sociologiques
d’une population militante
Les différents militants que nous avons rencontrés, français et suisses, présentent un ensemble decaractéristiquescommunes :ils’agitsystématiquementd’hommesblancsdeplusdesoixante ans, à la retraite, issus d’un milieu social moyen à aisés, résidants dans des communes périurbaines ou rurales du Grand Genève exposées au bruit. Comme nous le verrons au cours de l’analyse,ceprofilsociologique correspondbienà latypologiedesplaignantsetdesmilitants que l’on retrouve «classiquement » dans les autres études sur le bruit et les nuisances.
Dans notre échantillon, nous comptons notamment deux anciens techniciens supérieurs, un responsable financier à la retraite dans le secteur du négoce, un médecin retraité et un ancien informaticien. Une des personnes interrogées a été particulièrement exposée au bruit durant sa carrière professionnelle. D’ailleurs, cet individu souffre au quotidien de troubles auditifs. Deux autres personnes nous ont confié avoir été confrontées à de graves problèmes de santé au cours de leur vie. L’une d’elles a vécu un AVC et soupçonne fortement le trafic aérien d’en être la cause. D’après leurs dires, l’expérience de la maladie aurait influencé leur relation au problème des avions et de l’aéroport. Nous reviendrons sur ce point au cours de l’analyse.
Souvent originaires de la région genevoise, les personnes rencontrées y ont toutes travaillé au cours de leur vie et parfois même passé leur carrière. À plusieurs reprises, lors de moments plus informels, des personnes interrogées nous ont témoigné de leur fort attachement à Genève et à sa région. «Moi quand je pars plus d’un certain temps, Genève me manque, le lac me manque. Il faut que je revienne. » Tous résident dans des communes périurbaines situées sur les trajectoires du trafic aérien de l’aéroport en maison individuelle ou en appartement et se disent « fortement exposés au bruit » Propriétaires de leur logement depuis plusieurs décennies, certains en ont même hérité et y ont vécu la quasi intégralité de leur existence. Les personnes interrogées résident soit au sein du périmètre défini par le cadastre du bruit soit à la limite. Plusieurs ont demandé les subventions accordées aux propriétaires pour l’isolation phonique de leur logement.
Les discours des militants laissent transparaître à l’enquêteur une orientation politique de gauche.Lapréoccupationde l’environnementressort particulièrement. Comme nous le verrons, on retrouve systématiquement la critique des politiques centrées sur le développement économique du territoire au détriment de l’environnement et de la qualité de vie des riverains.
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Tous partagent la conviction que l’aéroport est géré de manière non démocratique par des autorités jugées irresponsables ou incompréhensives. Si certains militants subissent les effets de la dépréciation immobilière, d’autres semblent être moins concernés par le problème ; leur logement étant objectivement plus éloigné des sources de nuisances Le bruit revient systématiquement dans les discours comme la problématique majeure liée au développement de l’activité de l’aéroport. Selon les personnes interrogées, il constitue l’objet central des revendications, l’origine de la mobilisation collective.
Avant de débuter l’analyse du matériau, il nous faut impérativement clarifier les termes employés couramment dans les discours afin de ne pas les reprendre à notre compte sans les objectiver. En ce sens, il nous semble essentiel de comprendre ce qui est entendu, et à entendre, lorsque les personnes interrogées nous parlent de «bruits ». Qu’est ce que le bruit ? Comment se différencie t il du simple son ? Comment un son devient il un bruit, par quel processus ?
Populationinterrogée
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titre
ATEGenève
Müller AVUC
Calquesans
MmeKrupps
M
MmeAmina SABRA M.Rochat ARAG M.Favre ARAG M.Werner AFRAG M Henri ARAG/AFRAG M Patrick ARAG M Paul AFRAG M.Jacques ARAG
Partie I : Le Vécu du bruit
0. Avant propos sur la catégorie de jugement du « bruit »
Étymologiquement, le mot bruit trouve son origine au XIIème siècle au sens de « renommée, éclat », puis «sons de voix ». Il provient du verbe « bruire », du latin brugere, croisement de rugire (rugir) et de bragere (braire) et signifie : « faire entendre un son léger, confus et continu. » (Dictionnaire de l’Académie, 9ème édition) On parle par exemple du bruissement des feuilles. Toujours selon cette source, le terme «bruit » comporte donc 3 significations : une rumeur (un bruit qui court), un retentissement (faire grand bruit), ou «un son ou ensemble de sons qui se produisent en dehors de toute harmonie régulière ». Pour le Trésor de la Langue Française, la notionde bruit est également à entendre comme un «ensemble de sons, d’intensité variable, dépourvus d’harmonie, résultant de vibrations irrégulières. »
Si le son constitue une entité distincte, une vibration mécanique se propageant sous forme d’ondes, sur une certaine longueur ; le bruit se caractérise par une relative anarchie, un mélange disharmonieux et inesthétique. En informatique et en linguistique, le bruit est un élément perturbant la communication en altérant la qualité et la clarté du message. En médecine, la détection de bruits atypiques par l’osculation au stéthoscope permet d’identifier des anomalies.
La détection des bruits de «de galop », «de pot fêlé », «de râpe » ou «de souffle » signe la présence d’une pathologie. Dans la finance, « le bruit de la bourse » qualifie l’ensemble des rumeurs, fondées ou non, sur l’état de santé du marché. Il est intéressant de remarquer que là encore, le bruit peut signer un état pathologique.
Le bruit n’est donc pas seulement un son que l’on a jugé « impur », il forme un tout discordant. Ainsi, le son et le bruit se différencient par leur état de pureté.
Nous pouvons en conclure que les sons font l’objet d’un classement, d’une hiérarchisation en fonction de leur degré de pureté et d’harmonie. Cependant, sur quels critères est déterminé le degré de pureté d’une sonorité ? Comment détermine t on le caractère harmonieux, musical d’un ensemble de sons ? Pourquoi certaines sonorités nous semblent elles discordantes, sonnent elles «faux » ? De toute évidence, les sons font l’objet d’une hiérarchisation sociale et
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culturelle qui permet de distinguer le bruit de l’harmonie. Il nous semble pertinent de nous attarder sur ces critères d’évaluation des sons avant de poursuivre notre développement.
1. La construction sociale de la catégorie du « bruit »
Avant de déterminer les critères de hiérarchisation morale et sociale des sons, attardons nous un instant sur la faculté d’entendre : l’ouïe
1.1 L’usage social et culturel de l’ouïe
«Une émergence (ce qui apparaît lorsque des éléments interagissent) provient d’une source émettrice, donne à percevoir additivement et sous certaines conditions (l’opération située d’audire) à un siège, agent de perception ; ainsi faut il que s’établisse entre la source et le siège une relation, qu’on appellera désormais la relation d’Entendre. » (CHEYRONNAUD, 2012, p.199.) Entendre suppose une relation impliquant le ou les corps, le corps et les objets.
«Le premier et le plus naturel instrument de l’homme. Ou plus exactement (…) le premier et le plus naturel objet technique et, en même temps, moyen technique de l’homme, c’est son corps. » (MAUSS, 1950) Le corps est un instrument, qui permet à l’homme, grâce à une technique acquise, d’agir sur le monde. Si les capacités à sentir, toucher, gouter et voir semblent naturelles, a priori, il apparaît en réalité qu’elles sont l’objet de modelages complexes durant le processus de socialisation. Selon Marcel Mauss, les individus acquièrent dès leur petite enfance les «techniques du corps » par l’éducation et l’imitation des autres.
Mais au delà des techniques à proprement parler, les individus développent de manières de sentir, goûter, voire, toucher et entendre, ou autrement dit, des façons différentes d’interpréter ce qu’ils perçoivent. Si on ne respire pas de manière identique entre deux sociétés, on ne sent pas non plus les mêmes odeurs tout comme on n’interprète pas de façon identique les sons de l’environnement. «Toute une série de leurs travaux (Boltanski, Bourdieu), tend à démontrer l’existence d’une correspondance globale entre l’utilisation que les individus font de leur corps et la culture (au sens anthropologique) du groupe auquel ils appartiennent : groupe social, mais également groupe sexué. » (DETREZ, 2002)
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En effet, « le fonctionnement physiologique même de l’organisme est déterminé et conditionné par la société. Les sensations, la santé et la maladie ne peuvent s’analyser uniquement entermes de processus biochimiques, de réponses “naturelles” et donc universelles à des stimuli extérieurs. » (Ibid) Ainsi les individus se montrent plus au moins sensibles à des sons qu’ils qualifient de «bruits »en fonction de variables sociologiques comme l’âge, le sexe ou le milieu social.
Au delà de l’usage différencié des sens et ses signaux sensibles, il apparaît également que les émotions qui y sont liées font également l’objet d’un traitement social et culturel. En étudiant différents rites notamment liés au deuil, Marcel Mauss montre comment les sentiments et émotions sont culturellement et socialement traités. S’il est possible de démontrer l’expression socialement différenciée des émotions car elle est observable, en revanche, il est beaucoup plus complexe de montrer de quelle façon la culture ou la société influence le traitement psychique des émotions chez les individus. Selon Christine Détrez, « les émotions humaines sont les résultats de l’incorporation d’un processus inné et appris. » (p.95) Il nous paraît essentiel ne pas négliger les variations de sensibilité relevant des psychés individuelles elles mêmes fonction des biographies, parcours de vie et évènements traumatiques vécues. En effet, il n’est pas possible d’évacuer de l’analyse l’état de santé mentale de l’individu, ses troubles, angoisses et éventuelles pathologies. Une personne phobique, anxieuse ou hypocondriaque pourrait vraisemblablement se montrer plus sensible à certaines sonorités évoquant le trauma qu’une personne dont la condition psychique «saine » permettrait l’étayage et le traitement de l’angoisse. Imaginons le cas d’un ancien militaire en situation de stress post traumatique : serait il possible de constater chez lui une plus forte sensibilité aux bruits de feu d’artifice aux pétards et autres surgissements ?
Pourtant, il faut bien distinguer l’émotion de la sensation, la première résultante de la seconde. La sensation renvoie bien à la sphère perceptive, sensitive et en appelle aux sens humains. Certains chercheurs et en particulier Alain Corbin ont montré quel processus de construction sociohistorique était emprunté par les sens. Selon le mouvement hygiéniste, l’odeur des villes évoquant le miasme, la pestilence, les maladies, la pauvreté et la mort était à éradiquer (CORBIN, 1982.) L’époque contemporaine verrait le retour de l’odeur comme nuisance à éliminer avec la montée en puissance de l’individualisme et la hiérarchisation des êtres (spécisme) tendant à faire valoir l’homme commeespècesupérieuredouéed’intelligence contre l’animal pulsionnel, odorant, sensuel.
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La relation au bruit des individus dépend aussi vraisemblablement de leur rapport à la santé et au corps qui, elles-mêmes, sont fonction du contexte socio-culturel. Il est donc question de la manière dont les individus interprètent, sous interprètent, voire sur interprètent, les signaux de leurs corps pour les traduire en dysfonctionnements. Nous reviendrons au cours de l’analyse sur la dimension corporelle et sensible de la nuisance sonore et nous verrons comment les individus vivent dans leur corps le bruit du trafic aérien et comment cela peut se traduire en pathologies.
1.2 Hiérarchisation morale et sociale des sons
Les sons, comme les esthétiques ou les odeurs font l’objet d’une hiérarchisation que nous qualifions de morale et sociale dans le sens où elle implique le jugement d’individus en société. Si certains sons apparaissent comme des désagréments, des nuisances, des gênes, voire des dangers pour la santé à éradiquer, d’autres sont envisagés comme agréables, utiles, bénéfiques. L’assemblage de sons forme, dans certaines conditions culturelles, de la musique, socialement valorisée. On constate que certaines esthétiques musicales sont l’objet de débat concernant leur nature ; entrent ils dans la catégorie de musique ou de bruit ? Nous ne nous attarderons pas davantage sur ces considérations, rappelons simplement que d’un point de vue qualitatif, « l’utilisation du mot bruit est une première évaluation morale de ce qui est désigné en termes neutres comme “son” ; évaluation morale à laquelle s’opposeraient des caractérisations comme musique ou musicalité d’ un son,etquipourraitconduireàdes jugementsdéfinitifssous leterme pollution/nuisance sonore » (CHEYRONNAUD, 2012, p.7) Si certaines catégories de sons et d’assemblages font faiblement débat quant à leur nature, d’autres sont plus floues et dépendent largement du contexte et des individus. Nous serions tentés de relativiser en arguant que la nature d’un son dépend de son contexte social. Cependant, les individus n’interprètent pas de la même manière un contexte social. Une rue de centre ville sera par exemple vécue comme un lieu de festivités pour les uns et une zone d’habitation pour les autres.
«Selonlespopulations, lesclassessociales, les modesde vieet les cultures, lagêne estressentie à des niveaux très différents, cette sensation variant d’une personne à l’autre » (JAWORSKI, 2012, p.85.) Si la nature du son dépend du contexte du social et des significations que lui donne les individus, la gêne dépendrait elle également de caractéristiques propres au bruit en lui même comme son caractère répétitif, impulsionnel, le moment, le lieu, l’incontrôlabilité, etc. ?
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2. Du divertissement à la nuisance ou comment les avions sont devenus une gêne ?
À partir de quel moment et sous quelles conditions un bruit devient il gênant ? Nous allons partir de cette interrogation pour l’appliquer à notre cas d’étude. En effet, il est ressorti des entretiens préparatoires une hypothèse intéressante : le bruit des décollages et atterrissages des avions à l’aéroport de Genève n’aurait pas toujours constitué une gêne pour les riverains interrogés, il aurait même été source de divertissement à ses débuts.
2.1 Comment qualifier la nuisance/la gêne ?
Selon le TLFI, l’étymologie du mot gêne est attribuable à gehine «torture pour obtenir un aveu » (XIIIème siècle). La gêne est donc initialement rattachée à l’intention, la volonté de faire du mal, d’infliger la douleur à un tiers (« mettre quelqu’un à la gêne ») La signification qu’on lui emploie aujourd’hui trouve son origine à la fin du XVIIIème : «Situation embarrassante, désagréable, imposant une contrainte à quelqu’un ; obstacle empêchant le développement de quelque chose ». La gêne n’est donc plus seulement un désagrément que l’on fait subir intentionnellement à quelqu’un, elle peut désormais être un simple vécu.
La « nuisance », quant à elle, est dérivée du verbe « nuire » nocere et désigne un tort, un préjudice(XIIème).C’estun«phénomènequiporteatteinte auxconditionsde vie, altère la santé, dégrade l’environnement. Nuisances sonores. Nuisances liées à la pollution de l’air ou de l’eau. » (Dictionnaire de l’Académie, 9ème édition). Selon le TLFI, c’est aussi un «ensemble de facteurs d’origine technique (bruits, pollutions, etc.) ou sociale (encombrements, promiscuité, etc.) qui nuisent à la qualité de la vie » dans la notion de nuisance, le caractère intentionnel est moins présent, elle résulte plus de la vie humaine et de l’interaction des êtres et des choses.
Concernant le trafic aérien à Genève, il est clair que le bruit ne relève pas d’un projet intentionnel de dégradation de la qualité de vie des habitants, il est le produit d’une activité humaine générant des externalités, des outputs, impactant le quotidien de certaines catégories de populations. Ce qui relève de la nuisance pour les uns ne sera pas vécu comme tel par d’autres, objectivement dans la même situation d’exposition De la même façon, ce qui était un
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phénomène supportable, banal, routinier devient il, au fil du temps, une nuisance insupportable ?
2.2 Un environnement aérien devenu nuisible
Les militants interrogés sont formels sur ce point, le trafic aérien ne cesse de croître et les prévisions futures sont mauvaises. Les statistiques montrent que le nombre de passagers a explosé en Suisse dans les années 2000 avant de baisser en 2002/2003 et de réaugmenter considérablement, dépassant toutes les estimations.
L’aéroport de Genève compte aujourd’hui 17,7 millions de passagers et plus de 187 millions de mouvements par an. Si la croissance se poursuit, le site devrait accueillir environ25 millions de passagers par an en 2030. Si son nombre a considérablement augmenté, les capacités de portage et le taux de remplissage des appareils se sont également accrus, permettant de «contenir » la croissance en nombre de mouvements.
Concernant le trafic de nuit (à partir de 22 h), le volume et la part du trafic a considérablement augmenté depuis les années 80 passant de 3500 vols de nuit à plus de 10 000 par an. La part des vols de nuit est passée de 2,8 % à 5,4 % (ARAG, 2014.).
Si les données concernant le trafic en nombre de passagers et en mouvements font peu débat (hormis les prévisions) la question des nuisances fait grand bruit. Ne nous attardons pas sur la différence entre le bruit perçu et le bruit mesuré ni sur les choix méthodologiques de métrologie pour lemomentcar nousétudieronscelaplustardivement.Disonspour l’instant que lesdonnées mesurées ne rendent pas nécessairement compte d’un vécu. Laissons pour le moment les statistiques du bruit et du trafic et étudions plutôt les discours des militants et voyons quels liens sont opérants entre imaginaires du territoire et vécu de la nuisance.
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Monsieur Rochat 2 est né en 1946 dans la région Genevoise et a grandi dans cette maison familiale déjà marquée par le survol des premiers appareils commerciaux jugés «beaucoup moins bruyant » qu’il admirait. «À l’époque, les avions ce n’était pas du tout une nuisance, au contraire, c’était une attraction ».
De ses yeux d’enfant, la découverte d’un tel univers technologique, investissant le ciel, produisait un effet de surprise et d’amusement De plus, le faible volume de mouvements et le bruit «raisonnable » des moteurs à hélices ne perturbaient pas ses activités et préoccupations infantiles.
Un autre militant, monsieur Henri, née en France, partage cette vision : «On n’avait pas cette conscience (des nuisances) on avait la conscience d’un progrès, quelque chose de nouveau, de performant. Voilà, on avait vraiment cette perception de découvrir un monde différent. »
Plusieurs personnes partagent le souvenir agréable des meetings aériens, journées que l’on partageait en famille : «A l’époque, on regardait (les avions) avec intérêt. Quand on voyait un avion tomber en feuille morte au dessus de Ferney, puis d’un seul coup qui repart, c’était un
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DE MASTER
Gauthier Cussey
2 Les
noms ont été modifiés
régal ! On regardait les pilotes faire leur show ! (…) mais le trafic aérien ça n’allait pas au delà de 7 8 h le soir, on n’était pas gênés. Il y avait très peu de vol la nuit. Et puis c’était archaïque, c’était de la navigation à vue. »
S’en suivent quelques déclassements de terrains dans des communes, l’agrandissement de la piste dans les années 50 et la construction de la nouvelle aérogare dans les années 60, ouvrant la période d’explosion du trafic aérien. L’arrivée progressive de l’aviation à réaction dans la fin des années 50 et le début des années 60, «des premières caravelles extrêmement bruyantes », marquent selon la personne interrogée le démarrage des nuisances « ordinaires » : bruits des réacteurs, mouvements d’air, odeurs de combustion du kérosène, suspicion de pollution dans l’air, dépôts de particules sur le sol, etc. «On voyait les traces noires derrière les réacteurs… que ça soit les vieux Boeing, les DC 8, tous ces vieux avions à réaction, c’était épouvantable niveaux bruits et nuisances. »
Monsieur Henri, partage cette vision : «Nous, on a vraiment mal vécu la situation du temps où les avions étaient vraiment très très bruyants. Il y avait des Tridents, des Caravelles, tous les premiers avions à réaction, c’était infernal. On les entendait vraiment terriblement mais il n’y avait pas ce volume de trafic Rires »
Le témoignage d’un autre militant rend compte d’un vécu différent. Achetée en 1910 par ses grands parents, la maison de monsieur Favre est située à Vernier, en Suisse, une commune limitrophe de l’aéroport. Sa mère quitte cette maison pour s’installer ailleurs en 1947, un an avant sa naissance. Il y retourne fréquemment jusqu’en 1956. Il en hérite et y réside encore aujourd’hui. «C’est là que j’ai vu les premières Caravelles quand j’ai commencé à grandir. On était allongé dans le lit et on voyait passer les Caravelles ! Avec un bruit pas possible avec les vitres qui faisait comme ça ! On avait un cousin qui habitait à 300 m et quand il téléphonait à ma mère elle lui disait attends y’a un avion qui passe et après c’est elle qui lui disait attends il arrive ! (Rires ) » Datant de 1840, la maison est aujourd’hui classée par l’état de Genève. « À l’époque, il y avait les meetings d’aviation c’était vraiment ludique !» Il ajoute : «entre nous, ça ne m’a jamais vraiment dérangé (le bruit), bon c’est clair il y a eu la plus value de la maison et du terrain qui a complètement été écrasé. C’est ça le problème. »
Pour monsieur Favre, l’arrivée des avions à réaction ne semble pas avoir été vécue aussi négativement. Pourtant, ce dernier était vraisemblablement aussi âgé, voire davantage, que les
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autres personnes interrogées. Malgré cela le bruit ne semble pas être relaté comme une nuisance affectant véritablement sa qualité de vie. À ses yeux, le bruit a en revanche un effet sur le prix du foncier. Son investissement dans l’association semble indirectement motivé par la préservation de la valeur pécuniaire de son bien, dont il exprime un attachement sentimental fort.
En l’absence de ce témoignage, nous aurions pu affirmer que l’avènement des avions à réaction avait marqué un tournant dans le vécu de la nuisance. Nous devons considérer le fait que l’augmentation objective des niveaux des émissions sonores et gazeuses induite par l’aviation à réaction ne produisait pas nécessairement un vécu de gêne plus fort. Nous pouvons supposer que l’accroissement de ces pollutions a seulement accentué la possibilité de ressentir de la gêne sans que cela soit systématique. Selon une enquête menée sur la perception des nuisances nocturnes en milieu urbain (WALKER, 2015.) l’exposition au bruit des riverains n’est pas nécessairement corrélée à un vécu de gêne. En effet, « l’observation de la distribution spatiale de la gêne déclarée au sein des questionnaires nous incite à fortement relativiser la relation de cause à effet entre exposition et gêne sonore. » (P.11.) Dans cette enquête, les personnes les plus exposées ne sont nécessairement les plus «gênées »; inversement, les personnes déclarant le plus de nuisance ne sont pas toujours les plus exposées. Comment expliquer cette relation différenciée à la gêne ? Comment expliquer la plus grande sensibilité de certains et la plus grande tolérance d’autres ?
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3.1 Le niveau de gêne fonctionne de l’âge, du milieu social et du statut résidentiel
Nous avons vu que les caractéristiques du bruit ne déterminaient pas, a priori, le ressenti d’une gêne systématique. En effet, bien que le trafic aérien soit associé à l’imprédictibilité, à la dangerosité et à la répétitivité, le vécu de la nuisance dépend de la lecture de la situation et des caractéristiques sociologiques et psychologiques des individus.
Il y a donc bien nécessité de discerner l’existence objective d’un bruit mesurable, de sa qualification par les individus de «bruit », d’un ressenti de gêne exprimé et enfin, d’une gêne réelle. Comme le montre Walker (Op cit.), certains riverains subissent objectivement des nuisances mais refusent d’exprimer une gêne car ils s’identifient au producteur de bruit, avec qui ils partagent le même mode de vie. Walker évoque ainsi le cas des étudiants, fortement exposés à la nuisance sonore dans leur lieu d’habitation mais faiblement enclins à s’en plaindre par effet d’identification.
À l’inverse, les personnes âgées ou avec enfants se déclarent plus dérangées par le bruit. L’ancienneté de résidence est également un facteur déterminent : plus on habite depuis longtemps dans le logement plus la gêne exprimée est importante. Socialement installés et propriétaire de leur logement, les personnes plus âgées se sentent, selon l’auteur, moins proches des producteurs de la nuisance et plus légitimes à s’en plaindre. Dans notre cas d’étude, les militants sont tous, sans exception, propriétaires de leur logement et y résident depuis au moins dix ans, voire depuis plusieurs décennies. L’entièreté des personnes composant l’échantillon est âgée d’au moins 60 70 ans et est à la retraite.
Toujours selon Walker, le niveau d’étude constitue également un facteur déterminant dans les choix en termes de gestion de la nuisance. Ainsi, les personnes plus âgées et diplômées ont davantage recours au dépôt de plainte et à la police ; tandis que les jeunes et les moins diplômés privilégient, eux, des méthodes «d’évitement » et de dialogue avec les personnes à l’origine de la nuisance. Les arguments mobilisés par les personnes âgées et diplômées pour justifier le recours à la police sont de l’ordre de la préservation de la santé et de l’exigence de productivité
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3. Un vécu différencié de la gêne : quels facteurs sociologiques et psychologiques sont en jeu ?
au travail. Selon l’auteur, le statut social et le droit de propriété rendent légitime le recours aux institutions et aux autorités. Nous reviendrons plus tard sur les conditions qui ont permis de favoriser, engager, provoquer la mobilisation des militants.
3.2 Le niveau de gêne : fonction des vécus biographiques et de l’expérience de la maladie ?
Comme nous l’avancions précédemment, la « sensibilité » au bruit, pourrions nous dire, est également facteur de conditions psychologiques ou du moins individuelles liées aux biographies. Nous formulons l’hypothèse que l’expérience de la maladie conditionne, du moins favorise, chez les individus interrogés, une relation que nous qualifions « de sensibilité » au bruit. Sur notre population de militants rencontrée, certes restreinte, nous retrouvons l’expérience de la maladie comme point récurrent.
Si de très nombreuses personnes vivent au quotidien la souffrance liée à la maladie, ils ne développent pas pour autant une relation « de sensibilité » au bruit, pourquoi donc avançonsnous l’idée que l’expérience de la maladie aurait un lien direct avec la sensibilité au bruit ?
Selon plusieurs personnes interrogées, le bruit ainsi que les différentes nuisances générées par le trafic aérien seraient responsables, du moins en partie, de troubles. Pour certains, la pathologie aurait été unélément d’alerte permettant de confirmer la nocivité du trafic aérien sur l’organisme. Pour le dire autrement, l’expérience de leur maladie serait à prendre comme preuve, ou en tout cas comme indice, du danger. Cette expérience aurait été, pour certains, l’élément déclencheur, entout cas dans le discours, de la mobilisation. Pour d’autres, la maladie serait un élément de légitimation de l’engagement militant pour cette cause. Enfin, il y aurait pour d’autres, à trouver dans l’expérience antérieure de la maladie l’explication de leur sensibilité au bruit. Nous allons détailler plusieurs cas rencontrés.
Le premier cas est celui de monsieur Henri, fortement exposé au bruit durant le début de sa carrière dans l’industrie. «À l’époque on ne se protégeait pas comme maintenant avec des casques ou des bouchons, le bruit c’était normal. » L’absence de règlementation concernant l’exposition au bruit des travailleurs, ou du moins sa faible observance, a eu des répercussions sur la santé de monsieur Henri. Si celui ci ne s’attarde pas durant l’entretien sur cette expérience, probablement par pudeur. Cependant, il affirme souffrir d’acouphènes et d’une
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baisse d’audition notable. Il précise : «J’ai une limitation du spectre des fréquences que j’entends. Les aiguës, par exemple, je les entends très mal. » Originaire de la région, il avoue avoir été sensible « très tôt » au bruit des avions. «J’avais déjà des problèmes avant, c’est-àdire qu’avec les avions ça a toujours été… même quand on allait regarder les Caravelles (dans les années 60), les regarder décoller, je me mettais les mains sur les oreilles tellement c’était bruyant quoi. Je me souviendrais des Tridents, des Caravelles, c’était incroyable. »
Partagé entre admiration et répulsion, le rapport de monsieur Henri aux avions, semble avoir été marqué, comme d’autres, par l’arrivée des premiers appareils commerciaux à réaction à la fin des années 50 et le début des années 60, qu’il considère comme «extrêmement bruyant » Celui ci reconnaît volontiers ressentir une gêne plus importante que d’autres envers le bruit du fait de ses troubles auditifs. En l’absence d’une investigation biographique plus poussée, il est difficile d’approfondir ce point. Nous pouvons simplement affirmer que monsieur Henri articule rétrospectivement son vécu actuel du bruit à des éléments biographiques marquants qu’il qualifie de «traumatiques ».
Le second cas est celui de monsieur Werner, médecin retraité, résidant à Genève et propriétaire d’une maison secondaire au bord du lac côté français dans une commune bourgeoise de la rive gauche. Victime d’un AVC en2009, il soupçonne le bruit et la pollution de l’air du trafic aérien d’en être à l’origine.
«Dans mon allée, sur une distance de… je dirais… 400 mètres, 4 infarctus, 2 AVC dont 1 mortel. Ce sont des gens de mon âge mais c’est quand même… pour une zone aussi peu peuplée… ça me semblait beaucoup. »
Selon monsieur Werner, une étude épidémiologique avait été menée sur le bassin lémanique mais elle n’avait pas donné de résultat confirmant l’impact du trafic aérien sur la santé cardiovasculaire des populations car, selon la personne interrogée, celle-ci avait ciblé une population d’enquêté élargie. Tous les cas représentatifs auraient donc été « noyés » dans les moyennes, « lissant » ainsi les résultats.
Une autre étude médicale citée par la personne interrogée a, quant à elle, ciblé aux États Unis unepopulationdeplusde65 anset amontré leseffets surla santéd’unesoixantained’aéroports. Selon monsieur Werner, cette étude démontre que le risque d’infarctus et d’AVC augmenterait de 6 % pour les personnes de plus de 65 ans résidant à proximité d’un aéroport ou sur la
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trajectoire des avions. La personne interrogée fait ici référence à une étude pluridisciplinaire menée par un groupe de chercheurs de Harvard mesurant la corrélation entre niveaux d’exposition des populations de plus de 65 ans au bruit aérien et admission de ces dernières en milieux hospitaliers pour des troubles cardiovasculaires (British Medical Journal, 2013 ; 347 : f5561). Si l’augmentation des troubles est bel et bien confirmée, elle n’est pas de 6 %, comme l’affirme monsieur Werner mais de 3,5 %. Au delà des résultats de cette étude épidémiologique confirmant une corrélation probable entre niveau d’exposition au bruit des personnes âgées et déclenchement de pathologies cardiovasculaires, le discours de monsieur Werner rend compte d’un sentiment de vulnérabilité au bruit. De la même façon que monsieur Henri, l’évènement traumatique est envisagé par ces derniers comme un élément renforçant leur sensibilité et leur gêne envers le bruit aérien. Si monsieur Henri attribuait l’origine de sa sensibilité au bruit à un évènement extérieur lui ayant causé des problèmes de santé, monsieur Werner, lui, perçoit son accident vasculaire comme étant directement lié au trafic aérien. Cet évènement serait, selon lui, l’élément révélateur de la nocivité des avions sur la santé.
Dans la partie précédente, nous avons montré que les individus désignaient l’origine de la nuisance à l’émergence de l’aviation à réaction à la findes années 50 et au début des années 60. Malgré une augmentation objective des niveaux de bruit, nous nous interrogions sur l’existence d’autres facteurs permettant d’expliquer une différence de sensibilité au bruit. Nous avons ainsi montré que le rapport différencié au bruit au sein du groupe de militants rencontrés ne dépend pas seulement de la nature et des caractéristiques du bruit (intensité, répétitivité, impulsivité, imprévisibilité, etc.) mais d’un ensemble de facteurs sociologiques et psychologiques propres aux individus jouant un rôle déterminant dans la qualification du bruit et dans la construction de la gêne. Cette affirmation permet d’expliquer comment le rapport différencié des individus au bruit mais également de remettre en question la prétendue symétrie entre niveau de bruit et niveau de nuisance : l’augmentation du bruit ne se traduisant pas automatiquement par un vécu de gêne exacerbée
Dans la partie suivante nous allons montrer qu’à force d’exposition répétée au bruit aérien, les militants ont développé une « oreille fine » leur permettant de saisir de nombreuses informations lors du passage d’un appareil. Nous verrons que l’ouïe ne permet pas seulement aux militants de caractériser les sons qu’ils entendent mais qu’elle sert, par extension, à d’autres usages.
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4. Familiarité au bruit aérien et usage « augmenté » de l’ouïe
4.1 Le développement d’une « oreille fine »
Comme nous l’avons expliqué au début de la partie 1, le corps et le sensible font l’objet d’un certain nombre de modelages complexes durant les phases de socialisations primaires et secondaires. Si les « techniques du corps » sont acquises lors de la petite enfance, les manières de sentir, percevoir ou entendre et l’interprétation de ces signaux, serait plus évolutive au cours de la vie. Nous avons également vu que le niveau d’exposition au bruit ne déterminait pas, de facto, un vécu de gêne, que ce dernier pouvait dépendre de facteurs sociologiques et psychologiques propres aux individus. Nous formulons ainsi l’hypothèse que le vécu de la gêne face au bruit aérien dépend de la sensibilité accordée aux sons provenant des appareils et du développement d’une «oreille fine ».
Lorsque nous demandions aux personnes interrogées de nous caractériser le bruit aérien, nous étions surpris de constater avec quelle richesse lexicale et sémantique celui ci était décrit :
« Il n’y a pas que le grondement des réacteurs, il a des sifflements, les turbulences de l’air, les remous… quand il y a de gros porteurs, notamment, on les sent même, ça fait des vibrations, des basses fréquences. Plus proche de l’aéroport ça fait même un vent artificiel, des courants d’air, les arbres qui bougent. »
Pour Monsieur Rochat, le passage des appareils ne se fait pas simplement entendre, il se fait sentir, à travers les vibrations au sol et dans le corps, les courants d’air et le vent artificiel. Pour un simple observateur/auditeur, le bruit des avions constituerait un brouhaha sans cohérence, sans « forme ». Pour les personnes interrogées, le bruit des avions serait constitué d’un ensemble riche de sonorités et sensations particulières qu’ils parviennent à exprimer par le langage. Pour les individus, le passage des appareils génère des « sifflements », «chuchotements », «grondements », « vrombissements », des «bruits stridents », etc. Les manifestations et sensations physiques sont également nombreuses, dépassant la sphère auditive : « vibrations », «tremblements », «courants d’air », etc. La richesse lexicale des termes employés implique une certaine familiarité avec cet univers sonore et sensoriel. Nous formulons l’hypothèse que l’exposition répétée au bruit aérien des personnes interrogées affine
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leur ouïe dans la mesure L’expositionrépétée au bruit aérien finit par former unpaysage sonore auquel les personnes à «l’oreille fine » s’habituent et le décrivent avec précision.
«Moi, quand il n’y a plus de bruit la nuit, je n’arrive pas à dormir, je suis tellement habitué. Un oncle à moi a un pied à terre dans le Valais, c’est très calme, pas un bruit et bien impossible de fermer de l’œil quand j’y vais » (Monsieur Favre)
«C’est des fois quand on a des amis, on prend l’apéritif dehors puis ils n’ont pas l’habitude alors quand ça fait Chhhhhhhhhsssssss (il imite le bruit d’un avion) ils sont surpris et onreprend conscience que c’est gênant. » (Monsieur Favre).
«C’est vrai qu’on s’y habitue mais quand je vais à la montagne effectivement et que je reviens j’ai quand même une semaine ou deux avant de me réhabituer. C’est là que je me rends compte de la différence. » (Monsieur Henri).
Pour les personnes interrogées le bruit aérien fait désormais partie intégrante de leur paysage sonore quotidien. S’ils parviennent à moins y prêter attention, la visite de personnes extérieures ou les séjours hors du domicile semblent réalimenter un vécu de gêne. Comme l’exprime monsieurFavre, lebruitestsifamilierqu’il finiraitpardevenirgênant lorsqu’il vientà manquer Pour monsieur Henri, le silence ne serait pas gênant, bien au contraire, la réaccommodation au bruit après plusieurs jours d’absence du domicile serait particulièrement difficile. Ces témoignages rendent bien compte d’un vécu de familiarité au bruit. Gênant ou non, celui ci teinte leur paysage sonore quotidien Nous allons voir que l’ouïe est également mobilisée par les militants comme un outil permettant la captation d’un grand nombre d’informations sur l’appareil en mouvement, les conditions météo, le sens du vent, etc.
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4.2 L’usage de l’ouïe comme outil d’analyse de l’environnement
Comme nous l’affirmions, la familiarité des individus avec le paysage sonore aérien de leur territoire laisse entendre un usage «fin » de l’ouïe, capable de détecter et qualifier la nature des sonorités. Il est également intéressant de constater que les individus s’en servent pour analyser d’autres paramètres comme la météo ou les caractéristiques techniques des appareils.
Sans recourir à un autre sens que l’ouïe, les individus interrogés parviennent, par expérience, à identifier tous les appareils par le bruit qu’ils émettent. SiunBoeing émet une certaine sonorité, les militants sont capables de les différencier de celles d’un Airbus. L’intensité du bruit leur permet également d’identifier la taille et donc le modèle de l’appareil, un gros porteur générant plus de bruit qu’un petit appareil d’aviation d’affaires. Généralement, les marques et modèles des appareils sont très bien connus des personnes interrogées au point d’en reconnaître les différences de sonorités. Cette faculté n’est pas sans rappeler celle de « l’oreille d’or », officier sous marinierchargéd’écouterau sonar lesbruitssous marinsetd’enidentifier l’origine.Grâce à son expérience, celui ci parvient à reconnaitre, sans les yeux, le type de bâtiment, sa taille, sa vitesse et sa provenance.
Ancien médecin ayant exercé en libéral dans le quartier des Avanchets, tout proche de l’aéroport, monsieur Werner témoigne : «Quand j’auscultais les gamins au stéthoscope, je pouvais dire si c’était un Boeing ou autre chose ! (Rires) »
Par extension, les militants peuvent supposer la compagnie aérienne. Par exemple, un A320 décollant tôt le matin appartient à Easyjet. Un B777 ou un A340 laisse penser à une compagnie aérienne du Golfe comme Emirates. Les petits appareils comme les Falcon, courants à l’aéroport de Genève, correspondent à l’aviation d’affaires. La capacité à reconnaitre les appareils à l’oreille semble êtreunecompétencepartagéepar lesdifférentsmilitantsrencontrés.
Cette « oreille fine » développée avec l’habitude permet également aux individus de connaître les conditions météo en temps réel (pluie, neige, direction du vent) sans regarder par la fenêtre, seulement à partir du bruit des avions.
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«Quand il y a de la neige, le bruit est beaucoup plus feutré, on dirait du coton, ça fait un son très doux. » (Monsieur Rochat). Lorsqu’il est « feutré », le bruit des avions évoque immédiatement au riverain la présence de neige au sol capable d’absorber la diffraction du son.
Un autre militant, monsieur Henri, affirme pouvoir deviner les conditions météo sans utiliser la vue : «Au premier passage vers 6h08, 6h06 ou 6h03, je sais si c’est le vent ou la bise. Je n’ai même pas besoin d’ouvrir mes volets ou de regarder la météo. »
La direction du vent déterminant les trajectoires empruntées par les appareils, la provenance et l’intensité du bruit indique donc à monsieur Henri la direction du vent. Cependant, cette compétence ne dépend pas seulement des capacités à utiliser l’ouïe mais de la connaissance des différentes trajectoires empruntée par les appareils en fonction du vent et donc de la faculté à le déduire selon la provenance du bruit.
Nous venons de montrer dans cette partie comment l’ouïe permettait aux militants d’appréhender des réalités complexes, de constituer de nouvelles formes de connaissances sur la nature du bruit et sur leur environnement. Le «paysage sonore » rendait, pour certains, le silence difficileàsupporter, le bruit devenantalorsmoinsune nuisancequ’une familiarité. Nous avons vu que pour d’autres, l’interruption de cette routine, par exemple lors d’un séjour, ne se traduisait pas nécessairement comme une gêne. Ayant perdu toute familiarité avec le bruit, le retour au quotidien était cependant mal vécu. Dans la partie suivante, nous allons nous interroger sur la façon dont les personnes interrogées vivent le surgissement non contrôlé, de bruits intenses provenant de l’extérieur. De la même façon que le bruit du voisinage, nous formulons l’hypothèse que le bruit du trafic aérien interroge le rapport au corps et à l’espace ; bouleverse les frontières entre le dedans et le dehors, entre le privé et le public, entre l’intime et l’étranger. Le bruit aérien produit il un sentiment d’effraction de l’intimité du logement ? Pour y répondre, nous allons nous appuyer sur les notions de Moi Peau et d’enveloppes psychiques développées par la psychanalyse.
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5. Vécu d’intrusion/effraction de l’altérité dans l’intimité du logement. Parallèle avec le Moi-Peau/enveloppes psychiques/corporelles
5.1 Parallèles avec les notions de « Moi Peau» et « d’enveloppes psychiques »
«Mis en jeu dans l’activité quotidienne, le corps est la médiation de l’individu face au monde qui l’entoure. C’est par le corps que l’individu, matériellement, se situe par rapport à ce qui lui est extérieur. Le corps agit ainsi en interface, à la fois parce qu’il se situe concrètement dans un environnement qui, à son tour, le situe, et à la fois parce qu’il est l’agent de la modification concrète de cet environnement qui, en retour, le modifie également. » (DETREZ, 2002, p.75)
Si le corps médiatise la relation des individus à l’espace, la peau constitue une interface, une surface de médiation sensible, entre le Soi et l’Autre, entre l’intime et l’étranger, replissant de nombreuses fonctions. Théorisé par Didier Anzieu à partir de 1985, la notion de Moi Peau, «cet élément, qui appartient à la réalité fantasmatique de l’individu, assume huit fonctions dans l’appareil psychique : la contenance psychique, la maintenance psychique, la pare excitation, l’individuation, l’intersensorialité, le soutien de l’excitation sexuelle, la recharge libidinale, et l’inscription de la trace sensorielle. » (GIMENEZ et al, 2015. p. 260)
Dans notre cas, nous nous intéresserons aux fonctions de contenance psychique, d’individuation et de sensorialité. Symboliquement, métaphoriquement le Moi Peau constitue une séparation, une barrière, une limite protégeant l’individu des agressions extérieures. Parce que le Moi Peau n’est pas un vase clôt mais qu’il assure une fonction d’interface sensible avec le monde, les sensations parviennent à l’individu sans l’envahir, il sait les filtrer, les trier, les caractériser et les assimiler, dans la limite du possible. Le Moi Peau permet au sujet de maintenir une individualité propre, différencié des autres sujets et objets. Contrairement aux personnalités psychotiques dont l’enveloppe psychique est poreuse, le sujet «sain » est en capacité d’assurer une dissociation entre son propre corps et celui de l’Autre. Les risques d’indissociation, de confusion, de dislocation ou d’anéantissement agissent le psychotique. L’introduction du Moi Peau par Didier Anzieu a permis d’ouvrir un champ d’investigation considérable et de nouvelles perspectives de soins en psychologie clinique, psychopathologie et psychiatrie. Permettant de penser « une plus grande diversité de manifestations intrapsychiques et interpsychiques… » tout en assurant une continuité avec la notion de Moi
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Peau, le concept d’enveloppe psychique est introduit. (KAES, 2008, p.84.) «Permets de penser d’autres enveloppes que celle de la peau, et de se dégager de son socle d’inscription originel : enveloppes sonores, olfactives, auditives, tactiles, mais aussi oniriques, groupales, familiales, etc. Chacune de ces enveloppes se spécifie. Le Moi Peau lui même se pense comme enveloppe psychique cutanée, limite et interface du Moi. » (Ibid, p.85).
5.2 Le bruit aérien, un vécu d’effraction ?
Dans ce cadre analytique, « l’enveloppe sonore » constitue bien une entité conceptuelle permettant de penser les capacités d’un sujet à être au monde et à interagir avec lui par le son. L’individu résonne en contact avec le monde et le fait résonner en retour (CHEYRONNAUD, 2012.) Le son est un élément sensible du territoire et de l’espace, l’ouïe médiatise notre relation au monde. La perception du son est une expérience « située », « localisée » dans le sens où elle s’inscrit dans un espace et qu’elle contribue à construire notre relation à cet espace.
Guillaume Faburel formule l’hypothèse que le bruit des avions est vécu comme l’intrusion d’une «altérité spatiale et sociale dans le vécu territorial ». Le bruit qualifié d’étranger contaminerait le corps social et spatial du territoire. « Ne pourrait on pas dès lors admettre que cette intrusion serait celle d’une extériorité chargée de symboles d’altérité à la fois : spatiale (l’immensité du monde offert), sociale (le privilège de l’usager d’appartenir, grâce à l’utilisation de l’avion et à la construction d’une territorialité nomade, au “village planétaire”), et politique (le dessaisissement de la chose publique par les autorités politiques classiques et le rôle de la dérégulation marchande) ? » (FABUREL, 2003, p.219.)
Dans notre cas, parler d’effraction implique de s’entendre sur ce qui constitue le siège de l’effractionet sur le sujet/objet de l’effraction. Nous formulons hypothèse suivante qu’il s’agira de vérifier : le bruit aérien, parce qu’il provient d’une altérité, d’un ailleurs, attaquerait il l’enveloppe psychique des individus métaphorisés par le domicile avec ses murs et son toit protecteur et contenant ?
Comme nous l’avons vu, le bruit aérien n’est pas considéré par les personnes interrogées comme une étrangeté mais comme une familiarité ; il est parfaitement compris, analysé et décrit avec une grande richesse lexicale. Nous avions avancé l’idée qu’il constituait le paysage sonore quotidien des riverains, un peu de la même manière que « l’oreille d’or » d’un sous marin
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militaire.Silasurvenue dubruitestbrutale,soudaine, lesmilitantssont toutdemême enmesure de l’anticiper en connaissant les horaires de pics et de creux dans l’activité de l’aéroport. Ces derniers ont également conscience des périodes de l’année où le trafic est le plus fort. De ce fait, si le bruit est quasi inévitable, il en demeure tout de même assez prévisible et récurrent
«Les périodes comme en ce moment, la période Pascale, niveau trafic c’est la déferlante ! Et l’hiver avec Easyjet, c’est la folie. Les Anglais viennent se poser à Genève et prennent les bus ou les trains endirectionde Chamonix. Ils viennentdeBrighton, deLondres… ilspassentplutôt par Genève que par Lyon parce que c’est plus près des stations où ils vont et niveau connections c’est plutôt favorable. Easyjet vient massivement se poser à Genève plus qu’ailleurs. » (Monsieur Favre)
Ilestdifficile dequalifier « d’étranger »lebruitaérienquesubissent lesmilitants, car ilprovient d’un espace connu, le ciel. Comme nous l’avons vu, les personnes interrogées témoignent d’un certain habilité à reconnaitre les appareils au bruit. Connaissant parfaitement les différentes trajectoires de l’ILS, les militants peuvent anticiper leur changement en fonction des conditions météo et du vent. L’espace aérien ne semble pas être un territoire inconnu, un ailleurs mystérieux et menaçant.
«Les avions c’est notre quotidien, on vit avec, ils font partie de nos vies. Le bruit aussi. » (Monsieur Jacques)
«Je connais les appareils et je connais les trajectoires, je peux savoir au fur et à mesure de la journée avec les changements de direction du vent comment les trajectoires vont changer. » (Monsieur Paul)
Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, le bruit constitue bel et bien une nuisance quotidienne et ordinaire pour la majorité des personnes interrogées. Elle est familière, comme un vieil ennemi. Si nous pouvons affirmer que le bruit aérien n’est pas immédiatement vécu par lespersonnes interrogées comme l’effractiond’une altérité,d’une étrangetédans leur quotidien, nous allons voir à travers des témoignages, que dans les imaginaires, il en fait courir le risque.
Monsieur Favre témoigne : « j’ai un copain qui habite pas loin non plus et un coup il y a eu un remous à cause du passage d’un avion et vlan ! Toutes les tuiles (du toit) elles sont parties !»
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Ou encore monsieur Rochat : «Sur une des communes il y a une petite colline avec des vielles maisons et un jour un très gros porteur Emirates est passé et une partie des toits se sont envolés, enfin lestuiles hein.Ducoup il yaunlotissementunpeuplus loinet làducoup ils ontcarrément clipsé les tuiles, hop ! (Rires). »
Nous formulons l’idée que l’habitat pourrait constituer la métaphore de la contenance du corps, avec ses enveloppes (les murs et le toit) formant une barrière symbolique entre le dedans et le dehors, le Soi et l’Autre ; le bruit, au même titre d’autres stimulations pouvant attaquer l’enveloppe corporelle sensée être contenante et limitante. Ces anecdotes de toits arrachés, racontés par plusieurs personnes interrogées, témoignent à notre sens de la crainte de l’effraction ou de la fissurationde cette enveloppe par le passage des avions. En effet, si le bruit quotidien n’est pas directement vécu sous cet angle, le caractère exceptionnel de ces évènements sollicite les imaginaires des personnes interrogées, aux prises avec leurs angoisses ; monsieur Favre ajoutant que sa chambre se trouve « sous les toits ».
«Vous avez vu les nouveaux bâtiments derrière ? L’école, le centre communal, l’architecture est très lié aux questions de protection des nuisances, ce sont des murs extrêmement épais avec un béton spécial, des vitres hyper épaisses, des fenêtres en meurtrières. Ça ressemble un peu à des bunkers parce qu’effectivement si vous voulez bosser ou écouter un concert dans la salle et bien il faut isoler !Ça donne donc un certain type d’architecture. Les quelques maisons quisont construites ici, ce sont des cubes !» (Monsieur Rochat)
Là encore, la préoccupation de la protection des intérieurs contre le risque d’intrusion du bruit est saisissable. Monsieur Rochat compare l’école et les bâtiments municipaux à des bunkers, dont la fonction serait de protéger le public.
Nous voyons donc que la question de l’effraction du bruit se pose moins en termes de vécu quotidien qu’en termes de risque exceptionnel, d’une catastrophe. En effet, malgré la gêne quotidienne, la familiarité des militants avec le paysage sonore aérien n’engendre pas un vécu d’intrusion de l’altérité dans l’intimité des foyers. En revanche, nous formulons l’hypothèse que les nuisances générées par le trafic aérien puissent menacer, dans les imaginaires, la consistance et la solidité de l’enveloppe psychique incarnés par les murs et le toit de la maison. Ayant trait à l’imaginaire des individus, il est bien évidemment impossible de prouver cette hypothèse. Nous laissons donc ouverte la réflexion
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Conclusion temporaire :
Dans la partie I de cet exposé nous avons cherché à éclaircir les notions de bruit, de gêne et de nuisance avant de rendre compte du vécu des militants interrogés. Nous avons montré que le «bruit » n’existe pas en tant que tel, mais qu’il relevait d’un processus de catégorisation et de classification morale des sons résultant lui même d’une dynamique sociale et culturelle. Nous nous sommes également attaché à montrer que la gêne est un sentiment subjectif qui ne dépend pas seulement de la nature et des caractéristiques du bruit en tant que tel mais qu’elle est conditionnée par de nombreux facteurs sociologiques et psychologiques. Nous avons présenté plusieurs cas de personnes ayant vécu l’expérience de la maladie et nous avons analysé comment celle ci avait influencé leur relation actuelle au bruit et à la gêne. Nous avons ensuite analysé l’usage de l’ouïe comme compétence sensible permettant la prise d’informations additionnelles sur le contexte environnemental. Enfin, cette réflexion nous a conduits à interroger le sens donné par les militants à l’émergence du bruit dans l’intimité de leur logement. Nous avons conclu que le bruit aérien n’était pas réellement vécu comme une effraction de l’enveloppe psychique des individus. En revanche, il est ressorti des entretiens un certain nombre d’angoisses, de fantasmes d’effritement voire de fissuration de cette enveloppe incarnée par les murs et le toit des maisons.
Dans la partie II, l’enjeu sera de confronter le vécu des militants aux résultats et effets produits par les outils et dispositifs légaux mis en œuvre par les pouvoirs publics et les gestionnaires privés. Il s’agira dans un premier temps d’expliquer leurs fonctionnements et leurs objectifs. Nous analyserons les discours critiques adressés par les militants aux dispositifs et institutions puis nous rendrons compte d’une défiance envers le politique et d’une remise en question de la véracité des informations et des données sur le bruit. Enfin, nous présenterons les perspectives offertes par le système « IMTAG », ses objectifs, ses possibilités et ses limites.
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Partie II : La critique et son dépassement
0. Avant-propos : principes et enjeux du « cadastre de bruit »
L’OFAC (l’Office Fédérale de l’Aviation civile), unité administrative fédérale en charge de la politique aéronautique civile en Suisse, conçoit à partir de 2009 un «cadastre de bruit » sur le territoire genevois afin de déterminer l’intensité des émissions sonores du trafic aérien. Prévu par la Loi fédérale du 7 octobre 1983 sur la protection de l’environnement et l’Ordonnance sur la protection contre le bruit (OPB) du 15 décembre 1986, «le cadastre de bruit est un inventaire des nuisances sonores causées par une installation (dans notre cas l’aéroport de Genève). Il recense les localisations qui nécessitent des mesures et sert de référence aux programmes d’assainissement. » (p.4)
Dans le cas de Genève, les mesures d’assainissement résident essentiellement dans la constitution d’un fond géré par l’aéroport à partir de la «taxe sur le bruit3 » (représentant 30 à 40 millions CHF/an) prélevé sur les vols commerciaux et redistribués aux collectivités et
3 La taxe bruit est déterminée par la « classe de bruit » de l’appareil et l’heure de la journée ou de la nuit (de 10 à 4400 CHF). Une surtaxe est ajoutée uniquement en cas de décollage de nuit (de 50 à 18 000 CHF)
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particuliers sous forme d’aides permettant la réalisation de travaux d’isolation phonique. En délimitant les zones du territoire dans lesquelles les niveaux de bruits légaux sont dépassés, le cadastre de bruit ne circonscrit pas seulement les espaces éligibles aux mesures d’assainissement mais il détermine également les zones dans lesquelles réglementer la construction. En effet il est dit que, « lorsque les valeurs limites d’immiscions sont dépassées, les nouvelles constructions ou les modifications notables de bâtiments comprenant des locaux à usage sensible au bruit, ne seront autorisées que si ces valeurs peuvent être respectées par :
La disposition des locaux à usage sensible au bruit sur le côté du bâtiment opposé au bruit
Des mesures de construction ou d’aménagement susceptibles de protéger le bâtiment contre le bruit. »
Le document ajoute que «si les mesures fixées à l’OPB art. 31 al.1 ne permettent pas de respecter les valeurs limites d’immission, le permis de construire ne sera délivré qu’avec l’assentiment de l’autorité cantonale et pour autant que l’édification du bâtiment présente un intérêt prépondérant. »
Nous voyons donc que le cadastre de bruit ne présente pas seulement les résultats d’une étude menée sur le territoire quant à l’exposition au bruit des riverains ; le document sert également de base légale pour l’application d’un certain nombre de mesures d’assainissement affectant le bâti et les constructions.
Pourtant, le document précise qu’« en raison de son caractère d’inventaire et parce qu’il n’est pas mis à l’enquête, ni assorti de voies de recours, le cadastre de bruit n’a pas de répercussions juridiques directes sur les propriétaires concernés. Lors de projets de construction ou de modifications de plans de zones dans des régions affectées par des nuisances sonores, la validité des données contenues dans le cadastre de bruit en vigueur doit être systématiquement vérifiée. » (p.4)
De ce fait, quelle est la valeur réelle du cadastre ? Dans quelle mesure ce dispositif est il coercitif pour les communes et les particuliers ? Permet il véritablement « l’assainissement » des zones exposées aux bruits ? L’article 37 de l’OPB précise assez peu les conditions techniques et le protocole de réalisation des mesures du cadastre de bruit par l’autorité compétente. De ce fait, comment s’assurer de leur validité scientifique ? Nous voyons qu’un certain flou entoure ce dispositif prévu par l’OPB, ouvrant la voie à de nombreuses critiques de
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la part des associations luttant contre le bruit aérien.
1. «Le cadastre de bruit », un dispositif critiqué
Avant d’étudier en détail les méthodes employées par l’OFAC pour construire les courbes de bruit du cadastre, sujettes à critiques, nous allons interroger plus généralement la pertinence de la mesure et de la donnée pour rendre compte du bruit. Est il en effet possible de «faire entendre », de manière pertinente et intelligible, un vécu du bruit à partir de données chiffrées, aussi précises soient elles ?
1.1 L’évaluation délicate du bruit : comment rendre compte d’un vécu, par essence insaisissable ?
«La dichotomie spontanée que l’on est tenté de faire entre les dispositifs relevant d’une métrique (évaluer les risques) et les autres qui relèveraient du domaine du sensible (prendre la mesure d’un danger) n’est guère opérante dès lors que l’on appréhende les uns et les autres à l’aune de ce qui les constitue. » (HOUDART et al, 2015, p.14.)
Bien qu’il soit impossible de complètement les distinguer, il subsiste la croyance sociale d’une opposition entre savoir objectif et subjectif, classiquement rencontrée dans les enquêtes. Les discours des personnes que nous avons interrogées expriment d’ailleurs bien le sentiment d’une faible capacité d’écoute des pouvoirs publics lorsqu’il est question de ressenti et de vécu.
Selon les auteurs précédemment cités, la métrique jouit politiquement d’une certaine immunité. Remplissant des fonctions de connaissance et de contrôle des sociétés, la métrique est considérée, à ce titre, comme un des instruments clefs de l’actionpublique par certains courants de la sociologie politique. Nous ne reviendrons pas sur les éléments historiques liés à l’émergence concomitante de nouveaux enjeux de santé publique et de nouvelles sciences et méthodes de mesure et de prévention. Rappelons simplement que la métrique s’est peu à peu imposée comme un outil incontournable de l’action publique en particulier dans le champ de la santé et de l’environnement. (DAGIRAL et al, 2016) Cette « insatiable volonté de mesurer pour savoir » tirerait son origine dans l’émergence de nos sociétés industrielles où se côtoient des acteurs des rapports de pouvoirs asymétriques : « entre des industriels dont les activités constituent de possibles menaces sanitaires et environnementales et des acteurs publics ou privés qui cherchent à les contrôler ; entre employeurs et salariés ; entre médecins et
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patients. » (Ibid, p.11)
Si la mesure constitue un passage obligé, pour autant, de nombreux auteurs insistent sur son incapacité à rendre complètement intelligible une réalité complexe. Comment en effet résoudre un litige ou une situation problématique seulement par la seule mesure ? «Obtenir une mesure précise, susceptible de renvoyer de la réalité une image non équivoque, requiert eneffet de tenir ensemble l’instrument, son concepteur, l’institution qui le porte, les entités qu’il représente, les contextes les plus divers de son utilisation, etc. » (Ibid.p.16.) Ainsi, l’ensemble des étapes, des sujets et des objets entrant dans l’opération de mesure affecte les données, leurs pertinences et leurs légitimités La mesure n’est pas neutre, elle engage ceux qui les ont produits
Comme nous le verrons au cours du développement, il n’y a pas une opposition radicale entre mesure prétendue objective et vécu purement subjectif. Si les militants remettent en question les mesures du bruit de l’OFAC, ils ne s’opposent pas à l’idée de la mesure. Bien au contraire, ces derniers considèrent qu’il existe une bonne manière de rendre compte par la mesure de leur vécu du bruit. Si la mesure, tel qu’elle est pratiquée par l’OFAC ne permet pas la résolution du problème, elle demeure un objet de controverse sur lequel les acteurs en présence débattent Aux yeux des militants, la mesure rationnelle du bruit permet, lorsqu’elle est effectuée sous certaines conditions, de rendre compte d’un vécu. Contrairement à ce que nous pouvions supposer, nous verrons que les militants sont convaincus qu’il est possible de « faire entendre » leur vécu du bruit grâce à la mesure. Dans la sous partie suivante, nous rendrons compte, en substance, des critiques que les militants formulent envers les méthodes de monitoring et de calculs des niveaux de bruit employés par l’OFAC. Nous verrons également quelles revendications sont portées par les militants sur les techniques à employer pour rendre objectivement compte du bruit.
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1.2 La critique des méthodes d’élaboration des courbes de bruit du cadastre : on choisit ce qu’on veut mesurer
De la même manière que les autres personnes interrogées, Monsieur Patrick est convaincu du manque de représentativité des zones définies par le Plan d’exposition au bruit. Selon lui, le cadastre ne peut pas rendre compte du bruit tel qu’il est ressenti sur le territoire car celui ci se base sur des méthodes produisant un résultat erroné. En effet, selon les militants, l’élaboration de ces courbes de bruit repose sur un modèle de simulation incorporant sur des données obsolètes et incomplètes sur le bruit mesuré. Dans un premier temps, les mesures du bruit, servant de base au modèle ont été réalisées dans les années 2000, sous estimant ainsi le volume de trafic, en augmentation.
Deuxièmement, lesmesureseffectuées ne prennent en compte que des moyennes (horaires, journalières, etc.) Or, selon les militants, il y a là un problème méthodologique majeur : les moyennes debruits(Leq) necorrespondraientpasau bruit réel des avions tel qu’il serait perçu par l’oreille. Pour être représentatifs, les calculs auraient dû, selon ces derniers, se baser sur le bruit mesuré en pics (L max), c’est à dire, lors du passage de chaque avion. Les moyennes « lisseraient », «écraseraient » les pics de bruit, insupportable à l’oreille. Dès lorsqu’il neprendencompteque les moyennesdebruit, le modèle de simulation du bruit servant de base au cadastre de bruit ne pourrait pas rendre compte du bruit réellement entendu par les riverains.
«L’oreille elle n’entend pas une moyenne, non ! Elle est surtout gênée par les pics de bruits même si ceux là ne durent que quelques secondes. Multipliés par cent ou mille tous les jours ça devient infernal. »
Pour nous en assurer, nous avons comparé les résultats obtenus par le réseau de microphones de l’aéroport et ceux collectés à partir des micros de l’association sur une même période. Si les
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courbes de l’aéroport donnent à voir une moyenne horaire de 62,1 dB entre 11 h à midi le 17/06/2019, les micros de l’ARAG, eux, enregistrent plusieurs pics de 80 dB sur cette même période. N’étant aucunement experts dans ce domaine nous pouvons seulement assurer que l’aéroport et l’association ont opéré des choix de mesure différents, aboutissant à des résultats, eux aussi, différents. Si l’aéroport s’intéresse au bruit globalement mesuré sur une longue période afin d’en déduire à partir de seuils, d’éventuels dépassements ; l’association, elle, veut faire «entendre » le haut niveau de gêne induit par la répétition systématique des pics de bruit. Pour cela, l’association peut compter sur son propre réseau de microphones « installés à proximité du réseau officiel » afin de comparer les résultats. Si cette dernière s’appuie sur ses propres mesures pour critiquer celles de l’aéroport, cela s’arrête là car les mesures de bruits effectuées par l’ARAG ne sont pas reconnues :
«Pour les autorités, nos mesures n’ont pas de valeur car nous n’avons pas reçu le feu vert de la confédération pour faire des mesures. Même si on sait que nos mesures sont assez précises, mais pour Berne il faut faire régulièrement des vérifications et toutes sortes choses que nous ne pouvons pas faire. (…) Pourtant c’est du matériel de très bonne qualité. Donc pour nous c’est un moyen de vérifier ce que les riverains entendent. »
Au delà de la mesure en elle même, Monsieur Patrick critique les choix d’implantation des micros de l’aéroport ne permettant pas, selon lui, de bien discriminer le bruit propre aux appareils de ceux provenant du trafic routier par exemple. À ses yeux, ces données ne seraient donc pas exploitables. D’autres militants, eux, remettent même en cause le bon fonctionnement des microphones de l’aéroport :
«On leur avait toujours dit à l’aéroport que les microphones étaient faux et qu’ils ne marchaient pas, ils ont jamais voulu nous croire mais comme par hasard une année y’a eu je ne sais pas quoi et ils sont changé les microphones ! (…) Ils étaient complètement défaillants. Ils ne disaient pas exemple que ça faisait 40db alors que ça en faisait 60. Parce que nos microphones étaient presque à côté, on les avait mis sur les toits. Moi je vous dis ça comme ça mais peut être que ça faisait qu’une différence de 5 à 10db hein ! Là j’ai peut être un peu parlé comme à Marseille là ! Mais y’en avait toujours un ou deux qui ne fonctionnait pas. »
Monsieur Henri concède néanmoins que l’aéroport entreprend la rénovation de son réseau de microphones depuis 3 4 ans, aboutissant « sans doute » à des mesures plus précises. De son
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côté, Monsieur Patrick estime que ces «stratégies » permettent à l’aéroport d’occulter certaines problématiques. «Quand on ne veut pas faire de choses ont peut toujours trouver de bonnes raisons de ne pas les faire. » Selon lui, le choix opéré par l’OFAC et l’aéroport de mesurer seulement des moyennes témoigne de leur manque de volonté à s’attaquer à la problématique du bruit et de la gêne.
Dans cette sous partie, nous avons rendu compte des méthodes d’élaboration des courbes de bruits, qui, selon les militants, sous-estiment largement la réalité telle qu’elle est vécue au quotidien. Nous avons vu que les choix opérés en matière de mesure et de simulation des niveaux de bruits ne pouvaient vraisemblablement pas aboutir à des courbes réalistes du bruit tel qu’il est perçu et vécu par les riverains. En étudiant les fondements de cette critique et les raisons de tels choix, il nous est possible de remettre largement en question la nature dite « objective » de la mesure du bruit et de nous intéresser désormais aux critères de délivrance des aides et subventions d’isolations destinées aux particuliers. Nous verrons qu’ils sont, là encore, sujets à débat.
1.3 Un aéroport aux multiples casquettes
Comme nous l’avons vu, le cadastre de bruit définit et délimite les espaces fortement exposés au bruit, à partir de ses critères de calculs. Concrètement, les propriétaires résidant dans ces secteurs peuvent, sous certaines conditions, demander la prise en charge, partielle, des travaux d’isolation phonique de leur logement. Comme nous l’avons vu, l’aéroport dispose d’un fond spécial destiné à la collecte de la taxe sur le bruit que les compagnies aériennes doivent verser à ce dernier en fonction du bruit que leur trafic généré à Genève.
Le principe est détaillé ainsi par l’aéroport : «At Genève Aéroport a noise charge is added to the landing charge. The noise charge is based on a classification of Jet engine and propeller drivenaircraftestablished onethebasis ofthe noise level(meanenergetic value) ofeachaircraft type measured in the vicinity of Swiss airports. Each aircraft is then classified in a “Noise Class”. This classification is common to all Swiss airports (AIP Switzerland, GEN 4,1 APP A et B). »
Chaque appareil est donc associé à une « noise class » en fonction de ses niveaux d’émissions sonores, déterminant le montant de se redevance, versée seulement lors des atterrissages à
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Genève. Pour les décollages, une surtaxe est prévue pour le mouvement entre 22 h et 6 h du matin pour tous les appareils, y compris pour les avions à hélice(s) dont la «maximum take off mass (MTOM) » dépasse les 5 700 kg Cette surtaxe est néanmoins ajustée en fonction de l’heure et de la classe du bruit de l’appareil. Pour information, les mouvements nocturnes représentent 5,6 % du total des mouvements (soit 10 387 par an).
Chap. 5, Airport charges and services, Aéroport de Genève, 2019.
La taxe sur le bruit permet à l’aéroport de disposer d’un budget conséquent pour financer les opérations d’isolations. Depuis le démarrage du programme en 2004, 3663 logements riverains ont été insonorisés sur les 35,5 km2 de surface exposée au bruit (selon le cadastre de bruit) pour un montant total de 55 millions de francs suisses. Au vu des critères d’obtention stricts, cette disposition ne permettrait pas l’insonorisation de l’ensemble des personnes impactée par le bruit. Non seulement le cadastre de bruit ne rendrait pas compte du bruit réellement vécu en ne couvrant pas les zones exposées au bruit de manière satisfaisante, mais en plus, les conditions
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fixées évinceraient de nombreux riverains. Le rapport sur le développement durable de l’aéroport (2018) détaille la démarche ainsi :
«Au sein de Genève Aéroport, par souci d’efficacité et de qualité, des personnes ont été engagées en interne pour le suivi des dossiers. Quatre techniciens avec de l’expérience dans le domaine de la constructionet de la gestiond’immeubles suivent les dossiers dans leur globalité. Ils assurent les contacts avec les propriétaires, réalisent les expertises techniques ainsi qu’un diagnostic amiante systématique. Ils rédigent les conventions avec les propriétaires, évaluent les offres des prestataires, vérifient la conformité acoustique des travaux une fois ceux ci exécutés et prodiguent des conseils aux propriétaires parfois sans expérience dans le domaine de la construction. »
L’aéroport dispose d’un champ d’action et des responsabilités étendues couvrant la collecte de taxes, la médiation avec les riverains, le diagnostic et l’expertise du bâti en matière d’isolation phonique ainsi que le versement de subventions. De plus, l’aéroport conçoit, rédige et édicte un certain nombre de normes et d’exigences techniques concernant l’équipement, l’installation et l’installateur, sans lesquels un particulier ne peut prétendre obtenir de subventions.
L’étendue des compétences, missions et responsabilités de l’aéroport en matière de prévention, d’assainissement et de protection face au bruit questionne les membres des associations rencontrées. La réalisation de telles missions ne devrait elle pas être assumée par des institutions publiques ou organismes externes neutres ? Eneffet, de quelle légitimité dispose un opérateur aéroportuaire à assurer des missions de collecte de redevances, de taxation, de financement/indemnisation, d’expertise/diagnostic du bâti et même de maitrise d’ouvrage ? Comment, dans de telles conditions, s’assurer de l’absence totale de conflit d’intérêts ?
D’ailleurs, les services de l’État de Genève, notamment celui en charge de la gestion du bruit et de la pollutionde l’air, sont peu voire pas du tout associés à la démarche. «Ils ne s’intéressent pas à l’aéroport. Certes, ils font des mesures de bruits dans la ville mais ce n’est pas vraiment dans leurs préoccupations. Ils s’intéressent à la ville, ils s’intéressent à plein de choses mais il n’y a pas de mesures spécifiques par rapport à la question de l’aéroport, c’est pour ça qu’on a très peu de liens avec eux parce que ça ne nous sert pas à grand chose. » (Monsieur Favre)
Le très faible investissement de ces services de l’État, pourtant compétents en la matière, témoigne, selon les militants, d’une relation duale, dichotomique sur les enjeux de la nuisance aérienne où l’état, absent, ne jouerait pas son rôle de tiers.
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Monsieur Henri explique : «La population (de Ferney Voltaire en France) est consciente qu’il y a un problème mais ils ne sont pas d’accord pour rentrer dans le problème. », le manque d’investissement de la population s’expliquant, selon lui, par l’efficacité de la stratégie de l’aéroport d’annuler le débat public. Les plaintes des riverains donneraient toujours lieu à des justifications d’ordre réglementaires : «ce vol était autorisé grâce à une dérogation. » «Comme ça, le débat est enfermé entre eux (l’aéroport) et nous (les associations), ils savent à quoi s’attendre de nous, ils participent aux réunions, ils répondent aux questions et voilà ! C’est tout !» Grand absent de l’équation, l’État de Genève est accusé de «laisser faire ».
«Ce qu’on demande à l’état, c’est de faire son travail. Or ce qu’on reproche à l’état c’est de ne pas faire son travail. On a vu l’histoire de la courbe de bruit, du PEB, bah elle n’est pas recalculée et elle ne tient compte que de moyennes ! Alors qu’ils ont l’obligation de la recalculer. (…) deuxième exemple, les normes environnementales qui s’appliquent sur le territoire Français ne sont pas les mêmes que celles qui s’appliquent sur le territoire Suisse ! Quand il y a un épisode de pollution, ils restreignent parfois le trafic routier mais les avions, ils ne restreignent pas ! Donc c’est ça qu’on leur reproche, c’est d’avoir laissé tout gérer par l’aéroport et puis de ne pas contrôler. » (Monsieur Henri)
Dans cette sous partie, nous avons vu que l’autonomie totale dont jouissait l’OFAC dans la réalisation du cadastre de bruit et la maitrise complète de toutes les étapes du processus qui en découle (taxation, expertise et subvention) par le gestionnaire privé de l’aéroport de Genève circonscrivaient le débat sur le bruit aérien à un niveau infrapolitique Dans cette arène politique, L’État ne trouve pas sa place, ne sachant pas comment, et par quel moyen, se positionner Ne pouvant compter sur la capacité de ce dernier à coordonner, superviser, contrôler les acteurs et les dispositifs de lutte contre le bruit, les militants des diverses associations franco suisses sont contraints de mener la bataille seule face à des institutions et des gestionnaires privés aux intérêts divergents. Dans la partie suivante, nous allons étudier l’un des moyens qu’a trouvés l’association des riverains de l’aéroport de Genève (ARAG) pour lutter contre la gestion perçue comme non démocratique, de l’aéroport et de l’aéronautique sur le territoire. Nous allons voir que l’outil développé par l’association entend répondre à trois enjeux : la veille/surveillance des mouvements aériens, la vérification des informations officielles et le cas échéant, la contradiction/contre expertise.
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2. L’Indicateur de Mouvements du Trafic à l’Aéroport de Genève (IMTAG), un outil citoyen de contre-expertise
2.1 Défiance envers le politique et mise en doute des données officielles
Comme nous l’avons vu précédemment, les militants, dans leur quête de « vérité », critiquent le manque de représentativité des courbes de bruits, telles qu’elles ont été conçues
«Le bruit ce sont des données théoriques, données par le constructeur donc quand on est ici on nous dit que tel avion est dans telle catégorie de bruit mais en fait ça ne correspond pas au bruit mesuré donc il y a des stations de mesure du bruit mais pour le reste se sont des courbes théoriques données par les constructeurs. » (Monsieur Rochat)
Pour rappel, l’aéroport exploite unréseau de 4 capteurs du bruit aériensitués à Vernier/Satigny, Bellevue, Genthod et Versoix dont les données sont accessibles en ligne. Comme nous l’avons vu, la critique porte sur la mesure de moyennes (Leq) mais aussi sur la faible densité du réseau de capteurs : «L’aéroport devrait avoir un réseau beaucoup plus fin de capteurs. (…) Donc ça ne correspond pas vraiment au bruit réel qu’on pourrait mesurer sur le terrain. » (Monsieur Rochat)
La mise en doute des données produites par l’aéroport de Genève ne s’arrête pas au niveau de bruit, selon les militants, les informations sur le volume du trafic aérien transmises par l’aéroport seraientégalementerronées.Si onassisteà uneaugmentationtendancielledu nombre de passagers, laissant craindre un accroissement du trafic, l’aéroport formule l’hypothèse qu’une stabilisation du nombre de mouvements journalier serait rendue possible par l’augmentation des capacités et taux de remplissage des appareils actuels. Selon les militants interrogés, ces efforts ne pourraient en aucun cas absorber l’augmentation considérable du nombre de passagers. À leurs yeux, l’augmentation de la vente de kérosène sur le canton serait unindicateursupplémentaire corrélant l’hypothèsed’une augmentationdutrafic. « S’ilya1500 mouvements de moins par an comment explique t on l’augmentation de la vente de kérosène ? Dans tous les cas ça pollue, puisque dans tous les cas, ce kérosène il ne transforme pas en eau. »
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C’est donc presque l’ensemble de données et d’informations qui fait l’objet d’une vérification attentive par les militants, méfiants envers les autorités et les « fake news » qu’ils relaieraient.
Les demandes répétées des associations envers l’administration et le gestionnaire de l’aéroport ne donnant aucune suite, le sentiment de manquer d’information ou de disposer d’informations erronées ou incomplètes fait vivre aux militants un sentiment de frustration intense
Monsieur Müller, par exemple, réclame depuis plusieurs décennies l’adoption d’une nouvelle trajectoire «coudée » afin que les appareils ne survolent plus le territoire français mais le lac à 2 km de la côte. L’affaire a été portée devant le tribunaladministratif fédéral (TAF). L’AFRAG a perdu au profit de l’OFAC arguant son droit au refus pour des raisons de sécurité, le changement de trajectoire préconisé par l’association aurait entrainé un léger virage pour contourner la côte. L’AFRAG propose alors l’adoption de la nouvelle technologie GBAS (Ground Based Augmentation System), système qui augmente la précision de la navigation au GPS et permet une approche segmentée ou courbée sans utiliser l’ILS pour l’approche finale. «Depuis30 ans, j’écrisà tous lesministres enFrance etriennesepasse. »Malgrésesdemandes répétées de modification des trajectoires, toutes ont été refusées par Skyguide et l’OFAC arguant l’importance de réduire la consommation de carburant des appareils autant que d’assurer leur alignement et leur séquençage à l’atterrissage. Monsieur Müller affirme que l’éloignement des avions au dessus du lac permettrait pourtant de réduire considérablement les
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288 598 504 361
100000 200000 300000 400000 500000 600000
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Evolution de la consomation de Kérosène de l'aéroport de Genève (en litres) Sources : OCSTAT / Aéroport de Genève
nuisances sonores, les variations du son se calculant sur une échelle logarithmique Malgré ces multiples tentatives, les trajectoires n’ont jamais été modifiées par l’OFAC au profit des riverains. Selon monsieur Müller, «cette décision est arbitraire car la solution d’approche coudée répondant aux règles OACI (Organisation Internationale de l’Aviation civile) est possible. » S’en sont suivis des contentieux juridiques n’aboutissant à aucune mesure satisfaisante aux yeux des associations.
«C’est une histoire de dupes tout ça, ils jouent à je te tire la barbichette. Ils jouent sur tous les tableaux. Ce n’est pas nous, c’est Berne ! On va à Berne, non c’est Genève ! C’est un jeu de dupes alors qu’en fait, ils sont main dans la main. » (Monsieur Müller)
Ce dernier exprime le sentiment de «ne pas faire le poids » contre ces institutions publiques et privées défendant des intérêts communs et jouant «main dans la main » le «même jeu ». La frustration est telle, que certains militants «désespérés de voir leurs efforts anéantis » expriment, avec une pointe de cynisme, la possibilité de s’affranchir des règles :
« Il ne reste plus rien à faire, la seule chose c’est acheter des Stingers ou envahir la piste… mais c’est ce qu’on ne va pas faire ! (Rires) Après, on peut toujours imaginer des ballons captifs à 1000 mètres d’altitude… pour emmerder les avions. Ou alors des petits ballons avec du Minium pour que ça se reflète… enfin voilà, mais tout ça c’est punissable !»
La frustration voire l’exaspération de la plupart des militants des associations de riverains de l’aéroport permet d’expliquer la mise enœuvre de l’outil «IMTAG », dont ils sont à l’initiative, permettant de collecter, compiler et analyser un ensemble riche de données sur les mouvements aériens à Genève et le bruit.
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2.2 IMTAG : origine et fonctionnement d’un dispositif de mesure citoyen
Monsieur Patrick, son inventeur explique : «quand j’ai commencé à interroger l’aéroport sur les mouvements aériens j’ai été très frustré de constater qu’on ne me disait pas tout. Un certain nombre de vols n’étaient pas renseignés sur leur plateforme et je me suis dit : il doit y avoir un moyen d’en savoir plus. » En reprenant l’idée de l’ancien président de l’ARAG d’écouter les transpondeurs des appareils, monsieur Patrick décidait en 2008 de mettre en place un dispositif technique de détection associé à un programme informatique capable d’identifier la présence et les trajectoires des appareils. En voici son fonctionnement :
Le transpondeur est un équipement embarqué dans l’aéronef qui permet aux radars secondaires4, dits SSR (Secondary Surveillance Radar) de déterminer la position de l’aéronef. Ce dernier émet un signal d’interrogation transmis sur la fréquence 1030 MHz, auquel le transpondeur de l’appareil répond sur la fréquence 1090 MHz. Le système radar analyse la réponse et affiche la position de l’appareil, son altitude et son cap au contrôleur aérien.
Afin de capter le signal de ces transpondeurs, l’association s’est dotée d’un capteur spécifique. Disposé sur un balcon proche de l’aéroport, celui ci envoie un signal à un boitier qui l’envoie à son tour à un centre situé en Allemagne qui interprète l’information du transpondeur. Grâce à une plateforme en ligne, il est possible d’afficher ces informations et de les trier à partir de filtres. Le programme de détection des mouvements et les données sont stockés sur un serveur d’Infomaniak et le tout est intégré au site de l’association ARAGGE.ch.
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Le radar primaire, lui, émet seulement un signal qui est réfléchi par la carlingue des appareils
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Le système de monsieur Patrick est évolutif car la base de données s’enrichit de nouvelles informations concernant les appareils créés à partir du croisement d’informations fournies par le transpondeur. En effet les croisements entre indicatifs d’appels et identification OACI permettent la constitution progressive d’une base de données sur la provenance des vols et le type d’appareils (modèle, poids, etc.) de manière à rendre encore plus informatif le programme.
«Chaque heure et chaque minute depuis 2008, je peux dire quels avions ont atterri ou décollé à Genève. »
Le programme permet d’afficher à l’utilisateur les informations suivantes pour chaque mouvement : le code OACI de l’appareil, son numéro d’identification, son indicatif d’appel, sontype ousonmodèle,sa classedepoids, sonpropriétaire,soncodepays, songroupe(aviation commerciale, d’affaire, etc.) mais aussi l’heure et la date du mouvement, la trajectoire de l’aéronef, le numéro de piste emprunté, la compagnie aérienne, le numéro de vol, l’origine ou la destination et le montant de la redevance bruit.
L’ensemble des mouvements peuvent être projetés sur une cartographie dynamique indiquant les trajectoires et le bruit enregistré grâce au réseau de micros de l’association. Dans la première copie d’écran ci dessous, nous avons choisi de montrer les données du trafic le 9 aout 2019 sur 24 H. Sur la deuxième copie d’écran, nous avons sectionné la station Coitrin proche de
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l’aéroport et avons choisi d’afficher les données du bruit sur 24H, également pour le 9 aout 2019.
Si l’aéroport dispose d’un outil assez comparable, nommé «Noise Lab », couplé au réseau «SIMBA» de microphones existant depuis les années 70 et rénové en 2015, il est accusé de ne pas afficher la totalité des mouvements et en particulier certains vols non commerciaux, d’affaire, diplomatique ou sanitaire. Le site du Noise Lab justifie le problème ainsi : «pour des
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raisons techniques, de sûreté ou opérationnelles certains vols peuvent ne pas être présentés ou le sont de manière incomplète. » Casper, la société développant le Noise Lab pour l’aéroport de Genève vante sa solution comme «best community portal for building neigborhood relations » ajoutant : « Improving the relationship of the airport with the surrounding communities by providing openness and transparancy ».
Face à cet apparent paradoxe, l’ARAG entend compiler et diffuser en toute transparence un ensemble complet de données sur le trafic aérien et le bruit qu’il génère. D’une certaine façon, le système IMTAG répond à un ensemble d’enjeux et objectifs stratégiques que sont la veille, la confrontation des données et, le cas échéant, la récrimination.
Dans un premier temps, l’utilisateur est surpris de l’aisance avec laquelle l’outil lui permet de visualiser sur un temps donné l’ensemble des appareils en mouvement et de leur associer des caractéristiques techniques comme le type d’appareil ou sa classe de bruit. De ce cette façon, l’utilisateur peut aisément se faire une idée de l’état du trafic. Un utilisateur plus averti, comme le militant, peut extraire les données sur la période de son choix en filtrant les paramètres qui l’intéresse. Ainsi, il lui est possible de visualiser le nombre de mouvements d’appareil appartenant aux classes de bruits les plus bruyantes (I, II et III) sur 24H, un mois, une année, etc., et de constater son évolution. En comparant les informations fournies par l’IMTAG à celle de l’aéroport, il est possible de constater l’existence de nombreux mouvements non renseignés par le Noise Lab, notamment l’aviation d’affaire en provenance du golfe Persique5 . La mise en confrontation des données issues de l’outil Noise Lab et d’IMTAG permet également de mettre en lumière certains écarts dans les niveaux de bruit mesurés Pour les militants ces écarts sont à expliquer par la défaillance du matériel de l’aéroport et d’erreurs d’implantation ; pour l’aéroport, les décalages résident dans le manque de fiabilité des microphones de l’association, dont les données sont prétendues, «sans valeurs ».
5 Un reportage de la Radio Télévisée Suisse de François Pilet en date du 28 juin 2018 relate comment le dispositif de l’association a servis à un petit groupe hétéroclite d’informaticiens, de journalistes et de passionnés d’aviation de repérer dans le flot du trafic aérien de Genève, les mouvements des dictateurs et de montrer l’attrait de ces dernier pour la Suisse. https://www.publiceye.ch/fr/news/detail/temps present rts un geneve paradis des dictateurs
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L’outil IMTAG, parce qu’il mobilise l’univers objectif et rationnel de la mesure se pose comme un moyen d’engager le débat avec les autorités grâce à un langage commun, l’évocation du vécu, du ressenti des militants ne permettant plus de «rivaliser » avec les arguments chiffrés de l’aéroport ou de l’OFAC. Néanmoins, comme nous le disions, la mise en confrontation des données fait courir le risque à l’association de voir ses méthodes et techniques métrologiques violentées par des experts «officiels », et ce malgré toute la bonne volonté d’objectivité des militants. Dès lors, comment faire progresser le débat ? Comment dépasser la question de la validité des données pour se concentrer sur les actions à mettre en œuvre ?
2.3 Ouverture et mise en débat : de la nécessité d’indépendance de la mesure du bruit ?
Face à une telle problématique, nous insistons sur la nécessité d’instaurer une autorité indépendante chargée de la mesure du bruit, essentielle dans la résolution de la controverse qui oppose les associations de riverains et les autorités. L’État de Genève ne remplissant pas véritablement un rôle de Tiers au sein de cet écosystème de l’aérien, ne mandatant pas de cabinet d’expertise indépendant, ce dernier participe au déblocage de l’antagonisme. Certes, la mise en œuvre d’un organisme indépendant de mesure du bruit et des mouvements ne neutraliserait pas les dissensions intrinsèques au fonctionnement démocratique, mais elle permettrait de dépasser l’enjeu de la donnée et de sa validité pour élever le débat autour des moyens à mettre en œuvre pour améliorer la situation des riverains. En prenant exemple sur le fonctionnement francilien, où le bruit est mesuré et évalué par l’organisme indépendant qu’est BruitParif. Grâce à son réseau de capteurs et ses experts, le dispositif dispose d’informations et de données fiables, transparentes et indépendantes sur le bruit en général (transport, activités industrielles, de loisirs, commerciales ou riveraines). BruitParif est également sollicité dans la coordination des acteurs, dans l’évaluation, l’accompagnement, l’amélioration des politiques publique de prévention du bruit et dans la sensibilisation du grand public. Au même titre que les organismes indépendants chargés de la mesure de la qualité de l’air comme AirParif ou Atmo, BruitParif jouit d’un statut d’association dont la gouvernance est assurée par un collège composédereprésentantdescollectivités,de l’état,desactivitéscommerciales etd’associations riveraines notamment.
Dans cette même perspective, l’état de Genève pourrait imaginer un dispositif de monitoring du bruit qui ne soit dépendant ni de la Confédération (par l’OFAC), ni du Canton (par le
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SABRA), ni de l’aéroport (par le Noise Lab) et qui pourrait répondre aux enjeux majeurs que nous avons soulevés jusqu’à présent dans cette étude.
Copie d’écran du site BruitParif, aout 2019. Nous venons de voir dans quelle situation de blocage, les associations de riverains et les autorités se trouvaient par l’absence d’une entité indépendante chargée de la surveillance du bruit. Condamnées à débattre de la validité de la mesure, les parties prenantes ne parviennent pas à résoudre leur désaccord et réfléchir à des solutions.
Dans la partie suivante, nous revenons sur la relation d’antagonisme entre les associations de riverains et les autorités en charge de l’aéronautique à Genève, en étudiant comment le bruit affecte, au moins dans les représentations des militants, le territoire et le bâti. Nous nous demanderons si le bruit a un effet sur l’attractivité et le prix de l’immobilier dans les zones exposées. Nous étudierons également les caractéristiques socio économiques des communes afin de vérifier s’il existe une corrélation entre le niveau de vie des habitants d’un territoire et leurs niveaux d’expositionau bruit aérien. Nous verrons enfinque dans le discours, les militants partagent un sentiment de subir, par leur exposition au bruit, une double peine, en voyant le territoire où ilréside changer et leur biense déprécier. Face à eux, les habitants de la rive gauche sont perçus comme des privilégiés à l’écart des nuisances. Nous analyserons ces discours et tenterons de vérifier sa pertinence.
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3. Le bruit aérien, une double peine pour les territoires exposés ?
3.1 Bruit et attractivité des territoires, quels effets ?
La question est épineuse : dans quelle mesure le bruit, affectant la qualité de vie des riverains, réduit il également l’attractivité du territoire et les prix du foncier ? De là, les avis sont divergents, les militants eux mêmes paraissent sceptiques. Sicertains secteurs ont subide fortes décotes, d’autres, plus éloignés de la source de nuisance ou exposés différemment, n’accuseraient pas aussi directement le coup. Selon l’étude menée par le Guillaume Faburel sur l’aéroport de Paris Charles de Gaulle entre 1995 et 2003, une dévalorisation immobilière de 0,96 % du prix du logement par décibel de différence (L max) a été constatée dans trois communes très exposées du Val de Marne Pourtant, si cette dévalorisation s’est accrue depuis 1995, les niveaux d’exposition au bruit aérien restent stables. Pour Guillaume Faburel, cet accroissement signe l’importance du ressenti dans l’appréhension du prix. Le prix ne saurait d’aucune façon refléter le « niveau réel » d’exposition. Ainsi, nous ne pouvons affirmer que les secteurs du grand Genevois les plus impactés par la décote seraient les plus exposés au bruit. Encore une fois, le vécu des riverains échappe à une quantification rationnelle.
Certaines personnes interrogées rendent compte d’une dévaluation de leur bien, du fait de l’exposition au bruit, sans pour autant la chiffrer :
«La compagnie d’assurance estime que la valeur de la maison iciest estimée à unpeu plus d’un million de francs, un million cent mille. C’est la valeur d’assurance maintenant la valeur vénale ou la valeur de vente, ça c’est une autre histoire ! Certaines maisons dans le coin sont en vente un million, un million quatre, est ce qu’ils arrivent à les vendre ce prix la ? Si une personne achète pour elle ça peut encore aller mais si c’est un promoteur qui veut acheter pour construire alors il va vous dire que votre maison elle ne vaut rien. Donc le montant de la dépréciation, ça, je ne sais pas l’estimer. » (Monsieur Rochat)
«Entre nous, ça ne m’a jamais vraiment dérangé (le bruit), mais bon c’est clair, il y a eu la plus value de la maison et du terrain qui a complètement été écrasé. C’est ça le problème. » (Monsieur Favre)
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De la même façon, les militants craignent que certaines zones du cadastre exposées deviennent inconstructibles. Cela entrainerait selon eux de fortes dévaluations des terrains. «On peut dire qu’un terrain est à 600-700 euros du mètre carré constructible et qu’il passe à 6-7 euros en terrainagricole. (…) ça ne vaut pas ce prix là. Qu’est ce que vous voulez que j’en fasse de toute manière ? Y’a quelques pommiers, poiriers peut être du haschisch mais bon ! Rires. » (Monsieur Rochat)
Sur la rive gauche bourgeoise du Léman, la situation est bien meilleure à l’exception des communes de Nernier et d’Yvoire (FR) au dessus desquelles passent la trajectoire de descente desappareils. Ancienlocataire d’une maisonà Satigny, propriétaire depuis 30ans d’une maison secondaire dans la commune de Nernier en France, monsieur Werner espérait ycouler des jours heureux, mais c’était sans compter le trafic aérien.
«Ça fait trente ans que je suis propriétaire de ma maison à Nernier et tout de suite les avions m’ont gêné. J’habitais préalablement à Genève et les avions me gênaient aussi mais ils me gênent encore plus là bas parce que la propriété est les pieds dans l’eau, c’est magnifique, c’est une région où il n’y a pas de routes, pas d’industrie, pas de chemins de fer, rien que le lac et les avions ! »
La personne rend compte d’appels téléphoniques réguliers de personnes souhaitant acquérir un biendans la commune et se renseignant sur les nuisances. Entant que président de l’association locale, Monsieur Werner apparait comme un interlocuteur privilégié pour recueillir des informations sur les niveaux de nuisances dans la commune. « Les gens remarquent que ce n’est pas aussi idéal qu’il l’espérait. Certains n’ont pas acheté, d’autres ont achetés quand même. Donc ça a quand même une influence. »
La personne interrogée affirme dans un premier temps que le trafic aérien a un effet sur le prix du foncier de la commune sans pour autant le chiffrer. « Je pense que sic’était calme ça vaudrait plus. C’est sûr. »
Dans les années 1991 1992, l’état lance, conjointement à l’aéroport, une campagne d’indemnisation des propriétaires impactés financièrement par les nuisances sonores du trafic aérien. Dans un tel contexte, plusieurs personnes interrogées avaient procédé à une session de mesures acoustiques à leurs domiciles, conditions nécessaires à l’obtention de l’indemnisation
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La mauvaise anticipation des délais ou la difficulté à monter le dossier n’avaient pas rendu possible l’indemnisation des personnes interrogées, à l’exception d’un seul.
3.2 Quel lien entre exposition au bruit et dépréciation du foncier ?
«Y’a beaucoup d’immigrés, de réfugiés… et une population blanche plus vieillissante je dirais (à Vernier). Bon il va y avoir un nouveau quartier qui va s’appeler le quartier de l’Étang, il va y avoir à peu près 8 à 10 000 personnes qui vont habiter là bas… mais alors là ça sera surement des jeunes, je ne sais pas. La vraie différence c’est rive droite et rive gauche. La rive droite ce sont des gens qui n’ont trop d’argent comme nous et qui ont pu avoir une jolie maison grâce, peut être, aux héritages alors que de l’autre côté c’est ceux qui ont du fric. C’est le cas au dessus du lac, Cologny, Collonges Belle Rive, et pis ils ont les impôts les moins élevés, ils payent 36 centimes additionnels, chez nous à Vernier on en paye 52. » (Monsieur Favre)
Un deuxième témoignage rend compte d’un vécu de disparité socio économique entre la rive gauche, très aisée et peu exposée au bruit aérien et la rive droite, plus mixte socialement et soumises à d’importantes nuisances.
«On a l’impression que toutes les nuisances sont du même côté. Pour venir vous avez pris le train donc vous avez vu ça fait un axe qui longe le lac et qui coupe les communes. Vous avez les avions et plus loin vous avez encore l’autoroute. La rive droite on est vraiment pénalisé. On a encore des dépôts de carburants, des zones encore industrielles sur Vernier, l’usine à Gaz. Alors que de l’autre côté effectivement la rive gauche c’est une rive un peu privilégiée, ce sont des villas de luxe, de haut standing, 3 4 mille mètres carrés de terrain, le golf. » (Monsieur Rochat)
Selon les militants, seule la rive gauche serait entièrement préservée des nuisances du trafic. Parce que la «majorité » des représentants politiques du canton y vivraient, ils ne seraient pas sensibles aux enjeux des nuisances de l’aéroport : « les trois quarts du grand conseil vivent sur la rive gauche, 6 ministres de l’exécutif sur 7 y vivent (…) vous n’obtenez jamais une majorité aux votations contre l’aéroport car la majorité n’entendent pas les avions. La démocratie ne joue pas. » (Monsieur Müller)
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À entendre les témoignages qui nous sont rapportés, les deux rives vivraient une situation d’injustice environnementale avec une exposition inégalitaire aux nuisances en général. La situation se serait pourtant inversée avec une rive droite historiquement aristocratique «relativement prisée » pour sa vue sur le Mont Blanc et ses plages : «quand il faisait chaud l’été ces dames venaient ici se rafraichir. Il y avait de grandes propriétés aristocratiques, les Rothschild notamment. Il y a en a encore quelques uns vous avez dû voir sur le chemin pour venir ici. Il y a encore des belles demeures appartenant à des financiers, de banquiers ou des aristocrates mais c’est un peu en train de disparaitre. Aujourd’hui, ça a bien changé, la rive gauche vous n’avez pas de nuisance, pas d’autoroute, pas d’avions, pas de train. La rive droite ce sont des petites maisons familiales où les gens ont pu acheter il y a 10 15 ans car c’était beaucoup moins cher déjà à cause des nuisances !» (Monsieur Rochat). Pour les militants interrogés, la dynamique se serait amorcée à partir du début du siècle où les personnes très aiséesseraientpartiesde larivedroite,dérangéepar lesnuisances d’uneurbanisationcroissante, pour la rive gauche, peu touchée. L’explosion des mobilités dans les années 50 et 60 puis dans les années 2000 aurait accru considérablement les niveaux de bruits et les nuisances, aggravant la décote du foncier. De nouveaux profils sociologiques auraient alors pu accéder à la propriété sur la rive droite. N’ayant pas les moyens d’acheter « en face » ces derniers auraient trouvé sur les communes lémaniques de la rive droite, un certain confort de vie. Aux yeux des militants, ces populations accédant nouvellement à la propriété se sentiraient moins concernées par la cause de l’association, la décote du foncier représentant davantage pour eux une aubaine qu’une fatalité. À l’inverse, les personnes interrogées propriétaires de longue date et souvent héritiers de leurs biens seraient plus impactés par la dépréciation du foncier.
Pour les municipalités de la rive droite, le départ des populations très aisées pour les communes de la rive gauche et l’arrivée de catégories sociales mixtes ou populaires (en fonction des communes) aurait des effets négatifs sur leurs fiscalités et leurs économies locales. En effet, la baisse du nombre de contribuables et des niveaux de contributions ainsi que l’augmentation des aides sociales «plomberait », selon les personnes interrogées, les capacités financières et économiques des communes à faire face aux enjeux sociaux des nuisances aériennes.
«Tous les gens aisés partent et qu’est ce qu’on récolte ? Ce n’est pas pour par être méchant, mais la sociologie basse, le cheap entre guillemets, qui sont en logements subventionnés, qui contribuent moins au niveau fiscal. » (Monsieur Favre)
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71 MEMOIRE DE MASTER 2 | Gauthier Cussey Alors
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qu’en est il dans la réalité ? Les communes « exposées au bruit » connaissent elles globalement des prix de l’immobilier plus bas qu’ailleu
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Si les cartes du prix de vente moyen des maisons individuelles et des appartements en 2017 sur le canton de Genève rendent bien compte d’un écart entre les communes de la rive droite et de la rive gauche, nous ne pouvons pas affirmer qu’il existe une telle distinction entre les deux rives, nous invitant, ainsiàrelativiser lesproposdes militants interrogés. Eneffet,silesmaisons individuelles sur les communes d’Asnières, d’Hermance (au nord) et de Cologny (au sud) de la rive gauche sont particulièrement chères, la commune de Corsier, située elle aussi sur la rive gauche, affiche des prix semblables à ceux de la rive droite. D’ailleurs, si les prix des villas sont globalement plus élevés sur la rive gauche, celles de la rive droite conservent tout de même une valeur importante (entre 900 000 et 1,9 million de francs). Concernant les appartements en propriété par étage (PPE), les prix ne semblent pas nonplus varier aussiconsidérablement entre les deux rives que le pensent les militants. De ce fait, nous n’observons pas une distinction si nette en termes de valeurs foncières entre la rive droite et la rive gauche, l’une étant davantage exposée au bruit que l’autre.
Si la valeur de l’immobilier à «un instant T » ne semble pas rendre compte, en miroir, des niveaux d’exposition au bruit, il ne nous est pas possible de prouver, par la statistique (faute de données disponibles) que les prix n’ont pas subi une décote du fait du bruit aérien. Comparons désormais les profils socio économiques des habitants des différentes communes afin d’identifier d’éventuels effets du bruit sur les dynamiques de peuplement des espaces.
3.3 L’inégale exposition au bruit aérien des communes permet-elle d’expliquer les contrastes socio économiques du territoire ?
Bien qu’épineuses, nous nous sommes tout de même frottées à la question et nous avons tenté d’analyser d’éventuels effets de corrélations entre niveaux de bruit mesuré et niveaux de revenus des habitants à partir de données que nous savons fiables. Pour cela, nous avons collecté, trié, compilé les données sur le bruit mesuré en station que nous avons comparée à un certain nombre d’indices et de scores produits par l’office cantonal chargées de la statistique (OCSTAT) sur les niveaux de revenus et la mixité sociale sur le territoire.
Pour commencer nous avons compilé les jeux de données sur le bruit aérien de 2003 à 2013 pour les 14 stations existantes Nous avons ensuite réparti les données en fonction des plages horaires légales de manière à obtenir la catégorie bruit diurne (6 h 22 h) et bruit nocturne
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(6 h minuit), le bruit aérien au delà de cet horaire, étant théoriquement interdit. Cela nous a donné les niveaux de bruit mesuré en moyenne annuelle pour chacune des 14 stations6 et leurs évolutions dans le temps La mise en relation de ces données avec les niveaux de revenus sur chacune de ces communes et secteurs nous a permis d’obtenir les résultats suivants pour l’année 20097 .
Année 2009
Bruit diurne* Bruit noctune**
Moyenne bruit nocturne et diurne Revenus****score mixité catégories revenus
Bellevue 65,30 62,50 63,90 18,80 forte moyen supérieur
Satigny 62,70 58,65 60,68 19,90 forte moyen supérieur
Vernier 58,60 51,25 54,93 -16,20 moyenne inférieur
Genthod 57,90 52,05 54,98 41,30 faible supérieur
Meyrin 57,40 49,00 53,20 -4,90 très forte inférieur
Versoix 56,90 52,95 54,93 -1,00 très forte inférieur
Pregny-Chambésy 55,90 46,65 51,28 38,30 moyenne supérieur
Grand-Saconnex 48,10 41,30 44,70 3,00 très forte moyen supérieur
Bourdigny / Satigny 46,20 32,50 39,35 19,90 forte moyen supérieur
Collex-Bossy 45,10 38,50 41,80 41,80 faible supérieur
* mesuré en équivalent Leq de 6h00 à 22h00
** mesuré en équivalent Leq de 22h00 à 24h00
***Ecart entre le revenu d'équivalence médian de la commune (ou du quartier de la ville de Genève) et celui du canton, en 2009, en %.
Sources : OCSTAT / OFEV-SABRA (2019)
Si les stations des communes de Bellevue, Satigny, Genthod et Vernier enregistrent les plus fortes expositions au bruit aérien, les situations socio économiques de ses habitants sont contrastées Tandis que les revenus des habitants de Genthod sont bien plus élevés que ceux du reste du canton, la commune de Vernier rassemble une population aux faibles revenus. Les habitants des deux communes les plus exposées au bruit, Bellevue et Satigny, appartiennent, eux à la catégorie de revenus « moyen supérieur ». De ce fait, à part Vernier, les communes les plus touchées par le bruit sont relativement aisées.
6 Notons ici que les mesures proviennent de la station et ne sauraient donc pas, rendre compte du bruit auquel les habitants sont réellement exposés. De plus, il s’agit là encore de moyennes, dont nous avons vu les limites pour rendre compte du vécu.
7 Les données de l’OCSTAT sur les niveaux de revenus provenant d’une étude réalisée sur l’année 2009, nous avons choisi de les comparer à celles sur le bruit de cette même année.
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Même si elles sont exposées par le bruit les communes de Genthod, Pregny Chambésy et Collex Bossy demeurent tout de même très aisées et la mixité sociale y est globalement faible.
Si nous avons pu constater que les écarts de prix du foncier ne rendaient pas compte d’une inégale exposition au bruit aérien, nous avons tout de même pu, sous certaines réserves, montré qu’il n’existait pas non plus un lien direct systématique entre niveaux de vies d’habitants et niveau d’exposition au bruit. En réalité, la situation est contrastée avec des communes aisées fortement exposées au bruit aérien et des communes populaires moins impactées par la nuisance. Cependant, notre rapide étude n’intégrant pas de données sur l’évolution des niveaux de revenus des habitants des communes, nous ne pouvons pas les comparer avec l’évolution desniveauxdebruit. Sinousdisposionsdetellesdonnées, nous aurionspucomparer l’évolution des dynamiques de peuplement dans les différentes communes de Genève avec les variations du bruit mesuré dans ces mêmes communes et éventuellement observer les effets du bruit.
Afin de rendre compte de l’éventuel impact du bruit, ou du moins de son vécu, sur le prix du foncier et sur les profils socio économiques des habitants des communes exposés, il nous faudrait mener une étude approfondie, notamment à partir des données statistiques de chaque commune, mais cela constituerait un tout autre projet, qu’il ne nous est pas possible de mener ici. Nous reviendrons lors de la conclusion sur les différentes pistes de prolongement ou d’ouverture de notre sujet de recherche.
Pour l’heure, concluons cette sous partie en rappelant que les personnes interrogées partagent le vécu d’une inégale exposition au bruit des communes de la rive droite et de la rive gauche du Léman. Cette injustice environnementale se traduirait, selon eux, par une décote importante du foncier sur les communes exposées au bruit aérien entrainant de nouvelles dynamiques de peuplement. Pour les militants, l’exposition au bruit de leurs communes de résidence aurait précipité ledépartdespopulations trèsaiséeset l’accessionà lapropriété depublicssocialement mixtes voire populaires sur certains secteurs de Vernier ou de Meyrin. De plus, les militants interrogés avancentque ladépréciationde leurbienfamiliale limiterait leur capacitédemobilité résidentielle pour des secteurs plus préservés. Enanalysant les données statistiques, nous avons montré que l’exposition au bruit ne pouvait pas, à elle seule, expliquer les contrastes socio économiques et les différences de prix de l’immobilier sur le territoire de Genève. Cependant, nous ne pouvons nier le fait que l’exposition au bruit d’un territoire a des effets sur son attractivité, son marché immobilier et les caractéristiques socio économiques de ses habitants.
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Conclusion générale
Cette étude nous a permis de déceler et d’esquisser les principaux enjeux et problématiques liés au bruit aérien à Genève qu’un travail d’enquête de plus grande ampleur permettrait de détailler ; la richesse et la complexité des questions soulevées ne pouvant faire l’objet d’une analyse approfondie sur un temps si bref. Dans la partie I de cet exposé nous avons cherché à éclaircir les notions de bruit, de gêne et de nuisance avant de rendre compte du vécu des militants interrogés. Nous avons montré que le «bruit » n’existe pas en tant que tel, mais qu’il relève bien d’un processus de catégorisation et de classification morale des sons résultants lui même d’une dynamique à la fois sociale et culturelle. Nous avons montré que la gêne est un sentiment «subjectif » qui ne dépend pas seulement de la nature et des caractéristiques du bruit en tant que tel mais qu’elle est conditionnée par de nombreux facteurs sociologiques et psychologiques. Nous avons présenté plusieurs cas de personnes ayant vécu l’expérience de la maladie et nous avons analysé comment celle ci avait influencé leur relation actuelle au bruit et à la gêne. Nous avons ensuite analysé l’usage de l’ouïe comme compétence sensible permettant la prise d’informations additionnelles sur le contexte environnemental. Cette réflexion nous a alors conduits à interroger à la toute fin de cette partie, le sens donné par les militants à l’émergence du bruit dans l’intimité de leur logement. Nous en avons conclu que le bruit aérien quotidien n’était pas réellement vécu comme une effraction de l’enveloppe psychique des individus mais qu’il faisait courir le risque d’un effritement imaginaire de cette enveloppe incarné par les murs et le toit des maisons.
Dans un deuxième temps, nous nous sommes intéressés aux dispositifs officiels de gestion et d’assainissement du bruit et à leurs critiques. Nous avons rendu compte des méthodes d’élaboration des courbes de bruits, qui, selon les militants, sous estiment largement la réalité telle qu’elle est vécue. Nous avons vu que les choix opérés en matière de mesure et de simulation des niveaux de bruits ne pouvaient vraisemblablement pas aboutir à des courbes objectives du bruit tel qu’il est perçu par les riverains. Nous avons poursuivi notre analyse en montrant que l’autonomie totale dont jouissait l’OFAC dans la réalisation du cadastre de bruit et la maitrise complète de toutes les étapes du processus qui en découle (taxation, expertise et subvention) par le gestionnaire privé de l’aéroport de Genève faisaient l’objet de très vives critiques de la part des associations de riverains. Dans ce contexte, L’État de Genève ne trouve pas un positionnement satisfaisant. Ne pouvant compter sur la capacité de ce dernier à coordonner véritablement la politique d’assainissement du bruit aérien prévue par la loi
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fédérale, les militants des diverses associations franco suisses se disent contraints de mettre au point leurs propres outils de lutte : pétitions, initiatives populaires, procès, système de surveillance du trafic et du bruit, etc. Face à une telle problématique, nous avons insisté sur l’importance d’instaurer une autorité indépendante chargée de la mesure du bruit, essentielle dans la résolution de la controverse qui oppose les associations de riverains et les autorités. Dès lors, il serait possible de dépasser l’enjeu métrique et d’élever le débat autour des véritables moyens à mettre en œuvre pour améliorer profondément la situation des riverains.
Dans la dernière partie, nous avons tenté d’analyser le rôle probable du bruit dans les dynamiques des territoires. Malgré un vécu fort d’injustice de la part des militants, nous avons montré que les effets de ce dernier étaient à relativiser ; le bruit n’étant pas le seul facteur permettant d’expliquer les inégalités et disparités sur le territoire, notamment entre la rive droite la rive gauche. Si nous n’avons pas observé de profondes différences entre les communes exposées au bruit aérien et ceux ne l’étant pas, nous devons faire preuve d’une grande prudence concernant l’influencedu bruitsur lesdynamiquesdes territoires.L’approfondissementde cette question attise notre curiosité et notre intérêt ; sans doute serait il pertinent d’y consacrer toute une enquête. En effet, si les aéroports sont souvent synonymes de dynamisme économique et d’attractivité pour les territoires, les effets des externalités comme le bruit ou les émissions polluantes, peinent à être mesuré. Sans doute serait il pertinent recalculer les bénéfices rapportés par l’aérien et les couts directs et indirects assumés par les collectivités, notamment en termes de dégradation de l’environnement et de la santé publique. Alors que les effets sur l’organisme du bruit et de la pollution de l’air sont aujourd’hui prouvés, il semble encore bien difficile pour les décideurs et le grand public de les intégrer complètement à leurs actions. Le transport aérien jouit encore très largement d’une image univoque, outil de progrès, de mobilité, de vitesse, de liberté absolue, d’ouverture des possibles ; occultant les nombreuses problématiques environnementales et sociales qui en découlent. Selon une étudecommandéepar l’ATCR AUG8,lecoutsanitaire totalde l’aviationàGenèveserait estimé à 52 millions de francs (2014) et pourrait atteindre 72 millions en 2030. À l’échelle de la Suisse ce coût s’élèverait à environ 1,3 milliard de francs. (CARPE & ARAG, 2018) Tout porte à croire que nous revivons avec l’aviation l’histoire de l’automobile À son âge d’or, dans les années 60 et 70, l’automobile véhiculait nombre de fantasmes quant à ses vertus, dont on voit aujourd’hui très clairement les limites et effets sur la santé (pollution de l’air, accident de la
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8 Association Transfrontalière des Communes Riveraines de l’Aéroport Urbain de Genève
route) et l’environnement (GES, réchauffement climatique). Peut être en sera t il ainsi pour le transport aérien dans quelques décennies, lorsqu’une prise de conscience collective des effets aura rendu possible un jugement plus objectif sur le sujet.
Gauthier Cussey, M2 VEU MdV gauthier.cussey@gmail.com
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Bibliographie et Sources :
Jeux de données statistiques :
OCSTAT/AÉROPORT INTERNATIONAL DE GENÈVE :
Consommation de carburants à l’Aéroport international de Genève, 2018. Niveau sonore du trafic aérien, par station de mesure, depuis 2003 Niveau sonore du trafic aérien, par station de mesure, de 2010 à 2013.
OCSTAT:
Niveau de mixité en termes de revenus et revenu médian relatif par commune ou par quartier de la ville de Genève, en 2009
Statistique cantonale des transactions immobilières, 2017.
«Littérature grise » : rapports d’études, compte rendu, communications, textes de loi, etc.
AÉROPORT DE GENÈVE :
Airport charges and services, 2019
Assainissement acoustique des immeubles de Genève Aéroport, Travaux de rénovation/changement des fenêtres, portes et portes fenêtres. Cahier des charges acoustique et recommandations, 2018.
Rapport annuel, 2018.
Rapport sur le développement durable, 2018.
ARAG, Initiative populaire cantonale constitutionnelle, 2015.
CARPE et al, Avions toujours plus, pour quoi faire ? Du rêve au cauchemar. Éditions Jouvence, 2018.
CONSEIL FÉDÉRAL SUISSE :
Loi fédérale du 7 octobre 1983 sur la protection de l’environnement (LPE ; RS 814.01)
Ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (LSV ; RS 814.41)
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CONVENTIONS FRANCO SUISSES :
Relatif à l’aménagement de l’aéroport Genève Cointrin et la création de bureaux à contrôles nationaux juxtaposés à Ferney Voltaire et à Genève Cointrin, 1956.
Relatif à la délégation consentie par la France à la Suisse pour la fourniture des services de la circulation aérienne dans une partie de l’espace aérien français, 2001
OCSTAT, La précarité à Genève dans une optique territoriale, Communications statistiques, n° 42, 2012.
OFAC : Cadastre de Bruits, 2009. Fiche PSIA de l’aéroport de Genève, 2018.
FABEC, Projet Espace « Sud Est » du FABEC Aéroport de Genève, 2015. Littérature scientifique :
ANZIEU Didier, Le moi Peau, Dunod, 1997.
CALAME Matthieu, L’approche Suisse de la démocratie, Association des amis de l’École de Paris, Le Journal de l’école de Paris du management, 2014.
CORBIN Alain, Le Miasme et la jonquille, l’odorat et l’imaginaire social, XVIIIe XXe siècles, Aubier, 1982.
CORREIA Andrew. W, et al, Residential exposure to aircraft noise and hospital admissions for cardiovascular diseases: multi airport retrospective study, British Medical Journal, 2013.
CHEYRONNAUD Jacques, A propos de « bruit », marqueur de reproche, Le Seuil, 2012, n° 90.
DAGIRAL Eric et al, Mesurer pour prévenir ? Entre mise en nombre et mise en ordre, Terrains et Travaux, ENS Paris Saclay, 2016, n° 28.
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DETREZ Christine, La construction sociale du corps, Points, 2002.
FABUREL Guillaume, Le bruit des avions, facteur de révélation et de construction de territoires, L’Espace géographique, 2003, Tome 32.
GIMENEZ Guy et al, Enveloppe psychique et Moi Peau dans la prise en charge groupale de patients psychotiques, Psychothérapies, 2015, Vol. 36.
HERT Philippe, Le corps du savoir : qualifier le savoir incarné du terrain, Études de communication, 2014, n° 42.
HOUDART Sophie et al, Connaitre et se prémunir. La logique métrique au défi des Sciences Sociales, PUF, Ethnologie Française, 2015, Vol.45.
JAWORSKI Véronique, Le bruit et le droit, Le seuil, Communications, 2012, n° 90.
KAES René, Le Moi Peau aux enveloppes psychiques. Genèse et développement d’un concept, ERES, 2008.
MAUSS Marcel, Sociologie et Anthropologie, PUF, 1950.
PECQUEUX Anthony :
Le Son des Choses, Les bruits de la ville, Le Seuil, 2012.
Les Affordances des événements : des sons aux événements urbains, Le Seuil, 2012.
PESTREDominique, La mise en économie de l’environnement comme règles Éditions LeBord de l’eau. 2016.
WALKER Etienne, Exposition au bruit, gêne sonore, plainte et mobilisation habitante : de la cohabitation à l’appropriation de l’ espace temps nocturne festif, Norois, 2015.
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Annexes :
Ambiances de terrain
Entretien Monsieur Müller9
Mercredi 24 avril à 14H au café du MEG Président de l’AFRAG Médecin à la retraite Citoyen suisse, réside au Petit Saconnex à Genève.
En ce mercredi du mois d’avril, le temps est pluvieux à Genève. Après avoir avalé un déjeuner rapide à la gare de Cornavin, je m’élance sous des trombes d’eau à la recherche de la bonne ligne de bus qui me conduira, je l’espère, devant le musée d’ethnographie de Genève, où j’ai rendez-vous avec Monsieur Müller. L’aide de quelques passants sur ma route et le GPS de mon téléphone ne seront pas superflus. Après une longue attente à l’arrêt de bus, sans abri et sous la pluie, je le vois enfin arriver. Je saute à l’intérieur et nous voilà déjà repartis. Zigzaguant au milieu des files de voitures le long d’artères encombrées par le trafic, le bus prend du retard sur son itinéraire. Je me fais alors la réflexion que le retard n’est peut être pas si français que cela. Nous traversons alors le Rhône, j’aperçois la tour de l’Ile d’un côté et la Jonction de l’autre avec sa barre d’immeuble emblématique, d’une grande austérité sous ce ciel gris. Nous fonçons désormais en direction de Plain palais. La mixité sociale et ethnique y est plus apparente ; les cafés «branchés » côtoyant les kebabs et magasins de téléphonie. Sur la devanture d’un restaurant, une grande ardoise accrochée proclame : «gambas à volonté !» L’intérieur de la brasserie, baignée d’une lumière blafarde, n’inspire pas confiance. Les murs, recouverts de formica, les plantes en plastique et le marbre au sol donne un aspect de luxe désuet. Les serveurs, tirés à 4 épingles, s’activent pour débarrasser les dernières tables.
Je parviens enfindevant le musée d’ethnographie. Tout de verre et d’acier, le nouveau bâtiment accueillant les collections, est flambant neuf. J’entre et me dirige au café où j’ai rendez vous avec le président de l’association française des riverains de l’aéroport, monsieur Müller. Je passe en revue les dizaines de tables et aperçois, à celle du fond, un homme âgé, vêtu d’un trench coat beige, fort élégant, et portant des lunettes aux montures dorées. Je reconnais dans ses mains l’ouvrage coécrit par plusieurs associations de riverains sur les effets délétères du trafic aérien paru en 2018, qu’un militant m’avait offert. Je me dirige vers lui et me présente. Après quelques mots de circonstances, nous commandons deux cafés à la serveuse et nous démarrons un entretien de plus de deux heures. 9 Les noms ont été modifiés
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Cussey
Entretien Monsieur Fabre Jeudi 11 avril à 14H à son domicile à Genthod Militant à l’ARAG
Après avoir parcouru environ 7 kilomètres sur la ligne du Léman express, j’arrive à Genthod, prononcé « Zhantou » en patois genevois, petite commune de près de 2700 habitants où réside monsieur Fabre, unmilitant de l’ARAG avec qui j’ai rendez vous. Légèrement sur les hauteurs, le village fait face au lac. L’ambiance y est très bucolique aux premiers abords. Monsieur Fabre m’a prévenu, la montée est raide, alors je prends mon temps pour admirer les belles demeures sur mon chemin. Quelques grands noms : Rothschild, la maison d’horlogerie Franck Muller et des consulats. Au centre ville, des rangées de tulipes fleurissent très sagement les trottoirs. Devant l’école, une femme munie de son gilet jaune et de son panneau stop attend le passage d’enfants pour les faire traverser. Soudain, un vrombissement assourdissant vient du ciel. C’est un avion, et plus précisément un A320 bariolés d’orange, couleur de la compagnie Easyjet. Alors que je m’endormais presque à regarder les tulipes, voilà qu’un avion rompt la tranquillité du village. Je perçois alors, ce quipeut être vécu comme une nuisance par les riverains. N’ayant jamais vécu à proximité d’un aéroport, je ne me doutais pas un instant de l’intensité sonore qui pouvait en résulter. Le passage des avions est cadencé toutes les 90 secondes, rendant possible l’estimation du prochain passage. Alors que je dispose d’un quart d’heure d’avance sur mon rendez vous, j’en profite pour découvrir les différents équipements sportifs, scolaires, culturels du village. Je suis frappé par leur architecture, semblable à des cubes de béton. J’apprendrais plus tard de la part de monsieur Fabre, qu’il s’agit de constructions garantissant une extrême isolation phonique. Les fenêtres en meurtrières accueillent des vitres d’une épaisseur impressionnante. Les couleurs vivent dont sont peintes les façades peinent à contredire mon impression de « bunker ». Sur le moment, je ne fais pas le lien entre cette architecture « moderniste »et l’enjeu du bruit aérien. Plus loin, j’aperçois par une fenêtre une représentation de théâtre donné par les enfants de l’école. Monsieur Fabre m’expliquera que l’isolation phonique du bâtiment avait rendu possible la reprise de tels évènements : « avant, les acteurs étaient obligés d’arrêter de jouer et devait reprendre leur réplique une fois l’avion passé ! »
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Avion en descente sur l’aéroport de Genève, 16/06/2019, 13H50, Genthod. Vidéo personnelle
Avion en descente sur l’aéroport de Genève, 16/06/2019, 13H50, Genthod. Photo personnelle.
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Cygnes nageant dans des immondices, 29/11/2018, Genève. Photos personnelles.
84 MEMOIRE DE MASTER 2 | Gauthier Cussey
Immeubles de «standing », banques et horlogers sur les quais du Léman, les 28/01 et 29/11 2018, Genève. Photos personnelles.
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Magasin Discount, Boulevard Carl Vogt, 19/03/2018, Genève. Photo personnelle.
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Graffitis sur façades, Centre ville de Genève, 28/01/2018. Photos personnelles.
88 MEMOIRE DE MASTER 2 | Gauthier Cussey
o f e s s i o n
i e u d e t r a v a i l
N b r e n f a n t s 1 . 7
6
S i t u a t i o n p e r s o n n e l l e 1 8
L i e u d e r é s i d e n c e
c f r u r a l , s e m i r u r a l , p é r i u r b a i n i n d u s , p é r i u r b a i n i n f l u e n c e r u r a l e , p é r i u r b a i n i n f l u e n c e u r b a i n , c e n t r e ? 1 9
A u t o , m o t o , s c o o t e r , v é l o , t r o t i n e t t e , t r a m w a y , b u s , t r a i n , e t c
T y p e d e l o g e m e n t
a p p a r t e m e n t , m a i s o n i n d i v i d u e l l e , r é s i d e n c e , e t c 1 1 0
p r o p r i é t a i r e , l o c a t a i r e , l o g é e g r a t u i t e m e n t , 2 2 1
S i o u i d e q u e l l e f a ç o n ?
T r a j e c t o i r e r é s i d e n t i e l l e
D e p u i s c o m b i e n d e t e m p s v i v e zv o u s d a n s c e t t e c o m m u n e ? 2 2
P o u r q u o i v i v e z v o u s d a n s c e t t e c o m m u n e ? P o u r q u e l l e s r a i s o n s ? 2 . 3
P a r q u e l m o y e n v o u s r e n d e z v o u s a u t r a v a i l ?
Q u e l l e p l a c e t i e n t l a n a t u r e d a n s v o t r e q u o t i d i e n / d a n s v o t r e v i e ? 2 4
P o u r q u e l l e s r a i s o n s e t à q u e l l e f r é q u e n c e v o u s r e n d e z v o u s à G e n è v e / L a u s a n n e ?
2 . 5
3 3 1
C o m m e n t p e r c e v e z v o u s g l o b a l e m e n t l e b r u i t e n S u i s s e ? 3 . 2
C o m m e n t p e r c e v e z v o u s g l o b a l e m e n t l e b r u i t d e G e n è v e ? 3 3
C o m m e n t p e r c e v e z v o u s l e b r u i t d a n s l a c o m m u n e / d u q u a r t i e r d a n s l a q u e l l e / l e q u e l v o u s h a b i t e z ? 3 4
S i o u i , l e s q u e l s ?
C i r c u l a t i o n r o u t i è r e , i n d u s t r i e , a g r i c u l t u r e , c h a u f f a g e d o m e s t i q u e , T r a f i c a é r i e n ?
S i o u i , p o u r q u o i e t c o m m e n t ?
Q u e l l e s d i c i s i o n s f a u d r a i t i l p r e n d r e p o u r a m é l i o r e r l a s i t u a t i o n ?
V o u s a r r i v e t ' i l d e t r e g é n é p a r l e b r u i t ?
S i o u i d e q u e l l e m a n i è r e ? 3 5
R e s s e n t e zv o u s d e s g ê n e s p h y s i q u e s l i é s a u b r u i t ?
V o u s a r r i v e t ' i l d e s s a y e r d e l i m i t e r v o t r e e x p o s i t i o n ?
S i o u i , l e s q u e l s ? 3 6
À v o t r e a v i s l e b r u i t r e p r é s e n t e t ' e l l e u n r i s q u e p o u r l a s a n t é ?
3 . 7
A v o t r e a v i s q u e l l e e s t l a p r e m i è r e s o u r c e d e n u i s a n c e à G e n è v e ?
3 8
P o u v e z v o u s m e r e t r a c e r l ' h i s t o r i q u e d u p r o b l è m e ?
4 4 . 1
Q u e s t c e q u i v o u s a p o u s s é à c r é e r u n e a s s o c i a t i o n ? P o u r r é p o n d r e à q u e l s p r o b l è m e s ?
Q u e l s o n t é t é l e s é l é m e n t s d é c l e n c h e u r s ? 4 . 3
4 2
Q u e l l e s o n t é t é v o s a c t i o n s ?
A v e zv o u s d é j à f a i t a p p e l a u S A B R A ? ( p l a i n t e s , r e m o n t é e s d ' i n f o r m a t i o n s , e t c )
4 4
C o m m e n t e s t s t r u c t u r é e v o t r e a s s o c i a t i o n s ( n b r d e m e m b r e s , a c t i o n s , e t c ) 4 5
4 6
U n i n s p e c t e u r d u S A B R A a t i l d é j à é t é d é p ê c h é s u r p l a c e ? 4 . 8
4 7
S i o u i , a t i l r é a l i s é d e s t e s t s / m e s u r e s , e t c ? 4 9
D e s m e s u r e s o n t e l l e s é t é p r i s e s a p r è s s o n p a s s a g e ?
Q u e l l e s o n t é t é l e s c o n c l u s i o n s ? 4 . 1 0
A v e zv o u s e u l ' i m p r e s s i o n d ' ê t r e e n t e n d u e p a r l e S A B R A d a n s v o s r e v e n d i c a t i o n s / i n q u i è t u d e s ? 4 1 2
Ê t e s v o u s s a t i s f a i t d e l a s i t u a t i o n a c t u e l l e ?
4 G U I D E E N T R E T I E N B R U I T G E N E V E 2 0 1 9 C O N D I T I O N S P A S S A T I O N C A R A C T É R I S T I Q U E S E N Q U Ê T É R E L A T I O N / R A P P O R T A U B R U I T A E R I E N P R O B L É M A T I S A T I O N D U B R U I T A E R I E N I M M A G I N A I R E S G É O G R A P H I Q U E S
A v e z v o u s e u l ' i m p r e s s i o n d ' ê t r e e n t e n d u e p a r l ' e x p l o i t a n t d a n s v o s r e v e n d i c a t i o n s / i n q u i é t u d e s ? 4 . 1 3
Q u e l l e s a c t i o n s f a u d r a i t i l e n c o r e m e t t r e e n œ u v r e ?
89 MEMOIRE DE MASTER 2 | Gauthier Cussey 0 1 1 1 Â g
1 .
Â
1
e
2
g e s e n f a n t s
3 S e x e 1 4 P r
1 5 L
1
4 1 1
1 4
Résumé
Dans ce travail d’enquête, nous avons tenté de recueillir et de rendre compte, le plus fidèlement possible, le vécu de quelques riverains, aux prises avec le bruit aérien à Genève.
Notre propos s’organise ainsi : dans un premier temps, nous questionnons les notions de «bruit », de «gêne » et de «nuisance » structurante dans la réflexion et les discours des militants. À partir des discours des personnes interrogées, nous retraçons biographiquement l’évolution de leur relation au « bruit aérien» en montrant comment celui ci s’est progressivement constitué comme objet de « gêne » puis d’engagement militant. À partir du cas de plusieurs militants ayant vécu l’expérience de la maladie nous analysons comment celle ci a influencé leur relation actuelle au bruit et à la gêne. Nous nous intéressons ensuite à l’usage de l’ouïedes militants comme «compétencesensible »leur permettantune prised’informations additionnelles sur leur contexte environnemental. Bien maitrisée, cette « oreille fine » rend possibles l’anticipation des phénomènes et l’amélioration de la qualité de vie.
Dans un second temps, nous nous intéressons aux dispositifs de gestion et d’assainissement du bruit aérien. Nous mettons en lumière les limites de ces derniers à intégrer le vécu et les attentes des riverains de l’aéroport. Nous étudions comment la critique du politique et la remise encause des informations et données officielles par les militants ont permis la mise au point par l’association des riverains de l’aéroport (ARAG) d’un dispositif technique inédit et officieux de surveillance du trafic aérien et de mesurage du bruit appelé «IMTAG ». Malgré le caractère citoyende cette démarche, nous montrons que le débat autour du bruit aérienà Genève demeure stérile par l’absence d’une véritable autorité experte indépendante de mesure du bruit.
Enfin, nous revenons sur les effets du cadastre du bruit en étudiant la manière dont les militants rendent compte d’un sentiment d’inégales expositions au bruit entre les communes de la rive droite et de la rive gauche du Léman. Cette injustice environnementale se traduirait, selon eux, par une décote importante du foncier sur les communes exposées au bruit aérien entrainant de nouvelles dynamiques de peuplement. En analysant les données statistiques du canton, nous concluons que l’exposition au bruit ne peut pas, à elle seule, expliquer les contrastes socio économiques du territoire.
Mots-clefs :
Bruit nuisance gêne trafic aérien Aéroport de Genève militantisme controverse procédure dispositif citoyen riverain politiques gestionnaire
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