Les Rails de l'histoire n°6

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Le journal de l’Association pour l’histoire des chemins de fer

• Actualité de l’histoire Manger, dormir... La cantine militaire de la gare de l’Est • Espace des adhérents Les premiers chemins de fer en France à travers les illustrations. 1er épisode : l’année 1839 • Figure Antoine-Rémy Polonceau (1778-1847) et le rail • Culture ferroviaire Évolution des abris de locomotives à vapeur • Portail des Archives À l’usage des voyageurs : les gares de Paris en 1938 • Patrimoine La dépose des voies ferrées pendant la Seconde Guerre mondiale (3e partie) • Actualités de l’AHICF Nouvelles de la bibliothèque Le programme du Centenaire

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l’histoire

Avril

Les Rails de

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Illustration de couverture : Installée à la gare de l’Est en 1917 grâce aux généreux subsides de la fondation américaine Dupont de Nemours, le « restaurant du soldat », à la différence de la cantine militaire, exigeait une participation financière des soldats. Coll. privée.

Les grands rendez-vous de l’AHICF • Avril 2014 – Les Rails de l’histoire, Journal de l’AHICF, n° 6 • Mardi 8 avril 2014 – Assemblée générale des membres de l’AHICF, suivie d’une conférence publique, par le professeur Jean-Pierre Williot (université François-Rabelais, Tours)

ISSN : 2116-0031

• Mercredi 9 avril 2014 – Séminaire de l’AHICF et de l’UMR AUSser n° 3329 / CNRS « Réinventer le tramway ? Quarante années de TCSP, tramways et transports guidés en France : controverses et réalisations », Séance 6 – « Le tramway à Paris »

Éditeur : Association pour l’histoire des chemins de fer, 9 rue du Château-Landon, 75010 Paris

• Samedi 26 avril 2014 – « Les cheminots dans la Résistance », journée d’études, La Coupole, centre d’histoire et de mémoire du Nord - Pas-de-Calais

Directeur de la publication : Jean-Louis Rohou Rédaction : Bruno Carrière Secrétariat d’édition : Marie-Noëlle Polino Ont contribué à ce numéro : Bruno Carrière Jean-Marc Combe Gilles Degenève Denis Hannotin Christine Moissinac Joseph-Jean Paques Maquette et mise en page : Isabelle Alcolea Impression : SNCF, Centre Éditions-La Chapelle, 75018 Paris Avril 2014 Les Rails de l’histoire est édité par l’Association pour l’histoire des chemins de fer (AHICF), 9, rue du Château-Landon, 75010 Paris. Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation par tous procédés réservés pour tous pays, conformément à la législation française en vigueur. Il est interdit de reproduire, même partiellement, la présente publication sans l’autorisation écrite de l’éditeur. La rédaction n’est pas responsable des textes et illustrations qui lui ont été communiqués. Les opinions émises par les auteurs n’engagent qu’eux-mêmes.

• Mai 2014 – Lancement de la nouvelle version du site www. ahicf.com • Juin 2014 – Lancement du programme de recherche et de manifestations 2014-2016 « Vingt années sous la Manche » • 17 juin 2014 – Journée des étudiants de l’Association pour l’histoire des chemins de fer • 19-20 juin 2014 – Participation de l’Association au colloque organisé par le Comité d’histoire du ministère de l’Écologie pour le centenaire de la première guerre mondiale, Paris «Travaux publics de guerre et d’après-guerre : administration, politiques et expertises autour d’un ministère civil mobilise (1914-1929) » • 3-5 septembre 2014 – Colloque « Gares en guerre, 19141918 », reçu par la mairie du 10e arrondissement, Paris (sur inscription) • 5-7 septembre 2014 – « 1914-2014 – Du Pain et des Liens », évocation de la cantine des soldats en gare de l’Est, inauguration publique avec concert le 5 septembre à 18 h • Octobre 2014 – Séminaire de l’AHICF et de l’UMR AUSser n° 3329 / CNRS « Réinventer le tramway ? Quarante années de TCSP, tramways et transports guidés en France : controverses et réalisations », Séance 7 • Novembre 2014 – Les Rails de l’histoire, Journal de l’AHICF, n°7


Édito Sur les rails de la mémoire ? 1914, 1944, 1994 : 2014 est une année de commémoration, d’abord de l’année où

l’humanité entra dans le 20e siècle par la guerre, ensuite de celle qui la vit commencer à sortir

Sommaire • Actualité de l’histoire - p. 4 Manger, dormir... La cantine militaire de la gare de l’Est • Espace des adhérents - p. 16 Les premiers chemins de fer en France à travers les illustrations. 1er épisode : l’année 1839

enfin la célébration du 20e anniversaire de

• Figure - p. 22 Antoine-Rémy Polonceau (1778-1847) et le rail

contribué à construire notre espace européen.

• Culture ferroviaire - p. 28 Évolution des abris de locomotives à vapeur

d’une autre guerre, aux traces toujours présentes, l’inauguration d’un lien entre deux pays qui a La question partout posée est celle du sens de

la commémoration : son utilité et ce qu’elle doit dire pour nous parler – à nous, contemporains de tous âges qui entretenons des liens person-

nels et collectifs très divers avec chacun de ces événements passés.

Si le souvenir est une obligation collective, la commémoration est un choix. Ce n’est pas une

• Portail des Archives - p. 36 À l’usage des voyageurs : les gares de Paris en 1938 • Patrimoine - p. 44 La dépose des voies ferrées pendant la Seconde Guerre mondiale (3e partie) • Actualités de l’AHICF - p. 52 Nouvelles de la bibliothèque Le programme du Centenaire

célébration, plutôt un jalon que nous décidons

de planter dans la durée pour nous donner une

position par rapport à ces événements passés. Nous voici alors revenus sur les rails de l’histoire : car ce passé, il faut toujours mieux le

de l’histoire et de la mémoire depuis 70 ans ;

dans la Première Guerre mondiale, nous avons

un travail de recherche et de collecte d’archives,

connaître. C’est pourquoi, pour parler des gares

pour marquer la fin d’une période, nous lançons

choisi, dans la même semaine, de faire suivre un

orales et écrites, sur les vingt premières années

propose la médiation, par la création artistique,

Les enseignements de cette année seront mul-

colloque d’histoire par un événement public qui

de cette histoire ; pour rappeler les événements

de 1944, nous avons recours à l’exposition, qui donne à voir le résultat du travail conjoint

de la liaison ferroviaire fixe transmanche.

tiples, à toutes les échelles géographiques. À cha-

cun, à chacune de nous de décider, où il se trouve, quel regard il choisit de porter sur l’histoire.

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5 Ravitaillement d’un train militaire par une cantine de gare. Tableau du peintre et dessinateur Louis Sabattier (1863-1935), L’Illustration n° 3872 du 19 mai 1917. Coll. AHICF

En tant qu’annexes des infirmeries de gare, la création des premières cantines de gare est à mettre, fort logiquement, à l’actif de la Croix-Rouge française, plus exactement des trois associations réunies sous son nom : la Société française de secours aux blessés militaires, dont l’acte fondateur (25 mai 1864) est antérieur à la convention de Genève (22 août 1864), l’Association des dames françaises (1879) et l’Union des femmes de France (1881). L’histoire et les engagements de ces associations pourvoyeuses d’importants contingents d’infirmières (création de postes de secours et d’hôpitaux sur les sites de catastrophes naturelles et de conflits armés) ont été retracés, peu avant la guerre, par une série d’articles publiés en 1913 et 1914 par la revue Armée et Marine1. « Bras armé » de la Croix-Rouge française, la Société française de secours aux blessés militaires a déjà à son actif la création, fin 1914, et dans la seule région de l’Est, de 83 infirmeries et 35 cantines de gare. 1- Revue hebdomadaire illustrée des armées de terre et de mer en ligne sur Gallica (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32702175h/date).

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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

Manger, dormir… La cantine militaire de la gare de l’Est Un refuge apprécié des « poilus » de passage à Paris Dès le début du conflit, des structures d’assistance les plus diverses, tant publiques que privées, se multiplièrent à travers le pays avec la mission de venir en aide aux populations les plus fragiles. Les soldats et notamment, les permissionnaires à partir de 1915, firent l’objet d’une attention particulière. C’est ainsi que furent ouverts, notamment à Paris et dans sa banlieue, des lieux d’accueil qui leur étaient spécialement destinés. La « cantine militaire » de la gare de l’Est fut l’une des manifestations de cette solidarité. Sa « renaissance » éphémère grâce à notre association (du 5 au 7 septembre prochains) dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale, sous la forme d’une évocation des valeurs qu’elle a contribué à construire, nous a incité à en savoir plus sur sa création et sur son rôle. Signalons cependant que cette étude qui repose presque exclusivement sur le dépouillement de la presse de l’époque est tributaire de tous les « à peu près » liés à ce type de source et pourrait être précisée par les archives, notamment militaires. Bruno Carrière

Dans les premiers jours qui suivent le déclenchement des hostilités, une cantine est aménagée dans les emprises de la gare de l’Est, financée tant par l’autorité militaire que par les premières œuvres de bienfaisance privées dont le nombre croît à travers toute la capitale. Elle distribue nourriture et vêtements aux premiers évacués de Toul et de Belgique. À la suite de difficultés de fonctionnement, la gestion de la cantine est vite confiée à l’Union des femmes de France et placée sous la direction d’une toute jeune femme, Suzanne Richard. Installée depuis le 10 septembre 1914 dans les locaux de la douane, elle se maintient grâce aux subsides de l’autorité militaire et aux dons, la Compagnie de l’Est refusant toute quête dans l’enceinte de la gare. Cette situation, qui l’oblige à n’accorder la gratuité de ses secours qu’aux soldats les plus démunis, perdure jusqu’au 1er mai 1915, date à laquelle des quêtes restreintes sont enfin autorisées. Ce qui l’amène à étendre la gratuité à tous à partir du 10 octobre 1915. Mais ce n’est qu’à la fin de cette même année, conséquence de la généralisation

des permissions accordées aux soldats à partir du 1er juillet, que la cantine prend toute sa dimension avec l’octroi par le conseil municipal de Paris, le 29 décembre, d’une première subvention de 10 000 francs « afin d’assurer le couchage des permissionnaires de passage à Paris », à charge pour la préfecture de Police d’assurer la bonne gestion du lieu.

Ventre plein, ventre creux En novembre 1915, Le Petit Parisien consacre à la cantine de la gare de l’Est un premier « papier » élogieux.

« Les huit ou neuf mille à permissionnaires qui, venant du front – ou y retournant – traversent chaque jour la gare ont une surprise agréable. « La cantine aménagée à leur intention dans l’ancienne salle de visite de la douane a subi d’heureuses améliorations grâce à l’intelligente initiative de Mlle Suzanne Richard, que secondent depuis quinze mois Mmes Ragot et Hault.

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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

« La réfection a maintenant un petit air tout à fait engageant avec ses tables couvertes de toile cirée à damier rouge et blanc, ses trophées de drapeaux, ses tentures, ses plantes vertes ; on sert là une moyenne de 300 repas chauds, gratuits pour les soldats des régions envahies et les blessés de guerre, auxquels des bons sont délivrés par la commission militaire de la gare2. « Un “salon” de correspondance et de lecture est à la disposition des militaires – qui paraissent apprécier beaucoup cette délicate attention. « Une haute cloison sépare le réfectoire d’un dortoir doté de 80 lits – le nombre en sera prochainement augmenté – grâce à l’inépuisable générosité de M. Taride, délégué cantonal du dixième arrondissement. « Les permissionnaires qui, en attendant une correspondance, devaient passer la nuit dans la gare, sont heureux d’y trouver maintenant un peu plus de confort. Un grand lavabo permet à nos poilus de faire un brin de toilette et de ne point porter en ville la boue des tranchées. » [Le Petit Parisien, 7 novembre 1915]

... aménagée dans la salle des douanes. Le Petit Parisien, 7 novembre 1915.

« Les héros sans gîte. Les permissionnaires qui passent par Paris ont droit, pour dormir aux bancs des boulevards et au pavé des rues ! » C’est sous ce titre accusateur que, quelques semaines plus tard, Le Matin, prenant le contrepied de son confrère, dénonce le fait que toutes les nuits « plus de trois cents hommes, soldats et sous-officiers, errent dans Paris, sans asile et le ventre creux ».

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« Le train arrive des confins de la bataille. Quinze cents permissionnaires sautent sur le quai. Ils sont trempés de boue jusqu’aux épaules. D’aucuns ont hâte d’aller embrasser la famille qui les attend derrière les grilles. Les vieilles mères et les enfants sont là, malgré l’absence de lumière, qui rend les rues si dangereuses. « Mais la liberté ne s’acquiert pas si vite. Il faut que les permissions soient visées. Derrière une table, il y a deux gendarmes, deux seulement, qui, en faisant diligence, mettent deux heures à examiner toute la paperasse. Les héroïques statues de boue qui attendent en grelottant laissent entendre des mots regrettables, mais justes. Heureux Parisiens, quand les trop lentes formalités sont terminées, ils ont un asile qui les attend. « Mais les autre, ceux de la province, qui ont une nuit à passer avant qu’un train les emmène plus loin, que deviennent-ils ? « Il y a une cantine à la gare de l’Est, une cantine cachée qu’aucune pancarte ne désigne à ceux qui ignorent son existence. Les ressources de la cantine sont maigres et ce qu’elle offre est peu abondant. Les premiers arrivés trouvent un morceau de pain, les autres trouvent l’espoir de manger plus tard. « C’est la nuit. Il faut coucher 150 hommes environ. « La cantine possède 80 lits, dont 40 fournis par le mobilier national, et provenant du «décrochez-moi ça» des palais impériaux. D’autres ont été donnés par un citoyen admirable autant que modeste, qui se cache dans l’anonymat, et qui a déjà dépensé plus de 300 000 francs pour les permissionnaires. « Quatre-vingts soldats sont donc couchés. D’autres s’étendent sur les chariots à bagages, sur les bancs, sur le sol humide du hall. Un certain nombre tente le hasard des rues s’ils ont une pièce de cent sous dans la poche, deviennent la proie des racoleurs et des racoleuses qui leur prêtent un gîte pour les dépouiller. Ceux qui n’ont pas d’argent déambulent dans les rues, sans autre espérance que de ne pas geler, et finissent par s’endormir, éreintés, sur les bancs des boulevards. 2- La cantine distribue des repas gratuits aux militaires et leur cède au prix coûtant le pain, le vin, la bière et autres aliments dont ils désirent se munir pour la route.


ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

Gare de l’Est, il n’y a pas que la cantine militaire Le Foyer du soldat Le 16 mai 1916, l’Œuvre des Foyers du soldat10 ouvre une antenne gare de l’Est au 131, rue du FaubourgSaint-Martin, dans un local mis gracieusement à sa disposition par la Compagnie des chemins de fer de l’Est. « Ce foyer est spécialement réservé aux soldats quittant Paris par cette gare » [Le Petit Journal, 16 mai 1916]11 . Relayant l’information, Le Petit Parisien rend compte deux semaines plus tard du succès rencontré par le nouvel établissement : « Entre dix heures du matin et quatre heures du soir il y défile, chaque jour, sept cents militaires environ, qui y lisent, y jouent aux cartes, s’y restaurent, y écrivent leur correspondance. Un vestiaire permet aux permissionnaires de se débarrasser de leurs bagages pendant leur passage à Paris. Il trouve également au foyer tous renseignements utiles concernant l’hébergement, le couchage, etc. Enfin, des consommations hygiéniques : thé, café, chocolat, bière, sirop, limonade, bouillon, sont servies, au prix de 10 centimes. Un morceau de pain est, en outre, remis gratuitement à chacun. « La salle, grande et claire, prélevée sur la "consigne" et étant déjà devenue trop étroite pour tous ses hôtes de passage, la Compagnie de l’Est a été sollicitée de céder une nouvelle portion de bâtiment, qui – l’ancienne demeurant affectée au restaurant – sera réservée à la lecture, à la correspondance, aux jeux, au repos. » [Le Petit Parisien, 3 juin 1916]

Le « restaurant du soldat » « Grâce à une nouvelle libéralité américaine – la fondation Dupont de Nemours – un pavillon démontable a été installé dans la cour de la gare de l’Est, à l’intention des poilus permissionnaires. Depuis hier, un

5Mme Bouchor au Foyer du soldat de la gare de l’Est. D’après le tableau du peintre Joseph-Félix Bouchor (1853-1937) conservé au Musée national de la coopération franco-américaine / château de Blérancourt, Aisne. Carte postale, coll. privée.

repas chaud leur est servi, pour la somme de 0 fr 75. 750 convives se sont ainsi restaurés entre 10 h du matin et 7 h 1/2 du soir. Il en sera de même jusqu’à la fin de la guerre.» [Le Petit Parisien, 12 avril 1917]

Le bureau de renseignements militaire Outre la création de lits supplémentaires dans les emprises des gares du Nord et de l’Est, le préfet de Police Louis Hudelo s’emploie à mettre en place, dans le périmètre de la gare de l’Est, un bureau de renseignements militaire réservé aux permissionnaires : « Ce bureau, installé dans une baraque édifiée sur le trottoir, à l’angle du faubourg SaintMartin et de la rue de Strasbourg, sera occupé par un sous-officier désigné par la place, et par des gardiens de la paix. Ils auront mission d’indiquer, aux soldats, leur chemin et les endroits où ils trouveront à se restaurer et à se reposer. » [Le Petit Parisien, 16 septembre 1917]

La cantine franco-américaine dite des « Deux drapeaux » L’année 1917 est marquée par l’entrée en guerre des États-Unis. Elle se traduit par l’ouverture, en gare de

l’Est, toujours à l’initiative du préfet Hudelo et sous l’égide de la CroixRouge américaine, d’une nouvelle cantine dite des « Deux drapeaux », placée sous la direction de Suzanne Richard : « D’autre part, M. Hudelo a fait installer, dans un chalet, près de la sortie de la gare de l’Est, située faubourg Saint-Martin, une cantine, où pourront se restaurer les soldats débarquant après la fermeture des cafés et des restaurants » [Le Petit Parisien, 16 septembre 1917]. En effet, la particularité de cette cantine est d’être ouverte la nuit : « Les soldats qui arrivent en grand nombre à Paris aux environs de minuit, alors que tous les restaurants sont fermés, y trouvent des boissons chaudes et réconfortantes. » [Le Temps, 22 septembre 1917] 10- Héritière de l’Œuvre des cercles des sousofficiers et des soldats créée dans les années 1880 et reconnue d’utilité publique en 1891. 11- Dans le même temps était inauguré le Foyer du soldat de la gare Montparnasse aux 65-67 rue du Montparnasse [Le Petit Parisien, 13 mai 1916], créé à l’initiative du Conseil national des femmes françaises (Section d’hygiène) dans le souci de mettre un frein à l’alcoolisme favorisé par le désœuvrement. Cet organisme contrôlait plusieurs « cercles » ou « foyers du soldat », le premier ayant été ouvert à Rouen le 29 avril 1915.

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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

« La cantine de la gare du Nord a aussi des lits, en nombre insuffisant, mais elle a des lits, et la Société de secours aux blessés y a accompli des miracles. Par contre, la gare Montparnasse n’a que trois lits pour des centaines de permissionnaires qui arrivent du front ou qui y retournent ! « Nos héroïques soldats ne se plaignent pas ; ils ont fait le sacrifice d’eux-mêmes. Mais ceux qui ont assisté à ce spectacle douloureux déplorent qu’ont leur ait donné l’occasion de le voir. » [Le Matin, 28 décembre 1915] Suzanne Richard proteste aussitôt auprès du journal qui, dès le lendemain, prend acte du fait que son établissement « distribue jour et nuit, aux soldats permissionnaires, des repas complets ».

Le port de refuge, la halte, l’heure de repos Le 14 avril 1916, le conseil municipal vote un nouveau secours de 10 000 francs3. L’occasion pour le rapporteur de dresser un premier bilan de l’utilisation de la subvention initiale. « Les installations nécessaires à l’hospitalisation des soldats permissionnaires ont été sans retard organisées ou améliorées dans les locaux de la gare du Nord et de la gare de l’Est ; les militaires ont trouvé, dans des salles de repos, des dortoirs et des cantines convenablement appropriés, l’abri et le réconfort que vous aviez souhaités pour eux. « Des chambres leur ont été également réservées dans un hôtel du voisinage. » « [...] Au 1er avril dernier, 50 000 permissionnaires environ avaient pu bénéficier des dispositions prises en leur faveur au nom de la ville de Paris. [...] Le service de santé ayant indiqué son désir que les militaires en permission pussent, à leur descente de train, prendre des bains et des douches, des pourparlers viennent d’être engagés dans ce but avec le propriétaire d’un établissement proche de la gare de l’Est. Ils ne tarderont pas à aboutir4. » [Bulletin municipal officiel, 15 avril 1916] À peine plus d’une semaine plus tard, Georges Cain, chroniqueur au journal Le Temps, confirme

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les progrès réalisés à la suite d’une visite rendue au peintre Théophile Steinlen (1859-1923) dans le cadre d’une enquête sur les illustrateurs témoins de la guerre. Plusieurs des « croquis » dévoilés ayant trait aux permissionnaires de la gare de l’Est, Cain décide de partir à la découverte de ce que Steinlen considère comme étant « encore aujourd’hui l’un des coins les plus émouvants de Paris ». Ses pas le conduisent à la cantine. « Toute hésitation eût été coupable. Aussi, dès le lendemain, déférant aux justes conseils de l’ami Steinlen, prenions-nous le chemin de la gare de l’Est, et nous voici, avant l’heure du déjeuner, errant dans les salles immenses, les halls gigantesques. Nous nous adressons à un agent. Cet homme n’a pas une seconde d’hésitation : « “Puisque vous voulez voir quelque chose de curieux et de beau, entrez là, messieurs”, et de la main, il nous désigne une sorte de cantine ou, mieux, d’abri installé à grand renfort de bancs, de tables, de châlits, de sommiers de toutes formes et de toutes dimensions. C’est le port de refuge, la halte, l’heure de repos, c’est mieux que le croûton de pain, la soupe et le verre de bière réparateurs, c’est le bon accueil, la cigarette gentiment offerte, le lit, le vrai lit avec draps et couvertures, c’est la main tendue, c’est surtout l’indulgent et honnête sourire d’une de ces dames blanches que vénèrent à si juste titre nos troupiers. « L’une de ces admirables femmes veut bien se faire notre guide. « - C’est indéniable, nous avons de l’ouvrage, mais cela ne compte pas Nous sommes trois pour veiller à tout et pourvoir à la besogne, besogne d’ailleurs facile, ces vaillants soldats sont si polis, si reconnaissants de la moindre attention. Je ne saurais nier que de temps en temps il ne se présente pas quelque bonhomme ayant trop fêté la dive bouteille, mais nous sommes indulgentes par état 3- Le vote de deux autres subventions, d’un même montant, suit les 12 juillet et 24 novembre 1916, l’habitude étant prise de renouveler ce secours tous les trimestres. 4- À partir du 4 mai, tous les permissionnaires disposent gratuitement de bains-douches chauds financés par la préfecture de Police à hauteur de 35 centimes par homme serviette et savon compris [Bulletin municipal officiel, 13 juillet 1916].


ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

et les pauvres braves sont excusables On ne les pas grisés que d’encens… Certes, ce n’est pas toujours commode de les raisonner et de les coucher. Mais le lendemain, au réveil, ils trouvent pour s’accuser et s’excuser de si jolis mots ; ils vous regardent avec de si bons yeux Et puis, à force de vivre avec les militaires, nous sommes militarisées nous aussi. Comptez que nous travaillons ici depuis les premiers temps de la guerre et que durant le seul mois de mars dernier nous avons hébergé plus de 3 500 permissionnaires Non, nous ne sommes pas trop fatiguées. D’ailleurs, notre situation s’est fort améliorée. Dès trois heures du matin, nous pouvons nous étendre sur un sommier, et ce sommier constitue pour nous un gros progrès, car, durant les quatre premiers mois, nous n’avons eu comme sofa que des brancards. Dans deux heures, ceux qui mangent dans cette salle remonteront dans un train qui les ramènera au front ; en attendant – vous le voyez – ils lisent, écrivent, jouent aux dames, aux dominos. » [« Croquis de guerre », Le Temps, 26 avril 1916] Le 25 décembre 1916, la cantine de la gare de l’Est offre un arbre de Noël aux permissionnaires de passage. L’occasion pour Le Temps de rappeler à ses lecteurs l’importance de cet établissement. « On sait que la gare de l’Est est l’un des coins de Paris les plus fréquentés par nos soldats permissionnaires. Ce que l’on sait moins, c’est l’inlassable dévouement avec lequel un petit groupe des Femmes de France, sous la direction de Mlle Suzanne Richard, est venu en aide à nos soldats sans excepter les réfugiés : 15 000 repas gratuits par mois, un dortoir de 220 lits, des lavabos, des bains-douches, des journaux, et pour finir des cigarettes. Tout cela représente une dépense mensuelle d’environ 100 000 francs, et cette cantine, uniquement alimentée par la charité publique, fonctionne depuis le début de la guerre. » [Le Temps, 26 décembre 1916]

Louis Hudelo, est interpellé par MM. Louis Rollin, Rebeillard et André Payer « sur les mesures à prendre pour assurer un abri convenable aux permissionnaires de passage dans les gares de Paris et notamment dans les gares du Nord et de l’Est ». Leur entrée en matière n’est pas sans rappeler le tableau dressé par Le Matin fin 1915.

« Quelle est la question ? Elle est bien simple : à l’heure actuelle, au 36e mois de la guerre, de nombreux permissionnaires de passage dans les gares de Paris ne trouvent pas un abri et leur couchage n’est pas assuré.

« Ils en sont réduits, notamment dans les gares du Nord et de l’Est, – où ils sont naturellement les plus nombreux – au gré de la rigueur des saisons, à se coucher à terre, sur les trottoirs, sur les escaliers, sur des chariots et le long même des avenues qui avoisinent les gares. « Leur présence a bien vite attiré là, tout un monde interlope de mercantis, de filles, d’individus suspects, d’étrangers même (vous le savez, Monsieur le Préfet, puisque vous en avez déjà fait arrêter quelques-uns), et tout ce joli monde, profitant de l’heure propice et obscure, où la lassitude et le découragement se glissent plus facilement dans les âmes, livrait chaque soir un assaut aux forces physiques et morales de nos soldats. Il s’est passé là des scènes scandaleuses ; les incidents les plus fâcheux et les plus regrettables se sont produits. » Au nom de ses confrères, le conseiller Rollin prend acte des « réels efforts » du préfet de Police pour remédier à cette situation. Mais, ajoute-t-il, protéger la santé morale des permissionnaires de passage ne suffit pas, il faut penser à leurs besoins et à leur bien-être, notamment leur assurer à tous un abri. Et notre homme d’établir un état des lieux.

« Vous avez à la gare de l’Est, dans les locaux de la cantine, un dortoir qui peut recevoir 130 hommes.

Contraints de coucher à terre, sur les trottoirs, dans les escaliers

« Un autre dortoir est installé rue des Récollets, dans une école de la Ville, où peuvent trouver place 200 permissionnaires5.

Le 29 juin 1917, lors de la séance du conseil municipal de Paris tenue ce jour, le préfet de Police,

5- Établissement géré par l’Œuvre du couchage des gares dirigée par M. Tarride.

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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

En banlieue aussi L’essentiel des convois de blessés contournant la capitale, c’est en banlieue qu’il faut rechercher les premières cantines de gare, nées spontanément d’initiatives privées locales, comme la cantine dite de l’aiguillage qui « s’est donné pour objet de ravitailler les longs trains de blessés, de soldats revenant du feu ou allant au front, qui stationnent souvent assez longtemps à la gare de Versailles-Chantiers » [Le Temps, 5 octobre 1916] ou encore celle d’Argenteuil-Grande Ceinture. Mais si cette dernière est activement soutenue par la municipalité, qui lui fournit le pain et le lait, et ses administrés, qui « se font un devoir d’apporter, chacun selon ses moyens, l’obole qui permettra de joindre quelque chose au morceau de pain distribué à chacun de ces braves frappés en nous défendant » [Le Petit Parisien, 28 septembre 1914], la Cantine de l’aiguillage est souvent

confrontée à des problèmes de fonctionnement. Difficultés qu’elle surmonte ponctuellement par la vente, lors de « journées » qui lui sont exclusivement réservées, de breloques telles, le 8 octobre 1916, qu’une « ravissante broche représentant la cigogne d’Alsace » ou encore, le 15 août 1917, l’épingle de cravate Rosalie, « notre baïonnette immortalisée par nos vaillants poilus, artistiquement et spécialement ciselée par le maître Falize ». Le conflit se prolongeant, les associations ayant pignon sur rue ajoutent leur pierre à l’édifice, à l’exemple de l’Association de dames françaises à La Chapelle-Marchandises, où sont reçus les trains de blessés à diriger vers les hôpitaux parisiens, ou de l’Œuvre des trains de blessés à la gare d’Aubervilliers. La cantine de La Chapelle, financée par le banquier Auguste Thurneyssen et dont l’épouse assure la direction, fait les gros titre de la presse le 14 juillet 1915 pour avoir présidé la veille à

la réception d’un premier contingent de grands blessés rapatriés d’Allemagne via la Suisse et Lyon : « Une série de cinq tables de dix couverts, dressées avec un luxe spécial, sur lesquelles des fleurs à profusion et des fruits jetaient une note de gaîté, avaient été disposées dans le grand hall ; des ambulancières, sous la direction de Mmes Thurneyssen et Silhol, assuraient le service. Un menu des plus copieux, avec du champagne, leur avait été préparé, et ce fut une joie de voir la reconnaissance de tous ces braves » [Le Petit Parisien, 14 juillet 1915]. L’importance du rôle joué par ces cantines, et leur impact sur le moral tant des soldats que des populations civiles, est bien perçu des plus hautes autorités qui n’hésitent pas à les honorer de leur présence. Le Président de la République Raymond Poincaré se rend ainsi à La Chapelle le 21 juillet 1915, son épouse à Argenteuil-GC le 29 juillet suivant.

Chaque nation alliée s’était fait un devoir d’offrir à ses soldats de quoi manger et dormir lors de leur séjour dans la capitale. Celle-ci était particulièrement prisée des permissionnaires retenus loin de leurs foyers en raison de l’occupation ennemie ou trop Loin de leur pays d’origine. Les murs des gares n’étant pas extensibles, la plupart de ces structures d’accueil, y compris celles destinées aux soldats français, étaient disséminées dans tout Paris et jusqu’en banlieue. Coll. privée.

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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

« Un troisième se trouve dans la salle des bagages, mais il est insuffisamment aéré. « Une caserne à proximité de la gare du Nord et de la gare de l’Est peut recevoir un certain nombre de permissionnaires ; mais ceux qui reviennent des cantonnements et des tranchées ne se sentent pas très attirés par un séjour, si rapide soit-il, dans une caserne. « Ces organisations sont tellement insuffisantes que l’autorité militaire fait construire à l’heure actuelle des baraquements dans la rue d’Alsace qui a été fermée. « À la gare du Nord, un dortoir est établi dans les locaux dépendant de la cantine de la gare. Un autre a été installé dans les sous-sols, grâce aux soins de M. Duponnois, commissaire divisionnaire. « [...] Mais là encore ces organisations sont manifestement insuffisantes, et l’autorité militaire s’efforce de les compléter par l’installation de baraquements rue Ambroise-Paré. » À défaut de promesses, Rollin réclame des réalisations concrètes6 et aborde la question des Foyers du soldat à créer aux alentours immédiats des gares de Paris (voir encadré, p. 10). S’ensuit une discussion plus générale sur les dysfonctionnements liés à la circulation des trains de permissionnaires et les premières mesures du préfet de Police visant à « épurer » les gares de leurs éléments interlopes. Ce qui permet à celui-ci de revenir au cœur du sujet, rendant au passage un hommage appuyé à « l’active et généreuse bienfaisance de femmes de cœur qui n’ont compté ni avec leur peine ni avec leurs fatigues »7. Il rappelle que les abris créés gare de l’Est et gare du Nord ont permis, en 1916, de soustraire 224 000 permissionnaires « aux rigueurs de la température et aux tentatives malsaines qui les guettaient », et, au cours du premier trimestre de 1917, quelque 62 000 autres8. Il juge cependant l’effort entrepris insuffisant et signale que, à sa demande, l’autorité militaire fait dans le moment même construire rue d’Alsace (gare de l’Est) et rue Ambroise-Paré (gare du Nord) des baraquements spéciaux pour y installer des lits réservés aux permissionnaires. « Ce qui importe, précise-t-il, c’est que ces abris soient proches des gares. Si le soldat

était obligé de faire un trajet un peu long pour s’y rendre, il préférerait coucher sur la dure. »

Harassés, les musettes vides Le préfet aborde ensuite la question de la création de nouvelles cantines « que le soldat trouverait ouvertes à l’heure où les cafés sont fermés et où il pourrait se désaltérer et trouver quelques aliments », service que ne rendent pas les cantines de la Croix-Rouge fermées le soir. Une situation également dénoncée par le conseiller Rebeillard : « Il y a là, en effet, une situation fâcheuse. Très souvent, il s’est produit que dans les gares du Nord et de l’Est, 1 200 permissionnaires arrivaient à 10 heures ½ du soir harassés après vingt-quatre ou vingt-cinq heures de trajet, les musettes vides, et ne pouvaient trouver une buvette ou une cantine pour leur fournir ou leur vendre les aliments et les boissons nécessaires. » L’occasion pour un autre conseiller, M. Aucoc, de témoigner de « l’inlassable dévouement de femmes admirables qui dépensent des trésors de charité pour venir en aide aux soldats en leur donnant du café, des boissons, des cigares et en organisant la veille des fêtes des concerts qui sont fort appréciés des poilus [...], ces femmes dévouées, ces Françaises qui, de sept heures du matin à dix heures du soir, se dépensent sans compter ». Le conseiller Alphonse Loyau, quant à lui, attire l’attention de ses collègues sur le fait que les permissionnaires qui arrivent tardivement ne trouvent, surtout les quatre jours de la semaine où le métro s’arrête à 10 heures du soir, aucun moyen de communication pour se rendre aux gares de Lyon, d’Austerlitz, de Saint-Lazare, des Invalides ou de Montparnasse : « Cet état de choses augmente la confusion et le séjour des poilus désœuvrés dans 6- M. Rebeillard était déjà intervenu à ce propos en décembre 1915, dénonçant l’attentisme des autorités : « Si l’on continue, nous irons de semaine en semaine, de mois en mois, et nos soldats continueront à coucher sur les dalles. » Des promesses avaient été faites, demeurées sans suite. 7- Mlle Suzanne Richard à la gare de l’Est, Mmes Courcot et Bienaimé à la gare du Nord. 8- Pour ce même trimestre, le dortoir de la rue des Récollets en reçoit 68 000.

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les gares du Nord et de l’Est. D’autre part, « il est lamentable de voir les malheureux permissionnaires se diriger à pied vers des gares lointaines. [...] Tous, vous avez assisté à ces scènes qui se renouvellent tous les soirs, et où vous voyez les permissionnaires avec tout leur barda, comme on dit en termes de métier, héler vainement les taxis pour se rendre aux gares ! » La création de services supplémentaires réservés aux permissionnaires pourrait être la solution à ce problème : « Un service spécial pourrait, par exemple, fonctionner à onze heures, un autre à minuit, et un autre à une heure. » La discussion se termine par la proposition suivante : continuer « sans faiblesse » l’œuvre « d’épuration » des gares et de leurs abords ; prendre d’urgence toutes les mesures utiles pour que des abris convenables soient assurés à tous les permissionnaires de passage dans les gares de Paris et pour que soient améliorées les conditions de leur réception et de leur bien-être. Réuni le 26 novembre 1917, le conseil municipal remercie le préfet Hudelo, appelé à d’autres fonctions, pour les mesures prises à cet effet : construction des dortoirs de la rue d’Alsace (200 places) et de la rue Amboise-Paré (180 places), ouverture, le 19 septembre, d’un centre de renseignements rue du Faubourg Saint- Martin, près de la gare de l’Est. Pour tenir compte des frais inhérents à ces nouvelles charges et du renchérissement du prix des denrées et du blanchissage, la décision est prise de porter la subvention trimestrielle de la ville de 10 000 à 15 000 francs9. Cette même année, un effort particulier est fait en direction des soldats en transit par Paris le jour de Noël. « Ce soir, 24 décembre 1917, aura lieu à la Cantine militaire de la gare de l’Est (Croix-Rouge française, Union des femmes de France) un arbre de Noël sous la présidence du gouverneur militaire de Paris et Mme Pérouse, président de l’Union des femmes de France. Au programme : allocution de M. le bâtonnier Chenu ; concert avec le gracieux concours de Mlle Madeleine Roch, de la Comédie-Française ; Mlle Jeanne Bourdon, de

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l’Opéra ; M. Paty, de l’Opéra ; M. Paul Lemaître, violoniste ; Mlle Lily Laskine, de l’Opéra ; M. Masson, premier prix du Conservatoire, et les artistes de la Lune rousse. L’organisateur de la soirée est M. Émile Bourgeois, chef d’orchestre de l’Opéra-comique. De plus, les soldats arrivant du front et traversant Paris recevront de la «Cantine des deux drapeaux» (Croix-Rouge américaine) un paquet-surprise offert gracieusement par nos amis les Américains. » [La Presse, 24 décembre 1917] Une initiative qui, à en croire la presse, a été bien accueillie : « La fête de l’arbre de Noël, donnée hier soir à la cantine militaire de la gare de l’Est, toute pavoisée aux couleurs des nations alliées, avait réuni plusieurs centaines de permissionnaires, qui accueillirent par des bans répétés les artistes figurant au programme. » [Le Petit Parisien, 25 décembre 1917] En 1918, la cantine de la gare de l’Est est sollicitée à deux reprises, la première fois pour l’accueil des réfugiés chassés par l’offensive des armées allemandes de mai, puis, une fois l’Armistice signé, pour le retour des prisonniers. Enfin, début 1919, elle doit faire face aux premiers démobilisés. Au premier trimestre de cette année, ceux-ci représentent près de la moitié des 63 000 soldats passés entre les murs des gares du Nord et de l’Est confondues. Réuni le 16 avril 1919, le conseil municipal vote une dernière subvention de 6 000 francs destinés à couvrir les frais des deux cantines pendant les deux derniers mois de leur fonctionnement, leur fermeture étant annoncée pour le 1er juin. Pour son dévouement à la tête de la cantine de la gare de l’Est, Suzanne Richard est décorée de la Légion d’honneur en 1921 au titre du Service de la Santé. Il est dit à cette occasion que la cantine a hébergé près de 1,5 millions de soldats et 1,8 millions de réfugiés. [Le Temps, 2 juillet 1921]

9- Cette subvention varie par la suite de 15 000 à 10 000 francs.


ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

Ailleurs qu’à la gare de l’Est La cantine militaire (Nord) Le 23 août 1914, la Société de secours aux réfugiés et victimes de la guerre ouvre une cantine destinée à accueillir les populations chassées de Belgique et des régions du Nord de la France, mais aussi les soldats sans ressources. Elle occupe la salle des douanes hâtivement réaménagée par le sculpteur Paul Graf, qui en est également le directeur, secondé par M. Goullet, secrétaire général de l’Assistance publique : « Les comptoirs furent transformés en tables à manger pour les immigrants et les soldats, ceux-ci ne possédant non seulement aucun bagage, mais manquant du nécessaire. On leur donna ce qu’il fallait pour les vêtir. La charité anonyme fit des prodiges. Ce fut par voitures que bourgeois et commerçants apportèrent aux réfugiés des aliments, des boissons, des vêtements, des chapeaux, des chaussures, du linge, etc. Les hommes couchèrent sur la paille, les femmes et les enfants dans des wagons » [Le Petit Parisien, 4 novembre 1914]. Subsistant grâce aux quêtes en gare et aux dons, elle distribue gratuitement des boissons chaudes, des boissons hygiéniques et des repas légers. En acceptant de participer aux frais à partir du 14 octobre, l’autorité militaire impose une participation aux soldats : 75 c pour un repas complet, 30 c pour une soupe et un sandwich, 10 c pour un café. Le 24 octobre, la cantine reçoit la visite de la fille cadette de Théodore Roosevelt, l’ancien président des États-Unis. Parmi les personnes qui lui sont présentées, on relève les noms de Mmes Bienaimé, l’épouse de l’amiral et député, et Courcol, lesquelles s’emploient, outre leur concours à l’œuvre, à ravitailler les trains de soldats. Un rapport de la commission municipale parisienne « Assistance publique - Mont-de-piété » relatif aux subventions versées à diverses œuvres de guerre, présenté en 1915 par Louis Aucoc, revient sur ce point. « Dès le début des hostilités, Mme l’amirale Bienaimé et Mme Courcol avaient obtenu, de la Compagnie des chemins de fer du Nord, l’autorisation d’installer, dans les locaux de la gare de Paris, une sorte de réfectoire, où les soldats revenant du front ou y partant trouvaient une soupe chaude, des sandwiches, du café et de la bière. « C’est avec le produit des quêtes que ces dames étaient autorisées à faire dans les trains de voyageurs, qu’aidées de jeunes femmes du meilleur monde, elles parvenaient à peine à équilibrer leur budget, dont elles comblaient le déficit de leurs deniers personnels. « Près de 800 soldats recevaient ainsi, par jour, un véritable réconfort matériel. « Ce service fonctionnait très régulièrement, quand, à la date du 1er février 1915, la Société française de secours

3La cantine militaire de la gare du Nord n’avait rien à envier à celle de la gare de l’Est, toutes deux figurant, avec la cantine privée de la gare Montparnasse, parmi les plus importantes cantines de gare parisiennes. Coll. privée.

aux blessés a exigé la remise du local occupé par Mme l’amirale Bienaimé, pour y installer une cantine et un poste de secours. Elle invoquait, pour ce faire, le monopole accordé à la Croix-Rouge française. « Toutefois, reconnaissant que rien ne l’autorisait à chasser brutalement Mme l’amirale Bienaimé de l’emplacement qui lui avait été concédé, la Société française de secours lui laissa le soin de distribuer du café et des sandwiches aux soldats dans les trains en partance, en lui accordant, pour se couvrir de ses frais, le produit d’une quête à faire un seul jour par semaine. » Le rapport précise que, du 29 mai au 25 octobre 1915, Mmes Bienaimé et Courcol ayant été contraintes de participer pour moitié au déficit (sur un total de 1 270 francs), la commission se propose de leur allouer une subvention de 500 francs. Inversement, elle juge que la Société française de secours aux blessés militaires, même s’« il est incontestable que le produit des quêtes que la Société fait faire dans les trains de voyageurs, arrive difficilement à couvrir les frais », a suffisamment de ressources annexes pour limiter sa subvention à 200 francs. Dans sa rubrique « Croquis de Paris », le Journal des débats nous a laissé une description détaillée de la cantine de la gare du Nord en juin 1915. « Celle de la gare du Nord est installée dans le magasin de la douane. Un velum, tendu sous le toit, tamise la lumière ; la banquette à bagages constitue le fond du mobilier ; vêtue ici de toile cirée, plus loin de couvertures de laine, elle fait tour à tour office de table et de couchette, car le hall sert à la fois de dortoir et de salle à manger.

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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

« À toute heure du jour ou de la nuit, les arrivants trouvent la table mise ; des cordons, épinglés en travers, divisent ses méandres en compartiments de douze places, dont chacun est servi par une dame de la Croix-Rouge. Des paniers, toujours prêts, contiennent les couverts et la vaisselle de rechange ; les pichets alternent sur la nappe avec des vases fleuris. Au menu : un potage, une viande garnie de légumes, une salade, un fromage ; comme dessert de la confiture, des cerises ou des fraises, un quart de vin, un quart de café, une cigarette. La salade est fort appréciée. Au retour du front, où le régime carné est un peu excessif, on se régale d’une romaine. « C’est toujours la salle à manger qui reçoit la première visite ; les voyageurs ont hâtes de se refaire, à moins qu’ils n’attendent une lettre auquel cas il consulte d’abord le tableau où l’on affiche le courrier. Après le repas, s’ils veulent écrire, une salle de lecture et de correspondance leur offre des buvards, du papier et des plumes, des magazines, des journaux, quelques livres, le tout "confié au soin de nos chers soldats". Des cartes déploient sur la muraille le plan du Métropolitain et la ligne du front. « Derrière ce mur de planches commence le dortoir. Les couchettes, posées bout à bout, suivent la ligne sinueuse de la banquette à bagages et dessinent une grecque. Chacune se compose d’une couverture, d’un traversin et d’une serviette en guise de taie pour l’oreiller absent ; le dormeur, à son réveil, l’emportera au lavabo. Et il y a, sur chacune d’elles, une paire de gros chaussons, de babouches pareilles à celle du Hammam, taillées dans de vieux tapis. « Aux deux côtés de la salle, une double rangée de lits, de vrais lits en noyer bourgeois. Quelle tentation pour ceux qui, depuis de longs mois, couchent sur la terre ou sur la paille ! « […] Le lavabo met à la disposition des hôtes de l’eau en abondance, des cuvettes en tôle émaillée, des rasoirs minutieusement flambés ; les amateurs d’hydrothérapie plus complète y trouvent même un tub, qui n’est pas très demandé. Un vestiaire distribue à tous ceux qui le désirent des vêtements de rechange. Un poste de secours avec médecin et infirmières en permanence, peut abriter provisoirement les malades ou les petits blessés ; une voiture d’ambulance, toujours prête, peut les conduire à l’hôpital voisin. » [Le Journal des débats, 16 juin 1915] Placée sous la direction de la comtesse de Nettancourt et du baron d’Orgeval, la cantine reçoit chaque semaine plus de 900 « dormeurs » et distribue 3 600 repas.

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La Croix-Verte (Montparnasse) La gare Montparnasse est la seule des grandes gares parisiennes à échapper à la mainmise de la Croix-Rouge française, supplantée ici par la Croix-Verte, initiative pureent privée due à la volonté d’un homme : Jean ÉmileBayard, inspecteur au ministère des Beaux-Arts. « L’"Accueil aux blessés", qu’on appelle aussi la "Croix Verte", afin que la distinction soit permise entre lui et d’autres groupements non moins généreux, a été créé par un de nos artistes les plus distingués, M. Émile Bayard, inspecteur des beaux-arts. « M. Émile Bayard s’était aperçu, en allant voir les départs des troupes à la gare Montparnasse, que nos braves petits soldats n’étaient pas, la plupart du temps, suffisamment pourvus de vivres pour les longues randonnées qu’ils allaient devoir entreprendre. « – Il faut lester le ventre de nos "petits gars" se dit-il, et, le soir même, il arrivait à la gare, avec Mme Bayard et distribuait des paniers de provisions à nos pioupious. « Leur joie fut si complète que l’idée de continuer ces distributions s’imposa immédiatement. Le lendemain même, Émile Bayard obtenait très facilement du gouvernement militaire de Paris l’autorisation d’installer une cantine gratuite sur le quai de la voie n° 8. Le commissaire spécial, M. Dreyfus, un Alsacien ardent patriote, offrit immédiatement son concours qui fut accepté avec reconnaissance. « La cantine fut installée dans la même journée, tous les fonctionnaires de la gare ayant aidé à qui mieux mieux l’organisateur de l’œuvre. Le soir, elle fonctionnait. « Mais depuis ce début, on a fait évidemment beaucoup mieux : la cantine s’est augmentée d’un réfectoire et d’un poste médical, formant trois bâtiments bien distincts et bien ordonnés. « C’est à cette installation que nous avons consacré hier deux longues heures. Ce que nous avons vu, disons-le tout de suite, nous a enthousiasmé.

5Créée par Jean Émile-Bayard, inspecteur au ministère des Beaux-Arts, l’œuvre de la Croix-Verte était placée sous le haut patronage de Raymond Poincaré, Président de la République. Gravure extraite de L’Ambulance du 1er juillet 1918. http://gallica.bnf.fr/

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ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE

« Sur le quai de la voie n° 8, une large pancarte, au milieu de laquelle se trouve une croix verte, indique le siège permanent de l’œuvre. « Et voici d’abord la manutention et la cantine : le local est modeste, un peu exigu peut-être, mais tout y est rangé avec un soin méticuleux. Sur une table, des sirops de toutes sortes ; dans un large fourneau à gaz où l’eau bout constamment ; sur une autre table, des tartines de foie gras, en grande quantité, sont toutes prêtres à être distribuées. Puis se sont des plats contenant des tranches de bœuf découpées, et, sur de larges plateaux, du très beau raisin. Mme Bayard, la femme de l’excellent artiste, dirige la cantine avec une bonne grâce affectueuse. « Les troupiers que nous avons vu arriver timidement dans le local furent mis tout de suite à leur aise, parce qu’en même temps qu’on leur prodiguait de bonnes paroles, on leur réconfortait l’estomac. À peine entrés, ils furent conduits au réfectoire où, sur une longue table, de larges bols, au fond desquels se trouvent des tranches de pain, attendent la soupe aux légumes qui cuit, tout à côté. « […] Quatre jeunes femmes, toutes vêtues de la longue blouse blanche et coiffées du bonnet également blanc avec sur le devant une croix verte, faisaient le service. « […] Mais d’autres soldats arrivaient. Ceux qui venaient de se réconforter furent priés de passer dans une salle de repos contiguë à l’infirmerie. Il était cinq heures ; en attendant le train de 11 h 23, ils s’allongèrent sur des lits douillets. « C’est alors que nous avons visité l’infirmerie. La salle assez vaste est tendue de draps blancs quotidiennement renouvelés. Sur une table à étagères, des fioles et des fioles. Sur une autre, les instruments nécessaires et des bandes de pansement soigneusement enveloppées. Un lit mécanique est au milieu ; à côté, trois fauteuils pour les médecins. Car le service médical est fait gracieusement et alternativement de six heures du matin à minuit, par trois médecins : ce sont les docteurs Gény, Louit et Forestier. « Des infirmières volontaires sont là qui secondent les praticiens, et nous reconnaissons parmi elles : Mmes Steeg, la femme de l’ancien ministre, Monmory, la princesse de Clèves, etc. « Tout se passe ici comme dans l’hôpital le mieux organisé ; il n’y a pas de différence entre les soldats et les officiers. Tous ceux qui ont besoin de soins, sans exception, sont traités aussi savamment qu’affectueusement. « Voilà ce que fait l’œuvre de l’ "Accueil aux blessés", la Croix-Verte. Il faut savoir aussi que tout y est gratuit et, par conséquent, qu’on y accepte tous les dons généreux qui peuvent être envoyés, tant en argent qu’en vêtements ou produits alimentaires de toutes sortes. » [La Presse, 24 octobre 1914]

Plus concis est Le Petit Parisien : « Cette œuvre vient en aide non seulement aux militaires, mais aussi aux réfugiés belges et français ; outre la nourriture et les soins, elle donne à nos soldats de l’argent, des cannes, des béquilles, des appareils de bandage, des chemises, des mouchoirs, des chaussures et des tricots. « Cette association de bienfaiteurs possède des lits en ville pour les malades, une automobile pour le transport des blessés, des médecins, des pharmaciens et des infirmières dévouées. « Elle distribue en moyenne cinq cents repas par jour, lesquels sont des plus copieux » [Le Petit Parisien, 4 novembre 1914]. Le journal précise qu’Émile-Bayard organise de nouvelles cantines à la gare Saint-Lazare et à la gare de Lyon. Placée sous le haut patronage du président de la République Raymond Poincaré, l’« Association des œuvres de la Croix-Verte française » diversifie très vite ses actions, qu’elle étend à la province. Elle se dote également d’un organe de presse officiel, L’Ambulance.

L’œuvre de la Croix-Verte possédait son propre journal, L’Ambulance. À partir de 1917, quelques articles étaient rédigés en langue anglaise à l’intention des alliés. http://gallica. bnf.fr/

Tout comme les cantines des gares du Nord et de l’Est, celle de la gare Montparnasse est bientôt amenée à offrir le couvert mais également le gîte aux permissionnaires qui transitent par la capitale. En 1917, Le Petit Parisien répond favorablement à une demande de Pierre Loti visant à publier gracieusement une « petite note » mettant en avant l’action de la Croix-Verte sur ce point, « afin qu’elle soit lue par le plus grand nombre de marins et de soldats », note rédigée comme suit : « La belle œuvre de la Croix-Verte a établi pour eux, à la gare Montparnasse, un dortoir gratuit de 150 lits, chauffé, avec lavabos et salon de lecture. Quant ils seront de passage, qu’ils aillent donc dormir là au lieu de se coucher sur des bancs ou dans des cafés voisins ; ils y trouveront le meilleur accueil , sans bourse délier. » [Le Petit Parisien, 9 octobre 1917]

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Hier et aujourd’hui. Aquarelle de Jean-Charles Develluy de 1840 représentant la sortie du tunnel de Montretout, aussi appelé tunnel de Saint-Cloud ou de Ville-d’Avray, avec, au premier plan, l’aqueduc construit au XVIIe siècle pour apporter les eaux des étangs de Ville-d’Avray au parc de Saint-Cloud. Long de 503 m, ce tunnel, qui plonge sous le parc, donnait passage à la ligne de Paris à Versailles par la rive droite de la Seine inaugurée en 1839. Coll. Cité de la céramique - Sèvres & Limoges / Photo J.- J. Paques.

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ESPACE DES ADHÉRENTS

Les premiers chemins de fer en France à travers des illustrations d’époque Premier épisode : l’année 1839 ou de timides débuts Joseph-Jean Paques, Montréal, Québec

La célébration, en 2012, du 175e anniversaire de l’ouverture du chemin de fer de Paris à SaintGermain (1837) a été marquée par l’organisation de plusieurs manifestations dont, notamment, sous l’égide de l’AHICF et de la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Île-de-France, d’un colloque sur l’Histoire des réseaux, des transports et des mobilités en Île-de-France. Ce dernier rendez-vous (22-24 novembre 2012) a donné l’occasion à Nicolas Pierrot et à votre serviteur de faire (re)découvrir au public des illustrations à connotation ferroviaire contemporaines des premiers chemins de fer en Île-de-France1. La série d’articles, que Les Rails de l’histoire2 inaugure aujourd’hui dans le même dessein, est le résultat d’un long travail de recension de toutes les sources iconographiques disponibles ayant rapport aux premiers chemins de fer en France, depuis leurs origines jusque dans les années 1860. Notre

propos est de nous focaliser sur quelques-unes des lignes qui ont suivi celle de Saint-Germain, tant en région parisienne qu’en province, en occultant intentionnellement le foyer pionnier du bassin de la Loire, largement représenté par ailleurs. Nous nous appuierons pour cela sur les images extraites, soit de « guides du voyageur » (nos actuels guides touristiques), soit d’albums souvent constitués de lithographies de très haute qualité, les uns et les autres généralement publiés à l’occasion des inaugurations.

Ligne de Montpellier à Cette Le 9 juin 1839, la ligne de Montpellier à Cette (selon l’orthographe de l’époque) était officiellement inaugurée3. Beaucoup plus discrètement saluée qu’à Paris, cette manifestation n’a fait l’objet, à notre connaissance, que d’un unique guide touristique4, heureusement illustré de sept lithographies et d’une gravure sur bois. Sur ces huit illustrations, deux présentent un caractère ferroviaire.

Le feuillet qui précède la page de titre du guide est orné d’un dessin de Jean-Joseph Bonaventure Laurens (1801-1890), secrétaireagent comptable de la Faculté de médecine de Montpellier5 (figure 1). Au premier plan figure une locomotive de type Planet à un seul essieu moteur (1.A), semblable aux cinq unités alors en service6. Elle stationne vraisemblablement dans les emprises de l’embarcadère primitif érigé dans le prolongement de la tour Babote, qui se dresse à l’arrière plan et que surmonte depuis 1832 un sémaphore Chappe7. Notons qu’il s’agit là d’une des premières lithographies fidèles et fiables publiées en France avec pour sujet principal une locomotive et qui ne soit pas un dessin technique. C’est également l’un des premiers dessins ferroviaires de Jean-Joseph Bonaventure Laurens qui produira par la suite une série de 150 superbes dessins lithographiés du chemin de fer de Paris à la Méditerranée publiés de 1857 à 18718.

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Figurant sur la page de titre même, la seconde illustration à caractère ferroviaire du guide est assez différente puisqu’il s’agit d’une gravure sur bois debout de dimensions réduites (6 x 3,3 cm) non signée représentant un train de voyageurs tiré par une locomotive de type 1.A.1 passant sous un pont (figure 2). Aucune locomotive de ce type ne circulant à l’époque sur la ligne de Montpellier à Cette, il faut chercher ailleurs son origine. À notre connaissance, nous avons affaire ici à la première utilisation d’une illustration passe-partout que les imprimeurs pouvaient acheter toute faite par catalogue, probablement produite et reproduite en série par le procédé de stéréotypage. Un tel procédé était déjà connu et utilisé à l’échelle industrielle dès 1834 puisque le journal Le Magasin pittoresque9 en explique l’application qu’il en fait pour ses besoins. De fait, cette illustration a été utilisée à plusieurs reprises dans la publication de guides touristiques ferroviaires. Nous avons noté son apparition dans les documents suivants : - Chemin de fer de Paris à Orléans. Embranchement de Corbeil, Paris, Imprimerie de Boulé, 1840, 72 p. ; - E. Bourdin, Voyage pittoresque de Paris à Versailles, Paris, 1840, 44 p. ; au moins à cinq autres reprises par Bourdin puis par Janin en 1841, 1843, 1845, (Paris-Rouen), 1847, 1848 (Paris-Le Havre ; Paris-Dieppe) ;

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5Figure 1. « Locomotive de type Planet, en gare de Montpellier », par J.-J. B. Laurens, 1839. Coll. J.-J. Paques.

5Figure 2. Vignette « Train dans la campagne », anonyme, 1839. Coll. J.-J. Paques.

- Notices sur les Chemins de fer du Rhône et de la Loire, et itinéraire de Lyon à Saint-Étienne et à Roanne, Imprimerie de Louis Perrin, Lyon, 1843, 76 p.

Ligne de Paris à Versailles par la rive droite L’ouverture officielle au public de la ligne Paris (Asnières) à Versailles (rive droite) a eu lieu le 4 août 1839. Comme pour celle de Paris à Saint-Germain,

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l’intérêt touristique de sa destination et la proximité de Paris ont certainement contribué à encourager la réalisation de nombreux guides en rapport. Mais seules deux de ces publications comportent des illustrations ferroviaires10. Cependant, plusieurs vues de cette ligne se retrouvent dans deux séries de planches ferroviaires de l’époque : la première de six lithographies due à Frédéric-


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François d’Andiran11, la seconde de six aquarelles attribuées à Jean-Charles Develluy. Ces six dernières gouaches – préparatoires pour fond d’assiette – appartiennent aux collections des Archives de la Cité de la céramique à Sèvres. Récemment identifiées par Nicolas Pierrot12, elles ont pour objet les lignes de Versailles rive droite et rive gauche. Deux, datées de 1840, se rapportent au premier de ces chemins de fer et représentent, l’une, la station de Saint-Cloud, l’autre, le tunnel et l’aqueduc de Ville-d’Avray. Notons que des artistes différents ont souvent retenu les mêmes sites, à l’exemple de l’entrée du tunnel à Ville-d’Avray pris pour modèle trois fois (voir notes 10 et 11) ou encore de la salle d’attente de la gare de Versailles rive droite représentée deux fois (note 10). Un mot sur la superbe aquarelle de Jean-Charles Develluy qui représente la station de SaintCloud (figure 3). En fait, il ne s’agit pas ici de la gare de passage de Saint-Cloud-Montretout, bâtiment modeste ouvert en 1839 en amont du tunnel du même nom, mais de la gare des Fêtes, « construction vraiment féerique » destinée à servir de terminus à un embranchement en cul-de-sac livré en 1840 pour faciliter la desserte du parc de Saint-Cloud. Curieusement, le train est montré circulant du côté droit, en contradiction avec les règles de circulation en usage qui voudraient qu’il emprunte la voie

de gauche. Une liberté avec la réalité qui n’enlève rien à la beauté du trait. Il est vrai que cette aquarelle, appelée à être reprise pour servir de fond d’assiette, se devait avant tout de séduire. Il est dommage que la manufacture de Sèvres n’ait pas donné suite à ce projet. L’assiette comme support à des illustrations ferroviaire n’est pas chose inédite. Les séries produites par les faïenceries de Gien entre 1844 et 1849 sont parmi les plus connues. Une seule de leurs assiettes, cependant, a pour décor un élément de la ligne Paris à Versailles (rive droite), en l’occurrence le

« Viaduc près Suresnes » attribué à J. Copeland (figure 4). Bien que l’artiste ait pris, là aussi, quelque liberté avec la réalité (nombre d’arches supérieur aux cinq que compte réellement l’ouvrage), tout laisse à penser qu’il s’agit en l’occurrence du viaduc établi au dessus de l’actuelle rue du Val d’Or en aval de la gare de Suresnes. L’examen du profil de la ligne n’indique, en effet, aucun autre ouvrage d’art dans le secteur. Les deux illustrations de l’intérieur de la salle d’attente de la gare de Versailles rive droite (figures 5 et 6) – tout à fait dans

5Figure 3. Station des Fêtes du château de Saint-Cloud par J.-C. Develluy, 1840, Coll. Cité de la céramique - Sèvres & Limoges.

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le style de celle de la gare de Paris-Saint-Lazare, construite à la même époque – ne diffèrent que par les aménagements apportés (l’éclairage au gaz, les barrières délimitant les espaces attribués aux différentes classes des voyageurs), représentés sur la vue la plus récente. Si elle a disparu aujourd’hui, victime des nombreux remaniements intérieurs infligés au bâtiment, la façade de la gare est, elle, toujours visible (figure 7) et supporte aisément la comparaison avec les images qu’en donnent Fossone en 1839 (figure 8) et Perdonnet en 185613 (figure 9).

Mentionnons pour compléter que FrédéricFrançois d’Andiran nous a aussi laissé une vue de « Train à la bifurcation d’Asnières en direction de Versailles », une vue du tunnel de Saint-Cloud (entrée vers Paris) et une vue des emprises ferroviaires de la gare de Versailles rive droite.

1- Joseph-Jean Paques, « Les images des premiers chemins de fer dans les paysages de l’Ile-de-France : des sources d’informations multiples très riches » ; Nicolas Pierrot, « Lignes et panaches. L’imagerie pittoresque à l’épreuve de la modernité ferroviaire (Ile-de-France, v. 1840-v. 1860) », Paris et Ile-de-France, Mémoires publiés par la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile-de-France, t. 64 (2013), p. 45-60 et p. 61-76.

Montpellier, n° 29, 1999, p. 253-275. Voir http://www.ac-sciences-lettresmontpellier.fr/ac ademie_edition/ fichiers_conf/Bonaventure.pdf

2- Voir également : Joseph-Jean Paques, « Le patrimoine iconographique ferroviaire de la ligne de Paris à SaintGermain (1837-1855) », Les Rails de l’histoire, hors série (novembre 2012), p. 30-34. 3- L’exploitation proprement dite avait commencé dès le 8 mars 1839, quoique limitée encore à quelques trains.

4- Notice sur le chemin de fer de Montpellier à Cette, ouvert le 9 juin 1839, Montpellier, Boehm, Virenque, 1839, 96 p. 5- Hubert Bonnet, « Un secrétaire de faculté talentueux : Bonaventure Laurens (1801-1890) », Bulletin de l’Académie des Sciences et Lettres de

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5 Figure 4 Viaduc de Suresnes, par J. Copeland, détail d’assiette de Gien, 1844-1849. Coll. J.-J. Paques.

6- « La construction de la ligne Montpellier-Cette est assez précoce, puisqu’un convoi d’essai put y être organisé dès le 24 décembre 1838. Les premières locomotives étaient arrivées deux mois avant en octobre : c’étaient les machines Notre-Dame-des-Tables, Hérault et Montpelliéraine. Deux autres identiques suivirent en avril 1839 : la Cettoise et la Rosine. En 1843 nous apprenons que deux de ces machines sont transformées de quatre à six roues. Cela nous indique qu’il s’agissait, au départ de Planet Engine, au moins pour deux sur cinq et probablement pour toutes. Le constructeur anglais était en effet Fenton, Murray et Jackson de Leeds […] ; or nous le connaissons essentiellement comme fabricant de machines à quatre roues. » Jacques Payen, La Machine locomotive en France, des origines au milieu du xixe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1986, p. 90. 7- Voir http://www.montpellier.fr/336tour-de-la-babote.htm. L’association

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du sémaphore Chappe au chemin de fer se retrouve dans plusieurs illustrations ferroviaires de l’époque aussi bien sur le Paris-Rouen que le Paris-Orléans par exemple. 8- J.-B. Laurens, Album du Chemin de Fer de Lyon à la Méditerranée - Paris, lithographies de Boehm, imprimé à Montpellier, 1857-1862. Ouvrage paru en cinq livraisons. 9- « Gravure sur bois – Stéréotypie », Le Magasin pittoresque, 1834, p. 305-308. 10- Voyage pittoresque sur le chemin de fer de Paris à Saint-Cloud et Versailles, Versailles, Imprimerie de M. Fossone, 1839, 29 p. ; Voyage pittoresque de Paris à Versailles, Paris, E. Bourdin, 1840, 44 p. 11Frédéric-François d’Andiran, Chemin de fer de Versailles (Rive Droite), Série de six lithographies sur trois pages, Paris, Coulon, 1839. 12- Op. cit. 13- Perdonnet, Traité élémentaire des chemins de fer, Paris, Langlois & Leclercq, première édition, 1855, 554 p.


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5Figure 5. Grande salle d’attente à Versailles, par Grosset, Brazier et Lacoste, dans Fossone, 1839. Coll. J.-J. Paques.

5Figure 6. Débarcadère de Versailles (rivedroite), dans Bourdin, 1840. Coll. J.-J. Paques.

3Figure 7. Vue actuelle de la gare de Versailles (rive droite). Photo J.-J. Paques.

Figure 8 4 Vue extérieure de la gare de Versailles, par Grosset, Brazier et Lacoste, dans Fossone, 1839. Coll. J.-J. Paques.

3Figure 9. Façade extême du chemin de fer de Versailles (rivedroite) à Versailles, dans Perdonnet, 1855. Coll. J.-J. Paques.

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5 Œuvre de Payen, inspecteur général des Ponts et Chaussées, long de 142 m, haut de 36 m, le viaduc en pierre du Val Fleury (actuel viaduc de Meudon) a été, avec la tranchée de Clamart, l’un des deux plus importants chantiers de la ligne de Paris à Versailles par la rive gauche de la Seine à laquelle Antoine-Remy Polonceau, associé à Marc Seguin, a apporté son expertise. La première pierre en a été posée le 1er octobre 1838 par le duc d’Orléans (le viaduc a porté un temps le nom de « pont Hélène » en l’honneur de son épouse) et sa construction, bien qu’entravée par l’animosité des riverains expropriés, s’est achevée en septembre 1840. Auguste Perdonnet, Traité élémentaire des chemins de fer, Paris, Langlois et Leclercq éditeurs, 1858. Coll. Br. Carrière.

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Antoine-Rémy Polonceau (1778-1847) et le rail Polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, Antoine-Rémy Polonceau (1778-1847) – à ne pas confondre avec Camille Polonceau (1813-1859), son fils – s’est investi, hors de sa compétence initiale et de sa propre initiative, dans maints domaines, parfois très éloignés les uns des autres. C’est son apport à l’étude des premières lignes de chemin de fer que nous aborderons ici. Denis Hannotin et Christine Moissinac En tant qu’ingénieur des Ponts et Chaussées1, Antoine-Rémy Polonceau ne pouvait qu’être un acteur de cette épopée qu’a été l’essor des chemins de fer en cette première moitié du xixe siècle2. Et si, lorsqu’il aborde ce domaine, le rail commence à peine à s’imposer, il n’est plus luimême un tout jeune homme au début des années 1830, époque de ses premières armes en la matière. À 52 ans, l’étude sur le terrain des directions à donner à quelques-unes des grandes artères du futur réseau national ne lui fait pas peur. À pied et à cheval, il n’hésite pas à braver les éléments à la recherche du meilleur tracé, attentif aux attentes des uns et des autres, quitte à y sacrifier sa fortune et sa santé. Comme la possibilité en était alors laissée à tout ingénieur des Ponts et Chaussées,

Polonceau n’a pas hésité, tout en restant au service de l’État, à collaborer avec des entreprises privées, compagnies candidates à une concession ou collectivités locales, voire à agir pour son propre compte.

Promoteur et concepteur : le Paris Versailles par la rive gauche Au début de la monarchie de Juillet, près de 1,2 millions de personnes empruntent chaque année la route de Paris à Versailles. De quoi susciter les ambitions des tenants de ce nouveau moyen de locomotion qu’est alors le chemin de fer. Mais si le principe en est adopté par les Chambres dès 1832, les décisions tardent du fait de la divergence des points vue entre une administration favorable à une ligne

par la rive droite de la Seine et une représentation nationale partisane d’un tracé par la rive gauche. Cette indécision est propice à l’étude d’une multitude de projets, à commencer par celui d’Alexandre Corréard – l’un des quinze rescapés du radeau de La Méduse – qui, en 1834, est le premier à poser sa candidature. De tous les dossiers déposés, seuls quatre restent en lice : ceux de Corréard, de Richard, de Defontaine et de Polonceau et Seguin. 1- Outre les routes, canaux, chemins de fer et ponts, Polonceau s’intéressa de près à l’agriculture et à l’élevage, portant un regard neuf sur les problèmes liés à l’irrigation et à l’enseignement agricole (on lui doit la création en 1827 de l’Institution royale agronomique de Grignon). 2- La rumeur veut qu’il ait fait poser quelques rails dans sa propriété de Versailles et y ait fait rouler des matériels de sa conception.

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Polonceau affirmera par la suite avoir travaillé à son projet dès 1831. Quoi qu’il en soit, on le retrouve en 1836 associés à deux autres candidats : Achille Guillaume et Marc Seguin. Le premier, un financier, avait défendu le projet d’une ligne de Paris à Poissy établie sur la rive droite et desservant SaintCloud, Versailles et SaintGermain. Quant au second, il n’est pas un inconnu pour Polonceau, tous deux s’étant disputés en 1831 l’adjudication du pont des Saints-Pères3. Loin de les avoir éloignés, cet épisode les avait au contraire rapprochés et conduits à collaborer, Polonceau ayant été appelé à peaufiner le projet de chemin de fer de Paris à Orléans et à Tours par la rive gauche proposé par Seguin dès 1830. Rien n’empêche de penser que ce travail ait pu être à l’origine du projet présenté in fine par Polonceau. En février 1836, le conseil municipal de Paris opte pour une solution par la rive droite, conformément au projet élaboré par Defontaine. Une position que le conseil général des Ponts et Chaussées reprend à son compte trois mois plus tard. Polonceau ne s’avoue pas battu, d’autant plus que les villes traversées par les divers projets commencent à se manifester. Le 18 mars, il s’adresse aux édiles de Versailles et à tous ses habitants. Après avoir rappelé son ancien mandat de conseiller municipal de la ville, il assure ses interlocuteurs de sa liberté de pensée : « Pour moi, je crois remplir un véritable

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devoir envers une ville pour laquelle je conserve un grand attachement […]. Lorsque j’ai fait la première étude, j’étais libre de choisir ; j’ai exploré les deux rives et ne me suis arrêté à la rive gauche que parce qu’elle est à la fois la direction la plus naturelle et la plus convenable. » Le 9 mai 1836, coup de théâtre, le gouvernement présente à la Chambre des députés un projet de loi portant sur la concession d’une ligne de Paris à Versailles par la rive droite se détachant à hauteur d’Asnières du chemin de fer de Paris à Saint-Germain. Étudiée par les ingénieurs des Ponts et Chaussées, la nouvelle ligne fait fi des projets déjà déposés. Devant l’opposition des députés favorables à un tracé par la rive gauche, le gouvernement se résout à mettre simultanément en adjudication deux chemins empruntant chacune des deux rives. Votée le 13 juin par les députés et le 29 juin par les pairs, la proposition fait l’objet de la loi du 9 juillet 1836. Mais, en dépit des efforts déployés par Marc Seguin, qui s’applique en novembre 1836 à démontrer aux conseillers municipaux de Paris les avantages des « projets réunis de la compagnie Achille Guillaume, M. Polonceau et MM. Seguin Frères », le résultat des adjudications prononcées le 26 avril 1837 ne leur est pas favorable. Un évincement qui réside sans doute dans l’insuffisance des capitaux mobilisés. À raison : le capital de 11 millions de

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francs levé par la compagnie bénéficiaire (MM. B. L. Fould, Fould-Oppenheim et A. Léo) va se révéler très vite insuffisant, contraignant l’État à lui consentir un prêt de 5 millions pour l’achèvement des travaux et à l’autoriser à percevoir des tarifs plus élevés que ceux portés au cahier des charges initial. Toutefois, loin de s’opposer, les deux parties, techniciens d’un côté, financiers de l’autre, vont se rapprocher. Engagé par Fould comme concepteur et conseiller de la nouvelle compagnie, Polonceau s’empresse de s’associer avec Seguin pour assurer la maîtrise d’œuvre des deux principaux chantiers de la ligne : la tranchée de Clamart et le viaduc du Val Fleury (l’actuel viaduc de Meudon). Si les travaux sont menés à bien dans les délais impartis, ils se heurtent à l’hostilité des propriétaires et des riverains qui subissent avec réticence les expropriations et les modifications apportées à la voirie. Des échauffourées éclatent. Cette séquence est sans doute l’une des plus pénibles du parcours professionnel des deux hommes, Seguin se plaignant même d’une « brèche sensible » apportée à sa fortune. Ils doivent, en outre, tenir compte des remarques d’Auguste Perdonnet, l’ingénieur en chef de la compagnie. Celui-là même qui appelle à ses côtés un tout jeune centra3- Connu également sous le nom de pont du Carrousel. Construit sur les plans de Polonceau, inauguré en 1834, il a été démoli en 1936.


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Autant la gestation de la décision a été lente, autant rapide fut la réalisation : la ligne est livrée à l’exploitation le 10 septembre 1840, soit un peu plus d’un an après sa rivale de la rive droite, laquelle subit cependant une interruption de service de deux mois (13 octobre-11 décembre 1839), la plateforme et les talus n’ayant pas résisté aux pluies automnales.

Concepteur au service d’une société privée : Paris-Rouen par la vallée de la Seine Parallèlement, Polonceau travaille à un autre défi, l’étude du tracé de la ligne de Rouen par la vallée de la Seine. L’idée de réunir par le rail Paris aux ports de Rouen et du Havre habitait les milieux économiques depuis 1830. Mais l’incertitude de l’Administration sur la direction à suivre, alliée à l’opposition farouche des compagnies de navigation fluviale, bloquait toute décision ; avec pour résultat une lutte acharnée entre les tenants d’un tracé par les plateaux du Vexin et ceux d’un tracé par la vallée de la Seine, solution économiquement plus attractive mais d’une réalisation techniquement plus difficile. En 1835, les Ponts et Chaussées se prononcent pour la solution par les plateaux, alors même qu’une compagnie représentée

Carte, composition AHICF

lien promis à un grand avenir, Camille Polonceau, le propre fils d’Antoine-Rémy, employé pour l’heure à la construction de la grande rotonde des locomotives.

Ligne des Laumes-Alésia à Dijon par Blaisy-Bas Canal de Bourgogne

par Riant, notaire et conseiller général de la Seine, et soutenue par le banquier Jacques Laffitte, offre d’établir cette liaison par la vallée de la Seine à ses frais, s’estimant suffisamment solide pour lever les 80 millions nécessaires. Les Chambres réfléchissent et la décision est sans cesse retardée. Recruté par Riant comme expert, Polonceau demande à son ami, Jean-Baptiste Bélanger, ancien élève de Polytechnique rencontré en 1812 à l’occasion des travaux du Mont-Cenis, de l’aider aux premiers relevés. En septembre 1835, les deux hommes arpentent à pied et à cheval les sites qui leur semblent les plus propices. Ils sont accompagnés de Victor Charlier, un maître de forges, membre de la Commission des chemins de fer, qui laissera un récit détaillé de ce voyage d’études4. Suivant la Seine jusqu’à Rouen, ils éva-

luent les pentes, réfléchissent aux contraintes, aux nivellements et galeries nécessaires, se renseignent sur les crues du fleuve, discutent avec les habitants. Polonceau confie dans ses lettres qu’il travaille jour et nuit. Le projet élaboré présente trois avantages par rapport à la solution par les plateaux. D’abord, il arrive directement au centre de Rouen, qui devient ainsi le « centre principal de gravitation » du chemin de fer de Paris à la mer. Ensuite, il peut donner facilement naissance à d’autres lignes conduisant à Dieppe et au Havre. Enfin, « son tracé passant par les pays les plus riches en industrie et en commerce, et ceux où les populations sont les plus agglomérées, offrira plus de produits immédiats ». 4- Victor Charlier, « Un chemin de fer de Paris à Rouen », Revue de Paris, 1836, p. 107-130.

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Techniquement, sa réalisation ne pose pas non plus d’obstacles majeurs, du moins sur le papier : aucune pente supérieure à 4 mm/m, aucune courbe inférieure à 1 825 m de rayon, des tranchées inférieures à 16 m et seulement cinq souterrains. Toujours aussi indécis, le gouvernement dépose le 3 juin 1837 un projet de loi tendant à l’adjudication de la ligne de Paris à Rouen et de ses prolongements sur Dieppe et Le Havre, à charge pour les candidats de préciser dans leur offre l’option retenue, par la vallée de la Seine ou par les plateaux. L’absurdité de la démarche fait capoter le projet avant même toute discussion. Le délai est mis à profit par Riant pour pousser son dossier, mais, bien qu’ayant donné l’assurance d’avoir réuni 71 des 80 millions nécessaires, il ne réussit pas à convaincre. Une loi votée le 6 juillet 1838 accorde la concession directe, au profit de MM.Chouquet, Lebobe et Cie, d’une ligne par les plateaux, concession agrémentée d’une clause de non-concurrence de vingt-huit années. Las, frappée de plein fouet par la crise de 1839, la nouvelle compagnie, incapable de réunir les fonds nécessaires, est déchue de ses droits le 1er août 1839. Face à cet échec, le gouvernement se montre plus conciliant et revient à la solution du tracé par la vallée de la Seine. Il appuie directement cette fois-ci sur Charles Laffitte, associé à six Anglais, dont Edward Blount,

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banquier d’origine écossaise établi en France. Le 15 juillet 1840, Laffitte emporte la concession, mais limitée à Rouen. À peine constituée, la nouvelle compagnie rachète les études menées antérieurement sur le terrain, principalement celles de Polonceau, pour la modeste somme de 450 409 francs ! Elles sont utilisées par d’un groupe d’études composé de spécialistes anglais, privant ainsi Polonceau et Bélanger « de la gloire de mettre à exécution cette grande œuvre, qu’ils avaient si habilement préparée »5. Le 3 mai 1843, un premier train quitte Paris à 8 heures pour arriver à Rouen à 12 h 56.

Appelé par des collectivités locales : le Paris–Lyon par Dijon À la même époque, une liaison Paris-Lyon apparaît comme une autre priorité. Au début des années 1830, plusieurs tracés sont envisagés, empruntant les vallées de la Loire, de la Seine et de la Marne. Un moment ignorée, l’hypothèse d’une ligne suivant la vallée de l’Yonne est bientôt défendue par Marie Denis Larabit, polytechnicien et député du département du même nom. Il faut cependant attendre 1838 pour qu’un premier tracé par l’Yonne, signé Hyacinthe Bruchet, voie le jour. Surtout, cette même année est constitué un groupe de pression régional, le Comité d’études du chemin de fer de Paris à Lyon par la Bourgogne, présidé par

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le duc de Bassano, ministre et pair de France. Victime de la crise économique de 1839 et de la disparition de son président, le comité renaît au printemps 1840, prônant fermement un tracé remontant la vallée de l’Yonne depuis Montereau, puis suivant le canal de Bourgogne (vallée de l’Armançon) depuis Laroche. En juin, fort de l’appui des villes riveraines, il décide de lancer un examen sur le terrain. S’il est entendu que les études entre Montereau et Laroche, les plus faciles, seront assurées gracieusement par les services des Ponts et Chaussées, il est décidé de faire appel pour la partie aval à un ingénieur expérimenté en raison du franchissement du seuil de Bourgogne (ligne de partage des eaux des bassins de la Seine et du Rhône). Sur les recommandations d’Alexis Legrand, alors à la tête de l’administration des Ponts et Chaussées, le comité recrute Polonceau fraîchement retraité. Dès le mois d’août 1840, une première brochure émanant du comité annonce que Polonceau a découvert un tracé par le col de Pouilly qui, évitant tout souterrain, permet de gagner Dijon par la vallée de l’Ouche, ce que confirme la publication de ses études en 1841. On connaît la suite : l’adoption en 1843 – par la commission d’experts chargée de trancher sur 5- Virginie Maréchal, « La construction des lignes de chemin de fer de Paris à Rouen et de Rouen au Havre 18391847 », maîtrise, Université Paris I, 1994.


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la direction des trois tracés toujours en concurrence par les vallées de la Seine, de l’Aube et de l’Yonne – du rapport du comte Daru qui préconise de retenir le tracé Polonceau, mais remanié afin d’établir un lien direct entre Pont-d’Ouche et Beaune sans passer par Dijon ; la riposte de l’ingénieur dijonnais Henry Darcy qui propose, lui aussi, de modifier le tracé Polonceau en abandonnant l’Armançon aux Laumes pour atteindre Dijon via les vallées de la Brenne et de l’Oze au prix d’une forte rampe de 8 mm/m menant à Blaisy et suivie d’un tunnel de 4 100 m. C’est ce dernier avatar, plus court de 34 km mais plus coûteux, qui l’emporte, validant l’ensemble du tracé de la ligne de Paris à Lyon (loi du 26 juillet 1844). Quoiqu’altéré dans sa partie méridionale, le projet Polonceau fait toujours foi et, c’est là l’essentiel, ménage les intérêts des Icaunais, ce qui était le but recherché. Commencée en 1846 par la Compagnie du chemin de fer du Paris à Lyon (Rothschild, Pereire, Enfantin), sa construction s’achève en 1851.

Jusqu’au bout et sans relâche Bien que retiré à Arc-et-Senans, dans le Doubs, où, appauvri, il a trouvé refuge auprès de Victor Charlier, Polonceau continue de s’intéresser de près aux affaires ferroviaires. Il réfléchit plus particulièrement à la desserte de la région qui l’a accueilli, et notamment à une ligne Paris-Genève via Dijon, Dôle et Poligny qu’il

évoque ouvertement en 1841. Ce projet lui permet d’intervenir également dans les débats touchant à la direction à donner aux lignes de Dijon à Mulhouse et de Lyon à Besançon par Bourg. L’idée de cette dernière ligne, officiellement évoquée dès 1843, se concrétise en 1845 par la réunion à Lons-le-Saunier, sous l’égide du préfet du Jura, d’une commission (puis comité central) chargée plus particulièrement d’intervenir auprès des communes intéressées afin de recueillir leur point de vue et d’éventuelles souscriptions. L’Administration, qui se dit prête à prendre à sa charge une partie des études, penche tout d’abord pour un tracé de Bourg à Lons-le-Saunier et à... Poligny, avec embranchement de Lonsle-Saunier à Dôle, puis pour un tracé direct de Bourg à Lons-leSaunier et à Dôle. Toute latitude est cependant laissée au comité central de faire étudier à sa charge exclusive une variante à la section septentrionale. Ce qu’il fait aussitôt en faisant appel à Polonceau, favorable à une ligne plus directe se dirigeant depuis Lons-le-Saunier vers Poligny et évitant ainsi le détour par Dôle. Polonceau rend sa copie le 10 février 1846, à peine plus d’un mois après le rapport de l’ingénieur en chef Delarue chargé de la ligne « officielle ». Les deux projets sont soumis à l’enquête. Le résultat de la consultation, rendu public le 1er février 1847, tourne en faveur du travail de Delarue, laissant à Polonceau le soin de

réclamer, en vain semble-t-il, le paiement intégral de sa contribution. Menée pendant un hiver très pluvieux, cette dernière incursion sur le terrain a raison de sa santé : « J’arrive très fatigué après avoir fait près de quarante lieues de reconnaissance à cheval », confie-t-il dans un courrier adressé son beau-frère. Il décède le 30 décembre, non sans s’être de nouveau penché sur deux autres dossiers concernant les lignes de Dijon à Lyon et de Lyon à Avignon. Consolation posthume, la ligne du pied du Jura (tracé Polonceau) deviendra réalité en 1862-1864, la ligne de Lons-le-Saunier à Dôle (tracé Delarue) en 1905. Concepteur inventif, travailleur acharné, homme de terrain, attentif aux intérêts locaux, Polonceau n’a pas été un administrateur influent, même s’il a été toujours un ingénieur reconnu et un spécialiste apprécié. À lui, le travail de terrain, aux autres le bénéfice des opérations entreprises. Ce n’était certes pas un homme d’argent. Mais, grâce à sa compréhension de son environnement, à son insatiable curiosité, ce fut un créateur d’idées et de solutions techniques adaptées aux questions de son temps. Denis Hannotin et Christine Moissinac, Antoine-Rémy Polonceau (1778-1847). Un Homme libre, un ingénieur au parcours éclectique, Presses des Ponts, 2011, 246 p., www.presses-des-ponts.fr

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Cette publicité Westinghouse de la fin des années 1930 montre à quel point, en France, l’image du mécanicien penché au dehors, les yeux protégés de lunettes, était ancrée dans la société française. Elle sera même reprise, en dehors du film La Bête humaine, sur un timbre émis en 1944 à l’occasion du centenaire des lignes de Rouen et Orléans. Paradoxalement, la situation chez nos deux grands voisins, Grande-Bretagne et Allemagne, était notablement différente. Outre-Manche ou outre-Rhin, les lunettes étaient inconnues, les « bleus » crasseux également ; le mécanicien conduisant en uniforme avec une simple casquette aux armes de l’administration ferroviaire. On voyait même des chauffeurs alimenter le foyer…. cravatés. Pourtant les abris n’étaient guère plus favorables que chez nous. Comprenne qui pourra ! Publicité Westinghouse : La Bête humaine. Coll. J.-M. Combe.

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CULTURE FERROVIAIRE

Protéger ou conduire, il faut choisir ! Aperçus singuliers sur l’évolution des abris de locomotives à vapeur Jean-Marc Combe Conservateur honoraire, Cité du Train, Mulhouse Que Dieu guide à son but la vapeur foudroyante Sur le fer des chemins qui traversent les monts Qu’un Ange soit debout sur sa forge bruyante… Oui, si l’Ange aux yeux bleus ne veille sur sa route, Et le glaive à la main ne plane et la défend, S’il n’a compté les coups du levier, s’il n’écoute Chaque tour de la roue en son cours triomphant, S’il n’a l’œil sur les eaux et la main sur la braise, Pour jeter en éclat la magique fournaise, Il suffira toujours du caillou d’un enfant. Alfred de Vigny, La maison du berger. « Lettre à Éva »

Prologue La scène se passe en 1863, sur le Midland Railway, à hauteur de Loughborough, en Grande- Bretagne, sur la grande ligne du centre, au sud du grand carrefour de Derby. Quelques garçons livrés à euxmêmes (déjà !) trompent leur ennui en jetant de grosses pierres sur les trains qui passent, depuis un pont. Nous sommes à une époque où les machines ne possèdent pas d’abri constitué. Dans la grande majorité des cas, elles n’offrent que deux rambardes latérales ouvragées, faites de barres de fer, et dont le but est plus décoratif qu’utilitaire. Ce qui devait arriver arriva. Un mécanicien fut touché et grièvement blessé. Pour toute réponse et plutôt que de se lancer dans des considérations sur l’état de la société, le talentueux ingénieur en chef du Matériel et de la Traction, Matthew Kirtley (1813-1873), prit la décision de doter ses machines d’un toit

fixé à la plate-forme par quatre longues tiges de fer. Alors que Kirtley pensait le problème réglé il dut, à sa grande surprise, faire face à une véritable fronde de la part de ses mécaniciens et chauffeurs, lesquels ne voulaient pas entendre parler des toits sur les plates-formes. L’enfer est pavé de bonnes intentions et il est permis de se demander quelle erreur Kirtley avait bien pu commettre. Aucune en réalité, mais cet excellent ingénieur connaissait mal la mentalité de ses subordonnés1. 1- E.L. Ahrons, The British Steam Railway Locomotive, 1927, volume 1, p. 177. Londres, réédition Ian Allan, 1968. Matthew Kirtley est le créateur de nombreux types de locomotives, réputés pour avoir eu une longévité étonnante. Il faut se garder de le confondre avec William et Thomas Kirtley respectivement frère et neveu du premier, eux aussi ingénieurs dans d’autres compagnies anglaises de chemin de fer.

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Acte 1

Acte 2

En 1863, un mécanicien de locomotive, ce n’est pas n’importe qui. À l’image du capitaine et de son navire, il est debout à son poste bravant l’adversité et les éléments et ne tolère aucun obstacle à sa vision. Installer entre lui et l’extérieur une protection, c’est porter atteinte à sa virilité. Curieuse façon de voir les choses et étonnante identité de conception avec la hiérarchie, à une période où les ingénieurs en chef se gardent bien d’aborder la question des abris, craignant les endormissements et donc de potentielles catastrophes ! État d’esprit manifeste au moins jusqu’en 1939, date à laquelle il est toujours interdit de s’asseoir à bord des locomotives à vapeur. Pourtant, la question est dans l’air depuis l’affaire Kirtley et surtout depuis la publication en France, en 1857, du livre du docteur Duchesne. Alors que l’époque est traversée par un puritanisme sans doute excessif, Duchesne explique, avec le sérieux requis par sa fonction, que les mécaniciens et chauffeurs, conséquence des vibrations, des trépidations et de la position debout, sont plus portés que les autres ouvriers aux plaisirs de la chair. Plus encore, ils éprouvent fréquemment des érections douloureuses liées à la présence du robinet réchauffeur (?) placé à hauteur des organes sexuels du mécanicien2 ! Comme remède, Duchesne ne propose rien, sinon l’installation d’un abri protecteur dit en « queue d’hirondelle » (par analogie avec le volatile bien connu de nos contrées) avec lunettes, lequel deviendra d’un usage courant, à partir de la fin des années 1860. Il est permis de s’interroger sur la validité de l’argumentation de Duchesne, même si la question des trépidations a été l’objet de toute une littérature érotique mais plutôt côté voyageurs. En effet, l’expérience désastreuse des planchers mobiles montés sur les « Grosses C » PLM, une des gloires de l’Exposition universelle de 1900 avec l’Atlantic Nord, va plutôt prouver le contraire. Les dits planchers, conçus à l’origine pour améliorer le confort du personnel de conduite, vont se révéler d’une pratique intolérable tant les trépidations y étaient insupportables... à une époque où les hommes portaient un caleçon court en été et long en hiver.

On le sait, au départ il n’y avait rien. Comme le disait si ingénument le Magasin pittoresque de 1836, dans sa description d’une locomotive incluse dans un article de vulgarisation préparatoire à l’ouverture du chemin de fer de Paris à Saint-Germain : « Près de cette porte [celle du foyer] est placée une forte planche de support [...] Cette planche supporte le machiniste [nous sommes à un moment où le vocabulaire n’est pas encore fixé], qui peut, suivant le besoin, jeter du coke dans le foyer [...] ». Si l’on fait abstraction des considérations d’ordre sociologiques et médicales évoquées ci-dessus, il semble évident que du point de vue de l’accomplissement du service, le problème des abris peut se limiter à la seule problématique suivante : comment permettre de voir tout en protégeant. On peut ainsi comprendre que le passage de la forte planche à un abri constitué fermé sur tous ses côtés est la conséquence de l’augmentation progressive des vitesses. D’un point de vue technique, c’est vrai, ainsi que le montrera Maurice Demoulin. Pourtant ce sont les difficiles conditions météorologiques propres à certaines régions qui vont jouer un rôle décisif.

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Max Maria von Weber (1822-1881) est le fils du célèbre compositeur Carl Maria von Weber. Moins connu que son père, il fit une brillante carrière d’ingénieur aux chemins de fer saxons, puis aux chemins de fer autrichiens de l’État, avant de clore sa carrière en tant qu’ingénieur-conseil. Ce fut aussi un écrivain prolifique qui, outre la technique, ne dédaignait pas la littérature. Dès 1862, il avait publié un livre sur les dangers encourus par les mécaniciens et le personnel des chemins de fer. Pour les mécaniciens, il enfonça le clou, en donnant un livre de nouvelles, Les Travaux et les jours, dans lequel il milite pour l’installation d’un abri sur les locomotives. L’une d’elles a été traduite et adaptée pour le numéro de Noël 1970 de l’hebdomadaire La Vie du rail. Elle est intitulée « Nuit d’hiver sur une locomotive ». On y voit le vieux Carl Zimmerman, un mécanicien éprouvé, 2- E.A. Duchesne, Des chemins de fer et de leur influence sur la santé des mécaniciens et des chauffeurs, Paris, Mallet-Bachelier, 1857, p. 176-177.


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Figure 1. Au départ, il n’y avait rien. Ici une 120 mixte de 1846-1847, série 345-359, construite pour la Compagnie du Centre, reprise postérieurement par le PO. On remarquera que les deux rambardes latérales, plus décoratives qu’utiles ont déjà été occultées et portent une petite plaque indiquant les noms du personnel de conduite. Coll. J.-M. Combe.

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Figure 3. Cette 030 de type Bourbonnais, construite par Cail en 1852, comporte à la fois des rambardes

latérales

pleines

ainsi que deux « lunettes » installées à hauteur de l’avant de la plate-forme sur le ciel de chaudière. Coll. J.-M. Combe.

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Figure 4. Bon exemple d’un abri « en queue d’hirondelle », installé vers 1865 sur cette 120 PLM construite en 1850. Il est important de noter que, dès 1873, la Compagnie des Charentes puis le réseau de l’État mirent en service des 120 inspirées des idées de Victor Forquenot, mais dotées d’un abri complet avec joues latérales. Coll. J.-M. Combe.

Figure 5. Cette vue plongeante sur l’abri complet de la 230-124 État, ex 2500 Ouest de 1898-1901, montre l’exiguïté de ce dernier, son manque de confort et la visibilité restreinte corroborée par la conduite à droite, alors que les signaux sont implantés à gauche, cas fréquent à la fin du XIXe siècle ! Coll. J.-M. Combe.

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conduire un express dans la nuit saxonne par moins quinze degrés et une formidable tempête de neige, sur sa locomotive Le Griffon. Une fois arrivé à destination, transformé en un bloc de glace, alors qu’il aspire à un repos bien mérité, le chef de gare lui indique qu’il a perdu sa prime à cause de vingt minutes de retard et qu’il doit immédiatement se mettre en tête pour assurer le train du retour, la machine prévue étant indisponible. Pour renforcer son argument, l’auteur nous livre une réflexion d’une jeune voyageuse confortablement installée dans un compartiment chauffé et enveloppée d’une pelisse de zibeline qui s’écrie à l’arrivée du train : « Je suis aussi rompue que si j’avais dansé toute la nuit ! » Par chance, Weber sera suivi et écouté et les locomotives allemandes seront parmi les premières en Europe à être dotées d’un abri complet et ce, dès les années 1860.

chaudière avec vitres de vision, il évoquait plus une maisonnette. Il fallait que le personnel se sente comme chez lui. L’abri, allié à la cheminée réservoir d’escarbilles et au chasse-buffles, devait donner l’image si caractéristique de la locomotive américaine du « Far West » et popularisée par des dizaines de westerns3. Plus curieux encore, l’abri de locomotive fut à l’origine d’une étonnante campagne de publicité de la part des constructeurs. En effet, d’une manière générale les réseaux américains avaient plutôt tendance à ne pas étudier de locomotives et à choisir sur catalogue. Les constructeurs rivalisaient donc d’ingéniosité pour séduire le client. C’est ainsi qu’à un moment où la copie des styles anciens était à la mode, les constructeurs n’hésitaient pas à proposer des abris Renaissance, Gothique, Louis XVI, oriental ou simplement américain4.

Acte 3

3- Sur les origines de l’abri aux États-Unis, voir l’ouvrage fondamental de John. H. White Jr., American locomotives. An engineering history, 1830-1880, Baltimore, The Johns Hopkins Press, 1968, p. 221- 223. 4- La planche des abris de locomotives stylisés proposés par différents constructeurs a été publiée en France dans Les Chemins de fer, Paris, Larousse, 1964, p. 19, puis reprise avec variantes, toujours chez Larousse, en 1970 dans le premier tome de L’Art et le monde moderne (direction René Huyghe et Jean Rudel), p. 75, sous le titre significatif de « La manie du style ou l’éclectisme industriel ».

Aux États-Unis, pays de libéralisme économique échevelé, le pragmatisme ambiant fit que, prenant en compte les conditions climatiques particulières de l’Amérique du Nord, dès 1850 toutes les locomotives étaient munies d’un abri complet et fermé. Fait d’un toit, de deux joues latérales avec fenêtres et de baies perpendiculaires à la

Figure 6. La S. Meredith, construite par Richard Norris en 1855, pour le Cincinnati and Chicago Air Line. Un summum en matière d’ornementation et de mauvais goût, du moins vu avec les yeux d’un observateur d’aujourd’hui. L’abri Renaissance tient à la fois de la chapelle et de la résidence secondaire ! Coll. J.-M. Combe.

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Acte 4 Ainsi qu’annoncé plus haut, laissons maintenant la parole à Maurice Demoulin, bon juge de la question des abris, à la fin du xixe siècle, dont il donne une appréciation historique et technique. C’est là un texte parfait, auquel il n’y a rien à ajouter :

« L’abri du mécanicien, en France du moins, ne se trouve guère que sur les machines de construction récente. Il y a quelques années encore, on se contentait de simples écrans, recourbés parfois vers l’arrière, pour former un commencement de toiture. Ces écrans, en tôle, placés à peu près à l’aplomb de la face arrière du foyer, étaient munis, de chaque côté, d’un verre enchâssé, appelé « lunette », permettant au mécanicien de voir sur l’avant sans se pencher au dehors. « Ces écrans, considérés autrefois comme un luxe, à une époque où, d’ailleurs, les vitesses et les parcours des machines étaient moindres qu’aujourd’hui, sont remplacés, dans la plupart des locomotives de construction récente, par de véritables cabines en tôle, comportant une face avant munie de lunettes, de joues latérales assez développées et une toiture recouvrant toute la plate-forme. Les agents sont ainsi très convenablement protégés contre les intempéries5. » Pour que notre lecteur puisse se forger une opinion objective, avant de discuter quelques points, nous donnons maintenant une appréciation étonnante, postérieure d’une quarantaine d’année à celle de Demoulin. Elle émane de la Société « L’aérodynamique industrielle », dans un dépliant vantant les mérites du pare-brise Pottier, pare-brise aérodynamique supprimant les glaces des hublots sur les locomotives. Ce texte, de décembre 1933, vaut d’être cité :

« Le problème de la visibilité nécessaire aux mécaniciens des Réseaux de Chemins de Fer a intéressé de nombreux Ingénieurs, mais, jusqu’à ce jour, la solution n’avait pu être trouvée. Les appareils proposés comportaient généralement des parties mécaniques et, après un court temps de service, ces appareils ne fonctionnaient plus. « Aucun dispositif n’a pu réussir à maintenir les glaces propres, en sorte que, les mécaniciens ne

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devant pas risquer de manquer l’observation des signaux, sont obligés de maintenir constamment la tête en dehors, exposée au vent, à la pluie et aux escarbilles. Il en résulte, vu les vitesses actuelles, des maladies des yeux et de la gorge, une très grande fatigue diminuant leurs fonctions visuelles et leur résistance physique ; d’où un déchet [sic] permanent dans le personnel, sans compter les nombreux accidents mortels qui se produisent par heurt de la tête contre les obstacles bordant la voie (31 morts en 1930 sur les sept réseaux français). « À ces inconvénients, il convient d’ajouter celui de la réverbération dans les glaces, des lunettes situées en arrière, laquelle gêne beaucoup l’observation des signaux dans les grandes gares où il existe de nombreux foyers lumineux et, empêche pour cette même raison un éclairage normal et suffisant des abris de machines... » Nous voici loin des phantasmes sexuels de Duchesne, comme de la rationalité satisfaite de Demoulin, pour approcher une réalité telle qu’on peut encore l’apprécier aujourd’hui dans le film de 1938 La Bête humaine de Jean Renoir, avec Gabin dans le rôle du mécanicien6. On comprend mieux comment à la volonté de protéger s’est toujours opposée celle de bien voir. C’est pourquoi, les fameux abris en queue d’hirondelle, promus par Duchesne et appliqués à partir de 1860, constituaient une demi-mesure. Comme toute les demi-mesures, elle ne permettait d’atteindre aucun des objectifs assignés ; autrement dit la protection était plus que symbolique, surtout en cas d’intempérie. Quant à la vision, lunettes ou non, on ne voit pas ce qui changeait par rapport à une locomotive de 1840. Pour ce qui est des abris complets, en dépit de tout ce qu’on a pu écrire, ils constituaient un véritable leurre. Une visite récente aux machines les plus modernes de la collection de la Cité du Train nous a permis d’en prendre pleine conscience. Ainsi, 5- Maurice Demoulin, Locomotive et matériel roulant (Bibliothèque du conducteur de travaux publics), Paris, Vve Ch. Dunod Éditeur, 1896, p. 169-170. 6- Sorti en version restaurée et remastérisée en novembre 2013.


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Figure 7. Ce que le mécanicien voit, à partir d’un pare-brise Pottier. La photographie a été prise à la gare Saint-Lazare, depuis l’abri d’une Pacific État, positionnée côté province. Coll. J.-M. Combe.

la Pacific Chapelon trompe son monde avec ses deux fenêtres latérales. En réalité, une fois sur la plate-forme on se rend compte qu’il n’y a pas la moindre place : se pencher depuis la fenêtre la plus proche de la chaudière est impossible. Donc, l’abri Chapelon n’apporte rien de plus que les abris des machines Nord si décriés pour leur côté spartiate et où, pour peu que le mécanicien fût un peu corpulent, le parcours s’effectuait avec les fesses à l’extérieur. Même les 141 R, si célèbres pour leur ergonomie, étaient loin d’être parfaites de ce point de vue. Une fois les vitres sales, il fallait bien pencher la tête en dehors pour voir. Il en allait de même sur la 232 U 1, en dépit de sa cabine « hightech » et de ses essuie-glaces. Une solution, a priori plus satisfaisante, mais non intentionnellement recherchée puisque liée à la structure même de la machine, se fit jour avec les locomotives-tender, surtout celles construites après 1890, avec leurs faces avant et arrière assez bien occultées, mais avec les joues latérales le plus souvent largement ouvertes. Ainsi les mécaniciens et chauffeurs de ces machines se trouvaient-ils à peu près dans la même situation que celle des voyageurs de 3e classe habitués des impériales ouvertes ! Sans doute serait-on parvenu à une solution plus satisfaisante du problème, du moins aux plans ergonomique comme à celui du confort

avec les locomotives modernes prévues par André Chapelon à partir de 1942. Mais il est impossible d’en parler objectivement, ces dernières, non construites, n’ayant pas reçu la sanction de l’expérience. Pour nous résumer, nous ferons nôtre l’opinion de nombreux anciens mécaniciens pour qui, en dépit du fort intérêt pour leur métier, la locomotive à vapeur classique n’était pas autre chose « qu’une boîte à courants d’air ». La prophétie du poème de Vigny, citée en épigraphe, était toujours avérée plus de cent ans après sa publication

Épilogue Le problème de l’abri de la locomotive à vapeur classique semble donc une aporie, un problème sans solution. Il en existe pourtant une, ainsi que le montrera le futur. Elle réside dans… l’abandon de la vapeur au profit d’autres modes de traction, lesquels permettent aisément d’installer une cabine de conduite à l’avant de l’engin, et ainsi de régler les questions de vision et de confort, et de travailler l’ergonomie. En son temps, en France, les locomotives à vapeur spéciales que furent celle de Thuile en 1900, les machines thermo-électriques de Heilmann des années 1890, ou encore la 230 E 93 Sud-Est à chaudière Velox de 1938, toutes dotées d’une cabine à l’avant, avaient ouvert la voie vers les solutions du futur. Les Rails de l’histoire, n° 6 - avril 2014

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SNCF. Vade-mecum des gares parisiennes en 1938 Publié par la SNCF en novembre 1938, ce livret de 18 pages à l’usage des voyageurs – qui promeut l’ensemble des services qui lui sont offerts – a pour intérêt de nous faire (re)découvrir les plans d’aménagement des grandes gares parisiennes telles qu’elles se présentaient avant guerre. Gares remarquablement croquées ici par le peintre-dessinateur Emile André Schefer (1896-1942) qui a su, comme à son habitude, faire œuvre de vulgarisation pour l’éducation du plus grand nombre. L’occasion pour les anciens de se remémorer des lieux familiers aujourd’hui disparus (gares de Montparnasse et d’Orsay) ou profondément remaniés, et pour les plus jeunes de s’essayer au jeu des différences.

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5 La reconstruction n’attend pas. Faute de pouvoir obtenir de l’industrie nationale les rails nécessaires, la SNCF démantèle pour faire face à ses besoins, parfois au détriment des impératifs stratégiques des armées toujours en guerre. CAH SNCF, Le Mans, 0039LM0069-001.

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La dépose des voies ferrées pendant la Seconde Guerre mondiale (3e et dernière partie) Gilles Degenève

La Reconstruction du réseau (1944-1949) L’obligation de reconstruire au plus vite le réseau, conjuguée à la faiblesse de l’industrie nationale au sortir de la guerre, conduit la SNCF à établir et à poursuivre jusqu’en 19481 un nouveau programme de dépose de voies ferrées. Tout comme pour les « réquisitions » effectuées au bénéfice de l’occupant, les choix de la SNCF doivent être entérinés par une décision officielle émanant conjointement des ministères des Transports et de la Guerre2. Ce qui n’empêche pas les absences de concertation, source de tiraillements. Alors que la première décision de dépose au titre de la reconstruction est prononcée le 24 octobre 1944, l’état-major déplorera ultérieurement de n’être pas systématiquement consulté et donc de se trouver parfois devant le fait accompli d’une dépose à laquelle son 4e Bureau (transports) aurait souhaité surseoir en raison du caractère stratégique de l’itinéraire concerné. C’est le cas notamment pour la mise à voie unique de la ligne de Rouxmesnil à Eu, réalisée en octobre 1944, dont il se plaît à rappeler qu’elle avait connu un sort identique à l’issue de la Grande Guerre. Fin 1944, 420 km de voie sont désignés pour être déferrés et réemployés à la reconstruction. La reddition de l’armée allemande le 7 mai 1945 permet à la SNCF de se mettre durablement à l’œuvre tout en profitant des destructions pour revoir à la baisse la consistance du réseau. Précisons toutefois que certaines lignes ont été « sacrifiées » moins par volonté délibérée que du fait de la dépense liée à la reconstruction

de leurs ouvrages d’art. On peut citer comme exemples, en Normandie, les deux courtes sections de Feuguerolles-Saint-André à Mutrécy et de Saint-Aubin-du-Vieil-Évreux à Prey, ou encore, en Lorraine, la partie centrale de la stratégique Metz-Anzeling-Guerstling. À l’inverse, de nombreuses lignes de la Région Est doivent au maillage très dense des itinéraires stratégiques, désormais superflu, d’être amputées. Le 9 novembre 1945, juste retour des choses, le ministre des Transports et des Travaux publics, René Mayer, demande au gouverneur militaire de la Zone française d’occupation en Allemagne, le général Kœnig, de bien vouloir faire procéder, au profit de la France, à la récupération de 800 km de voie afin de contribuer à la remise en état du réseau national. Cette requête, partiellement honorée à compter de l’année suivante, se traduit par la mise à voie unique définitive des tronçons TuttlingenHorb (ligne Stuttgart-Zürich) et GermersheimPirmasens-Nord et celle, provisoire, de la section Offenbourg-Fribourg-en-Brisgau, maillon pourtant vital de la grande artère Francfort-Bâle. Cette disposition permet de récupérer dans un premier temps quelque 200 km de voie.

1-Et même 1949 si on prend en compte la remise en service du tronçon stratégique Roeschwoog-Wintersdorf, ainsi que la mise à voie unique de la section sud de la Petite Ceinture. 2- Un autre intervenant sera, jusqu’en 1947, la Commission interalliée des chemins de fer.

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Fin 1945, le cumul des voies mises hors service depuis l’été 1944 atteint 1 438 km. La démarche se poursuit les années suivantes, sous l’œil toujours attentif du 4e bureau de l’état-major qui, à deux reprises, les 18 novembre 1946 et 23 octobre 1947, réitère son appel à une concertation permanente. Son deuxième rappel à l’ordre vise l’exécution d’un nouveau programme de dépose portant sur 545 km soumis par la SNCF le 6 juin 1947 pour pallier l’insuffisance des contingents de voie à prélever en zone d’occupation. Quelques semaines plus tard, le directeur du Service technique des installations fixes s’engage à faire donner des instructions aux directeurs des six Régions pour qu’ils n’entreprennent pas ou cessent les prélèvements sur les sections de ligne jugées stratégiques par l’étatmajor. En définitive, les programmes de dépose ont concerné 174 km en 1946 et 572 en 1947, soit un total de 2 184 km depuis l’été 1944, équivalent donc aux réquisitions allemandes. En note manuscrite : « Ces PK ont été choisis d’entente entre nos Arrondissements. » Rétablir les voies impose des arbitrages pas toujours faciles à régler. CAH SNCF, Le Mans, 0039LM 0069-001.

En 1948, l’amélioration de la mique du pays et la capacité de nale à fournir la SNCF en rails visager la fin des prélèvements

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conformément au souhait exprimé le 22 décembre 1947 par la Commission militaire supérieure des chemins de fer, le ministre des Travaux publics transmet le 15 mai 1948 à son homologue de la Défense nationale une liste des sections qui pourraient, sans plus attendre, faire l’objet d’une remise à double voie (200 kmenviron). Dans le même temps, la réfection de plusieurs ouvrages d’art s’accompagne parfois encore de la décision de mise à voie unique des tronçons de ligne qui les portent : c’est le cas sur l’Ouest des tronçons de Saumur à Thouars (viaduc de Saumur) et de La Chapelle-sur-Erdre (Nantes) à Saint-Joseph (Châteaubriant) (viaduc de la Jonnelière), ou bien sur l’Est de la section de Bouzonville à Guerstling. Ce qui explique que le recensement des voies ferrées destinées au démontage ne s’élève plus qu’à 50 km pour les deux années 1948 et 1949. Ainsi s’est amorcé un renversement de tendance qui a replacé le service Voies et Bâtiments de l’époque dans la bonne direction. Et si la SNCF remet en œuvre après 1950 plusieurs programmes de mise à voie unique, au moins s’agit-il d’un choix délibéré qui, bien que quelquefois discutable, ne lui a pas été dicté par des circonstances dramatiques comme cela a été le cas tout au long de la période étudiée. Pour quelles raisons continue-t-on à attribuer par méprise à la puissance occupante la quasi-totalité des déposes de la période de guerre, alors que les faits démontrent avec évidence que seule la période été 1942-printemps 1944 a été concernée par cette disposition ? Une réflexion globalisante et simplificatrice est sans doute à l’origine de cette assimilation fautive. Même si le poids de la rancœur née de l’Occupation ne suffit pas à expliquer ce glissement, il est vraisemblable que ce souvenir solidement ancré ait contribué à ce raisonnement réducteur teinté d’inexactitude.

situation éconol’industrie natiopermettent d’ende voies. Mieux,

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Le tableau 4 donne la liste des sections de lignes de la SNCF dont la dépose a été prononcée au bénéfice de la reconstruction du réseau, tandis que le tableau 4 bis reprend celles ayant fait l’objet d’une réhabilitation.


PATRIMOINE

Tableau 4.

RÉGIONS

KILOMÈTRES

RÉGION EST Lignes à quatre voies mises à trois voies 1944 Mohon Poste C – Lumes-Voyageurs (OA) 1947 Nançois-Tronville – Lérouville

3 24

Lignes à quatre voies mises à double voie 1944 Sermaize-les-Bains – Revigny (OA) 1945 Téterchen – Hargarten Falck (OA) 1945 Woippy – Uckange 1945 Pagny-sur-Moselle (Bif km 373,6) – Ars-sur-Moselle(1) 1947 Bar-le-Duc – Nançois-Tronville 1948 Mussey – Bar-le-Duc

14 10 38 18 22 17

(1) Au-delà d’Ars-sur-Moselle et jusqu’à Metz-Sablon, la ligne a été conservée à quatre voies tout en ayant fait l’objet de phases d’exploitation provisoires rendues nécessaires par la reconstruction des viaducs jumeaux franchissant la Moselle au km 346,305.

Lignes à double voie supprimées 1944 Sens-Lyon – Sens-Saint-Clément (OA) 1944 Vantoux-Vallières – Vigy(1) (OA) 1944 Bettelainville – Anzeling(1) (OA)

5 22 22

(1) Ces deux tronçons appartenaient à la ligne Metz – Bettelainville – Anzeling, dont les Allemands avaient détruit tous les ouvrages d’art en novembre 1944. Sa remise en exploitation ayant été envisagée, la SNCF avait partiellement rétabli l’itinéraire, limité à une voie. Les tronçons VantouxVallières – Vigy et Bettelainville – Anzeling furent définitivement fermés en 1953 [Marcel Gourlot, André Schontz, Arsène Felten, Le Chemin de fer en Lorraine, Metz, Éditions Serpenoise, 1999, p. 223].

Lignes à double voie mises à voie unique 1944 1945 1945 1945 1945 1945 1945 1945 1946 1946 1946 1947 1947 1947 1947 1947 1947

Rech –Sarralbe (OA) Amagne-Lucquy – Liart Troyes-Preize – Arcis-sur-Aube Troyes-Preize – Sens-Saint-Clément Sarreguemines – Bliesbruck (OA) Arches – Bruyères Vigy – Bettelainville Graffenwald – Cernay Metz-Ville – Vantoux-Vallières Vilosnes-Sivry – Dun-Doulcon Stenay – Mouzon Saint-Dizier – Mognéville Revigny – Sainte-Menehould Haguenau – Roeschwoog(1) Sampigny – Dugny Verdun – Vilosnes-Sivry Dun-Doulcon – Stenay

3 27 35 58 10 18 4 4 4 8 22 17 36 22 41 28 13

(1) Le tronçon Haguenau-Oberhoffen est resté inexploité de 1944 à 1976.

Les Rails de l’histoire, n° 6 - avril 2014

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PATRIMOINE

Tableau 4. (suite)

RÉGIONS

KILOMÈTRES

RÉGION EST (suite)

Lignes à double voie mises à voie unique (suite) 1947 1947 1947 1947 1948 1949

Mouzon – Pont-Maugis Sarralbe – Sarreguemines (via Hambach) Saverne – Molsheim Steinbourg – Schweighouse-sur-Moder Bouzonville – Guerstling (OA) Roeschwoog – Wintersdorf frontière(2) (OA)

11 12 27 33,5 7,5 7

(2) Cette section de ligne représente un cas singulier : située sur un itinéraire à vocation stratégique Alsace – Pays de Bade, sa mise à voie unique a été tributaire des modalités de reconstruction du monumental pont de Roppenheim achevée en mai 1949. Le relèvement de cet ouvrage – détruit en octobre 1939, rétabli à voie unique en mai 1942, à double voie en février 1943, victime de nouveau des combats en mars 1945 – s’est accompagné de l’introduction de la circulation routière sur une moitié du tablier. Cependant, pour satisfaire la volonté exprimée par l’Otan de pouvoir rétablir la seconde voie (tout comme pour l’ensemble du parcours) dans un délai de 48 heures en cas de nécessité, les essais en charge ont conduit à remonter celle-ci provisoirement afin de laisser le passage à deux locomotives de front.

Lignes à voie unique supprimées 1944 1944 1944 1945 1945

Mertzwiller – Walbourg (OA) Colmar-Port-du-canal – Marckolsheim (voie métrique) (OA) Colmar – Lapoutroie (voie métrique) (OA) Neuf-Brisach – Breisach frontière (OA) Jessains – Dienville(1) (OA)

12 20 20 3 8

(1) Voir tableau 3, Région Est.

RÉGION NORD

Lignes à double voie mises à voie unique 1945 Les Fontinettes (Bif. Four à Chaux) – Petite Synthe (Bif. Ferme Adriaonsen) 1945 Aire-sur-la-Lys – Arques 1945 Laon – Aulnois-sous-Laon 1945 Chambly – Saint-Sulpice-Auteuil 1945 Vieux-Rouen-sur-Bresle – Longroy-Gamaches 1945 Somain – Orchies 1946 Aumale – Vieux-Rouen-sur-Bresle 1946 Arques-Lumbres 1946 Woincourt-Eu (Bif. de Dieppe) 1946 Compiègne-Rethondes 1947 Rethondes-Soissons 1947 Abbeville-Woincourt 1947 Athies sous Laon-Liart 1947 Beauvais (Bif. de Pentemont)-Rainvillers 1947 Bif. de Mont Guillain-Saint Paul 1949 Grenelle Poste 3 – Bif. des Gobelins (Petite Ceinture)

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Les Rails de l’histoire, n° 6 - avril 2014

34 13 4 25 22 13 8 14 9 6 27 19 54 5 1 7,5


PATRIMOINE

Tableau 4. (suite)

RÉGIONS

KILOMÈTRES

RÉGION NORD (suite)

Lignes à voie unique supprimées 1945 1946 1947

Guise – Lesquielles-Saint-Germain(1) Bettrechies – frontière belge Watten-Éperlecques – Saint-Pierrebrouck (OA)

2 2 6,5

(1) Sur le tronçon désigné, la ligne SNCF utilisait depuis la dépose une infrastructure privée afin d’assurer la continuité de l’exploitation entre les gares de Guise et du Cateau.

RÉGION OUEST

Lignes à double voie mises à voie unique 1944 1944 1944 1945 1945 1945 1945 1945 1945 1946 1947 1948 1948

Rouxmesnil – Eu Saint-Aubin-du-Vieil-Évreux – Prey (OA) Elbeuf-Ville – Bif. de la Bouille Moulineaux (OA) Feuguerolles-Saint-André – Mutrécy (OA) Nantilly – Thouars Niort – Saintes Doulon – Carquefou Écouflant – Angers-Saint-Serge Segré – Besné-Pont-Château Thouars – Niort Saint-Martin-d’Écublei (Bif.) – Conches(1) Saumur-RD – Nantilly (OA) Saint-Joseph – La Chapelle-sur-Erdre (OA)

37 5 6 5 33 72 7 3 100 90 32 5 6

(1) Ce tronçon de voie avait déjà fait l’objet de prélèvements ponctuels dès 1944.

Il y a lieu de rajouter à cette liste le cas de la section de Saint-Cyr-GC à Poissy-GC qui, mise hors service en août 1944 par suite de la destruction du viaduc du Val-Saint-Léger, a fait l’objet d’une décision ministérielle de mise à voie unique (21 mars 1945) alors que le trafic n’avait toujours pas repris compte tenu de la brèche subsistante. La réouverture à double voie de cet itinéraire (après repose de la voie démontée sur 14 km) est intervenue le 27 janvier 1947 avec la fin des travaux de reconstruction du viaduc (pour des raisons techniques, la traversée de l’ouvrage se fait par une voie unique à quatre rails, deux pour chaque sens).

Lignes à voie unique supprimées 1944 1944 1944 1944 1944 1944 1945

La Pyramide – Juigné-Saint-Mélaine (OA) Massy-Palaiseau – Gallardon (OA) Saint-Pierre-du-Vauvray – La Sablière (OA) Vernon – Vernonnet (OA) Nogent-le-Rotrou – Souancé (OA) Durtal – Gouis (OA) Bagnoles-de-l’Orne – Couterne

2 78 2 1,5 6 1,5 7

Les Rails de l’histoire, n° 6 - avril 2014

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PATRIMOINE

Tableau 4. (suite)

RÉGIONS

KILOMÈTRES

RÉGION SUD-OUEST

Ligne à trois voies mise à double voie 1944

Toury – Cercottes

23

Lignes à double voie mises à voie unique 1944 1945 1945 1945 1945 1946 1947 1947 1947 1947

Saint-Florent-sur-Cher – Les Trillers Tarbes – Vic-Bigorre Voves – Notre-Dame-d’Oé Castres – Lautrec Les Aubrais (Poste B) – Pannes Montpellier Poste 3 (Bif.) – Montpellier Poste d’Arènes Dax – Puyôo Notre-Dame-d’Oé – La Membrolle Voves – Auneau-Embranchement Bannay – Les Aix d’Angillon

75 17 128 14 65 1 28 6 22 38

Lignes à voie unique supprimées 1944 1944

Carmaux-Vindrac Port Boulet-Avoine Beaumont (OA)

21 6,5

RÉGION SUD-EST

Ligne à quatre voies mises à double voie 1945

Sens – Laroche-Migennes

55

Ligne à quatre voies mise à trois voies 1945

Les Laumes – Blaisy-Bas

28

Lignes à double voie mises à voie unique 1942 1944 1945 1945 1945 1945 1946 1947

Gap – Chorges* Mâcon – Bourg-en-Bresse (OA) Laroche-Migennes – Auxerre Frasne – Pontarlier Gannat – Riom Sathonay – Bourg-en-Bresse Allerey – Saint Bonnet Saint-Bonnet – Dôle

12 35 18 16 26 51 12 45

*Pressentie pour les besoins du Méditerranée-Niger (au même titre que le tronçon Veynes-Gap), l’une des voies de cette section a été neutralisée en 1942, mais sa dépose n’est intervenue qu’en 1945 au bénéfice de la reconstruction (après avoir été récusée en 1943 par les autorités allemandes qui n’avaient pas souhaité l’inclure dans la liste des 2 500 km destinés au Reich).

Sous-total tableau 4 = 2 233,5 km

Total général des tableaux 1 à 4 = 4 977 km

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Les Rails de l’histoire, n° 6 - avril 2014


PATRIMOINE

Tableau 4 bis. Remise en service des sections déposées

KILOMÈTRES

Ligne à double voie remise à trois voies 1945

Toury – Cercottes

23

Lignes à voie unique remises à double voie 1944 Hymont-Mattaincourt – Épinal 24 1946 Épernay – Ay 3 1948 Gannat – Riom 26 1949 Laroche-Migennes – Bonnard Bassou 4 1949 Franois – Arc-et-Senans 22 1949 Royat – Volvic 14 1949 Dax – Puyôo 28 Bien que n’entrant pas dans le cadre strictement légitime de cette étude, nous indiquons également ci-après les sections de lignes du réseau français ayant fait l’objet pendant la période considérée d’une mise à double voie ou d’un quadruplement.

Ligne à double voie mise à quatre voies 1938

Les Laumes – Blaisy-Bas (Région Sud-Est)

63

Lignes à voie unique mises à double voie 1939 1939 1939 1940 1941 1942

Ormoy-Villers – Mareuil sur Ourcq (Région Nord)(1) Saint-Antoine-du-Rocher – Dissay-sous-Courcillon (Région Sud-Ouest) Aubigné-Racan – Arnage (Région Sud-Ouest) Rouxmesnil – Eu (Région Ouest)(1) Saint-Benoît – Lusignan (Région Ouest)(2) Saint-Maixent – Niort (Région Ouest)(2)

21 22 29 37 21 23

(1) Les sections d’Ormoy-Villers à Mareuil-sur-Ourcq et de Rouxmesnil à Eu ont perdu leur seconde voie respectivement en 1942 et 1944. (2) La mise à double voie de la ligne de Saint-Benoît (Poitiers) à Niort, approuvée par décision ministérielle du 2 avril 1941, limitée à ses deux extrémités, n’a pu se faire que grâce à la dépose, cette même année, de la seconde voie des tronçons Thouars – Loudun et Thouars – Bressuire.

6 Le texte complet de cette étude et les cartes correspondantes seront prochainement en ligne sur le site www.ahicf.com

Les Rails de l’histoire, n° 6 - avril 2014

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ACTUALITES DE L’AHICF

Nouvelles de la bibliothèque. 2013,

une année bien remplie

Depuis notre dernier rendezvous (Les Rails de l’histoire n° 2, novembre 2011), la bibliothèque a pleinement profité de son transfert dans les nouveaux locaux de l’association. Outre une capacité accrue, les nombreux rayonnages mis à sa disposition ont grandement facilité le libre accès aux ouvrages, une prérogative fort goûtée des lecteurs qui en fait aussi son originalité. En 2013, le catalogage (http:// ahicf.centredoc.fr/opac/) s’est poursuivi à un rythme soutenu, permettant notamment d’éponger le retard accumulé ces dernières années. À ce jour, près de 5 900 références ont été entrées dans la base, dont 900 environ pour cette année. À l’indexation des ouvrages récemment publiés (une centaine en moyenne chaque année), répond celle des livres et documents anciens, de loin les plus nombreux. Si quelques-uns de ces derniers ont été « dénichés » sur Internet, la plupart proviennent de dons. Ont été ainsi traités ces derniers mois les versements de MM. Balensi, Caron, Haguenauer, Janssoone, Laroche et Lehuen. Nous n’omettrons pas de citer, non plus, les apports faits par les Archives départementales de la Seine-etMarne (deuxième versement), le Cercle ouest parisien d’études ferroviaires (Copef ) et le Cercle généalogique des cheminots (CGC). Que tous nos dona-

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teurs soient ici chaleureusement remerciés pour avoir contribué à enrichir nos collections. Le mot « collection » est bien le terme approprié car, outre les livres, sont pris en compte d’autres types d’imprimés, tels les anciens et nombreux règlements ou dépliants touristiques (ces derniers provenant de la collection de Jacques Hardel acquise en 2006) qui ont fait, cette année, une entrée remarquée au catalogue. Une autre richesse de la bibliothèque réside dans le dépôt régulier de travaux universitaires (thèses, maîtrises, masters, etc.) liés à l’histoire, la géographie et la sociologie des chemins de fer, mais aussi au droit, à l’architecture, au patrimoine : 10 nous ont été confiés en 2013, portant leur nombre total à 400. Le nombre croissant de connexions au catalogue en ligne et les échos positifs recueillis auprès de certains utilisateurs sont autant d’encouragements. Une autre mission de la bibliothèque est l’accueil des chercheurs. En 2013, 46 ont fréquenté nos locaux, dont 18 professeurs et étudiants, les autres lecteurs ayant justifié de travaux personnels sérieux ou de recherches à des fins d’édition ou de production audiovisuelle. Mais ces chiffres ne tiennent pas compte des visites « spontanées et amicales » de membres et de partenaires ponctuels de l’association, qui prolongent leur séjour dans

Les Rails de l’histoire, n° 6 - avril 2014

nos murs par un détour à la bibliothèque. Enfin, celle-ci répond aux demandes de renseignements adressées à l’association par courrier ou par mèl. 67 réponses ont été faites en 2013. Outre ses collections d’imprimés, la bibliothèque abrite également des fonds d’archives, également issus de dons privés, et dont le faible volume permet une conservation sur place. Sont ainsi entrés en 2013 des fonds confiés par F. Achard et J. Eynaud sur l’histoire des premiers chemins de fer en France (versement complémentaire), par le Club intercontinental des transports (création et activités de 1947 à 2012), par le professeur Caron (affaires diverses relatives à la Compagnie du Nord, fonds destiné aux archives publiques après traitement) et par Nicole Forgeron (papiers hérités d’Albert Forgeron, son père, auteur de plusieurs affiches SNCF institutionnelles et commerciales). Échappe à ce recensement le fonds André Jacquot, dont l’importance (plus de 250 mètres linéaires) nous a conduits à confier son conditionnement à une société privée pour un entreposage en région parisienne afin de nous donner le temps de réfléchir à sa destination.


ACTUALITÉS DE L’AHICF

1914-2014 À tous ceux auxquels le mot « commémoration »

évoque une odeur de poussière tombée des plis

d’un drapeau, de musique de cuivres, de longues heures debout et d’uniformes trop chauds, l’année 2014 et en particulier le programme de l’Associa-

tion pour 2014 devraient apporter non seulement un démenti mais un nouvel élan.

Le centenaire de la Grande Guerre est d’abord un

mouvement scientifique et culturel qui entraîne les collectivités locales, toutes concernées par le deuil

ou le souvenir de la destruction, les institutions patrimoniales et culturelles, les établissements

d’enseignement. Le succès récent de « la grande collecte » de documents privés relatifs à la Grande

Guerre a montré le souhait de chacun de se pencher vers le passé d’une famille, d’un lieu, d’une institution, pour le moins d’en savoir davantage.

Le conseil scientifique de la Mission du centenaire

a accueilli, dans l’agrément qu’il a donné aux projets destinés à marquer cet anniversaire, aussi bien

par l’association Histoire et Vies du Xe arrondissement (sur inscription). • L’événement « 1914-2014. Du pain et des liens », qui évoquera du 5 au 7 septembre 2014 les valeurs de solidarité, d’échange et de partage mises en œuvre dans les gares par les cantines et services bénévoles destinés aux soldats (événement public, entrée libre). Cette manifestation, en s’appuyant sur l’histoire de l’alimentation et celle de Paris pendant la Grande Guerre, rappelle l’importance de la nourriture et des pratiques culturelles qui lui sont liées et introduit le public à des valeurs et à des significations que l’éloignement des temps lui rend étrangères. Des visites de la gare de l’Est sont également prévues autour du peintre Albert Herter (18711950), de sa famille et du tableau monumental, « Août 1914. Le départ des poilus » qu’il avait souhaité offrir à la Compagnie de l’Est.

les projets culturels et artistiques qu’historiques et patrimoniaux, pourvu qu’ils soient fondés sur les

faits et que, au-delà de la transmission d’une his-

toire, ils aient à cœur de susciter la réflexion du public, en particulier du jeune public, sur la paix et les conditions de sa possibilité dans l’avenir.

L’Association reçu l’agrément de la Mission pour deux projets :

• Le colloque international « Gares en guerre, 1914-1918 », qui sera accueilli par la mairie du

Xe arrondissement, grande salle des fêtes, du

3 au 5 septembre 2014, et accompagné par une

6

Programme mis à jour sur www.ahicf.com

Mission Centenaire 14-18 Portail officiel du centenaire de la Première Guerre mondiale http://centenaire.org/fr

exposition de photographies du quartier des deux gares pendant la Grande Guerre, préparée

Les Rails de l’histoire, n° 6 - avril 2014

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ACTUALITES DE L’AHICF

Réinventer le tramway ? Quarante années de TCSP, tramways et transports guidés en France : controverses et réalisations Séminaire proposé par l’AHICF et l’Axe « Architecture des Territoires » de l’UMR AUSser n° 3329 / CNRS Inscriptions : seminaire_tramway@ahicf.com

Année 2013-2014 : « Le tramway comme projet urbain »

6e séance : « Le tramway à Paris »

Intervenants : - Arnaud Passalacqua, Laboratoire Identités, Cultures, Territoires, Université Paris Diderot - Philippe Ventejol, RATP, Département Développement, Innovation et Territoires - Pierre Zembri, Laboratoire Ville Mobilité Transport – Institut Français d’Urbanisme - Philippe Zittoun, Laboratoire d’Économie des Tranports – École Nationale des Travaux Publics de l’État

6 L’enregistrement des interventions est disponible en ligne sur le site www.ahicf.com

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Les Rails de l’histoire, n° 6 - avril 2014



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