SORTIR DES RANGS // volume 1 // numéro 1 // ÉTÉ 2008

Page 1

COUVERTURE C1-C4-LOW.qxd

5/13/08

2:46 PM

Page 1


COUVERTURE C1-C4-LOW.qxd

5/13/08

2:46 PM

Page 2

Une idée à laquelle on a donné une mission

Nous sommes un groupe qui discute, réfléchit et prend position devant les nombreux défis auxquels la société québécoise et canadienne fait et fera face dans l’avenir. Nous sommes une organisation à but non lucratif, indépendante et non part isane. Nous partageons la volonté d’avoir un impact positif sur notre société et cherchons à y jeter un regard nouveau. Nous sommes convaincus de la nécessité de s’impliquer au sein du débat public. Conscients de l’apport de la diversité et de l’ouverture aux autres, nous prônons le respect envers les opinions divergentes et croyons en la créativité et l’innovation qu’elles engendrent. Nous croyons que l’échange et la mise en commun de points de vue généreront des idées nouvelles qui mèneront à un projet de société. Nous sommes ouverts d’esprit et examinons chaque question en tenant compte des différents points de vue, sans parti pris au préalable. Nous faisons partie de la génération montante et désirons offrir à cette génération un espace dans lequel elle peut s’affirmer. Nous voulons également bâtir un pont entre notre génération et celles qui la précèdent .

GÉNÉRATION D’IDÉES 01 02 04 06 08 10 12 14 16 18 22

Présentation // Gedi Article de Paul St-Pierre Plamondon // Préface de Marc Lalonde Article de Mélanie Joly // Préface de Jean Leclair Article de Jean-David Tremblay-Frenette // Préface de André Saumier Article de Noémie Dansereau-Lavoie // Préface de Serge Bouchard ÉDITORIAUX Article de Pauline Ngirumpatse // Préface de Daniel Weinstock Article de Philippe-André Tessier // Préface de Lorraine Pagé Article de Stéphanie Raymond-Bougie // Préface de Claude Béland Article de Stéphanie Vig et Grégoire Webber // Préface de André Pratte Article de Philippe Santerre // Préface de David Levine

www.generationdidees.ca Tous droits réservés. Dans Génération d’idées, la forme masculine désigne, lorsque le contexte s’y prête, aussi bien les femmes que les hommes. La rédaction se réserve le droit de ne pas publier un texte soumis ou de le réduire. Les textes publiés ne réflètent nullement l’opinion de la rédaction, ni de Génération d’idées, mais bien celle de leurs auteurs. Les textes signés GEDI n’engagent que les fondateurs de Génération d’idées. Fondateurs : Paul St-Pierre Plamondon, Mélanie Joly et Stéphanie Raymond-Bougie

ISSN // 1916-8381 Dépôt légal // 2e trimestre 2008 // Bibliothèque nationale du Québec // Bibliothèque nationale du Canada Conception graphique // GODRODESIGN // www.godrodesign.com Crédit photo de la couverture // www.jeanmalek.com


BROCHURE GEDI_FINALE.qxd

5/6/08

7:09 AM

Page 1

Parce que notre avenir nous préoccupe, prenons position et participons à notre génération d’idées

Avez-vous l’impression que les médias s’intéressent seulement aux préoccupations des autres générations ? Les accommodements raisonnables, la guerre en Irak, la montée de la droite religieuse, l’insécurité sont-ils des sujets que vous auriez abordés complètement différemment ? Quand nous avons décidé de mettre sur pied un groupe de réflexion sur l’avenir de notre société, il était devenu urgent de nous rassembler afin de prendre notre place au sein des médias. Au moyen d’une publication trimestrielle, d’un site Internet et d’un blogue, nous voulons offrir une tribune à notre génération (25-35 ans). Il faut nous rassembler et prendre la parole si nous voulons que nos élus mettent à l’ordre du jour des enjeux qui nous préoccupent. Sans parti pris, sans but lucratif et apolitique, Génération d’idées n’est qu’un outil pour y arriver, dont nous espérons que vous profiterez. Par la génération d’idées provenant de tous les horizons, nous sommes d’avis que les meilleures idées jailliront. Nous aurons plusieurs défis à relever : trouver des collaborateurs variés et ce, dans tous les sens du terme, sortir du milieu juridique (les 3 fondateurs sont avocats !), susciter l’intérêt des plus sceptiques et surtout ne pas rester au stade de la critique mais élaborer des pistes de solutions ou des alternatives aux solutions qui ne nous conviennent pas. Armé d’un sens profond de l’urgence de l’état de notre société, Génération d’idées est prêt, avec vous, à relever ces défis. Cette première parution est le fruit du travail acharné des fondateurs, collaborateurs, mentors et de tous ceux qui croient à la mission de Génération d’idées. Nous espérons que vous allez vous approprier cette publication, le site Internet www.generationdidees.ca ainsi que le blogue et nous faire part de vos commentaires tant sur le fond des articles que sur la forme du projet.

Que la force soit avec vous

GEDI

Génération d’idées est né de l’investissement en temps, en énergie et en réflexion d’une panoplie de personnes passionnées. Le projet est également le fruit de nombreux conseils, rencontres impromptues et discussions animées.Voilà pourquoi nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de GEDI : Anik Trudel, Manon Roberge, Annick Gaudreault, Isabelle Lessard, Louis-Edgar Jean-François, Didier Jutras-Aswad et Alexia Jensen. Merci à tous nos collaborateurs, mentors, artistes et donateurs qui croient en ce projet. Merci également à toutes les personnes qui nous sont chères et qui nous entourent.

01


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 2

Lorsque je tente de qualifier l’initiative Génération d’idées, c’est le titre du recueil de nouvelles de William Saroyan, « Three Young Persons on a Flying Trapeze », qui me revient en mémoire.

« Je me demande

si les jeunes de leur génération seront au rendez-vous auquel ils sont conviés. »

Lancer une nouvelle revue dans le contexte actuel demande de l’audace et, de toute évidence, les trois personnes concernées n’en manquent pas, d’autant plus que leur tribune se veut rassembleuse, non partisane et libérée de toute idéologie officielle. J’applaudis leur initiative mais je me demande si les jeunes de leur génération seront au rendez-vous auquel ils sont conviés. Je l’espère sincèrement mais eux seuls ont la réponse. Je comprends le scepticisme que les jeunes entretiennent à l’égard de l’engagement au sein de partis politiques et, heureusement, ils n’ont aucune obligation de s’engager. J’ai toujours pensé qu’il est très souhaitable qu’un jeune apprenne à gagner sa vie et à payer des impôts avant de commencer une carrière politique. Par ailleurs, la politique, comme la physique, a horreur du vide. Si les gens qui veulent contribuer au bien commun et au progrès de leur société se tiennent à l’écart du monde politique, d’autres sauront prendre leur place, souvent pour des motifs moins nobles. Je reconnais cependant qu’au Québec, la politique a trop longtemps semblé supplanter tout le reste. À l’instar de Paul Plamondon, j’espère seulement que le refus de l’embrigadement n’enfermera pas la jeune génération dans l’individualisme et l’inaction. L’écriture demeure un extraordinaire instrument de changement et de progrès social; je souhaite à Génération d’idées de devenir la plate-forme où s’affronteront les projets les plus divers élaborés par ceux qui sont appelés à nous remplacer. Marc Lalonde

02


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 3

La fin de la guerre des clans Que l’on pense à l’opposition entre souverainistes et fédéralistes, aux querelles entre syndicat et patronat, ou à la traditionnelle dichotomie entre partis bleus et partis rouges, en passant par la rivalité entre les régions et les grands centres, les 30 dernières années ont été le théâtre d’affrontements répétés entre des groupes représentant des idéologies et des projets opposés. Plusieurs de ces idéologies ont porté le nom de « la cause » au sein de ces groupes, ce qui témoigne bien du degré d’identification et d’engagement des membres de ces groupes, de même que d’un certain manque de recul par rapport à eux. Bien que cette polarisation ait contribué à façonner le Québec d’aujourd’hui et encouragé la participation de milliers de personnes dans l’espace public, elle a aussi coûté cher en temps, en instabilité et en manifestations de toutes sortes. Pour plusieurs jeunes, le bénéfice retiré de ces guerres de clans demeure nébuleux.

Le danger de ce libéralisme qui nous caractérise, c’est qu’il dérape vers l’individualisme et l’inaction. Au moment où l’endettement, le vieillissement de la population et d’autres problématiques sont à nos portes, nous devons nous responsabiliser, et cette responsabilisation doit passer par un regroupement collectif permettant l’échange et la mise en chantier de projets communs. La créativité, l’innovation et les projets ne naissent pas en vase clos. Il était donc essentiel de trouver un véhicule qui respecte nos contraintes de temps et qui soit à l’image de nos valeurs. Au cours des dernières années, les projets open source ont fait des miracles. Ces projets reposent sur la contribution volontaire et gratuite des participants. Ceux-ci choisissent tant leur domaine que leur degré de participation, et le contrôle exercé sur leur contribution est minime. Ces véhicules sont surtout extraordinaires en ce qu’ils rassemblent sous un même projet des gens ayant des nationalités, des valeurs et des opinions différentes, mais qui ont tous la volonté de contribuer à un projet commun. Outre des exemples de projets tels Wikipédia et Linux, les domaines de l’entrepreneuriat social et du développement international regorgent de projets dont la réussite découle avant tout d’une multitude d’individus sur lesquels aucun dogme, ligne directrice ou organisation précise du travail n’est exercé. Je déclare donc la fin de la guerre des clans et le départ d’une nouvelle plateforme à notre image. J’invite les 25-35 ans à générer les idées qui nous définiront dans 20 ans. La liste des secteurs dans lesquels on peut agir est illimitée, et la diversité des opinions exprimées sera au rendez-vous, car nous sommes convaincus que de la rencontre de ces idées naîtra l’innovation. Paul St-Pierre Plamondon

Mais voilà qu’il manque de soldats à la guerre des clans. Souverainistes et fédéralistes cherchent péniblement à recréer de l’engouement, les partis politiques mettent en place des stratégies pour tenter de recruter et d’intéresser des jeunes, et tant le syndicat que le patronat sont surpris de l’approche tempérée et détachée des nouveaux venus en milieu de travail. Plusieurs babyboomers dénoncent le flegmatisme, le laisser-aller et même la paresse de la nouvelle génération. Pourtant, dans les faits, les jeunes sont très actifs dans plusieurs domaines : les signes de cette participation sont évidents, particulièrement en environnement, en développement international et dans les organisations à but non lucratif. Nous choisissons donc les thèmes et les questions qui nous tiennent à cœur et nous nous engageons en ce sens, sans pour autant faire preuve de loyauté envers une bannière ou une organisation et épouser tout ce qui en découle. L’absence de regroupement collectif et le caractère quelque peu invisible de notre génération peuvent également être expliqués par d’autres facteurs. D’une part, nos moments libres sont comptés dans la mesure où nous sommes sollicités de toutes parts et où notre emploi prend beaucoup de notre temps. Bien des jeunes ont le sentiment d’être constamment bombardés d’information sans jamais avoir le temps d’agir, ni même de réfléchir. D’autre part, il est fort possible que les véhicules traditionnels de regroupements collectifs, tels les partis politiques, ne conviennent pas aux caractéristiques de notre génération. Le post-matérialisme, le sentiment de sécurité et l’ouverture d’esprit qui animent notre génération entraînent une saine méfiance envers la partisannerie, les lignes de parti rigides et le dogme en général. Nous préférons nettement un environnement où la liberté de pensée et la diversité idéologique sont permises et valorisées. Craignant moins l’opinion divergente, nous ressentons peu le besoin de nous unir avec ceux qui pensent comme nous.

« J’invite

les 25-35 ans à générer les idées qui nous définiront dans 20 ans » 03


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 4

« Ce que propose

l’auteure, c’est donc une forme d’individualisme qui rend possible la vie à deux, ou même à plusieurs millions. »

Dans son court essai, Mélanie Joly relève le défi qui consiste à cerner l’ineffable « identité » de sa génération. Une génération qui, selon elle, accepte de manière radicale la différence de tout un chacun et pour qui la « centralité du soi » envisagée sous l’angle de l’autodétermination personnelle s’ouvre sur un « besoin de contribuer à sa société ». Sans le vouloir, Mélanie Joly marche sur le sentier tracé par la psychanalyse. La « sortie de la névrose », c’est-à-dire la juste compréhension de soi, nous permettrait, une fois affranchis de nous-mêmes, de mieux nous ouvrir aux autres. Ce que propose l’auteure, c’est donc une forme d’individualisme qui rend possible la vie à deux, voire à plusieurs millions. Cette indispensable quête de sens individuelle ne pourrait-elle pas, comme l’espère l’auteure, être transposée à l’échelle collective ? Cette approche, si rafraîchissante soit-elle, n’est pas pour autant naïve, et je souhaite sincèrement que les contemporains de Mélanie Joly la partagent réellement. Toutefois, cette centralité du soi ne risque-t-elle pas d’entraîner un sentiment d’indifférence à l’égard d’autrui ? Tocqueville disait : Je tremble, je le confesse, que [les citoyens] ne se laissent enfin si bien posséder par un lâche amour des jouissances présentes, que l’intérêt de leur propre avenir et de celui de leurs descendants disparaisse, et qu’ils aiment mieux suivre mollement le cours de leur destinée que de faire au besoin un soudain et énergique effort pour le redresser. Espérons que, comme le souhaite Mélanie Joly, la génération à laquelle elle appartient trouvera la force de combattre l’inertie qui nous guette tous. Jean Leclair

04


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 5

Du nous en moi Le « nous » nous a récemment beaucoup préoccupés au Québec. Politiciens et intellectuels ont tenté de nous définir collectivement. Or, ma génération semblait manquer à l’appel. Parlons-en de ma génération, comme chantait The Who. Afin de comprendre nos comportements, parlons de qui nous sommes, de comment l’on se perçoit, de ce qui nous anime. Après mûre réflexion, tout cela se tient en trois temps. Trois énoncés qui lancent le débat. Parlons surtout d’un changement de paradigmes. Parlons du nous. Parlons du moi. Tout d’abord, notre génération ne veut pas être déterminée par quiconque. Nous voulons tous nous déterminer nous-mêmes. En d’autres mots, le « nous » des jeunes québécois se forme avant tout par la création du « moi ». Voilà donc le premier postulat : chaque individu veut s’autodéterminer. Cessez le discours trop définissant collectivement, chacun se détermine selon son cadre, selon sa perception. C’est pourquoi ma génération accepte que ses membres soient tous uniques. Étrangement, c’est ce qui nous unit. Une communion d’esprits différents, qui exigent d’être respectés pour ce qu’ils sont, pour ce à quoi ils adhèrent. Si vous tentez de nous définir, les membres crieront que nous ne pouvons être définis, que nous sommes tous distincts. Et c’est vrai. Nous le sommes. Cette tentative de généralisation, qui se veut ironiquement une tentative d’explication de qui nous sommes et de comment nous pensons, m’amène inéluctablement à la même réponse : je ne peux définir un ensemble composé de « touts » si uniques. Appelez cela le triomphe de l’individualisme, cela importe peu. L’individualisme passe par la liberté de choix et l’autonomie morale. Mais à cette liberté et à cette autonomie s’ajoute cette distinction nécessaire entre semblables. Nous sommes libres de nos choix, autonomes dans notre moralité, mais même si nous faisions tous les mêmes choix et avions la même moralité, nous serions tous intrinsèquement différents. Notre génétique et notre vécu font de nous des particules différentes composant un tout.

Ainsi, détrompez-vous, nous ne sommes pas un tout mouvant et qui ne peut être saisi, déresponsabilisé, sans cause commune célèbre et sans porteétendard souillé. Plutôt, notre individualité conditionne nos interactions. Une chose est donc claire pour nous : chacun peut contribuer. Cette possibilité est la base même de notre compréhension du monde, de nos interactions. Second postulat de ma génération : une fois déterminé, l’individu ressent le besoin de contribuer à sa société. C’est cette contribution qui nous fait vibrer, qui nous motive, qui conditionne nos choix. Nous avons non seulement le désir, mais le besoin de recréer notre monde, qu’il soit ici ou ailleurs. Les époques ont toutes connu leurs héros. L’archétype de notre génération n’a pas de nom, mais il est accessible : c’est celui ou celle qui voyage à travers le monde, entre en contact avec d’autres réalités et contribue à résoudre les enjeux planétaires. Nous le savons : de tous temps, les générations ont rêvé. Mais nous, nous voulons réaliser nos rêves. Nous sommes exigeants : nous voulons atteindre nos idéaux, nous dépasser. Tout de suite. Sans attendre Liberté 55. Non pas par impatience, mais par pure quête de sens. Par le fait de contribuer, chaque individu se rapproche de son monde idéalisé. Voilà pourquoi notre contribution est partie intégrante de notre raison d’être. (troisième postulat). Nous cherchons des projets qui nous interpellent et où l’on réclame notre participation. Ces trois postulats nous amènent à refuser tout groupe trop définissant, à fuir toute plate-forme trop polarisante. Voilà pourquoi la structure sociopolitique actuelle ne nous convient pas. On se choisit des opinions taillées sur mesure, sans égard aux programmes établis. On refuse le « nous » organique où l’organe impose une définition à ses membres. Pourquoi ? Parce que notre façon de nous définir s’inscrit également dans un contexte particulier où les problèmes qui nous guettent devront être solutionnés collectivement. Nul besoin des grandes déchirures sociales d’antan pour améliorer notre sort. Notre contribution implique un lien fort avec autrui, peu importe l’âge, l’origine ou le bagage culturel, qui permettra ultimement d’aboutir aux solutions recherchées. Nous nous activons à mettre sur pied les véhicules qui permettront la réalisation de ces solutions. C’est pourquoi, chacun détermine sa voie. Nous voulons, individuellement et collectivement, notre voie. L’individu en appelle au collectif. Nous assistons à un changement de paradigmes. Alors qu’autrefois c’était par la formation du « nous » qu’au Québec on s’identifiait, c’est par la création du « moi » que l’on se valorise désormais. Mais, ne vous y trompez pas, notre désir intense de contribuer est essentiel à notre quête. Ainsi, il y a du nous en moi. Qu’on se le dise : notre génération ne nie pas le « nous » québécois, elle le définit autrement. Mélanie Joly

Nécessairement, cette autodétermination est l’essence même de la liberté. Une personne qui se définit activement est en harmonie avec ses choix. Elle peut donc donner aux autres sans se nier elle-même. C’est en soi une formidable manière d’assurer la paix sociale. Or, notre génération épouse également des valeurs collectives. Elle veut transporter cette individualité dans la communauté.

«Qu’on se le dise :notre génération ne nie pas le «nous »québécois, elle le définit autrement. » 05


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 6

« Notre propre croissance qui est lente

a un coût et on peut légitimement déplorer que trop de choses soient chez nous inutilement compliquées. » Rares sont les Montréalais qui, après une première visite en Asie, ne reviennent pas impressionnés par la croissance spectaculaire des grandes villes de la région : Pékin, Shanghai, Bangkok, Kuala Lumpur, Séoul, Jakarta, Singapour, Saigon, et j’en passe, toutes des villes que je connais assez bien. Le contraste entre les forêts de grue que l’on observe et leur absence quasi-totale à Montréal crée une pénible impression de stagnation chez nous et suscite des comparaisons qui ne sont pas flatteuses ou rassurantes. Ces interrogations sont légitimes et utiles, car elles nous amènent à scruter notre situation d’un œil critique au lieu de la croire inévitable ou la seule possible. Il faut cependant placer tout cela dans le contexte approprié.

L’extraordinaire croissance des grandes villes d’Asie présente en effet deux caractéristiques importantes qu’il ne faut pas perdre de vue. Primo, elle découle essentiellement du développement économique accéléré de ces régions, qui alimente à son tour la croissance (pour ne pas dire le gigantisme) de leurs métropoles respectives. Ce phénomène repose pour une part importante sur le défoulement rapide et soutenu de l’énorme demande contenue (pent-up demand) de leurs populations, qui vivaient jusqu’à récemment dans une pauvreté aussi dure que générale. Cette pauvreté n’a pas disparu, loin de là. Nous assistons toutefois depuis quelques années à une explosion des classes moyennes, qui exhibent toutes une insatiable soif de biens de consommation de toutes sortes, dont elles étaient complètement privées jusqu’alors et qu’elles peuvent maintenant –enfin !– se procurer. Elles le font avec un enthousiasme que nous ne connaissons plus, car nous avons dépassé ce stade depuis plusieurs générations. Cette croissance des classes moyennes d’Asie n’est pas sur le point de s’essouffler. Le développement économique s’accompagne en outre, en Asie comme ailleurs, d’une urbanisation rapide et grandissante, qui vient nourrir encore davantage la croissance des grandes villes.

Deuxio, il faut remarquer que ces métropoles sont dans l’ensemble de fort piètre qualité. La rapidité de leur développement et le fait qu’elles se trouvent dans des pays qui sont pour la plupart pauvres et donc dotés de ressources financières faibles (et doivent combler des besoins élémentaires pressants), font en sorte que les infrastructures n’ont en général pas suivi.

Ainsi, Singapour est l’une des très rares grandes villes d’Asie, hors Japon, dont l’eau du robinet est vraiment potable. Les égouts à ciel ouvert foisonnent, les déchets s’accumulent dans les rues et on en dispose de façon erratique. La pollution atteint des niveaux intolérables et compromet la santé des résidants. Les hôpitaux et les écoles sont dans un état lamentable. La qualité de l’habitation, et la qualité de vie en général, sont nulles pour l’immense majorité des résidants de ces métropoles. L’ampleur des problèmes et la rapidité soutenue de l’urbanisation font en sorte qu’il demeure difficile de prévoir des améliorations significatives, sur ces divers plans, dans un proche avenir : la situation de ces métropoles risque donc de se détériorer davantage avant de s’améliorer. En comparaison, notre propre croissance qui est lente (mais a déjà été très rapide), a un coût et on peut légitimement déplorer que trop de choses soient chez nous inutilement compliquées ou sujettes à une réglementation envahissante. Elle n’a cependant pas que des conséquences négatives: elle nous permet un cadre et un mode de vie qui, sans être parfaits, n’en feraient pas moins l’envie de ceux et celles qui essaient vaille que vaille de survivre dans les métropoles tentaculaires d’Asie. La qualité de ce cadre de vie n’est cependant pas un droit acquis : il nous faut veiller sans relâche à son maintien, qui dépend à son tour de la vigueur de notre économie. André Saumier

06

Crédit photo // www.anothersidewalk.tv


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 7

L’immobilisme économique québécois devant les grands projets : suis-je mégalomane? J’ai séjourné quelques jours en Asie en novembre dernier, entre autres à Macau. À mon retour au Québec, je me suis demandé si j’étais mégalomane. Dans le taxi, j’affichais une mine sombre en songeant à l'effervescence qui anime Macau et au développement extraordinairement rapide de son industrie du jeu et des casinos. En effet, le contraste entre les acteurs en présence est frappant : d’un côté Macau, avec ses grues et soirées d'ouverture d'hôtels innombrables, ses salles de spectacles et ses nouveaux casinos où fourmillent des milliers de touristes en provenance de Chine continentale, affiche un dynamisme à faire pâlir d'envie Las Vegas, et de l’autre, Montréal, aux prises avec ses sempiternelles querelles de clocher

majeures. Pensons, par exemple, à l’aménagement du complexe hydroélectrique de la Baie James, à Expo 67 et, plus récemment, à la Grande Bibliothèque, au Quartier international de Montréal, au projet de complexe récréotouristique dans Charlevoix et au futur Quartier des spectacles du centre-ville de Montréal. Je ne peux que joindre les rangs de ceux qui dénoncent une certaine inertie qui a cours au Québec (dixit Gilbert Rozon 2). La recherche du consensus semble limiter notre potentiel de développement. Nous ne voulons pas accréditer l'idée que les regroupements sociaux, qui sont à la fois des acteurs, des témoins et des gardiens privilégiés de la réalité sociale et environnementale dont notre société démocratique a ardemment besoin –réalité qui pourrait, à l'occasion, échapper aux décideurs économiques– sont des « empêcheurs de tourner en rond ». Cependant, nous devons mieux encadrer l'intervention des divers groupes d'intérêt: nous sommes favorables à la démocratie représentative mais pas à n'importe quel prix. Il faut, comme le suggère le document publié par la Fédération des chambres de commerce du Québec 3, revoir certains des mécanismes décisionnels relatifs aux grands projets économiques communs. Par contre, nous n’appuyons pas la suggestion faite dans le mémoire de créer une nouvelle instance décisionnelle comme une agence d'analyse économique. Nous devrions plutôt miser sur les compétences existantes et mettre sur pied un comité de « sages de l’économie » chapeauté par les têtes pensantes du MDEIE 4 dans le cadre des analyses qu’il effectuera. En pratique, Montréal est le moteur économique du Québec. En somme, en sorte que Montréal soit perçue comme une ville de niveau international doit redevenir notre priorité. Depuis l'Antiquité, une métropole forte a toujours été l'apanage des sociétés qui possèdent les moyens de leurs ambitions économiques et sociales. « quand Montréal va, tout va ». Aussi, faire

sur la mise en oeuvre de grands projets porteurs de richesse économique. Ces tergiversations ont entraîné l'abandon du projet de relocalisation du Casino de Montréal au bassin Peel et, par ricochet, la mise au rancart du projet de salle de spectacle permanente du Cirque du Soleil qui aurait constitué un attrait touristique majeur pour le Québec.

Montréal qui a été désignée « Ville UNESCO de design » cache bien les cartons qui devraient contenir les plans des nouveaux ensembles immobiliers d'envergure destinés à faire honneur à cette distinction. De plus, Montréal, avec les quatre universités qu’elle abrite, devrait devenir une plaque tournante de l'industrie biomédicale.

Lorsque l'on songe au fait que 50% des visiteurs au Canada se rendent dans les casinos 1 et que près de 100 millions de Chinois qui ont un pouvoir de dépenser grandissant vont, au cours des quinze prochaines années, voyager partout dans le monde, on ne peut que déplorer la perte économique que représente le retrait de ce projet par Loto-Québec et le Cirque du Soleil. L’immobilisme est probablement à l’origine de cette situation et nous avons perdu une occasion inespérée de commencer la revitalisation des berges du Saint-Laurent imaginée par la Société du Havre. Malheureusement, les exemples d’abandon ou de report de dossiers ont été nombreux récemment: échec des projets du Suroît, du port méthanier de Rabaska, du nouvel emplacement du CHUM à Montréal, etc.

Il faut évidemment agir de manière raisonnée et précautionneuse en gardant à l’esprit le principe de l'écrivain financier Nicholas Taleb selon lequel tout projet comporte une part de risque et sa métaphore du « cygne noir », soit un évènement extraordinaire et imprévisible qui peut changer le cours d’un projet (par exemple : le dépassement des coûts du prolongement du métro à Laval). Mais, plus que cela, il faudrait parler du coût de renonciation associé à la non-réalisation de ces grands projets. Jeunes et moins jeunes doivent maintenant s’engager sur le chemin sans retour de la prospérité, qui nous permettra d'investir dans des domaines qui nous tiennent à coeur comme l'éducation et la santé. Tous ensemble pour un Québec à l'avant-garde !

Selon nous, rêver d'une société québécoise avant-gardiste à différents niveaux, où la richesse économique ferait progresser toutes les formes de savoir et qui constituerait le véritable foyer d’une social-démocratie dont tous les leviers économiques seraient maîtrisés, ne relève pas de la folie des grandeurs. Dans le passé, nous avons su nous distinguer et réaliser de grands projets aux retombées économiques

Jean-David Tremblay-Frenette

07

1 // Euromonitor, Travel and Tourism in Canada, avril 2005, 120p., pages 87,88,89 et 93. 2 // « Dans l'antichambre de l'amertume », Fabien Deglise, Journal le Devoir, 11 juillet 2007. 3 // « Échec aux projets créateurs de richesse au Québec »,Yves Rabeau, FCCQ, septembre 2006. 4 // Ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 8

« Qui sommes-nous, que voulons-nous être et devenir ? » Le texte de Noémie frappe simplement dans le mille. Toutefois, l'évidence est notre pire ennemi. Le mot culture est fort mal compris dans les échanges publics et dans la politique. Nous vivons bel et bien dans un monde économique et notre raison collective est officiellement instrumentale. Or, la culture, elle, est fondamentale. Il y a bel et bien une collision frontale entre le simplisme économique quantitatif et la nature humaine qualitative. Cela définit notre temps et cette dure époque. Qui sommes-nous, que voulons-nous être et devenir ? Voilà la question. L'humain est culturel mais nous ne respectons en rien sa nature. Si nous le faisions, nous serions des humanistes. Être humain et toujours plus humain, ce n'est pas trop demander. Oui, Noémie frappe dans le mille: l'appétit culturel fondamental de l'humain n'est pas satisfait par ce qui est devenu une brutale « industrie ». Nous sommes des atomes isolés en mal d'humanité, c'est-à-dire en mal de liens, en mal d'identité collective. Je suis un anthropologue qui prend de l'âge. Toute ma vie, je fus le témoin impuissant de la pauvreté moderne de nos discours sur la dimension culturelle de l'humain, toutes régions du monde confondues, où, semble-t-il, tout n'est que produit, que rentabilité, que performances chiffrables. Tout poète est un raté qui n'a pas fait fortune, le fond des choses n'intéresse guère.

Le monde de la production s'est éloigné du monde de la création. Produits culturels, lois et règlements, le corridor se rétrécit de jour en jour. Serge Bouchard

08

Crédit photo // www.anothersidewalk.tv


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 9

Vers une « indifférenciation » de la culture ? Une conception de la culture ancrée dans une perspective... « humaniste ». Voilà ce que nous proposons. Rien de moins. Or, si l’on se fie à la manière dont la culture est abordée dans l’espace public depuis quelques années, force est de constater qu’il lui est attribué une connotation essentiellement marchande et ce, au détriment d’une conception élargie, s’inscrivant au-delà de la sphère artistique et de la dimension identitaire. Si les premières politiques publiques dans le secteur culturel avaient pour objectif de promouvoir un sentiment d’appartenance et une identité culturelle distincte, une autre logique semble maintenant guider l’intervention de l’État, qui attribue souvent ses ressources en fonction de critères essentiellement marchands. En d’autres mots, pour paraphraser Florian Sauvageau, professeur à l’Université Laval : « Nos politiques culturelles, plus souvent qu’autrement, sont devenues des politiques industrielles dans le secteur de la culture ». Cette confusion n’est pas sans soulever de sérieuses interrogations dans un contexte où la sphère artistique est de plus en plus abordée sous le prisme du divertissement. Ce faisant, elle se trouve affublée d’une étrange identité, soit celle d’une curieuse mosaïque regroupant en son sein les Beaux Arts au sens classique (les arts et les lettres), mais également les secteurs du spectacle, du cinéma, de la radiodiffusion, de la musique, du multimédia, bref, des différentes activités réunies sous la très vaste (et élastique) bannière des « industries culturelles ». Ainsi, de quelle culture est-il maintenant question lorsque l’on parle d’ « industries culturelles » porteuses « d’identité nationale » ? Il nous apparaît donc urgent de repenser les bases sur lesquelles repose l’idée de « développement culturel ». Au lieu de concevoir celui-ci dans le sens de la promotion de la culture nationale et du développement des industries de la culture, il faut le voir comme « le processus par lequel l’être humain, de même que les collectivités, acquièrent les ressources nécessaires pour participer à la vie publique de leur communauté »1. En d’autres mots, l’idée est de fournir aux citoyens les outils pour qu’ils puissent développer leur esprit critique et leur droit de parole, pour ensuite participer activement au débat public. Cette conception sociopolitique du développement culturel comporte l’idée d’aborder la culture selon une perspective humaniste, qui met de l’avant le développement de l’individu. Elle comporte une dimension réflexive, car elle fait appel à notre capacité de prendre nos distances et de réfléchir sur notre situation dans le monde; elle renvoie ainsi à ce lien réfléchi qu’est le politique. Selon cette perspective, l’éducation et les médias occupent une place de premier plan, car ils sont tous deux liés à l’épanouissement de l’idéal démocratique moderne. Or, depuis quelques années, nous observons une certaine tendance à instrumentaliser l’éducation, c’est-à-dire à la mettre au service du développement économique et du marché du travail. Les programmes d’enseignement, du moins en Amérique du Nord, semblent de plus en plus façonnés en fonction d’intérêts externes, valorisant ainsi une formation « technique » par opposition à l’acquisition de connaissances générales (histoire, lettres, philosophie et autres). L’éducation devrait constituer une fin en soi, indépendamment de l’objet d’études, l’idée n’étant pas d’apprendre en vue d’accumuler passivement un maximum de connaissances, mais plutôt de

cultiver, tout au long de son existence, cette curiosité intellectuelle et artistique permettant à chaque citoyen de se sentir interpellé par les enjeux de sa communauté. Or, l’hégémonie de l’économisme, qui envahit maintenant toutes les sphères de la société, semble saper les bases même de ce projet collectif. Quant aux médias, étroitement liés à la notion d’espace public, ils tendent de plus en plus à faire circuler l’information et les « produits culturels », au lieu de faire émerger les idées et de favoriser la réflexion. Le culte de la nouveauté et l’établissement du star system, créés de toutes pièces par l’industrie culturelle, en étroite collaboration avec les médias de masse, illustrent concrètement les dérives médiatiques actuellement en place dans notre société.

Un faux débat

Enfin, il nous apparaît essentiel de clarifier cette fausse opposition entre la culture au sens humaniste, parfois associée à l’élitisme, et le divertissement, perçu comme davantage démocratique parce que « plus près du peuple ». Cette logique, pourtant de plus en plus répandue dans l’espace public, pose selon nous de sérieuses difficultés. D’une part, elle vide l’idéal démocratique de toute dimension critique : au nom du relativisme culturel, toutes les manifestations symboliques doivent se valoir, peu importe leur contenu réel (artistique, intellectuel et autre). Les œuvres réputées plus « difficiles » parce que moins accessibles se retrouvent donc marginalisées dans l’espace public, tandis que les produits plus populaires occupent le premier rang en raison de la logique marchande. À l’inverse, toute manifestation jouissant d’une très grande popularité serait ipso facto qualifiée de « démocratique ». Ce faux débat entre culture humaniste et divertissement soulève un enjeu d’une importance fondamentale : il contribue à vider la démocratie de son sens politique. Une telle association témoigne, selon nous, d’une profonde crise de sens, soit la préséance des critères marchands sur notre propre rapport au monde. Ainsi, si nous reconnaissons l’importance des entreprises culturelles pour la vitalité et le dynamisme de notre paysage culturel, c’est plutôt leur prédominance dans la stratégie d’intervention du gouvernement qui nous préoccupe. C’est parce que nous croyons qu’une sérieuse réflexion s’impose que nous proposons de revoir dès maintenant les bases sur lesquelles repose notre conception de la culture et, par conséquent, celle du développement culturel. C’est aussi parce que nous refusons d’adhérer à la logique simpliste qui prévaut à l’heure actuelle, à savoir que la culture est essentiellement un moteur économique, un catalyseur, bref, quelque chose qui « s’exporte », au même titre que l’hydroélectricité. D’où la nécessité de s’interroger sur cette transformation fondamentale que notre perception de la culture est en train de subir et sur la signification politique d’un tel changement de paradigme. Faute de quoi, nous risquons de sombrer vers une véritable « indifférenciation » de la culture. Un scénario des plus... alarmants. Noémie Dansereau-Lavoie

09

1 // Marc Raboy et al, Développement culturel et mondialisation de l’économie. Un enjeu démocratique, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 1994, p.48


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 10

LA HACHE, L’ÉCHELLE, L’HORLOGE ET LE PLAFOND J’écris avec une hache, comme disait le Frère Untel. J’ajoute que j’écris avec une hache et un linceul. Il n’y a pas lieu de nuancer quand on dénonce; il convient également de respecter les victimes du mal que l’on accuse. Ça fait mal de s’attaquer à l’establishment, on tombe parfois au combat. Ici, on tombe de haut et on se fracasse les membres sur des morceaux de verre tranchants. C’est l’histoire d’une échelle, d’une horloge et d’un plafond, qui met en vedette une génération complète de jeunes femmes hautement scolarisées. Prologue : près de 60 % des jeunes diplômés des universités québécoises sont des femmes. Action : elles accèdent au marché du travail. Elles travaillent assidûment, tentent de faire respecter leurs compétences, montent les échelons de l’organisation. Tic, tac. L’horloge progresse. Dring ! La trentaine, la bedaine et les enfants. Elles continuent leur boulot et travaillent toujours aussi résolument. Épilogue : leurs collègues masculins accèdent aux hautes sphères de leurs organisations. Quant à elles, ayant atteint le plafond de verre, elles chutent comme frappées par la malchance à Quelques arpents de piège. L’histoire n’a rien d’exceptionnel. Elle est bien connue. Souvent répétée. Toujours aussi frustrante. Voilà pourquoi il n’y a pas lieu de nuancer notre propos. Nos employeurs nous vantent les mérites de leurs organisations. Ils paient à gros sous des consultants de toutes sortes pour nous parler des valeurs de nos entreprises. Comme si le bureau avait un corps, un esprit et un cœur. Ils se disent ouverts aux femmes, aux jeunes, qu’ils soient bleus, blancs ou rouges. Ils disent respecter les choix de chacun. Le discours travail-famille et tout le tralala. Ils donnent à des œuvres de charité, investissent dans de belles brochures, nous présentent une ou deux élues qui ont sacrifié leur vie à l’autel de leur ouvrage pour nous vendre les bienfaits de l’emploi. On accepte l’offre. On est contente. Peu à peu, on détecte les codes. On découvre la vérité à force d’entendre le bruit des corps qui tombent, lourds de leur épuisante ascension. Toutes ces vérités cachées, tous ces non-dits, on s’en imprègne. Ils modulent notre façon de penser et d’agir. Si l’on est ambitieuse, on ne parle pas trop de maternité : on ne veut surtout pas être perçue comme étant la fille sur la voie de service. Quant aux congés de paternité ? Non mais sérieusement, vous blaguez ou quoi ? Les jeunes hommes, bien que souvent frustrés par cette situation, protestent en silence. Comme si le bon vieux modèle du père pourvoyeur et de la mère à la maison, on y croyait encore. Le problème c’est qu’être parent exige la participation des deux sexes. Alors on continue et on se la ferme (tout en sachant l’ascension hautement risquée), ou on décroche.

Dans plusieurs secteurs, le monde professionnel a profondément évolué au cours de la dernière décennie. La révolution des moyens de communication a été telle que l’on s’attend maintenant à une réponse dans l’heure qui suit, ou encore une explication sur les raisons de ce délai. Les exigences sont énormes. Or, bien que nos lieux de travail aient été bouleversés par de nombreux changements et que l’on soit prêt à y contribuer, les normes d’évaluation sont encore basées sur d’anciennes conceptions de présence au bureau, de facturation à l’heure et d’affinités sociales avec les patrons. La bonne vieille méthode à la dure est encore très souvent mise de l’avant. À tous ces patrons, présidents, vice-présidents et directeurs, je vous dis, avec toute ma ferveur et ma férocité, la hache de guerre dans les airs, Walk the talk. Faites ce que vous dites, et non ce que vous faites. Cessez de penser que notre génération détraque les organisations : elle les change. Les règles sont faites pour être modifiées. C’est ce que nous faisons. Nous nous adaptons à vos demandes professionnelles, rétribuez-nous en conséquence et adaptez-vous à notre réalité. Il en va collectivement de notre survie économique et sociale. Voilà ce que nous revendiquons : notre perfectionnement professionnel ne doit pas s’accomplir au détriment des défis de notre vie personnelle. Il est grand temps que nos employeurs adoptent une nouvelle façon d’apprécier le travail accompli qui soit basée sur l’atteinte des objectifs, la satisfaction de la clientèle, l’efficacité, la flexibilité de la charge de travail et une nouvelle répartition des tâches. Il faut compenser les heures facturables et le temps passé avec son conjoint, entre les dîners avec les clients et les devoirs des enfants. La hiérarchie des milieux de travail doit également être modifiée : on pourrait aisément ralentir son rythme de travail pendant une certaine période pour ensuite reprendre la cadence et se voir rétribuer de la même manière. Enfin, le climat psychologique du lieu de travail doit être sain et basé sur la collaboration. La hiérarchie n’est pas une fin en soi, mais tout simplement un moyen de transmettre les connaissances. Bref, ces demandes ont des buts bien avoués : éviter les ruptures conjugales, gonfler le taux de natalité, valoriser la participation des deux parents à l’éducation de leurs enfants et vivre sainement ses quatre-vingt années potentielles sur terre. CE N’EST PAS QU’ON N’AIME PAS CE QUE VOUS DITES, AU CONTRAIRE. ON AIME ET ON Y CROIT. DÉSORMAIS, ON VOUS LE FERA RESPECTER.

La désillusion est cruelle, car elle est fondée sur des années d’études et d’efforts. Tout au long de notre éducation, nos pères et nos mères nous ont incitées à étudier. La scolarisation était garante du succès. Plus on l’est, mieux c’est. Alors on étudie. Longtemps. On répond au profil recherché par l’employeur. On arrive soi-disant outillée sur le marché du travail. Pures facéties.

GEDI

10


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 11

A L’ATTAQUE DE L’EMPIRE DU PÈRE POURVOYEUR

QUAND LES BOTTINES SUIVENT LES BABINES

La question de l’équilibre vie-travail est souvent présentée comme une question au féminin, mais il n’en est rien. Bien que la discrimination systémique fondée sur les responsabilités familiales, c'est-à-dire une discrimination neutre en apparence qui se traduit en l’impossibilité de progresser et d’être reconnu en raison d’un apport en temps moindre que ceux entièrement consacrés au travail et sans responsabilités familiales, touche le plus souvent les femmes, il demeure que les hommes sont également victimes du manque d’avenues au sein de plusieurs entreprises pour marier adéquatement le travail avec les autres aspects de leur vie. Cette discrimination se présente sous le couvert des chances égales : à talent égal, toute personne qui consacre l’entièreté de son temps à son employeur obtiendra de l’avancement, qu’elle soit homme ou femme. Or, dans les faits, le caractère discriminatoire de cette approche est indéniable, lorsqu’on constate l’absence de femmes dans les sphères décisionnelles. Et celles qui y sont présentes ne sont pas toujours un message d’espoir pour la nouvelle génération de femmes puisque plusieurs d’entre elles y sont parvenues en sacrifiant leur projet familial. Il s’agit donc d’un modèle qui encourage toujours le père pourvoyeur et la mère à la maison. Nous sommes donc toujours à la case départ. Dans le modèle traditionnel de la carrière, le père pourvoyeur travaille très fort dans un poste sous pression et prestigieux. Il est entièrement consacré à cette carrière et se fie à son épouse pour s’occuper des responsabilités familiales. Ce rôle s’explique entre autres par le fait que la rentabilité des entreprises est souvent servie par un engagement total envers celles-ci. Les clients ont des besoins 24 heures sur 24. Le nombre élevé d’heures de travail contribue à la rentabilité, rendant impossible de concilier le travail et la famille. Du point de vue de l’entreprise, ce n’est donc pas nécessairement rentable de faciliter cette conciliation : baisse de productivité par individu, davantage de gestion des ressources humaines, de coordination et de modèles d’horaires flexibles, etc. Le modèle encourage ainsi la poursuite d’un seul intérêt, l’avancement de l’individu et de l’entreprise. Dans un tel contexte, le rôle du père pourvoyeur au sein de sa famille, vu le peu de temps dont il dispose, consiste à fournir ce dont la famille a besoin. Ce rôle, lorsqu’on s’y attarde, est tout aussi problématique que celui de la femme qui ne peut travailler et s’accomplir en raison de l’entièreté des responsabilités familiales. En effet, plusieurs hommes pourvoyeurs font aujourd’hui le bilan et ont l’impression d’avoir raté une partie de leur vie. Ils n’ont pas connu leurs enfants, et leurs liens avec eux se limitent dans plusieurs cas à pourvoir, ce qui n’est ni humain ni valorisant. Il faut donc arrêter de ne parler que des femmes, les hommes n’y gagnent pas beaucoup. Dans plusieurs cas ce sont les enfants qui ont payé le prix en termes d’attention et de développement. Les enfants en question, nous le savons, ce sont nous. Et je ne parle pas de la collection de divorces de plusieurs de ces pères pourvoyeurs. La participation en société via le travail est une composante essentielle de notre cohésion sociale et de notre productivité, et constitue un droit fondamental des femmes. Le décrochage de carrière, un chemin que plusieurs femmes de qualité empruntent lorsqu’elles réalisent l’étendue de cette discrimination et le fait qu’elles doivent accepter des responsabilités en deçà de leurs connaissances, de leur expérience et de leur potentiel lorsqu’elles deviennent enceintes ou tentent de conjuguer famille et carrière, doit prendre fin. Il peut sembler bizarre de discuter de ces questions à nouveau en 2008, mais le problème est bel et bien réel dans plusieurs milieux professionnels. Il est dans notre intérêt collectif de faire réaliser aux femmes leur plein potentiel, et la réussite de ce défi passe par les hommes, tant dans le milieu familial que professionnel.

Ne vous fiez pas à la sonorité folklorique de ce titre puisque le sujet abordé est très contemporain. Vous avez eu l’occasion de lire les deux textes sur l’équilibre vie-travail, un sujet d’actualité pour tous ceux sur le marché de l’emploi. Chaque édition de Génération d’idées va contenir une chronique qui viendra ébranler nos dirigeants, politiciens et nos façons de faire. À l’encontre des autres articles, nous n’aurons pas de mentors pour cette section, car l’objectif est de dénoncer haut et fort une réalité qui touche profondément notre génération et pour laquelle les solutions doivent émerger de notre génération. Avant de trouver des solutions aux problèmes d’équilibre vie-travail, il faut reconnaitre qu’il n’y a pas de contradiction entre équilibre et productivité. Au contraire, à long terme l’équilibre peut mener à une plus grande productivité (moins de dépression, plus de loyauté). Il est aussi important de préciser que l’équilibre n’est pas une question qui touche uniquement les salariés ayant des enfants. Les personnes sans conjoint ou sans enfant recherchent également une qualité de vie. Il faut donc penser à eux dans la mise sur pied de mesures spécifiques. Finalement, nous travaillons avec la prémisse que peu importe les méthodes mises en place, il faut encourager et mettre sur pied le cadre nécessaire pour en faciliter l’utilisation. Nous sommes également d’avis que peu importe le milieu de travail et le type de travailleur, cette question est au cœur des priorités de notre génération. PRENEZ NOTE : 1. Que vous soyez une PME, une association sans but lucratif, une grande entreprise ou un organisme gouvernemental, si vous n’avez pas de politique conciliation vie-travail, il serait bien de vous pencher sur cette question avant de subir les contrecoups d’une mauvaise gestion des expectatives. Formez un groupe de travail et soyez sincère dans votre démarche. 2. Lorsque vous élaborez une politique, vous devez avoir en tête la première personne qui pourra en bénéficier, lui en parler et assurer une bonne transition pour cette personne (4 jours/semaine, prendre soin d’un parent malade, congé parental, retour aux études, maladies graves etc.). 3. Si vous avez mis sur pied une politique visant à favoriser l’équilibre vietravail et que plus de 6 mois après la mise en place, personne n’a bénéficié de cette politique, vous avez échoué et vos employés seront convaincus soit que l’équilibre vie-travail n’est pas une priorité pour votre organisme, soit que la politique n’était pas nécessaire, ce dont nous doutons fort ! 4. Si vous croyez que l’équilibre vie-travail nuit à vos performances, n’en faites pas une fausse priorité. Vos employés vont saluer votre honnêteté et feront des choix en conséquence et vous attirerez des employés à votre image. Dans un autre ordre d’idées, vous, qui voulez faire bouger les choses, devez être conscients que les changements peuvent prendre du temps. Vous devez trouver des alliés et accepter que votre employeur récupère vos bonnes idées. N’en soyez pas offusqués, au contraire, c’est signe que l’évolution est en marche (restez tout de même impliqués !). Nous invitons également les dirigeants de tous les secteurs à ne pas tomber dans les clichés du type : « Dans mon temps... J’avais droit à trois mois de congé de maternité et mes enfants s’en portent bien... Ah ces jeunes, ils veulent tout cuit dans le bec ». Aucun pont solide ne pourra être bâti à partir de ces réflexions. AVEZ-VOUS DES SOLUTIONS, DES NOUVELLES IDÉES À LANCER RELATIVEMENT À CE SUJET ? METTEZ VOS BOTTINES DANS LA MÊME DIRECTION QUE VOS BABINES ET ÉCRIVEZ-NOUS – FAITES UNE DIFFÉRENCE DANS VOTRE MILIEU !

GEDI

GEDI

11


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 12

« J’ai toujours été surpris par la peur identitaire des Québécois. »

Pauline Ngirumpatse voit juste sur deux points fondamentaux ressortant de l’épisode des accommodements raisonnables que la société québécoise est en train de vivre. Premièrement, nous aurons échoué à prendre la réelle mesure du défi qui s’impose à nous si nous n’en arrivons au terme de ce processus qu’à des balises juridiques permettant à des administrateurs de déterminer dans quelles conditions ils pourront accepter le port du voile, du kirpan, ou de tout autre accoutrement porté pour des raisons qui continueront à leur sembler obscures par ces Autres qui les entourent. C’est véritablement à une nouvelle conception du lien social et du dialogue que nous sommes conviés. Et cet objectif, nous ne l’atteindrons que si nous réussissons à surmonter cette peur de l’autre qui nous pousse à le transformer en Autre. J’ai toujours été surpris par la peur identitaire des Québécois. Certes, nous sommes locuteurs d’une langue minoritaire en Amérique du Nord, qui se trouve également être la langue de la mondialisation. Mais nous contrôlons d’importants leviers étatiques. Et notre langue, toute minoritaire qu’elle soit, est parlée par 350 millions d’humains, et est officielle dans 31 pays. Ces deux faits distinguent notre situation de celle des Catalans, des Basques, des Gallois, et j’en passe. Ils devraient nous instiller une plus grande sérénité dans notre contact avec ceux qui décident de venir s’installer ici. Qu’il me soit permis de terminer par une note auto-biographique : mes enfants sont à deux générations du shtetl polonais, où la langue d’usage était le yiddish. Ils fréquentent aujourd’hui l’école franco-phone publique québécoise, ont des références culturelles bien d’ici, et parlent le français avec leurs amis d’origine chinoise, russe, bulgare, et canadienne-anglaise ! Cela s’est fait en deux générations, ce qui représente à peine un clin d’œil dans l´histoire d’un peuple. Cela témoigne de la force d’intégration de notre culture et de nos institutions publiques, et notamment nos écoles. Elle devrait nous permettre d’accueillir nos nouveaux concitoyens dans la sérénité et la joie plutôt que dans la peur. Daniel Weinstock

12


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 13

Les autres dessous des accommodements Le tourbillon Accommodements qui s’était emparé du Québec s’est calmé, mais il laisse sur son passage une sensation vertigineuse. Difficile, en effet, de ne pas être saisie par une certaine angoisse existentielle devant les passions soulevées par les « accommodements raisonnables », dans leur nouvelle acception générale du rapport à l’interculturel. Angoisse existentielle dis-je, parce qu’il m’est impossible de ne pas voir dans cette saga une répétition lancinante de l’histoire de l’humanité. Si la trajectoire historique du Québec (question linguistique, rapport à la religion) permet, certes, de comprendre le malaise suscité par les « accommodements », elle ne l’explique pas entièrement. Rabelais le disait : « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie ». La levée de boucliers des derniers mois relève aussi de l’instinct de territorialité qui est le propre de l’humain. Ce même instinct de territorialité qui, depuis la nuit des temps, pousse les Hommes à croiser le fer pour défendre un territoire où ils sont à l’abri de cette potentielle menace incarnée par l’Autre. Ne perdons pas cela de vue histoire de ne pas crier au feu pour rien. Parfois, quand brasier il y a, il s’agit aussi de notre condition humaine à assumer, à apprivoiser. Mais, on peut en convenir, la nature humaine n’est pas ici la seule en cause. Dans le cas des accommodements, d’autres facteurs sont venus activer cet instinct de territorialité. Le principal en cause : une narration homogène et monologique du monde. En effet, quand la seule connaissance que nous avons de l’Autre se résume tantôt aux images d’enfants rachitiques tantôt aux camps de réfugiés ou alors aux belles savanes exotiques de sa terre de provenance. Quand ces symboles ne sont vus que comme signes de soumission. Quand les sonorités de son nom ne riment plus qu’avec terrorisme. On peut difficilement concevoir qu’il puisse faire partie de Nous. Des représentations réductrices qui contribuent à figer le « Nous » et le « Eux » et tendent à inscrire l’Autre dans un écart, à le maintenir à distance. On ne s’identifie pas à quelqu’un qui n’a ni Histoire, ni Culture, ni donc Civilisation. Instinctivement, on s’en protège, on ne s’en rapproche pas. Et il est vrai que ce procès devrait se faire dans le sens inverse également. Le procès de cet Autre qui ne prend pas le temps de saisir la complexité de l’histoire de sa société d’accueil, les subtilités de sa culture, se contentant d’une perception simpliste de celle-ci. En ce sens, les réactions provoquées par la question des « accommodements raisonnables » sont donc aussi à l’image et à la mesure de ces macro-narrations véhiculées dans notre espace public, avec trop peu de nuance, d’hétérogénéité, d’épaisseur historique. Elles sont le fruit d’une division continentale et géopolitique du monde productrice de récits des mondes et de représentations de l’Autre stéréotypés.

Voici arrivé le temps de donner suite à cet exercice auquel nous venons de nous livrer collectivement avec la Commission Bouchard-Taylor. La réponse qui sera donnée aux « accommodements raisonnables » constituera aussi un tracé des contours du « vivre ensemble », de la trame du lien social. Il faudra donc porter une attention particulière au fonctionnement de notre espace public. Les conflits de valeurs étant inévitables dans une société pluraliste, nous avons besoin d’un espace public fort de ses propriétés de médiation, lieu d’expression et de négociation de systèmes de sens multiples et parfois contradictoires. Pour que le lien social qui nous unit soit fécond, il se doit d’être tissé de façon plurielle au sein d’un espace symbolique où les multiples voix, subjectivités et représentations qui composent notre société arc-en-ciel se fassent entendre et interagissent. Reste à espérer que la polémique suscitée par les accommodements ne sera pas uniquement interprétée comme une simple exigence de mise en place de balises claires. Elle est surtout un appel criant à un véritable travail de fond, en amont parce que le vivre ensemble est plus qu’une série de politiques, de règlements et de lois. Reste à savoir aussi si, en tant que société, nous saisirons la véritable mesure de cette problématique. Aurons-nous la volonté d’exiger de nos politiques (et de nous-mêmes d’ailleurs) de faire usage de cette mémoire exemplaire dictée par notre devise « Je me souviens » pour écrire l’histoire autrement ? Ou nous contenterons-nous tout simplement de reproduire les tics du passé ? Pauline Ngirumpatse

«Je me souviens »

13


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 14

«Il se pourrait

bien que le syndicalisme ne puisse être véritable force de changement qu’en étant d’abord force d’opposition. »

Le syndicalisme, expression de lutte contre des conditions de travail inhumaines et l’injustice la plus totale, est né en pleine révolution industrielle. Depuis cette époque, beaucoup de choses ont changé. Cela peut nous faire perdre de vue que les progrès intervenus sont le fruit des batailles menées. Et nous amener à oublier, qu’en ce domaine, rien n’est jamais acquis. Les travailleuses et les travailleurs des pays en développement, souvent des enfants, sont d’ailleurs aux prises avec des conditions de travail et de vie semblables à celles qui avaient cours dans les pays occidentaux à une certaine époque. Pendant ce temps, chez nous, la course au rendement et à la compétitivité justifie les délocalisations et les fermetures d’usine qui en laissent plus d’un et d’une sur le carreau. D’aucuns prétendent que les jeunes ont renoncé à l’action collective et aux grands combats; pas moi. Mais, ils évoluent dans un monde où le modèle même d’une croissance économique qui repose essentiellement sur la consommation et l’exploitation des ressources naturelles est à repenser totalement, puisqu’il mène la planète à sa perte. Dans ce monde, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ; les écarts s’accroissent et les injustices aussi. Dans ce contexte, il se pourrait bien que le syndicalisme ne puisse être véritablement force de changement qu’en étant d’abord force d’opposition. En mettant de l’avant la lutte contre l’injustice comme base de l’action syndicale à l’avenir, Philippe-André Tessier invite en fait à renouer avec le fondement même du syndicalisme. Lorraine Pagé

Les jeunes et le collectif

« Les unions qu’ossa donne « Quand l’injustice devient loi, la résistance est un devoir » pouvait-on lire sur une immense banderole déployée par des étudiants de l’UQAM dans le cadre de leur grève récente. Le gouvernement procédait au dégel des droits de scolarité, mais seules quelques facultés de l’UQAM avaient recours à la grève pour contester cette décision... Signe des temps, d’aucuns ont conclu que les jeunes d’aujourd’hui sont plus face à ce « vieux » rêve de gratuité scolaire inscrit dans le Rapport Parent. Plus « individualistes », voire « égoïstes » comme l’a laissé entendre un sondage Léger & Léger sur la perception des jeunes par les baby-boomers 1. Pourtant, en 2005, le plus gros mouvement de grève jamais vu avait lieu dans les institutions scolaires québécoises en réaction à une compression de 103 millions dans le programme de prêts et bourses qui visait paradoxalement une minorité de jeunes alors que le dégel les frappe tous... curieuse manifestation d’individualisme pour une génération « égoïste » ! « réalistes »

Revenons à cette banderole : l’injustice comme loi. Là réside la différence entre les deux scénarios que nous évoquons : la présence d’un profond sentiment d’injustice. Le même qui est à la source de presque toutes nos lois sociales et la matière de base de toute l’activité syndicale, qu’elle soit menée par des étudiants ou des travailleurs, depuis plus de cent ans ! Activité nécessaire en raison des graves problèmes affectant plus particulièrement les travailleurs tant en ce qui a trait aux conditions salariales qu’aux risques encourus par le simple fait d’être au travail... Le cas célèbre de la grève de l’amiante de 1949 où les demandes des travailleurs comprenaient « l’élimination de la poussière d’amiante de l’usine et une augmentation de 15 cents de l’heure » (!) est l’exemple parfait de cette dynamique.

Suite page suivante

14


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 15

Mais de nos jours, de quelles injustices parle-t-on ? Et comment créer de nouvelles solidarités que l’on soit étudiant, syndiqué, jeune ou vieux ? En effet, tout le rapport de dépendance du salarié, qui a été à la base de toutes les lois sociales, est en train d’être redéfini par le choc démographique et la plus grande scolarisation des salariés. On augmente même les niveaux d’immigration pour faire face à une pénurie de main-d’œuvre... défi radicalement différent de celui relevé par les grévistes de l’amiante ! De plus, on a introduit dans les lois sociales et du travail diverses normes impératives d’ordre public qui viennent diminuer l’assiette traditionnelle de la négociation syndicale, comme récemment, les dispositions sur les congés parentaux et sociaux ou les lois relatives à la santé et la sécurité au travail. Devant ce problème, un militant syndical a avancé que l’« un des pires ennemis du syndicalisme, c’est la déception et la démobilisation que les syndiqués vivent à l’interne. Le syndicalisme « de seconde génération », comme c’est le cas du secteur public, connaît des problèmes. Plusieurs syndiqués n’ont jamais eu à mener une lutte pour les conditions actuelles de travail. »2 On est également témoin de la plus grande place accordée aux droits individuels dans la sphère des relations de travail, par exemple, par le biais de l’obligation d’accommodement qui est au cœur de tant de débats à l’heure actuelle. Les gens acceptent moins l’un des corollaires du syndicalisme, à savoir la mise en échec de leurs avantages personnels pour le bien d’une collectivité. Les problèmes du syndicalisme de tout genre sont plus globaux et n’affectent pas que les « jeunes » étudiants ou les « vieux » syndiqués de la fonction publique... On assiste actuellement à une véritable mutation des valeurs collectives et ces nouvelles valeurs interpellent les syndicats et les mouvements sociaux organisés. Devant une impression d’absence d’injustices collectives, le « moi » a pris la place du « nous » dans l’ensemble de la société. Pourtant, on assiste encore à de véritables mobilisations comme celle des jeunes contre la compression de 103 millions dans les prêts et bourses. Bref, comment réconcilier l’action syndicale avec une société en pleine mutation régie par des mécanismes de protection sociale multiples et une génération qui n’a pas vécu les difficultés évoquées précédemment ?

À notre avis, il faut à nouveau trouver ce qui est injuste dans notre société pour créer de nouvelles solidarités. En effet, ces mêmes jeunes (plus instruits, moins nombreux et plus mobiles) qui ont manifesté pour les 103 millions seront des travailleurs, qui, contrairement à ce que l’on peut penser, seront moins bien couverts par les mécanismes de protection mis en place par leurs parents, en raison de leurs emplois atypiques (ex. syndrome du faux travailleur autonome), de la mondialisation de la concurrence (ex. transferts d’emplois d’ingénieurs en Inde) et plus pauvres tel que le rapporte Marie-Hélène Proulx dans le magazine Jobboom : « […] les jeunes travailleurs d’aujourd’hui forment la première génération à être plus pauvre que celle de leurs parents au même âge, et ce, depuis les 50 dernières années. Résultat : de nos jours, un diplômé universitaire de 25 ans gagne 1 000 $ de moins par mois, en dollars constants, qu’en 1985. Soit le coût mensuel moyen d’une hypothèque au Québec ! »3

La pénurie de main-d’œuvre qui devrait nous frapper est l’occasion pour le mouvement syndical et les mouvements sociaux de créer de nouvelles solidarités à partir de nouveaux enjeux. À bas les idées reçues sur le sujet ! D’un côté, il faudra repenser la notion d’ancienneté comme meilleur véhicule de protection des droits, surtout dans un contexte où les « clauses orphelins » ont mis à mal la solidarité syndicale en opposant les « jeunes » et les « vieux »... Ce qui a fait dire à certains que les syndicats visent surtout la protection de leurs membres et non une certaine justice sociale ! D’un autre côté, pour contrer cette vision, il faudra se rappeler que la liberté syndicale s’est affirmée contre le droit, par exemple dans le cas des travailleurs de l’amiante 4. Ainsi, le mouvement syndical devra se poser de nouveau en agent de changement plutôt qu’en agent de résistance aux transformations du marché du travail ou de maintien des acquis. Selon nous, cela forcera ce mouvement à se redéfinir, à repérer de nouvelles injustices dans le contexte actuel et à faire appel à de nouvelles solidarités entre jeunes et moins jeunes... Il devra cependant accepter que ces injustices ne sont pas celles du passé et certains dogmes devront tomber. Comme la lutte des 103 millions l’a démontré, malgré les similitudes, les luttes sociales n’auront plus le même visage... Philippe-André Tessier

1 // Source : Le Journal de Montréal - Les jeunes sont impolis, paresseux et égoïstes, jugent les baby-boomers, qui ne se gênent pas pour critiquer sévèrement la nouvelle génération, révèle un vaste sondage […] réalisé par Léger Marketing pour le compte du Journal de Montréal, de TVA, du 98,5 FM, de Canoë et du 24 Heures.Trois boomers sur quatre affirment aussi que les gens de la génération Y sont plus égoïstes qu'eux.

15

2 // Jacques Fournier dans http://www.dabordsolidaires.ca/article.php3?id_article=128 3 // Marie-Hélène Proulx, Magazine Jobboom,Vol. 7, no 9, octobre 2006 4 // Gagné 2006


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 16

« Il est risqué

de nos jours de miser sur un seul cerveau. »

Les experts de la gestion des entreprises modernes ne cessent de le répéter : il est risqué de nos jours de miser sur un seul cerveau. La complexité du monde globalisé exige des décisions enrichies d’équipes de gens ayant des formations, des expériences et même des cultures différentes. Me Stéphanie Raymond-Bougie, en quelques mots, non seulement en fait le constat mais élargit la portée de cette exigence nouvelle. Elle soumet, sans craindre une apparence de contradiction, que la reconnaissance de l’importance de la diversité est garante de la nécessaire concertation à la réussite de tout projet, qu’il soit économique, social ou politique. Autrement dit, l’auteure nous fait comprendre que toute prise de décision est faite de différentes étapes et que chacune d’elles a ses caractéristiques propres. La première étape, celle de la consultation et de la mise en commun des idées, s’enrichit, de toute évidence, de la diversité, en autant que celle-ci soit réelle, c’est-à-dire en autant qu’elle soit tant culturelle qu’ethnique et sans discrimination des sexes. Cette diversité comporte en elle-même une plus-value puisqu’elle permettra l’identification non seulement des besoins des gestionnaires, mais aussi des différentes clientèles de l’organisation. C’est à cette étape que la diversité démontre toute sa valeur et sa richesse. La deuxième étape, d’apparence contradictoire avec la première, est celle de la synthèse des opinions et des différents besoins exprimés puisque cette étape exige la concertation. En effet, comment progresser sans la poursuite d’un objectif commun. Si la première étape –celle de l’ouverture à la diversité– est bien réussie, la seconde le sera puisqu’elle conduira nécessairement à rallier les partenaires à partager l’objectif en tenant compte des besoins et des particularités de chacun. Finalement, la troisième étape, celle de la décision, sera nécessairement marquée du sceau de la cohésion et d’une unité de pensée incarnées en des actions efficaces et cohérentes. En fait, il en va du processus de décision comme de l’écriture d’un texte. À l’instar des êtres humains, les mots ne vivent pas seuls. Ils s’enrichissent au contact des uns et des autres. Seuls, ils disent peu ou rien. Réunis dans une phrase et dans un texte, ces mots divers et différents expriment finalement une idée claire. Le texte aura alors une identité ! Or, il en va de même des organisations. Profitant de la diversité des opinions et des cultures, l’organisation doit toutefois s’inspirer d’une mission claire, canalisant la richesse des opinions diverses en une volonté unique de réaliser un objectif commun. À l’exemple d’un texte, l’organisation, aussi, se doit d’avoir une identité.

Comme quoi la diversité peut faire bon mariage avec... l’identité ! Claude Béland

16


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 17

Quand la performance réside dans la différence Un terme très utilisé qui désigne tout et rien à la fois. Diversité culturelle, de religion, de langue, de génération, de sexe, de croyance, de provenance, d’intérêts. Diversité dans un quartier, dans une école, au sein d’une profession. En quoi la diversité peut-elle être si bénéfique ? Évidemment, la mondialisation trace le chemin de cette nécessaire diversité. Cet article se veut une brève réflexion sur la diversité comme moyen de mesurer la performance et veut susciter une prise de conscience du fait que la diversité ne se résume pas à la présence de femmes, d’hommes et de communautés culturelles. La diversité, selon moi, c’est (i) la capacité de réunir des gens ayant un bagage différent et (ii) d’en retirer une plus-value pour la réussite d’un projet. Vous devinerez que la deuxième partie de cette définition fait toute la différence lorsqu’on veut « réussir la diversité » ! Un conseil d’administration, un parti politique, un groupe de travail, et, en fait, toute concertation, requiert un élément de diversité en l’absence duquel parler de concertation relève de l’utopie. En effet, il est facile de s’entendre lorsque tout le monde autour d’une table a la même opinion. Je suggère que les idées véritablement novatrices naissent souvent du choc des idées et de la confrontation des opinions divergentes. Toutefois, on ne peut en rester là : il faut faire converger cette diversité vers un objectif commun où réside le facteur de plus-value qu’elle amène. Malheureusement, la diversité est souvent vue en opposition avec un groupe dominant. Évidemment, un équilibre entre hommes et femmes s’inscrit dans la confrontation des idées puisqu’il est généralement reconnu que la femme et l’homme n’abordent pas un problème de la même manière. Vous conviendrez toutefois qu’un homme et une femme dans la trentaine, de race blanche, francophones et tous deux montréalais, questionnés sur les accommodements raisonnables ou l’utilisation d’un produit donné ont plus de chance d’être sur la même longueur d’onde. De la même manière, il est fort possible que deux personnes ayant des antécédents fort similaires soient fondamentalement différentes. C’est pour pallier cette incertitude de l’esprit humain que la diversité vient apporter une dose de prévisibilité au moyen de la capacité de se concerter. Plus votre groupe est diversifié plus il sera une source de concertation qui permettra de répondre aux divers besoins de notre société. Il ne faut donc pas limiter notre approche de la diversité au sexe et la culture. En effet, circonscrire ainsi la diversité crée des situations plutôt contre-productives. Prenons l’exemple des conseils d’administration qui, bien souvent, semblent considérer la diversité uniquement sous l’angle des professions et tout récemment de la représentation féminine. Comme si s’attacher à la représentativité des femmes était déjà bien contraignant et qu’on ne pouvait s’attaquer qu’à un problème à la fois. Au contraire, je crois que la diversité attire la diversité et que nos conseils d’administration et nos institutions devraient déployer moins d’énergie à trouver LA femme qui pourrait siéger à leur conseil et plutôt sortir de leur réseau habituel, à savoir fréquenter les chambres de commerce des divers groupes ethniques, réapprendre à « réseauter » dans d’autres cercles que les clubs de golf et les clubs privés.

La diversité : Un empêcheur d’avancer ! La mondialisation et le multiculturalisme de notre société tracent le chemin de la diversité. Plusieurs produits et services sont destinés à une clientèle variée et doivent donc être adaptés ou adaptables. La diversité est un peu comme la technologie au début des années 90 : ceux qui voient les occasions qu’elle recèle sortiront grands gagnants alors que ceux qui se braquent devant cette nouveauté seront vite dépassés et ne pourront plus être compétitifs. Toutefois, contrairement à la technologie, appliquer la diversité demande plus qu’un programme de formation continue. La recette comprend une bonne dose d’intelligence émotionnelle car il va de soi qu’il est plus difficile d’arriver à un consensus, si nécessaire, lorsque plusieurs idéologies s’affrontent. Dans ces circonstances, plusieurs jouent la carte de l’efficacité pour renier les bienfaits de la diversité. À cet argument, je répondrais que l’efficacité perd de sa valeur s’il faut repenser notre produit ou notre service à la lumière des situations qui se présentent parce que certains besoins n’ont pas été pris en compte par un groupe très efficace mais trop homogène... Bien entendu, avant de parler DIVERSITÉ, il faut connaître ses objectifs, la mission et les valeurs qui nous gouvernent et les communiquer. S’il y a lieu, il faut discuter de ces bases et être certain que tous s’entendent. Créer une cohésion au sein de la diversité constitue le vrai défi. J’invite les dirigeants d’entreprises, les fonctionnaires, les politiciens et les professionnels à sortir de leur réseau et prendre le risque de la diversité. Oui, les décisions vont se prendre moins facilement au début et vous ne serez pas aussi à l’aise de partager vos pensées mais vous en sortirez grand gagnant tant sur le plan professionnel que personnel. La personne ou l’entreprise performante est celle qui obtient d’excellents résultats en fonction des moyens mis en œuvre; la diversité est par conséquent sans aucun doute un outil de base pour avoir de bons résultats. Stéphanie Raymond-Bougie

«La diversité est par conséquent sans aucun doute un outil de base pour avoir de bons résultats. » 17


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 18

Stéphanie Vig et Grégoire Webber sont à la recherche d’un vrai discours public ». Ils sont loin d’être les seuls. Leur réflexion, j’y suis d’autant plus sensible qu’elle est aussi la mienne et qu’elle m’a conduit à écrire deux ouvrages, « Le syndrome de Pinocchio » (Boréal, 1997) et « Les oiseaux de malheur » (VLB, 2000). J’ai dressé le même constat que Stéphanie et Grégoire. «

« La démocratie est terriblement exigeante. L’humain, avec toutes ses imperfections, n’est jamais à la hauteur. »

Comme eux, j’ai constaté que le problème avait des causes « complexes et multiples ». J’ai réalisé qu’il n’y avait pas qu’un coupable, mais que tous –élus, journalistes, citoyens– avaient une part de responsabilité dans la construction de cette culture du discours politique futile et mensonger. Curieusement, j’ai développé au fil de mes recherches un étrange optimisme. Il faut se garder d’une perception nostalgique du passé, qui nous ferait voir les politiciens d’antan comme de grands démocrates, au discours plus substantiel et noble que celui de nos élus d’aujourd’hui. Les médias modernes, malgré tous leurs travers, informent certainement beaucoup mieux les citoyens d’aujourd’hui que leurs ancêtres. Quant aux électeurs, ils sont plus instruits, mieux au fait de ce qui se passe dans leur monde et dans le monde. « L’idéal démocratique est en crise », écrivent Stéphanie et Grégoire. Sans doute. Il l’a toujours été. La démocratie est terriblement exigeante. L’humain, avec toutes ses imperfections, n’est jamais à la hauteur. La démocratie, comme le vrai discours public, constitue une quête incessante. Elle ne sera jamais achevée; elle se trouve dans cette quête même. Par conséquent, le réalisme s’impose, pas le pessimisme. L’important, c’est de poursuivre la quête d’un vrai discours public et, en particulier, de contribuer à son élaboration. Stéphanie Vig et Grégoire Webber sont visiblement déterminés à le faire. Ils sont d’authentiques démocrates. André Pratte

18


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 19

Pour un vrai discours public Nous sommes à la recherche d’un vrai discours public. Les échanges qui animent notre espace public sont trop souvent empreints d’une simplicité qui trahit la complexité des enjeux qui nous intéressent. Ils cherchent à présenter l’espace public dans un esprit conflictuel où l’orateur prétend qu’il est le seul à détenir la bonne vision et que ceux qui s’opposent à ses dires cachent ou trahissent la vérité. Le discours public est dépouillé de sa vraie vocation : chercher à déterminer quelle vision représente le mieux le bien commun, au lieu de prétendre qu’une seule d’entre elles puisse atteindre cet idéal. Le vrai discours public a été remplacé par un discours qui dénature, par sa simplicité, les vrais enjeux qui le caractérisent. En mettant l’accent sur le conflit d’opinions plutôt que sur la teneur même de ces opinions, ce discours divise, déroute et positionne le citoyen à titre de spectateur plutôt que de participant. Le citoyen ne se retrouve pas dans son espace public. Il parle du gouvernement » comme s’il s’agissait d’une tierce partie –et non de « son gouvernement ». Il parle « des politiques publiques » comme s’il commentait une activité étrangère –au lieu de parler de « nos politiques publiques ». Il se considère « citoyen » seulement en franchissant des frontières –et non en sa qualité de participant dans un discours public. Bref, l’absence d’un vrai discours public risque de compromettre les assises de la démocratie : identité entre le citoyen et son gouvernement, identité entre le citoyen et ses politiques publiques et le rôle du citoyen à titre de participant actif et engagé. L’idéal démocratique est en crise. «

Les causes de l’absence d’un vrai discours politique sont complexes et multiples. Notre époque est non seulement caractérisée par la vitesse à laquelle l’information circule, mais également par la quantité et la qualité de l’information qui bombardent continuellement le citoyen. Pris dans ce tourbillon, le citoyen doit constamment choisir entre l’information qu’il absorbe et celle qu’il délaisse. Pris dans le rythme effréné de son propre quotidien, il opte trop souvent pour l’information à laquelle il peut accéder avec un minimum d’efforts. Il ne cherche pas à être un citoyen informé, mais uniquement un consommateur satisfait. Or, les choix du citoyen se heurtent inévitablement à ceux des médias qui, par leur sélection et leur traitement de l’information, participent à l’érosion d’un vrai discours public. La couverture médiatique, en s’intéressant davantage aux nouvelles au contenu provocateur et en n’accordant qu’une attention superficielle aux débats de fond, n’offre que peu de place et d’opportunité pour qu’un vrai discours public puisse s’installer au sein de la société. Il devient ainsi ardu pour le citoyen moderne de prendre part aux débats de fond ou même, plus simplement, d’en être informé de manière constructive.

Comment donner au discours public sa noblesse et son rôle fondamental de générateur d’échanges d’idées ? Comment parvenir à délaisser les faux débats et les faux choix et instiller en nous la volonté de prendre part au débat public au lieu de le subir ? La mission est digne, mais la tâche est laborieuse. À prime abord, le citoyen doit sortir de sa complaisance et réaliser toute la potentialité de son rôle. Il a le devoir de se satisfaire davantage que de la trivialité avec laquelle le discours public est médiatisé. Cela exige non seulement plus d’efforts de sa part, mais également la volonté de se montrer davantage critique à l’égard de l’information qui lui est présentée. Ce changement doit cependant s’opérer dans des conditions qui le pousseront à vouloir assumer ce rôle. La situation actuelle ne présage pas un tel virage. Aussi longtemps que le discours public sera abaissé à un niveau qui insulte l’intelligence du citoyen, qu’il omettra de traiter des vrais enjeux, qu’il s’attardera aux questions de forme plutôt que de fond et qu’il sera, somme toute, dépourvu d’intérêt, le citoyen se contentera de grands titres et de nouvelles qui défilent à grande vitesse sur son écran. Les médias doivent enfin assumer leur devoir et éduquer le citoyen sur les enjeux publics en lui fournissant une variété d'outils qui lui permettront de participer de façon plus active au discours public. Par ailleurs, la disparition de figures politiques qui inspirent, qui rallient et qui soulèvent les bonnes passions continue d’alimenter l’indifférence du citoyen face au discours public. L’histoire a connu de ces grandes personnalités et, a fortiori, révélé que le citoyen peut sortir de sa léthargie. Nos leaders doivent arrêter d’épurer le discours public de sa substance et cesser de prétendre que leurs réponses sont évidentes et que celles de leurs opposants sont mal fondées. À ceux qui diront que le discours public ne peut changer, nous répondons : combien de fois dans l’histoire des idées a-t-on fait appel à cette rhétorique qu’un monde meilleur n’opère que dans le monde des idées ? Ultimement, combien de fois cette réponse a-t-elle été démentie ? Nous croyons, sans aucune réserve, qu’il y a place pour la quête d’un vrai discours public. Stéphanie Vig et Grégoire Webber

19


BROCHURE GEDI_FINALE-LOW.qxd

5/13/08

3:05 PM

Page 20

La santé « Il faudrait,

selon moi, faire disparaître la principale illusion partagée dans notre société, à savoir celle d’un système de santé en faillite. »

Les trompe-l’œil sont la « marque de commerce » d’Escher dans plusieurs de ses œuvres et cette image est intéressante dans le domaine de la santé. On y retrouve beaucoup d’illusions et un manque de compréhension de ce secteur d’activité. On a concentré la plupart de nos efforts sur la guérison et très peu, en comparaison, sur la prévention et les déterminants de la santé. Le Québec possède quand même l’un des systèmes de santé publique les plus développés au monde qui porte une attention constante à la prévention. Nous devons soigner notre population avec la technologie la plus moderne qui soit et, malheureusement, cette technologie s’avère de plus en plus onéreuse et gruge une grande portion de nos dépenses. La réforme du système de santé québécois en cours est basée sur une approche « populationnelle » mettant l’accent sur le développement de la santé publique dans tous ses programmes. Une autre preuve de l’attention que nous portons aux déterminants de la santé est l’investissement, de 400 millions de dollars sur une période de 10 ans, effectué par le gouvernement du Québec de concert avec la Fondation Chagnon pour réaliser un travail multiministériel sur les déterminants de la santé des jeunes de 0 à 17 ans, appuyé par des projets provenant du milieu communautaire. Il faudrait, selon moi, faire disparaître la principale illusion partagée dans notre société, à savoir celle d’un système de santé en faillite. Cette illusion, alimentée par les médias, qui soulignent continuellement les difficultés plutôt que les succès, donne une image très négative du système qui entraîne une perte de confiance de la population, un manque d’intérêt des jeunes pour les différentes professions du domaine de la santé, une inquiétude chez les personnes âgées ainsi qu’une grande morosité chez les travailleurs déjà actifs. En conclusion, nous aurions tous intérêt à laisser ces illusions à Escher. David Levine

20


COUVERTURE C1-C4-LOW.qxd

5/13/08

2:46 PM

Page 3

d’Escher

La facture gonfle rapidement. Le coupable : le vieillissement de la population. Or, de l’aveu même de l’actuel ministre de la Santé, M. Philippe Couillard, l’augmentation des coûts de son ministère n’est pas attribuable au vieillissement de la population, mais à la hausse du coût des médicaments et de l’équipement de pointe. Pourtant, l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé, l’AETMIS, ne reçoit que 3 millions de dollars. On dépense moins du dixième de un pour cent du budget pour évaluer de manière indépendante la pertinence de nos méthodes et de nos achats. Voilà un bel exemple d’escalier d’Escher qui ne mène nulle part.

Question de perspective

Il existe une prépondérance marquée de l’idée de vaincre la maladie (biologique) sur l’idée de l’atteinte, du maintien et de l’amélioration de la santé des personnes. Apparaissent aux antipodes idéologiques du rôle de l’État la primauté de la liberté individuelle, qui mène à la déréglementation et à la privatisation des soins, et la prépondérance du bien commun. Le gouvernement américain a fait le choix de la privatisation et investit tout de même 500 $ de plus que le Canada par personne. Où est l’économie pour le citoyen ?

Les comportements des sujets ou des groupes ne sont pas déterminés par les caractéristiques objectives de la situation, mais par les représentations de cette situation. (Jodelet, Moscovici, 1989)

Le dernier rapport Castonguay propose de voir le patient comme une source de revenu. Un revenu pour qui? Sûrement pas pour le contribuable. On parle d’un « marché des soins de santé ». Il y a pourtant une différence fondamentale entre le marché des biens et des services et la santé. Un malade ne fait pas face à un choix, il fait face à une nécessité.

Escher est le génie de la perspective. On observe ses escaliers qui montent et descendent, croyant y reconnaître une image tout à fait plausible. Puis, y regardant de plus près, on y découvre des paysages existant seulement par la magie de l’illusion d’optique.

Et pour diminuer les coûts ? Renforcer les lois sur la publicité des établissements pharmaceutiques destinée aux consommateurs et aux médecins, donner du mordant à une politique d’évaluation des médicaments et des nouvelles technologies, et implanter une politique de l’usage du médicament générique. Puis, surtout, s’intéresser davantage à créer la santé plutôt qu’à soigner la maladie.

Nos interrogations incessantes et la multiplication des rapports d’experts font croire que nous aurions avantage à considérer la santé avec circonspection, comme nous le faisons naturellement en face d'un dessin du fameux lithographe.

Philippe Santerre

Le concept de santé est élastique et multiforme. Si on investit en santé, dans quoi investit-on ? Au Québec, l’argent est injecté dans les soins hospitaliers, les médicaments et l’équipement médical de pointe. Des soins strictement biomédicaux qui visent à régler ponctuellement la maladie déjà existante. S’agit-il véritablement d’un investissement dans la santé des populations ? Un mythe puissant de la santé publique veut que les services biomédicaux, dirigés par les ministères de la Santé, soient ceux qui contribuent le plus à l’amélioration de notre état de santé collectif. L’étude de Ross, Brownnwell et Ménec, publiée dans l’ouvrage Healthier Societies (2006) et financée par l’Institut canadien des recherches avancées, conclut que dix années d’investissement massif dans les systèmes de soins biomédicaux n’amélioreraient pas de manière notable la santé des populations. Nous avons atteint un plateau. En revanche, l’amélioration des déterminants sociaux de la santé, notamment l’éducation, l’alphabétisation, les conditions socioéconomiques, l’environnement et la réduction des iniquités relatives aux milieux de vie, aurait un effet considérable, à court terme, sur la santé des personnes. Est-ce à dire qu’investir dans la santé en consentant à une augmentation faramineuse des coûts des médicaments sans faire une évaluation précise de leur supériorité n’est pas la solution ? Que de se payer la dernière technologie en imagerie médicale tout en diminuant les programmes sociaux et en ignorant les facteurs de risque des produits de consommation quotidiens n’améliore pas la santé ? Précisément. Pourtant, d’aucuns diront que la santé, c’est la priorité. À preuve, en 2007, le gouvernement du Québec consacrait 44,3 % de son budget à la santé. Cette proportion était de 30,6 % en 1980. En dix ans, le montant attribué à la santé, par habitant, a décuplé. Pour chaque personne qui gagne 50 000 $, c’est 5 000 $ que vous investissez chaque année dans ce système. Ensemble, les Québécois achètent pour 25 milliards de dollars de soins de santé annuellement.

21


COUVERTURE C1-C4-LOW.qxd

5/13/08

2:46 PM

Page 4


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.