Michel Jouët : l'abstraction géométrique, les arts appliqués et la voie de l'harmonie. Michel Jouët est né en 1943 à Cholet. Lorsqu'on regarde de près l'oeuvre de Michel, on s'aperçoit qu'elle fourmille de dessins. La passion du dessin lui est apparue pendant l'enfance. Elle est à l'origine de la naissance de son oeuvre et l'accompagne toujours de nos jours. La capacité à restituer les apparences de la réalité a été utilisée lors de sa jeunesse. Pour obtenir un petit pécule, il effectue des portraits à la « manière de » des dessins à la commande et des copies d'œuvres classiques. Il continue de nos jours à répondre à des commandes pour des graphistes ou des illustrateurs. Il a réalisé à la demande des Amis du Musée de Cholet, le logotype de cette association. . La confrontation avec les grands maîtres de l'histoire de l'art l'émeut fortement. Michel dit qu'il « frémit lorsqu'il voit la perfection de la Pieta de Michel Ange, les peintures de Botticelli, ou d'autres artistes de la Renaissance. » (entretien novembre 2009, Cholet), mais il aussi conscient qu'on ne peut pas écrire le monde avec le langage de la Renaissance. Michel souhaite une pratique qui soit en accord et reflet de son époque : aussi il s'oriente vers une expression qui relève de l'abstraction géométrique et de l'art conceptuel. La facture géométrique et épurée naît dans ce creuset : la formation de dessinateur d'architecte et la volonté de créer un nouveau langage. Son père lui a fait prendre des cours de dessin architectural à partir de 9 ans. La formation de dessinateur d'architecte qu'il débute en 1950 est déterminante dans l'élaboration de son écriture. L'idée des trames, apparue entre 1950 et 1960, provient de cette formation initiale et l'amène dans la voie de l' abstraction « tirée à la règle ». Michel éprouve un réel plaisir à dessiner des traits bien droits sur des calques entre deux dessins d'architecture. Sa pratique utilise les techniques et les matériaux du dessinateur technique. Le noir et le le blanc sont ses couleurs. Michel a opté pour cette palette, gage d'objectivité. Le noir, c'est l'outil du dessinateur, le blanc, la lumière. Il enlève la couleur au maximum. Il se méfie de ces dernières qui sont trop liées à l'affect : les couleurs renvoient à un sentiment particulier. Le rouge par exemple symbolise la passion. Il faut éviter la couleur qui comporte trop de lyrisme. L'oeuvre s'oriente dans les années 60 dans la voie de l'abstraction géométrique. Michel représente le monde qui l'entoure (les bottes de pailles, on peut citer plusieurs œuvres qui résultent d'une observation de la nature) mais cette nature doit être
représentée avec une écriture géométrique. Le rond et le carré sont ses formes de prédilection.
Michel déteste les lignes et les formes organiques de la nature. Il préfère un langage qui s'inspire de la rigueur de la géométrie dans le but d'effacer le choix subjectif du peintre. Il revendique un travail construit et réfléchi. Tout doit être calculé. Il se doit d'être l'artisan de sa propre imagination. La géométrie possède aussi l'avantage de soumettre son action et sa pensée à une règle extérieure à lui-même. La géométrie permet d'obtenir « une bonne peinture », c'est-à-dire une forme juste dépossédée de toute facture personnelle. D'ailleurs, selon Michel « on peut tout se permettre mais dans le cadre d'une forme géométrique » . Les œuvres de Michel peuvent être exécutées par un autre à l'aide d'un plan. Ceci relève aussi de la volonté de rompre avec l'idéalisme associé à l'œuvre d'art et à la conception romantique de l'art. Son écriture épurée et caractérisée par la géométrie le fait s'insérer dans le vaste mouvement de l'Abstraction Géométrique. L'œuvre de Mondrian a été fondamentale pour lui, en voyant son travail à la Galerie Denise Renée (1955)., il découvre son réel attrait pour la peinture. Il reconnaît également une lointaine parenté avec Donald Judd, Mondrian, Sol Lewit, Carl André et les plasticiens du groupe Madi. Mais l'esprit de sa création « ne rentre pas dans une case » et il revendique une création autonome, indépendante à l'égard d'un quelconque mouvement artistique. Michel qui revendique sa liberté individuelle, participe aux expositions internationales du groupe Madi (exposition du 17 Juin au 6 Novembre 2011) car Madi ne se considère pas comme un mouvement rassembleur et ne dicte aucune théorie restrictive. Le seul impératif est de sortir du traditionnel rectangle de la toile peinte, cadre hérité de la renaissance, afin d'explorer les multiples possibilités offertes par la confrontation entre l'espace créé et l'espace environnant. Le Groupe Madi fondé à Buenos Aires, en 1946, proclamait la possibilité de peindre des structures polygonales planes, convexes, des plans articulés, amovibles, animés de mouvements linéaires, giratoires ou de translation, de sculpter avec des espaces vides et de créer du mouvement avec des articulations. L'histoire de ce groupe est liée à l'Abstraction Géométrique du début du XXème siècle et a réuni la plupart des grands créateurs de l'abstraction géométrique (Mondrian, Kandinsky, Van Doesburg, Vantongerloo, Sophie Tauber, Russolo et Torres Garcia). Michel rejoint leur réflexion sur la présentation de l'œuvre : il faut éviter le rectangle trop lié à l'héritage de la Renaissance et prône comme Madi « une forme régulée, géométrique, jointe à l'économie des moyens, à la simplicité et à la rigueur des structures et de la composition qui peut atteindre une grande pureté liée à une profonde intensité. Ils considèrent tous également qu'une forme épurée est tout à fait capable d'exprimer dynamisme et grande vitalité. Avec les mêmes moyens élémentaires, on peut exprimer la plupart des sentiments humains (pureté, contemplation, spiritualité, calme, joie). Michel participe à des expositions regroupant des membres de l'abstraction géométrique jusqu'en 1973. Après cette date, il décide de ne plus exposer et de réfléchir au sens de son œuvre. La phase de réflexion a duré 15 ans.
Michel souhaite une pratique « pudique » et objective, où est évacuée le pathos et les émotions : « tout le monde a des problèmes psychologiques, ce n'est pas la peine de les montrer » (Cholet entretien novembre 2009). L'idée de l'artiste qui peint avec « ses tripes » le heurte. Michel se fait une haute idée du métier et ne considère pas l'art comme un exutoire du mal être. Pour lui, l'émotion est réductrice. La fonction de l'art n'est pas de partager ses états d'âmes. Son travail masque l'angoisse et la fébrilité de la recherche et vise l'harmonie. On observe également un refus de l'ornement : « l'ornement est un crime », « la forme doit être intelligente par conséquent elle sera belle ». Il épure la forme de manière à obtenir la ligne pure, « la ligne juste » selon ces mots. Il souhaite une peinture très épurée. L'écriture est caractérisée par la rigueur et l'austérité. Cette esthétique de l'épure prend aussi sa source dans la pensée Zen. Le vide est constitutif de l'œuvre et significatif de l'œuvre. Cette esthétique de l'épure peut être comparée à l'expression artistique de Sylvie Guillem qui travaille pour aboutir au geste juste et dont les chorégraphies réfutent le superflu. Ce qui aboutit à une expression d'un grand raffinement. Une qualité qui se retrouve aussi dans le travail de Michel. Comme nous l'avons déjà souligné, la relation avec l'architecture est essentielle dans son travail. Il s'intéresse aussi au mobilier urbain. On retrouve le même souci d'épure dans les réalisations architecturales et de design. Ainsi le travail de Michel s'inscrit dans une vaste réflexion qui englobe également les arts appliqués et comporte des interactions avec ce domaine de création Michel est partisan de la pensée du Bauhaus. La création en accord et reflet de son époque est également un principe du Bauhaus. Cette avant-garde était soucieuse d'utiliser les matériaux de l'industrie et les processus industriels (moyens de production), de créer un objet qui soit un reflet et un miroir de notre époque. La pensée de Le Corbusier, d'Eileen Gray ou encore de Charlotte Perriand sont des démarches qui viennent conforter la sienne.
D'ailleurs, on peut observer des parallèles avec l'oeuvre de l'architecte Jean Claude Pondevie (cabinet à la Roche sur Yon, 85) qui est aussi un héritier de la pensée fonctionnaliste. Ce rapport avec la pensée fonctionnaliste s'effectue dans : la vérité de la forme, la vérité du matériau, la vérité de la structure et la volonté de concilier modernisme et rationalisme. Ainsi l''idée de vérité constructive se retrouve dans la production. Il faut préciser qu'il exerce en parallèle le métier de spécialiste en chimie du béton et son Atelier/Galerie est un ancien entrepôt industriel. Il faut le comprendre comme un avertissement et un indice de l'esprit de sa création.
Banc créé par Michel Jouët Ainsi, il apparaît que cette relation avec les arts appliqués est constitutive de cette esthétique épurée.
Les thèmes sont inspirés d'une observation de la nature. Michel s 'approprie des phénomènes naturels qui deviennent des éléments structurels de l'art concret. Son œuvre allie géométrie et conceptuel. Il emploie un langage géométrique et conceptuel pour effectuer des œuvres dont les thèmes sont : l'illusion d'optique, la fausse profondeur, le mouvement, la chute, des phénomènes que l'on trouve dans la nature. Michel part du principe que l'univers est mathématique : la nature se meut et se développe selon des proportions, des schémas que l'homme a synthétisé en formules. Notre univers se compose de relations mesurables que l'œuvre s'emploie à mettre en évidence. La recherche sur les jeux d'optique, les craquelures, les fentes d'une poutre, les ficelles sont des moyens pour l'artiste d'observer la nature et d'en souligner de manière mathématique les rythmes. Il crée une nature épurée, calculée, idéale dont l'interprétation plastique, représente l'essentiel. : « rien n'est trop simple, la nature nous enseigne l'humilité ». Avec son écriture géométrique, il recrée une nature idéale mais éloignée du modèle naturaliste tel qu'il était prôné à la Renaissance.
Il s'agit aussi d'une interrogation sur les fondements de la nature. Par un processus historique, la peinture a cessé d'être la représentation de quelque chose existant dans la nature. Dans l'art contemporain, l'idée prédomine que l'art n'est pas la copie de la nature et que l'artiste doit explorer d'autres voies. Les thèmes de la relativité et la subjectivité de la vision sont abordés à plusieurs reprise. Les travaux sur l'optique sensibilisent le spectateur au phénomène de la perception. Depuis ses études, Michel s'intéresse aux questions d'ordre optique et aux ambiguïtés de la perception rétinienne. Michel s'amuse à casser et à mélanger les formes pour déstabiliser l'œil. Il essaie de tromper l'œil du spectateur. Dans Cinq cercles et carrés (1967) , nous apercevons un premier dessin, le deuxième dessin apparaît lorsque l'on se décale pour regarder le tableau de profil. Puis, on voit que les traits horizontaux se regroupes en losange. Comme le souligne Serge Teskrat : « Les jeux de la géométrie : ce trouble optique n'est pas une fin en soi mais un moyen de voir autrement » Il s'agit de revisiter cette tradition du trompe l'œil avec humour au moyen d'un langage moderne.
Les premières œuvres s'apparentent au jeu visuel du cinétique. Le mouvement s'insère dans ses formes géométriques. Le statisme du plan se substitue et crée une transformabilité de la structure.
1969, galerie Michel Jouët [deux images se superposent et, par le mouvement d'un moteur électrique, forment des figures géométriques fugitives]
Trois carré dont les côtés se prolongent de 1973 sont caractéristiques de cette première période de l'artiste. Il utilise une forme carrée dont les qualités plastiques sont universelles et c'est aussi une forme qui permet la rotation. L'œuvre va être fondée sur la rotation de la forme et ses effets sur l position du carré dans l'espace. C' est encore le thème de la relativité de la vision. Son œuvre requiert une participation du spectateur, ce qui correspond à une réflexion visant à désacraliser l'art en faisant participer le spectateur, qui devient acteur de l'œuvre. C'est une problématique caractéristique des années 60. Il s'agit aussi d'une réflexion sur l'introduction d'une 4ème dimension : le mouvement. Il faut signaler que cette géométrie cinétique et participative avait été célébrée avec l'exposition intitulée le «Mouvement », organisée par Denise Renée en 1955. On retrouve les mêmes expérimentations sur le mouvement au Salon des Réalités Nouvelles en 1955. Les œuvres avec le fil à plomb témoignent d'un intérêt et d'une étude du phénomène de la pesanteur et font référence à son activité professionnelle dans le bâtiment. Dans les années soixante et soixante-dix, Michel crée également des compositions, où il réfléchit à la ségrégation entre fond et forme au sein d'un tableau. Son travail met en évidence le processus hiérarchisant qui se produit dans la vision naturelle. Les travaux sur la vision ou la perception s'inscrivent dans une tradition artistique. Michel revisite un thème récurrent dans les arts plastiques depuis le 18ème siècle.
L'œuvre emploie un langage géométrique mais aussi systémique. Une série d'œuvres repose sur une règle fixée au départ par l'artiste. L'œuvre se construit en appliquant cette règle de départ. Selon lui tout fonctionne « comme une fugue de Bach : une armature très étudiée, une réalisation parfaite et un souffle léger, presque magique ». Cet type d'œuvre allie logique et liberté. La règle est choisie, ce est qui forcément arbitraire, et appliquée avec rigueur. Se fixer une règle est un moyen d'évacuer l'intervention et les états d'âmes de l'auteur.
10lignes pivotantes Les travaux avec la ficelle (règle : à chaque rotation, il fait pivoter la ligne à 90°) ont pour but de traduire la relativité des apparences.
Avec le temps, Michel a développé d'autres thèmes et s'est nourri d'autres références. La tradition artistique fait partie de l'univers de Michel. Cette dernière est parfois revisitée de manière singulière comme en témoigne son travail à partir de « la Bataille de San Romano ». Il s'intéresse à l'iconographie de cet artiste du début de la Renaissance. Il y a des similitudes entre l'œuvre de Michel et celle de Paolo Ucello : la rigueur de la construction, la volonté d'utiliser des procédés de construction, le goût de l'œuvre construite et de la géométrie pour s'exprimer, une même poésie qui anime leurs œuvres, l'indépendance d'esprit. La démarche de Paolo Uccello vient peut-être conforter celle de Michel. Le processus de création s'inspire de Mondrian, puisque les formes ont été épurées et Michel n'a retenu que les éléments qui l'intéressaient. Il concilie et confronte deux traditions différentes. Les lances tout particulièrement, ont retenu son attention. Il s'agit pour lui d'un hommage à Paolo Uccello. Ce type de travail met également en évidence une confrontation continue à la figuration et à l'histoire de l'art.
La série des plumes montre que l'opposition entre nature et culture est caduque. Ces deux réalités sont liées indissolublement : la nature est un produit culturel.
Michel recompose le monde au moyen d'un langage géométrique, systémique et caractérisé par des formes pures et simples. Les images créées sont poétiques et d'une grande élégance. Cette sérénité n'est qu'apparence et masque l'anxiété que produit la recherche.
L'aspect épuré de son oeuvre n'exclut pas l'humour. Le projet de sculpture intitulé« hommage à Alphonse Allais », ,nous permet de souligner cet aspect de son travail. Pour terminer,: il nous fait mettre en évidence le projet social et l'humanité de l'oeuvre. Cette humanité est perceptible dans les projets d' hommages à des disparus : « L'Absence » 1992. ou « L'hommage à Alphonse Allais » ou dans le projet sur le mur du Lycée de la Mode à Cholet. Rotation de l'horizontale à la verticale met en évidence sa croyance en l'humanité (en l'occurrence la jeunesse). La rotation qui s'effectue de l'horizontale à la verticale symbolise l'homme qui se redresse grâce à l'éducation. L' écriture, caractérisée par la simplicité, constitue un autre versant de ce projet social. Il s'agit pour lui, de ne pas verser dans une pratique élitiste. C'est aussi s'inscrire dans le projet de l'art contemporain qui souhaite combler le fossé entre l'art et le public avec des pratiques accessibles et compréhensibles pour un plus grand nombre.
Rotation de l'horizontale à la verticale, 7000x320, 1969-1989, Lycée de la mode, Cholet [longueur du mur divisée par sa hauteur, la partie entière du quotient déterminant le nombre de barres et leur dimension]