Le journal de l’Association pour l’histoire des chemins de fer
• Actualité de l’histoire Le chemin de fer et la publicité commerciale • Commémorations 1914-1916. Les « embusqués » du rail • Figures Albert Claveille (1885-1921), cheminot et ministre • Jeunes historiens à la Une La Poste à grande vitesse : 40 ans d’histoire 1975-2015 •Entreprises 1906. Milan accueille sa première Exposition universelle •On en a parlé Tramways : une histoire de planchers • Espace des adhérents Les premiers chemins de fer en France à travers les illustrations d’époque (3e partie) • Portail des archives 1932. Les essais de l’automobile « Railroute » Dunlop •Patrimoine Un tunnel, un viaduc. Petite ballade ferroviaire en Essonne • Actualités de Rails et histoire - Exposition sonore aux Archives nationales - Actualités de l’association
2015
l’histoire
Avril
Les Rails de
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Illustration de couverture : Photo extraite de la plaquette « La publicité dans les chemins de français » éditée en 1933 par la Compagnie fermière de publicité des grands réseaux de chemins de fer français, agence spécialisée dans les affiches et autres supports publicitaires réservés aux voitures. Archives nationales du monde du travail, Roubaix.
Le calendrier de Rails et histoire en 2015 • 22 janvier 2015 : Assemblée générale extraordinaire des membres de Rails et histoire • 11 février 2015 : Séminaire de Rails et histoire et de l’UMR AUSser n° 3329 / CNRS « Réinventer le tramway ? Quarante années de TCSP, tramways et transports guidés en France : controverses et réalisations », Séance 9 « Le tramway, entre incertitudes et tergiversations : le projet victime du jeu des acteurs » • 19 mars 2015 : programme « Vingt années sous la Manche… et au-delà », Colloque 1, Lille, « Vingt années sous la Manche, et au-delà : nouveaux visages de la géographie et de l’économie des transports / TwentyYearsunder the Channel, and beyond: New Aspects of Transports Geography&Economics » • Avril 2015 : Les Rails de l’histoire, Journal de Rails et histoire, n° 8
ISSN : 2116-0031 Éditeur : Association pour l’histoire des chemins de fer, 9 rue du Château-Landon, 75010 Paris Directeur de la publication : Jean-Louis Rohou Rédaction : Bruno Carrière Secrétariat d’édition : Marie-Noëlle Polino Ont contribué à ce numéro : Bruno Carrière Clément Gosselin Philippe Hérissé Joseph-Jean Paques
• Mercredi 8 avril 2015 : inauguration de « Voix cheminotes. Une histoire orale des années 1930 à 1950 » Exposition sonore du 8 avril 2015 au 20 juin 2015 aux Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine • Samedi 11 avril 2015 : Visite de l’exposition « Voix cheminotes » réservée aux membres de Rails et histoire • Mardi 14 avril 2015, 15 h : Assemblée générale des membres de Rails et histoire • Mercredi 15 avril 2015 : Séminaire de Rails et histoire et de l’UMR AUSser n° 3329 / CNRS « Réinventer le tramway ? Quarante années de TCSP, tramways et transports guidés en France : controverses et réalisations », Séance 10 « Les effets territoriaux du tramway : la question des commerces, de l’inclusion et de l’espace public » • Samedi 25 avril 2015 : Visite de l’exposition « Voix cheminotes » pour les associations • Jeudi 28 mai 2015 : Journée scientifique, aux Archives nationales, site de Pierrefitte
Maquette et mise en page : Isabelle Alcolea Impression : SNCF, Centre Éditions-La Chapelle, 75018 Paris Avril 2015
• 19 juin 2015 : Journée des Étudiants de l’Association pour l‘histoire des chemins de fer
Les Rails de l’histoire est édité par l’Association pour l’histoire des chemins de fer, 9, rue du Château-Landon, 75010 Paris. Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation par tous procédés réservés pour tous pays, conformément à la législation française en vigueur. Il est interdit de reproduire, même partiellement, la présente publication sans l’autorisation écrite de l’éditeur. La rédaction n’est pas responsable des textes et illustrations qui lui ont été communiqués. Les opinions émises par les auteurs n’engagent qu’eux-mêmes.
• 14-17 septembre : Caserta (Italie), participation de Rails et histoire au congrès international « The Future of Mobilities: Flows, Transport and Communication, Joint conference of the International Association for the History of Transport, Traffic and Mobility (T2M) and the Cosmobilities Network »
• 4-11 septembre 2015 : Lille, participation de Rails et histoire au congrès international TICCIH 2015 - Lille région, « Le patrimoine industriel au XXIe siècle, nouveaux défis »
• 18-19 septembre 2015 : Bergerac, participation de Rails et histoire au colloque « Albert Claveille. Portrait en actes » • 27 septembre-1er octobre 2015 : participation de Rails et histoire au congrès international IASA 2015, The International Association of Sound and Audiovisual Archives, Bibliothèque nationale de France, Paris. • Mardi 8 décembre 2015 : programme « Vingt années sous la Manche… et audelà », Colloque 2, Londres, sur le thème « Financement et gouvernance des grands projets d’infrastructures » • Novembre 2015 : Les Rails de l’histoire, Journal de Rails et histoire, n° 9
Édito
A
ctualité de l’histoire ? c’est une notion que les historiens n’aiment pas plus que celle
de « précédents » : il ne s’agit pas seule-
ment de se démarquer des sciences politiques ou
juridiques, mais d’affirmer que chaque moment est
Sommaire • Actualité de l’histoire - p. 4 Les Compagnies de chemins de fer et la publicité • Commémorations - p. 12 1914-1916. Les « embusqués » du rail
unique – et pourtant, que de sujets de réflexion, que
• Figures - p. 19 Albert Claveille (1885-1921), cheminot et ministre
utiles. Chemins de fer et expositions universelles,
• Jeunes historiens à la Une - p. 22 La Poste à grande vitesse : 40 ans d’histoire 1975-2015
de rapprochements non seulement possibles, mais
par exemple : l’implantation urbaine d’installations
temporaires et leur absorption ultérieure par la ville, voici qui nous incite à réfléchir. Mettre la poste sur le
•Entreprises - p. 29 1906 : Milan accueille sa première Exposition universelle
qui nous ramène à ce constat : les grandes vitesses
•On en a parlé - p. 35 Tramways : une histoire de planchers
rail ? Une page se tourne, avec la fin du TGV postal, ont une histoire déjà longue, tout autant que celle
des tramways que nous interrogeons depuis deux
ans. Et, surtout, l’histoire permet des mises en pers-
pectives indispensables : publicité et communication sont aussi anciennes que le chemin de fer, comme la concurrence inter et intramodale.
Actualité du souvenir ? Oui, le passé se transmet
par le récit qui, lui-même, est issu de la mémoire : avec Voix cheminotes. Une histoire orale des années 1930 à 1950, Rails et histoire revient aux débuts
comme aux sources de l’histoire : le récit par celui qui a vu. Nous entendons comment l’image des che-
• Espace des adhérents - p. 38 Les premiers chemins de fer en France à travers les illustrations d’époque (3e partie) • Portail des archives - p. 45 1932. Les essais de l’automobile « Railroute » Dunlop •Patrimoine- p. 50 Un tunnel, un viaduc. Petite ballade ferroviaire en Essonne • Actualités de Rails et histoire - p. 52 - Exposition sonore aux Archives nationales - Actualités de l’association
minots est construite par eux-mêmes, sur un souvenir collectif de la Deuxième Guerre mondiale dont nous découvrons qu’il a été admis plus que partagé
entre collègues ou transmis entre parents et enfants. Une image qui s’oppose à l’image des cheminots
construite par les autres, celle de la guerre précédente, qui en faisait des « embusqués », malgré de grandes figures comme Albert Claveille.
Au moment où Rails et histoire revient à ses racines associatives et souhaite retrouver une action – et une
gouvernance – collectives, notre actualité nous donne
matière à réflexion, mais aussi beaucoup de plaisir et d’émotion : retrouvons-nous tous ce printemps aux Archives nationales, pour écouter ensemble ces Voix cheminotes.
Les Rails de l’histoire, n° 8 - avril 2015
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3Lettre de 1886 à en-tête de la Société anonyme de publicité diurne et nocturne. En marge, un aperçu de ses services et de sa clientèle. Archives nationales du monde du travail, Roubaix.
4 Affiche de la Société anonyme de publicité diurne et nocturne (1925) signée Jean d’Ylen (1886-1938). La cible de l’agence est clairement définie. gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France.
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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
Le chemin de fer et la publicité commerciale Première partie : le rôle de la Compagnie du chemin de fer du Nord Il y a publicité et publicité. Nous ne parlerons pas de publicité institutionnelle, dont le but est de promouvoir l’image du chemin de fer, à l’exemple de la publicité touristique qui en a été longtemps la principale manifestation. C’est de la publicité « commerciale et industrielle » dont il sera question ici, celle qui promeut la vente de services ou objets étrangers à l’exploitation ferroviaire, mais à laquelle les emprises ferroviaires fournissent des « espaces » où se déployer au contact du public. Cette publicité s’est exprimée en priorité dans les gares, avant de toucher leurs abords, puis de s’étendre aux voitures. Elle a pris des formes diverses, la plus ancienne et la plus importante étant l’affichage. Pour assurer sa gestion (recherche des annonceurs, mise en place et suivi), les réseaux ont tôt pris la décision de s’en remettre à des entreprises spécialisées1. Bruno Carrière La « location d’espaces » par les compagnies à des tiers est très précoce. Elle est une réponse aux sollicitations de sociétés de publicité qui font l’intermédiaire avec les annonceurs, mais s’inscrit aussi dans la recherche de revenus complémentaires réguliers dans le cadre de concessions commerciales, déjà de mise avec les commerces ou buffets de gare. Enfin, les compagnies y voient leur avantage en s’assurant de services gratuits de promotion de leurs propres services et produits. Le cadre juridique et financier différencie l’affichage en gare, hors gare (par exemple le long des voies) et dans ou sur les véhicules.
L’affichage en gare : La Compagnie de publicité diurne et nocturne L’entreprise « phare » pour la publicité commerciale et industrielle, tant par son ancienneté que par son importance, demeure la Compagnie de publicité diurne et nocturne. Les archives de la Compagnie du chemin de fer du Nord permettent de se faire
une idée précise des liens tissés entre les deux parties. Le premier traité parvenu jusqu’à nous date du 15 octobre 1852. Il lie le Nord à AugusteJules-Junius Levêque, propriétaire demeurant à Paris, 35, rue Rousselet, faubourg Saint-Germain. Celui-ci obtient pour neuf ans, « à ses frais, risques et avantages », le « droit d’exposer dans les gares et stations du chemin de fer du Nord et tous embranchements et prolongements qui pourraient y être annexés, des cadres contenant des annonces industrielles ». Au détour des termes de ce même contrat, on apprend que Lévêque a eu un prédécesseur puisqu’il « s’engage à faire arranger sans indemnité les cadres servant actuellement à l’entreprise Serres, devenus la propriété de la compagnie ». 1- Cette étude repose essentiellement sur le dépouillement de deux sources : les archives de la Compagnie du chemin de fer du Nord (Archives nationales du monde du travail, à Roubaix) et les archives de la SNCF (Centre des archives historiques de la SNCF, au Mans).
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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
Cette appropriation par le Nord est conforme à la clause du traité passé avec Lévêque, qui précise que si ce dernier est à l’origine d’une demande de résiliation avant l’échéance du terme de neuf ans, son matériel reviendra à la compagnie sans indemnité. Bien qu’ayant rompu son contrat un an avant la date convenue, Lévêque échappe à la sanction en cédant son fonds de commerce à un tiers, Anatole Houelbecq. Celui-ci demande aussitôt au Nord de lui être substitué, chose faite par la signature, le 23 février 1860, d’un nouveau contrat d’une durée de trois ans avec effet rétroactif au 1er janvier. Houelbecq agit au nom de la Compagnie de publicité diurne et nocturne (anciennement Kiosques lumineux), société en commandite simple dont il est l’un des gérants associés. Fondée en 1857, cette maison, domiciliée à Paris au 13, rue des Fossés (Montmartre), est concessionnaire depuis 1859 de l’exploitation des kiosques lumineux parisiens mis au point par Arthur Grant, un autre de ses gérants associés, contrat qu’elle perd en 1884. Houelbecq supervise en 1861 la transformation de la compagnie en société à commandite par actions, dont il assure seul désormais la direction2. Il est remplacé en 1862 par François Peytrignet et, en 1868, par A. Delastre, celui-ci agissant dans un premier temps en tant qu’« administrateur judiciaire provisoire » pour remédier aux manquements de son prédécesseur accusé de malversations, puis comme « directeur gérant ». En 1880, la Compagnie de publicité diurne et nocturne, domiciliée depuis 1861 au 161, rue Montmartre, prend la forme de société anonyme. Maintenu dans ses fonctions, Delastre est dès lors assisté par un administrateur délégué, G. Beamish. En 1891, les courriers échangés ont pour en-tête « Compagnie de publicité diurne et nocturne et des voyages économiques », ce qui laisse entendre que la société a diversifié ses activités. De fait, un encart, paru dans Le Figaro l’année précédente, fait état d’une Société des voyages économiques3, agence de voyages dont le siège social partage la même adresse que celui de la Compagnie de publicité. Les aléas rencontrés par la Compagnie de publicité diurne et nocturne ne nuisent pas aux relations qu’elle entretient avec le Nord. Le traité initial
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de 1860 est ainsi prorogé sans interruption par périodes de trois ans (de 1860 à 1862), de six ans (de 1863 à 1892 et de 1905 à 1910) ou de douze ans (de 1893 à 1904). Au-delà de 1910, le contrat est reconduit tacitement tous les trois ans. La coopération entre les deux parties prend fin en 1928. Examinons ici les clauses du traité de Lévêque (1852). S’il obtient l’exclusivité de la publicité commerciale et industrielle, il doit cependant composer avec la compagnie. Celle-ci se réserve, en effet, « le libre affichage dans les salles d’attente de ses gares et stations et dans les emplacements qu’elle choisira d’avis, annonces, ordres de service, tableaux et imprimés quelconques intéressant son service et celui des compagnies et entreprises de transport qui sont en correspondance avec elle ». Elle se réserve également « le droit de faire apposer ses affiches sur les autres lignes de chemin de fer avec lesquelles M. L’Évêque aura traité, à moitié prix du tarif fixé par la compagnie ». Lévêque est tenu de poser au moins quatre cadres dans chacune des gares et stations. Ce minimum sert de base au calcul de la redevance qu’il devra verser à la compagnie. Le total s’élève à 15 840 F/ an payables d’avance chaque mois. Le traité passé en 1860 avec la Compagnie de publicité diurne et nocturne substitue à cette redevance un « fermage à forfait ». Fixé à 9 000 francs pour chacune des années 1860 et 1861, le forfait est ensuite régulièrement revu à la hausse en fonction du développement de l’entreprise, jusqu’à atteindre 50 000 francs en 1911. Après cette date, le Nord accepte le versement d’un pourcentage fixe, soit 40 % des recettes brutes, mais assujetti à un minimum garanti de 50 000 francs4. 2- Arthur Grant se retire moyennant le versement d’une indemnité régulière de 6 000 francs/an. En retour, il abandonne tous ses droits sur les kiosques lumineux et s’engage à ne plus exercer d’activité touchant à la publicité. 3- « La Société des Voyages économiques délivre, dans les 24 heures de la demande, tous les billets d’excursion à itinéraires tracés au gré du voyageur, qui peuvent lui être demandés pour la France et pour l’Étranger, ainsi que des coupons d’hôtel pour des maisons de premier ordre, représentant une économie d’environ 25 %. Elle organise des excursions en groupe et à forfait à des prix très réduits pour tous pays d’Europe » (Le Figaro, 19 août 1890). 4- Minimum garanti porté à 150 000 francs à compter du 1er janvier 1925.
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
Le traité de 1860 reprend à peu de choses près les clauses imposées à Lévêque. À la même époque, un document émanant de la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans fait état d’un traité qui, tout comme le Nord, lie le PO à la Compagnie de publicité diurne et nocturne5. Il porte que l’affichage « se fera dans les cadres en chêne poli ayant servi autrefois à M. Lévêque ». En 1873, la Compagnie de publicité diurne et nocturne est sous contrat avec dix compagnies ferroviaires : le Nord, le PLM, le PO (y compris les lignes de Sceaux, d’Orsay et de Limours), le Midi, la Ceinture, mais aussi les chemins de fer secondaires de Montmorency, d’Anzin à Somain, de Vendée et de Vitré à Fougères. Seuls lui échappent l’Ouest (qui la rejoint dans les années 1880) et l’Est (qui fait appel à une autre agence). En 1874, toujours, la Compagnie de publicité diurne et nocturne revendique une présence effective dans 1 850 gares et un revenu brut de 200 850,85 F. De cette somme, elle doit retrancher un certain nombre de dépenses incompressibles, au premier rang desquelles les « fermages » (redevances dues aux compagnies ferroviaires) qui s’établissent à 92 400 F. Le Nord monopolise à lui seul 3 018 cadres répartis dans 216 gares.
Le contrat qui se termine en 1910 fait l’objet d’une reconduction tacite tous les trois ans, la dernière reconduction portant sur la période du 1er janvier 1926 au 31 décembre 1928. En effet, sans s’étendre sur les raisons de sa décision, le Comité de direction du Nord dénonce le 4 mai 1928 (avec effet au 31 décembre) le contrat relatif à la publicité en gare qui le lie à la Compagnie de publicité diurne et nocturne. Cette décision, prise « à cause du faible rendement fourni par la publicité », suit d’un peu plus d’un an la rupture du contrat passé avec la même société pour la publicité hors gare. Le Nord s’occupe désormais seul de la gestion de toute la publicité commerciale et industrielle touchant son réseau par le biais de sa Commission de publicité créée fin 1926. Ce qui ne l’empêche pas de signer le 21 juillet 1937, à la veille de la création de la SNCF donc, un contrat confiant cette publicité à la Société anonyme d’entreprise de publicité et d’organisation commerciale (Epoc), interlocuteur du réseau de l’État depuis 1926 pour ses gares parisiennes. Le contrat porte sur la gare du Nord de Paris, la tranchée de l’avant-gare et les 5- Paris-Orléans, Service de l’Exploitation : nouvelle collection des instructions et avis, [Paris,] impr. A. Chaix et Cie 1861. Avis n° 29 du 31 mai 1860 sur l’« Affichage d’annonces dans les gares et stations ».
Date et durée des conventions de concession par la Compagnie du Chemin de fer du Nord de ses espaces à la Compagnie de publicité diurne et nocturne ?
Serres
?
15 octobre 1852
Levêque
4 avril 1853 au 31 décembre 1859
23 février 1860
Compagnie de publicité
1er janvier 1860 au 31 décembre 1862
13 juin 1862
Compagnie de publicité
1er janvier 1863 au 31 décembre 1868
17 juillet 1868
Compagnie de publicité
1er janvier 1869 au 31 décembre 1874
26 décembre 1874
Compagnie de publicité
1er janvier 1875 au 31 décembre 1880
15 janvier 1881
Compagnie de publicité
1er janvier 1881 au 31 décembre 1886
20 décembre 1886
Compagnie de publicité
1er janvier 1887 au 31 décembre 1892
3 décembre 1892
Compagnie de publicité
1er janvier 1893 au 31 décembre 1904
17 février 1905
Compagnie de publicité
1er janvier 1905 au 31 décembre 1910
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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
dépendances situées sur le territoire du 1er arrondissement de l’Exploitation. Le 13 octobre 1937, la Commission des marchés demande la suspension du contrat et sa nouvelle présentation une fois la SNCF en place à compter du 1er janvier suivant. Commence alors un bras de fer ente les deux parties, Epoc refusant un avenant introduit par la SNCF à cette occasion. Elle ne peut s’y opposer et, le 14 juin 1939, par la voix de son administrateur unique, Pierre Vaidy, renonce au contrat.
connaître qu’elle n’utilise que 730 des 4 000 m2 mis à sa disposition, ce qui suffit cependant à dégager un loyer de 1 095 francs.
L’affichage hors gare
Enfin, par un troisième traité, conclu le 18 décembre 1897, la Compagnie de publicité diurne et nocturne obtient d’étendre ses activités à l’ensemble des « dépendances du chemin de fer ». Sont visés les parements extérieurs des ouvrages d’art, les murs de soutènement, les culées et piles des viaducs et des ponts.
Pour ce qui est de l’affichage « hors gare », c’est-àdire le long des voies, le Nord fait figure de suiveur par rapport à la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest qui a été, à notre connaissance, la première à accepter l’intrusion de la publicité – sous la forme d’affiches peintes – sur les murs de soutènement en bordure de ses voies, en l’occurrence celles au départ de sa gare de Paris-Saint-Lazare dès 1881. La Compagnie de publicité diurne et nocturne décide en effet d’accroître son champ d’action et, des renseignements recueillis par le Nord auprès de l’Ouest, il apparaît qu’il y aurait pour lui « un réel intérêt à faire suite à cette demande », intérêt financier d’abord, esthétique ensuite. Le Nord et la Compagnie signent alors le 20 mars 1891 un premier traité de six ans pour l’apposition d’affiches peintes « sur les parties […] des murs de soutènement à droite des voies, compris entre le Pont Saint-Ange et Saint-Denis, sauf une bande de 2 mètres de hauteur à partir du niveau du rail réservée par la Compagnie sur toute la longueur de ses voies », soit quelque 4 000 m2 répartis entre les gares de Paris-Nord, de La Chapelle, de la Plaine et de Saint-Denis. Tout comme pour l’intérieur des gares, « aucun affichage ne pourra être fait sans que l’emplacement, les libellés, dessins et teintes n’aient été préalablement soumis à M. l’Ingénieur en chef de l’Exploitation, qui les autorisera ou rejettera dans le plus court délai possible ». La redevance est fixée à 1,50 F/an par m2 occupé, avec un minimum garanti de 1 000 F. En septembre 1892, la Compagnie de publicité diurne et nocturne fait
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Les Rails de l’histoire, n° 8 - avril 2015
Un second traité est passé le 22 avril 1896 pour trois ans. Un document daté du 1er avril 1897 établit la liste des annonceurs présents dans l’avantgare de Paris. Au nombre de neuf, ils occupent 432,96 m2. Les dimensions des affiches peintes sont très variables : de 3 m x 1,40 m pour « Le Sport » à 10 m x 3 m pour les « Pianos A. Bord ».
Tout comme il le fera par la suite pour la publicité en gare, le Nord dénonce le traité en cours le 28 septembre 1926 avec effet au 30 juin 1927. En l’absence de notifications de nouveaux contrats, on peut penser que le Nord a décidé de prendre directement en main la vente de ses espaces publicitaires hors gare. Une note en date du 1er avril 1928 laisse supposer que le manque de résultats est à l’origine de cette mesure. Il apparaît, en effet, que la dernière année d’exploitation de la publicité hors gare par la Compagnie de publicité diurne et nocturne (soit du 1er juillet 1926 au 30 juin 1927) s’est soldée par un résultat brut de 128 497 F, bien inférieur à celui enregistré l’année suivante qui s’éleva, lui, à 517 784 F. Une progression qui, selon le Nord, aurait pu être encore plus forte et atteindre jusqu’à 2 500 000 F.
L’affichage dans les voitures : la Compagnie fermière de publicité des grands réseaux de chemins de fer français (CFP) Après les gares et autres emprises ferroviaires, la publicité commerciale et industrielle s’intéresse aux voitures et wagons. Le Midi est le premier réseau à s’y convertir en signant le 31 août 1925, avec la société « J’annonce », un contrat portant sur
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
Page de couverture et page de garde de la plaquette « La publicité dans les chemins de français » éditée en 1933 par la Compagnie fermière de publicité des grands réseaux de chemins de fer français. Archives nationales du monde du travail, Roubaix.
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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
3Photos extraites de la plaquette « La publicité dans les chemins de français » illustrant différentes formes de publicité à bord des voitures : en appoint aux traditionnelles affiches encadrées (bas), la Compagnie fermière de publicité des grands réseaux propose l’utilisation des tablettes et l’accrochage de pancartes (en haut). Archives nationales du monde du travail, Roubaix.
l’introduction de publicités à l’intérieur des compartiments de 2e et de 3e classe de ses voitures. La première proposition faite en ce sens auprès des autres réseaux date de janvier 1926. Elle émane du colonel Paul Dhé, ancien directeur de l’Aéronautique militaire et du Service central des fabrications de l’aviation au ministère de l’Armement. P. Dhé bénéficie du soutien d’André Tardieu, le tout récent ministre des Travaux publics, qui approche les réseaux à plusieurs reprises. L’heure est à la « rentabilisation » des chemins de fer et la publicité apparaît comme une manne susceptible de leur procurer de nouvelles ressources. Les réseaux sont sollicités entretemps par un concurrent, la Compagnie française d’entreprises financières, industrielles et commerciales. Ils obtiennent alors des deux sociétés rivales qu’elles s’unissent. Est ainsi créée la Compagnie fermière de publicité des
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grands réseaux de chemins de fer français (CFP), société anonyme au capital de 4 000 000 de francs présidée par le général Pénelon, secrétaire général de la présidence de la République de 1919 à 1920. La CFP élabore au plus vite un contrat type applicable à tous les réseaux. Début 1927, les réseaux adhèrent les uns après les autres : le Nord, le 12 janvier ; l’Est, le 27 janvier ; le PO, le 7 février ; l’État, le 15 février ; le PLM, le 10 mars ; l’AlsaceLorraine, le 15 mars. Manque à l’appel le Midi, déjà sous contrat avec la société J’annonce. La durée des contrats, d’une moyenne de quinze ans, a été calculée de façon à expirer uniformément le 31 décembre 1941. Ils sont renouvelables par tacite reconduction tous les cinq ans. Ils donnent à la CFP le droit exclusif d’apposer des affiches commerciales et industrielles dans les voitures. Ils
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
fixent la redevance à verser par la CFP à chacun des réseaux à 50 % du produit brut des contrats et prévoient un minimum annuel garanti calculé en fonction des surfaces utilisées. Il n’est pas question, cependant, de laisser le champ libre à la CFP. Les réseaux ont pris les précautions nécessaires les autorisant à écarter « toute forme ou nature de publicité incompatible avec la tenue ou l’aspect de [leur] matériel roulant ». Ils se sont ainsi réservé le pouvoir d’imposer, pour chaque type de voiture, les emplacements à occuper par les cadres à fixer à demeure et l’importance des surfaces offertes. Ils s’arrogent aussi le droit d’agréer ou non le modèle des cadres proposés par le concessionnaire, leurs formes, la matière dont ils seront constitués, leur mode de fixation, d’ouverture et de fermeture. La fourniture des cadres est à la charge de la CFP, tout comme les frais inhérents à leur pose, dépose et entretien, opérations assurées par les réseaux6. Le 2 mars 1928, la CFP comptabilise 119 annonceurs ayant souscrit des contrats de un, trois, cinq ou six ans pour un montant global de 2 616 668,45 F. Ces contrats vont de 357 F pour le plus petit (bail de un an, Hôtel Papillon, 8, rue Papillon, à Paris) à 381 000 F pour le plus important (bail de cinq ans, Société anonyme des Grands hôtels belges, 74, avenue des Champs-Élysées, à Paris). Le Nord, pourvoyeur de « la plus abondante et la plus fructueuse publicité », est le plus important bénéficiaire de ces contrats7. Du 1er janvier 1927 au 31 juillet 1930, la CFP lui a versé 744 368 F. Cette somme est à rapprocher de celles touchées pendant la même période par les autres réseaux : État, 395 000 F ; PO, 271 000 F ; Est, 187 000 F, PLM, 110 000 F ; AL, 40 000 F. Elles sont loin, cependant, des objectifs que s’était fixés la CFP en 1928 suite à son alliance avec l’OPP : jusqu’à 4 750 000 F pour le Nord pour la période courant du 1er janvier 1927 au 31 décembre 19318. En 1938, la SNCF revoit les contrats passés entre les différents réseaux et les sociétés de publicité. De fait, si les résultats médiocres enregistrés par la CFP ne plaident pas en faveur de son maintien,
5En 1928, la Compagnie fermière de publicité des grands réseaux fait de l’Office de publicité du Petit Parisien (OPP) son agent général de vente, chargé à la fois de la recherche de la publicité tant en France qu’à l’étranger et de son exploitation dans les voitures des réseaux. Archives nationales du monde du travail, Roubaix.
la SNCF reconnaît que ces résultats « sont dus, non pas à l’inertie du concessionnaire, mais à la politique délibérément suivie par les réseaux, qui a consisté, dans un but esthétique, à faire le moins possible de publicité dans les voitures à voyageurs ». La question qui se pose est donc de savoir si la SNCF se prononce pour le prolongement de cette publicité ou si, au contraire, elle envisage sa disparition. Une solution médiane est proposée par un administrateur et acceptée par tous : publicité touristique à bord des trains de grandes lignes, publicité commerciale à bord des trains de banlieue, laquelle « ne choquera guère les voyageurs habitués à voir des panneaux semblables dans les voitures du Métro ou dans les autobus ». 6- En raison des difficultés économiques, les contrats sont modifiés en 1935 : la concession est prorogée de trois ans (du 31 décembre 1941 au 31 décembre 1944), la redevance passe à 45 %, le minimum annuel garanti est supprimé et les frais de pose, dépose et entretien des cadres sont pris en charge par les réseaux. 7- Au 1er mars 1930, 2 375 de ses voitures, sur les 2 804 susceptibles de l’être, sont « équipées ». Au 1er septembre 1932, 2 696 voitures équipées dont 1 288 banlieue. 8- 2,5 millions pour le PO, 2 pour l’Est et l’État, 1,250 pour le PLM, 0,2 pour l’AL, 0,1 pour les Chemins de fer du Maroc.
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3Rassemblée ici le 2 août 1914, l’équipe du triage de TroyesPreize affectée à la 6e section des chemins de fer de campagne mise sur pied par la Compagnie de l’Est. Dans ces sections, qui pouvaient être appelées à tout instant et à tout endroit, les « anciens » étaient mobilisables au même titre que leurs cadets, la fonction primant sur l’âge. Coll. CGC/Henri Dropsy.
4 Plus tranquilles étaient les cheminots relevant de l’affectation spéciale puisque mobilisés sur place et dans leurs fonctions, comme ici à Blois. Ce qui ne les dispensait pas du port du brassard qui précisait leur service d’origine (exploitation, voie, traction) et leur grade au chemin de fer. Coll. Aurélien Prévot.
« Embusqué » Eugène Moret, photographié ici en avril 1916 et juin 1917 ? Les apparences sont parfois trompeuses. Attaché à la 4e section des CFC (réseau de l’État), il assurait les fonctions de chef de dépôt à Saint-Pol-surTernoise-Tachincourt (Pas-de-Calais), établissement pris sous le feu de l’ennemi à maintes reprises. Coll. CGC/Jacques Amédro.
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1914-1916. Les « embusqués » du rail En dépit de leur contribution essentielle à l’effort de guerre, les cheminots, du fait de leur mobilisation sur les lieux de leur travail (« affectation spéciale »), ont été assimilés par beaucoup de leurs contemporains à la catégorie abhorrée des planqués. Bruno Carrière « Il faut que la France, que nous voulons toujours plus grande, trouve en nous la force d’imposer la paix au monde ! » Las, les engagements pacifistes du prolétariat par La Tribune, organe du Syndicat national des travailleurs des chemins de fer, dans son édition du 31 juillet 1914, ne résistent pas à la poussée nationaliste qui suit la déclaration de guerre. Sans la moindre hésitation, les cheminots montent en première ligne et répondent sans faillir à la mission qui leur incombe, à commencer par l’exécution des transports de mobilisation et de concentration. Un engagement reconnu par tous, qui leur vaut d’être félicités par les plus hautes instances du gouvernement pour leur « admirable dévouement » et leur « patriotique activité » (J.O. du 17 août 1914). Dans le même temps, Marcel Bidegaray, le secrétaire du Syndicat national, ne peut s’empêcher d’ironiser dans les colonnes du premier numéro du Bulletin1 sur l’espérance des autorités militaires allemandes dans un sabotage de la mobilisation par « les vaincus
de 1910, aigris de rancune » : « Faut-il qu’ils soient lourdauds, ces Teutons, pour croire qu’un seul cheminot français pût avoir l’idée d’entraver l’œuvre de défense nationale ! » Tout le monde est alors unanime à reconnaître la contribution des cheminots à l’effort de guerre. Mais, très vite, le bel édifice se lézarde. Des voix s’élèvent pour dénoncer le fait que ceux qui sont en âge d’être mobilisés ne sont pas envoyés combattre comme tout un chacun. Il est vrai que, dans leur grande majorité, les cheminots obéissent aux règles de « l’affectation spéciale » qui a pour particularité de maintenir sur leurs lieux de travail et dans leurs fonctions les bénéficiaires de l’article 42 des lois du 21 mars 1905 et 7 août 1913 sur le recrutement de l’Armée. Le journal L’Homme libre2, dont le rédacteur en chef n’est autre que Georges Clemenceau, est l’un des premiers à dénoncer cette disposition. Les accusations distillées au travers de sa rubrique « Il y a encore des embusqués » crée un malaise chez les cheminots. Au nom du Syndicat
national, Thierry écrit dans le Bulletin de septembre 1914 qu’il n’est « pas sérieux de prétendre que l’on puisse remplacer les jeunes par des retraités et des non-mobilisables étrangers à la corporation ». Il ajoute que « ces réserves faites, les cheminots sont déçus. Ils pensaient qu’on ferait appel à eux pour prendre une part active à la défense nationale ». Il est fait notamment allusion ici aux gares abandonnées à l’ennemi sans combattre parce que les cheminots n’avaient pas été armés pour les défendre. L’Homme enchaîné du 11 octobre 1914 enfonce le clou, pointant du doigt les compagnies de chemins de fer qui « s’obstinent à soustraire à la défense nationale le contingent énorme de personnel dont elles peuvent disposer, sans inconvénient pour le service ». Le journal cite les informations d’un 1- D’hebdomadaire, La Tribune devient mensuelle dès le mois d’août 1914 sous la forme d’un Bulletin au format réduit. 2- Créé en 1913, le journal, momentanément interdit le 29 septembre 1914 pour « indiscrétions de la presse en temps de guerre », reparaît le 8 octobre sous le titre L’Homme enchaîné.
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lecteur qui avance le chiffre de 70 000 hommes laissés sans travail dans les bureaux et occupés à lire le journal et à griller des cigarettes. Beaucoup vivent mal cette stigmatisation. L’Homme enchaîné publie le 16 octobre une lettre signée « Un cheminot » qui félicite ouvertement le journal – « Bravo ! et continuez » – d’évoquer publiquement le problème : « L’article de votre collaborateur résume bien des réflexions entendues chaque jour dans tous les milieux, sur nous, cheminots. « Nous avons fait de notre mieux pour la mobilisation ! Que les éloges adressés à ce moment-là aux cheminots ne se changent pas en railleries, par suite de notre maintien, inactifs, à notre poste, c’est le désir de nombre de mes camarades. « L’État a donné l’exemple. Que les compagnies en fasse autant et l’on recrutera chez nous de bons soldats, croyez-le, dans les classes mobilisables, les anciens gradés et les sections de chemins de fer de campagne, toutes organisées. » Par l’État, il faut entendre l’Administration des chemins de fer de l’État qui, contrairement aux compagnies, n’a pas hésité à se défaire d’une partie importante de ses agents et ouvriers. Un autre cheminot, regrettant d’être consigné à son poste avec ses collègues « en braves rondsde-cuir », écrit le 20 octobre : « Franchement, tous les cheminots rougissent de porter leur brassard d’embusqué et vous
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L’« affectation spéciale », une réalité nécessaire Conformément à l’article 42 de la loi du 21 mars 1905 sur le recrutement de l’armée (article que la loi rectificative du 7 août 1913 entérinant le passage du service militaire de deux à trois ans ne remet pas en cause), les agents et ouvriers des chemins de fer relèvent, pour peu qu’ils puissent justifier d’une ancienneté de six mois, du statut dit de l’« affection spéciale ». À ce titre, et comme tout salarié d’un service public, ils sont « autorisés », en cas de mobilisation, à ne pas rejoindre leurs unités (sauf s’ils se portent volontaires) et à continuer à remplir leurs fonctions sur les lieux mêmes de leur travail. Mobilisés sur place, ils échappent ainsi au sort des hommes relevant « du droit commun », immédiatement rappelés sous les drapeaux. Ils n’en restent pas moins à la disposition des ministres de la Guerre et de la Marine qui peuvent faire appel à eux à tout moment. Les cheminots affectés à l’une des sections des chemins de fer de campagne1 – destinées, à l’exemple du 5e Régiment du Génie, à construire, reconstruire et exploiter certaines lignes – relèvent, eux, du droit commun. Mais l’appel aux sections n’est pas systématique. Ainsi, seule l’une des trois sections fournies par le réseau de l’État est appelée, en partie seulement le 2 août 1914, entièrement le 17 août, avant d’être « licenciée » provisoirement le 31 août. La loi du 17 août 1915 « assurant la juste répartition et une meilleure utilisation des hommes mobilisés ou mobilisables » (loi Delbiez) n’apporte aucune modification à la situation des cheminots dont la présence au cœur de l’appareil ferroviaire n’est plus contestée désormais qu’épisodiquement. Embusqués les cheminots ? Le rapport entre le nombre des agents et ouvriers effectivement versés dans les unités d’active et celui de ceux susceptibles d’être appelés sous les drapeaux ne joue pas en leur faveur. Mais leur rôle est-il de combattre en première ligne ? La lecture du Rapport fait à la Commission de l’Armée sur la meilleure utilisation des hommes soumis à l’obligation militaire, établi par le sénateur du Calvados Henry Chéron et adopté par ses pairs le 19 juin 1915, permet de mieux comprendre les accusations prononcées à l’encontre des cheminots. Chéron cite plusieurs statistiques arrêtées au 14 juin 1915. En défenseur de la cause des cheminots, il indique successivement le nombre des agents et ouvriers du droit
pourrez constater combien peu l’exhibent maintenant. » L’Homme enchaîné n’est pas le seul à se faire l’écho de ce malêtre. En préambule à une lettre signée « Un groupe de cheminots du PO », publiée sous le titre « Les cheminots veulent concourir à la défense de la patrie », Le Petit Parisien en date du 24 septembre précise : « À de nombreuses reprises, nous avons
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enregistré la demande de cheminots tendant à être appelés pour concourir à la défense du pays. » Tous, cependant, ne sont pas « impatients d’aller au feu ». Non par lâcheté, mais par le souci de ne pas désorganiser les transports. C’est ce qui ressort de la lecture d’une seconde lettre publiée le 28 septembre en réponse à la première. Signée, cette fois-ci, d’« un groupe importants de
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commun (ancienneté inférieure à six mois) appelés sous les drapeaux au lendemain de la mobilisation ; le nombre des hommes affectés aux sections des chemins de fer de campagne ; le nombre des agents et ouvriers de l’affectation spéciale rappelés fin 1914-début 1915 ; le nombre des hommes appartenant aux classes mobilisables (armées d’active et territoriale)2. Agents des chemins de fer effectivement appelés sous les drapeaux du 2 août 1914 au 14 juin 1915 agents mobilisés • agents de droit commun • sections chemins de fer de campagne • agents de l’affectation spéciale agents mobilisables 33 913
Nord 1 840 1 766 165* 33 544
Est 3 690 1 875 444* 58 600
PLM 2 510 2 750 2 650 33 314
PO 2 460 1 466 2 240 15 980
Midi 1 720 1 385 480 50 224
État 3 950 3 200 13 966 1920
Ceintures 30 0 60
* tous volontaires
On est frappé ici de l’effort qui a pesé sur le réseau de l’État et on comprend mieux aussi les griefs formulés à l’encontre du PLM, du PO et du Midi. Du fait des pertes enregistrées, le Nord et l’Est (respectivement 12 300 et 570 agents retenus par l’ennemi) échappent aux accusations. Attardons-nous précisément sur le réseau de l’État. Fin 1914, il compte 17 608 hommes sous les drapeaux, soit un quart de son personnel permanent en service au 1er août 1914. Leur répartition s’établit comme suit : 3 084 agents de droit commun, 12 010 agents de l’affectation spéciale des classes 1910 à 1905, 1 556 gradés de l’affectation spéciale des classes 1904 à 1887, 374 volontaires, 26 officiers hors cadre, 558 agents de la 9e section de chemins de fer de campagne. Confronté à la reprise progressive de la vie économique et des transports qui en sont l’expression, le réseau obtient le retour de certains de ses « mobilisés » : 3 192 lui ont été ainsi restitués au 1er août 1915. À cette date, 13 652 de ses agents sont toujours sous les drapeaux3. Les restitutions de personnel s’accélérant, l’effectif du personnel des chemins de fer de l’État sous les drapeaux n’est plus que de 8 032 hommes au 1er août 1916 et 4 883 un an plus tard. Pour combler les départs, le réseau recrute. Au 31 décembre 1915, la main-d’œuvre complémentaire compte 315 retraités, 129 veuves d’agents tués à l’ennemi, 68 mutilés de guerre, 2 909 Belges (1 628 cheminots et 1 281 étrangers au chemin de fer), 160 Serbes et autres étrangers.
1. À l’inverse du 5e Régiment du Génie, les sections sont formées exclusivement de cheminots. Elles se répartissent comme suit : PLM (1er et 2e), PO (3e), État (4e et 9e) Nord (5e), Est (6e), Midi (7e), Nord, Est et État (8e), chemins de fer secondaires (10e). Début 1917, une 11e section est fournie par le PLM. 2. Quel était le nombre global des cheminots au jour de la mobilisation ? Les données établies par la SNCF au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale annoncent 355 600 agents au 31 décembre 1913, puis restent muettes pour la période de 1914 à 1921. 3. Le calcul de l’effectif sous les drapeaux tient compte du nombre des agents tués au combat (764 au 1er août 1915).
cheminots du Nord et de l’Est », elle met l’accent sur la difficulté qu’il y aurait à substituer un personnel non qualifié aux cheminots envoyés au front. Fin 1914, les avis sont toujours très partagés entre partisans et adversaires de l’affectation spéciale. Pour preuve cette nouvelle lettre d’un groupe de cheminots du Nord « condamnés au rôle d’inutiles quand leurs pareils
sont au front » (dixit L’Homme enchaîné du 30 décembre qui en donne la transcription). Leur gêne et leur incompréhension face à une disposition qui les mobilise sur place prennent la forme d’un plaidoyer : « En réponse à certaines réflexions désobligeantes de la part de beaucoup de mères, d’épouses, de sœurs, à l’égard des employés de certaines administrations, qui, ayant une
affectation spéciale, ne sont pas mobilisables, au sens propre du mot, et continuent, sans que rien ne soit changé pour eux, leur vie journalière du temps de paix, nous voulons donner au public cette assurance : « 1° Nous subissons involontairement cette faveur ; « 2° Nous reconnaissons que le travail que nous faisons actuellement pourrait être provisoirement exécuté par des
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femmes, ou des auxiliaires, pris parmi les mobilisables ; « 3° Nous sommes prêts, comme nos camarades, à faire notre devoir ; « 4° Nous croyons donc devoir décliner toute responsabilité de la situation qui nous est faite et revendiquer notre droit au respect, comme tous les autres citoyens. » Il semble que cette « situation » soit entretenue par les compagnies elles-mêmes qui, contrairement à l’Administration des chemins de fer de l’État, se montrent réticentes à l’idée de se priver d’un personnel qualifié. L’Homme enchaîné reproduit ainsi, dans son édition du 11 novembre 1914, une circulaire adressée au mois de septembre par la Compagnie de l’Est au personnel de ses bureaux centraux en poste à Paris. Plutôt que de permettre à ses agents, dont la présence n’est plus indispensable en raison des restrictions commerciales apportées à l’exploitation, de rejoindre une unité d’active, la compagnie préfère les garder en réserve en les mettant en « congé ». À cet effet, elle les autorise à se retirer en un point de leur convenance, « sous réserve d’y rester constamment à disposition et de revenir au premier appel ». Tous se voient offrir un titre de transport gratuit étendu à leur famille et l’assurance de percevoir l’intégralité de leur traitement pendant toute la durée de leur absence. Rétablir l’image de la corporation cheminote s’impose. Créée dès le mois d’août 1914, l’Union
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nationale de cheminots en faveur des victimes de la guerre (UNC), à laquelle adhèrent les principales organisations corporatives et mutuelles de cheminots, en est le premier et l’un des principaux artisans. C’est à travers cette œuvre que les plus hautes instances du pays rendent hommage publiquement à l’engagement des cheminots, à l’exemple du président Poincaré le 12 août 1915 ou du généralissime Joffre le 24 septembre de la même année. Les conseillers municipaux de Paris les imitent deux mois plus tard, le 11 novembre. En fait, deux courants d’opinion différents s’opposent tout au long de l’année 1915. Il y a :
- d’une part, ceux qui, à l’image des pouvoirs publics, ont pris conscience du risque absurde qui serait couru si l’on privait les compagnies ferroviaires d’un personnel qualifié au moment où il leur fallait faire face à un trafic croissant avec toujours moins de moyens matériels ; - de l’autre, ceux, au premier rang desquels on trouve de nombreux élus rappelés à l’ordre par leur base, qui estiment que tout homme en âge de se battre doit remplir son devoir.
Les interventions de Poincaré et de Joffre ont-elles suffi à dédouaner les cheminots de l’accusation d’embusqués ? Rien n’est moins sûr. Prenant à son tour leur défense, Charles Humbert, sénateur de la Meuse et viceprésident de la commission
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sénatoriale des armées, écrit en préambule le 2 octobre 19153 : « La popularité des cheminots, à ce moment [au lendemain de la mobilisation], fut grande dans le pays, et rien n’était plus juste. « Aujourd’hui, on les a presque oubliés. Un an s’est passé ; la guerre de forteresse a figé l’un en face de l’autre les fronts presque immobiles. Et beaucoup de combattants, beaucoup de femmes regardent comme avec rancune ces employés qui, tout au long de nos voies ferrées, ont l’air d’avoir repris leur service coutumier. L’ère des grands mouvements de troupes, se dit-on, est passée ; tous ces hommes s’occupent maintenant à des besognes semblables à celles du temps de paix ; passe encore pour les mécaniciens et les chauffeurs, qu’il est difficile de remplacer au pied levé ; mais ces facteurs, ces enregistreurs, et surtout ces scribes entassés dans les bureaux, que font-ils là ? On murmure le vilain mot d’"embusqués" ; et l’on fait valoir que les prélèvements faits sur le personnel du réseau de l’État ont été bien plus importants que ceux effectués dans les autres réseaux : pourquoi ne pas égaliser les charges et ne pas envoyer aux tranchées tous ces employés que les grandes Compagnies s’obstinent à retenir ? » Charles Humbert s’emploie ensuite à mettre en lumière le travail accompli par les cheminots, tant pour les besoins de la défense nationale que pour ceux 4. Le Journal, 2 octobre 1915 (texte repris
par Le Journal des transports dans son édition du 16 octobre).
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de la vie économique du pays, et la nécessité de les maintenir à leurs postes : « Se figure-t-on qu’une tâche aussi complexe peut être confiée à des agents improvisés ? Non, il faut des hommes rompus à toutes les difficultés d’un métier délicat. Et le personnel des bureaux n’est pas moins nécessaire que celui des trains ou de la voie : à lui revient la tâche laborieuse de préparer les horaires, de fixer l’emploi du matériel. Ces scribes, qu’on prétend inutiles, il y en a qui sont demeurés à leur poste pendant un mois de suite, dormant sur une paillasse à côté de leur table de travail, réveillés à tout instant par les appels du téléphone et du télégraphe ! […] « Rendons un nouvel et sincère hommage à la compétence, au dévouement, au patriotisme de nos cheminots. Ils n’ont cessé d’en donner des preuves répétées. Trente-cinq mille des leurs sont dans les rangs de nos formations de première ligne, sans compter les sections techniques des chemins de fer de campagne. Deux mille sont déjà tombés au champ d’honneur ; douze mille sont prisonniers des Allemands. Et tous les autres, laissés à l’arrière, ont rendu à la nation et aux armées des services inappréciables dont elles ne pouvaient se passer sans courir à une catastrophe. » Son intervention participe du vaste débat qui a précédé et suivi le vote, le 17 août 1915, de la « loi Dalbiez » (du nom de Victor Dalbiez, député des Pyrénées-
Orientales) « assurant la juste répartition et une meilleure utilisation des hommes mobilisés ou mobilisables ». Cette loi, qui a pour objet de lutter contre l’« embuscomanie », entend, notamment, outre le réexamen des dossiers des réformés et autres exemptés, remplacer temporairement dans leurs fonctions les bénéficiaires de l’article 42 des lois du 21 mars 1905 et du 7 août 1913 par le recours à des retraités, des militaires mutilés ou réformés pendant la guerre et des femmes. Elle va permettre de récupérer près de 350 000 hommes, versés pour partie dans le service armé. Toutefois, le rendement restera faible parmi les catégories spécifiquement visées par la loi, c’est-à-dire les ouvriers mobilisés à l’arrière et les fonctionnaires, qui formeront à peine 10 % des hommes récupérés. De quoi entretenir le ressentiment vis-à-vis des compagnies ferroviaires. De fait, celles-ci font l’objet de mises en accusation tout au long de l’année 1915. On attendait d’elles qu’elles suivent l’exemple du réseau de l’État, alors même que les autorités reconnaissaient que celui-ci avait été ponctionné au-delà du raisonnable. Dalbiez est parmi les plus virulents. Le 18 novembre, dans une interview donnée au journal La Presse, il ose la question : « Est-ce que les administrations publiques et les services publics comme les chemins de fer ont versé à l’armée tous les hommes qui peuvent, sans inconvénient, être
remplacés ? », et répond péremptoirement : « Certainement non. » Le 21 novembre, il signe un papier dans Le Petit Journal, sur la juste application de sa loi dans les grands services publics. Il met notamment en avant les efforts déployés à cet effet par l’administration des Postes et Télégraphes qui s’apprête à se séparer de ses agents des classes 1905 à 1910 (de 29 à 24 ans). L’occasion pour lui d’épingler de nouveau les grands réseaux : « Que les autres administrations et surtout les Compagnies de chemin de fer suivent cet exemple. » Attaque contre laquelle Le Journal des transports du 25 décembre s’insurge. Selon lui, les compagnies n’auraient pas de leçon à recevoir, la proportion de cheminots effectivement mobilisés étant du même ordre que celui des postiers : 22 % (45 000 agents sur un effectif global de 200 000) contre 24 % (22 000 agents sur un effectif de 88 850). Mais, poursuit-il, la vraie question « est de savoir si nos grands réseaux ont fourni à l’autorité militaire le nombre maximum d’agents compatible avec la bonne marche de leurs services. L’affirmative n’est pas douteuse. » De fait, ce même mois de décembre 1915, les autorités ont fait en sorte de mettre à la disposition des armées certains des cheminots les plus jeunes, notamment les agents des services centraux à partir de la classe 1908 (soit 26 ans et moins). C’est ce que rappelle le ministre de la Guerre
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en réponse à une question écrite déposée quelques mois plus tard par le député de la Seine Marcel Cachin avant d’ajouter : « … il n’a pas semblé possible d’aller plus loin dans cette voie sans nuire gravement au service des chemins de fer. » Sans nuire gravement au service des chemins de fer ? En cette année 1916, la crise des transports qui frappe le pays – de 1913 à 1915, le trafic à augmenté de 24 % pour le PLM, de 31 % pour l’État, de 38 % pour le PO, de 105 % pour le Nord – met en lumière leur importance et celle des cheminots. La question est évoquée à la Chambre le 31 mars. Pour beaucoup, il n’est plus question désormais d’envoyer les cheminots au front mais bien plutôt d’exiger leur retour. « Il y a en dépôt, déclare Cachin, un nombre très appréciable de cheminots techniciens, chefs ou sous-chefs de gare, mécaniciens, aiguilleurs, chefs de train, chefs de district, hommes de trente à quarante ans, qui sont immobilisés depuis plusieurs mois déjà, souvent, dans de vagues fonctions militaires. Ne serait-il pas possible de les rendre au service normal des chemins de fer ? Ne serait-il pas possible de les replacer là où ils accomplissaient leurs fonctions avant la guerre ? » Mieux, Cachin plaide pour le recours aux « fortes têtes », les révoqués des grèves de 1910, dont la réintégration avait fait l’objet d’un accord de principe le 4 août 19144 . Un vœu exaucé : l’ordre du jour, voté à main levée,
invite le gouvernement à « rendre aux services de la réparation du matériel, de la traction et de l’exploitation tous les spécialistes ». Le 29 avril, premier pas en ce sens, le ministre de la Guerre décide la restitution aux réseaux des agents non gradés les plus âgés (à partir de la classe 1906, soit 28 ans et plus). Les ultimes débats autour de la stricte application de la loi Dalbiez, tenus à la Chambre fin 1916, sont de nouveau l’occasion de revenir sur la place des cheminots. Le 14 octobre 1916, le député du Gard Louis Mourier revient ainsi sur les hommes placés en « sursis d’appel », qui se divisent en trois catégories : les mobilisés dans les usines de guerre, ceux considérés comme nécessaires à la marche des administrations et services publics, enfin ceux qui jouissent d’une mesure d’exemption par décision ministérielle. Les cheminots appartiennent aux 240 000 mobilisables potentiels de la seconde catégorie, dont ils forment le plus gros bataillon avec 170 000 hommes. S’il n’est pas question pour Mourier de revenir sur les mesures prises antérieurement, un effort doit cependant être accompli, pour l’exemple : « On se gardera d’enlever une unité de plus au service actif des chemins de fer. On laissera à leur place de combat les agents de la voie, de la traction et de l’exploitation aussi indispensables à la défense nationale que leurs camarades de l’avant, mais tout le service administratif devra être réduit
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au strict minimum. Imitons pour une fois l’Allemagne qui a incorporé plus de trente-cinq mille femmes à son personnel de voies ferrées. Il ne faut pas que nos permissionnaires du front s’émeuvent d’apercevoir au cours de leur voyage, dans les bureaux des gares, des hommes valides et jeunes employés à noircir du papier ou à dresser des statistiques5. » Un point de vue que le ministre de la Guerre, le général Roques, dit partager. Il rappelle que les cheminots, dont le nombre a été réduit de 15 % en dépit des restitutions des territoires annexés, doit faire face à un trafic qui dépasse de 40 % celui du temps de paix, cela en dépit d’un matériel moindre. Et de conclure : « Je crois que c’est le plus bel éloge à leur décerner. » Ce qui fait dire au chroniqueur du Journal des transports daté du 4 novembre 1916 : « Ah ! Qu’en termes galants M. le général Roques sait dire qu’il n’y de ce côté rien à "récupérer" ! » 5. La réintégration ne fut que partielle : « Sur le PLM comme sur l’Orléans, la situation est maintenant réglée : tous les cheminots ont repris leur poste. Pour le Nord et pour l’Est, la mesure a été ajournée jusqu’au moment où la libération des régions occupées permettra sur les deux réseaux une exploitation qui se trouve actuellement réduite par la fermeture provisoire d’un certain nombre de gares » (Le Petit Parisien, 2 décembre 1914). 6. Dans son ouvrage Permissionnaires dans la Grande Guerre (Paris, Belin, 2013), Emmanuelle Cronier aborde cet aspect de la question (p. 97-102), symbolisé par la célèbre chanson des soldats « Il est cocu, le chef de gare ! »
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Albert Claveille, digne prédécesseur de Raoul Dautry Les 18 et 19 septembre 2015 se tiendra à Bergerac un colloque consacré à Albert Claveille (1885-1921), organisé pour célébrer le 130e anniversaire de sa naissance. Avant d’être appelé au gouvernement en tant que sous-secrétaire d’État aux Transports (1916-1917), puis ministre des Travaux publics et des Transports (1917-1920), Claveille avait été nommé le 19 février 1911 à la tête du réseau de l’Ouest-État avec pour mission d’y remettre de l’ordre. D’autres que nous auront à cœur d’exalter son parcours. De notre côté, nous nous contenterons de deux « anecdotes » révélatrices du personnage.
5Albert Claveille à son bureau ministériel. gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France.
Bruno Carrière Il n’est un secret pour personne aujourd’hui que Raoul Dautry, lorsqu’il était à la tête du réseau de l’État, se faisait un devoir de se rendre discrètement sur le terrain afin de juger de visu le travail de son personnel et, le cas échéant, de sévir aussitôt. On sait moins, par contre, qu’Albert Claveille avait le même penchant. C’est du moins ce qui ressort, exagération mise à part, d’un court récit publié par Le Figaro dans son édition du 30 octobre 1912.
« Les Gaietés de l’Ouest-État «
À l’instar du calife Haroun-al-Raschid – comment, en ce temps-ci, ne point emprunter ses comparaisons à l’Orient ? –, M. Claveille, l’actif directeur du chemin de fer de l’État, se plaît à faire – dans le plus strict incognito – des tournées sur les diverses lignes du réseau dont il a assumé la lourde responsabilité. Il y a quelques jours, il se trouvait dans une petite ville de Normandie, lorsqu’il dut brusquement rentrer à Paris.
Avec Mme Claveille, qui accompagnait son mari, il s’empressa de gagner la gare de la localité. Il y arriva un quart d’heure avant l’arrivée d’un train omnibus se dirigeant sur Paris. Comme un voyageur ordinaire, M. Claveille prit ses deux billets sans incident. Mais les choses n’allèrent pas aussi commodément lorsqu’il s’agit de faire enregistrer son bagage, ou plutôt celui de Mme Claveille, une grande malle chapelière. Le plus poliment du monde, il pria le préposé aux bagages de vouloir bien s’occuper de lui. Mais, avec moins de courtoisie, celui-ci lui répondit, d’un ton rude, qu’il avait, pour le moment, autre chose à faire, et qu’il ne fallait pas être si pressé. M. Claveille attendit. L’heure du train approchait et la malle était toujours là, obstinément abandonnée. Le voyageur risqua une nouvelle tentative, qui eut encore moins de succès que la première. — Laissez-moi tranquille, dit l’homme ; je ne peux pas être partout à la fois. Et le préposé aux bagages disparut. Alors – l’heure du train approchait –, M. Claveille se décide à faire lui-même l’enregistrement de ses Les Rails de l’histoire, n° 8 - avril 2015
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colis. Le pinceau à la main, il s’applique à coller sur sa malle l’étiquette Paris.
Et il tire sa carte de sa poche et la tend à son sous-ordre.
Ce geste, pourtant bien simple, ne semble pas du goût de l’employé, subitement revenu.
— Mon ami, ajouta-t-il, vous avez tort d’être insolent avec les voyageurs. Quant à votre préposé aux bagages, vous allez lui régler son compte immédiatement ; il faut qu’il ait quitté la cour de la gare avant que le train soit parti.
— C’est malin, ce que vous faites là. À quoi que ça vous sert ? Vous croyez peut-être que votre malle va se rendre toute seule dans le fourgon ? Il n’y a plus qu’une minute. Le directeur retire son chapeau et son paletot qu’il confie à Mme Claveille. Puis il charge la malle sur ses épaules sans paraître trop gêné [l’homme était doté d’une forte corpulence, N.d.l.R.], et se dirige vers le fourgon. Grande hilarité parmi les employés. La casquette blanche du commandant sur la tête, le chef de gare s’empresse d’accourir… pour prendre part à la joie générale. Cependant M. Claveille est parvenu jusqu’au fourgon. Il s’agit maintenant de décharger la malle, ce qui est moins facile que de la charger. M. Claveille sent qu’une aide ne serait pas de trop et il appelle un facteur pour lui donner un coup de main. — Ah non ! Mon vieux, répond celui-ci, familier. Tu t’y entends trop bien. Décharge-la tout seul. Résigné, d’un dernier coup de collier M. Claveille chavire son bagage dans le fourgon et essuie son front. Il remet son chapeau et son paletot et s’approche du chef de gare qui, le sifflet à la main lui crie d’une voix sévère : — Allons ! Dépêchez-vous ! Le train va partir ! — Voulez-vous avoir la bonté, dit M. Claveille tout d’abord, de me donner le nom de cet homme. — Si on vous le demande, dit le chef de gare, vous répondrez que vous n’en savez rien.
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Son camarade, le facteur, qui a le caractère aussi gai, vous l’expédierez dès ce soir en Vendée. Quand à vous, mon ami, vous reconnaîtrez, je l’espère, que vous n’avez aucune aptitude pour les fonctions de chef de gare, et je prendrai donc soin de vous dès mon arrivée à Paris. Vous avez bien compris. Eh bien ! Faites vite. Deux minutes après, le chef de gare revenait, la tête basse. Il n’était plus accompagné de son facteur. Et M. Claveille lui disait simplement : — Vous pouvez donner le signal du départ. Nous allons être fort en retard. Georges Aubry
»
Albert Claveille à la pointe de la lutte contre l’alcoolisme. C’est ce que nous révèle un écho du Journal des transports du 20 septembre 1913. Une initiative d’autant plus méritoire lorsqu’on connaît l’intempérance notoire des employés du réseau de l’État à cette époque, dénoncée depuis 1903 par la Société antialcoolique des agents de chemins de fer, devenue en 1930 la Santé de la famille des chemins de fer.
« La sobriété à l’Ouest-État
« Nous allons avoir en France toute une adminis-
Et, goguenard, il sourit.
tration où du haut en bas de la hiérarchie régnera la sobriété. C’est l’Ouest-État qui donnera ce bel exemple.
— Je ne répondrai pas cela, dit M. Claveille, parce que vous aller me donner ce nom.
Un ordre de M. Claveille vient en effet d’être lancé sur tout le réseau, qui défend aux économats, aux
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buffets et buvettes de vendre ni alcool, ni boisson alcoolisée aux employés, ouvriers ou fonctionnaires. « Le personnel dirigeant, dit la note administrative, devra exercer une surveillance de tous les instants afin d’empêcher les agents et ouvriers de sortir de l’enceinte du chemin de fer et aussi d’aller aux buffets et buvettes pendant tout le temps de service qu’ils doivent au réseau. Ils doivent veiller également à ce qu’aucune boisson alcoolisée ne soit introduit dans l’enceinte du chemin de fer. Enfin, il appartient à tous les chefs détenteurs d’une part d’autorité, si petite soit-elle, d’être pour eux-mêmes, au point de vue tempérance et fréquentation des cafés ou buvettes, d’une sévérité telle qu’ils soient pour le personnel placé sous leurs ordres un exemple permanent de dignité et de réserve. » M. Claveille interdit même les réunions au café à l’occasion des promotions ou des départs : ces petites fêtes, dit-il, constitueraient des fautes graves qui seraient punies avec la dernière rigueur.
»
ces termes les rigoureuses stipulations du dernier arrêté ministériel de M. Jean Dupuy : « Monsieur le député Vous avez bien voulu appeler mon attention sur M… (bien entendu nous supprimons le nom de la victime). J’ai l’honneur de vous donner ci-après le texte de l’article 54 de l’arrêté interministériel du 30 août 1912, concernant le statut du personnel commissionné des chemins de fer de l’État : “ Il ne doit figurer aucune recommandation ni dans les dossiers des candidats appelés à subir des examens et concours, ni dans ceux des agents en fonctions. Toute infraction à cette règle donnera lieu, contre l’agent qui aura prescrit le classement de la pièce au dossier, à des sanctions disciplinaires, soit d’office, soit sur la plainte des intéressés, des commissions d’examen ou des conseils d’enquête devant lesquels la recommandation aura été produite. “ Il est interdit, sous peine de sanctions disciplinaires, de répondre à des recommandations visant soit des candidats, soit des agents en fonctions.” Veuillez agréer, etc. Le directeur des chemins de fer de l’État.
Albert Claveille, le moralisateur de la vie publique. La presse rend compte en septembre 1912 de la démarche de notre homme qui, appuyé par le ministre des Travaux publics de l’époque, Jean Dupuy, entend proscrire les recommandations politiques des dossiers des candidats et des agents du réseau, cela en application des directives du statut des cheminots de l’OuestÉtat récemment arrêté. La démarche en question consiste à mettre en garde les députés contre cette pratique. Le journal Le Temps s’en fait l’écho dans son édition du 20 septembre 1912.
« Plus de recommandations ! «
M. Claveille, directeur des chemins de fer de l’État, vient de faire envoyer 3 000 lettrescirculaires, assure-t-on, à 400 députés qui avaient recommandé des cheminots. Il leur notifie en
»
Le Journal des débats du 20 septembre 1912 commente la démarche.
«
M. Jean Dupuy et M. Claveille ont parfaitement compris qu’en faisant entrer dans toutes les nominations les recommandations politiques, il n’y avait plus ni hiérarchie, ni organisation, ni service public possibles. Il faut espérer que la liquidation à laquelle M. Claveille vient de se livrer sera définitive et qu’aux chemins de fer de l’État, tout au moins, l’homme non recommandé ne sera pas une exception extraordinaire […]. Le favoritisme éhonté contre lequel le ministre des travaux publics et M. Claveille veulent réagir en ce qui concerne l’Ouest-État a trop de responsabilité dans la crise présente des services publics pour qu’on ne s’emploie pas à le combattre énergiquement ; mais la lutte sera difficile.
»
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5Enveloppe premier jour émise à l’occasion de la 5 Signature, le 24 septembre 1982, du contrat entre les représentants des PTT et d’Alsthom pour la commande de deux rames TGV pour le service postal.
mise en exploitation du TGV postal le 1er octobre 1984.
5L’opération « pièces jaunes » en 2007. 5Transbordement du courrier à Mâcon-Vinzelles le 31 décembre 2012.
5Rames TGV Sud-Est et TGV postal en stationnement au dépôt de Paris-Conflans, à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne), en novembre 1991.
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3Brochure PTT éditée en 1984.
Photos et documents fournis par l’auteur.
JEUNES HISTORIENS À LA UNE
La Poste à grande vitesse : 40 ans d’histoire 1975-2015 Le TGV postal a fêté ses trente ans d’exploitation en 2014. Trente années qui montrent qu’il fait partie de l’histoire et, plus précisément, de l’histoire de la Poste française. Triste anniversaire au demeurant puisque le TGV postal est appelé à prendre sa retraite en juin 2015 pour laisser la place à un nouveau mode de transport. Symbole fort de la vitesse postale et donc du temps postal, il a vécu brillamment sa carrière pour, finalement, apparaître dans ses dernières années comme un objet paradoxal : rapide et « vert » mais pourtant obsolète. Encombrant, coûteux, trop rapide, difficile à gérer, il n’a plus sa raison d’être aux dires de la Poste. Une page se tourne. Trente ans de service, mais quarante années d’histoire. Le projet remonte à 1975 et il aura fallu près de dix ans pour le mettre sur les rails. Élément indispensable de la nouvelle chaîne d’acheminement postal sur le territoire dans les années 1980-1990, il restera l’image d’une organisation multimodale (routier, ferroviaire et aérien) efficace et moderne au service du public, la réponse adéquate à l’automatisation des centres de tri postal et à la volonté d’autonomie de la Poste. Clément Gosselin
« La France n’a pas de pétrole mais elle a des idées1 » : genèse d’une grande vitesse postale (1975-1984) Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 amènent la Poste à repenser le transport du courrier et à revenir au rail qu’elle a progressivement délaissé au profit de la route et de l’air. Or, dans le même temps, la SNCF procède à sa propre révolution en obtenant en 1974 l’autorisation de construire sa première ligne à grande vitesse entre Paris et Lyon. Une des conséquences majeures de cette révolution est la substitution aux trains classiques d’un matériel dédié (TGV), donc la fin des trains « postalisés » sur un des axes fondamentaux du réseau postal. En effet, la liaison Paris-Lyon représente à elle seule près du tiers du courrier postal français transporté (environ 20 000 sacs) et dessert pas moins de 40 % de la population française. C’est aussi celle qui
concentre le plus grand nombre de contentieux entre les PTT et la SNCF (environ 35 % du total). D’ailleurs, depuis les années 1960, la SNCF n’a jamais caché sa volonté de « dépostaliser » progressivement les trains de voyageurs et de désencombrer les gares (le complexe de Lyon-Perrache est l’un des plus importants du réseau et rencontre des difficultés pour assumer ses fonctions). Mais sa proposition d’un report du courrier sur les trains de messagerie n’est pas acceptable pour la Poste, leur vitesse réduite ne répondant plus au « J+1 » tant convoité. La Poste se doit de réagir rapidement. D’où l’émergence de l’idée d’un TGV postal qui, à l’aune des premières études de faisabilité, apparaît comme 1- Slogan diffusé en 1974 par un spot télévisé commandité par le Service d’information du gouvernement dans le cadre d’une campagne d’information lancé par la toute nouvelle Agence pour les économies d’énergie.
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une solution à la crise énergétique. La comparaison de la consommation en tonne d’équivalent pétrole (TEP) et sa répercussion sur le coût du transport d’une tonne de courrier entre un avion de type Transall (capacité de 14,3 t) et le TGV (capacité estimée de 75 t) est impressionnante : - Transall : 0,12 TEP, soit 3 000 F la tonne de courrier transportée ; - TGV postal : 0,02 TEP, soit 600 F la tonne de courrier transportée. L’économie d’énergie ne doit cependant pas occulter les autres problèmes posés. En collaboration avec la SNCF, la Poste réfléchit parallèlement à l’organisation d’un nouveau réseau avec TGV : comment l’intégrer dans la chaîne d’acheminement et quelles sont les conséquences sur le réseau ambulant ? Le matériel est une autre de ses préoccupations : des aménagements spécifiques sont à prévoir. Les gares existantes sont également reconnues comme inadéquates à la réception du TGV postal : de nouvelles infrastructures dédiées sont dessinées. De même, le nombre et le choix des arrêts sont sujets d’amples débats : l’accord se fait sur Paris-Charolais, Mâcon-Vinzelles et LyonMontrochet. Mais aussi séduisant soit-il, le projet d’un TGV postal n’empêche pas la Poste de se pencher sur des solutions alternatives. Supprimer les services ambulants et ne garder que des Trainsposte autonomes (TAP) pourrait être une solution, mais probablement seulement à court terme. Le TGV postal est donc loin de faire immédiatement l’unanimité. Le doute est définitivement levé le 29 septembre 1981, date du discours du ministre des PTT Louis Mexandeau, à Lyon : « Encore une fois la SNCF a montré le chemin en concevant le TGV, et en utilisant ainsi une technique de pointe dans les transports publics. Mais également encore une fois, la Poste est présente comme elle l’a toujours été lorsqu’il s’agit d’utiliser un nouveau moyen de transport, moderne et rapide. […] Dans cette perspective d’étroite collaboration, je tiens à annoncer l’acquisition par la Poste de deux rames TGV ainsi que d’une réserve en pool avec la SNCF de façon à pouvoir assure la continuité du service. […] C’est
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pourquoi la Poste se devait d’être présente sur le TGV, moyen qui doit faciliter les conditions de travail et donner plus de fiabilité aux organisations ; une telle politique doit également redonner aux postiers, le sentiment d’appartenir à un service public moderne. » Il s’agit là d’un lancement retentissant aux lourdes conséquences : budget très important, projet d’envergure, délais courts, etc. Dès lors, tout s’enchaîne très rapidement. Le 24 septembre 1982 est signé le contrat portant sur la commande à Alsthom, par les PTT, de deux rames TGV complètes (composées chacune de huit remorques pouvant transporter 65 t de courrier en conteneurs) et d’une demi-rame de rechange afin de pouvoir assurer un entretien régulier. Deux ans seulement séparent le marché de la mise en service du nouveau matériel. Le délai est court compte tenu des études à mener et de leur mise en œuvre. De nouvelles gares sortent de terre, assurant une connexion directe entre quai ferroviaire et quai routier : complexe lyonnais multimodal (Route, TGV, TPA), gare de Mâcon avec un toit court équivalent à la longueur des deux wagons à transborder, etc. Les rames font l’objet d’aménagements spécifiques : suspensions réglables afin d’obtenir toujours la même hauteur de plancher, appareil de freinage adaptable selon la charge, portes louvoyantes-coulissantes et chauffantes (en cas de froid), détecteur de déséquilibre des charges, etc. Il faut obtenir également l’adhésion du personnel. Une communication interne dédiée au projet TGV est mise en place avec pour but de le familiariser au nouveau matériel et aux nouvelles méthodes de travail, mais aussi de rassurer les ambulants sur leur avenir. Les syndicats veillent au reclassement de tous les agents. La lecture des documents syndicaux laisse apparaître qu’ils sont, pour une très large majorité, favorables au projet du TGV postal, vecteur d’un meilleur service au public : « priorité au fer pour des raisons de sûreté, de rapidité, d’économie, et de coût nettement inférieur au transport routier. » Dans ce contexte, la première rame est présentée aux agents le 21 juin 1984.
JEUNES HISTORIENS À LA UNE
Le lancement du service postal par TGV a lieu le 1er octobre 1984, accompagné d’une communication philatélique importante. Il devient un maillon dans une chaîne d’acheminement multimodale sur l’axe le plus important du réseau postal ferroviaire. Les conséquences directes sont la suppression d’un certain nombre de bureaux ambulants, mais aussi la création de liaisons routières supplémentaires.
La Poste à toute allure. Premières années et projets (1984-1994) Les deux rames assurent chacune un aller-retour quotidien du lundi au vendredi : 19 h 41 et 22 h 30 au départ de Paris avec retour sur la capitale à 2 h 25 du matin pour la première et 12 h 44 pour la seconde (conséquence de la fermeture des voies la nuit par la SNCF). Tout est chronométré comme par exemple l’arrêt à Mâcon qui n’est que de 10 minutes hors freinage et accélération du train. Le TGV transporte essentiellement de la presse, du courrier en J+1, et des colis en nombre moindre. Une surveillance attentive du matériel et de son exploitation (rapports journaliers et statistiques sont passés au crible) permet d’éliminer les problèmes (notamment les petits incidents techniques : dysfonctionnement des portes, des sangles des conteneurs, etc.) avec rapidité et efficacité. Le premier bilan est somme toute positif avec 485 allers-retours la première année, près de 210 000 km parcourus et 48 000 tonnes de courrier transportés à plus de 260 km/h. Les jours de fort trafic, notamment au départ de Paris, les rames sont remplies à 90 %. Les conséquences de ce nouveau mode de transport se font sentir rapidement, à savoir une amélioration significative du service et de la régularité sur certaines relations grâce à l’arrêt de Mâcon. De nouvelles liaisons routières sont créées dans un contexte où la rapidité du TGV est sans précédent. En conséquence, les autres modes de transport sont dans l’obligation de s’y adapter plus que prévu. Seul bémol, le mécontentement du personnel face aux nouvelles conditions de travail, notamment à
Lyon où il n’est apparemment pas en capacité de traiter deux rames trop proches l’une de l’autre. Le TGV postal revient sur le devant de la scène en 1986. La déclaration d’utilité publique du TGV Atlantique, publiée deux ans plus tôt, incite à envisager son extension à la nouvelle ligne. Le groupe de recherche chargé de réfléchir à la question est confronté à deux évidences : un réseau beaucoup plus vaste pour un volume de courrier moindre. Différents plans sont envisagés en conséquence, les uns recourant exclusivement au TGV, les autres faisant intervenir différents moyens de transport : TPA, RAP/Rame automotrice postale, avion, etc. Ce nouveau TGV postal se démarque du précédent : aménagement d’un bureau de tri dans le wagon de queue, possibilité de demi-rames. D’anciens membres des groupes ayant travaillé sur le TGV Sud-Est sont partie prenante et permettent d’accélérer les procédures. Les principales nouveautés sont les suivantes : - équipement humain conséquent pour le bureau de tri (réfrigérateur, chauffe-plats, sanitaires, etc.) et tablettes de tri repliables pour y placer des conteneurs ; - des rames composées d’une motrice, de trois wagons et d’un quatrième wagon comprenant un poste de conduite ; - jusqu’à huit circulations (aller-retour) par jour. Mais, très tôt, l’administration des PTT est loin d’être convaincue de la possibilité comme de la rentabilité d’un tel système. Aussi est-il revu à la baisse avec la confirmation d’un Train-Poste autonome pour la desserte des ramifications les plus lointaines où le courrier n’est pas très important (Bretagne par exemple). Le projet est finalement abandonné quelques années plus tard, l’investissement jugé trop lourd et la rentabilité trop faible étant sûrement les causes principales de cette décision. En parallèle, et ce, dès 1988, des travaux similaires portent sur le TGV Nord. Le projet se démarque profondément de celui du TGV postal Atlantique puisqu’il a pour ambition d’atteindre une dimension européenne. Diverses dessertes postales sont Les Rails de l’histoire, n° 8 - avril 2015
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JEUNES HISTORIENS À LA UNE
étudiées : un Paris-Londres-Bruxelles, voire un ambitieux Paris-Bruxelles-Cologne-Amsterdam et un plus modeste Paris-Lille-Bruxelles. Ce projet est d’autant plus novateur qu’il n’existe pas à l’époque de liaisons postales ferroviaires internationales en Europe : le passage d’une frontière est assujetti au « bureau d’échange », infrastructure située dans la zone frontalière où les deux services nationaux d’ambulants échangent leurs dépêches internationales. C’est donc aussi un moyen efficace de mettre en place un système européen uniforme. Pourtant, ce projet, pas plus que celui du TGV postal Atlantique, ne verra le jour.
Enfin, par suite du prolongement de la LGV Paris-Lyon jusqu’à Valence à l’été 1994, la liaison par TGV postal est étendue à Cavaillon au mois de novembre de la même année. Cette extension s’est traduite par l’acquisition auprès de la SNCF d’un troisième TGV (ex-rame Sud-Est de 1984 transformée). Elle s’est accompagnée aussi par l’abandon de la plateforme de Lyon-Montrochet au profit du site de l’aéroport de Lyon-Satolas qui centralise tout le courrier de Rhône-Alpes. Il semble donc bien que l’axe Paris-Marseille soit le seul où le TGV postal trouve sa place en termes de volume de courrier et d’utilité de la vitesse.
5Réseau rêvé par l’administration des PTT au début des années 1990.
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JEUNES HISTORIENS À LA UNE
Le TGV postal aujourd’hui Le TGV postal est confronté depuis plusieurs années à la baisse régulière du volume du courrier à transporter. Le taux de remplissage moyen d’une rame n’est plus aujourd’hui que de 80 %. De plus, âgées de trente ans, les rames doivent être impérativement remises à niveau, pour un coût qui peut atteindre jusqu’à la moitié du prix d’une rame neuve. L’augmentation progressive du coût des sillons (créneaux horaires où un train peut circuler) ne fait que rendre le problème plus complexe. En 2009, la Poste passe de huit à six circulations quotidiennes. La politique postale, avec l’abandon progressif du délai J+1 et la mise en avant de la « lettre verte », montre que le TGV postal, dont la vitesse n’est plus nécessaire, ne lui est plus adapté. L’abandon programmé du TGV postal en juin 2015 ne signe pas pour autant la fin de l’histoire postale ferroviaire. Avec la création de la plateforme multimodale de Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne) en 2017, une augmentation de 30 % du volume de courrier transporté par fer est annoncée.
Lettre verte 9 %
Lettre prioritaire 37 %
Presse 23 %
Eco pli G4, RFX 31 %
5Répartition du trafic transporté par le TGV postal en 2013. Source : Entretien de l’auteur avec Michel Drouillard, responsable Transport Ferroviaire, La Poste-DRLC-PCH / TGV Postal, le 25 février 2014
Parallèlement à cette situation, le projet Euro Carex, lancé à la fin des années 2000, s’inspire de l’expérience du TGV postal pour l’appel à la création d’un réseau de fret à grande vitesse qui, dans ses grandes lignes, se rapproche de celui rêvé pour le TGV postal Nord au début des années 1990. D’ailleurs, c’est l’une des trois rames postales qui, à titre d’essai, est mobilisée les 20 et 21 mars 2012 pour relier à grand renfort de publicité les gares de Lyon-Saint-Exupéry TGV et de LondresSaint-Pancras via la gare Aéroport Charles-deGaulle 2 TGV. Ce projet n’est plus d’actualité à ce jour bien qu’aucune raison officielle n’ait été donnée pour justifier son abandon. Mais il montre l’importance que revêt le TGV postal comme exemple unique de transport de fret à grande vitesse. Il ne faut pas non plus oublier le rôle social qu’à joué le TGV postal, trop souvent mis de côté. Dans ce domaine, l’opération « Pièces Jaunes », organisée par la Fondation Hôpitaux de ParisHôpitaux de France, et pour laquelle les TGV postaux ont servi de support de 1997 à 2008, a été peut-être la plus significative. Par son implication sociétale dans cette œuvre caritative, la Poste a donné une dimension nouvelle à un simple moyen de transport. Cette opération a été aussi l’occasion d’un moment de convivialité pour les agents qui y participaient. Signe de modernité au temps où la Poste cherchait à améliorer son réseau d’acheminement grâce à l’innovation technique, le TGV postal semble devenu aujourd’hui obsolète, bien que son côté « vert » demeure un argument souvent avancé contre son abandon. Sans doute l’un des plus emblématiques représentants d’une technologie « à la française » des années 1980-1990, il restera perçu comme l’un des éléments clés de l’idée de progrès que la Poste a voulu faire passer auprès du public. Sa réussite incontestable pendant deux décennies et les projets certes parfois un peu trop ambitieux qu’il a suscité sont également les signes de l’attention portée par une administration à un moyen de transport pourtant peu visible.
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JEUNES HISTORIENS À LA UNE
L’organisation du réseau d’acheminement postal français Avec le développement du chemin de fer, le service des bureaux de poste ambulants devient en 1845 le principal moyen d’acheminement postal en France. Il revêt une double fonction originale : celle de tri et celle de transport. En effet, des « brigades » d’agents « ambulants », abritées dans des wagons-poste adaptés, sont chargées, à chaque arrêt, de récupérer le courrier à trier et de remettre celui traité en cours de route. Avec l’augmentation du volume de courrier, le système se complexifie très vite et conduit à la création de centres de tri sédentaires, le plus souvent installés dans l’emprise même des gares traversées. Près d’un siècle et demi plus tard, le système reste le même en théorie, sauf qu’en pratique il s’est étoffé par le recours, en parallèle, au train, à l’automobile au début du siècle dernier et à l’avion depuis les années 1950. Camille Henri associe ce système d’acheminement postal à « une structure réticulaire multiforme »2. Pour simplifier, il y a un réseau de concentration (via le réseau de collecte du courrier) et un réseau de dispersion (via le réseau de distribution du courrier), tous deux liés par un réseau d’acheminement. L’ensemble forme la chaîne d’acheminement. Le courrier collecté dans un département est dirigé vers une plateforme de tri qui couvre une zone géographique donnée, souvent confondue avec le département en question. Si le courrier reçu est intra-départemental, il est aussitôt mis à la charge du réseau de distribution. S’il est à destination d’une autre zone, il est confié au réseau d’acheminement. C’est à ce moment qu’intervient le réseau ferroviaire : c’est un réseau d’acheminement intersites, entre une plateforme de tri et une autre. Une fois arrivé
dans sa plateforme de destination, le courrier rejoint le réseau de distribution. Le réseau ambulant est divisible en deux catégories : une fonction « transport du courrier » et une fonction « transport et tri du courrier ». Le transport unique se fait au moyen de wagons appelés « allèges », un type de wagon de marchandises où les sacs (ou conteneurs de sacs) se trouvent entassés. La fonction transport et tri se fait dans des « wagons-poste » aménagés avec des bureaux de tri où les agents peuvent travailler de la même façon que dans un centre de tri. Ces wagons sont intégrés à des trains de voyageurs : ce sont des trains dits « postalisés ». Dans les années 1980, le service ambulant compte près de 580 wagons-poste et allèges et comptabilise plus de 45 millions de kilomètres parcourus. Il est encore le mode de transport postal dominant en dépit d’une concurrence de plus en plus importante de l’automobile. La Poste travaille alors à une restructuration de son organisation pour la rendre plus efficace. La première étape est une grande campagne d’automatisation des centres de tri pour augmenter leur rendement. Une des conséquences se trouve être la disparition de plusieurs « ambulants » (brigades de tri) puisque le courrier est déjà trié avant de prendre le train. La deuxième étape est la création en 1976 de Trains-poste autonomes (TPA) puis en 1978 de Rames automotrices postales (RAP) pour une plus grande autonomie de sa chaîne d’acheminement ferroviaire dont les contraintes techniques et financières sont lourdes. 2- HENRI (C.), « La Poste et les transports : la messagerie ou l’apprentissage de la concurrence (1969-2003) », thèse de doctorat d’histoire réalisée sous la direction de Michel Savy, Université Paris-Est, 2014, 681 p. Voir également : SAVY (M.), Le Transport de marchandises, Paris, Eyrolles, 2007, 371 p.
Archives sollicitées : Archives nationales (20010246, 20030420, 20070429) Archives CGT-FAPT (documents syndicaux), Bibliothèque Historique des Postes et Télécommunications/BHPT (périodiques internes et externes).
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ENTREPRISES
1906. Milan accueille sa première Exposition universelle À la veille de l’ouverture, le 1er mai prochain, de l’Expo Milano 2015, il faut évoquer cette autre Exposition universelle qui s’est tenue également à Milan il y a plus de cent ans. En effet, inaugurée en 1906, en lien avec l’ouverture du tunnel du Simplon, elle était principalement dédiée aux transports. Bruno Carrière L’idée d’organiser une exposition internationale à Milan est officiellement entérinée le 2 juin 1901. Dans l’esprit de ses promoteurs, il s’agissait de célébrer par une grande fête l’ouverture du tunnel du Simplon, dont l’achèvement, programmé pour 1904, devait marquer une étape nouvelle dans le prodigieux essor industriel de la grande cité lombarde. Mais le retard apporté aux travaux recula l’ouverture à 1906. Dans un premier temps, il avait été convenu de limiter la manifestation aux questions posées par le percement du Simplon, en laissant la première place aux transports par terre et par mer. On y inclut ensuite des sections d’art décoratif et de beaux arts « dans le but de mettre, à côté des choses sérieuses, des spectacles moins austères et plus capables d’intéresser le gros public ». Enfin, l’Italie n’ayant pas jusqu’alors organisé de grandes expositions internationales, on décida une exposition « presqu’universelle qui, au début du xxe siècle, donnerait une idée
aussi complète que possible du développement considérable pris par l’Italie depuis son unification »1 . Le comité français des expositions à l’étranger assure Milan de sa participation le 16 octobre 1903, premier jour de la visite officielle du roi Victor-Emmanuel III en France et premier pas vers un réchauffement diplomatique entre les deux pays (par son adhésion à la Triplice, l’Italie est alors l’alliée de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie). Il faut cependant attendre le 26 juin 1905 pour que soit déposé sur le bureau de la Chambre des députés une demande de crédit de 400 000 F pour assurer la participation de la France à l’exposition et le 5 décembre pour qu’une loi soit votée en ce sens. Il est vrai que la multiplication de ce type de manifestations (Paris en 1900, Saint-Louis en 1904, Liège en 1905) et la programmation, également en 1906, de l’exposition coloniale de Marseille, n’incitaient pas à
5L’affiche officielle de l’Exposition associe à l’événement l’inauguration du tunnel du Simplon, à l’origine de son organisation. Wikipedia.
la prodigalité. Dans notre cas, les réticences furent exprimées par la commission des finances du Sénat. Une attitude que certains jugèrent excessive compte tenu de l’aide demandée : « C’est un des crédits les plus faibles qui aient été consacrés par le 1. H. Bellet, « L’Exposition de Milan
et le Simplon », Bulletin mensuel de
l’Association des anciens élèves de l’École centrale lyonnaise, n° 38 (juin 1907).
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Parlement à ce genre d’entreprises » (Le Figaro, 19 novembre 1905). Incompréhensible aussi si l’on tient compte du fait que le financement de la présence française aux expositions étrangères a toujours été assuré, pour l’essentiel, par les exposants et sur leurs deniers, le gage d’une gestion rigoureuse excluant toute gabegie. Encore fallait-il trouver les mots justes pour encourager les entreprises à investir. C’est la mission qui fut confiée par le comité français des expositions à l’étranger à Gustave Noblemaire, alors directeur du PLM, placé pour l’occasion à la tête du souscomité chargé plus spécialement des questions touchant au chemin de fer. Par lettre en date du 10 octobre 1905, il sollicite ainsi
le concours de l’ensemble de la communauté ferroviaire industrielle, réseaux et constructeurs : « Le Comité du groupe 1er – Transports par terre-chemins de fer – sollicite votre adhésion et soumet à votre bienveillante attention trois motifs principaux qui semblent de nature à la justifier : 1° L’évolution récemment survenue dans les relations diplomatiques entre la France et l’Italie permet d’espérer l’ouverture à nos constructeurs français du marché italien si longtemps fermé pour eux. 2e Nous savons que les nations étrangères participeront largement à la nouvelle exposition : l’Allemagne notamment a, dit-on, conscience de l’erreur qu’elle a
commise en s’abstenant de figurer à l’exposition de Liège au point de vue des chemins de fer et a l’intention de nous disputer à Milan le succès incontesté que nous avons eu à Liège. 3e Ce succès nous montre que la collaboration des principaux constructeurs donne aux compagnies de chemins de fer l’appoint qui leur est nécessaire pour constituer un ensemble homogène et intéressant. Si cette collaboration est assurée comme le Comité l’espère pour l’exposition de Milan, on doit en attendre le même résultat favorable qu’à Liège2. » 2. Archives nationales du monde du travail (Roubaix). Compagnie du chemin de fer du Nord, 202 AQ 1009.
5Plan de l’exposition répartie sur deux sites (parc du Château et place d’Armes) reliés par un petit chemin de fer électrique établi en viaduc. À l’extrême gauche, les pavillons des chemins de fer (en jaune) et la gare primitive de Milano Centrale, terminus des trains en provenance du Simplon (en rouge). RGCF, décembre 1906.
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L’exposition ouvre ses portes le 28 avril 1906, retardée par les conséquences de l’éruption du Vésuve le 4 du même mois. Elle couvre 1 million de m2, dont 285 000 occupés par des édifices, soit à peine moins que l’Exposition universelle de Paris de 1900 (1,3 millions de m2 dont 320 000 construits) et bien plus que celle de Liège de 1905 (430 000 m2 dont 130 000 couverts)3. Les pavillons sont répartis entre deux emplacements – le Parc du château des Sforza situé à proximité de la gare des Ferrovie Nord Milano (30 hectares) et la place d’Armes (70 hectares) – éloignés l’un de l’autre de 1 200 m, et reliés par un service de tramways ordinaire et un chemin de fer à traction électrique établi en viaduc (voir encadré). Ces deux moyens de transport, sans arrêt intermédiaire, sont accessibles par tous au prix unique de 10 centimes. Quant aux déplacements à l’intérieur des deux enceintes, ils sont assurés : - pour l’une (parc), par un petit chemin de fer à voie étroite identique au chemin de service du tunnel du Simplon auquel il empruntait sa locomotive à air comprimé ; - pour l’autre (place d’Armes), par un petit trolley électrique à perches semblable à celui expérimenté dans la banlieue lyonnaise par l’ingénieur Nithard (parcours périphérique de 2 500 m) et un petit tramway automobile à essence fourni par Fiat / Fabrica Italiana di Automobili di Torino (parcours de 1 800 m).
Plusieurs lignes de tramways électriques venus du centre de la ville (Piazza del Duomo) desservent également les deux parties de l’exposition. Ce samedi 28 avril 1906, en raison de prévisions météorologiques annonçant de mauvaises conditions atmosphériques, le roi Victor-Emmanuel III n’a inauguré que les seuls pavillons du Parc, dont celui du Simplon destiné « à glorifier l’œuvre tout récemment achevée et à montrer aux profanes de notre espèce par quels moyens le génie de l’homme vient à bout d’une entreprise si audacieuse »4. La seconde partie de l’exposition (place d’Armes) n’est officiellement ouverte que le lundi 30 avril, la délégation française monopolisant à cette occasion les honneurs en recevant le couple royal au sein du Palais des Arts décoratifs français. Par respect des règles diplomatiques, les souverains s’en vont visiter ensuite la section des chemins de fer allemands. Notons que la veille, Victor-Emmanuel III avait présidé à la pose de la première pierre de la future gare centrale de Milan5. Le 19 mai, infatigable, il s’en ira encore inaugurer le tunnel du Simplon. Pendant toute la durée de l’exposition, le Nord s’entend avec le PLM et les chemins de fer italiens pour des acheminements via Modane (tunnel du MontCenis) ou Vintimille, puis, à partir du 27 juin 1906, via Vallorbe (tunnel du Simplon). Le Nord et le PLM organisent par ailleurs
un train de plaisir de 2e et 3e classes avec départ des gares et stations du Nord pour Paris toute la journée du 24 octobre et toute la matinée du 25 et départ de Paris le 25 à 14 h 50 pour une arrivée à Milan le 26 à 14 h 32. Le choix du retour est laissé aux voyageurs jusqu’au dernier train du 30 octobre (départ de Milan à 17 h, arrivée à Paris le lendemain à 14 h 42). Ces trains à marche rapide bénéficient d’une réduction de 75 % sur les prix du tarif général. La place d’Armes (Piazza d’Armi) est plus particulièrement affectée aux aspects industriels, notamment aux moyens de transport. C’est là que se tient la galerie des chemins de fer, scindée en deux halles séparées par une avenue. Pour avoir tardé à assurer le Comité exécutif italien de leur présence, les chemins de fer français ont dû se battre pour occuper une place digne de leur rang. On trouve trace de cet épisode dans une « Note sur les services de M. DELAITRE aux Expositions de Liège et de Milan » datée de janvier 19076 :
3. Chiffres cités par Le Journal des débats,
10 juin 1906. 4. H. Bellet, art. cit. 5. Cérémonie toute symbolique, la gare n’existant encore que sur le papier à l’état de simple idée. Elle n’entrera en exploitation qu’en 1931. 6. S’agit-il de Pierre Delaitre († 1910), ingénieur en chef honoraire de la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest qui avait été eu en charge le « service international » de cette compagnie ? Delaitre avait proposé son « concours désintéressé » demandant « seulement le strict remboursement de ses déboursés ».
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La « elevata », le petit chemin de fer électrique de l’exposition Le chemin de fer qui réunissait les deux enceintes de l’exposition, depuis la station du Parc jusqu’à la station de la place d’Armes, fut l’une des « attractions » qui a le plus fait couler d’encre1. Long de 1 373 m, il était établi en viaduc sur tout son parcours pour ne pas entraver la circulation en surface. En ligne droite sur 885 m au départ de la place d’Armes, il s’incurvait en une courbe à double inflexion de 90 m de rayon avant d’arriver à la station du Parc, où sa pente maximale atteignait 35 pour mille, cela afin de ne pas gâcher la perspective sur l’arc de triomphe qui annonçait le pavillon du Simplon. Le viaduc était construit pour partie en bois, pour partie en fer (au passage des voies de la ligne du Nord, de la gare de triage et des grandes voies publiques). La double voie de 1,44 m, dont les rails de 26,5 kg au mètre étaient à une hauteur moyenne de 5,87 m au-dessus du sol, se réunissait en un tronc commun à voie unique dans les deux stations d’extrémité. La ligne était électrifiée, alimentée par un courant alternatif monophasé de 2 000 volts et 15 périodes fourni par une sous-station implantée au terminus de la place d’Armes. Il était distribué par une ligne de contact aérienne d’une section de 43 mm/m2, placée à une hauteur de 5,50 m au-dessus des rails (4,80 m aux deux stations). Lors des périodes d’affluence, quatre trains pouvaient circuler simultanément sur la ligne, soit un train en chargement à chaque station et deux autres en mouvement sur le viaduc. Ils se succédaient alors en gare toutes les trois minutes. Aux stations, la voie unique était encadrée par des quais hauts afin d’accélérer la rotation des rames : les visiteurs embarquaient d’un côté pendant qu’on débarquait de l’autre. Chaque train, qui pouvait emporter jusqu’à 250 voyageurs dont 96 assis, était formé de quatre voitures automotrices, de dix mètres de longueur chacune. Les unités d’extrémité étaient dotées chacune de deux moteurs (d’une puissance unitaire de 30 chevaux), les unités intermédiaires d’un seul moteur. La prise de courant, assurée par une seule voiture, se faisait par l’intermédiaire d’un double archet. Le poids en charge de chaque rame, équipée du frein à air comprimé, était de 56 tonnes et la vitesse maxima autorisée de 35 km/h. L’éclairage électrique des voitures étaient assuré au moyen de batteries d’accumulateurs. 1. Il fut inauguré le 12 avril 1906 au soir par les membres du Comité exécutif de l’exposition au terme d’un repas offert aux représentants de la presse.
« Cette fois ce n’était plus un tête-à-tête entre les chemins de fer belges et nous : l’Empereur d’Allemagne avait invité les chemins allemands à ne pas s’abstenir comme à Liège ; il a mis à leur disposition cent mille marks de subvention. Les chemins autrichiens, belges, hongrois, italiens ont reçu des encouragements analogues. Nos préoccupations étaient donc sérieuses ; toutes les concessions de terrains ayant été faites aux diverses puissances avant que la participation des chemins de fer français fût annoncée, le Comité exécutif italien n’avait réservé à la France
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qu’un petit coin perdu à côté de l’Allemagne. Dans ces conditions, M. Delaitre a pensé à demander aux Italiens la concession d’une certaine surface dans chacune des deux halles destinées aux chemins de fer et séparées par la grande avenue de 35 m [de large]. Notre pays, étant ainsi le seul à occuper à la fois les deux halles, était fondé à demander la permission de réunir les deux parcelles par un portique convenable avec jardin, statues, etc. La question était délicate, car nous risquions de masquer l’exposition du ministère de la Guerre
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italien situé derrière nous7. » De fait, les autorités militaires locales refusèrent le projet du « portique léger, en bois, dont les piédroits seraient situés suivant les alignements de la façade du Palais de la Guerre ». Nous savons par une autre source que l’affaire fut portée par notre ambassadeur à Rome jusqu’au ministère de la Guerre italien, qui finit par donner son aval. « …M. Delaitre a fini par réussir : il nous a ainsi conquis une situation qui depuis a été enviée par tous les autres pays.
7.
Compagnie du chemin de fer du
Nord, 202 AQ 1009.
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3Les Expositions universelles donnent souvent dans la démesure. C’est le cas pour la gare de la “elevata”, le petit chemin fer électrique érigée en bordure de la place d’Armes. Ce point de passage obligé des visiteurs de marque explique sans doute cela. Coll. particulière.
Établie en viaduc, la ligne du chemin de fer électrique, longue de 1 373 m, était à deux voies sauf à ses extrémités où elle se limitait à une voie unique bordée de quais hauts afin de faciliter la montée et la descente des voyageurs en évitant les chassés-croisés. Le viaduc était construit pour partie en bois et pour partie en fer, notamment au franchissement des voies publiques. Coll. particulière.
5En période d’affluence quatre rames circulaient simultanément. Chaque rame, formée de quatre voitures automotrices, pouvait emporter jusqu’à 250 personnes dont 96 assises. La captation du courant se faisait par un archet unique le long d’un fil aérien. RGCF, décembre 1906.
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Le portique élevant à 25 m de haut la gigantesque inscription "Chemins de fer français" faisait si bon effet que le Comité exécutif italien a demandé qu’il fût illuminé tous les soirs à ses frais. » La note précitée donne encore plusieurs précisions sur la participation ferroviaire française (41 exposants) à l’Exposition de Milan. « Un peu plus bas [que le portique], la statue monumentale de Paulin Talabot rappelait le rôle de nos compatriotes dans la création et le développement des chemins de fer italiens8. Autour régnait un très joli jardin construit et entretenu par la Ville de Paris. Enfin sous les halles, de chaque côté, des voies ferrées mesurant un demi-kilomètre environ recevaient le matériel roulant classé de manière à constituer des trains complets de chaque administration. » La note fait référence également aux séances cinématographiques gratuites, reprises à Milan avec le même succès qu’à Liège et que le voisin autrichien a vainement cherché à imiter ; aux « salles de publicité » qui, outre la distribution de brochures, proposent « sièges confortables et écritoires » ; à la collection de plans et dessins, prêtés par le ministère des Travaux publics, les Compagnies de l’Ouest et du PLM, qui permet de visualiser les progrès réalisés. Est aussi mise en évidence « la section du matériel construit en France pour l’étranger, où le visiteur constatait non sans quelque surprise que nos constructeurs livrent du matériel
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roulant à l’Angleterre, la Turquie, la Russie, le Portugal, etc. » Avec les appareils de la signalisation, le matériel roulant occupe la vedette. Sept pays, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France, la Hongrie, l’Italie et la Suisse, ont « délégué » 54 locomotives (51 à vapeur, dont 29 à tender séparé, et 3 électriques) ; 10 automotrices (dont 6 à vapeur et 4 électriques) ; 130 voitures (38 à bogies, 9 à trois essieux et 17 à deux essieux) et wagons9. Parmi les grandes nations ferroviaires absentes figurent notamment l’Angleterre et la Russie. La France est représentée par 8 locomotives à vapeur (dont 4 à tender séparé), 1 automotrice à vapeur pour tramway (Purrey), 12 voitures (8 à bogies et 4 à deux essieux) et quelques wagons. Seul le PO n’a pas répondu à l’appel. Mais les visiteurs n’ont d’yeux que pour l’automotrice électrique « S » (pour Siemens) qui, en 1903, a atteint la vitesse record de 210 km/h sur la ligne d’essai de Marienfeld-Zossen (périphérie de Berlin). Au total, le jury international attribue aux chemins de fer français 50 grands prix (le PLM hors concours), contre 48 aux Italiens, 35 aux Allemands, 28 aux Belges, 27 aux Autrichiens. De l’exposition, dont la fermeture s’est faite le 10 novembre 1906, à minuit, on peut retenir l’impression de H. Bellet qui, en tant qu’ancien élève de l’École centrale lyonnaise (1896), accepte le 26 avril 1907 de rendre compte
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à ses camarades de sa visite à Milan : « ... il y avait une chose qui a frappé un grand nombre de visiteurs, c’est le véritable chaos qui régnait dans l’Exposition Milanaise […] dans beaucoup de pavillons, les objets les plus disparates étaient placés côte à côte […] Dans la galerie du travail, les perforatrices voisinaient avec les corsets et les étalages de savonnerie et de parfumerie […] Il en résultait qu’il fallait courir longtemps pour voir tout ce qui se rapportait à un sujet déterminé. Les visites dans l’Exposition étaient par suite longues et peu profitables, et ainsi s’expliquaient la diversité des impressions des visiteurs étrangers. Alors que les techniciens ont déclaré qu’on y pouvait voir des choses intéressantes, l’ensemble du public étranger a été quelque peu déçu, et beaucoup ont prétendu, un peu légèrement et injustement toutefois, que l’on avait fait beaucoup de bruit pour peu de choses. » Cette impression est perceptible à travers les comptes rendus de la presse de l’époque, peu nombreux hélas. 8. « M. NOBLEMAIRE a pensé que la nouvelle statue qui devait être érigée en l’honneur de Talabot à l’entrée de la gare de Paris était tout particulièrement indiquée pour être placée à l’Exposition et il a été entendu, en conséquence, qu’elle serait prêtée au groupe des chemins de fer pendant la durée de l’Exposition » (PV de la séance du comité d’organisation du 9 février 1906, Compagnie du chemin de fer du Nord, 202 AQ 1009). 9. Voir la Revue générale des chemins de fer des mois d’août, septembre, octobre et novembre 1907.
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Tramways : une histoire de planchers Dès sa sortie à Nantes en 1985, il y a trente ans tout juste, le TSF (Tramway français standard) essuyait les critiques des personnes à mobilité réduite en raison de son plancher haut. Commence alors la course au plancher bas partiel apparu en 1984 à Genève et au plancher bas intégral inauguré en 1990 à Brême. Philippe Hérissé
En 1985, Alsthom met en service à Nantes le TFS (Tramway français standard), premier matériel made in France moderne pour le premier réseau « neuf » qui allait préfigurer le grand retour de ce mode de transport urbain dans l’Hexagone. De « standard » le TFS n’a cependant que le nom, puisque, en dehors de l’agglomération nantaise, il ne trouvera jamais aucun autre débouché. La faute principalement à son plancher haut (620 mm) qui, établi au-dessus des bogies comme il était alors de règle, est, comme partout en Europe, vivement critiqué par les associations représentatives des personnes dites « à mobilité réduite ». Leur revendication porte sur la construction de tramways accessibles à tous, autrement dit dépourvus de tout emmarchement pour monter à bord. L’épopée du plancher bas allait débuter. Certes, des réalisations en ce sens ont été déjà menées dans le passé, mais sans retombées pratiques immédiates. On peut citer ainsi la remorque MAN de 1914, avec entrée à 365 mm pour le Nüremberg-Fürth, ou encore la motrice Montos de 1934, avec son plancher surbaissé à 380 mm pour Essen. C’est au constructeur suisse Vevey (aujourd’hui Bombardier) que l’on doit le tout premier tramway moderne à plancher bas partiel du monde, la Be 4/6, livré aux Transports publics genevois en 1984. De longue date, l’industriel s’était fait une spécialité des trucks porteurs pour l’acheminement de wagons à voie normale sur les réseaux helvétiques à voie métrique. Il s’inspira donc des organes de roulement avec roues de très petit diamètre, caractéristiques de ses trucks, pour concevoir un bogie porteur capable de se loger sous un plancher bas à 480 mm. Au droit des bogies moteurs d’extrémité, encore traditionnels, ce plancher remontait « en col de cygne » afin de dégager le volume nécessaire à la motorisation. Voilà qui donnait un sérieux « coup de vieux » au tout jeune TFS de Nantes ! En 1986, pour l’ouverture du réseau de Grenoble, Alsthom dévoile un tout nouveau TFS, cette fois à plancher bas partiel. Détail d’importance : la cote de ce plancher par rapport au niveau du rail s’établit, pour la première fois au monde, à 350 mm, la valeur moyenne de référence retenue jusqu’à aujourd’hui sur la plupart des tramways. Pour y parvenir, Alstom adopte une architecture alors inédite, où les deux caisses d’extrémité s’articulent sur une « nacelle », qui n’est autre qu’un très court module habité, reposant sur quatre roues indépendantes et faisant fonction de bogie porteur. L’absence de tout essieu permet ainsi une continuité du plancher bas à 350 mm pour le couloir creusé entre les inévitables passages de roues. L’architecture « Grenoble » sera reprise en l’état pour Paris et Rouen et modifiée par introduction du bogie Vevey pour Saint-Etienne, dont la ligne est à voie métrique. 1990 voit l’arrivée en Allemagne du tout premier tram à plancher bas intégral à 350 mm : le GT 6N de Brême, élaboré par le mécanicien MAN et l’électricien AEG. Il se compose de trois caisses articulées – chacune en équilibre sur un « faux bogie » avec très faible degré de liberté en rotation – dont le moteur Les Rails de l’histoire, n° 8 - avril 2015
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migre latéralement en caisse. Il connaît un indéniable succès en Allemagne à Brême, mais aussi à Münich, Francfort-sur-l’Oder, Brunswick et Jena. En 2000, le constructeur Adtranz (aujourd’hui Bombardier) remportera son premier appel d’offres pour tramways en France, à Nantes, avec son Incentro, étroitement dérivé du GT 6N précité, qu’il avait hérité d’AEG.
31990 voit l’expérimentation à Brême, en Allemagne, du tout premier tram à plancher bas intégral à 350 mm : le GT 6N, élaboré par le mécanicien MAN et l’électricien AEG. Ici, le prototype dans les rues de Brême en avril 1992. Doc. Archiv Freunde der Bremer Straßenbahn.
En France, on doit attendre 1994 pour voir arriver un plancher bas intégral. Cette année-là, Strasbourg met en service les rames Eurotram commandées chez Socimi mais laborieusement achevées chez ABB (aujourd’hui Bombardier), suite à la faillite de l’industriel italien. Elles portent déjà en elles les germes des futures rames multi-articulées.
4 En France, il faut attendre 1994 pour voir arriver un plancher bas intégral avec l’introduction à Strasbourg des premières rames Eurotram commandées chez l’Italien Socimi mais construites par ABB. Photo Ralph Dissinger.
Toujours en 1994, les tramways d’un autre Italien, Breda, entrent en service sur le Mongy lillois. Pour le passager, elles sont bien à plancher bas intégral, mais le constructeur a usé d’une solution de facilité en logeant les équipements dans des compartiments séparés entre cabine de conduite et espaces voyageurs.
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En 1995, apparaissent à Vienne, en Autriche, les deux prototypes de « Ulf », champion mondial de l’accessibilité construit par Simmering-Graz-Pauker (SGP, aujourd’hui Siemens), avec son seuil de porte à 197 mm au-dessus du rail, qu’aucun autre matériel roulant n’a jamais réussi à égaler. L’année 2000 est une étape d’importance, avec l’ouverture du réseau de Montpellier, pour lequel Alstom lance sa toute nouvelle génération de tramway Citadis, qui va rapidement devenir le best-seller de sa catégorie. Son architecture multi-articulée, faisant alterner courts modules sur organes de roulement et caissesponts suspendues, représente alors le nec plus ultra. La technique de construction des structures est, en elle-même, très novatrice. Alstom va jusqu’à inventer le nez au design entièrement personnalisable, qui ne peut que réjouir les élus en recherche d’image. Surtout, le Citadis marque le vrai retour du constructeur au tramway, alors que le TFS, trop « ferroviaire lourd » dans les solutions techniques mises en œuvre, relevait tout à fait de l’appellation « métro léger » apparue jadis quand on ne voulait pas appeler un chat un chat… D’abord à plancher bas partiel, le Citadis évoluera par la suite en plancher bas intégral, avec nouveaux bogies mieux suspendus, et engendrera le tram-train Dualis, mis en service en 2011 entre Nantes et Clisson.
5Le 11 août 1999, début des essais essais à Montpellier de la première rame Citadis 301 Alstom. Photo Michel Bozzola.
En 2007, Marseille ouvre à son tour un nouveau réseau, sur les traces de l’ancienne ligne 68 du tramway sauvée par l’existence de son tunnel de Noailles impropre à une conversion routière. Bombardier remporte l’appel d’offres avec son excellent Flexity Outlook, premier tramway à plancher bas intégral du monde monté sur de vrais bogies à essieux, qui n’ont, bien évidemment, pas leur pareil en termes d’inscription en courbe et de qualité du comportement dynamique. Leur design évoquant l’univers des bateaux, œuvre de MBD, ne passe pas inaperçu. En 2010, l’espagnol CAF gagne Besançon sur le concept du fameux « tram court » souhaité par la ville et qu’Alstom finira d’ailleurs par développer à son tour pour Aubagne en 2011. Quant à Siemens, il ne s’est illustré jusqu’ici en France que dans le domaine du tram-train, avec son Avanto sur le T4 parisien (2006) et à Mulhouse (2009). Son nouveau tramway urbain Avenio ne manque pas de qualités, mais le marché français reste très particulier, notamment sur les aspects design (faces latérales galbées par exemple). Les Rails de l’histoire, n° 8 - avril 2015
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5Figure 1. Première gare du chemin de fer à Nîmes (sur la route d’Uzès). Musée du Vieux Nîmes.
5Figure 2. Vue intérieure du débarcadère du Maine par E. Salle dans Bourdin, 1840. BNF.
5Figure 3. Façade extrême du chemin de fer de Versailles (rive gauche) à Versailles, par E. Salle dans A. Perdonnet, Traité élémentaire des chemins de fer, tome 2, 1856. BNF.
5Figure 4. Viaduc de Val Fleury, Chemin de fer de Paris à Versailles (rive gauche) par Worsmer, dans A. Perdonnet, Traité élémentaire des chemins de fer, tome 1, 1855. BNF.
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ESPACE DES ADHÉRENTS
Les premiers chemins de fer en France à travers des illustrations d’époque Troisième épisode : l’année 1840 (1/2). La toile commence à prendre de l’expansion Joseph-Jean Paques, Montréal, Québec
La ligne d’Alès à Nîmes et Beaucaire Cette ligne (72 km), œuvre de la Compagnie des houillères de la Grand’Combe et des chemins de fer du Gard, a été ouverte en deux étapes : de Nîmes à Beaucaire le 15 juillet 1839, d’Alais (aujourd’hui Alès) à Nîmes le 19 août 1840. Elle n’a malheureusement fait l’objet que de très peu d’illustrations dans les premières années de son exploitation. Nous n’avons trouvé qu’une seule lithographie (non signée et non datée) de la gare de Nîmes (figure 1). Toutefois il est certain que cette lithographie représente bien le bâtiment de l’époque car l’une des colonnades d’origine a été conservée, toujours visible au coin de la rue Sully, à l’entrée de la gare des marchandises.
La ligne de Paris à Versailles RG La ligne de Paris à Versailles par la rive gauche (17 km), mise en
service le 10 septembre 1840, a inspiré au moins 13 illustrations, non compris celles liées à l’accident du 8 mai 1842 survenu dans la tranchée de Bellevue, à Meudon. Au départ de Paris, l’embarcadère du Maine a été très peu représenté. Reprise de façon récurrente de 1840 à 1852, la seule illustration connue (figure 2), en dehors de quelques dessins d’architecture, a été originellement publiée en 1840 dans le guide de Bourdin Voyage Pittoresque de Paris à Versailles1. Cette vue de l’intérieur du bâtiment montre l’économie des moyens mis en œuvre par la Compagnie du chemin de fer « de la rive gauche » et l’obligation pour elle de se doter d’une gare plus étendue, établie rue Montparnasse en 18522. À l’autre extrémité de la ligne, seules deux images donnent l’idée de l’agencement de la gare de Versailles, dont celle choisie par Auguste Perdonnet (figure 3) pour illustrer le tome II de son Traité élémentaire des chemins de
fer, publié en 18563. L’autre illustration est issue de l’ouvrage de Bourdin précité. Contrairement aux gares de Paris et de Versailles, le viaduc de Val Fleury a retenu l’attention des peintres et dessinateurs à sept reprises au moins, soit la moitié des illustrations consacrées à la ligne. Un intérêt qu’expliquent les difficultés posées par sa réalisation, dues notamment à l’instabilité des terrains. Auguste Perdonnet y fait référence dans le tome I de son Traité élémentaire des chemins de fer4, commentaire agrémenté d’une vue montrant l’ampleur des travaux de remblai qu’il a fallu entreprendre aux abords de ce viaduc (figure 4). 1. E. Bourdin, Voyage Pittoresque de Paris à Versailles, Paris, 1840. 2. K. Bowie, Les Grandes Gares parisiennes du XIXe siècle, Catalogue d’exposition, Paris, [1987], 206 p. 3. A. Perdonnet, Traité élémentaire des chemins de fer, tome 2, Paris, Langlois & Leclercq, 1856, 582 p. 4. A. Perdonnet, Traité élémentaire des chemins de fer, tome 1, Paris, Langlois & Leclercq, 1855.
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Les six autres représentations portent sur l’ouvrage une fois terminé. Nous en avons retenu deux. La première (figure 5) fait partie d’une série de 34 lithographies focalisées sur le chemin de fer de l'Ouest, peintes en 1854 par Louis-Julien Jacottet (18061880). Elle révèle l’importance du travail accompli et l’absence totale d’urbanisation, les premiers faubourgs de Paris n’apparaissant que dans le lointain. Les choses ont bien changé depuis 175 ans ! En témoigne le petit tunnel sous la voie qui a été remplacé de nos jours par un pont construit sur l’actuelle avenue Le Corbeillier. Détail amusant, Jacottet n’a attribué au viaduc que six arches contre sept dans la réalité (figure 6). D’autres de ses lithographies dévoilent la propension de l’artiste à prendre quelques libertés avec celle-ci, nous y reviendrons. La seconde représentation du viaduc de Val-Fleury (figure 7) est extraite de la série d’aquarelles inédites produites en 1840 par Jean-Charles Develly (17831862), récemment identifiées par Nicolas Pierrot dans les archives de la manufacture de Sèvres5. On remarque ici que le remblai d’accès au viaduc (à sept arches cette fois-ci) a été précédé de chevalets provisoires qui ne sont pas sans rappeler les constructions adoptées outre-Atlantique. Cette série d’aquarelles nous permet de découvrir trois autres sites ferroviaires situés sur le territoire de Sèvres : la station (figure 8), le pont du Val Doisu (figure 10),
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5Figure 5. Viaduc de Val-de-Fleury, par L.-J. Jacottet, en 1854. Musée de la Voiture et du Tourisme de Compiègne.
5Figure 5. Viaduc de Val-Fleury en 2013. Cliché auteur.
et l’Aqueduc (figure 12). Nous avons mis en parallèle les vues des lieux tels qu’ils se présentent aujourd’hui (figures 9, 11 et 13) avec, toutefois, une petite incertitude pour l’aqueduc. Si l’essentiel des images collectées ont trait à des bâtiments ou à des ouvrages d’art, quelques vignettes ont le matériel roulant comme sujet. Deux répondent à ce critère. Établies à partir de gravure sur bois debout et reproduites ensuite probablement par stéréotypie,
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elles figurent pour la première fois, à notre connaissance, dans le guide Bourdin déjà mentionné. La première montre la locomotive La Victorieuse, construite par Stephenson et qui, selon les travaux de Jacques 5. Nicolas Pierrot, « Lignes et panaches, L’imagerie pittoresque à l’épreuve de la modernité ferroviaire (Île-de-France, 1840-1860) », Mémoires publiés par la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile-deFrance, tome 64, Paris, 2013, p. 61-76.
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3Figure 7. Viaduc du Val-sousMeudon, par J.-C. Develly, 1840. Coll. Cité de la céramique – Sèvres et Limoges
5Figure 8. Station de Meudon, par J.-C. Develly, 1840. Coll. Cité de la céramique – Sèvres et Limoges
5Figure 9. La gare de Meudon en 2014. Cliché auteur.
5Figure 10. Pont du Val Doisu par J.-C. Develly, 1840. Coll. Cité de la céramique – Sèvres et Limoges
5Figure 11. Tunnel de la rue des Fontaines en 2014. Cliché auteur.
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5Figure 12. Aqueduc des eaux de la Manufacture royale à Sèvre par J.-C. Develly, 1840. Coll. Cité de la céramique – Sèvres et Limoges.
5Figure 13. Vue présumée en 2014 de l’endroit représenté à la figure 12. Cliché auteur.
5Figure 14. Train dans la campagne dans Bourdin, 1840. BNF.
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Payen6, a circulé sur la ligne dès son ouverture. La seconde (figure 14) représente un train passant devant la guérite d’un cantonnier. On retrouve ces vignettes dans plusieurs autres publications, principalement dans les guides Bourdin puis les guides Hachette relatifs aux lignes de l’Ouest, cela jusqu’en 1853.
La ligne de Paris à Corbeil Longue de 30,2 km, la ligne de Paris à Corbeil est inaugurée le 20 septembre 1840 par la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans, dont elle constitue l’amorce (tronçon commun sur 18,6 km, de Paris à Juvisy). Une gravure, de provenance inconnue, datée de 1850 par Dollfuss7, mais probablement plus ancienne, nous montre « La gare de la place Valhubert vers 1840 », l’origine parisienne de la ligne. L’incertitude quant à la provenance et la date laisse des doutes sur l’exactitude du dessin (figure 15). Les premières images crédibles ont été publiées par le journal L’Illustration le 6 mai 1843, au lendemain de l’inauguration du prolongement de la ligne depuis Juvisy jusqu’à Orléans (102,4 km). Y sont reproduites des vues de la ligne et de l’embarcadère de Paris en bordure de la rive gauche de la Seine (figure 16). Bien qu’il ait été agrandi ultérieurement, le bâtiment administratif, qui donne directement sur la place Valhubert, témoigne encore du bâtiment d’origine.
5Figure 15. La gare de la place Valhubert à Paris, origine inconnue.
5Figure 16. Chemin de fer d'Orléans, Embarcadère de Paris, par Champin dans L’Illustration du 6 mai 1843.
À partir de 1843, de très nombreuses illustrations représentant la ligne de Paris à Orléans et son embranchement sur Corbeil sont publiées. La seule partie comprise entre Paris, Juvisy et Corbeil a ainsi fait l’objet d’au moins 48 illustrations entre 1840 et 1868. Parmi celles-ci, douze intéressent la gare de Paris, trois le bâtiment d’administration, cinq les ateliers de construction et d’entretien du matériel d’Ivry
et vingt-huit les paysages entre Paris et Corbeil (incluant douze gares ou stations, deux passerelles et deux ponts). 6. Jacques Payen, Bernard Escudié, JeanMarc Combe, La Machine locomotive en France, des origines au milieu du XIXe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1986. 7. Charles Dollfus, Edgar de Geoffroy, L’Histoire de la Locomotion Terrestre, vol. 1, Les Chemins de fer, Éditions L’Illustration, 1935, 376 p.
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Ces illustrations, dans leur très grande majorité, ont été produites entre 1843 et 1845 par JeanJacques Champin (1796-1860), notamment pour les besoins de son album Paris-Orléans ou parcours pittoresques du chemin de fer de Paris à Orléans 1 qui ne compte pas moins de cinquante lithographies et autant de vignettes sur bois debout. Nous en avons
extrait, comme particulièrement représentative, la vue du débarcadère de Corbeil sous la neige (figure 17). Une autre série remarquable de lithographies a été réalisée en 1846 par A. Dauzats et P. Blanchard sous forme d’un panorama de 35 vues. Nous avons retenu ici la vue des ateliers d’Ivry (figure 18), également
prise pour modèle par d’autres artistes. 8. J.-J. Champin, S. Tuffet, Paris-Orléans ou parcours pittoresques du chemin de fer de Paris à Orléans. Publié sous les auspices de M. F. Bartholony président du conseil d’administration du chemin de fer de Paris à Orléans. Paysages, sites, monuments, aspects de localités choisies parmi ce qu’il y a de plus remarquables sur tout le trajet, Champin, 1845.
3Figure 17. Débarcadère de Corbeil par Champin, 1845. BNF.
4� Figure 18. Ateliers et remise d’Ivry par A. Dauzats et P. Blanchard, en 1846. Bibliothèque municipale d’Orléans.
Remerciements Nous tenons à remercier les conservateurs qui nous ont permis de publier certaines illustrations dont leurs institutions sont les dépositaires : Monsieur Romuald Goudeseune, de la Médiathèques d'Orléans ; Madame Élise Fau, du Musée national de la Voiture et du Tourisme de Compiègne ; Mesdames Aleth Jourdan et Isaline Portal du Musée du Vieux Nîmes. Nous remercions également Monsieur Nicolas Pierrot dont les patientes recherches ont permis de mettre au jour les remarquables illustrations de J.-C. Develly et qui nous a permis d’utiliser ses photos.
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1932. Les essais de l’automobile « Railroute » Dunlop Coll. Rails et histoire/Lucien Chanuc
Dans son édition du septembre 1932, la Gazette Dunlop consacre plusieurs de ses pages aux essais de l’automobile « Railroute » (une six cylindres Hotchkiss) mise au point par la célèbre firme de pneumatiques. Ces essais se sont déroulés le jeudi 4 août 1932, sur la nouvelle ligne de Gannat à La Ferté-Hauterive (quelques jours avant son ouverture officielle par le PLM le 25 du même mois), en présence du ministre des Travaux publics, Édouard Daladier. Le procédé a fait l’objet de deux brevets d’invention déposés en Belgique les 5 septembre et 1er décembre 1932.
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PATRIMOINE
Un tunnel, un viaduc. Petite ballade ferroviaire en Essonne Il y a un peu plus de dix ans, le 2 octobre 2004, le viaduc des Fauvettes, vestige de l’ancienne ligne du réseau de l’État de Paris à Chartes par Gallardon, et site phare de l’escalade en Île-de-France, était rouvert au public après plusieurs années de purgatoire. Le 21 juillet 1903 sont déclarés d’utilité publique les travaux d’une ligne de Paris à Chartres par Gallardon destinée à offrir aux chemins de fer de l’État une entrée indépendante dans la capitale. Mais, en rendant disponible la gare de ParisMontparnasse, la réunion des réseaux de l’Ouest et de l’État en 1909 ôte au projet une grande partie de son intérêt. Aussi, les chantiers ayant été maintes fois ralentis voire interrompus, n’est-ce que le 15 mai 1930 qu’une première section de 70 km est livrée à l’exploitation, depuis Massy-Palaiseau jusqu’à Chartres. Et, bien que la plateforme ait été établie pour deux voies, le trafic n’est assuré que par une seule voie. Vivement concurrencée par les transports routiers en plein essor, la ligne estfermée aux voyageurs dès le 1er août 1939, parcourue seulement par quelques circulations occasionnelles comme en septembre de la même année (mobilisation) et en mai 1940 (exode). Utilisée par les Allemands à des transports militaires et de ravitaillement, elle fait l’objet d’importants bombardements alliés en juin 1944. Sa remise en état d’exploitationétant jugée trop onéreuse, la dépose de la voie est autorisée le 14 février 1945 et son déclassement, réclamé par
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5Le viaduc des Fauvettes, considéré aujourd’hui comme « la plus belle falaise d’Île-de-France », fait le bonheur des fervents de l’escalade…
5… et des promeneurs qui, depuis 2004, peuvent le traverser sans danger en jouissant d’un panorama exceptionnel sur la vallée de l’Yvette. Photos Rails et histoire/Bruno Carrière.
la SNCF dès 1947, prononcé le 16 novembre 1953. De cette ligne éphémère subsistent encore quelques vestiges, dont un court tronçon situé au sud-ouest de Massy-Palaiseau, entre Bures-sur-Yvette et Gometz-le-Châtel. Devenu au fil du temps un chemin de randonnée, à l’image des « voies vertes » aménagées partout
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en Europe sur les plateformes de voies ferrées et chemins de halage, il offre aujourd’hui une succession d’ouvrages d’art, notamment un souterrain et un viaduc librement accessibles aux promeneurs. Long d’une centaine de mètres, le tunnel de Montjay, du nom du château érigé à proximité, est l’unique ouvrage de ce type construit
PATRIMOINE
pour les besoins de la ligne. Quant au viaduc d’Angoulême, du nom du ruisseau qui coule au creux du vallon boisé qu’il enjambe, il peut se piquer d’être l’un des plus imposants de la ligne et le mieux conservé en l’état. Achevé en 1913, construit en moellons de meulière, d’une longueur de 221 m et d’une largeur de 8,15 m, il compte douze arches de 15 m d’ouverture, dont la pile la plus haute mesure 34,64 m. Notons que l’on parle plus communément aujourd’hui du tunnel et du viaduc des Fauvettes, du nom du bois tout proche. Quoique utilisé de manière « sauvage » par des spéléologues et des grimpeurs depuis la fin des années 1970, et vite considéré comme « la plus belle falaise d’Île-de-France », le viaduc est interdit au public en 1997, une étude de la DDE de l’Essonne ayant révélé la fragilité de la dernière arche côté Gometz-leChâtel en partie éventrée par une bombe en 1944. Les actions combinées de plusieurs associations et clubs, dont le Cosiroc (Comité de défense des sites et rochers d’escalade) animé par Daniel Taupin (1936-2003), le sauvent de la destruction. L’État, toujours propriétaire de l’ouvrage, accepte en 2001 l’idée d’une restauration. Le 2 octobre 2004, après un an de travaux (reconstruction de l’arche endommagée, réfection de l’étanchéité, installations de garde-corps, réalisation de puits permettant la descente en rappel), le site est
5En suivant l’ancienne plateforme de la ligne, le flâneur peut rejoindre le tunnel de Montjay (ici côté Gometz-le-Châtel) et s’enfoncer sous la voûte. Photos Rails et histoire/Bruno Carrière.
de nouveau rendu aux fervents de l’escalade et aux promeneurs. Se pose alors la question de son entretien. L’État ayant annoncé son intention de se désengager, le viaduc devient en 2008 la propriété du Syndicat intercommunal de la coulée verte de
la vallée de l’Yvette (le Sicovy), créé en 2000 entreles trois communes de Bures-sur-Yvette, de Gometz-le-Châtel et des Ulis. À son initiative, des expertisesont été menées au cours de l’été 2013 afin de s’assurer de la solidité du viaduc.
Accès Se reporter au document édité par le Sicovy : www.cosiroc.fr/images/massifs/fauvettes/plans/plan_acces_sicovy.jpg Par le RER B : descendre à la Station Bures-sur-Yvette, franchir les voies (passage souterrain), longer le parking pour rejoindre la route de Chartres ; tourner à droite (en direction de Gometz-le-Châtel) et au premier rond-point prendre à gauche ; remonter la rue de Montjay (en direction des Ulis), passer devant le cimetière (à droite) et continuer jusqu’aux vestiges de la culée d’un pont-rail de l’ancienne ligne de Gallardon (à gauche) ; poursuivre sur une cinquantaine de mètres jusqu’à hauteur d’un banc, puis s’enfoncer dans la forêt par l’amorce d’un sentier (à droite) : vous êtes sur l’ancienne plateforme ; continuer tout droit et passer sous le tunnel pour rejoindre le viaduc.
Les Voies vertes : plusieurs sites Internet européens, nationaux ou régionaux, fournissent les cartes des Voies vertes de chaque territoire (mot-clé : voies vertes), comme • Association européenne des voies vertes : http://www.aevv-egwa.org/ • Association Française des Véloroutes et Voies Vertes : http://www.af3v.org/ • Carte de France des voies vertes : http://www.voies-vertes.info/
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ACTUALITES DE RAILS ET HISTOIRE
En marge de l’exposition sonore « Voix cheminotes. Une histoire orale des années 1930 à 1950 ».
Les cahiers d’Henri Lagarde (mai 1942-mai 1945) Prélude à la préparation de l’exposition sonore « Voix cheminotes. Une histoire orale des années 1930 à 1950 », l’appel à témoignages auprès des cheminots et de leurs familles a permis, outre les entretiens, de recueillir plus de 3 000 documents. Parmi ceux-ci, les deux cahiers scrupuleusement tenus par Henri Lagarde (1922-2012) pendant la guerre. Agrémentés de photographies et de dessins, et complétés de paroles de chansons de l’époque et de sa composition, ces cahiers, véritable chronique quotidienne, relatent : le premier, son passage aux Chantiers de jeunesse (du 30 mai 1942 au 20 janvier 1943) et le début de son séjour à Erfürt, en Allemagne, au titre du STO (du 29 juin 1943 au 31 octobre 1944) ; le second, la fin de son exil outre-Rhin et de son retour en France (du 1er novembre 1944 au 30 mai 1945). L’entretien accordé le 28 mars 2012, peu avant son décès, par Henri Lagarde à Myriam FellousSigrist, collaboratrice de Rails et histoire, donne un bon aperçu du contenu de ces deux cahiers. Son écoute est disponible. Il fait partie des 29 témoignages de la rubrique « Vie et travail au quotidien pendant la Deuxième Guerre mondiale : mémoire et récits de cheminots » qui peuvent être librement écoutés à partir de la base de données en ligne « Mémoire orale de l’industrie et des réseaux » (www.memoire-orale.org/). Trois heures durant, notre homme y évoque ses années de guerre (www. memoire-orale.org/notice.php?id=131). Né en 1922, dans l’Aude, d’un père agriculteur et d’une mère couturière), il entre au chemin de fer en mars 1940, à Lézignan-Corbière, toujours dans
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l’Aude, comme « comptable » pour pallier l’absence du père mobilisé. Deux ans plus tard, il est enrôlé dans les Chantiers de la jeunesse, affecté dans un camp établi en bordure du lac d’Estaing, dans les Hautes-Pyrénées. Il y reste huit mois, le temps d’accomplir la période de substitution au service militaire imposée à tous les jeunes de 20 ans. De retour à son poste de travail, il est rattrapé par le Service du travail obligatoire (STO). Après avoir songé un instant à l’Espagne et, de là, l’Angleterre, il y renonce pour ne pas mettre ses parents dans l’embarras. C’est accompagné de plusieurs copains, tous entrés à la SNCF en même temps que lui, qu’il rejoint le 2 juillet 1943 Erfurt, en Thuringe, au terme d’un périple d’une semaine.
5Carte établissant l’appartenance d’Henri Lagarde comme travailleur au service de la Reichsbahn.
Logé dans un camp abritant douze baraquements occupés, outre un fort contingent de Français, par des Belges, des Hollandais et des Ukrainiens, il est affecté au triage voisin, préposé au graissage des boîtes d’essieux. Là, il enchaîne les journées de douze heures, agrémentées d’un repos de 24 heures tous les dix jours. Le plus pénible est de travailler le ventre vide. Aussi les colis adressés par ses parents sont-ils attendus avec impatience. De la SNCF, qu’il rend responsable de son exil forcé, il ne reçoit qu’un seul envoi pour le Noël 1943, l’unique contact qu’il aura avec l’entreprise. Excepté les exactions de la Gestapo et l’épreuve des exécutions publiques pour vols de nourriture, délit auquel il participe en
ACTUALITÉS DE RAILS ET HISTOIRE
bande organisée avec ses amis, les relations avec l’employeur ennemi et la population restent « cordiales ». Le directeur du camp ferme les yeux sur les « écarts » de ses locataires, notamment l’aide qu’ils apportent aux prisonniers évadés, et le chef de gare prend Henri sous son aile. La vie dans le camp n’est pourtant pas de tout repos, les conditions d’hygiène laissent à désirer et les rixes entre résidents, parfois mortelles, ne sont pas rares. Heureusement, les travailleurs du STO sont libres de se déplacer. Ils en profitent pour fréquenter les cafés et participer aux activités locales. Henri s’adonne aussi à la photographie. Ses clichés développés en ville n’étant pas toujours anodins – certains témoignent de la dure condition des hommes soumis au STO – lui attirent des ennuis. Reconnu malade, il est bientôt reversé au nettoyage des trains de voyageurs grandes lignes et banlieue. Un poste qui l’amène à travailler au contact de femmes allemandes. Ce qui n’est pas pour lui déplaire – les dessins illustrant les pages de son second cahier sont éloquents – en dépit des risques encourus. En cas de relations avérées, c’est le camp de concentration qui l’attend. Plus redoutables sont les bombardements alliés, le recours aux abris n’étant autorisé qu’au dernier moment.
5Retraité depuis 1977, Henri Lagarde nous a quitté en 2012, à 90 ans. Rails et histoire/Archives orales.
Après la libération d’Erfurt par les alliés le 13 avril 1945, commence pour Henri Lagarde les affres du retour au pays natal. Le rapatriement, ponctué par un séjour d’un mois dans un camp (gardé par des sentinelles !) afin de ne pas gêner le mouvement des troupes vers le front, s’effectue par la route, à pied puis par camions. Arrivé à la frontière, son périple se poursuit dans un wagon à bestiaux jusqu’à Paris, rejoint le 24 mai. Puis c’est le retour à Lézignan le 30 du même mois, et la reprise du travail après huit jours de repos. « Voilà comment se termine ma déportation », écrit Henri Lagarde dans son second cahier en guise de conclusion. Pour lui, ce mot n’est pas trop fort. Il rend la SNCF responsable de son sort : « C’est le chemin de fer qui m’a envoyé là-bas. » L’une des raisons aussi de sa volonté de témoigner, « pour que ça se sache qu’en Allemagne il n’y avait pas que des vendus ». L’occasion également de pouvoir s’épancher car, à son retour, impossible d’évoquer ses deux années de « captivité », « personne ne s’y intéressait ».
5Une page du deuxième cahier d’Henri Lagarde. Récits des journées du 26 au 27 novembre 1944 rythmées par les bombardements alliés. SNCF, Service archives documentation, archives historiques.
« Voix cheminotes. Une histoire orale des années 1930 à 1950 ». Du 8 avril 2015 au 20 juin 2015, salle d’exposition des Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine, du lundi au samedi, sauf les 1er, 2 mai, 8, 9, 14, 23 et 25 mai. Entrée gratuite. Les Rails de l’histoire, n° 8 - avril 2015
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ACTUALITES DE RAILS ET HISTOIRE
Le printemps de Rails et histoire Notre association connaît un nouvel élan, concrétisé par l’adoption d’un nom d’usage – Rails et histoire –, de nouveaux statuts et par l’élection, par l’assemblée générale ordinaire du 14 avril 2015, d’un conseil d’administration de douze membres. Des orientations stratégiques ont été définies et adoptées par le conseil d’administration, tout en maintenant ses missions fondamentales, devenues traditionnelles, qui font sa singularité :accompagner les tra-
L’assemblée générale extraordinaire de Rails et
vaux scientifiques, la recherche, accorder
histoire du 22 janvier 2015. Cl. Rails et histoire.
une aide aux jeunes chercheurs ; collecter, sauvegarder, partager les éléments du patrimoine matériel et immatériel de l’univers ferroviaire ; diffuser les connaissances, en insistant sur les dimensions humaines de
l’adhésion que nous menons : Les Rails de l’histoire, journal de l’Association pour l’histoire des chemins de fer est comme vous
l’univers ferroviaire.
le savez hors commerce et destiné aux
Parmi les orientations nouvelles, trois sont
exemplaires à la disposition de ceux d’entre
étroitement liées : élargir l’audience de
vous qui souhaiteront les offrir – accompa-
l’association, favoriser le bénévolat pour
gnés d’un bulletin d’adhésion.
membres de l’Association. Nous tenons des
mener les activités de Rails et histoire, et décentraliser les activités de l’Association.
Vous pouvez aussi inviter des proches à vous
En effet, seul un élargissement de l’audience
rejoindre lors des différentes manifestations
de l’association peut lui assurer une « base »
inscrites à notre calendrier en 2015 – un
suffisante pour que le souhait d’une action bénévole s’y fasse jour ; de la même façon, si les adhésions ne sont pas rapidement multipliées, Rails et histoire n’aura ni les motifs ni les moyens de décentraliser ses activités.
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agenda bien rempli qui fait place à toutes les façons d’aimer l’histoire et le chemin de fer et à consulter le site www.ahicf.com. Nous précisons enfin que l’administration fiscale a reconnu l’intérêt général qu’elle présente, ce
C’est pourquoi nous lançons un appel à
qui permet à Rails et histoire de solliciter des
chacun de nos lecteurs, car chacun est un
contributions dans le cadre juridique et fiscal
acteur de la campagne d’encouragement à
du mécénat et d’émettre des reçus fiscaux.
Les Rails de l’histoire, n° 8 - avril 2015
« Sur les Rails de l’histoire » Chose promise, chose due. Prolongement de notre journal Les Rails de l’histoire, la nouvelle rubrique « Sur les rails de l’histoire » est désormais en ligne sur notre site. Il nous reste à la faire vivre, ce qui n’est pas aussi évident qu’il n’y paraît. J’ai conscience qu’elle est perfectible et qu’elle connaîtra maints ajustements – qui sait, grâce à vos remarques et à vos suggestions – avant d’atteindre son rythme de croisière. Bruno Carrière bruno.carriere@ahicf.com
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