UNIVERSITE MONTESQUIEU - BORDEAUX IV DROIT, SCIENCES SOCIALES ET POLITIQUES SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION
L’APPLICATION DU DROIT DES SOCIETES AUX ASSOCIATIONS
Présenté par Jacques - Brice MOMNOUGUI
Mémoire pour l’obtention du Master II Droit privé fondamental : Dominante Droit des affaires
Sous la direction de Mme Florence Deboissy Professeur à l’Université Montesquieu – Bordeaux IV
Année Universitaire 2006 – 2007
Liste des abréviations
AJ Al. Art. Ass. Plén.
Actualité Juridique Alinéa Article Assemblée plénière
Bull. cassation BODACC civiles et commerciales Bull. Joly
Bulletin des arrêts de la Cour de Bulletin officiel des annonces Bulletin Joly
Cass. civ. Cass. com. commerciale Cass. soc. C. C. ass. C. civ. C. com. C. trav. Chap. Chron. Concl.
Cour de cassation, chambre civile Cour de cassation, chambre Cour de cassation, chambre sociale Code Cour d’assises Code civil Code de commerce Code du travail Chapitre Chronique Conclusions
D.
Recueil Dalloz
Décr.
Décret
Gaz. Pal.
Gazette du Palais
JCP juridique) JO J.-Cl. Soc.
Juris-Classeur périodique (Semaine Journal officiel Juris-Classeur Sociétés
L. NCPC
Loi Nouveau Code de procédure civile
Op. cit. Ord.
Ouvrage déjà cité Ordonnance
Rev. Sociétés RJ com. commerciale RTD Civ. RTD Com. commercial
Revue des sociétés Revue de jurisprudence Revue trimestrielle de droit civil Revue trimestrielle de droit
SOMMAIRE
TITRE I : L’application du droit des sociétés à l’association acte juridique CHAPITRE 1 : L’ASSOCIATION, ACTE DE VOLONTE
Section 1 : La volonté, condition de validité des décisions modificatrices des statuts Section 2 : La volonté, condition de survie de l’acte CHAPITRE 2 : L’ASSOCIATION, ACTE D’ORGANISATION Section 1 : L’organisation du pouvoir Section 2 : La possibilité de contester le pouvoir au sein de l’organisation
TITRE II : L’application du droit des sociétés à l’association personne morale CHAPITRE 1 : LES EFFETS LIES A LA PERSONNIFICATION DE L’ASSOCIATION Section 1 : L’effet sur la constitution de l’association : La reprise des engagements Section 2 : L’effet sur la disparition de l’association : La survie de la personnalité juridique pour les besoins de la liquidation
CHAPITRE 2 : LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS DE L’ASSOCIATION PERSONNIFIEE Section 1 : La déresponsabilisation de fait des dirigeants de l’association à l’égard des sociétaires Section 2 : La déresponsabilisation de fait des dirigeants de l’association à l’égard des tiers
INTRODUCTION GENERALE
1. « La loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ne fait aucune référence au droit des sociétés dont il puisse résulter que des règles applicables au droit des sociétés soient transposables aux associations »[1] . De prime abord, il serait tentant d’accorder du crédit à cette réponse ministérielle dans la mesure où, l’une des spécificités du droit privé français est la diversité de ses groupements. 2. Cette caractéristique est en fait une richesse[2] puisque, en fonction des buts poursuivis par les fondateurs, ceux-ci peuvent librement se doter d’une structure appropriée. Ainsi, lorsque le but est de partager les bénéfices ou profiter d’une économie, les fondateurs feront le choix de la société puisqu’elle est «instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou profiter de l’économie qui pourra en résulter » au sens de l’Art.1832 al.1er du Code civil. Quant à l’association, elle sera choisie par ceux dont le but n’est pas le partage de bénéfices. L’Art.1er de la loi de 1901 dispose en effet que : « L’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations ». 3. Il s’en suit donc que l’association n’est pas la société, et la société n’est pas l’association. Plus radicalement encore, il semble que l’association se situe à l’opposé de la société. Cette opposition a été voulue par le législateur en 1901. En effet, à la lecture des travaux préparatoires de la loi de 1901 il ressort clairement que les parlementaires ont conçu l’association comme se situant à l’opposé le plus extrême de la société, puisque ils sont partis de la définition de la société pour retenir une définition exactement contraire de l’association[3].
4. Partant de là, plusieurs arguments ont été avancés pour critiquer l’application par les juges du droit des sociétés aux associations. Il a d’abord été soutenu, que cette application ne serait que la résultante d’un certain laxisme des juges qui au lieu d’interpréter le contrat d’association, cèdent par facilité à la transposition des règles du droit des sociétés. Il a aussi été soutenu que la transposition jurisprudentielle constituait une atteinte à la liberté contractuelle et une violation de l’art. 1er de la loi de 1901. Il a enfin été avancé que cette transposition visait à faire de l’association une société, ce qui consisterait en fait à la dénaturer. 5. Ces fortes critiques peuvent toutes se résumer en une seule : L’opposition radicale entre l’association et la société. Cette opposition peut cependant être relativisée. En effet, d’une part, il existe des points de rencontre entre elles[4] et d’autre part, elles peuvent entrer en concurrence[5]. 6. De même, doit être relativisée la réponse ministérielle du 10 décembre 1984[6] puisque les juges continuent d’appliquer le droit des sociétés à des associations. Ceci revient à considérer comme nulle la valeur juridique d’une réponse ministérielle. 7. Au demeurant, cette transposition jurisprudentielle qui a commencé timidement dans les années 60 du siècle dernier, est devenu au cours de ces dernières années[7], par la profusion des arrêts, un véritable phénomène. De plus, la jurisprudence tend aujourd’hui à construire ce qui constituerait peut-être le « droit commun des groupements » que beaucoup appellent de leurs vœux[8]. 8. Partant de là cette transposition peut être justifiée aux plans politique et technique. Au plan politique, la loi de 1901, qui a institué la liberté d’association exhibe de nombreuses carences. Fière de ses 18 articles[9], elle ne dit mot sur l’organisation du groupement associatif, qu’elle abandonne aux fondateurs. Ce dessaisissement du législateur qui a été qualifié « de principe de liberté statutaire » aboutit en fait à un libertinage dangereux tant pour les sociétaires[10] que pour les tiers[11].
Au plan technique, il n’y a pas de déni de justice[12], le référé législatif[13] n’existe plus, donc les juges ne peuvent que statuer. Par ailleurs, le droit des sociétés s’est beaucoup développé, à la différence du droit associatif. Par droit des sociétés aujourd’hui, il faut entendre le Code civil[14], le Code de commerce[15], le Code Monétaire et Financier[16] et des lois non codifiées[17]. Le droit des associations quant à lui est issu pour l’essentiel de la loi de 1901 et son décret d’application du 16 août 1901, du Code civil par renvoi[18], du Code de commerce[19], de certaines lois non codifiées[20] et de nombreux textes dérogatoires au droit commun[21]. Le droit associatif est donc aussi vaste que le droit des sociétés, avec cette différence que la loi de 1901 qui constitue le socle du droit commun des associations n’a fait l’objet que de timides retouches. Le contrat d’association, tel qu’il résulte de cette Loi, n’a jamais été modifié à la différence du contrat de société. Et si on a pu plaider pour le maintien tel quel de cette Loi[22], c’est en réalité parce qu’elle a répondu à un vœu séculaire, voire millénaire : La liberté d’association. Mais en réalité, le constat généralement opéré est de parler de « carences » du droit associatif, face aux « excès » du droit des sociétés. 9. Le recours au droit des sociétés opéré par les juges saisis est donc justifié. Bien plus, il est nécessaire car il permet de combler le vide juridique laissé par la loi de 1901. La méthode utilisée est le raisonnement a pari ou par analogie. Il s’agit d’une méthode exégétique d’interprétation de la Loi qui consiste pour le juge à remonter à la ratio legis, c'est-à-dire à l’esprit du législateur pour appliquer dans le silence d’une Loi d’autres règles issues d’autres Lois et dont le but est de régir la même situation. 10. Si les juges raisonnent a pari c’est qu’ils considèrent que les solutions du droit des sociétés sont transposables aux associations. Ils affirment donc de manière indirecte qu’il s’agit de deux choses du même genre. Le législateur semble raisonner pareillement lorsqu’il réunit l’association et la société à travers le droit commun de l’entreprise[23]. 11. Si l’application du droit des sociétés aux associations aboutit à réunir deux groupements que tout opposait, il ne faudrait pas qu’on en arrive à les confondre. Il importe donc de vérifier que les juges ont bien respecté
cette exigence. Encore faut-il rechercher au préalable les fondements de cette transposition. Pour ce faire, il convient de se demander : quelles sont les fondements des règles juridiques qui sont transposées ? Quelle est la portée de cette transposition ? 12. L’application du droit des sociétés aux associations présente des intérêts pratique et théorique. D’un point de vue pratique, d’une part, le rôle des associations dans la vie publique et sociale s’est fortement accru : des associations caritatives, cultuelles, intellectuelles aux associations de consommateurs, raciales, de défense des sans-papiers. Les associations sont partout et naissent chaque jour. Ce phénomène associatif[24] a provoqué l’institution du CNVA[25] qui est chargé d’étudier et de suivre l’ensemble des questions intéressant la vie associative, de donner son avis sur les projets de textes législatifs ou réglementaires et proposer les mesures utiles au développement de la vie associative[26]. D’autre part, il s’agit aussi de savoir si au fur et à mesure des transpositions, l’association serait devenue une société. D’un point de vue théorique, l’application du droit des sociétés aux associations a suscités en doctrine, un vif débat quant aux règles qu’il fallait transposer pour éviter de dénaturer l’association. Il a ainsi été proposé de se fonder soit sur des « règles techniques » soit sur des règles issues des « principes communs des personnes morales » ou des « principes communs des groupements ». Si le fondement des « règles techniques » semble délicat dans sa mise en œuvre[27], il n’est pas superflu d’imaginer les principes communs des groupements ou des personnes morales. Les deux qualificatifs, seront retenus ici, pour la simple raison, qu’ils ne sont pas incompatibles[28]. 13. Dans le cadre de cette étude, les fondements qui ont été retenus pourraient aboutir à un consensus doctrinal tout en rassurant la pratique[29]. Ces fondements sont « l’acte juridique » et la « personnalité morale ». Dès lors, il sera successivement envisagé l’application du droit des sociétés à l’association acte juridique (Titre I) et l’application du droit des sociétés à l’association personne morale (Titre II).
Titre I : L’application du droit des sociétés à l’association acte juridique
14. Par acte juridique, il faut entendre : « une opération juridique (negotium) consistant en une manifestation de la volonté (publique ou privée, unilatérale, plurilatérale ou collective) ayant pour objet et pour effet de produire une conséquence juridique (établissement d’une règle, modification d’une situation juridique, création d’un droit, etc.)[30] ». 15. L’association et la société sont deux actes juridiques car ils sont issus d’une manifestation de volonté, et produisent des effets de droit. Il s’agit d’actes juridiques particuliers, distincts des autres pour un certain nombre de raisons. D’abord, ils se distinguent des autres actes juridiques par la présence d’un intérêt commun. Ce ne sont donc pas des « jeux à somme nulle où l’un perd ce que l’autre gagne [31] » dépourvus de possibilités d’expression collective et de représentation. Il s’agirait plutôt d’ « un jeu de coopération où tous les joueurs gagnent et perdent en même temps[32] ». Ensuite, ils se caractérisent aussi par le fait qu’ils créent une organisation[33], une structure dotée d’organes qui se répartissent le pouvoir, et émettent des actes juridiques dont la portée a largement au-delà de la simple structure sociale. 16. En tenant compte de cette réalité, les juges ont appliqué à des associations un certain nombre de règles issues de leur nature commune d’acte juridique avec la société. 17. En tant qu’acte juridique, l’association est donc un acte de volonté (Chapitre 1) dont l’effet est de créer une organisation. Et en cela, elle est aussi un acte d’organisation (Chapitre2).
Chapitre 1 : L’association, acte de volonté
18. L’association est un acte de volonté car elle est créée par au moins deux personnes qui expriment une volonté commune. Cette volonté délimite en fait l’animus du groupement associatif qui est constitué entre autres « d’un concours de volontés pour remplir l’objet social [34] ». 19. Ce concours de volontés se retrouve en fait au delà des associations, dans tous les groupements volontaires de droit privé[35]. Cela justifie sans doute qu’un auteur l’ait érigé au rang de principe commun à tous les groupements sous le vocable d’affectio collaborationis[36]. 20. À la naissance de l’acte, ses créateurs sont animés d’une volonté d’être ensemble. Ils se choisissent et s’engagent à employer « leurs connaissances à la réalisation d’un but autre que le partage des bénéfices »[37]. 21. Mais, une fois l’acte créé, l’association va se doter d’une possibilité d’expression collective. La volonté de tout un chacun se manifeste alors par la participation à l’assemblée générale à travers l’expression d’un droit de vote. Certes, les décisions sont prises à la majorité et s’imposent même à ceux qui n’y ont pas consenti. Mais quid lorsque ces dernières modifient les statuts en augmentant les engagements des sociétaires ? 22. Enfin, l’existence de l’acte est conditionnée par cette volonté commune, et la disparition de cette volontas suffit à entraîner la disparition de l’acte. Mais à quelles conditions ? 23. Saisis par les associations, les juges n’ont pas hésité, en recourant au droit des sociétés, à affirmer le rôle de la volonté dans le fonctionnement et l’existence de l’association. La volonté est alors une condition de validité des décisions modificatrices des statuts (Section 1) et une condition de survie de l’acte (Section 2). Section 1 / La volonté, condition de validité des décisions modificatrices des statuts : L’interdiction d’augmenter les engagements d’un sociétaire sans son consentement 24. Dans certains groupements, la Loi prévoit expressément que les engagements d’un membre ne peuvent être augmentés sans son
consentement[38]. Rien de tel n’a été prévu pour l’association par la loi de 1901. 25. Dans un arrêt du 20 juin 2001[39], la Cour de cassation a étendu cette interdiction aux associations sur le fondement de l’art. 1134 du C. civ. (§1). Toutefois, elle aurait pu, pour aboutir à un résultat identique mais plus efficace, retenir comme fondement l’art. 1836 du C. civ. (§2) § 1) Le fondement retenu : L’art. 1134 du Code civil 26. Dans cette affaire, les statuts de l’AFUL[40] Neuve Douane avaient été modifiés, entraînant notamment un changement du critère de répartition des dépenses de l’association. Mais cette nouvelle répartition s’étant révélée défavorable à un sociétaire (M. Colombero), ce dernier contesta en justice la validité de cette délibération qui aggravait son engagement. Les juges suprêmes saisis, par un arrêt de Cassation, rendirent au visa de l’art. 1134 du C. civ. l’attendu suivant : « Qu’en statuant ainsi, sans constater que M. Colombero avait accepté la modification des statuts, alors que celle-ci aboutissait à une augmentation de ses engagements, la Cour d’appel a violé le texte susvisé » 27. S’il convient de relever le mérite de cette solution (A), révéler ses limites (B) semble inévitable. A – Le mérite de la solution : L’association, contrat 28. En se fondant sur l’art. 1134[41] du C. civ. les juges suprêmes ne font qu’affirmer la nature contractuelle de l’association. C’est là le seul mérite de cette solution qui « privilégie l’association-contrat par rapport à l’association-institution »[42]. 29. Si au sens de l’art. 1134 al 1er, le contrat est la loi des parties, cela signifie qu’il est d’une part la loi des parties seulement (1) et d’autre part la loi de toutes les parties (2). 1°) Le contrat d’association, loi des parties seulement 30. Il convient au préalable d’identifier quelles sont les parties au contrat d’association.
L’association naît d’un contrat passé entre les membres de l’association, mais elle est aussi un contrat passé entre l’association elle-même et chaque membre. 31. En tant que loi des parties uniquement, le contrat d’association ne peut faire l’objet d’une modification extérieure. Dès lors, seules les parties peuvent décider de la modification du contrat et un juge ne peut modifier lui-même le système de répartition des charges des sociétaires déterminé par les statuts[43]. 32. Mais l’une des parties, notamment l’association peut-elle modifier unilatéralement le contrat ? Y répondre par la négative permettrait d’affirmer que l’association est aussi la loi de toutes les parties. 2°) Le contrat d’association, loi de toutes les parties 33. En se fondant comme elle l’a fait sur l’art. 1134 du C. civ. la Cour de Cassation reconnaît que l’association est la loi de toutes les parties. Dès lors, l’association ne peut modifier unilatéralement le contrat. 34. Les juges semblent affirmer qu’aucune modification ultérieure du contrat d’association ne saurait être décidée sans le consentement des membres concernés. Ce serait en effet, aller à l’encontre de leurs obligations contractuelles. C’est en fait la nature contractuelle de l’association qui ne permet pas à l’assemblée, sauf si elle statue à l’unanimité des membres, de modifier l’engagement de ceux-ci[44]. 35. Cela vaut-il dans tous les cas ? Ou uniquement lorsque la décision modificatrice vient augmenter les engagements initiaux des sociétaires ? 36. Il est permis de croire que cette solution vaudra pour toutes les modifications étant entendu que la nature contractuelle de l’association n’a jamais été véritablement contestée. 37. Cette solution est donc bien fondée en ce qu’elle affirme sans ambages la nature contractuelle de l’association. Cependant, elle semble limitée dans sa portée. B – Les limites de la solution 38. Cette solution semble avoir une portée limitée, car au lieu de poser un principe de portée générale, elle fait référence aux statuts de l’association (1), alors que cette référence comporte un certain nombre de limites (2).
1°) la référence aux statuts 39. La loi de 1901 a certes accordé une grande liberté aux sociétaires en ce qui concerne leurs règles de fonctionnement. C’est un principe légal fortement réaffirmé, à tel point que la plupart des arrêts font toujours référence aux statuts et l’arrêt suscité n’échappe pas à cette règle. En l’espèce, « l’aggravation des charges des sociétaires n’était pas prévue parmi les décisions pouvant être prises à la majorité. La solution aurait-elle été la même si cela avait été le cas ?[45] ». 40. Cette question permet en réalité d’entrevoir les limites de cette référence aux statuts. 2°) Les limites de la référence aux statuts 41. Les juges suprêmes prennent le soin de faire expressément référence aux statuts sur la base de deux principes classiques du droit général de la cassation en matière de contrats. Le premier édicte que « les statuts font la loi des parties et la liberté contractuelle laisse à celle-ci le soin de fixer comme elles l’entendent le contenu des statuts[46] ». Le second énonce que « l’interprétation des statuts par les juges du fond est souveraine sauf dénaturation[47] ». 42. Ces principes, dont la justification ne fait l’objet d’aucun doute a pu conduire à des dérives dans les associations. Ainsi, dans un arrêt du 25 avril 1990[48], la Cour de Cassation a admis que les statuts d’une association votés dans des conditions régulières pouvaient priver de droit de vote certaines catégories de sociétaires. 43. Certes, il faut relativiser la portée de cet arrêt, car la Cour suprême ne s’est pas prononcée sur le principe du droit de vote mais sur la validité des clauses statutaires. 44. Mais on le voit tout de même, la restriction du droit de vote est encore plus grave que l’augmentation des engagements des membres. Et si la première est exclue, on ne saurait imaginer la seconde. Les deux vont de paire, d’où la nécessité d’affirmer avec force, comme principes communs
à tous les groupements, le droit de vote mais aussi la règle de l’interdiction d’augmentation des engagements sans le consentement des membres. 45. En somme, pour les raisons exposées précédemment, la référence à l’art. 1134 du C. civ. ne permet pas d’assurer de façon pérenne et générale l’inviolabilité de la règle de l’intangibilité. En vertu de l’adage specialia generalibus derogant, il convient peut - être de souhaiter que les juges recourent de lege ferenda à l’art. 1836 du C. civ. § 2) Le fondement souhaitable : L’art. 1836 du Code civil 46. Aux termes de l’art. 1836 du C. civ. « Les statuts ne peuvent être modifiés, à défaut de clause contraire que par l’accord unanime des associés. En aucun cas, les engagements d’un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci ». 47. La transposition de l’art. 1836 du C. civ. aux associations est souhaitable dans la mesure où elle conduirait au même résultat[49] que celui de l’art. 1134 du C. civ., sans encourir les mêmes critiques. Il s’agit donc d’une transposition évidente (A) mais surtout efficace (B) pour l’affirmation de cette règle comme principe. A – L’évidence de la transposition 48. Envisager comme évidente la transposition de cet article c’est reconnaître aux sociétaires comme aux associés une identité de situation face à une décision venant augmenter leurs engagements initiaux. En effet dans un cas comme dans l’autre on peut retrouver une décision modificatrice des statuts (1), entraînant une augmentation des engagements d’un ou plusieurs membres du groupement (2). 1°) La décision modificatrice des statuts 49. À l’instar des sociétés, la décision modificatrice des statuts d’une association relève de la compétence de l’assemblée générale extraordinaire. Le principe pour tous les groupements contractuels est l’unanimité à moins que les statuts ou la loi ne prévoient un autre mode de répartition.
Dans les deux cas on a donc un même organe, édictant une mesure identique : Une décision venant modifier les engagements initiaux des membres du groupement. 2°) L’augmentation des engagements des membres du groupement 50. Il semble intéressant, à ce stade du raisonnement de se demander en quoi consiste l’augmentation des engagements. En d’autres termes, à partir de quel moment un membre va-t-il considérer que son engagement a été augmenté ? En droit des sociétés, l’examen de la jurisprudence permet d’envisager plusieurs situations pouvant aggraver les engagements des associés[50]. En droit des associations, dans l’arrêt du 20 juin 2001[51], l’augmentation des engagements consistait en un changement du critère de répartition des dépenses de l’association. 51. Mais quid des cotisations ? La question ne manque pas d’intérêt dans la mesure où une partie de la doctrine a pu considérer que ces sommes ne pouvaient être considérées comme étant l’engagement des associés[52]. Et dès lors, on ne pouvait considérer que l’intangibilité des engagements puisse viser les hypothèses d’augmentation des engagements. Toutefois cela est contestable dans la mesure où les cotisations « restent le reflet de l’engagement des membres[53] ». 52. L’évidence de transposition de l’art. 1836 ne fait donc l’objet d’aucun doute car on le voit, dans l’association comme dans la société, les membres se retrouvent dans la même situation. Mais bien plus que l’évidence, c’est l’efficacité de cette transposition pour l’instauration du principe de l’intangibilité des engagements en droit des associations qu’il convient d’envisager. B – L’efficacité de la transposition 53. Cette transposition serait, semble-t-il, pleinement efficace pour affirmer avec force la règle de l’interdiction comme principe commun. Pour ce faire il convient de se référer d’abord au droit des sociétés où elle est d’ordre public, la jurisprudence[54] considérant même qu’elle est
sanctionnée de nullité absolue (1). Ensuite il sera envisagé les conséquences de son application aux associations (2). 1°) L’art. 1836 du Code civil en droit des sociétés 54. En droit des sociétés dans un arrêt du 13 novembre 2006[55] les juges ont accordé une valeur absolue à l’art. 1836 en décidant que : « Lorsque l’augmentation des engagements des associés ne procède pas de leur consentement unanime, l’associé ayant consenti à cette augmentation n’est pas de ce seul fait, dépourvu d’intérêt à agir en nullité car l’art. 1836, alinéa 2, du Code civil est une disposition d’ordre public sanctionnée de nullité absolue ». 55. En l’espèce, une action en nullité était dirigée contre une décision d’assemblée générale à laquelle il était reproché d’avoir augmenté les engagements des associés sans leur consentement unanime, il s’agissait alors de savoir si l’un des associés ayant consenti à la décision était recevable à agir. La Cour en recevant cette action, estime que la règle est d’ordre public et donc sanctionnée de nullité absolue. 56. Certes la solution est critiquable[56], mais elle reste tout de même intéressante car elle affirme sans équivoque que la règle de l’intangibilité des engagements est d’ordre public. Et en cela, son application aux associations pourrait entraîner un certain nombre de conséquences. 2°) Les conséquences de l’application de l’art. 1836 aux associations 57. Puisque l’art. 1836 est d’ordre public, il ne saurait y être dérogé conventionnellement. En l’appliquant aux associations les juges feraient rentrer une disposition impérieuse dans le droit des associations non sans quelques grincements de dents[57]. 58. Au demeurant, cela permettrait peut être de lutter contre les dérives constatées dans les associations notamment en matière de droits politiques[58] des sociétaires, et d’injecter un peu de démocratie dans les associations. Il ne reste plus qu’à espérer que la jurisprudence fasse prochainement application de cette disposition aux associations. 59. La jurisprudence, on l’a vu, reconnaît que la volonté est une condition de validité des décisions modificatrices des statuts en appliquant la règle
de l’intangibilité des engagements aux associations. Mais elle pourrait aller plus loin encore en transposant l’art. 1836 al. 2 qui est en droit des sociétés une disposition d’ordre public[59]. 60. La jurisprudence, on le verra, reconnaît aussi que l’association est un acte volontaire, un groupement de personnes et en tant que tel, la volonté est également une condition de survie de l’acte. Section 2 / La volonté, condition de survie de l’acte 61. C’est peut-être une vérité de Lapalisse que d’envisager la problématique de la dissolution volontaire de l’association. En effet, c’est un contrat auquel n’échappe pas le mutuus dissensus. C’est en tout cas ce que rappelle l’art. 1er et l’art. 9 de la loi de 1901. 62. Mais l’enjeu n’est pour autant pas inexistant. En effet, en l’absence de mutuus dissensus, est-il possible qu’un sociétaire qui ne désire plus poursuivre l’activité commune, sollicite en justice la dissolution du groupement ? Si oui n’est-ce pas un cas de solus dissensus homologué par le juge? 63. Alors qu’en droit des sociétés, il est admis depuis longtemps que la société ne peut survivre à une mésentente si elle est « de nature à paralyser son fonctionnement »[60] aucune disposition similaire n’existe dans la loi de 1901. 64. La jurisprudence a donc dû pallier cette carence en transposant la dissolution pour justes motifs de l’art. 1844-7-5 aux associations (§ 1). Audelà, n’est-ce pas l’ensemble de l’art. 1844-7 qui est considéré comme un principe commun à tous les groupements ? Il convient donc d’analyser les probabilités de transposition des autres dispositions de l’art. 1844-7 du Code civil (§2). § 1) La transposition de la dissolution pour justes motifs 65. Le juge judiciaire peut prononcer la dissolution de l’association lorsque des « justes motifs » paralysent le fonctionnement de la société. La jurisprudence a d’abord été hostile à l’application de cette dissolution à des groupements à but non lucratif[61]. Ensuite, elle admit le principe de cette dissolution en se référant au droit des contrats et sans recourir au doit des
sociétés (A). Aujourd’hui, elle semble considérer l’art. 1844-7-5 comme un principe commun de dissolution (B). A – Le fondement contractuel 66. L’hésitation de la jurisprudence à appliquer l’art. 1844-7-5 aux associations pose la question du fondement contractuel de la dissolution pour justes motifs. Par deux arrêts[62], certes anciens, les juges ont estimé que la dissolution pour justes motifs était possible lorsqu’une des parties méconnaissait gravement ses obligations contractuelles (1) ou lorsqu’il ne régnait plus aucun esprit de confiance au sein de l’association (2).
1°) La méconnaissance des obligations contractuelles 67. Dans un arrêt du 17 octobre 1973[63], la Cour de cassation prononça la dissolution d’une association en se fondant sur la méconnaissance par un sociétaire de ses obligations contractuelles. En l’espèce, un contrat d’association avait été conclu entre deux vétérinaires. Après deux années sans problèmes, l’un d’eux (M. Boïté) fit paraître une annonce indiquant qu’il recevrait désormais les clients et les appels à son domicile et non plus au siège social. L’autre (M. Lassourd) demanda alors aux juges de prononcer la rupture du contrat d’association et la condamnation de M. Boïté au paiement de dommages intérêts. La Cour d’appel saisie prononça la résolution du contrat aux torts de M. Boïté. Saisie par ce dernier, la Cour de cassation valide le raisonnement des premiers juges par un attendu qui mérite d’être repris : « Attendu ensuite, qu’après avoir, par une interprétation […] du contrat […] considéré que la commune volonté des parties était de voir exercer la profession au siège social de l’association, les juges du second degré ont souverainement estimé que Boïté, en transférant son cabinet à son domicile particulier et en publiant un communiqué donnant à penser à la clientèle qu’il exerçait désormais seul la profession, avait eu un comportement justifiant la dissolution de l’association » 68. Cet arrêt permet de tirer deux enseignements :
La dissolution (ou la résolution du contrat) de l’association peut être prononcée lorsque la commune volonté des parties fait défaut. Celle-ci fait notamment défaut lorsque l’un des sociétaires a méconnu ses obligations contractuelles. 69. De ces observations, il semble opportun de faire le rapprochement entre la dissolution pour justes motifs et la condition résolutoire de l’art. 1184 du C. civ. Qu’est-ce finalement que la dissolution pour justes motifs si ce n’est la transposition de la condition résolutoire[64] ? En effet la condition résolutoire qui est sous entendue dans tous les contrats synallagmatiques, consiste pour une partie à solliciter en justice la résolution avec dommages et intérêts lorsque l’autre partie ne satisfait point son engagement. N’est-ce pas la même situation, lorsqu’un associé sollicite en justice la dissolution de la société pour inexécution par un autre de ses obligations contractuelles ? 70. Toutefois, l’application de l’art. 1184 exclut que les torts soient réciproques. Il faut alors dissoudre tout simplement le groupement sans dommages et intérêts. C’est notamment, le cas lorsque les sociétaires s’accusent réciproquement de détournement et ne se font plus confiance. 2°) La perte de confiance réciproque 71. Dans un arrêt du 10 mai 1978[65], deux médecins s’étaient constitués en association en vue de l’exploitation en commun d’un cabinet médical. S’accusant réciproquement de détournement, la Cour d’appel saisie refusera de prononcer la résolution de leurs contrats aux torts exclusifs de l’un d’eux en estimant « qu’en se privant de l’affectio societatis qui devait présider à leurs rapports professionnels, les docteurs Sucrot et Gros ont commis vis-à-vis de l’autre les fautes qui légitiment la dissolution de l’association sans indemnité ». Les juges suprêmes ne feront que confirmer ce raisonnement. 72. En statuant ainsi ils fondent la dissolution pour justes motifs sur la perte de confiance réciproque qui constituait en l’espèce une privation de l’affectio societatis. La référence à cet « affectio », pour le cas d’une association, ne devrait pas surprendre pour deux raisons : D’une part, l’affectio societatis n’est que la traduction latine du consentement que l’on retrouve dans tous les contrats
D’autre part, elle n’est donc pas propre aux sociétés, c’est dans ce sens que l’on parle souvent d’affectio associationis, consiacionis, collaborationis… 73. L’étude de cette jurisprudence ancienne a permis de révéler le fondement contractuel de la dissolution pour justes motifs. Mais la jurisprudence n’hésite plus comme par le passé à appliquer l’art. 1844-7-5 aux associations, article qu’elle considère comme un principe commun de dissolution des groupements de personnes. B – L’art. 1844-7-5, principe commun de dissolution 74. Le raisonnement actuel de la Cour de cassation consiste à transposer l’art. 1844-7-5 du C. civ. aux associations. Par cette transposition, elle en fait un principe général relatif aux groupements de personnes. En revanche, elle subordonne son succès à deux conditions : le demandeur doit justifier de la qualité de membre (1) ; en outre il faut que la mésentente soit de nature à paralyser le fonctionnement de l’association (2).
1°) La qualité pour agir 75. Au sens de l’art. 1844-7-5 du C. civ. la dissolution pour justes motifs peut être prononcée « à la demande d’un associé ». Cette exigence a toujours été réaffirmée par la jurisprudence en droit des sociétés[66]. 76. Quant aux associations, la jurisprudence n’est guère florissante. Toutefois, il convient de citer deux arrêts récents qui affirment cette exigence de qualité. Dans un arrêt du 24 septembre 2002[67], la Cour d’appel de Poitiers a rejeté la demande en dissolution d’un ancien sociétaire en estimant que ce dernier n’était pas « recevable à solliciter en justice la dissolution d’une association dont il a perdu la qualité de membre ». Un autre arrêt du 13 mars 2007[68] est particulièrement intéressant. Dans cette affaire, Mme X avait fait par deux actes (le 4 mars 1974 et le 14 juin 1977) donation à une association d’un nombre important d’immeubles.
L’acte prévoyait qu’en cas de dissolution de l’association, les biens devaient faire retour à la donatrice et à ses héritiers. Mme X décédée, ses deux filles demandèrent au tribunal de prononcer la dissolution de l’association pour illicéité de son objet et subsidiairement la nullité des apports pour défaut de conformité avec le but poursuivi : Elles furent déboutées. Vingt ans plus tard, elles ont assigné l’association pour obtenir sa dissolution au visa de l’art. 1844-7 du C.civ., faute de remplir l’objet pour lequel elle avait été constituée. La Cour d’appel saisie (Angers, 4 oct. 2005) prononça la dissolution de l’association. Celle-ci se pourvut alors en cassation sur la base d’une fausse application de l’art. 1844-7 qui ne peut résulter « d’une action des tiers » ou « d’une mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de ses membres ». Sur le défaut de qualité, la Cour estima qu’en tant que fin de non recevoir, elle aurait du être soulevée devant les juges du fond à peine d’irrecevabilité et a approuvé la Cour d’appel d’avoir relevé que l’association ne remplissait plus son objet et prononcer la dissolution. 77. On le voit, la jurisprudence, tend à affirmer comme en droit des sociétés que cette action n’est réservée qu’aux seuls membres du groupement. En plus de la qualité, il faut que le sociétaire démontre l’existence d’une mésentente grave, c'est-à-dire paralysant le fonctionnement de l’association. 2°) La gravité de la mésentente 78. Cette exigence de gravité de la mésentente ne fait l’objet d’aucune discussion en droit des sociétés. La société étant un groupement intéressé, la jurisprudence a toujours hésité à dissoudre une société économiquement viable, alors que ses membres n’arrivaient plus à s’entendre. C’est donc l’importance économique des sociétés qui justifie cette exigence[69]. D’ailleurs, l’appréciation de cette mésentente relève de l’appréciation souveraine des juges du fond[70]. Cela explique sans doute que la paralysie soit une exigence dont le contenu variable reste difficile à démontrer[71]. 79. La vocation désintéressée de l’association étant d’ordre public, peut-on espérer que la mésentente pourra y trouver une application plus souple ? En d’autres termes le juge prononcera-t-il tout simplement la dissolution,
dès lors que l’affectio associationis fera défaut ? Le doute est permis. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner un attendu de l’arrêt du 24 septembre 2002 : « Attendu que si le défaut non de vie associative, mais d’affectio associationis peut entraîner la dissolution d’une association lorsque notamment ce défaut se manifeste par une mésentente entre associés de nature à paralyser le fonctionnement de l’association » […] 80. Comme en droit des sociétés, seule la mésentente grave, c'est-à-dire de nature à paralyser le fonctionnement de l’association, peut justifier la dissolution d’une association. Dès lors, la jurisprudence tend à affirmer la dissolution pour justes motifs comme un principe commun de dissolution des groupements de personnes. 81. Mais doit-on aller au-delà de la seule transposition de l’art. 1844-7-5 et considérer l’ensemble de l’art. 1844-7 comme un principe commun ? La réponse à cette question suppose d’examiner les probabilités de transposition de l’art. 1844-7. § 2) Les probabilités de transposition des autres dispositions de l’art. 1844-7 du Code civil 82. Il convient de distinguer les transpositions probables (A) de celles qui ne le sont pas (B). A – Les transpositions probables 83. L’examen des dispositions qui va suivre permet de rendre compte de la nature contractuelle de l’association. Peuvent alors être transposées les causes de dissolution issues du droit commun des contrats (1) et celles résultant de la volonté des associés (2).
1°) Les causes de dissolution issues du droit commun des contrats 84. Au sens de l’art. 1844-7, la société prend fin par : l’expiration du temps pour lequel elle a été constituée (1°), par la réalisation ou extinction de son objet (2°), l’annulation du contrat de société (3°). Ces causes de
dissolution relèvent en fait du droit commun des contrats ; ce n’est que la traduction des articles 1108 et 1134 du C. civ. L’association étant un contrat, il ne fait aucun doute que ces dispositions peuvent lui être transposées. Il en va de même de celles résultant de la volonté des associés. 2°) Les causes de dissolution résultant de la volonté des associés 85. L’art. 1844-7 ajoute également en son 4°) que la société prend fin par dissolution anticipée décidée par les associés. Or, l’association, et cela vient d’être démontré, est un acte de volonté. Elle peut donc tout à fait prendre fin par décision unanime des sociétaires. Toutefois, il est des dispositions dont la transposition semble improbable. B – Les transpositions improbables 86. Si la réunion de toutes les parts en une seule main n’est une cause de dissolution que dans les groupements intéressés (1), la jurisprudence a également dû exclure pour les associations la dissolution pour liquidation judiciaire (2). 1°) La réunion de toutes les parts sociales entre une seule main 87. Ce cas de dissolution est prévu à l’art. 1844-7-6. La réunion de toutes les parts en une seule main est une conséquence de la vocation aux bénéfices de la société. Elle ne saurait être transposée aux associations qui ne peuvent partager un bénéfice. En revanche, une association peut parfaitement être mise en liquidation judiciaire. 2°) La dissolution pour liquidation judiciaire 88. Par un arrêt du 8 juillet 2003[72] la Cour de cassation a estimé qu’ « une association ne prenant pas fin par l’effet du jugement ordonnant la liquidation judiciaire, elle peut valablement, en vertu de son droit propre, interjeter un appel par l’intermédiaire de son président pourvu qu’elle le fasse contre le liquidateur ou en sa présence ».
89. Un auteur commentant cet arrêt a parfaitement démontré les bienfaits de ce refus jurisprudentiel de transposition d’une règle dont on ne voit guère à quel principe général elle peut être rattachée[73]. Tenant d’ailleurs compte des difficultés qu’a engendré l’application de cette disposition dans les sociétés[74], le législateur dans la réforme des procédures collectives[75] a autorisé le maintien exceptionnel de l’activité.
Conclusion du Chapitre 1
90. Au terme de ce chapitre, il est permis d’affirmer que l’association est bien un acte de volonté. C’est en fait la conséquence de sa nature d’acte juridique puisque tous les actes juridiques sont des actes de volonté. Les manifestations de la volonté se rencontrent ainsi tout au long de la vie de l’acte et conditionnent même sa survie. Toutefois, l’association est un acte juridique particulier en ce sens qu’il crée une organisation.
Chapitre 2 : L’association, acte d’organisation
91. La notion d’organisation est souvent remplacée par celle de groupement par les juristes. Au demeurant, il s’agit in concreto de la même réalité.
92. Comme le relève Paul Didier[76], il n’est pas aisé de définir la notion d’organisation mais « il n’est pas superflu cependant d’esquisser les deux ou trois idées que ce mot tente de réunir ou résumer. La première est l’idée d’une tâche à réaliser, d’une chose à faire […] Le mot organisation évoque aussi l’idée d’une division de l’activité envisagée […] Enfin, le mot organisation implique que ces sousensembles de l’activité mère soient répartis, selon le cas, entre plusieurs moments, lieux ou personnes ». 93. L’association comme la société rendent bien compte de cette réalité dans la mesure où dans l’un comme dans l’autre il y a bien une tâche à réaliser (mise en commun de connaissances, ou d’apports) ; une division de l’activité envisagée (objet social se divisant en activités principales et accessoires) ; une répartition des tâches entre plusieurs moments (durée, exercices), lieux (siège social, filiales, succursales) ou personnes (membres, organes). 94. Dès lors, il n’est pas étonnant que les juges, prenant acte de ce phénomène, aient tout simplement appliqué à des associations, les règles prévues pour les sociétés lorsque cela était nécessaire. Ces règles concernent tantôt l’organisation du pouvoir (Section 1) tantôt la possibilité de contester le pouvoir au sein de l’organisation (Section 2). Section 1 : L’organisation du pouvoir 95. Si la création d’une organisation est bien la caractéristique du contrat d’association, il appartient aussi à ce dernier de prévoir l’exercice ou la répartition du pouvoir au sein de cette organisation. Le pouvoir est donc la conséquence de l’animus[77] qui caractérise tout contrat-organisation. 96. Sans rentrer dans l’étude de la notion de pouvoir, il revêt deux acceptions : Il peut s’agir d’une « maîtrise de fait, force, puissance[78] » ou tout simplement d’une « prérogative juridique[79] ». C’est la deuxième acception qu’il convient de retenir dans le cadre de ce travail[80]. 97. Alors qu’en droit des sociétés, les pouvoirs des dirigeants sont légalement définis[81], rien de tel n’est prévu dans la loi de 1901. Dès lors, en raison de la liberté d’association, les parties déterminent librement
l’exercice du pouvoir au sein de l’organisation associative. C’est ainsi qu’elles déterminent leurs instances sociales[82], mais aussi la répartition du pouvoir au sein de ces instances[83]. Cela conduit inexorablement à complexer les tiers qui contractent avec l’association[84]. 98. Mais la liberté statutaire n’interdit pas de recourir aux juges notamment en cas de conflits. Ces derniers, une fois saisis, n’ont point hésité à recourir au droit des sociétés, soit pour renforcer les pouvoirs des dirigeants (§1), soit pour organiser la révocation des dirigeants (§2). § 1) Le renforcement des pouvoirs des dirigeants 99. Le renforcement des pouvoirs ne concerne pas tous les dirigeants d’associations. Certes, la jurisprudence affirme depuis longtemps la souveraineté de l’assemblée générale même si cela devait aboutir à limiter de façon drastique les pouvoirs et la liberté d’initiative du président[85]. Aujourd’hui, c’est au président d’association que la jurisprudence de la Cour de cassation vient d’accorder tous les honneurs, ce qui va certainement ravir les praticiens[86]. 100. Ce renforcement se traduit par une extension des pouvoirs du président (A), qu’il convient d’évaluer (B) afin d’en tirer les conséquences. A – L’extension des pouvoirs du président d’association 101. L’examen de la jurisprudence permet de se rendre compte de l’alignement des pouvoirs propres du président d’association sur ceux du directeur général de la S.A. qui a été réalisé. Cette extension concerne aussi bien les pouvoirs internes du président (1) que ses pouvoirs externes (2). 1°) Les pouvoirs internes du président 102. Au plan interne, l’extension des pouvoirs a été réalisée par la reconnaissance du pouvoir de prendre des mesures conservatoires. 103. En effet, dans un arrêt du 3 mai 2006[87], la Cour de cassation a rendu la décision suivante : « Mais attendu que dans le silence des textes et des statuts relatifs au fonctionnement d’une association, il entre dans les attributions de son président de prendre, au nom et dans l’intérêt de celle-ci, à titre
conservatoire et dans l’attente d’une décision du conseil d’administration statutairement habilité ou de l’assemblée générale, les mesures urgentes que requièrent les circonstances ; qu’en effet les dispositions du Code civil, et à défaut du Code de commerce, régissant les sociétés présentent une vocation subsidiaire d’application ; qu’en se référant à de telles dispositions, en l’espèce celles de l’alinéa 1er de l’article L 225-56 du Code de commerce, la Cour d’appel a légalement justifié sa décision » 104. En l’espèce, M. Kamara, président d’association reprochant à son secrétaire général et à certains membres de n’avoir pas respecté ses décisions et d’avoir gravement entravé le fonctionnement du groupement, les a suspendus de leurs délégations de signature comptable ou de leur appartenance au bureau du conseil d’administration. 105. En statuant comme elle l’a fait, la Cour a incontestablement étendu les pouvoirs du président d’association. En effet, en l’absence de stipulations particulières dans les statuts de l’association, le président est présumé avoir les pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances dans l’intérêt de l’association. C’est ainsi qu’il peut prendre à titre conservatoire les mesures qu’impose la situation. 106. Il s’agit d’un alignement des pouvoirs du président d’association sur ceux du directeur général de S.A. En effet, au sens de l’art. L 225-56, I du C. com. « Le directeur général est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société ». Désormais, avec cette décision, il semble que le président d’association dispose de pouvoirs similaires. 107. Cependant les juges vont beaucoup plus loin dans cette « extensionalignement »[88], en reconnaissant au président le pouvoir de licencier un salarié, ce qui relève de ses pouvoirs externes. 2°) Les pouvoirs externes du président
108. En reconnaissant au président le pouvoir de licencier un salarié, les juges ont étendu ses pouvoirs externes. 109. Ainsi, dans un arrêt du 25 novembre 2003[89], la Cour de cassation a décidé, par un attendu qu’il convient de rappeler, qu’un président d’association avait le pouvoir de licencier un salarié :
« Dès lors qu’il est établi que les statuts de l’association prévoyaient que le président en est le représentant légal auprès des tiers pour tous les actes de la vie sociale, celui-ci est habilité à mettre en œuvre une procédure de licenciement à l’égard d’un salarié, à défaut d’une disposition spécifique des statuts attribuant cette compétence à un autre organe ». 110. Cet arrêt reprend une idée qui avait déjà été exprimée par les juges du fond[90]. Toutefois, en statuant ainsi, les juges suprêmes reconnaissent au président d’association les mêmes pouvoirs que ceux du directeur général. En effet, c’est non seulement en sa qualité de chef d’entreprise[91] mais aussi en sa qualité de représentant légal que ce dernier s’est vu octroyer par la Loi, le pouvoir de licencier un salarié. 111. Le pouvoir de licencier, ici octroyé au président d’association, pose plus largement la question de la représentation de l’association. Le président d’association serait-il devenu par une « extension-alignement » un directeur général de S.A. et par la même occasion un représentant légal ? Si oui l’ « extension-alignement » s’est-elle transformée par un subterfuge encore inconnu en « extension-assimilation [92] »? 112. Pour y répondre, il est nécessaire d’apprécier cette transposition des pouvoirs. B – L’appréciation de la transposition des pouvoirs
113. Dérivant du latin pretium (prix), le verbe apprécier signifie « déterminer la valeur ou l’importance de[93] » quelque chose ou quelqu’un. Apprécier la transposition des pouvoirs reviendra donc à l’évaluer. Pour ce faire, la balance sera faite entre ses mérites (1) et ses limites (2). 1°) Les mérites de la transposition 114. La transposition opérée a pour mérites de sécuriser les tiers et de respecter la spécificité du groupement associatif. 115. La situation des tiers qui contractent avec une association est particulièrement délicate[94]. Face à la diversité des modèles statutaires[95], les tiers sont tenus de vérifier la qualité de représentant du dirigeant d’association avec lequel ils contractent. Faute d’une telle vérification, les restrictions et répartitions statutaires du pouvoir lui sont
opposables[96]. On le voit, les tiers sont véritablement en disgrâce, faute pour la loi de 1901 d’avoir désigné le représentant de l’association. Mais en reconnaissant au président d’association le pouvoir de licencier un salarié parce que les statuts lui conféraient la qualité de représentant légal, la Cour de cassation a lancé aux tiers une bouée de sauvetage. Bien plus, en se fondant sur l’art. 1134 du C. civ. pour conférer aux statuts leur juste force, les juges n’ont pas dénaturé l’association. 116. Dans les deux arrêts sus cités les juges ont pris le soin de ne point dénaturer l’association en respectant les grands principes du droit associatif. Le premier est celui de la liberté statutaire. Les juges ont reconnu la qualité de représentant légal à un président d’association parce que les statuts le prévoyaient expressément[97]. C’est donc en interprétant les statuts, que les juges ont reconnu le pouvoir de licencier un salarié. Quid alors d’un silence total des statuts ? En cas de silence des statuts, les juges recourent au droit des sociétés, qui a une vocation subsidiaire d’application[98]. Même si cette vocation est critiquable elle n’en demeure pas moins utile : elle permet d’éviter un vide juridique[99]. C’est en raisonnant ainsi que les juges ont transposé l’art. L 255-56 du C. com. Le second principe est celui de la souveraineté de l’assemblée générale[100]. Les juges ne s’en sont pas démarqués. En effet, si le président d’association dispose des pouvoirs les plus étendus pour prendre, dans l’intérêt de l’association, les mesures urgentes que requièrent les circonstances, il ne s’agit que de mesures conservatoires dans l’attente d’une décision du conseil d’administration et de l’assemblée générale. 117. Cette transposition a bien des mérites, toutefois, elle doit être relativisée car elle réalise une assimilation délicate entre les pouvoirs du directeur général de S.A. et le président d’association. 2°) Les limites de la transposition 118. Alors que le directeur général de S.A. est un représentant légal qui tire ses pouvoirs de la Loi, le président d’association est bien un mandataire. Même s’il a parfois été avancé la thèse selon laquelle le président d’association serait un représentant légal, soit pour justifier la
responsabilité de l’association du fait de ses dirigeants[101], soit pour empêcher la révocation « ad nutum »[102] elle n’est pas fondée[103]. 119. Toutefois, la transposition de l’art. L 255-56 conçu pour un représentant légal et son application au président d’association mandataire conventionnel laisse planer des doutes quant à l’avenir de cette décision. 120. En effet, cette confusion de qualité pourrait emporter des conséquences pratiques qu’il convient d’observer. Les qualités de mandataire et de représentant légal ne produisent pas les mêmes effets. A l’égard de l’association, en tant que mandataire conventionnel, le président d’association n’engage celle-ci que dans les limites de son mandat. Il ne peut la représenter en justice que sur habilitation spéciale. La situation n’est pas la même pour le directeur général, qui représente la société à l’égard des tiers, signe les contrats au nom de celle-ci, passe les commandes, assure les biens sociaux, agit en justice…[104] A l’égard des tiers, alors que les limitations statutaires des pouvoirs du directeur général sont inopposables aux tiers même de mauvaise foi[105], il n’en est pas de même dans les associations. Contractant avec un mandataire, les tiers sont tenus de vérifier au moins le principe de ses pouvoirs[106], ce qui revient au final à en vérifier l’étendue. En l’absence d’une telle vérification, les limitations statutaires lui seront opposables sauf démonstration de la théorie du mandat apparent[107]. 121. La distinction des qualités de mandataire et de représentant légal est particulièrement importante dans la mesure où elle pose des problèmes pratiques. Le président d’association doit être considéré comme un mandataire conventionnel avec toutes les conséquences que cela implique. Son assimilation à un représentant légal quant à elle, ne devrait être justifiée que par les statuts. La vocation subsidiaire du droit des sociétés, même si elle est utile, ne doit pas dénaturer l’association. Et c’est là le mérite des arrêts sus étudiés. 122. Mais, la jurisprudence organise aussi de manière cohérente le pouvoir au travers de la révocation des dirigeants. § 2) La révocation des dirigeants 123. La jurisprudence[108] et une grande partie de la doctrine[109] considèrent que les dirigeants d’association sont des mandataires. Dès lors,
par application des dispositions du Code civil, le mandat prend fin par « la révocation du mandataire » (art. 2003) et « le mandant peut révoquer sa procuration quand bon lui semble » (art. 2004). Cela signifie que le mandat est révocable « ad nutum », sans préavis, motifs et indemnités. Cette situation fait penser à celle de certains dirigeants de sociétés[110]. Mais il semble que le parallèle doive s’arrêter là, puisque les fondements des pouvoirs ne sont pas les mêmes[111]. 124. En tant que mandataires, la révocation des dirigeants d’associations doit-elle survenir au cours d’une réunion de l’assemblée générale alors qu’elle n’était pas inscrite à l’ordre du jour ? 125. En transposant le principe de l’incident de séance aux associations, la jurisprudence semble y répondre de façon positive. Cette prise en compte de l’incident de séance (A), si elle est justifiée, doit cependant être relativisée (B). A – La prise en compte de l’incident de séance 126. Le principe de l’incident de séance est prévu à l’art. L 225-105 du Code de commerce qui dispose que : « L’assemblée ne peut délibérer sur une question qui n’est pas inscrite à l’ordre du jour. Néanmoins, elle peut en toutes circonstances, révoquer un ou plusieurs administrateurs ou membres du conseil de surveillance et procéder à leur remplacement ». La loi de 1901 n’ayant pas envisagé cette situation, les juges ont transposé par trois arrêts[112] ces dispositions à des associations. 127. En statuant ainsi, les juges semblent faire de l’incident de séance un principe de droit commun des groupements (2) qu’ils soumettent cependant à certaines conditions (1). 1°) Les conditions de l’incident de séance 128. Bien que le débat ne relève que de la théorie[113], il semble que la jurisprudence n’admette pas aussi facilement, en droit des associations, l’incident de séance. Il convient peut-être de rappeler qu’en droit des sociétés, on l’admet « en toutes circonstances[114] ». En revanche, s’agissant des associations, l’examen de la jurisprudence le soumet à certaines exigences. Peu importe toutefois la nature de l’assemblée générale au cours de laquelle il est apparu[115].
C’est ainsi que dans l’arrêt de 1970[116], elle exige pour admettre la révocation sur incident de séance « des révélations inattendues d’une telle gravité qu’il était impossible aux membres de l’association de conserver leur confiance au comité de direction » ; dans l’arrêt du TGI de 1987[117] les juges admirent des incidents ayant conduit à « une situation irrémédiable ». 129. En revanche, dans l’arrêt de 1994[118], les juges se sont tout simplement bornés à transposer l’art. 160 de la loi de 1966 (art. L 225-105 du Code de commerce) sans aucune exigence particulière. Et en cela, ils l’affirment comme un principe commun des groupements. 2°) L’incident de séance : principe commun des groupements 130. Considérer l’incident de séance comme un principe commun de tous les groupements revient à reconnaître l’existence de paralysie au sein de ceux-ci et la nécessité d’y remédier. En effet, dans un groupement de personnes, la révocation sur incident de séance permet d’éviter le maintien d’un dirigeant indésirable pour des raisons formelles. Même si l’exigence de formalité (en l’occurrence que l’assemblée générale ne délibère que sur les points inscrits à l’ordre du jour) permet de lutter contre les révocations abusives, elle ne saurait empêcher la révocation d’un dirigeant qui peut toujours résulter d’un incident de séance. 131. Toutefois, si le maintien de ce principe a pu être discuté[119] c’est davantage sa réelle utilité pour les associations qu’il convient d’examiner au travers de la relativité de cette prise en compte. B – La relativité de cette prise en compte 132. La prise en compte de l’incident de séance en droit des associations revêt une portée relative car elle nous semble inutile (2) dans la mesure où elle n’est qu’une modalité de la révocation ad nutum des dirigeants d’associations (1). 1°) L’incident de séance : Une modalité de révocation ad nutum
133. Les dirigeants d’association, cela a déjà été évoqué, sont révocables ad nutum[120]. Ce n’est qu’une simple application de l’art. 2004 du C. civ.[121] Par conséquent, n’est-il pas normal que leur révocation puisse résulter d’une décision de l’assemblée alors même qu’elle n’était pas inscrite à l’ordre du jour ? Et finalement « l’incident de séance » ne serait-il pas exigé qu’aux fins de lutter contre l’arbitraire dans les révocations ? Il semble évident de répondre par l’affirmative. En effet, si le mandant peut révoquer sa procuration « quand bon lui semble », il ne faudrait pas qu’il en abuse. C’est pourquoi, la révocation doit être au moins inscrite à l’ordre du jour. Et si l’on y déroge, il faut au moins que cela soit justifié par des incidents de séance. Dès lors, il convient peut-être de parler de révocation ad nutum sur incident de séance[122] en droit associatif. 134. En cela, le recours au droit des sociétés, dans ce cas, semble inutile. 2°) L’inutilité de la transposition 135. Comme l’a si bien démontré un auteur[123], le recours au principe de l’incident de séance via l’art. L 225-105 pour justifier la révocation d’un dirigeant d’association est inutile. Dans la mesure où il est révocable ad nutum, plutôt que le droit des sociétés commerciales, le juge n’aurait-il pas pu invoquer la théorie du mandat, beaucoup plus générale ? [124]. Ce qui aurait conduit à admettre la révocation ad nutum du dirigeant d’association sans avoir à en justifier les motifs, quitte à l’indemniser si cette révocation s’avère a posteriori injustifiée et lui a causé un préjudice moral[125]. 136. Même si la transposition de la théorie des incidents de séances semble inutile pour justifier la révocation des dirigeants d’associations, elle constitue néanmoins un moyen par lequel les juges participent a posteriori à l’organisation du pouvoir. 137. Mais beaucoup plus que l’organisation du pouvoir, les juges reconnaissent également la possibilité de contester le pouvoir au sein de l’organisation.
Section 2 : La possibilité de contester le pouvoir au sein de l’organisation 138. La jurisprudence reconnaît également, la possibilité de contester le pouvoir au sein de l’organisation. On l’a déjà démontré, les statuts organisent librement la répartition des pouvoirs au sein d’organes. Il peut s’agir du président mais aussi de l’assemblée générale par laquelle est assurée l’expression collective. 139. Les décisions des assemblées sont alors des actes juridiques collectifs[126] en ce qu’ils engagent même ceux qui n’y ont pas consenti. C’est ce qui justifie la règle de la majorité dans tout contrat-organisation. Au nom de cette règle, les décisions prises par l’assemblée engagent même les membres qui ne les ont pas votées. Certes il existe des exceptions à ce quorum, notamment, lorsque des décisions viennent augmenter les engagements des membres, la règle devient alors l’unanimité. 140. Mais la vérité de Montesquieu[127] rattrape souvent trop vite les sociétaires. En effet, les abus font souvent leur apparition dans un monde où on ne les attendait pas. Que peuvent donc faire les sociétaires, si ce n’est recourir aux juges ? Ces derniers une fois saisis n’ont pas hésité à appliquer un mécanisme classique du droit des contrats : L’abus de droit (§1) qu’ils assortissent de sanctions (§2) § 1) L’abus de droit 141. L’abus de droit est une notion civiliste reçue du droit romain. D’abord élaborée en droit de la propriété, elle s’est progressivement étendue à toutes les branches du droit. Après de longues querelles doctrinales, un auteur[128] a su se distinguer en démontrant l’existence de l’abus dans la conscience juridique. Il va ainsi distinguer quatre critères possibles de l’abus : L’intention de nuire (critère intentionnel), la faute dans l’exécution (critère technique), le défaut d’intérêt légitime (critère économique) et le fait de détourner le droit de sa fonction sociale (critère social ou finaliste)[129]. 142. Le droit des sociétés n’a pas échappé à l’abus de droit : les abus de majorité, de minorité et d’égalité, les abus de la personne morale…sont
autant de manifestations de l’abus en droit des sociétés. D’ailleurs, Josserand n’écrivait-il pas « La vie des sociétés, donne matière, elle aussi, à l’application de la théorie de l’abus […][130] » ? 143. En droit des associations, dans le silence de la loi de 1901, les juges ont reconnu à un sociétaire la possibilité d’invoquer l’abus de majorité (A). Cela amène à réfléchir pour l’avenir aux autres abus du droit de vote (B). A – L’abus de majorité 144. Comme en droit des sociétés, l’abus de majorité en droit des associations est le fruit de la jurisprudence[131]. La spécificité de l’association va-t-elle exiger une application particulière de cet abus ? 145. Pour y répondre, il convient de présenter les éléments constitutifs de cet abus en droit associatif (1) puis d’envisager l’éventualité de son établissement en tant que principe commun des groupements (2). 1°) Les éléments constitutifs 146. En droit des sociétés, « l’abus de majorité implique la réunion de deux éléments : La violation de l’intérêt social et la rupture d’égalité entre les associés[132] […] ». Il ne s’agit pas « […] d’un contrôle d’opportunité mais d’un contrôle de légalité car il s’agit de rechercher si la décision inopportune est destinée à rompre l’égalité entre associés, c'est-à-dire la communauté d’intérêts qui doit exister entre eux en application de l’art. 1833 du Code civil [133]». 147. En droit des associations, il n’existe pas d’art. 1833 du C. civ. et pourtant l’abus de majorité y a trouvé son application. En l’espèce, la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel d’avoir retenu que la résolution prise dans l’unique dessein de favoriser des membres majoritaires d’une association porte atteinte à l’intérêt collectif de sorte qu’elle pourrait être annulée pour abus de majorité. Pour retenir une telle solution, la Cour d’appel a pris le soin de souligner que les statuts de l’association lui assignaient le but « de travailler à la défense des intérêts communs à ses membres », ce que les juges suprêmes ne manquent pas de relever. 148. Partant de là, on aurait donc trois éléments constitutifs de l’abus de majorité en droit des associations : La violation de l’intérêt social (entendu
comme intérêt commun des associés/sociétaires) ; la rupture d’égalité et la mention expresse dans les statuts de l’intérêt commun. 149. En effet, la Cour aurait-elle statué pareillement si les statuts n’avaient pas rendu comme en l’espèce un « hommage à l’intérêt commun[134]» ? La réponse à cette question amène à envisager l’éventualité d’un principe commun. 2°) L’éventualité d’un principe commun 150. Une lecture furtive de l’arrêt du 4 avril 2006 pourrait signer la mort de la possibilité d’établissement de l’abus de majorité en tant que principe commun des groupements. On pourrait penser, s’agissant des associations qu’il faut une mention expresse des statuts faisant référence à l’intérêt commun. Une mention qui serait en fait le fondement de l’abus semblable à l’art. 1833 du C. civ. pour les sociétés. Ce qui reviendrait au final à dire que faute d’une référence statutaire ou légale à l’intérêt commun, l’abus de majorité ne saurait être appliqué à un groupement. 151. Une telle analyse paraît trop simpliste pour plusieurs raisons. L’abus de majorité a été appliqué aux sociétés bien avant la rédaction de l’art. 1833 du C. civ. Il ne s’agit ni plus ni moins d’une transposition de la notion civiliste de l’abus de droit avec certains nuances. Dans son ouvrage, Josserand[135] écrivait déjà que la vie des sociétés « doit s’orienter et se poursuivre socialement, en conformité du statut et du jus fraternitatis, de l’affectio societatis, sinon, les manifestations en seront abusives […] ». Or dans tout groupement de personnes, tel l’association ou la société ne retrouve-t-on pas cette volonté commune, cet affectio? Tout groupement n’est-il pas constitué dans l’intérêt commun de ses membres, peu importe que les statuts le précisent ou non? N’est ce pas la particularité de tout contrat-organisation ? 152. Il semble qu’on ne puisse que répondre par l’affirmative à toutes ces interrogations. Dès lors, la construction de l’abus de majorité pourrait tout à fait trouver à s’appliquer dans tout groupement de personnes, dès lors qu’une décision favorable aux majoritaires est prise dans l’unique dessein de porter atteinte aux minoritaires. Une telle décision rompt l’égalité entre associés et est contraire à leur intérêt commun.
153. L’abus de majorité peut donc être considéré comme un principe commun à tous les groupements de personnes[136]. Cela conduit à examiner le cas des autres abus du droit de vote. B – Les autres abus du droit de vote 154. Par autres « abus du droit de vote[137] » il convient d’envisager l’abus de minorité et sa variante, l’abus d’égalité[138]. S’ils ont trouvé application en droit des sociétés, la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur ces questions en droit des associations. D’ailleurs devraitelle le faire ? La transposition de l’abus de majorité implique-t-elle pour l’avenir celle des autres abus du droit de vote ? 155. S’il existe des obstacles à leur transposition (1), il reste encore des raisons d’espérer (2) 1°) Les obstacles à la transposition 156. Au plan politique, les nombreuses atteintes à la démocratie dans les associations permettent –elles d’envisager une « tyrannie des faibles[139] » ? 157. En effet, les nombreux obstacles au droit de vote en droit des associations ne permettent peut-être pas d’envisager que des minoritaires puissent constituer un « blocage » suffisant à empêcher la prise d’une décision importante. 158. D’après M. Guyon[140], contrairement à ce qu’on pense, les associations sont en réalité des gouvernements très autocratiques. La loi de 1901 ne reconnaît en réalité aucun droit aux membres de l’association susceptible de garantir le fonctionnement démocratique de la collectivité. 158-1. A l’image de M. Guyon, on pourrait signaler qu’une démocratie suppose que les citoyens soient bien informés, qu’ils puissent choisir leurs représentants, participer aux décisions collectives et qu’enfin les citoyens les plus défavorisés soient protégés. 158-2. Alors qu’en droit des sociétés le droit à l’information est un attribut essentiel de l’associé, il n’est pas prévu par la loi de 1901. En droit des associations, la communication par avance des rapports (financier et moral) aux sociétaires n’est pas exigée. Très souvent ceux-ci découvrent
en séance des documents d’interprétation complexes. Par ailleurs, la présence de commissaires aux comptes n’est pas exigée par la loi de 1901. 158-3. S’agissant du droit de vote, les sociétaires n’ont pas toujours le droit de participer aux assemblées et d’y voter. La liberté statutaire permet une hiérarchisation des membres aux statuts et droits de votes différents (droit de proposition, droit de veto, droit de vote plural…). 158-4. Enfin, outre le droit de retrait lorsque l’association est constituée sans limitation de durée (art. 4 de la loi de 1901), aucune mesure de protection des sociétaires minoritaires n’est prévue en droit des associations. Comme le précise le Professeur Guyon : « sauf stipulation contraire des statuts, les sociétaires ne peuvent ni provoquer la réunion d’une AG ni demander l’inscription d’une question à l’ordre du jour. Ils ne peuvent pas non plus demander une expertise de gestion […] Enfin en cas de faute des dirigeants, la jurisprudence[141] ne leur reconnaît pas le droit d’exercer l’action sociale ut singuli [142]» 159. Au plan technique, l’abus de minorité n’est retenu en droit des sociétés que dans des hypothèses strictes. Il s’agit pour la plupart du temps des décisions relatives au capital social[143]. Or l’association, n’a pas de capital social car elle n’a pas vocation à réaliser des bénéfices. 160. Malgré ces obstacles, il subsiste tout de même des raisons d’espérer. 2°) Les raisons d’espérer 161. L’abus de minorité reste une hypothèse difficilement vérifiable en droit des associations. Il n’en est pas de même de l’abus d’égalité. 162. En effet, on pourrait tout à fait imaginer le schéma suivant : Une association composée de deux membres disposant d’un droit de vote s’exerçant à travers la règle de l’unanimité. Un sociétaire pourrait alors utiliser son droit de veto de manière abusive c'est-à-dire dans l’unique dessein d’empêcher une décision nécessaire au fonctionnement de l’association. Il y’aurait alors atteinte à l’intérêt commun. 163. Toutefois, même si l’abus d’égalité pourrait trouver à s’appliquer il ne sera pas d’un grand intérêt. En effet, les sociétaires pourront toujours, dans ce cas, demander en justice la dissolution pour mésintelligence[144]. Reste maintenant à envisager les sanctions de l’abus.
§ 2) Les sanctions de l’abus 164. Selon Josserand, les manifestations abusives du droit des sociétés « détermineront les sanctions habituelles : condamnation à des dommages-intérêts, nullité[145] ». 165. Les fondements de ces actions sont différents[146], et la jurisprudence commerciale n’hésite pas appliquer l’un ou l’autre selon les cas. 166. En droit des associations, le seul arrêt connu à ce jour a fait la part belle à la nullité. C’est pour cette raison qu’elle sera, seule envisagée dans cette étude. Pour ce faire seront successivement étudiés le régime de l’action en nullité (A) puis ses effets (B). A – Le régime de l’action en nullité 167. Seront successivement étudiées la qualité pour agir (1) et la prescription de l’action (2). 1°) La qualité pour agir 168. En droit des sociétés, la qualité pour agir est sujette à de nombreux obstacles[147] tenant à la question de la détermination des personnes susceptibles d’invoquer la nullité d’une décision sociale. 169. Il n’en est pas de même en droit des associations où tout membre, qui estime qu’une assemblée générale a été irrégulière, a le droit de se pourvoir en justice devant le TGI[148] pour faire annuler les décisions prises[149]. Toutefois, il n’a pas le droit de convoquer une nouvelle assemblée générale avant que la justice n’ait annulé l’assemblée antérieure. 170. N’ont donc pas qualité pour agir[150] le membre exclu, à moins que son exclusion soit irrégulière[151], et a fortiori la personne qui n’est pas membre de l’association[152]. 171. Dès lors, doit être examinée la question de la prescription de l’action en nullité. 2°) La prescription de l’action 172. Le délai de prescription est celui des nullités relatives prévu à l’article 1304 du Code civil et fixé à 5 ans à compter du jour où la nullité est
encourue (à compter de la date de réunion des assemblées). L’expiration du délai de prescription de cet article rend les délibérations définitives[153]. 173. Néanmoins, une fois le délai de prescription expiré, il reste possible d’invoquer l’exception de nullité qui, elle, est perpétuelle. 174. Le régime de l’action en nullité en droit des associations semble plus souple que celui du droit des sociétés, ce qui traduit une certaine opposition entre les deux groupements. Cette opposition se retrouve également au niveau des effets de la nullité. B – Les effets de la nullité 175. L’opposition se manifeste par l’application du principe de rétroactivité des nullités en droit des associations. En effet, le prononcé de la nullité d’une délibération anéantit rétroactivement l’assemblée générale qui est censée n’avoir jamais eu lieu ; et les sociétaires doivent être remis dans la situation où ils étaient avant l’assemblée. 176. Mais dans un arrêt récent, la Cour de cassation[154] a considéré que l’annulation d’une délibération d’assemblée générale d’association n’avait pas d’effet rétroactif. Les juges suprêmes ont-ils voulu faire de la nonrétroactivité des nullités un principe commun des groupements ? Il convient de répondre par la négative car cette transposition est illogique (1) et isolée (2). 1°) L’illogisme de la transposition 177. Dans l’arrêt du 19 novembre 1991, la Cour de cassation affirme : « à défaut de stipulation législative, réglementaire ou statutaire contraire, l’annulation d’une délibération prise par l’assemblée générale d’une association régie par la loi du 1er juillet 1901 ne peut avoir d’effet rétroactif ». En statuant ainsi les juges ont adopté une position de principe qui semble aligner le régime de la nullité en droit associatif sur celui du droit des sociétés, ce qui conduirait inexorablement à considérer l’article 1844-15 C.civ. comme principe du droit commun des groupements. 178. Pourtant, en droit des sociétés il existe bien une exception au principe posé par l’article 1844-15 C.civ. : la nullité d’une délibération sociale, contrairement à celle de la société, est rétroactive. C’est donc en exception
à l’exception prévue en droit des sociétés que la Cour de cassation a rendu cette décision en droit des associations. Il serait donc illogique de penser qu’elle se fonde sur le principe du droit des sociétés. 179. D’ailleurs l’arrêt lui-même ne fait aucune référence au droit des sociétés et repose plutôt sur des arguments d’équité : « la vie associative qui existait avant les assemblées générales s’est poursuivie, … et les membres qui avaient adhéré au comité de soutien postérieurement à celles-ci et qui paient leur cotisations ne sauraient se voir écartés de la constitution du bureau au profit de personnes qui étaient membres du comité en 1984, et dont certaines ont pu, depuis lors, se désintéresser de l’association ». 180. Cette jurisprudence ne permet donc pas d’affirmer que la nonrétroactivité est devenu un principe commun du droit des groupements, et ce d’autant plus qu’il s’agit d’une décision isolée. 2°) L’isolement de la transposition 181. La Cour de cassation tient à conserver l’originalité du droit associatif. S’agissant particulièrement de la nullité, elle a décidé, dans un arrêt du 27 juin 2000[155], que : « la nullité de la délibération d’une assemblée générale d’association résulte du seul fait que cette assemblée n’a pas respecté les règles statutaires relatives aux modalités de vote ». En statuant ainsi, la Cour rejette la théorie dite du vote utile qui prévaut en droit des sociétés. La nullité d’une délibération irrégulière est indépendante de l’absence d’incidence de l’irrégularité. Le non-respect des dispositions statutaires suffit à obtenir l’annulation de la délibération prise par l’assemblée générale. La solution s’impose au sein des groupements contractuels[156]. 182. Cet arrêt vient confirmer l’isolement de la décision du 19 novembre 1991.
Conclusion du Chapitre 2
183. Au final, l’association est bien un acte d’organisation. Les parties organisent librement la répartition des pouvoirs. Toutefois, en cas de conflits, et de carence des statuts, les juges n’hésitent pas à appliquer les règles du droit des sociétés. En le faisant, ils participent a posteriori à l’organisation du pouvoir et à l’organisation des moyens de contestation du pouvoir.
Conclusion du Titre 1
184. L’association est bien un acte juridique : son fonctionnement, comme sa disparition sont régis par l’acte juridique qui l’a créé. L’examen de la transposition jurisprudentielle, au regard de la théorie de l’acte juridique n’est pas vain. Elle permet de faire apparaître derrière la « mystique théorie institutionnelle [157]», que la société est bien comme l’association, un acte juridique. Dès lors, l’application du droit des sociétés aux associations permet de démontrer que les règles transposées sont en réalité des principes issus pour la plupart de la construction de l’acte juridique : L’intangibilité des engagements, la dissolution pour justes motifs, la révocabilité ad nutum des mandats, l’abus de majorité… 185. Toutefois l’association n’est pas qu’un acte juridique, elle peut devenir, comme la société une personne morale.