supportable »10. 2. Le Déluge Universel « J’exterminerai de la face de la Terre l’homme que j’ai créé, et avec lui le bétail, les reptiles et les oiseaux des cieux, car je me repens de les avoir faits. […] Un déluge j’enverrai ». Et se tournant vers Noé, l’Éternel dit : « Entre dans l’arche avec toute ta famille car je t’ai vu comme juste devant moi »11. Outre la culture hébraïque, le thème du déluge, synonyme de catastrophe, a abondamment nourri nombre de cultures antiques. Les « mythes de l’eau », autrement dit les cataclysmes purificateurs provoqués par les eaux, abondent dans les traditions culturelles du monde entier, à commencer par celle des Suméro-Babyloniens, voire celles qui ne sont aucunement rattachées aux origines eurasiatiques telle la culture des Amérindiens. Les anthropologues tiennent le mythe du déluge pour l’un des plus universels de l’histoire de l’humanité, en ce qu’il repose sur l’idée que l’homme, par ses actes, menace sans cesse de déstabiliser le fragile équilibre qui le lie à la nature. Pour preuve, le mythe babylonien raconte que les vicissitudes humaines ont plongé le monde dans un tel chaos qu’il ne reste plus qu’à le submerger par les eaux. L’humanité post-diluvienne ne ressemble
2005, p. 33-53, p. 40. F. Kermode, Il senso della fine. Studi sulla teoria del romanzo, Milan, 1972, p. 10.
9
E. Weber, Apocalissi. Culti attese e profezie, Cernusco (Mi), 2000, p. 256.
10
Genèse, 6-7.
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en rien à celle qui précéda le déluge, car l’individu sauvé est un demi-dieu, un héros. Le déluge de la mythologie grecque procède d’un schéma identique : il met en scène deux êtres humains, Deucalion et sa femme Pyrrha, sauvés des eaux envoyées par Zeus dotant leur descendance d’une nature surhumaine. Par contre, le déluge biblique épargne un homme, Noé, et sa famille12. La catastrophe diluvienne n’interrompt donc pas l’histoire, mais s’apparente à une sorte de passage étroit, celui-là même dont avait parlé le prophète Isaïe et que l’Humanité doit traverser pour pouvoir Renaître. L’iconographie chrétienne de l’Occident s’empare très tôt de la thématique diluvienne, comme en témoignent de nombreuses compositions picturales dans les catacombes. Néanmoins, dès la Renaissance, la représentation du déluge, en vertu de sa profonde signification théologique, privilégie l’arche de Noé et la symbolique qui voit en lui une préfiguration du Christ, associant l’arche à la croix et à l’église, l’eau au baptême et l’arc-en-ciel à l’alliance entre Dieu et son peuple. Le vent commence à tourner lorsque Paolo Uccello peint sa fresque entre 1425 et 1430 dans l’église de Santa Maria Novella, à Florence. Pour la première fois la représentation des eaux sillonnées par l’arche est supplantée par l’inondation où les hommes, survivant quelques instants encore au déluge, cherchent désespérément un refuge et le salut en s’agrippant à ce qui les entoure. Cette œuvre ouvre de nouvelles pistes d’investigations artistiques sur le thème et concentre sur l’homme et son châtiment l’iconographie du cataclysme premier, hissé au rang de paradigme de toutes les calamités naturelles13. L’huile sur toile de Pier Dandini (fig. 3) 14 reflète pleinement cette conception. En effet, il ignore l’Arche et bien plus encore l’arc-en-
Neher, L’essenza del profetismo, Casale Monferrato, 1984, p. 113 ; Cfr. aussi Il diluvio universale, catalogue de l’exposition Trente Musée des Sciences Naturelles de Trente, décembre 1999 - janvier 2000, Trente, 1999.
12
S. Wuhrmann, R. Cariel, “Diluvio e sua dimostrazione in pittura” : les enjeux artistiques du déluge, dans Vision du déluge de la Renaissance au XIXe siècle, cat. exposition Dijon, Musée Magnin, 11 octobre - 10 janvier 2007, Paris, 2006, pp. 10-14.
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Pietro Dandini (Firenze, 1646 – 1712), Déluge Universel, huile sur toile, 67 x 93 cm ; nous remercions Mme le Professeur Mina Gregori pour la rédaction de l’expertise ; pour une vue d’ensemble, voir : F. Baldassari, La pittura del Seicento a Firenze. Indice degli artisti e delle loro opere, Turin, 2009 ; F. Baldassari, Dipinti fiorentini del Seicento e Settecento, Padoue, 2007.
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fig. 3 Pietro Dandini (Firenze, 1646 – 1712), Déluge Universel, huile sur toile, 67 x 93 cm
ciel. La construction de la scène, respectueuse de la description de la Genèse, semble vouloir représenter deux mouvements opposés : le mouvement descendant de la chute de la pluie et le mouvement ascendant de la montée des eaux. Le niveau des abysses a déjà dépassé la ligne médiane de l’horizon, tandis que la pluie s’abat sur l’Humanité désarmée et prise au dépourvu. Le fond gris est traversé de touches de pinceau qui, telles des griffes, redessinent le ciel d’une humeur capricieuse et terrifiante. Le vent chargé de malheur souffle, il souffle dans toutes les directions et précipite vers le bas, vers sa fin, une humanité indigne. Les personnages tentent de se hisser vers le haut et cette ascension désespérée des corps rappelle l’ascension aussi corrompue et désordonnée que leur vie dissolue frappée par les foudres divines sans aucune chance de salut. 35
Dans le chaos des gestes convulsés, la composition semble remplir l’une des fonctions primordiales de l’art, celle de la représentation des émotions. Ainsi la rapidité de réalisation amplifie-t-elle « l’expressionnisme » de l’œuvre, où les sentiments se traduisent par des gestes amples et désarticulés. Le déluge préfigure les ultimes instants de l’humanité au bord de l’anéantissement15. Si Pier Dandini est encore loin des thèmes chers au romanticisme, qui attribuait à la catastrophe une valeur esthétique comparable à l’expression du sublime16, le spectateur moderne, quant à lui, n’est plus à convaincre. La catastrophe suscite en lui à la fois répulsion et attraction. Le spectacle de la puissance de la nature qui se déploie sous ses yeux, le subjugue et l’effraie tout autant qu’il le fascine et le séduit. 3. Les eaux se referment sur les Égyptiens La catastrophe synonyme de fin de l’humanité corrompue d’une part et la Renaissance des élus d’autre part introduisent le thème du deuxième tableau de ce chapitre. La mise en scène du déluge entend souligner non seulement l’Alliance offerte par Dieu à son peuple, mais encore l’acceptation de ce peule s’inclinant devant les lois imposées d’en haut. Le personnage clé, dépositaire des lois et à travers lequel se renouvelle l’alliance, est Moïse à qui Dieu remit les tables des dix commandements. Moïse est un Hébreux né en Égypte et abandonné, peu après sa naissance, dans un couffin d’osier sur les eaux du Nil par sa mère à la suite de l’ordre du pharaon de faire éliminer tous les nouveau-nés mâles issus de familles juives. Trouvé par la fille du pharaon, Moïse vit à la cour, d’où il s’enfuit après avoir tué un contremaître égyptien qui s’acharnait contre un esclave hébreux. Appelé par le Seigneur pour libérer son peuple de l’esclavage, Moïse revient en Égypte pour demander au pharaon d’affranchir ses frères hébreux. Le
S. Wuhrmann, R. Cariel, “Diluvio e sua dimostrazione in pittura” : les enjeux artistiques du déluge, dans Vision du déluge de la Renaissance au XIXe siècle, cat. exposition Dijon, Musée Magnin, 11 octobre - 10 janvier 2007, Paris, 2006, p. 10-14, a p. 12.
15
Dans le livre II du De Rerum natura, Lucrezio réfléchissant au thème de la fascination que l’homme éprouve devant la catastrophe écrivait : « Qu’il est doux, lorsque, sur la haute mer, les vents agitent les flots, d’assister de la Terre aux rudes épreuves d’autrui : non que cette souffrance soit un plaisir si grand, mais qu’il est doux de voir à quels maux on échappe » ; cfr. A. Le Brun, Perspective dépravée. Entre catastrophe réelle et catastrophe imaginaire, Bruxelles 1991 ; P. Morton D., The Apocalyptic Sublime, New Haven, Londres, 1986.
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refus péremptoire et obstiné du pharaon provoquera la colère de Dieu qui enverra les dix plaies sur la Terre d’Égypte. Seule la dernière, où la mort fauchera tous les premiers nés des familles égyptiennes dont le fils aîné du pharaon, convaincra ce dernier à laisser partir le peuple d’Israël. Cependant, furieux et revenant sur sa parole, il lancera son armée à la poursuite des Hébreux. L’Éternel intervient alors une nouvelle fois au secours de son peuple et ouvre les eaux de la Mer Rouge pour laisser passer les Hébreux pourchassés par les soldats égyptiens. Telle est la scène que Giuseppe Romani dépeint et raconte dans son tableau (fig. 4) 17 aux dimensions impressionnantes. Dans une perspective peu convaincante mais qui, néanmoins, rend bien l’idée de la contemporanéité des événements, le pharaon et son armée sont engloutis sous les eaux tumultueuses gouvernées par la providence divine. Toute la scène s’articule autour d’une diagonale suivant une ligne imaginaire qui, partant du bras du pharaon au bord de la noyade, descend jusqu’au pied du personnage féminin vu de dos au premier plan à gauche. La catastrophe pèse sur les hommes : le fond se noie, lui aussi, dans l’obscurité verte et bleu nuit et le ciel se fondrait dans l’eau, si la douceur et l’arrondi des nuages ne venait pas contrebalancer les profils des flots marins aiguisés comme des lames. Les Hébreux à l’abri en bas à gauche semblent maintenant sûrs de leur salut. Ils paraissent avoir oublié les épreuves subies et leurs anciens ennemis, dont les peines ne méritent que le regard distrait de certains d’entre eux. Indépendamment des dimensions du tableau qui favorisent la taille colossale des personnages, Romani privilégie, par principe, cette sorte de gigantisme. Le double héritage de la formation lombarde de l’artiste et de celle reçue dans son pays se traduit par une recherche de la lumière orientée vers les contrastes des ombres obtenus en explorant les nuances des couleurs extrêmement vives des vêtements. En revanche, la composition et notamment les attitudes de certains personnages sont débiteurs de la tradition émilienne. En effet, l’artiste avait longuement travaillé dans le duché d’Este (dans le sillon de Francesco Stringa), où il avait conquis la notoriété.
Giuseppe Romani (Côme, ? 1654 – Modène, 1727), Moïse referme les eaux, huile sur toile 213 x 305 cm ; le tableau est publié dans A. Mazza, « Pitocchi diversi al naturale ». Giuseppe Romani, un pittore lombardo nel Ducato Estense, en cours d’impression. Nous remercions le Professeur Angelo Mazza pour avoir confirmé l’attribution et mis à disposition le texte en passe d’être publié et auquel nous renvoyons le lecteur pour une bibliographie exhaustive.
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fig. 4 Giuseppe Romani (Côme ?, 1654 – Modène, 1727), Moïse referme les eaux, huile sur toile, 213 x 305, cm
4. Destruction du temple L’Histoire sacrée souligne le lien étroit entre prospérité,indépendance et respect du pacte avec Dieu. En effet, la stabilité politique n’est autre que la conséquence du renouvellement de l’Alliance antique et c’est parmi le peuple que Dieu choisit des libérateurs à l’instar de Samson18. Samson préfigure le Christ, dans un système de correspondances qui voit d’ordinaire le Vieux Testament comme une « anticipation des événements » du Nouveau Testament19. Les circonstances mêmes de sa naissance miraculeuse favorisent la ressemblance de ce personnage biblique avec celle du Messie. En effet, la mère de Samson est stérile jusqu’à ce qu’un beau jour apparaisse un ange lui annonçant : « tu vas devenir enceinte et tu enfanteras un fils. Le rasoir ne passera point sur sa tête parce que cet enfant sera consacré à Dieu dès le ventre de sa mère ; et il sera le premier à délivrer Israël du joug des Philistins »20. Tout jeune, Samson d’un caractère pour le moins susceptible, est doté par Dieu d’une force extraordinaire, dont le secret réside dans ses cheveux. Les vicissitudes de la vie ne tardent pas à attirer sur lui la colère des Philistins. Ceux-ci, impatients de se débarrasser de lui, sollicitent alors Dalila, la belle Philistinne, pour qu’elle le séduise et lui soutire le secret de sa force. Privé de ses tresses, Samson est capturé sans difficulté, puis aveuglé et réduit à l’esclavage. D’ailleurs, l’Histoire sacrée est, comme l’écrit Erri de Luca, « une géographie de trahisons »21. Un jour, pour célébrer leur victoire, les Philistins conduisent Samson dans le temple de leur dieu Dagon et l’exhibent devant tous comme un trophée. Samson se fait alors conduire enchaîné sous les deux piliers principaux de l’édifice et en silence invoque l’Éternel afin qu’il lui insuffle, une dernière fois encore, la force d’antan. La grâce descendant sur lui, et au prix de sa vie même, il s’appuie contre les colonnes avec une telle force que le temple s’écroule sur toute l’assemblée. Ainsi la volonté divine s’accomplit-elle. Samson est donc une figure de « héros suicidaire voué à la catastrophe »22. C’est dans l’instant qui précède la fin, lorsque Samson
Vita di Sansone, trad. sous la direction de E. De Luca, Milan, 2002, p. 7.
18
Cfr. J. Van Laarhoven, Storia dell’arte cristiana, Milan, 1999, pp. 270-271.
19
Juges, 13, 5.
20
E. De Luca, G. Matino, Sottosopra: alture dell’Antico e del Nuovo Testamento, Milan, 2007, p. 16.
21
E. De Luca, G. Matino, Sottosopra: alture dell’Antico e del Nuovo Testamento, Milan,
22
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fig. 5 Luciano Borzone (Gênes, 1590 -1645), Samson dans le Temple, huile sur toile, 113,5 x 105 cm
recouvre son ancienne force, que le représente Luciano Borzone23, peintre génois de talent dont rares sont les œuvres retrouvées (fig. 5)24.
2007, p. 16. Luciano Borzone (Gênes, 1590 -1645), Samson dans le Temple, huile sur toile, 113,5 x 105 cm ; œuvre inédite.
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De toute évidence, le style a subi l’influence du Caravage et de ses effets de lumière.
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Peint jusqu’à mi-jambe, Samson s’arc-boute dans le dessein d’arracher du sol une colonne. Bien que la tension musculaire et la prise énergique rappellent ses anciens exploits, le geste n’est pas maîtrisé. En effet, sans le secours de la vue, la puissance perd de sa substance. Le regard de Samson ne suit pas l’action, ses yeux sont vides et la tête inclinée vers la gauche reçoit la lumière divine dont le héros ne peut que percevoir la chaleur sans toutefois en suivre la direction. Nulle autre lumière. Le fond bascule dans une noirceur profonde, car le temple des païens est plongé dans la pénombre la plus totale. Les vrais aveugles sont les Philistins idolâtres, incapables de reconnaître Dieu. Pour autant, la fin approche et les ténèbres impénétrables du temple deviennent pour tous, païens comme croyants, une préfiguration de l’obscurité de la tombe. 5. Tremblement de Terre Les récents événements survenus dans notre région de l’Émilie-Romagne ont tristement réveillé l’attention sur le tremblement de terre, l’une des formes de calamité naturelle les plus dévastatrices pour l’humanité soudainement ébranlée dans ses certitudes physiques et psychologiques. Le renversement total et sans ménagement de l’ordre et le bouleversement de l’être face à sa vie qui vole en éclats entravent la conquête d’un nouvel équilibre à travers les voies rectilignes d’une rationalité qui, en vain, cherche une raison à tant de douleur. La perte de vies humaines est un mal incurable. Les survivants doivent néanmoins se mesurer avec l’absence de points de repère tels la maison désormais détruite et le paysage urbain ravagé. Les quartiers séculaires, dépositaires de traditions et d’art, ont été anéantis en une fraction de seconde. Les habitants réchappés au
Il convient de remarquer la carnation du visage où, pour reprendre les paroles de Manzitti, le peintre « semble étendre la couleur avec du papier de verre pour ensuite la rehausser ci et là. Il recourt à la même technique pour les chairs qu’il peint non pas plastiquement, mais charnellement de même que les cheveux et les barbes griffés au carbonate de plomb ». On ne peut se méprendre sur les plis des vêtements comparés à juste titre « à des ondulations vaporeuses » (C. Manzitti, Influenze caravaggesche a Genova e nuovi ritrovamenti su Luciano Borzone, dans “Paragone” n° 259 (1971), p. 31-42, à p. 36 ; cfr. C. Manzitti, Riscoperta di Luciano Borzone, dans “Commentari”, fasc. III, juillet-septembre (1969), p. 210-222). Le peintre a récemment fait l’objet d’une monographie en cours de publication.
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fig. 6 Giulietta Grimaldi, Renaître (Église de Santa Maria Maggiore, Pieve di Cento), brique réfractaire et plâtre, 7 x 12 x 12 cm (2012)
désastre doivent se reconstruire une identité culturelle qui n’oublie pas leurs racines et qui puisse renaître à partir des décombres, encore palpitantes de vie et d’histoire, et se tisser dans le va-et-vient entre passé et présent. C’est sur cette idée que fut conçue et créée l’œuvre de Giulietta Grimaldi (fig. 6)25. L’artiste a récupéré une brique26 dans les gravats de
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Giulietta Grimaldi, Renaître (Église de Santa Maria Maggiore, Pieve di Cento), brique réfractaire et plâtre, 7 x 12 x 12 cm (2012).
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L’idée de se servir de gravats, de chiffons et de vieux vêtements, de matériaux récu-
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l’église de Santa Maria Maggiore de Pieve di Cento (Bologne), l’un des bourgs frappés par le séisme, sur laquelle elle a appliqué l’empreinte d’un détail de visage féminin. L’œuvre joue sur plusieurs niveaux sémantiques : d’une part la catastrophe énoncée entre douleur et esthétique, d’autre part la fragilité de la vie menacée par la mort à laquelle s’oppose la force de la renaissance. Ce simple fragment lapidaire donne à saisir la furie destructrice du tremblement de Terre. Dans les œuvres de Giulietta Grimaldi, un passage d’une histoire séculaire devient symbole d’une narration suspendue, interrompue par l’arrivée d’un renversement imprévisible de l’ordre. Les décombres rappellent le spectacle grandiose de la catastrophe, dont la vue comporte toujours une part de prodigieux et d’incommensurable. Les fragments de pierre ou de brique cessent d’être de simples débris pour révéler l’occulte correspondance entre la matière inanimée et la fugacité de notre existence. Et pourtant, tout n’est pas perdu, car c’est de la pierre blessée que renaîtra notre identité égarée : la forme d’un visage de femme émerge de la matière informe et tire l’élan vital de ce que Giuletta Grimaldi appelle « une présence lumineuse, une âme vive qui appartient aux ruines ». C’est cette lumière qui parvient à donner un sens à la catastrophe, puisque de la pierre inanimée prend vie l’Image, le Visage d’un Futur qui n’existe pas encore, mais que seul l’Art contemporain peut décrire, invoquer et reconnaître avant quiconque comme notre Renaissance.
pérés et de ferraille puise dans l’art du XXe siècle, où leur emploi vise à une physionomie esthétique anti-figurative qui résonne jusque dans la tradition littéraire. Dans le chapitre consacré à l’art de Duchamp à Schwitters, Appiano écrit que le « fragment situé à mi-chemin entre le vécu et le bagage inconscient de l’individu, permettait aux artistes de dialoguer avec la plus lointaine profondeur temporelle représentée par l’usure. Ceux-ci cherchaient sur la pellicule froissée de la surface des différentes pièces, comme sur une carte, l’impact du destin de l’objet, son histoire, sa transformation […] » (A. Appiano, Estetica del rottame. Consumo del mito e mito del consumo nell’arte, Rome, 1999, p. 16, 109). Dans les œuvres de Grimaldi c’est également le fragment en quête du récit de son vécu qu’on interroge. Pour autant, la fracture et la destruction qui l’ont engendré déterminent un sentiment de suspension, où trouve sa place l’intervention plastique et figurative de l’artiste qui opère alors sur le fragment la « transformation » évoquée par Appiano.
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III. La mort de l’individu, le salut pour l’humanité
1. Le « déjà et pas encore » : la conception du temps, de l’imminent à l’immanent L’arrivée du Messie a changé la perception du temps pour les chrétiens et pour les Occidentaux en général. Signe tangible de l’accomplissement de la fin du monde, le Messie annonça la fin par un message apparemment contradictoire : le Royaume des cieux « est déjà et n’est point encore »1. Que signifie cette déclaration ? Et comment cette conception a-t-elle changé la perception du temps ? Le Royaume des cieux est déjà sur Terre, mais la fin doit encore s’accomplir. Les premières communautés chrétiennes durent percevoir l’imminence de cette fin si longtemps attendue, en s’appuyant entre autres sur les paroles de Jésus : « Je vous le dis en vérité, quelquesuns de ceux ici présents ne mourront point, avant qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu venir avec puissance »2. Alors, les théories eschatologiques se multiplièrent ainsi que les dates annonçant la fin du monde, d’ailleurs toutes démenties jusqu’à présent3. Parmi les chiliastes les plus célèbres figurent sans nul doute les millénaristes, qui annonçaient la fin du monde pour l’an mille, selon une lecture numérologique de l’Apocalypse4. À ce propos, tous se
E. De Martino, La fine del mondo. Contributo all’analisi delle apocalissi culturali, sous la direction de C. Gallini, Turin, 1977, p. 289.
1
Marc, 9, 1.
2
Cfr. N. Cohn, I fanatici dell’Apocalisse, Turin, 2000.
3
L’interprétation de certains passages de l’Apocalypse a recouru au symbolisme numérique. Le millénarisme ou chiliasme a notamment puisé son inspiration dans le texte Apocalypse 20, 1-6, au niveau de la forme tant extrémiste que mitigée : on
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rappellent la fameuse expression « mille et pas plus que mille » traditionnellement attribuée à Jésus, dont les Saintes Écritures n’ont en réalité laissé aucune trace5. Saint Augustin, quant à lui, renversa ces tendances eschatologiques, sans pour autant les éradiquer. Selon le Père de l’Église, la conception chiliaste trahit le sens et le message de l’Apocalypse dans les Saintes Écritures selon lesquelles le Christ, par sa venue, a amené le Royaume des cieux sur Terre. C’est, en effet, dans l’Église que se réalise le Royaume. La vision eschatologique est ainsi définitivement mise au ban et devient dès lors matière des sectes6. « Et vu que le diable est lié pour mille ans, les saints règneront avec le Sauveur pendant mille ans encore, c’est précisément ces mille ans qu’il faut comprendre comme appartenant à l’époque présente de la venue du Christ »7. Le déjà évangélique s’explique donc par la venue du Christ : l’indéfini temporel de l’arrivée de la Fin des siècles n’est alors plus imminent, il ne se situe pas dans le futur, tout proche qu’il soit, mais il est immanent8, c’est-à-dire déjà à l’intérieur du temps présent, en nous et dans l’histoire que l’humanité est en train de vivre. Comment dès lors interpréter l’idée de pas encore ? Pas encore se réfère à un report de l’accomplissement de la promesse du Royaume, qui permettrait de construire une marge entre les deux avènements, à savoir la première venue du Christ et la seconde qui coïnciderait avec la fin du monde. Dans le but de rendre à l’humanité une « marge d’actions »9. Pas encore n’implique pas une attente inerte du retour du Christ. Au
attend un temps futur et une situation historique de confrontation réelle et de bienêtre exceptionnel réservée aux croyants. Quand les mille ans seront écoulés, Satan sera relâché « quelques temps » de sa prison pour être ensuite vaincu et définitivement condamné (Apocalypse 20, 7-10). Les mille ans représentent la plénitude et évoquent la condition inaugurée par la victoire du Christ, à laquelle sont associés les fidèles rachetés et les martyrs (R. Fabris, L’Apocalisse di Giovanni tra esegesi e spiritualità, dans Apocalisse. L’ultima rivelazione, cat. exposition, Illegio Maison des Expositions 28 avril - 30 septembre 2007, sous la direction de A. Geretti, Milan, 2007, p. 13-24, à la page 18).
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5
G. Duby, C. Frugoni, Mille e non più di mille. Viaggi tra le paure di fine millennio, Milan, 1999, p. 6.
6
J. Taubes, Escatologia occidentale, Cernusco (Mi), 1997, p. 110-111.
7
Augustin , De civitate Dei, XX, 9.
8
F. Kermode, Il senso della fine. Studi sulla teoria del romanzo, Milan, 1972, p. 18.
9
De Martino se penche sur l’opérativité du monde. Voir en particulier E. De Martino, La fine del mondo. Contributo all’analisi delle apocalissi culturali, sous la direction de C. Gallini, Turin, 1977, p. 284-286.
contraire, les personnes sont conviées, d’un côté à agir avec rectitude jusqu’au Jugement Dernier, de l’autre à faire connaître le message de l’Évangile en vue d’accélérer les temps de l’accomplissement de la promesse10 qui, après la venue du Christ, concerne non seulement le Peuple élu mais l’humanité entière. L’eschatologie universelle cède ensuite la place à l’eschatologie individuelle. L’Église s’intéresse au destin de l’âme du croyant et la crainte ne porte plus sur la fin des temps mais sur la fin de la vie humaine11. L’Église déplace la conception eschatologique, celle de l’attente de la fin du genre humain, d’un plan réel à un plan symbolique12, moyennant l’administration du rite et des sacrements qui, s’inscrivant dans le temps liturgique, rafraîchissent chaque année la mémoire sur la venue du Christ et ses promesses. Aux dires de Weber « le Christianisme était une agrégation de doctrines, parfois discordantes, hébraïques, apostoliques, grecques ou d’autres origines moins définies. Le monde était la création de Dieu mais également le règne de Satan ; […] il était entré dans le temps de la fin mais on s’accordait à ignorer la parousie. Il valait mieux ne pas parler de l’avènement du Messie, même si tous les ans les sermons du temple de l’Avent rappelaient aux fidèles la Venue promise, à l’exemple des sermons pascals qui leur rappelaient la Passion du Christ ». La dialectique entre le « déjà » (souffrance, fatigue, oppression) et le « pas encore » (rédemption, émancipation, triomphe) se poursuivit13. 2. Le Christ Nul doute que la figure clé, autour de laquelle gravite cette conception, est celle du Christ. Le chrétien trouve un écho de ses souffrances dans celles que le fils de Dieu a supportées et espère que son sacrifice le rachètera de ses péchés, lui ouvrira les portes du Royaume des cieux. Or, il n’est pas d’instrument plus puissant que l’art, représentant et diffusant les images de la vie de Jésus et de sa Passion, pour faire
E. De Martino, La fine del mondo. Contributo all’analisi delle apocalissi culturali, sous la direction de C. Gallini, Turin, 1977, p. 286
10
J. Taubes, Escatologia occidentale, Cernusco (MI) 1997, p. 110-111.
11
12
E. Weber, Apocalissi. Culti attese e profezie, Cernusco (MI), 2000, p. 246.
E. Weber, Apocalissi. Culti attese e profezie, Cernusco (MI), 2000, p. 247.
13
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fig. 7 Alessandro Turchi, dit l’Orbetto (VÊrone, 1578 - Rome, 1649), Flagellation du Christ, huile sur ardoise, 40 x 25,5 cm
connaître et amplifier le message salvateur, instrument dont l’Église occidentale saura s’approprier14. La représentation des sévices subis par le Christ lors de son séjour terrestre vise à créer chez le fidèle une sorte d’empathie et d’identification, et susciter chez lui la piété. La Passion notamment reprise en détail dans la liturgie même, stimule la fantaisie des artistes qui proposent des solutions iconographiques de grand impact. Cette Flagellation du Christ (fig. 7)15 réalisée par le peintre véronais Alessandro Turchi, dit l’Orbetto, se distingue par le soin de la composition ainsi que par la rareté et la richesse du support. Peinte sur ardoise, elle s’inscrit dans la première décennie du XVIIe siècle alors que le peintre travaille encore dans la région de Vérone. Il ne fait aucun doute que plusieurs variantes16, dont la structure maniériste rappelle encore la main du maître Felice Brusasorci, remontent à ces années-là. Le tableau met en scène le Christ lié à une petite colonne qui ressemble à celle dite de sainte Prassede. Abritée par l’église homonyme
Ici n’est pas le lieu de débattre du sujet complexe de l’emploi des images de la part de l’Église durant l’évangélisation. Il suffit de rappeler que ce fut le Concile de Trente qui en sanctionna la valeur et l’importance en ce qu’elles soutenaient le croyant tout au long de son chemin de foi. Ces longues réflexions avaient ensuite donné corps à plusieurs essais parmi lesquels G. Paleotti, Discorso intorno alle immagini sacre e profane, Bologne 1582, Federico Borromeo, De pictura sacra, Milan. 1625 ou encore G. D. Ottonelli, P. Berrettini, Trattato della pittura e Scultura, uso ed abuso loro, composto da un Theologo e da un Pittore, Florence, 1625.
14
Alessandro Turchi, dit l’Orbetto (Vérone, 1578 - Rome, 1649), Flagellation du Christ, huile sur ardoise, 40 x 25,5 cm. L’attribution a été confirmée par le Prof. Mauro Lucco, que nous remercions.
15
Cfr. l’exemplaire en vente chez Dorotheum en 1979 (Vienne, 13.11.1979, n° 138)-qui est censé constituer le prototype de la série- présente les deux mêmes anges en vol, et. D’autres versions se trouvent à Vérone, au Musée Castelvecchio inv. 5521 – 1B976, à Padoue aux Musei Civici, inv. 492 et à Florence dans la Villa de Poggio Imperiale. Cette dernière abrite une version qui diffère des deux précédentes quant à la position du Christ et de ses deux tortionnaires (M. Casciu, fiche n° 24 dans Pietre colorate. Capricci del XVII secolo dalle collezioni Medicee, sous la direction de M. Chiarini et C. Acidini Luchinat, cat. de l’exposition Palais Franchi Servanzi, S. Severino Marche, 29 juillet - 10 septembre 2000, Cinisello Balsamo, 2000, pp. 13-18). Une dernière version appartenant à une collection particulière véronaise prévoit, par contre, l’introduction de deux personnages sur la droite et en haut d’une torche (publiée dans G. Peretti, fiche n° 81, dans Alessandro Turchi detto l’Orbetto 1578-1649, sous la direction de D. Scaglietti Kelescian, catalogue de l’exposition Vérone, Musée de Castelvecchio 19 septembre – 19 décembre 1999, Milan, 1999, p. 236, avec bibliographie précédente. Une autre version de la Flagellation du Christ, huile sur ardoise, 35,8 x 26,5 cm, est conservée au Poznan, Muzeum Narodowe w Poznaniu (D. Scaglietti Kelescian, fiche n° 19, dans Alessandro Turchi detto l’Orbetto 1578-1649, sous la direction de D. Scaglietti Kelescian, catalogue de l’exposition Vérone, Musée de Castelvecchio 19 septembre – 19 décembre 1999, Milan, 1999, p. 108).
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romane, elle est transportée depuis Jérusalem au XIIIe siècle sur ordre du cardinal Colonna. Pour autant, l’iconographie de cette colonne, vénérée de tous temps, trouvera une grande diffusion, dans la peinture, après la Contre-Réforme17. Ici, attaché par les poignets et astreint à se pencher, Jésus reçoit des coups de fouet des deux soldats qui s’acharnent contre ses chairs désormais exsangues. La pâleur de son teint ne laisse aucun doute sur l’imminence de sa mort et tranche fortement sur le rouge sanguin des deux bourreaux qui s’embrasent sous l’effort redoublé de leur vile action. La fin approche et se fait pressante. La scène n’offre aucun repère spatio-temporel puisqu’elle se déroule sur un fond noir et compact en dehors de tout paysage ou de tout intérieur. L’intention narrative cède explicitement la place à une volonté éducative et moralisante. D’où, le noir absolu lequel, bien qu’obtenu grâce à l’éclat de la peinture à huile, laisse deviner en transparence la couleur naturelle de la pierre. L’ardoise renvoie des reflets, interdit tout accès à la lumière et enveloppe le trio d’une atmosphère de gravité, présage de la fin. Pour autant, la présence des anges en haut à gauche permet de rappeler que l’apparente absurdité de la mort du Christ a pour ultime fin le salut et la rédemption de l’humanité entière. L’originalité du support de cette peinture mérite une digression. C’est à Vérone qu’on en fait grand usage18 : la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe voient la production d’œuvres sur pierre de touche et sur ardoise réalisées par un groupe de peintres véronais, pour qui le noir de la pierre se prête merveilleusement à l’évocation d’atmosphères nocturnes, dignes de Bassano19, ainsi qu’aux formidables jeux d’ombres caravagesques20.
D. Scaglietti Kelescian, fiche n° 10, dans Alessandro Turchi detto l’Orbetto 1578-1649, sous la direction de D. Scaglietti Kelescian, catalogue de l’exposition Vérone, Musée de Castelvecchio 19 septembre – 19 décembre 1999, Milan,1999, p. 90.
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D. Scaglietti Kelescian, fiche n° 15, dans Alessandro Turchi detto l’Orbetto 1578-1649, sous la direction de D. Scaglietti Kelescian, catalogue de l’exposition Verona, Musée de Castelvecchio 19 septembre - 19 décembre 1999, Milan, 1999, p. 100. Cette technique se répand dans les environs de Vérone. Comme en témoigne Scamozzi en 1645 « s’embarquent sur l’Adige pour Venise » des marbres très noirs « au poli et à l’éclat admirables, mais qu’on appelle pierres de touche (…) de ces pierres de touche il est fait des autels, des sarcophages, des tombeaux, des stèles et d’autres ornements » (Rinaldi S., Supporti lapidei e vitrei, dans I supporti nelle arti pittoriche. Storia, tecnica, restauro, sous la direction de C. Maltese, I, Milan, 1990, p. 216-263, aux pages 227-228).
A. Ottani Cavina, Dipinti su lavagna, dans “Bolaffi Arte”, 1971, n° 6, p. 24.
19
A. Cerasuolo, I dipinti di Sebastiano del Piombo del Museo di Capodimonte. Note
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La diffusion de cette technique, dont l’inventeur serait Sebastiano del Piombo,21 s’explique par le souhait de peindre des œuvres éternelles, à l’abri de toute vermoulure, du feu et de l’humidité des murs. La couleur foncée de l’ardoise met en exergue la touche de pinceau et permet d’atteindre à l’instant le ton recherché. Par ailleurs, l’originalité de la précieuse matière pique la curiosité et stimule les collectionneurs. Néanmoins le poids considérable du support entravant la maniabilité des ouvrages entraînera très tôt son abandon22. La venue du Christ, disait-on, participe du pardon de Dieu. C’est par la souffrance du fils que se répand sur l’humanité la miséricorde divine23. C’est pourquoi les arts visuels mettent au premier plan les marques des tortures infligées. Ainsi de nouvelles iconographies naissent-elles sans aucun rapport avec les récits évangéliques, mais soucieuses de montrer le corps supplicié du Messie en vue de susciter piété et identification chez le fidèle. À côté de Ecce homo, L’Homme de douleurs et de la traditionnelle Complainte, mettant en scène les témoins désespérés des ultimes instants de la vie de Jésus, dès le XVe siècle voit le jour l’iconographie du Christ mort soutenu par les anges ou par la Vierge Marie et saint Jean. Ces représentations entendaient exhiber le corps meurtri aux fins de provoquer un sentiment tragique et résigné. Cette œuvre imputable à Jacopo de’ Barbari (fig. 8)24 expose le ca-
sulla tecnica, pp. 128-147, en particulier note 2 p. 128 ; cfr. M. Chiarini, Pittura su pietra, dans Pietre colorate. Capricci del XVII secolo dalle collezioni Medicee, sous la direction de M. Chiarini et C. Acidini Luchinat, cat. De l’exposition Pal. Franchi Servanzi, S. Severino Marche 29 juillet -10 septembre 2000, Cinisello Balsamo, 2000, p. 13-18. À la lumière des récents témoignages de Vasari et Soranzo, la paternité de la technique à Sebastiano del Piombo a été unaniment accueillie ; cfr. A. Cerasuolo, I dipinti di Sebastiano del Piombo del Museo di Capodimonte. Note sulla tecnica, p. 128-147, en particulier note 2 p. 128.
21
A. Cerasuolo, “Un nuovo modo di colorire in pietra” Vasari e la fortuna dell’invenzione di Sebastiano, dans Sebastiano del Piombo e la cappella Borgherini nel contesto della pittura Rinascimentale, sous la direction de S. Arroyo Esteban, B. Marocchini et C. Seccaroni, Piacenza, 2010, p. 47-53, aux pages 47-48.
22
(Matteo, 9,36; 14,14; 15,32). Sur la valeur salvatrice de la souffrance, cfr. A. Greco, Fenomenologia del dolore. Riflessione teologica sul valore salvifico della sofferenza, Rome, 2004.
23
Jacopo de’ Barbari (Venise, vers 1445 - vers 1516), att. à, Christ porté par la Vierge et saint Jean, huile sur panneau, 69 x 91 cm. L’attribution présumée de l’œuvre a été avancée par Davide Trevisani de la galerie d’art Maurizio Nobile avec qui j’ai partagé les observations relatives à ce panneau . Il est donc ici fait référence à sa fiche inédite de l’œuvre. Pour l’artiste, voir également A. de Hevesy Jacopo de Barbari: le maître au caducee, Paris-Bruxelles, 1925 ; L. Servolini, Jacopo de’ Barbari, Padoue, 1944 ; C. Balistreri-Trincanato, D. Zanverdiani, Jacopo
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fig. 8 Jacopo de’ Barbari (Venise, vers 1445-vers 1516), (attribué à), Christ supporté par la Vierge et par saint Jean, huile sur panneau, cm 69x91
davre complètement abandonné dans les bras de la Vierge qui le soutient, aidée de saint Jean. L’évidence des blessures n’entache nullement la beauté du Christ qui semble endormi. Les membres contus et brisés traduisent la peine et le martyre, la Rédemption et la Résurrection, la vie terrestre et la vie divine. Dans cette toile, de’ Barbari imprégné des enseignements d’Alvise Vivarini et d’Antonello de Messine, met aussi à profit sa connaissance de la gravure italienne et notamment celle de Mante-
De Barbari, il racconto di una città, Venise, 2000 ; S. Ferrari, Jacopo de’ Barbari. Un protagonista del Rinascimento tra Venezia e Dürer, Milan, 2006.
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gna, ainsi que le dialogue avec le Nord (de Schongauer à Dürer)25. La composition, dont à la même époque coexistent de nombreuses variantes, s’inspire du style vénitien. La plus célèbre d’entre toutes, celle de Giovanni Bellini26, tomba sous le regard de de’ Barbari, qui y puisa son inspiration. La rigidité bellinienne qui s’empare des membres au moment de la mort27, fait place au doux abandon préféré par de’ Barbari28. Par ailleurs, le dialogue serré entre la Vierge et le Christ est plus détaché, contrairement au regard maternel qui, lui, ne se détache jamais du fils. Giovanni, imitant les modèles de Dürer jusque dans le rendu sophistiqué des boucles de cheveux, regarde vers le spectateur. Par contre, la torsion du buste, rigide et classicisante, reflète l’influence lombarde parvenue en Vénétie dès la dernière décennie du Quattrocento29, mais aussi certains canons esthétiques propres à la sculpture de l’atelier des Lombardo.
L’une des questions les plus épineuses pour la critique porte précisément sur la formation et les débuts de l’artiste sur qui les recherches n’ont pas encore dit leur dernier mot. Cfr. en particulier S. Ferrari, Jacopo de’ Barbari. Un protagonista del Rinascimento tra Venezia e Dürer, Milan, 2006.
25
Ce tableau de Bellini est très célèbre, car il provient d’une importante collection de Bologne, celle de la famille Sampieri, qui s’est malheureusement dispersée. Actuellement on peut l’admirer à Brera.
26
G. de Vincentiis, Il cadavere nell’arte, Rome, s.d., p. 50.
27
La position des bras et la tête inclinée rapprochent de beaucoup notre modèle d’une autre peinture de Bellini, le magnifique Compianto monochrome actuellement conservé aux Offices de Florence.
28
S. Ferrari, Jacopo de’ Barbari. Un protagonista del Rinascimento tra Venezia e Dürer, Milan, 2006, p. 28.
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fig. 9 Entourage des Carrache, Sainte Marie Egiziaca, huile sur toile, 94 x 80,5 cm
IV. Mourir à la vie terrestre pour renaître à la vie spirituelle ou encore le triomphe de la chasteté, source d’indépendance 1. De pécheresse à sainte Le personnage dépeint dans cet ovale d’origine bolonaise daté de la moitié du XVIIe siècle est sainte Marie Egiziaca (fig. 9)1. L’hagiographie de cette sainte, qui a vécu au IVe siècle, puise ses racines dans la légende. On raconte qu’à l’âge de 12 ans, elle décida de quitter ses parents et de se rendre à Alexandrie où elle se prostitua pour subvenir à ses besoins. Pendant dix-sept ans elle y conduisit une vie dissolue jusqu’à ce que, un beau jour, elle vît une procession de pèlerins sur le point d’embarquer pour Jérusalem pour la fête de l’exaltation de la Sainte Croix. Marie décida alors de s’unir à eux et paya la traversée en concédant son corps aux marins. Une fois arrivée en Terre sainte, elle fut retenue, sur le seuil du Temple, par une force mystérieuse. C’est à ce moment-là que lui apparut la Sainte Vierge, l’invitant à se repentir de la vie coupable qu’elle avait menée jusqu’alors. Et lui indiquant la voie de la rédemption, elle accomplit sur elle le miracle de la conversion. Voilà pourquoi Marie décida de se retirer dans le désert et de traverser le Jourdain pour y expier ses fautes. Livrée aux tourments de la chair, elle souffrit autant d’années qu’il s’en était écoulé depuis sa prostitution. Lorsque ses vêtements furent tombés en lambeaux, elle ne put se vêtir que de sa longue chevelure. Les années passèrent jusqu’à ce qu’elle rencontrât le moine Zosime. Sans même le connaître, elle s’approcha de lui en l’appelant par son nom. Ce dernier vit donc en elle une femme inspirée de Dieu. Après
Entourage des Carrache, Sainte Maria Egiziaca, huile sur toile, 94 x 80,5 cm ; le tableau est encore en phase d’expertise. Nous remercions le prof. Nicholas Turner pour avoir exprimé son avis sur l’œuvre et identifié le milieu culturel possible de référence.
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avoir raconté sa vie, Marie demanda au moine revenir l’année suivante pour lui administrer le sacrement de la communion. Comme promis, un an plus tard, la femme se présenta au rendez-vous et traversa le Jourdain en marchant sur les eaux. Après quoi, elle invita Zosime à revenir, mais l’année suivante celui-ci ne retrouva dans le désert que le corps sans vie de la pénitente en odeur de sainteté2. La biographie de Marie Egiziaca s’est inspirée de la multitude d’histoires racontées par les amma, ces mères qui, comme beaucoup d’autres, avaient opté pour la vie ascétique durant les premiers siècles de la chrétienté. Les chrétiens vénéraient ces femmes qui avaient effacé toute marque de féminité, évitant ainsi de devenir objet de tentation pour les hommes. De plus, la femme, considérée comme plus luxurieuse que l’homme, était bien plus digne d’éloges pour être parvenue à réprimer sa nature lascive. Paradoxalement, ces femmes se distinguaient non pas en vertu de leur force morale, de l’indépendance ou de l’ambition affichées en vivant dans des conditions extrêmes, mais par leur manque de féminité, par la modestie de leur tenue, par leur teint cadavérique, par leur asexualité surnaturelle qui allait bien au-delà de la simple chasteté3. Le Concile de Trente avait insisté pour que tous les saints, tant anciens que modernes, soient représentés dans une dimension atemporelle transcendant leur nature terrestre4, et c’est à ce vœu que s’est plié l’auteur de notre peinture. Encore dans la fleur de sa jeunesse, Marie Egiziaca porte une humble robe en poils, tandis que dans le bas apparaît un angelot, signe de la proximité de Dieu. Sa longue chevelure aux reflets roux enveloppe une partie de son corps, alors que son regard ravi par l’extase se lève vers le ciel. Le sentiment extatique, indice d’un dialogue avec Dieu, imprégnait souvent les toiles des artistes baroques qui avaient l’habitude de peindre l’expression physique de l’extase et de la transporter aux limites de la sensualité. La belle Egiziaca, dont les vicissitudes biographiques la rapprochent de l’histoire d’une prostituée bien plus célèbre, Marie Madeleine, ne fera pas exception.
Cfr. Grande dizionario illustrato dei santi, Casal Monferrato (Al), 1991, ad vocem.
2
E. Abbot, Storia della castità. Dalle vestali a Elisabetta I, da Leonardo da Vinci a “Magic” Johnson, Milan, 2008, p. 77-78, 90, 100.
3
A. Cottino, Il senso del tempo nella pittura del Seicento: riflessioni preliminari, dans Chronos. Il tempo nell’arte barocca all’età contemporanea, catalogue de l’exposition Caraglio, Il Filatorio, 28 mai - 9 octobre 2005, sous la direction de A. Busto, A. Cottino, F. Poli, Cuneo, 2005, pp. 49-60, à p. 59.
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C’est d’ailleurs à travers elle que l’Église post-Concile de Trente voulut reprendre et reconsidérer la tragique fatalité humaine à laquelle la femme avait été associée dès l’Antiquité5. Dans un essai éclairant, Daniel Arasse se réfère de manière précise au rôle joué par l’iconographie de Marie Madeleine, modèle concret dont les femmes pouvaient s’inspirer. Pour les mortelles, il était en effet inespéré d’atteindre à la perfection asexuelle de la Vierge. En revanche, elles pouvaient plus aisément s’identifier à Marie Madeleine, rachetée dans l’intégrité de toute sa corporalité et sa féminité. La sensualité de la femme était ensuite « sublimée » par la représentation de la séduisante chevelure dénouée6, qu’elle avait en commun avec sainte Marie Egiziaca. Pour autant, il se dégage de notre sainte une certaine ambiguïté apparemment inexplicable. À y regarder de plus près, sous la masse de cheveux volumineuse et fascinante, le corps de Marie n’a rien de féminin. Ses bras et ses épaules sont puissants et ses seins ne se devinent pas sous le vêtement qui, par ailleurs, rappelle la tunique en poils de chameau de saint Jean-Baptiste. Le peintre aurait-il changé d’idée et de sujet en cours d’œuvre ? Ou bien importait-il, par le recours à des formes androgynes, de mettre en sourdine l’érotisme de la sainte pécheresse pour ramener l’attention sur la rédemption de cette dernière plutôt que sur son passé dissolu. Pour l’heure, il ne s’agit là que de pures hypothèses, autant de pistes à explorer. 2. De martyre à épouse Lorenzo Pasinelli a ici voulu représenter sainte Catherine d’Alexandrie recevant un anneau d’or des mains de l’Enfant Jésus (fig. 10) 7.
Les vanités dans la peinture au XVIIe siècle. Méditations sur la richesse, le dénuement et la rédemption, sous la direction d’A. Tapié, Ville de Caen, Musée des Beaux-Arts, 27 juillet-15 octobre 1990, Paris, 1990, p. 136.
5
D. Arasse, On n’ y voit rien. Descriptions, Paris, 2003, pp. 95-122.
6
Lorenzo Pasinelli (Bologne, 1629-1700), Mariage Mystique de sainte Catherine, huile sur toile, 136 x 98 cm ; inédit. L’attribution a été confirmée par le prof. Nicholas Turner que nous remercions pour nous avoir fait part de certaines observations stylistiques (communication écrite du 14 mai 2012). Pour une étude générale, voir C. Baroncini, Lorenzo Pasinelli: pittore (1629-1700): catalogue général, Rimini 1993 ; C. Baroncini, Vita e opere di Lorenzo Pasinelli (1629-1700), Faenza, 2010 ; C. Baroncini, Lorenzo Pasinelli: pittore (1629-1700): catalogue général, Rimini, 1993 avec bibliographie précédente.
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fig. 10 Lorenzo Pasinelli (Bologne, 1629-1700), Mariage Mystique de sainte Catherine, huile sur toile, 136 x 98Â cm
Quelques doutes planent sur l’hagiographie, parfois lacunaire, de la sainte, mais l’on sait avec certitude qu’elle vécut au IVe siècle à Alexandrie. Fille d’une noble famille, elle avait été invitée, avec le reste de son peuple, lors du passage de l’empereur romain Maximien, venu présider une grande fête païenne. Arrivée au temple, la jeune fille non seulement se refusa d’assister aux rites du sacrifice, mais tenta d’amener l’empereur à se convertir au christianisme. Convoquée sur ces entrefaites devant un groupe de savants réunis par Maximien pour la mettre à l’épreuve, elle réussit à les convertir au grand dépit de l’empereur qui les fit tous exécuter. Puis, ce fut au tour de l’impératrice et du général Porphyrus d’embrasser la religion chrétienne. Soumise au supplice de la roue parsemée de clous et de rasoirs, elle survit par miracle. La roue se brisa sur son corps et seule la décollation finit par avoir raison d’elle8. Profondément vénérée dès le Moyen Âge, elle ne tardera pas à entrer dans les arts visuels sous les traits d’une martyre mais aussi du personnage principal du Mariage Mystique. Les vierges représentent alors une sort de medium, de transcendance des limites entre la nature et le surnaturel. Les vierges martyres jouissent même d’une plus grande considération que les simples martyres. Elles symbolisent, en effet, la liberté inconditionnelle conquise au prix de leur vie, devenant ainsi le rêve le plus intime de l’humanité chrétienne. « La virginité rendait hommes et femmes égaux et unis dans le combat pour la liberté dans la parole du Seigneur »9. Le tableau dépeint la sainte devant la Vierge, son fils sur ses genoux, tandis que deux anges musiciens assistent à la scène. De grand format, cette composition trouve son harmonie dans la verticalité. Dans un jeu de correspondances et de renvois à l’entier paysage artistique auquel Pasinelli fait référence, elle fait écho à Cantarini ou encore à Ludovico Carracci dont on reconnaît l’influence dans la représentation des anges. Vue de dos comme une jeune fille de la noblesse, elle affiche une élégance dans l’habit et une retenue digne des dames du Parmesan. La scène se déroule dans une atmosphère feutrée et hors
M. Donnini, Santa Caterina di Alessandria, dans Il Grande libro dei santi. Dizionario enciclopedico, sous la direction de E. Guerriero, D. Tuniz, Cinisello Balsamo (Milan), 1998, pp. 381-382. Pour le personnage de la sainte, voir en particulier R. Coursault, Sainte Catherine d’Alexandrie : le mythe et la tradition, Paris, 1984.
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E. Schulte van Kessel, Vergini e madri tra cielo e terra. Le cristiane nella prima età moderna, dans G. Duby et M. Perrot, Storia delle donne in Occidente. Dal Rinascimento all’età moderna, sous la direction de N. Zemon Davis, A. Farge, Bari, 1997, pp. 156-200, à p. 161.
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du temps. Les teintes des étoffes, dont l’ampleur du drapé enveloppe les personnages, accentuent la douceur baroquisante, qui se marie parfaitement avec le rite féminin en train de s’accomplir sous nos yeux. L’épisode raconte une vision apparue à la sainte10 : dans les bras de la Vierge, l’Enfant se penche vers Catherine pour lui remettre un anneau d’or, symbole du lien indissoluble du sacrement nuptial. Ce mariage mystique, comme on avait coutume de l’appeler, puise ses origines dans la religion hébraïque. En effet, dès l’époque du Talmud (Ve-VIe siècle après J.-C.) les rabbins enseignaient que le lien unissant Dieu et Israël se concevait comme un mariage spirituel. On retrouve essentiellement cette idée dans le Cantique des Cantiques, qui introduit pour le christianisme comme pour l’hébraïsme l’emploi d’un langage sexuel et matrimonial destiné à décrire le rapport entre Dieu et son peuple. Cette idée de mariage mystique est très répandue au Moyen Âge. Preuve en sont les témoignages, à Venise, de noces célébrées entre le doge et la mer ou encore entre le nouveau doge et l’abbesse d’un important monastère. Mais c’est avant tout dans les monastères féminins que l’on adopte ce concept, en ce que la religieuse ou la novice, en vertu de sa nature de femme, s’assimile aisément à la figure de l’épouse. Topos récurrent du christianisme médiéval, le mariage mystique possède donc une histoire longue et complexe embrassant l’exégèse biblique, la liturgie, les cérémonies publiques, le mysticisme et la vie monastique. Tout en contraignant les religieuses à une sévère clôture surtout après les restrictions imposées par le Concile de Trente, ce lien offre aux femmes un potentiel libérateur. Elles acquièrent un statut de supériorité par rapport aux femmes communes11 : « La Providence se sert de ses créatures pour bâtir l’histoire de la rédemption humaine »12. Par ailleurs, ces femmes peuvent, dans l’enceinte monastique, exprimer une autonomie artistique et spirituelle qui autrement leur serait niée.
I. da Varagine, Legenda aurea, éd. 1998.
10
E. Ann Matter, Il matrimonio mistico, dans Donne e fede. Santità e vita religiosa in Italia, sous la direction de L. Scaraffia, G. Zarri, Bari, 1994, pp. 43- 60, aux pages 47-48 ; cfr. également P. Iacobone, Il Matrimonio mistico di santa Caterina d’Alessandria nell’arte italiana (XIV–XVI secolo), dans “Annali della Pontificia Insigne Accademia di Belle Arti e Lettere dei Virtuosi al Pantheon”, n° 6, 2006, pp. 187-212.
11
G. Zarri, Da Caterina a Osanna: immagini della santità femminile nell’arte dal XV al XIX secolo dans Osanna Andreasi da Mantova 1449-1505: l’immagine di una mistica del Rinascimento, cat. exposition Mantoue 2005, sous la direction de R. Casarin, Mantoue, 2005, pp. 31-55, à p. 32.
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Cette indépendance passe par le vœu de chasteté et par le lien à Dieu que le christianisme interprète comme le summum des pouvoirs13. Les deux tableaux sont, à leur façon, porteurs d’un message de soumission et de rédemption d’une part, de libération et d’émancipation de l’autre, et partant de fin et de renaissance. « La vie de Marie, pour édifiante qu’elle fût, ne manquait pas de susciter le frisson de la subversion. Toute jeune, elle avait glissé dans le péché. Elle avait choisi le métier le plus infâme qui soit et, pis encore, elle s’y était prêtée avec complaisance. Dotée d’une triomphale chevelure rousse, Marie était la plus gaie des putains. Et c’est ainsi que Dieu l’avait vue, qu’Il l’avait aimée et lui avait envoyé les signes du salut. Puis, forgée par la méditation et par les privations, elle avait pu renaître purifiée. Marie avait conservé toute l’indépendance de la prostituée endurant la solitude et l’âpreté du désert sans même le réconfort de la Bible. Elle n’avait besoin de rien. Ses forces puisées au plus profond de son être et sa dévotion à Dieu suffisaient amplement. Pauvre parmi les pauvres, Marie possédait l’âme la plus riche de tous »14. En revanche, sainte Catherine était parvenue à convertir les savants mandés par l’empereur Maximien pour la dissuader de persévérer dans la foi chrétienne. La figure de Catherine incarne, pour le Christianisme, la victoire de la Théologie sur les Sciences. Cela lui vaudra, dès le XIIIe siècle, d’être reconnue comme la sainte patronne des doctes de l’Université de Paris. De souche royale, elle refuse le mariage pour se consacrer au Christ, lequel sanctionne sa promesse en lui remettant un anneau en or, à l’instar d’un futur époux en chair et en os. Hissée au rang d’archétype de l’union matrimoniale entre le Christ et l’Église, la princesse représente également la virginité consacrée15.
E. Ann Matter, Il matrimonio mistico, dans Donne e fede. Santità e vita religiosa in Italia, sous la direction de L. Scaraffia, G. Zarri, Bari, 1994, pp. 43- 60, aux pages 54-58.
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E. Abbot, Storia della castità. Dalle vestali a Elisabetta I, da Leonardo da Vinci a “Magic” Johnson, Milan, 2008, pp. 77-78.
14
G. Zarri, Dalla profezia alla disciplina (1450-1650), dans Donne e fede. Santità e vita religiosa in Italia, sous la direction de L. Scaraffia, G. Zarri, Bari, 1994, pp. 177-225, aux pages 177-178.
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V. La vie, la mort
1. De l’eschatologie universelle à l’eschatologie individuelle Liée à la Rédemption par le Christ, la tension eschatologique passa d’un plan universel à un plan intimiste et individuel dont l’administration incombe à l’Église et à ses sacrements. La mort, vécue jusqu’alors comme l’accomplissement de l’ordre naturel des choses et donc comme une étape familière, se chargea d’angoisse et de terreur au moment de la Contre-Réforme1 et commença à être perçue comme une rupture, un basculement2. Dans l’Occident chrétien, on sentait la mort, la sienne propre et celles de ses proches, comme « toujours imminente, à l’affût, susceptible de survenir à tout instant » contrairement à l’Apocalypse désormais reportée au futur3. 2. Les trois âges de l’homme Dans notre conception linéaire du temps, l’être humain ressent le besoin d’imaginer et bâtir sa vie comme une sorte de récit doté d’un début, d’un milieu et d’une fin. En effet, tout homme – qui n’a pas la chance ou la malchance d’assister à la fin du monde – naît, vit et meurt au cœur des choses, il n’en connaît jamais la fin ultime. C’est pourquoi Kermode soutient que l’essentiel est d’avoir une limite qui donne au temps une forme finie et compréhensible, « ponctuée par
F. Kermode, Il senso della fine. Studi sulla teoria del romanzo, Milan, 1972, p. 41.
1
P. Ariès, Storia della morte in Occidente, Milan, 1998, p. 52.
2
A. Placanica, Storia dell’inquietudine. Metafore del destino dall’Odissea alla Guerra del Golfo, Rome, 1993, pp. XIII-XIV.
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les significations découlant de la fin »4. À cet effet, l’esprit humain se crée des archétypes du monde, permettant d’embrasser passé et futur dans un système de correspondances harmonieuses qui rendent notre existence tolérable, voire explicable, serions-nous tentés d’ajouter. D’où, l’importance de la structure du temps et de ses rythmes scandés par le changement5. L’exigence de voir notre vie traverser une succession d’étapes précises d’un début à une fin n’est autre qu’un artifice nous aidant à la visualiser et à donner un sens à notre passage sur Terre. C’est à la lumière du besoin humain d’inscrire l’existence à l’intérieur d’un schéma fragmenté que nous aimerions décrire cette peinture de Renato Guttuso représentant les Trois âges de l’Homme (fig. 11) 6. Le thème, que l’on retrouve non seulement dans l’art mais aussi en poésie et en littérature, remonte à l’antiquité. On y recourait tout au plus dans une intention moralisante, dont la vocation était de susciter une réflexion sur le sens de l’existence, sur les différents aspects de chaque âge de la vie et sur le mystère du temps qui passe. À l’instar de bien d’autres artistes, Guttuso interprète cette allégorie en puisant dans son autobiographie. Le garçon assis en haut à gauche, l’homme debout devant une femme nue et le vieillard au centre de la toile symbolisent respectivement son enfance, sa jeunesse et sa vieillesse. Les scènes se déroulent dans un environnement maritime aux teintes délicates et froides qui n’entrent pas pour autant en contradiction avec le paysage méditerranéen évoquant l’île de Capri. Le vieillard, autour duquel les autres semblent disposés en corolle, rappelle le saint Jérôme que Léonard de Vinci laissa inachevé et qui se trouve aujourd’hui aux Musées du Vatican à Rome. Le saint, amaigri par ses jeûnes prolongés durant son ermitage dans le désert, serre entre ses mains la pierre, avec laquelle il se frappe la poitrine en signe de pénitence, et tourne son regard vers le lion (attribut du saint) dont on entrevoit la forme. L’animal est un collage de papiers découpés,
F. Kermode, Il senso della fine. Studi sulla teoria del romanzo, Milan, 1972, p. 184.
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F. Kermode, Il senso della fine. Studi sulla teoria del romanzo, Milan, 1972, p. 184.
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Renato Guttuso (Bagheria, 1911- Rome, 1987), Saint Jérôme ou Les trois âges, technique mixte sur papier réentoilé, 258 x 152 cm (1978) ; Bibliographie : Guttuso. Opere dal 1931 al 1981, catalogue de l’exposition Venise, 4 avril - 20 juin 1982, sous la direction de C. Brandi, M. Calvesi, V. Rubiu, Florence, 1982, p. 207 ; C. Brandi, Guttuso: con antologia critica sous la direction de V. Rubiu, Milan, 1983, p. 209 ; Guttuso grandi opere, catalogue de l’exposition Milan, Palais. Royal 12 décembre 1984 - 24 février 1985, sous la direction de V. Rubiu, Milan, 1984, pp. 130-131, 211.
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fig. 11 Renato Guttuso (Bagheria, 1911- Rome, 1987), Saint Jérôme ou Les trois âges, technique mixte sur papier réentoilé, 258 x 152 cm (1978)
une ombre sans profondeur à l’exemple du corps étendu de la femme évanescente, esquissé au crayon. La consomption de la vieillesse et l’approche de la mort sont la clé de lecture permettant à l’artiste de vivre son histoire à rebours, une histoire d’où se dégage moins la sagesse que la mélancolie. La femme couchée n’est plus que le souvenir de la jeune fille séduisante aux formes généreuses qui flirtait avec l’artiste sur la plage et dont les traits ressembleraient, selon Cesare Brandi, à ceux d’un ange. Reléguée dans une perspective spatio-temporelle lointaine, l’insouciance de l’enfance se manifeste sous les traits d’un jeune garçon (Mercure ?) 7. Nu et en contact avec la nature, il peut donner libre cours à sa part instinctuelle non encore inhibée par l’expérience. Ce tableau, réalisé en 1978, est le premier d’une trilogie à laquelle l’artiste donna le nom d’Allégories et qui comprenait aussi Le Sommeil de la raison produit des monstres (1979) et Les voyages (1979). Ces trois œuvres illustrant la mélancolie témoignent d’une unité formelle assurée par la présence de figures tirées de peintures de la Renaissance8. 3. Vanitas Issu du latin vanus, le mot vanité signifie vide, vain. Les arts visuels attribuent ce terme à des compositions particulières nées au sein même du genre de la Nature Morte, et l’utilisent à des fins strictement moralisantes. Les Vanités connaissent leur âge d’or à l’époque baroque, surtout dans les pays de la réforme protestante, en raison de l’aversion que calvinistes et luthériens éprouvent à l’égard des œuvres profanes telles les scènes de genre ou les natures mortes. Les objets symboliques mis en scène racontent la fugacité du temps (le sablier ou l’horloge), l’éphémère de l’existence (une bougie qui se consume ou un papillon en vol), l’inéluctabilité de la mort (un crâne humain dans la pénombre). Ce dernier ne symbolise plus comme au Moyen Âge une
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Guttuso. Opere dal 1931 al 1981, catalogue de l’exposition Venise, 4 avril - 20 juin 1982, sous la direction de C. Brandi, M. Calvesi, V. Rubiu, Florence, 1982, pp. 207-208. Guttuso. Opere dal 1931 al 1981, catalogue de l’exposition Venise, 4 avril - 20 juin 1982, sous la direction de C. Brandi, M. Calvesi, V. Rubiu, Florence, 1982, pp. 207-208 ; C. Brandi, Guttuso: con antologia critica sous la direction de V. Rubiu, Milan, 1983, p. 209 ; Guttuso grandi opere, catalogue de l’exposition Milan, Palais. Royal 12 décembre 1984 - 24 février 1985, sous la direction de V. Rubiu, Milan, 1984, pp. 130-131, 211. Voir aussi bibliographie précédente.
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pensée macabre, douloureuse et menaçante, mais rappelle, face à l’inconsistance de l’existence, la nécessité d’une vie chrétienne. La pensée de la mort transmise par le crâne impose l’humilité, convie au détachement des biens terrestres et à l’affranchissement de l’orgueil, source de péché. La Vanité se voulait à la fois un avertissement, mais encore le signe de l’espérance en la Résurrection9. Ainsi maîtrisée à force de familiarité, la Vanité commence à s’introduire dans différents champs sémantiques. Elle n’est pas uniquement perçue dans un système chrétien comme une marque de salut ou de damnation. Elle permet aussi d’aboutir au constat « d’un néant » vers lequel l’homme est sans cesse poussé. Des réflexions objectives sur les choses et sur la condition humaine prennent corps à mesure que progressent les études sur la nature et sur l’homme10. C’est sur cette toile de fond que s’inscrit cette Vanité sur bois réalisée par un auteur anonyme entre 1600 et 1630 (fig. 12)11 et décrite comme suit par Alain Tapié : « l’effigie, d’une incroyable puissance visuelle par la simple partition entre l’ombre et la lumière, met en exergue la fluidité et la sobriété conceptuelles et septentrionales sous lesquelles couve une forte et organique expressivité gestuelle. Cet absolu chef-d’œuvre », conclut-il, « révèle que l’audace d’une telle image n’est pas réservée au milieu de la dévotion exacerbée, animée par les Jésuites autour de 1640. Sa puissante portée méditative n’en scelle, pas moins, son entière appartenance au renouveau spirituel qui toucha la pensée catholique après le Concile de Trente »12.
Les vanités dans la peinture au XVIIe siècle. Méditations sur la richesse, le dénuement et la rédemption, sous la direction de A. Tapié, Ville de Caen, Musée des Beaux-Arts, 27 juillet - 15 octobre 1990, Paris, 1990, pp. 212 ; E. Z. Merlo, La morte e il disinganno. Itinerario iconografico e letterario nella Spagna cristiana, dans Humana fragilitas. I temi della morte in Europa tra Duecento e Settecento, sous la direction de A. Tenenti, Clusone (BG), 2000, pp. 219-250, à p. 241.
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P. Scaramella, L’Italia dei Trionfi e dei Contrasti, dans Humana fragilitas. I temi della morte in Europa tra Duecento e Settecento, sous la direction de A. Tenenti, Clusone (BG), 2000, pp. 25-88, à pp. 75-76.
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Anonyme du XVIIe siècle, Vanité, huile sur planche en bois, 34,1 x 26,2 cm. Cette œuvre serait imputable à de grands noms tels que Antonio de Pereda (Valladolid, 1611 – Madrid, 1678) spécialiste de ce genre pictural ou alors à un peintre allemand du début du XVIe siècle influencé par George Flegel (cfr. Fiche inédite Vanité Anonyme du XVIIe siècle, huile sur bois, 34,1 x L. 26,2 cm sous la direction de la galerie Mendes, Paris). Bibliographie : Tapié, Alain, Vanité : Mort que me veux-tu ?, catalogue de l’exposition, Fondation Pierre Bergé Yves Saint-Laurent, 23 juin - 19 septembre 2010, Paris, 2010, p. 30, ill. p. 8.
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Tapié, Alain, Vanité : Mort que me veux-tu ?, catalogue de l’exposition, Fondation Pierre Bergé Yves Saint-Laurent, 23 juin - 19 septembre 2010, Paris, 2010, p. 30, ill. p. 8.
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fig. 12 Anonyme du XVIIe siècle, Vanitas, huile sur bois, 34,1 x 26,2 cm
L’ampleur internationale que ce type de sujets acquiert au XVIIe siècle explique l’anonymat de l’artiste. Très probablement cette toile appartient à la famille des « Vanités austères » des années 1620-1630, réali68
sées sur un fond vide avec un encadrement frontal et une dominance de teintes monochromes. Des analyses physico-chimiques conduites sur l’œuvre ont révélé que le peintre a utilisé très peu de matière picturale, diluée dans une solution brune et dorée appliquée sans préparation et de manière uniforme sur toute la planche13. Il en résulte un délicat jeu de transparences animé de contrastes lumineux et de touches dorées disséminées sur les parties saillantes du crâne14. Il vaut la peine de s’arrêter un instant sur les revers de fortune essuyés par ce genre pictural au fil des siècles. S’il s’essouffle lorsqu’il perd de son macabre lyrisme au XVIIe siècle, il connaît un succès qui reste mitigé au XVIIIe siècle. Ce n’est qu’à partir du XXe siècle que le crâne humain revient en vogue avant de reprendre, à compter du nouveau millénaire, une place de choix dans les arts visuels. Mais pour vertigineuse qu’elle soit, cette montée ne rime pas avec vitalité. Il semble que l’art s’y soit tellement habitué qu’il s’en trouve anesthésié au point d’avoir dépouillé le symbole de toute sa charge de peur et de réflexion morale15. Il est aussi intéressant de voir au quotidien les changements de comportement face à la représentation de la tête de mort. La tendance récente, et probablement passagère, propose la reproduction de crânes colorés ou couverts de brillants sur vêtements, accessoires et autres objets courants. Le monde des « app » pour smartphones a lui aussi enfourché la vague « tête de mort » et offre pour les iPhone de véritables memento mori de l’ère numérique comme par exemple « Vanité » (Tale of Tales, disponible sur l’App Store)16. 4. La Mort et le Sommeil Si le Moyen Âge et la Renaissance ont vu fleurir les images macabres, c’est néanmoins entre le XVIIe et le XVIIIe siècle que la confrontation consciente et insistante de l’individu avec sa propre mort inaugure
13
Locatelli C., Pousset D., Étude xylologique et dendrochronologique d’un panneau peint représentant la Vanité, Galerie Mendes – Paris (75), Mai 2010, Laboratoire d’expertise du Bois et de la Datation par Dendrochronologie (LEB2d) – CIPRES, Besançon, 2010-06, 10p.
Fiche inédite Vanité. Anonyme du XVIIe siècle, huile sur bois, cm 34,1 x L. 26,2 sous la direction de la galerie Mendes, Paris.
14
A. Zanchetta, Frenologia della vanitas. Il teschio nelle arti visive, Truccazzano (Milan), 2011.
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http://www.youtube.com/watch?v=QpQ8V29hWSo. Nous remercions Carlo Maiolini du Musée MUSE de Trente pour nous l’avoir signalé.
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des formes de représentation, originales pour la plupart, qui donneront lieu à un véritable genre pictural au succès sans précédent et dont nous continuons à subir la fascination. Ce tableau d’un anonyme de l’école génoise, datant de la moitié du XVIIe siècle, présente une très grande qualité, même si l’attribution et l’iconographie sont actuellement l’objet d’études (fig.13)17. Le cortège des attributs accompagnant les deux personnages brouille les pistes de leur identification que nous nous efforcerons néanmoins ici de déchiffrer. Un paysage de ruines – serait-il peint par un autre, un étranger venu en Italie ? – accueille deux personnages : à gauche un putto tenant dans la main une torche renversée, à droite un vieillard chenu vêtu d’un pagne. Ce dernier, assis sur le socle d’une colonne brisée, croise les jambes et montre un pied difforme alors qu’il serre dans sa main un sablier. Au sol reposent un crâne et une faux. L’iconographie du putto remonte à l’antiquité et semble représenter un génie funéraire en train de renverser la torche, symbole de la vie qui s’éteint. Il figure souvent sur les sarcophages antiques et se nourrit d’une longue tradition qui le voit survivre jusqu’au Moyen Âge, où il apparaît sur la façade du dôme de Modène, voire jusqu’au XIXe siècle, puisque maintes fois Canova le sculpte sur ses monuments funéraires, à l’exemple de la tombe de Clément XIII dans la basilique Saint-Pierre de Rome. En revanche, l’identification du vieillard pose problème. Son aspect d’une part et le sablier de l’autre l’assimilent au Temps dont l’attribut mesure la course. Une longue tradition iconographique a vu se fondre, à partir de la Renaissance, les attributs du Temps, appelé Chronos par les Grecs, à ceux de Saturne, dieu de l’agriculture nommé, quant à lui, Kronos par les Romains. C’est sans doute l’assonance nominale, doublée d’une certaine ressemblance représentative, qui a favorisé cette confusion. En effet, tous deux sont dépeints comme des vieillards barbus, créateurs de toutes choses, le premier pourvu d’ailes, expression du temps qui passe, et le second d’une faucille, à la fois symbole de la moisson et de la mort. Lorsqu’on en vient ensuite à identifier les divinités du Panthéon gréco-romain avec les Planètes, la coïncidence entre le Temps et Saturne
Anonyme de l’école génoise XVIIe siècle, La Mort et le Sommeil, huile sur toile, 157 x 130 cm ; inédit. Nous remercions le prof. Nicholas Turner pour avoir préliminairement examiné le tableau.
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fig. 13 Anonyme de l’école génoise XVIIe siècle, La Mort et le Sommeil, huile sur toile, 157 x 130 cm
se fait encore plus forte18 et génère, d’après Panofsky, le Maître Temps. Tantôt « Destructeur » tantôt « Révélateur », celui-ci transforme et
Cfr. R. Klibansky, E. Panofsky, F. Saxl, Saturno e la melanconia. Studi su storia della filosofia naturale, medicina, religione e arte, Turin, 2002, notamment pp. 131-148.
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balaie ce qu’il rencontre sur son passage ou bien laisse affleurer la Vérité. Les attributs des deux dieux s’entremêlent et changent de sens. Par exemple, la faucille figurant dans notre tableau, est l’outil attribué à Saturne mais aussi au Temps car, comme le rappelle Servio, tempora quae sicut falx in se recurrunt19. Cependant, dès l’Antiquité elle désigne la Mort, souvent associée à Saturne, comme elle la désigne d’ailleurs encore aujourd’hui. En brandissant la faucille, le Temps entre donc toujours en relation avec la Mort. Et c’est à partir de cette étroite correspondance qu’au XVe siècle la « Dame Noire » empruntera au Temps son sablier, présent lui aussi dans notre tableau, qui – non plus instrument de mesure mais signe funeste – présage la fin. Par ailleurs, les ruines servant de décors à la composition évoquent l’intime corrélation entre celles-ci et notre existence fugace et se coulent dans une tradition désormais bien établie dans l’histoire de l’art20. En particulier, le fragment de la colonne sur lequel le vieillard est assis, résonne avec la vie brisée par la mort et joue souvent le rôle de symbole funéraire sur les tombes au même titre que le crâne abandonné au sol. Celui-ci, censé encourager à la réflexion sur la vanité et la brièveté de la vie, devait automatiquement rappeler la mort. Tous les attributs du vieillard semblent l’assimiler aussi bien au Temps, dont il ne possède cependant pas les ailes, qu’à la Mort, dont pas même il ne possède les traits. En effet, dans son traité d’Iconologie, Ripa décrit la Mort comme une Dame pâle aux yeux serrés vêtue de noir […] 21. C’est donc dans d’autres sources qu’il nous faut puiser pour en retrouver les origines. Souvent sur les anciens sarcophages sont sculptés en vis-à-vis deux génies funéraires, parfois ailés, les jambes croisées et s’empressant d’éteindre la flamme. Lessing s’essaie le premier à les identifier chez les deux jumeaux de la Nuit Hypnos (le Sommeil) et Thanatos (la Mort)22. Hésiode23 raconte que Hypnos « parcourt la Terre et le dos de la mer en se montrant toujours paisible et doux
Telle la faucille, le temps court après le temps.
19
cfr. Ruinen des Denkens, Denken in Ruinen, sous la direction de N. Bolz, W. van Reijen, Frankfort, 1996.
20
Cesare Ripa, Iconologia, Rome, 1593, ad vocem.
21
Homère a beaucoup écrit sur la ressemblance et la correspondance entre sommeil, frère jumeau de la mort. Cfr. M. Zanatta, Immagini della morte in Omero, dans Homo moriens, sous la direction de M. Zanatta, Cosène 2006, pp. 13-114.
22
Hesiode, Theog. 762-766 cité dans M. Zanatta, Immagini della morte in Omero, dans Homo moriens, sous la direction de M. Zanatta, Cosène, 2006, pp. 13-114.
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pour les hommes, contrairement à son frère qui, ennemi implacable du genre humain, odieux même aux Immortels, a un cœur de fer, des entrailles d’airain et une âme de bronze». À la différence de leur caractère fait parfois écho la différence de leur physionomie. Euclide de Mégare dit par exemple24 que Hypnos a l’air « plus jeune et plus adolescent” alors que Thanatos est « plus gris et plus vieux »25. Observons également le passage dans lequel Pausanias26 décrit l’arche de Cypsèle abritée par le temple d’Héra à Olympie. On y avait sculpté une femme tenant deux enfants dans ses bras, l’un blanc et endormi à droite, l’autre noir à gauche, tous deux aux pieds tordus27. Lessing raconte, quant à lui, que dans le Rondel les pieds tordus du Sommeil faisaient d’ordinaire allusion, durant l’Antiquité, à l’incertitude et à la tromperie des songes. Toutefois Lessing rejette l’hypothèse et affirme que les visions oniriques ne sont pas toutes dénuées de valeur pour les Anciens et que, d’ailleurs, la mort se caractérise par l’absence de rêves. Par conséquent, l’idée d’enfants aux pieds tordus ou difformes perd tout son sens. Il propose plutôt de traduire le passage « aux pieds croisés », puisque telle est la position que prend habituellement sur les monuments anciens le dormeur et la personne au repos28. À la lumière des remarques ci-dessus, le détail singulier du pied difforme du vieillard pourrait donc s’expliquer par une traduction erronée des sources anciennes, qui aurait eu la faveur du peintre anonyme. Cette dernière précision laisse pencher pour une interprétation du vieillard représentant la Mort, encore que l’ambiguïté des attributs trouble l’univocité de l’identification du personnage. Il reste cependant à établir si, en conformité avec les sources, le putto peut effectivement se comparer au Sommeil et donc au « jumeau dif-
Rapporté par Stobeo, Anth., VI, 65 cité dans M. Zanatta, Immagini della morte in Omero, dans Homo moriens, sous la direction de M. Zanatta, Cosène, 2006, pp. 13114, note 89, p. 93
24
Cité dans M. Zanatta, Immagini della morte in Omero, dans Homo moriens, sous la direction de M. Zanatta, Cosène, 2006, pp. 13-114, note 89, p. 93.
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Pausanias V, 18,1. Pausanias écrivit un guide de la Grèce dont l’editio princeps remonte à 1516 (J. Schlosser Magnino, La letteratura artistica: Manuale delle fonti di storia dell’arte moderna, Citta di Castello, 1998, p. 12).
Le traducteur latin rapporte « distortis utrimque pedibus » et le français « les pieds contrefaits » (G. E. Lessing, Come gli antichi raffiguravano la morte, 1789, réimprimé à Palerme, 1983, p. 37).
27
G. E. Lessing, Come gli antichi raffiguravano la morte, 1789, réimprimé à Palerme, 1983, pp. 34-38.
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férent » de la Mort ou à son simple alter ego iconographique. 5. Suicide Le suicide a toujours dérangé le Christianisme et les théologiens qui, par conséquent, se sont évertués à l’ignorer autant que possible. S’ôter la vie équivaut, depuis la nuit des temps, à un affront à la volonté de Dieu, maître de la vie et de la mort. Néanmoins, le suicide de Judas cité dans le Nouveau Testament exige une interprétation et une justification et partant, il est conçu comme le prélude nécessaire à la mort du Christ selon la volonté divine. La question du suicide partage l’Europe moderne en deux courants de pensée. Le premier se situe dans le prolongement de l’école stoïque qui saisit l’héroïsme dans l’acte volontaire de s’ôter la vie, tandis que l’autre dénonce le suicide comme un acte d’insubordination aux lois de Dieu et de l’État. Se greffent là-dessus d’autres opinions qui le tiennent pour le symptôme d’une maladie ou bien, dans le milieu protestant, comme l’œuvre du démon. Le thème du suicide, amplement débattu au sein des humanistes et des théologiens, sut aussi se frayer une voie royale dans les arts visuels, surtout en Italie, en France et en Allemagne. Des femmes comme Lucrèce, Sophonisbe, Didon ou Cléopâtre se rejoignent alors dans une sorte de « sécularisation » de la représentation des suicides légendaires et héroïques. Ainsi, l’intérêt pour ces iconographies, déjà très appréciées dès le XVIe siècle, s’intensifie à partir de la moitié du XVIIe. Brown29 impute cette tendance à la résolution du débat médiéval autour de la reproduction du corps de la femme : la charge émotionnelle de vice et de luxure susceptible de se dégager à la vue d’un corps féminin s’accommode mal avec l’idée d’un héroïsme vertueux dont ces femmes se font le héraut. Dans le processus de redéfinition du suicide, la luxure était en passe de revêtir un rôle nouveau. En proie au charme qu’exerçait sur eux la mort d’une femme séduisante, les artistes hommes se plaisaient à suggérer par leurs œuvres un lien subtil entre le suicide, geste de grande faiblesse, et la féminité. Aussi, par ce tour de passe-passe, des sujets
R. M. Brown, The Art of Suicide, Londres, 2001, p. 95.
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empruntés à l’histoire antique se prêtaient à représenter une femme sommairement vêtue, dès lors que le message de luxure véhiculé par le corps nu était supplanté par sa dimension symbolique liant le suicide à la féminité. À preuve, Cléopâtre, brandissant le serpent dont elle a été mordue, est représentée la poitrine découverte. La force destructrice symbolisée ainsi que l’aspect phallique du reptile soulignent la nature équivoque du suicide. En effet, quelles sont les raisons à l’origine de cet acte désespéré? L’appât du gain ? La peur d’être reconduite à Rome ? L’avidité et la vanité ? Le pouvoir ? L’art du XVIIe siècle semble insinuer que, par le suicide, la femme se donne les moyens d’acquérir un pouvoir et des privilèges auxquels il ne lui est pas permis d’accéder de son vivant. En attentant à son corps, réceptacle tangible de ses expériences et de ses douleurs, la femme se dote, en réalité, d’une individualité. Qu’elle soit ou non irrationnelle, cette fantaisie sous-tend le désir de maîtriser non seulement le futur, la mort et la vie mais également de préserver sa réputation30. Dans ce tableau d’Alberto Carlieri, peintre romain d’architectures, la scène de la mort de Cléopâtre se déroule au premier plan d’un palais grandiose (fig. 14)31. Malgré une forte prédilection pour les scénographies, Carlieri parvient à donner sa juste place à la scène dramatique dans l’architecture monumentale qui dévore quasiment la toile. L’heureuse réussite de cette composition inaugurera, en fait, une longue série d’œuvres où les scènes historiques se déploient dans l’enceinte de pompeuses bâtisses. La touche du pinceau relève presque de la miniature pour ces personnages qui s’abîment dans le chagrin occasionné par le récent deuil. Toutefois, des doutes subsistent quant à l’identité du peintre de figures, dont on suppose qu’il pourrait très bien s’agir d’un collaborateur. La taille réduite des personnages accentue la monumentalité et la majesté du palais, théâtre de la scène. La paroi centrale est entièrement
R. M. Brown, The Art of Suicide, Londres, 2001, pp. 88-97 ; cfr. S. Stack, D. Lester, Suicide and the Creative Arts, New York 2009 ; R. Andres, Historia del suicidio en Occidente, Barcelone, 2003.
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Alberto Carlieri (Rome, 1672 – 1720), La mort de Cléopâtre, huile sur toile, 96 x 134 cm ; c’est au prof. Sestieri, qui publiera l’œuvre dans la monographie de l’artiste en cours d’impression, que l’on doit la proposition d’attribution à Carlieri ; pour le peintre, voir D. R. Marshall, The architectural piece in 1700: the paintings of Alberto Carlieri (1672vers 1720) pupil of Andrea Pozzo, dans « Artibus et historiae », n° 25 (2004), pp. 39126 ; H. Voss, The painter of architecture : Alberto Carlieri, dans « Burlington magazine », n° 101 (1959), pp. 443-444.
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fig. 14 Alberto Carlieri (Rome, 1672 – 1720), La mort de Cléopâtre, huile sur toile, 96 x 134 cm
ornée de frises antiquisantes dans un jeu vertueux qui semble suggérer la présence d’un tableau en grisaille à l’intérieur du tableau principal. Par contre, sur les côtés s’érigent deux hautes galeries d’arcades rythmées par des statues et d’énormes colonnes, fruit d’une savante recherche luministe qui guide l’œil vers des profondeurs inespérées. La perspective s’ouvre sur d’autres parties du bâtiment : encore des portiques, des terrasses et des sculptures qui se découpent sur un ciel limpide d’un azur intense. Au loin à l’horizon se profile un paysage blafard qui ressemble à une ville. Le jour funeste, témoin de la mort de la plus célèbre des reines de l’Antiquité, est une journée sereine ouverte sur le futur.
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VI. L’homme artisan de sa propre fin : destructeur / constructeur / destructeur ? 1. La guerre La catastrophe peut être de nature autre que naturelle ou divine. Les guerres et les reconstructions qui s’ensuivent sont, elles aussi, porteuses de peines et de souffrances. Le conflit est inhérent à la nature humaine et lui est indissociablement lié. D’après Kant, il permet à la vie de rester active, réactive et en mouvement quand bien même il se traduirait par des phases explosives et des effusions de violence. En effet, la légitimité d’un conflit se justifie lorsque toutes les parties impliquées ont la possibilité de faire librement valoir leurs prétentions, leurs raisons et leurs critiques réciproques devant l’instance d’un jugement supérieur. Par contre, il perd toute légitimité lorsque le droit et la liberté d’autrui viennent à manquer, autrement dit en cas de guerre. La guerre est donc moralement inacceptable, négative en soi et l’on se doit de la dépasser1. James Hillman, quant à lui, renverse la perspective et se penche sur la fascination que la guerre exerce sur l’homme. Enracinée dans la nature humaine, la guerre répondrait à une pulsion primaire et ambivalente, sous l’emprise du flux de la libido à l’exemple d’autres pulsions tels que l’amour et la solidarité qui l’entravent et la confortent à la fois. Le psychologue part du principe qu’une reconnaissance lucide et une acceptation consciente de cette pulsion sont les conditions pour s’en libérer. Plus qu’une incarnation du Mal, la guerre constitue une
G. Cunico, Introduzione. Pace, guerra e conflitto in Kant, dans I. Kant, Guerra e Pace: politica, religiosa, filosofica. Scritti editi e inediti (1775-1798) sous la direction de G. Cunico, Reggio Emilia, 2004, pp. 9-32, aux pages 10-14.
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constante de la nature humaine. En témoignent les similitudes entre les récits de guerre et les descriptions homériques. Pour Hillman, « la guerre appartient à notre âme et à notre vérité archétypale du cosmos. C’est une œuvre humaine et une horreur inhumaine, un amour qu’aucun autre amour n’a été capable de surmonter. » Vues sous cet angle, toutes les guerres du passé et du présent apparaissent comme de simples variantes de la guerre la plus emblématique de l’Occident classique, chantée dans l’Iliade2. Et c’est précisément cette guerre mythique que raconte le dessin de Luigi Ademollo datable de la fin du XVIIIe siècle (fig. 15)3. Ce dessin fait partie d’une série compacte, bien qu’incomplète, qui représente les Métamorphoses d’Ovide. La scène issue du chapitre XII de la légende de Troie conte l’un des derniers moments du conflit qui vit s’affronter Grecs et Troyens pendant plus de dix ans. Les remparts de la ville inexpugnable avaient été franchis grâce au stratagème du cheval et les Achéens avaient envahi les rues de la cité, semant mort et douleur. Le papier d’Ademollo foisonne de personnages dont les gestes désordonnés créent pour ainsi dire une trame sans solution de continuité. Il s’agit là d’une technique picturale : la plume trace les contours et les détails alors que l’encre aquarellée et le blanc confèrent ombre et profondeur dans un monochrome qui rappelle les bas-reliefs de l’Antiquité. Le peintre, à cette époque, n’a pas encore accompli sa conversion néoclassique et l’intérêt pour les canons esthétiques de la classicité passe par une recherche « expressionniste »4 perceptible tout au long de la séquence de dessins, dont le nôtre est un exemplaire. En effet, au fil de sa carrière l’artiste s’essaiera maintes fois aux thèmes
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J. Hilmann, Un terribile amore per la guerra, Milan, 2005.
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Luigi Ademollo (Milan, 1764 - Florence, 1849), La guerre de Troie, plume, encre et blanc sur papier, 140 x 220 mm, inédit. Bibliographie essentielle sur l’artiste : F. Leone, Napoleone a Pitti nei disegni di Luigi Ademollo, Rome, 2010 ; F. Leone, Aspetti dell’arte neoclassica a Roma, Rome, 2009 ; Luigi Ademollo (1464-1849): l’enfasi narrativa di un pittore neoclassico: oli, disegni e tempere, sous la direction de F. Leone, catalogue Galerie Carlo Virgilio, Rome, 2008; Le metamorfosi di Ovidio illustrate da Luigi Ademollo, catalogue de l’exposition Rome, Galerie Paolo Antonacci, décembre 2006, Rome, 2006 ; A. Desideri, Luigi Ademollo e il sacro, dans « Artista » (2004), pp. 6-37.
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Ademollo préféra aux canons fondamentaux de la pensée néoclassique tels que celui de la beauté idéale et de la staticité olympienne chère à Winckelmann, une poétique de l’anti-esthétique, de l’anti-grâce, de la rusticité dyonisiaque (S. Pratelli, Storie di eroi: Omero e Plutarco come fonti per le incisioni di Luigi Ademollo, in Biografia dipinta e ritratto dal Barocco al Neoclassico, actes du colloque Sienne 26 - 27 octobre 2007, Montegriggioni, 2008, pp. 207-221, aux pages. 207-209).
fig. 15 Luigi Ademollo (Milan, 1764 - Florence, 1849), La guerre de Troie, plume, encre brune et rehauts de blanc sur papier, 140 x 220 mm
mythologiques extraits des Métamorphoses, mais atteindra rarement à une qualité et à une synthèse aussi réussie entre classicisme et vivacité narrative. Si la guerre est une constante de la nature humaine, elle n’en est pas moins toujours suivie d’une reconstruction qui, de nos jours, comporte des aspects inquiétants et ambigus. Il suffit de penser à la façon dont l’Occident fort souvent cèle derrière ses guerres contre des pays plus pauvres des logiques économiques, elles-mêmes liées à la reconstruction. 2. La construction Il n’est pas rare que reconstruction ou construction sanctionnent un moment de passage, signe tangible de l’œuvre humaine qui exprime, à travers l’impulsion et la force constructrice, une volonté, une pensée, un nouvel élan. Pour preuve, le Colisée de Rome, sujet guère 81
fig. 16 Pietro Lucatelli (Rome, 1634 – environ 1710), La construction du Colisée, plume, encre brune et lavis d’encre brune sur papier, 454 x 615 mm
représenté dans les arts visuels, auquel Pietro Lucatelli consacre, par contre, ce splendide papier hors format (fig. 16)5. La construction de l’immense amphithéâtre réalisée aux alentours de 80 après J.-C. marque, en quelque sorte, la fin du règne de Néron et de sa tyrannie. En effet, c’est le jardin de la ville privée de l’empereur, la Domus Aurea, dominée par une statue colossale dont le Colisée prendra le nom, qui accueillera ce monument.
Pietro Lucatelli (Rome, 1634 – environ 1710), La construction du Colisée, plume, lavis, encre brune sur papier, 454 x 615 mm ; inédit. Bibliographie essentielle : C. Lucatelli, Pietro Lucatelli (1637 – 1710), pittore romano ancora da scoprire dans “Lazio ieri e oggi”, n. 46, (2010), 547, pp. 171-173; C. Lucatelli, Pietro Lucatelli (1637 – 1710), pittore romano ancora da scoprire dans “Lazio ieri e oggi”, n. 46, (2010), 646, pp. 146 – 148; P. Betti, Testimonianze di pittura romana a Lucca tra Sei e Settecento, dans “Rivista dell’Istituto Nazionale d’Archeologia e Storia dell’Arte”, n. 60 (2005), pp. 213-223; E. G. Manieri, Pietro Lucatelli, dans Pietro da Cortona, cat. exp. Roma 1997-1998, sous la dir. de A. Lo Bianco, Milano, 1997, pp. 265-270; P. Dreyer, Pietro Lucatelli dans “Jahrbuch der Berliner Museen, n. 9 (1967), pp. 232-273.
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Le dessin inédit de Lucatelli nous livre une composition scénique d’une vivacité légère et lumineuse. À droite, les ouvriers travaillent à l’échafaudage de l’ouvrage cependant qu’à gauche, au premier plan, d’autres avancent sous la direction de l’architecte. Le dessin reflète l’intérêt que Lucatelli nourrissait pour l’Antiquité et qu’illustre une vaste production. Néanmoins, à la différence des peintures de ruines et de personnages qui nous sont si familières, l’artiste cultive un goût prononcé pour une narration à mi-chemin entre histoire et mythologie. 3. Construction ou destruction ? L’homme s’avère-t-il encore aujourd’hui un artisan constructif soucieux de moduler avec harmonie les espaces sur notre planète ou bien se laisse-t-il porter, tel un bâtisseur sans cœur et sans raison, par le vent du progrès qui uniformise et réduit tout à néant ? Andrea Clemente nous fait remarquer, par exemple, que de nos jours le mot ville sonne comme un anachronisme. Passant de la mesure à la démesure, l’espace urbain a, en effet, subi de radicales mutations. Depuis longtemps, la concentration et la continuité ont fait place à l’éparpillement et à la fragmentation. Le phénomène urbain est sans fin. Autrefois lieu d’habitation, la ville a fini par devenir un lieu de passage. Dans une même ville, il arrive de devoir parcourir de longues distances, dans le seul but d’arriver à destination. Si ce phénomène d’occupation démesurée du sol ne concernait jadis que l’Occident, il affecte aujourd’hui tous les continents. Dans un certain sens, le monde même s’apparente à une ville, en raison du système des grandes firmes économiques et financières, qui envahissent le marché de produits et de services partout pareils. Il suffit de penser aux produits de consommation qui inondent les foyers de la planète : mêmes emballages, mêmes marques, mêmes stratégies de vente. Ils s’approprient les villes, faisant fi des contextes géographiques et des identités culturelles d’origine6. D’après Sassen, il a été démontré que l’homme se sent dépaysé car « certaines villes comme New York, Tokyo, Londres, San Paolo, Hong Kong, Toronto, Miami, Sydney se sont muées en de nouveaux “espaces” de marchés transnationaux qui, ayant ainsi prospéré, ont fini
A. Clemente, La città con fine, dans Apocalisse. Modernità e fine del mondo, sous la direction de N. Novello, Naples, 2008, pp. 271 -279, aux pages 271-274.
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fig. 17 Robert Guinan (Watertown, New York, 1934), Lumière dans North Avenue, acrylique sur isorel, 112 x 169, (1980/1981)
par avoir plus de choses en commun entre eux qu’avec les aires régionales et nationales respectives, dont la plupart ont perdu de leur importance »7. Et c’est bien ce sentiment de désorientation que transmet l’extraordinaire tableau de Robert Guinan (fig. 17)8. Le paysage urbain, qu’il dévoile sous nos yeux, ressemble à une banlieue d’un pays quelconque, ne
S. Sassen, La città nell’economia globale, trad. it. de N. Negro, Bologne, 1997, p. 8.
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Robert Guinan (Watertown, New York, 1934), Lumière dans North Avenue, acrylique sur isorel, 112 x 169 cm, (1980/1981) ; bibliographie : A. De Maistre, Robert Guinan, Paris 1991, pp. 150-151 ; bibliographie essentielle sur l’artiste : F. Magani, C. Malberti, La pelle nera, catalogue de l’exposition Monza, Galerie Marieschi 1997, Milan, 1997 ; P. Bordes, Grenoble : Musée de Peinture et de Sculpture ; Lyon, Musée des Beaux-Arts : tableaux de Guinan, dans « Revue du Louvre », n° 34 (1984), pp. 53-55 ; A. Loeb, Robert Guinan : peintures, dessins et lithographies, Grenoble, 1981.
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serait-ce pour le silo élevé sur pilotis si caractéristique des États-Unis. L’artiste, qui se rattache au courant du réalisme, a longuement étudié la représentation de scènes urbaines et seuls les propos de Jean Clair tenus à l’occasion de l’exposition de 1979 « Cité de la Nuit », sont à même de traduire, croyons-nous, le sentiment de l’artiste aux prises avec ces paysages : « Du nord au sud, c’était partout les mêmes immeubles de brique à deux étages, d’ocre jaune, d’ocre rouge, d’ocre gris, les mêmes toits plats, les mêmes poteaux goudronnés, les mêmes terrains vagues ; rien de distinctif qui pût montrer qu’on était à Brooklyn, à Chicago ou à Los Angeles. Simultanément, une même menace planait sur eux : précaires, leurs constructions semblaient vouées à une ruine prochaine ; on les remplacerait par d’autres, qui leur seraient pourtant pareilles, cycle indéfini d’une fièvre urbaine qui démolissait en réédifiant à l’identique et qui répondait au cycle infernal du climat, ruinant et bâtissant à la hâte, sur un sol égal et indifférent, nuées et glaciation de toute espèce »9.
Jean Rechy, Cité de la Nuit, catalogue de l’exposition à la Galerie Albert Loeb (1979), cité dans A. De Maistre, Robert Guinan, Paris, 1991, p. 126.
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fig. 18 Ettore Greco, Le manège, terre cuite patinée (2012), 160 cm, détail
VII. Crise ou Apocalypse ?
À la Fin prélude un temps qui n’appartient ni à celle-ci ni à la phase précédente. Cet entre-deux atemporel, à l’interstice de l’avant et de l’après, pourrait répondre à la définition de transition. Au XIIe siècle, le calabrais Joachim de Flore, moine cistercien, est le premier à identifier cette période, après s’être livré à l’interprétation du texte de l’Apocalypse où il est explicitement fait référence à une période de trois années, appelées « les trois années de la Bête », précédant la fin des temps. Or, selon Frank Kermode, cette théorie fortement controversée par l’Église s’est déjà insinuée dans notre conscience, entraînant une modification de nos comportements vis-à-vis de l’Histoire. Comme l’observe Ruth Kestenberg-Gladstein, la « triade de Joachim nous met inévitablement face à un présent qui n’est autre qu’un pur et simple état de transition ainsi qu’à la sensation de vivre un tournant décisif ». La transition dont parle le moine serait donc l’ancêtre historique du concept moderne de crise. En effet, lorsqu’il est question de transition d’une époque à l’autre, par exemple dans le domaine de l’histoire ou dans celui de l’histoire de l’art, référence est faite à un système en crise en quête d’un nouvel équilibre, d’un nouveau status quo ou d’un nouveau langage. C’est pourquoi les moments de crise rappellent que l’on s’approche d’une fin, mais aussi d’un début. L’anxiété qu’ils déclenchent est propre à notre tradition, voire relèvent de notre conformation physiologique. Le concept de crise affecte, en effet, profondément notre façon de donner un sens au vécu. Pour Kermode encore, ce qui caractérise le dialogue entre l’homme et le futur « c’est qu’il pense que sa vie a un rapport d’exceptionnalité au futur »1.
F. Kermode, Il senso della fine. Studi sulla teoria del romanzo, Milan, 1972, p.119.
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Quant à nous, nous pensons que la crise actuelle est prééminente, plus tourmentée et plus intéressante que les crises du passé, ce qui explique pourquoi nous sommes enclins à accepter toute preuve en mesure de corroborer la thèse d’une fin ou d’un commencement authentiques2. Sans doute les prophéties eschatologiques des Mayas viennent-elles prendre pied sur un terrain fertile qui, dans la foulée des théories New Age, ne font que prédire une Fin préliminaire à une Grande Renaissance, à laquelle d’ailleurs ne sont destinés que ceux dont l’âme est prête3. Théorie, somme toute, assez familière à la lumière des réflexions développées dans le présent ouvrage. Sur cette perception de vivre un moment de transition vient se greffer, à notre sens, le sentiment d’un déplacement progressif des craintes eschatologiques vers la peur naturelle de sa propre mort. Mais aujourd’hui, c’est à un renversement de ce processus que nous assistons. En effet, la mort de l’individu est perçue comme inexistante, comme un tabou, comme étrangère à la nature humaine et se configure comme un inconvénient et non plus comme le dénouement naturel d’une existence4. Cette vision moderne a, très probablement, subi l’influence du progrès exponentiel de la médecine et de la science qui ont presque définitivement conjuré la crainte de la mort subite, jadis si redoutée. Par contre, d’autres peurs se font jour. On appréhende la fin physique de notre monde, de notre civilisation non plus en raison d’une obscure volonté divine, mais d’une force autodestructrice de l’Homme qui se manifeste par les guerres, l’avancement d’épidémies incurables, les calamités environnementales, l’épuisement des
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F. Kermode, Il senso della fine. Studi sulla teoria del romanzo, Milan, 1972, pp. 42, 111114, 119-120.
La bibliographie et les sites consacrés à ces sujets foisonnent et ne se ressemblent pas. Leurs buts et la scientificité qui les sous-tendent sont tout aussi disparates. Signalons ici quelques ouvrages en faveur et en défaveur de la fin du monde qui, en partie, nous ont aidés à cerner les hypothèses les plus répandues : Il mistero del 2012. Cataclismi e sconvolgimenti naturali o l’alba di una nuova umanità ? Predizione, profezie e possibilità : 25 esperti ci aiutano a capire, Vicenza 2008 ; P. Geryl, Sopravvivere al 2012 : la rinascita di una nuova civiltà, Césène, 2008 ; Endredy, 2012 : l’uomo al bivio, Trente, 2009 ; W. Strieber, 2012 : l’apocalisse, Rome, 2009 ; S. Alten, 2012 : la resurrezione, Rome, 2010 ; R. Cascioli, A. Gaspari 2012 : catastrofismo e fine dei tempi, Milan, 2010 ; J. L. Fezia, 2012 : conto alla rovescia, Turin, 2010 ; A. Giannuli, 2012 : la grande crisi : le guerre finanziarie segrete, la possibile fine di Obama e il debito Usa, l’incognita Cina, l’Europa sotto attacco, l’Italia a rischio secessione : il peggio deve arrivare ?, Milan, 2010 ; W. Strieber, 2012 : l’apocalisse, Rome, 2009.
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Cfr. P. Ariès, Storia della morte in Occidente, Milan, 1975.
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ressources, les déséquilibres démographiques, la pollution5. En vertu de ce changement appelé progrès, il est des voix qui évoquent une fin du Monde déjà en acte et que l’humanité passe sous silence. Dans une publication provocante sur les rapports entre le monde de l’art contemporain et Facebook, Tommaso Ariemma avance que « la fin du monde s’est déjà avérée […]. Par là, nous entendons une sorte d’accomplissement de ce que nous pensons et savons du monde. Car le monde est avant tout une idée, une représentation de l’esprit ». Avec l’avènement de Facebook, la technologie et le Web en particulier immédiatise l’identification d’autrui. Élevée ainsi à la énième puissance, l’identification met un terme au monde compris comme un lieu et un espace où se concrétise « la possibilité d’un plus, la possibilité que l’on puisse ajouter quelque chose ». Le Web est une mise à nu. Tout est montré, limpide et fini et avance vers une conclusion, vers une implosion. Par contre, le monde de l’art, et notamment celui de l’art contemporain, apparaît comme une véritable ouverture. « Contre les identifications, l’art met en place objets, situations, rencontres où il devient évident qu’il y a quelque chose qui ne l’est pas, quelque chose qui échappe, qui se dérobe, même lorsque l’objet montré semble commun et bien identifié. […] pour aller au-delà du connu et du célébré, sans doute vaut-il la peine de s’attarder encore sur l’art […]. Peut-être le monde de l’art est-il aujourd’hui le seul monde qui puisse être après la fin du monde »6. Nul besoin de nous convaincre que l’art a encore son mot à dire, qu’il a un plus à nous offrir et que ce plus s’exprime sous forme de récits, d’images, de suggestions, de messages cachés. À l’image de toutes les œuvres du passé qui ne cessent de nous parler et demandent à être écoutées, réinterprétées et vécues dans notre présent, celles de l’ère contemporaine évoquent déjà le futur. Et c’est sur cette idée que nous laissons la parole à l’art antique et interpellons aujourd’hui les artistes contemporains afin qu’ils se fassent, pour nous, les interprètes sensibles de la réalité et les « nouveaux prophètes » de notre futur. L’ouvrage d’Ettore Greco (figg. 18-19)7, inspiré de l’Apocalypse, si-
A. Placanica, Storia dell’inquietudine. Metafore del destino dall’Odissea alla Guerra del Golfo, Rome, 1993, pp. XIII.
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T. Ariemma, Il mondo dopo la fine del mondo. Facebook, l’arte contemporanea, la filosofia, Milan, 2012, pp. 9, 104-105.
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Ettore Greco, Le manège, terre cuite patinée (2012), 160 cm.
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fig. 19 Ettore Greco, Le manège, terre cuite patinée (2012), 160 cm, détail
tue l’image de la fin de toutes choses dans une perspective contemporaine. Sa sculpture s’érige, telle une tour autour de laquelle les hommes agissent, bougent, créent, détruisent, composent, dessinent réalité et formes, enlacés l’un à l’autre et unis à la matière. La dynamique désordonnée, dans laquelle les corps semblent désespérément lutter, traduit l’inéluctable retour des choses. Capables de se mouvoir, mais jamais indépendamment l’un de l’autre, ils sont comme les nacelles d’un manège dont le mouvement bridé s’exécute dans une répétition sans issue. Bien que leur plasticité rappelle les œuvres de Rodin, les membres défaits et désarticulés frémissent et vibrent d’une inquiétude pleinement contemporaine. Pour autant, le monde ne peut ni finir ni être privé de renaissances. Loin de vouloir préfigurer un futur, cette terre cuite se veut donc un constat de ce qui doit se profiler comme un passage, une transition (2012), par-delà laquelle il faut apprendre à regarder, à dépasser le contingent, difficile s’il en est, pour aspirer à une véritable renaissance (2013 ?).
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Biographies des artistes Fig. 15 Luigi Ademollo (Milan, 1764-1849) Élève de G. Traballesi à l’Académie de Brera, peintre en décors théâtraux, Ademollo exerça son art à Turin, à Parme et à Rome, où il se rendit pour la première fois vers 1785. Là, il collabora à la réalisation d’illustrations sur la Grèce antique sous la supervision de L. F. Cassas. Elu à l’Académie des Beaux-Arts de Florence en 1789, il fit retour à Rome en 1791-1792 où il revint à maintes reprises dans les années qui suivirent. C’est toutefois principalement en Toscane, d’abord à Sienne durant les dix dernières années du XVIIIe siècle puis à Florence, que se déroula sa carrière. Il fut, aux côtés de F. Giani, l’un des plus grands peintres de fresques pour résidences et théâtres de l’époque, ne délaissant pas pour autant la production graphique à laquelle il se consacra intensément. Ademollo fut un lecteur féru ainsi qu’un fin connaisseur des auteurs classiques, de la Bible et des auteurs chrétiens dont il s’inspira pour la plupart des sujets de ses œuvres (La pittura del 700 a Roma, sous la direction de S. Rudolph, Milan, 1983, ad vocem). D’un point de vue stylistique, « Ademollo donnera vie à une peinture vibrante, véhémente, théâtrale et pleine de fantaisie – du moins jusqu’aux premières années du XIXe siècle : une recherche formelle en évolution constante, qui traversera une phase plus affectée et plus solennelle (début XIXe) pour atteindre (des années 20 à sa mort) une exaspération plébéienne et dramatique et une réduction fortement illustrative du style » (S. Pratelli, Storie di eroi: Omero e Pluraco come fonti per le incisioni di Lugi Ademollo, dans Biografia dipinta e ritratto dal Barocco al Neoclassico, actes du colloque Sienne 26-27 octobre 2007, Montegriggioni, 2008, pp. 207-221, à p. 207). Fig. 5 Luciano Borzone (Gênes, 1590 -1645) D’origine humble, il fut initié aux études littéraires auprès de l’atelier de son oncle paternel Filippo Berlotto, où il mania ses premières armes pour ne pas dire ses premiers pinceaux. Doué de talent, le jeune artiste fut alors reçu, par volonté d’Alberico Cybo, prince de Massa, à l’école de la Cour où il fut remarqué par Giovanni Carlo Doria qui lui commanda d’ailleurs quelques toiles. En 1624, Borzone effectua avec ce dernier un voyage à Milan, au cours duquel il eut l’opportunité de se faire connaître et de se voir commanditer de nombreux ouvrages. De retour à Gênes, il mit sur pied un atelier et tissa des liens avec les intellectuels locaux comme le poète G. Chiabrera. Borzone se consacra longuement à l’art du portrait sans pour autant dédaigner, semble-t-il, de collaborer à des activités éditoriales dont l’apport à sa ville natale est encore placé sous la loupe de nombreuses études. Parmi les œuvres citées dans les sources, nombreuses sont celles qui ne sont toujours pas localisées à l’heure qu’il est, mais il est fort à parier que l’imminente publication de la monographie sur l’artiste lèvera un coin du voile. Sur le plan stylistique, Borzone s’essaya d’abord à la manière lombarde avant d’emboîter le pas à Strozzi et à Gentileschi, se montrant ainsi sensible à la recherche du Caravage. Parmi ses œuvres, rappelons : le Miracle de saint Antoine et une Nativité (Pinacothèque municipale de Savone) ; la Vierge à l’Enfant Jésus et saint Georges (église Sainte-Thérèse de Savone), œuvre d’une remarquable souplesse dans sa disposition spatiale et appartenant à la période de maturité de l’artiste ; Joseph vendu par ses frères (église San Lorenzo Monticelli d’Ongina) ; saint François (cathédrale de Chiavari) ; Achior reçoit la tête d’Holopherne (collection particulière, Rome). Dans la dernière période de sa vie, l’artiste travailla intensément pour Giacomo Lomellini, dit le Maure. Il mourut en 1645 des suites d’une chute d’un échafaudage en pleine exécution d’un ouvrage (C. Manzitti, Borzone Luciano, dans La pittura del Seicento in Italia, II, Milan 2001, pp. 648-649). Fig. 14 Alberto Carlieri (Rome, 1672 – 1720) Carlieri fit preuve d’un vif intérêt pour l’étude de la peinture d’architectures, à laquelle il fut initié par son maître Giuseppe de Marchis. Le jeune artiste entra ensuite en contact avec Andrea del Pozzo, dont il devint le disciple et le collaborateur. À l’instar de celle du corpus de ses œuvres, la reconstruction des vicissitudes de sa vie reste, pour l’heure, empreinte de mystère. L’imminente publication de la monographie signée de la main du prof. Giancarlo Sestieri ne manquera pas de jeter une lumière nouvelle sur cet artiste méconnu. Comme l’a déjà écrit Pampaleone, ses tableaux « font état de motifs stylistiques récurrents : richesse de l’architecture et de la disposition compositionnelle, vivacité dans l’attitude des personnages, contraste
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aigu entre ombre et lumière, enfin brillance et désinvolture dans l’utilisation de la couleur dont les tonalités particulières rappellent la palette de Andrea Pozzo ». À noter par ailleurs des similitudes avec les productions de G. Ghisolfi et Viviano Codazzi. (A. Pampaleone, Dizionario biografico degli italiani, vol. 20 1977, ad vocem). Pietro Dandini (Florence, 1646 -1712)
Fig. 3
Peintre prolifique de la Florence baroque, l’artiste se forma sous la houlette de son oncle Vincenzo Dandini. Son voyage de jeunesse à Venise lui permit de se familiariser avec la peinture du XVIe siècle dont l’empreinte est évidente dans ses tableaux de la première période. Au retour d’un voyage à Rome, où il étudia longuement les œuvres de Pietro da Cortona, et d’un nouveau séjour à Venise, il peignit des œuvres sacrées et profanes pour le compte de la famille grand-ducale de même que pour la noblesse locale et le clergé. En outre, son activité de fresquiste, particulièrement significative, se traduit par des réalisations dans les différentes résidences des Médicis (Palazzo Pitti, Villa de la Petraia et Pratolino), dans de prestigieux hôtels particuliers florentins (Orlandini, Corsini, Ridolfi, Del Sera), et dans certaines églises locales (San Frediano al Cestello, San Marco et San Salvatore in Ognissanti). C’est dans les fresques de la villa Ferroni de Bellavista à Borgo a Buggiano et celles de la résidence des Médicis de Lappeggi de l’Antella qu’il atteint au langage mûr du début XVIIIe siècle. (F. Baldassari, La pittura del Seicento a Firenze. Incice degli artisti e delle loro opere, Turin 2009, p. 284). Jacopo de’ Barbari (Venise, vers 1445 - vers 1516)
Fig. 8
Sans date de naissance sûre, il serait né entre 1445 et 1470. On sait bien peu de chose sur sa formation, qu’il aurait probablement suivie dans l’atelier d’Alvise Vivarini. Il fut profondément marqué par les œuvres de Dürer et de Mantegna et notamment par leurs gravures. Un témoignage rapporte cependant qu’à partir de 1500, de’ Barbari se rendit en Allemagne pour mettre ses pinceaux au service de l'empereur Maximilien Ier, Frédéric le Sage et enfin pour Joachim Ier de Brandebourg. Puis, peintre attitré de Philippe Ier de Castille, il revint à Venise avant de s’établir définitivement en Hollande. Marguerite de Habsbourg, qui succéda à Philippe Ier, ne cessa de faire appel à ses talents et lui accorda même une pension, pour les dernières années de sa vie. Son activité de graveur l’absorba, elle aussi, énormément et il avait pour coutume de signer ses œuvres en représentant un caducée. Célèbres sont ses Vues de Venise, même si l’on compte parmi ses travaux les plus importants : Nature Morte, avec perdrix et flèche d’arbalète, huile sur toile, Alte Pinakothek, Munich ; Épervier, National Gallery, Londres ; Portrait de Luca Pacioli, Musée de Capodimonte, Naples. Il s’éteignit en 1516 (cfr. S. Ferrari, Jacopo de’ Barbari. Un protagonista del Rinascimento tra Venezia e Dürer, Milan, 2006). Ettore Greco
Figg. 18-19
Né à Padoue en 1969, Ettore Greco obtient son diplôme à l’Académie des Beaux-Arts de Venise en 1992. Il ouvre son atelier en 1994 et tient sa première exposition personnelle deux ans plus tard. C’est au Vittoriale degli Italiani, la maison-musée de Gabriele d’Annunzio à Gardone Riviera que, depuis mars 2011, l’un de ses Saint Sébastien est exposé en permanence. En juin de la même année, Ettore Greco participe également à la 54e Biennale de Venise. Ses sculptures ont fait l’objet d’expositions dans de nombreuses villes, dont Milan, Turin, Florence, Berlin, Paris, New York. Il collabore aussi depuis 2010 avec la Galerie Maurizio Nobile. L’artiste vit et travaille à Padoue. Giulietta Grimaldi
Fig. 6
Née en 1978 à San Giovanni in Persiceto (Bologne), Giulietta Grimaldi obtient son diplôme à l’Académie des Beaux-Arts de Carrare en 2006 (option sculpture). Elle participe à de nombreuses expositions collectives (Bologne, Carrare, Gênes, Rimini, Trieste). En partenariat avec la Municipalité de Cento (Ferrare) elle collabore actuellement à un projet baptisé Rinascita (Renaissance) centré sur le thème du séisme qui a frappé l’Émilie Romagne en mai 2012. La jeune artiste vit et travaille à Rimini. Francesco Guarino (Sant’Agata Irpina, 1611 – Gravina in Puglia, 1651)
Fig. 1
Fils du peintre Tommaso Guarino, Francesco s’établit à Naples pour se former dans l’atelier de Massimo Stanzione, où il entra en contact avec les œuvres du Caravage, Battistello et Filippo Vitale. Dans la première phase de sa carrière, il travailla dans l’atelier paternel, participant à de nombreux travaux collectifs où il n’est pas toujours aisé de reconnaître la main de notre artiste. C’est à cette période que remontent
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les importantes fresques du plafond de la Collégiale de Solofra. Il se laissa emporter par le courant d’inspiration néovénitienne et vandyckienne qui dominera le milieu napolitain vers la moitié des années 30, et que reflètent des œuvres telles que l’Immaculée de la Congrégation des Blancs à Solofra (1637) ou l’Annonciation de Solofra (1642). Parmi ses commanditaires les plus prestigieux figurent les Orsini, pour lesquels il réalisa de nombreuses commandes de petit format. Les dernières œuvres pour la Collégiale de Solofra accusent déjà l’influence du classicisme de Poussin, de Domenichino et de Francesco Cozza. En dépit de sa mort prématurée, Guarino a laissé derrière lui un imposant corpus d’œuvres d’excellente facture (A. Spinosa, Guarino Francesco, dans La pittura in Italia. Il Seicento, II, Milan, 2001, p. 772). Fig. 17 Robert Guinan (Watertown, New York, 1934) Robert Guinan manifeste un vif penchant pour l’art dès son plus jeune âge et s’essaie très tôt au dessin de scènes belliqueuses ou héroïques inspirées de photographies et d’illustrations de livres d’histoire. Au fil du temps, sa recherche artistique s’affine pour s’orienter vers la représentation d’objets en quête de leur essence intrinsèque. Si la technique du collage semble initialement favoriser sa propension créatrice, les résultats, trop ténus et fades, ne le satisfont pas pleinement pour autant. Il se tourne ainsi vers la peinture qui, par sa vastitude et la ductilité de ses techniques et de ses matériaux, s’adapte mieux à sa nature. « Les toiles – presque exclusivement des portraits et des vues métropolitaines – matérialisent l’atmosphère mélancolique, aliénée, à la fois fébrile et passionnée des grands agglomérats urbains d’Amérique où la musique, les saveurs, les odeurs, le vacarme des grandes villes et le silence de la solitude de ses habitants, se fondent en une unique force que la main de Guinan tente de saisir et de fixer dans un temps absolu et immobile ». Dès la moitié des années soixante-dix, les premiers signes de reconnaissance ne tardent pas à se manifester, en Europe notamment, par le biais de différentes expositions à travers la France, l’Italie, la Belgique et la Suisse. En 2005 en particulier, l’Académie de France à Rome lui a consacré une ample rétrospective auprès de la prestigieuse Villa Médicis. Ses œuvres font aujourd’hui partie de bon nombre de collections publiques et privées qui comptent parmi les plus importantes au monde (URL: http:// www.undo.net/it/mostra/26130 (exposition Rome, Villa Médicis) ; cfr. A. De Maistre, Robert Guinan, Paris, 1991) Fig. 11 Renato Guttuso (Bagheria, 1911 – Rome, 1987) Peintre sicilien de grande renommée, Renato Guttuso se découvre dès l’âge le plus tendre une forte attraction pour le monde de l’art et en particulier de la peinture. Les premières influences lui viennent précisément de ses proches dont il raconte : « c’est entre les aquarelles de mon père, l’atelier de Domenico Quattrociocchi et la boutique de peinture de chars d’Emilio Murdolo que se traçait ma voie : j’avais six ans, dix ans ... ». Après avoir fréquenté l’atelier futuriste de Pippo Rizzo, Guttuso participe en 1928 à Palerme à sa première exposition collective. En 1931, il expose deux tableaux à la Quadriennale nationale d’Art Italien à Rome, où il a l’occasion de se confronter avec les œuvres des plus grands artistes contemporains italiens. Il s’établira ensuite à Rome où il collabore à des journaux et des revues et ses premiers sujets critiques laissent transparaître ses choix en faveur d’une peinture engagée. Les années comprises entre 1937 et 1939 seront très importantes pour l’artiste. Il se liera, en effet, d’amitié avec Alberto Moravia, Antonello Trombadori et Mario Alicata, de même que ses ateliers de peinture deviendront très vite de véritables cercles culturels. Cripoignant contre les horreurs de la guerre, son œuvre la plus célèbre, Crucifixion, remonte, quant à elle, à 1940. Cette dernière est cependant désavouée par le Vatican qui interdit aux croyants de la regarder. C’est à la même année que remonte ses premiers décors théâtraux que, par la suite, il continuera de créer régulièrement. En 1943, Guttuso quitte Rome pour combattre aux côtés des partisans. En 1950, il obtient à Varsovie le prix du Conseil Mondial pour la Paix et tient la même année sa première exposition personnelle à Londres. Au cours des années suivantes, il participera à des expositions en Europe et aux USA et nouera des liens d’amitié avec des artistes importants, tels que Picasso et Vedova. En 1965, il s’installe définitivement à Palazzo del Grillo où il vivra et travaillera jusqu’à sa mort. Giuliano Briganti signera la présentation de l’exposition sur le cycle des Allégories, de la Mélancolie qui lui est consacrée à Rome en 1981. Guttuso meurt le 18 janvier 1987, léguant à la Galerie Nationale d’Art Moderne de Rome quelques œuvres comptant parmi les plus significatives. La ville de Bagheria lui a consacré un musée abrité par la Villa Cattolica (XVIIIe siècle) qui rassemble la plus ample collection d’œuvres, de tableaux, de dessins et de réalisations graphiques de l’artiste (URL http://www.guttuso.com).
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Lorenzo Pasinelli (Bologne, 1629 -1700)
Fig. 10
Formé à l’atelier de Cantarini, Lorenzo Pasinelli passa, après la mort de son maître en 1648, à celui de Flaminio Torri. C’est grâce à Cantarini et à Torri que l’artiste fut en mesure de saisir l’héritage de Guido Reni, doublé d’un vif intérêt pour la nature et de renvois continus à l’art de Veronese. Deux grandes toiles, réalisées en 1657 pour l’église Saint-Jérôme de la Chartreuse de Bologne, consacrent le succès de l’artiste. Pasinelli s’associa ensuite au quadratoriste Andrea Seghizzi : tous deux travaillèrent auprès des Gonzague de Marmirolo (Mantoue) avant de s’établir à Turin en 1661. Deux ans plus tard, Pasinelli effectua un séjour à Rome auprès de l’Ambassadeur Campeggi, séjour qu’il mit à profit en s’adonnant à l’étude d’œuvres antiques et de la Renaissance. De retour à Bologne, l’artiste s’exécuta pour des commanditaires prestigieux tels que le Comte Alessandro Fava, le général Montecuccoli et les princes du Liechtenstein. Sa dernière œuvre publique, la Trinité éternelle (1668) fut réalisée pour Santa Maria degli Alemanni à Bologne, sa ville natale, où il s’éteignit deux ans plus tard (C. Guidetti Roli, Pasinelli Lorenzo, dans La pittura in Italia. Il Seicento, II, Milan, 2001, p. 838). Giuseppe Romani (Côme ?, vers 1654 - Modène, 1727)
Fig. 4
Si ses œuvres laissent transparaître la formation lombarde de ses débuts, il n’en demeure pas moins que l’influence modénaise à la manière de Stringa s’avère prépondérante. Peintre de toiles d’autels, Romani reste toutefois plutôt célèbre pour ses tableaux de genre (paysages et tableaux animaliers) où prévaut la matrice lombarde. Pour ce qui est des premiers notamment, s’y décèle, en effet, un intérêt pour les œuvres de Francesco Peruzzini et de Marco Ricci. Les tableaux de genre apparaissent, quant à eux, tributaires de l’art de Crivellone et semblent anticiper certaines propositions de Duranti. La monographie sur le peintre actuellement confiée aux presses contribuera à mieux cerner le corpus encore peu connu de l’artiste (C. Guidetti Roli, Romani Giuseppe, dans La pittura in Italia. Il Seicento, II, Milan, 2001, p. 867 ; cfr. Mazza, « Pitocchi diversi al naturale ». Giuseppe Romani, un pittore lombardo nel Ducato Estense, en cours d’impression). Alessandro Turchi, dit l’Orbetto (Vérone 1578 - Rome 1649)
Fig. 7
Alessandro Turchi, dit l’Orbetto (Vérone 1578 - Rome 1649) fut l’élève de Felice Brusasorci à Vérone, sa ville natale. En 1605, à la mort de ce dernier, Turchi hérita de l’atelier. Durant ses années de jeunesse, l’artiste effectua certainement un voyage à Venise, alors que le reste de sa formation allait se faire grâce à l’étude des collections des Gonzague de Mantoue et de l’œuvre de Rubens. Durant cette formation déjà complexe, la connaissance de la culture bolonaise fut déterminante. L’artiste y avait eu accès via les estampes des Carracci et un séjour probable dans le chef-lieu émilien. Après 1614, Turchi s’établit à Rome et travailla avec Carlo Saraceni et Giovanni Lanfranco à la décoration de la Sala Regia au palais du Quirinal. Dans l’Urbe, Turchi sut tisser des relations importantes qui lui valurent des commandes de la part de personnages influents tels que le cardinal Scipione Borghese ; il fut introduit dans l’élite aristocratique romaine en épousant, en 1623, donna Lucia de la famille noble des San Giuliano. En 1618, il devint membre de l’Académie de Saint Luc de Rome au sein de laquelle il fut élu prince en 1637 (E. Rama, Turchi Alessandro, dans La pittura in Italia. Il Seicento, II, Milan, 2001, pp. 906-907). Giovanni Maria Viani (Bologne, 1636-1700)
Fig. 2
La peinture de Viani, élève de Flaminio Torri, est également empreinte d’une nostalgie néocarachienne. La reconstruction de son corpus d’œuvres fait encore l’objet de nombreuses discussions au sein de la critique. Certains tableaux importants conservés à Bologne peuvent certainement lui être attribués, entre autres : Saint Rocco (église des saints Vitale et Agricola), quatre lunettes décorées de fresques (portique de l’église des Servi), une copie inspirée d’une fresque de Guido Reni (San Michele in Bosco) pour l’église du même complexe, à laquelle Viani ajoute un pendant de sa création, Saint Bernard Tolomée, et un Saint Pie tardif pour le sanctuaire de San Luca. Rappelons, en outre, deux grands ovales La Vierge apparaît à saint Ignace et Christ apparaît à saint Ignace pour l’église modénaise de Saint Barthélémy (1696) et Diane et Endimione (Académie Albertine de Turin) (C. Guidetti Roli, Viani, Giovannino Maria, dans La pittura in Italia. Il Seicento, II, Milan 2001, p. 918).
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ImprimĂŠ en Octobre 2012 par Industria Grafica Valdarnese San Giovanni Valdarno (Ar), Italie