Une idée à laquelle on a donné une mission
Génération d'idées est une organisation à but non lucratif, indépendante et non partisane dont la mission est d'offrir à la relève un espace dans lequel elle peut contribuer activement à l'avancement de notre société. Conscient de l'apport bénéfique de la diversité des opinions au débat public, cet espace encourage les regards nouveaux sur les enjeux politiques, sociaux, économiques et culturels propres à notre société. Il valorise l'expression des opinions divergentes et stimule l'innovation émergeant de la confrontation de celles-ci. Animé par la conviction de l'importance pour la relève d'investir le débat public, Génération d'idées se veut donc un incubateur d'idées porteuses pour l'avenir de notre société et un porte-voix qui les exprime au nom de notre génération. Pour garantir ce rôle d'acteur public, Génération d'idées mise à la fois sur la mobilisation et l'activisme de ses membres, ainsi que sur le dialogue intergénérationnel.
GÉNÉRATION D’IDÉES 01 02 03 04 06 09 10 12 14 16 19 20 22 24
Présentation // Gedi Collaborateurs Article de Elizabeth-Ann Dionne Article de Samuel Champagne // Commentaire de Marc Van Audenrode Article de Dany Lavigne Article de Adelina Feo Article de Jean-David Tremblay-Frenette // Commentaire de Bernard Descôteaux Article de Marc-Nicolas Kobrynsky // Commentaire de Yvon Bureau Article de Christian Bergeron // Commentaire de Jean Coutu ÉDITORIAUX Article de Bello Bakary Article de Alain Ricard // Commentaire de Conrad Ouellon Article de Étienne Langdeau // Commentaire de Céline Hervieux-Payette Commentaires de Ranya Nasri et Sophie Jodoin
www.generationdidees.ca ISSN // 1916-8381 Dépôt légal // 1er trimestre 2009 // Bibliothèque nationale du Québec // Bibliothèque nationale du Canada
Participons à notre génération d’idées
À l’instar de la société, Génération d’idées est en constante évolution. À l’origine un trio, c’est désormais une quarantaine de personnes qui œuvrent au sein de six comités permanents. Ce nouveau partenariat donne déjà des résultats : nous innovons ce trimestre en regard de l’apport des artistes au contenu de la revue et nous vous présentons une sélection d’œuvres plus importante et variée, suite à un appel de dossiers au sein de la communauté artistique. Les nouveaux collaborateurs et comités vous sont présentés à la page suivante et mentionnons tout de suite que plus on est, mieux c’est ! N’hésitez pas à nous contacter si vous désirez vous joindre à l’équipe. Le présent numéro aborde le thème du vieillissement de la population. Le fait que la tranche la plus importante de la population québécoise se dirige vers la retraite aura des conséquences pour toutes les générations présentes et à venir, et ces conséquences sont loin d’être uniquement sur le plan économique. Vous avez été nombreux à nous faire part de vos inquiétudes à ce sujet et à proposer des solutions. Les défis relatifs au vieillissement sont multiples et d’ordres variés et les textes que nous vous présentons abordent la question sous des angles différents. Outre l’aspect économique, il est notamment question des valeurs mises de l’avant par notre société, de notre rapport à l’autre ainsi que notre façon d’aborder la mort. La tendance naturelle veut que les baby-boomers quittent bientôt la scène publique ; comment allons-nous gérer cette transition et ce vide ? Le débat est lancé et il invite plus que tout autre au dialogue entre les générations. Fidèles à notre mission, nous vous présentons également des idées intéressantes sur d’autres sujets qui vous préoccupent. Génération d’idées est votre plateforme et nous vous encourageons à vous faire entendre. Faites connaître votre vision et participez à la construction d’une société qui vous ressemble !
Que la force soit avec vous
GEDI Artiste : Simon Couturier © Titre : Phare Année : 2008 www.simonc.net
Thème de la 4e parution : Guerre et Paix Date limite pour la soumission de textes : 1er mars 2009 Les textes doivent avoir un maximum de 750 mots, être signés et expédiés en format .doc à l’adresse suivante : collaborateur@generationdidees.ca
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GÉNÉRATION D’IDÉES FONDATEURS
COMITÉ MISE EN MARCHÉ
Mélanie Joly, Stéphanie Raymond-Bougie, Paul St-Pierre Plamondon
Jean-François Bernier, président; Benoit Lord, Marie-Paule Giguère
CONSEIL EXÉCUTIF
Vous désirez vous impliquer au sein de Génération d’idées? Nous avons besoin de votre énergie, de vos idées et de vos compétences. Contactez-nous via info@generationdidees.ca
Mélanie Joly, Stéphanie Raymond-Bougie, Paul St-Pierre Plamondon, Jean-François Bernier, Nicholas Cerminaro, Pierre-Antoine Fradet, Marc Jeannotte, Andréanne Michon, Caroline Nantel
Au plaisir de générer des idées avec vous !
COMITÉ RÉDACTION Caroline Nantel, présidente; Bello Bakary, Hugo Braën, Jannelle Desrochers, Audrey Le Tellier, Nicolas Paquin, Jean-François Sylvestre
COMITÉ ARTISTIQUE Andréanne Michon, présidente; Marie-eve Bertrand, Hélène Brown, Natalie Chapdelaine, Elizabeth-Ann Dionne, Jean Malek, Marie-Pier Veilleux
COMITÉ TECHNOLOGIE Pierre-Antoine Fradet, président; Louis Côté, Nicolas Deault, Audrey Le Tellier, Isabelle Lessard
COMITÉ COMMUNICATION Marc Jeannotte, président; Stéphanie Blanchet, Hélène Brown, Julie Dirwimmer, Geneviève Giasson, Roxanne Guérin, Jérémie Martin, Maria Reit, Alexandrine Salvas-Lamoureux, Anne-Valérie Tremblay
COMITÉ FINANCEMENT
COLLABORATEURS Textes : Bello Bakary, Christian Bergeron, Samuel Champagne, Elizabeth-Ann Dionne, Adelina Feo, Sophie Jodoin, Marc-Nicolas Kobrynsky, Étienne Langdeau, Dany Lavigne, Ranya Nasri, Alain Ricard, Jean-David Tremblay-Frenette; Commentaires : Yvon Bureau, Jean Coutu, Bernard Descôteaux, Céline Hervieux-Payette, Conrad Ouellon, Marc Van Audenrode; Correction : Isabelle Gagnon-Théberge; Images : Jasmine Bakalarz, Simon Couturier, Katia Gosselin, Sophie Jodoin, Félix Ménard, Pierre-Yves Montpetit, Roger Proulx, Jacinthe Robillard, Valérie Sangin. Modèle page couverture : Lucille Bernier; Graphisme : Annick Gaudreault godrodesign@videotron.ca; Impression : Impart-Litho; Distribution : Messageries Gladu Génération d’idées tient à remercier spécialement pour leur contribution : Isabelle Gagnon-Théberge, Jean Leclair, Roger Proulx, Lucille Bernier, Micheline Ramsay (CSQ) et Ronald Monette (BMO Groupe financier).
Nicholas Cerminaro, président; Paul A. Fournier, Louis Côté, Hilal El Ayoubi, Marc-Nicolas Kobrynsky, Martin Letendre, Marc-André Ouellette, François Paquette, Maria Reit, François Rousseau, AnneValérie Tremblay Merci à tous nos collaborateurs, mentors, bénévoles, artistes et donateurs qui croient en ce projet. Merci également à toutes les personnes qui nous sont chères et qui nous entourent.
Tous droits réservés. Dans Génération d’idées, la forme masculine désigne, lorsque le contexte s’y prête, aussi bien les femmes que les hommes. La rédaction se réserve le droit de ne pas publier un texte soumis ou de le réduire. Les textes publiés ne réflètent nullement l’opinion de la rédaction, ni de Génération d’idées, mais bien celle de leurs auteurs.
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Mme Lucille Bernier Madame Lucille Bernier, en page couverture, continue résolument à aller de l’avant. Parmi ses implications, notons la Popote roulante de Saint-Camile, les cours de tricot qu’elle donne à l’Association Bonne entente, les sorties dans le Club d’âge d’or de Sherbrooke, les rencontres possibles avec des écoliers et les conversations hebdomadaires entre locataires. Les liens affectifs qu’elle préserve avec ses 9 frères et sœurs, 9 enfants, 23 petits-enfants et 19 arrière-petits-enfants lui sont précieux. Elle voudrait voir les gens de sa génération cultiver l’envie de rester actifs et souhaiterait que la nôtre se tourne davantage vers les autres, sans toutefois se compromettre. Nous aussi. Elizabeth-Ann Dionne
Artiste : Roger Proulx © Année : 2008 www.rogerproulx.com
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Prise de conscience N’attendons pas d’être vieux pour réagir. Il est temps d’agir et de dire non à l’immobilisme et à la procrastination. Actuellement, les régions voient des centres pour personnes âgées pousser comme des champignons, pendant que le nombre d’enfants par classe diminue dans les écoles. Ces résidences deviendront des moteurs économiques, pour certaines localités en perte de vitesse, car les régions subissent le vieillissement de leurs habitants et perdent en plus leurs jeunes compétents au profit des milieux urbains. Heureusement, mes parents et ces autres baby-boomers sont toujours aussi actifs en région, pour quelques années encore du moins. Tous ces baby-boomers, qui voient leurs fonds de retraite subir les soubresauts de l’essoufflement économique que nous connaissons présentement, devront probablement travailler plus longtemps qu’ils ne l’auraient imaginé. Leur santé, vers leurs vieux jours, risque alors de faire des siennes, et dans un pays où le système de santé est universel, les coûts reliés à leur bien-être feront augmenter les dépenses publiques, pendant que ces chers baby-boomers cesseront d’assurer un coussin imposable dédié à notre budget national. Sans vouloir être alarmiste, nos décideurs se soucient-ils de cette question? Il en va pourtant de notre sécurité financière à tous, et non seulement de notre avenir, mais aussi de celui de nos enfants et de la prospérité économique à long terme de notre État. Voulons-nous d’une société titubante où rien d’autre ne suscitera d’intérêt, dans 10 ans, que l’architecture audacieuse des hôpitaux et des résidences pour personnes âgées? Certainement pas moi! Je veux de cette société où les décisions se prennent et se concrétisent par des actions. Je veux également d’une société innovatrice qui puise les plus belles idées, pouvant apporter le plus à ma réalité et à celle des autres. J’ai besoin que quelqu’un me dise qu’enfin, nous ne constaterons plus que notre société comporte sa part de problèmes, mais que nous trouverons des solutions pour les régler et continuer d’avancer... parce que tellement plus nous attend! Le vieillissement de la population implique de beaux défis à relever. Cependant, ce phénomène nécessite une prise de conscience collective. Celle-ci me semble être à la base de toute autre action à entreprendre parce qu’il faut comprendre ce qui nous arrive avant de s’affairer. Nous ne pouvons nier que la tranche sociale grandissante de personnes âgées est causée par ce nombre phénoménal de baby-boomers se dirigeant vers le troisième âge. Le fait est qu’aucune autre génération suivante n’a été aussi importante que la leur. Pourtant, les naissances auraient le pouvoir de contrer ce phénomène social. Jamais il ne m’est venu à l’esprit d’avoir une famille de 10 enfants. Bon, vous me direz que la religion catholique n’utilise plus l’intimidation infernale pour m’y encourager.
Toutefois, je ne désire pas non plus être le père de cinq enfants d’ici 20 ans. C’est pourtant le nombre d’accouchements qu’a eus ma mère. Qu’est-ce qui nous différencie? Malgré les satisfactions que procure une grande famille, je ne serais pas prêt, psychologiquement et financièrement, à voir grandir une si importante progéniture sous mon toit. Pourquoi? Qu’est-ce qui nous empêche de repeupler ce Québec qui nous est si cher? Serait-ce un manque d’argent (hommage ici aux dettes d’études), un confort qu’on ne voudrait pas ébranler ou tout simplement un changement de valeurs ayant eu cours? Sommes-nous à tel point plongés dans une société de consommation qu’il n’y aurait plus de place pour les enfants? Subissons-nous des vies déséquilibrées, vitesse grand V, au point où s’occuper d’un enfant entre dans la liste « À ne pas oublier » ou « Ce que je ferai un jour... »? Sommes-nous si désabusés et inquiets face à la vie que nous n’osons pas la faire subir à des êtres si purs et innocents? Il y a certainement là matière à réflexion, parce que quelque chose chez nous ne tourne pas rond.
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urgente!
Cri du cœur d’un « Y » entouré de vieux décideurs // Commentaire Le Québec connaît – et connaîtra au cours des 20 prochaines années – un choc démographique unique. Une combinaison particulière de chute brutale et rapide du taux de fécondité, d’augmentation de l’espérance de vie et de faible immigration fait que le renversement de la structure démographique va se faire au Québec plus rapidement que n’importe où ailleurs dans le monde occidental, reste du Canada et États-Unis inclus. La démographie est implacable. Rien ne remplacera les bébés que les Québécois n’ont pas eus et rien ne remplacera l’immigration qui n’est pas venue. En fait, une politique nataliste qui aurait trop de succès aggraverait le problème. En plus de voir aux besoins d’une énorme cohorte d’inactifs âgés, les actifs de demain devront voir au futur d’une génération d’enfants plus grande que la leur ne l’était. De la même façon qu’il n’y a pas de miracle à espérer au bas de la pyramide des âges, il n’y en a pas à espérer en haut de la pyramide : les baby-boomers vieillissants seront malades, comme l’ont été leurs parents. Leur nombre imposera des contraintes énormes sur notre système de santé, contraintes qui ne seront qu’en partie compensées par d’autres économies dans le budget du gouvernement du Québec, par exemple en éducation. On ne peut voir le défi démographique du Québec ni avec des lunettes roses, ni avec des lunettes noires. Il n’y a pas de solution magique au problème. Mais ce n’est pas l’apocalypse non plus. Le Québec doit dès maintenant travailler à développer les outils qui lui permettront de faire face à ce défi : réduire le poids de sa dette, aménager la carrière des travailleurs âgés et surtout augmenter la productivité de son économie. C’est de là que viendra la solution. Marc Van Audenrode L’auteur est professeur associé à l’Université de Sherbrooke et directeur du Groupe d’Analyse Ltée, Montréal.
Dans ce cas, acceptons une immigration massive et le tour sera joué! Mais que faire alors du manque d’ouverture aux étrangers des uns et des problèmes d’intégration des autres? J’oubliais pendant un instant que le terme « compromis » est difficilement digestif en nos terres.
« On ne peut voir le
Enfin, ce problème du vieillissement de notre population soulève des inquiétudes. Mais il ne serait pas tellement compliqué à régler. Il faut juste se regarder, s’analyser de manière objective et trouver des solutions adéquates. Voilà, c’est dit. Qu’est-ce qui nous arrête?
défi démographique du Québec ni avec des lunettes roses, ni avec des lunettes noires »
Samuel Champagne
Artiste : Valérie Sangin © Titre : Siamoises Série : L’attente Année : 2007 Tirage numérique à jet d’encre, 40x80" www.valeriesangin.com
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Et si on vivait On s’excite beaucoup le poil des jambes avec notre petit vieillissement de la population! L’espérance de vie franchit le cap des 80 ans et nous voilà complètement déstabilisés! « Que va-t-il arriver à nos caisses de retraite? » Et si l’être humain vivait jusqu’à 5000 ans? Ne riez pas! Cette idée est évoquée par Aubrey De Grey, chercheur à l’Université de Cambridge. Spécialiste des processus du vieillissement, De Grey croit que la génétique permettra un jour d’utiliser les cellules souches afin de ramener notre horloge biologique à zéro : « En ce moment, 100 000 personnes meurent de vieillesse chaque jour. Nous devons sauver ces vies. C’est la chose la plus importante : arrêter le massacre. Et après, nous nous occuperons des détails. »1
A priori, il y aurait certainement de bons côtés à vivre plus longtemps. On pourrait davantage se cultiver l’esprit, lire plus de livres, voir plus de films, décrocher des diplômes dans autant de domaines qu’on le veut. Chacun aurait assez de temps à sa retraite pour faire le tour du monde. Enfin, l’espoir renaîtrait de voir un jour le retour des Nordiques à Québec! L’envers de la médaille, c’est qu’il faudrait travailler plus longtemps. J’imagine une de mes étudiantes du futur venir me dire : « Vous avez déjà enseigné à ma grand-mère… » Quatre-vingts ans à radoter sur l’allégorie de la caverne, le Discours de la méthode et l’éthique de Kant : de quoi devenir fou! Et comment m’adapterais-je aux nouvelles technologies, moi qui ai déjà du mal à utiliser le lecteur DVD en classe?
Bon, 5000 ans, c’est peut-être un peu fort! Mais il reste que l’espérance de vie a pratiquement été multipliée par deux au XXe siècle dans les pays industrialisés. Grâce aux progrès fulgurants de la technoscience, il n’est pas interdit de penser que l’on pourrait encore doubler ce chiffre au XXIe siècle. Quand il y a volonté humaine, yes we can! Supposons donc que l’espérance de vie passe à 160 ans (ce qui implique que l’humanité assume ses responsabilités en matière environnementale et que l’on ne s’autodétruise pas au cours d’une Troisième Guerre mondiale). Contrairement à De Grey, je trouve intéressant que l’on s’attarde un peu aux « détails », aux conséquences que pourrait avoir un tel changement pour nos sociétés.
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1 // Cf. Antoine Robitaille, Le nouvel homme nouveau, Boréal, Montréal, 2007, p.67.
160 ans? Passons maintenant à la politique. Les statistiques révèlent que les personnes âgées votent massivement aux élections, tandis que les jeunes ont un faible taux de participation. Et on voit ce que ça nous donne comme gouvernement! Imaginez : Jean Charest, premier ministre pendant 30 ans; Stephen Harper repoussant les objectifs de diminution des gaz à effet de serre en 2050 (oups! on m’annonce qu’il le fait déjà…) Vivement une limite de deux mandats pour nos dirigeants, à l’instar des États-Unis!
Dans un registre plus sérieux, le bioéthicien Leon Kass fait remarquer que les populations qui ont la plus haute espérance de vie ont tendance à être celles qui font le moins d’enfants. Ce qui l’amène à se demander : « Que serait la vie s’il n’y avait pas cette possibilité du renouvellement des commencements, de l’innocence, de l’arrivée de personnes qui ne sont pas cyniques et blasées parce qu’elles ont vécu toutes les désillusions possibles? » En outre, Leon Kass craint que l’on devienne encore plus superficiels que nous le sommes. Il trace un parallèle avec les dieux grecs d’Homère : des êtres immortels et sans aucune profondeur. De fait, la mort est une limite qui nous pousse au dépassement. Savoir que nous ne sommes pas éternels nous force à agir, à tenter de réaliser nos rêves. S’il fallait que l’on vive beaucoup plus vieux, n’aurions-nous pas tendance à tout remettre à demain… et à après-demain? Bien sûr, il n’est ni possible ni souhaitable d’empêcher les recherches scientifiques visant à nous permettre de vivre en santé plus longtemps. Toutefois, je m’interroge sur le devenir d’une humanité qui cherche à vaincre la mort plutôt qu’à l’accepter… Dany Lavigne
« Toutefois, je m’interroge
sur le devenir d’une humanité qui cherche à vaincre la mort plutôt qu’à l’accepter »
Artiste : Pierre-Yves Montpetit © Titre : Archelon Série : Fossils Année : 2008
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Pour eux, pour nous Pour notre génération, le vieillissement de la population a une connotation de fardeau. Nous nous voyons supporter toute l’économie avec peu d’effectifs afin d’assumer les coûts montants des frais de santé et de retraite de nos aînés. J’aimerais amener un point de vue différent au débat. Plusieurs me diront utopique et naïve dans mon approche. Soit! Si l’on n’ose pas regarder les choses d’un œil radicalement différent, pouvons-nous vraiment nous considérer comme une génération d’idées? Je vis dans une communauté crie de la Baie-James depuis trois ans. En arrivant avec mon bagage de réadaptation de Montréal-Nord, j’avais encore la mentalité selon laquelle il fallait pousser nos personnes âgées à demeurer actives et indépendantes le plus longtemps possible. Il était inacceptable de les laisser aller et de les servir. Ici, plus je poussais, plus on me regardait comme si je n’avais aucun respect pour l’âge de ces personnes. Ici, les personnes âgées sont des « anciens » et on écoute ce qu’ils ont à dire. Ici, il était complètement acceptable de ne plus rien faire. Bien sûr, plusieurs anciens mènent une vie active dans le bois, en chassant, en cuisinant dans leurs tipis et en ramassant du bois. Mais on respecte le rythme de chacun et on lui offre assistance selon ses désirs. Je comprends que nous avons si peur de la vieillesse (et j’inclus les personnes âgées dans ce « nous ») que nous nous obligeons à continuer nos activités, à tout prix, afin de maintenir un niveau de performance qui nous garde une place en société. En fait, ce qu’on perçoit comme le « problème » du vieillissement découle de nos définitions de la famille et de la santé. Chez les Cris, la famille prend le sens de « communauté ». Nous ne trouvons pas de personnes âgées vivant seules dans des 3½ insalubres, loin de leurs familles, incapables de sortir pour faire l’épicerie ou pour voir des amis. Les personnes âgées vivant dans des résidences se retrouvent devant un problème majeur d’isolation du reste de la société. Cette isolation mène souvent au déclin fonctionnel dû à l’inactivité, à l’ennui, à la dépression, au déclin cognitif précoce, à la malnutrition… Chez les Cris, même si l’activité diminue considérablement avec l’âge, on n’est jamais seul. On fait toujours partie d’une communauté.
Ceci m’amène au second point : notre définition de la santé. Il est impératif que notre vision de la santé change. La santé, ce n’est pas seulement l’absence de maladie et ça ne se règle pas en bâtissant de nouveaux hôpitaux. Les Cris n’ont pas de mot pour « santé ». Ce qui s’en rapproche le plus est le concept de « Miyupimaatisiiun », qui se traduit le plus convenablement par « être en vie bien ». Ce concept comprend toutes les dimensions de l’être humain (physique-émotif-spirituel) et de son milieu. Donc, une personne ne peut être bien que si sa communauté en entier est en harmonie. On ne peut donc plus regarder une personne âgée assise à l’urgence et se dire que nous n’avons rien à voir avec elle. Une fois qu’elle est à l’urgence avec une fracture de la hanche parce qu’elle a essayé à tout prix de continuer à suivre notre rythme endiablé, nous avons déjà échoué. Cette absence de communauté, nous en souffrons tous, que nous ayons 25 ou 85 ans. Elle n’est pas seulement le fardeau de la génération vieillissante. Nous en payons tous le prix par le surmenage, l’épuisement professionnel, l’absence de relations significatives, la course folle, les coûts élevés des logements, l’essence, la garderie, les soupers au restaurant parce qu’on n’a plus le temps de cuisiner… C’est un problème collectif et nous avons tous intérêt à nous retrousser les manches et à bâtir des communautés où l’on peut se retrouver, partager le fardeau du quotidien, s’entraider et être présents les uns pour les autres. Vivre bien, c’est vivre dans un contexte où nous pouvons tous subvenir à nos besoins avec dignité, se consacrer à un but valorisant, avoir le droit de mettre nos énergies sur ce qui importe le plus pour nous. Si nous, en tant que « génération active », prenons le temps de souffler, de faire des choix axés sur le bien-être, nous pourrons, avec des services de santé de base dans le milieu, donner une place aux aînés pour qu’ils participent au mieux de leurs capacités à la vie des communautés que nous aurons créées. C’est à nous de mettre ces communautés sur pied. Nous pouvons donner une place aux aînés pour qu’ils se reposent. Notre seul fardeau, alors, sera de les regarder jouir d’un repos bien mérité. Adelina Feo
« Si l’on n’ose pas regarder les choses d’un œil
radicalement différent, pouvons-nous vraiment nous considérer comme une génération d’idées? » Artiste : Jacinthe Robillard © Titre : Berthe Série : Chez Jeanne-Mance Année : 2007 Impression Chromogène www.jacintherobillard.com
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Déficit démographique et générations futures : en avons-nous les moyens? Les Nations Unies prévoient que le Canada verra sa population croître de 0,7% environ entre 2015 et 2020, et sa population en âge de travailler, de 0,4% pour la même période contre 0,8% et 1,4% (!) respectivement pour la période de 2005 à 2010. De plus, le ratio de dépendance, c’est-à-dire le nombre de dépendants à la retraite par personne en âge de travailler, augmentera du tiers d’ici 2050. Quelles sont donc les conséquences économiques à venir de telles modifications à la composition démographique de notre pays? Le fait que le taux de natalité ait diminué sans cesse au cours des dernières décennies amènera le Canada à voir sa population en âge de travailler diminuer substantiellement dans l’avenir. Quelle importance, nous direzvous? Une étude américaine a récemment démontré qu’une hausse de la proportion de la population en âge de travailler générait un « dividende démographique »1, qui augmente le taux de croissance économique. Allons un pas plus loin : une importante portion des transferts de richesse entre notre pays et l’étranger par le biais du produit intérieur brut peut se décomposer en l’apport net entre deux éléments : nos épargnes nationales et le niveau d’investissement. Le vieillissement de la population a un impact direct sur ces deux composantes. En effet, la rareté de la main-d’oeuvre à venir en proportion du capital économique disponible produira un déclin du rendement réel observé sur le capital. De plus, lorsque les baby-boomers prendront leur retraite d’une manière massive, ils réduiront alors leur niveau d’épargne, devant piger dans les sommes amassées afin de se payer des retraites « dorées ». Pour que l’équilibre se maintienne, il sera plus optimal de réduire le stock de capital dont les travailleurs disposeront. Ce faisant, nos entreprises ne pourront trouver domestiquement les fonds nécessaires pour investir autant en capital humain qu’en capital physique. Dans le contexte d’une économie davantage axée sur le savoir, comment pourrons-nous alors, comme nation, se distinguer face à la concurrence féroce d’autres pays développés? On peut cependant argumenter qu’un travailleur plus âgé devient plus productif avec le temps. Par contre, on en arrive ultimement à un point où les effets physiques et mentaux du vieillissement peuvent contrecarrer les bénéfices tirés de l’expérience sur la productivité (définie comme la somme des extrants de production par rapport au nombre de travailleurs). Comment pallier ces problématiques? Par des investissements soutenus et massifs dans les domaines de l’éducation et des technologies. Seuls des jeunes plus éduqués seront en mesure d’utiliser des technologies plus productives au sein de l’ensemble des secteurs de l’économie. Lorsque l’on songe que la multinationale Procter & Gamble se targue d’avoir vu sa productivité améliorée grâce à l’introduction d’une version maison de Twitter…
1 // “Does age structure forecast economic growth”, Bloom et al., NBER, Juillet 2007.
D’ores et déjà, l’on devra s’attendre à certaines inégalités. Il ne suffit pas de constater que les ménages à la retraite disposent, en moyenne, d’un revenu moindre que les ménages sur le marché du travail. Ces réalités fort contrastantes sur le plan économique seront les plus perverses dans les régions où l’accroissement des ménages à la retraite sera le plus marqué. Ces inéquités se refléteront-elles dans des mouvements de contestation sociaux plus fréquents et de nature différente par rapport à ce que l’on connaît de nos jours? Qu’arrivera-t-il aux dépenses gouvernementales reliées aux effets du vieillissement de la population? Il est à parier que la part des dépenses publiques en soins de santé continuera sa croissance fulgurante, mais non moins spectaculaire sera la diminution de l’assiette fiscale à laquelle nos gouvernements auront accès! Accepterons-nous d’être imposés davantage que nous le sommes présentement? Nous croyons que la solution réside dans l’adoption d’un système visant la prise en charge plus individualisée du revenu de retraite. Laissons à nos gouvernements le soin de mettre plutôt l’accent sur la richesse collective par la poursuite d’objectifs précis en termes d’accès et de niveau d’éducation, ainsi que sur le plan d’une économie à la fine pointe quant aux technologies employées. L’introduction du CELI (compte d’épargne libre d’impôt) afin de complémenter le REER (régime enregistré d’épargne-retraite) est un pas essentiel dans ce sens. Responsabilisation est le mot clé ici. Le passage de l’âge de la retraite de 65 à 70 ans serait bénéfique aux fins de nos régimes de pension, bien entendu, et de la productivité. On se doit d’agir prestement pour mettre différentes mesures sociétales en marche, car sinon, la réalité démographique de la très jeune force de travail des pays émergents nous rattrapera, et il sera plus sensé d’aller non seulement y investir à long terme, mais aussi de prendre notre retraite dans ces pays… Jean-David Tremblay-Frenette
« La solution réside
dans l’adoption d’un système visant la prise en charge plus individualisée du revenu de retraite » 10
// Commentaire Le déficit démographique est l’un des grands problèmes auquel le Québec est confronté. Problème grave? Qualifions-le plutôt de sérieux, car nous avons les moyens de réagir, comme le démontre Jean-David Tremblay-Frenette dans son texte. La première réponse est d’abord démographique. Jean-David ne l’aborde pas, mais elle est essentielle. Il faut faire des Québécois! Bonne nouvelle : la natalité est légèrement en hausse grâce à l’assurance parentale et au régime de garderies. Et l’immigration est aussi en croissance. Celle-ci devra être massive, du moins beaucoup plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui. Elle s’accompagnera d’un choc culturel qu’il faut accepter.
Artiste : Félix Ménard © Extrait de la série "Montréal résidentiel" Année : 2008 Impression Chromogène, 20x24" www.felixmenard.com
L’étape suivante sera l’éducation. Répétons-le avec Jean-David : investir en éducation est plus que jamais la clé de l’avenir. Il faudra bannir les mots « décrochage scolaire », car pour maintenir notre productivité, nous aurons besoin de toute la main-d’œuvre disponible. Nous aurons besoin de techniciens bien formés pour utiliser les nouvelles technologies. Nous aurons besoin de chercheurs pour développer de nouvelles technologies. Il faudra aussi revoir le concept de la retraite. Depuis longtemps, l’espérance de vie n’est plus de 65 ans. À cet âge, plusieurs sont en mesure physiquement de continuer à contribuer à la force de travail. Ils souhaitent le faire et ils ont besoin de le faire. Les meilleurs fonds de retraite n’offrent plus la sécurité matérielle promise. L’actuelle crise financière nous rappelle qu’il ne faut pas toujours compter sur son employeur ou sur l’État. Il faut compter aussi sur ses propres moyens. Où sera le Québec en 2050? Sûrement pas dans le noir, car le pire n’est pas toujours certain. Il faudra toutefois les efforts de plusieurs générations pour combler, du moins en partie, le déficit démographique. Jean-David Tremblay-Frenette nous invite à s’atteler à la tâche. Il faut le faire sans tarder. Il y a urgence.
Bernard Descôteaux L’auteur est directeur du journal Le Devoir.
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Le droit La médecine est une lame à double tranchant. Les progrès de cette science qui nous ont permis de vivre plus longtemps et plus en santé sont les mêmes qui ont ouvert la porte à l’acharnement thérapeutique qui sévit aujourd’hui au Canada. Dans les hôpitaux et les centres de soins palliatifs, on est plusieurs à souffrir, agoniser, se regarder dégénérer dans l’indifférence la plus totale. Le Canada et le Québec n’ont jamais été le lieu d’un véritable débat populaire sur le droit d’un patient atteint d’une maladie grave ou dégénérative d’obtenir l’aide du système médical pour mettre fin à ses jours. Les causes sont multiples. D’une part, l’héritage judéo-chrétien est encore très fort dans ce pays, et celui-ci dépeint l’existence comme un cadeau de Dieu qui doit être apprécié ou supporté jusqu’à la toute fin. La maladie est encore perçue comme une épreuve envoyée par le Divin pour éprouver ou punir un individu. S’y soustraire par un suicide est toujours vu comme une hérésie. Une large partie de la population étant encore de cette mouvance religieuse, les gouvernements ont toujours été réticents à tenir un débat sur l’euthanasie. Bien que l’appui au suicide assisté dans la population canadienne soit stable à 76% (Ipsos-Reid, juin 2007) depuis 14 ans, c’est un sujet beaucoup trop sensible et risqué pour des gains politiques minimes. Tout comme la pauvreté, c’est une thématique qui touche des gens qui votent peu ou pas du tout : le patient atteint d’une maladie grave occupe son emploi du temps à souffrir, dégénérer ou décéder. Le silence des gouvernements a pour conséquence que la défense des droits des malades en phase terminale échoit maintenant aux médecins. Déchirés entre le respect du serment d’Hippocrate et l’abrègement des souffrances de leurs patients, ne désirant pas nécessairement jouer le double rôle de juge et de bourreau, les médecins sont partagés au sujet de la légalisation de l’euthanasie. Ce qui se reflète dans la reconduite de la position antieuthanasie de l’Association médicale canadienne en novembre 2007. D’autre part, l’esprit du siècle n’est tout simplement pas propice à une discussion sur l’euthanasie. L’augmentation de l’espérance de vie a évacué la mort et tout ce qui s’y rattache de nos préoccupations : puisque nous la côtoyons plus rarement, elle nous est devenue étrangère. La mode est au court terme, à la gratification immédiate, au bonheur aveugle. Dans ce contexte, planifier collectivement pour la maladie ou pour l’inaptitude est un sacrilège. En empêchant la tenue d’un débat sur l’euthanasie, tous ces facteurs ont pour première conséquence le déni du droit fondamental de l’être humain de disposer de son corps, l’habeas corpus. On accepte le choix du patient qui désire s’acharner à vivre jusqu’à la dernière minute, mais on refuse le choix du patient qui, placé devant la perspective de souffrances ou de maladies dégénératives, désire cesser son existence. Par souci de respect de la doctrine religieuse ou par manque d’intérêt, nous sommes les complices d’un système qui condamne des individus à vivre sans aucune qualité de vie ou dans des souffrances inhumaines.
En prolongeant ainsi la vie d’un individu sans égard à sa qualité de vie, c’est à toute la famille et aux amis que l’on propage la tourmente. Alors que le patient amorce sa descente irrévocable aux enfers, ses proches plongent avec lui. Tellement que lorsque celui-ci décède ou est placé, ce n’est plus de la tristesse que ces derniers ressentent, mais bien de la délivrance. Finalement, je ne peux m’empêcher de penser au gâchis monétaire que tout cela représente. Aux lits d’hôpitaux, aux médicaments, au temps des infirmiers et médecins englouti en pure perte dans un être qui ne désire peut-être plus se battre. Je ne critique aucunement les individus qui désirent jouir de toutes les minutes de leur existence, mais devant la perspective de souffrances, j’exige le droit de choisir. Je revendique ce qui se fait déjà aux Pays-Bas et ailleurs dans le monde, c’est-à-dire le droit à l’aide du système médical pour terminer mes jours. Je ne suis pas intéressé à vivre diminué. Je ne tente pas de rejoindre un état de grâce mystique à travers la souffrance. Je ne crois pas à la résurrection de ma chair et je ne désire en aucun cas délirer pendant plusieurs années dans une chambre inconnue, pris en charge par des étrangers. J’exige que, si nécessaire, l’on respecte mon choix de ne pas encombrer le système par ma carcasse inutile. Marc-Nicolas Kobrynsky
« Nous sommes
les complices d'un système qui condamne les individus à vivre sans aucune qualité de vie ou dans des souffrances inhumaines »
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de mourir // Commentaire Les temps changent, la vie évolue. La fin de la vie, parce qu’elle est encore la vie, doit également évoluer. Au Canada, le débat sur une aide pour mourir pour les finissants de la vie fait assurément son chemin. Bien sûr, comme Marc-Nicolas Kobrynsky, plusieurs, et j’en suis, aimeraient que ce débat fasse son autoroute! À raison. Par contre, la vie a souvent ses lenteurs et parfois ses accélérations remarquables. Très souvent, ce ne sont pas les évidences qui mènent le monde, mais les intérêts. Hélas. Pour la fin de la vie, comme notre Code civil le demande, et à raison, nous devons voir au seul intérêt de la personne en fin de vie, l’accompagner et agir selon sa personnalité, ses croyances, sa liberté de conscience et sa liberté ultime de terminer courageusement sa vie. Il est évident que notre tradition religieuse québécoise a influencé la pratique d’accompagnement des mourants : on plaçait sa fin de vie dans les mains de Dieu, du médecin, des soignants, de la famille, des curés et pasteurs... Nouvelle mentalité : c’est le mourant qui se veut responsable de toute sa vie, incluant sa fin; il la veut dans ses mains et agir avec responsabilité jusqu’à la fin. Comme 80% de la population, je suis en faveur d’une aide pour mourir moins et pour mourir mieux. Mais pas pour n’importe quelle aide, n’importe comment et par n’importe qui. Qu’elle soit apportée uniquement par un médecin. Que cette pratique exceptionnelle soit exercée dans un cadre strict et sécuritaire, cadre évalué régulièrement. Comme en Hollande, en Belgique, en Oregon et à Washington... Cette aide médicale à mourir doit être décriminalisée par notre gouvernement d’Ottawa. Dès 2009! Aider et accompagner une personne à mieux mourir demande beaucoup de générosité.
Yvon Bureau L’auteur est travailleur social et milite depuis plus de vingt ans pour le droit de mourir dans la liberté et la dignité.
« Aider et accompagner
une personne à mieux mourir demande beaucoup de générosité »
Artiste : Jasmine Bakalarz © Sans titre Série : Été 2008 www.jasminebakalarz.com
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Pour une révolution Entre les années 1960 et 1980, le Québec a connu toute une révolution. L’avènement de la « pilule », la libération des mœurs, l’affaissement de l’autorité cléricale et parentale, l’avènement du divorce et surtout la décriminalisation de l’avortement ont façonné ces années. En somme, davantage de liberté pour la femme et une plus grande flexibilité pour les hommes et les femmes dans leurs trajectoires individuelles ou parcours de vie.
La contraception orale (la « pilule ») et la stérilisation féminine plafonnent, sauf pour la stérilisation masculine qui augmente.4 Aucune donnée empirique sur l’utilisation des méthodes naturelles (symptothermique ou Billings, par exemple) n’est présentée. Selon une étude canadienne, le condom est utilisé par 60,4 % des hommes (51,2 % des femmes) âgé(e)s de 20 à 24 ans.5 Malgré cela, c’est chez ce groupe de femmes que l’on compte le plus d’avortements, suivi de celui des femmes âgées de 25 à 29 ans.6
Cette révolution sexuelle est derrière nous, si l’on veut. Depuis maintenant vingt ans, l’avortement est décriminalisé. Cependant, le débat entourant la remise de la médaille du Gouverneur du Canada au Docteur Morgentaler nous rappelle que l’avortement n’a jamais fait parfaitement consensus au Québec. Selon un sondage Gallup de 2002, 32 % des Québécois trouvaient l’avortement moralement inacceptable.1
En additionnant les ordonnances et les avortements pratiqués annuellement, le total est impressionnant. Une question s’impose ici : est-ce qu’on a priorisé au Québec les méthodes abortives au détriment de l’éducation sexuelle?
L’avortement est un droit acquis pour la majorité de la population. Sauf que toute progression ou évolution sociale est composée d’arrêts, de détours, de bonds et parfois même de chutes. Cela dit, à quel moment de l’histoire revisite-t-on l’état de la situation pour l’évaluer? Avant d’aller plus loin, si vous cherchiez à positionner mon texte à l’intérieur d’un quelconque appui aux groupes pro-choix ou pro-vie, c’est que je n’ai pas réussi à transmettre l’essence de mon message. Il faut « sortir à l’extérieur » de ces groupes de pression afin de réfléchir objectivement à la situation et ce, sans idéologie de départ. Aussi, la sexualité concernant autant les hommes que les femmes, nous sommes tous concernés. Selon l’Institut de la statistique du Québec,2 il y a eu 28 255 interruptions volontaires de grossesses (ou avortements) pour l’année 2006. Soit 34,4 avortements pour 100 naissances. Une légère diminution en comparaison avec 2004, alors que le Québec avait atteint un sommet (29 460). La tendance est lourde depuis plusieurs années, alors que l’on comptait 7 139 avortements en 1976. Entre 1986 et 2006, il y a eu tout près de 530 000 avortements au Québec, en excluant les statistiques compilées par les Centres Locaux de Soins Communautaires (C.L.S.C.). Par ailleurs, uniquement pour 2005, la Régie de l’Assurance Maladie du Québec (R.A.M.Q.) a remboursé 30 700 ordonnances de « pilules du lendemain » aux femmes âgées de 15 à 44 ans. Le nombre d’ordonnances a doublé en seulement deux ans (15 100 en 2003).3
L’éducation sexuelle et les responsabilités qu’elle engendre, autant chez l’homme que la femme, semblent déficientes en analysant ces données. Le droit à l’avortement implique des devoirs, comme tous les droits d’ailleurs. Cela dit, la révolution sexuelle, en libérant les individus, a-t-elle échoppé au passage les responsabilités sexuelles? À l’heure actuelle, l’État donne comme des « petits bonbons » les « pilules du lendemain » et s’offre comme « coussin de sécurité » pour les grossesses non désirées. D’une part, est-ce que ce sont des mesures efficaces pour responsabiliser les gens envers leur propre sexualité? D’autre part, l’explosion du nombre d’avortements serait-elle alors le reflet d’un échec de la contraception au Québec? En un mot, le recours aux méthodes abortives comme moyen de contraception (?!) doit nous interpeller, collectivement et individuellement, à revoir nos méthodes d’éducation sexuelle et de contraception. Si les Québécois(e)s sont aussi progressistes qu’ils aiment bien se définir, ils regarderont alors objectivement la situation et prendront en charge leur sexualité. De plus en plus, les Québécois(e)s prennent conscience de leurs responsabilités en matière d’environnement ou d’une meilleure prise en charge de leur santé, par exemple. Alors, sommes-nous prêts pour une autre révolution sexuelle, mais celle-ci, au niveau des responsabilités? Christian Bergeron
« Est-ce qu’on a priorisé au Québec les méthodes abortives au détriment de l’éducation sexuelle? » 14
1 // Meunier, E.-Martin, Benoît XVI : vers un divorce entre culture québécoise et Église catholique, 2005; Michel Venne et Antoine Robitaille, L’annuaire du Québec, Éditions Fides, 2006. 2 // Institut de la statistique du Québec, Interruptions volontaires de grossesse, Québec, 1971-2006. En ligne : http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/demographie/naisn_deces/naissance/415.htm 3 // Institut de la statistique du Québec, La situation démographique au Québec, Bilan 2006. En ligne : http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/demograp/pdf2006/Bilan2006c5.pdf 4 // Ibid. 5 // Agence de la santé publique du Canada, Utilisation des contraceptifs oraux et du condom, 1998. En ligne : http://www.phac-aspc.gc.ca/publicat/epiu-aepi/std-mts/std511-fra.php 6 // Op. Cit.
des responsabilités sexuelles // Commentaire Ce qui m’interpelle le plus dans le texte de Christian Bergeron, c’est la notion de responsabilités, de prise en charge de ses propres faits et gestes en matière de contraception. À mon avis, nous sommes face à une flagrante déresponsabilisation de nos comportements sexuels. La légalisation de l’avortement a eu pour effet de banaliser les grossesses et de considérer sans nuance, que l’avortement nécessaire ou explicable dans peut-être 10% des grossesses (Prochoix) contre un Provie tout à fait naturel dans la balance des cas. Surtout dans un temps qui était inexistant aux jours de nos grands-parents car aujourd’hui en effet, la recherche nous a permis de pouvoir choisir le moment le plus approprié pour donner la vie. C’est l’amour qui devrait finaliser la sexualité d’un homme et d’une femme ayant le choix du moment et l’espoir, contrairement à l’automatisme bien réglé des autres êtres vivants. Est-il normal qu’ici au Québec, terre où l’on veut se prendre en main, 25,6% des grossesses se terminent par un avortement (selon le ratio 34,4 avortements/100 naissances rapporté par Christian Bergeron dans son texte)? C’est un affront à la science (contraception préventive), à la morale naturelle (excluant toute religion) et à la nation. En somme, dans le meilleur des mondes, toute grossesse devrait être menée à terme, à moins de situations exceptionnelles. Il n’y a rien de plus merveilleux que d’être parent et de vieillir avec ses enfants. J’en sais quelque chose.
Jean Coutu L’auteur est pharmacien. Il est président du conseil d’administration du Groupe Jean Coutu (PJC) inc.
Artiste : Sophie Jodoin © Titre : La laide et petite bouquetière #2 Année : 2008 Conté et collage sur Mylar, 12 x 10" www.sophiejodoin.com
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// Éditoriaux KRACH DÉMOGRAPHIQUE:
sagesse ou vieillissement? Notre société se transforme, nous le savons. Vieillissement de la population, détérioration de l’environnement, surconsommation, instabilité économique, isolement social, etc. Ces réalités et les défis qu’elles entraînent ne peuvent être surmontés individuellement. La mise en commun des efforts de toutes générations est nécessaire afin de les aborder et y remédier. C’est d’ailleurs cette exigence de solidarité qui a mené à la création de Génération d’idées.
De plus, une société qui vieillit doit demeurer capable d’accepter l’innovation. Puisque le changement requiert souvent des investissements monétaires importants, cette préoccupation est de taille dans une société où la population est moins active et paie donc moins d’impôts. Par ailleurs, les pressions exercées sur l’État et l’environnement sont telles que nous n’avons pas d’autre choix que de modifier nos manières de faire.
Or, le fait de relever collectivement ces défis suppose que l’on s’entende sur une marche à suivre. Qu’ensemble, nous soyons convaincus que nous détenons tous les moyens pour solutionner les problèmes que nous avons tardé à confronter. Que peu importe notre âge, nous soyons prêts à mettre l’épaule à la roue. Il est particulièrement important de ce faire, alors même que nous savons notre société vieillissante et que ce vieillissement aura d’incontestables répercussions sur nos politiques. En effet, le poids politique de nos aînés étant important, leurs intérêts déteindront certainement sur l’opinion publique. Démographie et démocratie vont de pair. Voilà une préoccupation de taille lorsqu’on considère notre entente collective.
Afin de repenser notre façon de consommer, il faudra investir, certes, mais également faire des concessions quant à nos manières d’agir. Nos actions et gestes devront refléter notre préoccupation pour les générations futures. Nous devrons redéfinir nos habitudes, voire notre confort. Des projets d’envergure tels une augmentation radicale de l’offre des transports en commun (afin de diminuer l’utilisation de la voiture), une intégration accélérée des technologies vertes et un réinvestissement massif dans l’éducation doivent pouvoir s’actualiser. On ne peut se contenter d’investir dans certains secteurs au détriment d’autres besoins. Malgré les défis associés à la vieillesse, une société qui vieillit doit demeurer ouverte au changement.
Par ailleurs, ce qui nous inquiète du vieillissement de notre population n’est pas seulement l’explosion des budgets reliés à la santé et les problèmes de relève, mais surtout le fait qu’il puisse en résulter que, collectivement, jeunes et moins jeunes, par force d’inertie, nous en devenions tous à être réfractaires à la différence et à l’innovation. En effet, le vieillissement de notre société s’inscrit dans un contexte précis, soit cinquante ans après la Révolution tranquille : une révolution sociale et politique marquée par la redéfinition des rôles de l’État et, surtout, par l’affirmation identitaire d’une majorité aujourd’hui au seuil de la vieillesse. Les années qui ont suivi cette révolution ont par ailleurs été marquées par des progressions économiques et des vagues d’immigration. Or, la crainte suscitée par le vieillissement de cette majorité, c’est qu’elle puisse chercher à préserver ses acquis économiques et identitaires et que, pour ce faire, elle manifeste une plus grande intransigeance notamment envers les minorités ethniques. Que par son poids électoral, elle entraîne l’adoption de lois de nature discriminatoire et que de ce fait, certains comportements racistes soient socialement acceptés. Dans un tel contexte, les immigrants ayant intégré notre identité au cours des dernières années et les nouveaux arrivants verraient leurs chances d’accéder aux hautes sphères de notre société anéanties en raison de leurs différences culturelles. Les conséquences de la désillusion de plusieurs citoyens vis-à-vis leur société d’accueil pourraient être désastreuses. Les tensions sociales qui s’ensuivraient, douloureuses et potentiellement insoutenables. Par ailleurs, il est évident que la majorité silencieuse, au contraire, a besoin d’une économie florissante pour lui garantir des revenus fiscaux nécessaires au financement des services publics dont elle aura besoin. Il y va de son intérêt de ménager les nouveaux arrivants ainsi que les générations qui la suivent. Bref, un tel scénario ne peut être une option : une société qui vieillit doit demeurer ouverte à la différence et ne peut tolérer des lois sur l’immigration abusives, de la discrimination systémique et du profilage racial. Elle doit se raidir à l’encontre du conservatisme propre à toute société qui se recroqueville sur elle-même. Elle doit reconnaître l’apport de toutes les générations et s’impliquer activement dans l’intégration culturelle de ses membres.
Au nom d’un bien-être collectif dont elles monopoliseraient la définition, les générations plus âgées ne peuvent s’acharner à promouvoir des intérêts ou à mettre en place des institutions qui ne conviennent plus à la réalité d’aujourd’hui et qui s’exerceraient au détriment des autres générations. Les réminiscences d’antan ne peuvent nous empêcher de proposer un projet de société nouveau et audacieux. En somme, il ne faut pas que la vieillesse de notre société entraîne celle de ses idées et de sa vision. C’est plutôt à la sagesse de l’âge que l’on doit faire appel et non à sa rigidité. Le bonheur d’une génération ne peut se construire sur le dos de celle qui la suit. Voilà bien un principe sur lequel peut reposer notre entente collective. Bref, il ne faut pas être plus préoccupés par ce qui nous divise ou peut nous diviser, que par les opportunités qui se présentent à nous. Une nouvelle ère s’offre à nous : les sociétés les plus aptes à s’adapter aux changements liés à l’immigration ainsi qu’à la détérioration de l’environnement seront les plus épanouies. Pour y parvenir, il importe de créer un équilibre entre le poids politique de toutes les générations et de développer le dialogue entre elles afin de mettre de l’avant les meilleures idées, une véritable vision. Une fois cela fait, nous aurons la capacité de penser autrement notre écologie, notre économie et notre politique. Vieillissement? Vivement le changement.
Mélanie Joly
GEDI
« Il ne faut pas que la
vieillesse de notre société entraîne celle de ses idées et de sa vision »
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Éditoriaux //
KRACH DÉMOGRAPHIQUE:
et vous? Au moment d’écrire ces lignes, Barack Obama est à quelques jours de prononcer un discours inaugural qui sera sans doute historique. Le 20 janvier 2009, M. Obama deviendra le 44e président des États-Unis à un moment où ce pays fait face à de nombreuses difficultés. C’est dans des circonstances différentes, mais tout aussi troubles, qu’un autre jeune président prononçait il y a 48 ans son discours inaugural. Dans ce discours, John F. Kennedy parlait alors de la transition générationnelle qui s’opérait aux États-Unis et appelait à la population pour y faire face. Après avoir étalé les défis qui attendaient le peuple américain, le jeune président s’adressa à ses concitoyens en leur disant que le succès des projets de leur génération dépendait principalement de leurs actions et non des siennes : « In your hands, my fellow citizens, more than in mine, will rest the final success or failure of our course ». En prononçant ces paroles, Kennedy ne niait pas sa capacité d’agir, ni le pouvoir qui était à sa disposition; il reconnaissait simplement que son apport se limitait à mettre des structures en place, alors que le vrai travail, les vrais sacrifices, devaient être effectués par tous les citoyens. Kennedy posait également la question suivante : « … ask not what your country can do for you—ask what you can do for your country ». C’est la phrase la plus célèbre de son discours, peut-être de toute sa vie, celle qui l’a défini dans l’imaginaire d’une génération. On a souvent cité cette phrase, mais on l’a peu appliquée. Kennedy voulait responsabiliser ses concitoyens. Il savait que dans une collectivité qui doit surmonter des obstacles, on rencontre souvent des problèmes quand les membres se perçoivent d’abord comme des bénéficiaires et non des contributeurs. C’était la clé de son message. Encore aujourd’hui, il est difficile de faire valoir que la responsabilité de surmonter les défis auxquels fait face un État ne réside pas seulement sur les épaules des élus mais aussi sur celles des citoyens. Voilà pourquoi nous devons nous poser les bonnes questions, afin d’espérer obtenir les bonnes réponses. Au Québec, les manchettes défilent quotidiennement des demandes qui sont faites aux gouvernements. Que ce soit le financement d’une salle de spectacle, l’ouverture de places en garderie, l’état des routes ou les algues bleues, nous avons toujours le réflexe de nous retourner vers les élus et de dire : « Merde! Qu’attendez-vous pour faire quelque chose? » Et si le gouvernement nous répondait la même chose : « Et vous, qu’attendez-vous pour contribuer? » Bien plus que du leadership nécessaire pour prendre les décisions structurelles, c’est de la responsabilisation et de l’action individuelle dont nous avons véritablement besoin. C’est la mise en commun des efforts individuels qui rend possible les grandes réalisations. C’est cette implication citoyenne, cette idée que l’on travaille pour quelque chose de plus grand que soi-même, qui nous permet de faire face à nos problèmes collectifs. C’est justement cet apport individuel citoyen qui est à la base même de la démocratie. Ce numéro de Génération d’idées traite principalement de ce que nous appelons le « krach démographique ». Comme plusieurs auteurs l’ont habilement fait valoir dans ces pages, les défis liés au vieillissement de la population nous guettent et nous forceront à prendre des décisions collectives difficiles. Bien entendu, ces décisions collectives passent d’abord par un engagement individuel. Par exemple, si chaque quinquagénaire choisissait de travailler un peu plus longtemps, au lieu de s’accrocher à la « Liberté 55 »; si chaque trentenaire acceptait d’accueillir un parent aîné chez lui au lieu de remplir les complexes pour personnes âgées, l’impact du krach démographique sur la collectivité en serait d’autant diminué. Voilà deux exemples simplistes, mais qui sont néanmoins des réponses à la bonne question : « De mon côté, comment puis-je faire ma part? » Afin de trouver des solutions, il est impératif que l’on se pose les bonnes questions. Si nous commençons tous par évaluer comment nous pouvons individuellement pallier au déficit démographique, si nous avons le courage de prendre des décisions non pas dans notre intérêt immédiat, mais dans l’intérêt collectif, nous serons en mesure de résoudre le krach démographique qui nous guette.
KRACH DÉMOGRAPHIQUE:
l’autre partie de l’équation Le vieillissement de la population fait peur du point de vue économique. Le phénomène de la pyramide démographique inversée que l’on observera au Québec au cours des prochaines années a déjà entraîné une grave récession au Japon au début des années 2000. Or, de toute l’Amérique du Nord, c’est au Québec que l’on retrouve l’un des trous démographiques les plus importants. Les économistes s’entendent pour dire sur ce point que ni l’immigration, ni des politiques de natalité améliorées ne permettront d’éviter l’iceberg. La question du vieillissement est le plus souvent posée en termes de coûts. Comme le soulignait le rapport Castonguay, les dépenses publiques en santé augmentent plus rapidement que notre richesse, cet état de fait risquant de nous placer devant des choix difficiles. Où va-t-on couper et qui va écoper? Ces questions sont particulièrement inquiétantes d’un point de vue démocratique puisqu’il s’agit d’un sujet impopulaire sur le plan politique : il n’est dans l’intérêt d’aucun des partis politiques de discuter ouvertement de qui écopera de l’incapacité budgétaire de l’État devant des coûts dont la croissance dépasse largement nos moyens. Outre les coûts, l’équation comporte une autre partie que l’on ne peut se permettre de négliger: les revenus. En effet, le vieillissement de la population implique le déclin du nombre de travailleurs et une baisse de notre productivité, ce qui signifie moins d’impôts et moins d’argent dans les caisses de l’État. Face à ce défi de taille, la solution la plus équitable socialement réside assurément du côté « revenu » de l’équation. La participation de nos aînés à la société est fort probablement notre planche de salut comme collectivité. Le concept de « Liberté 55 » doit faire place à un partenariat entre générations où chacune participe au maintien de notre économie et de nos finances publiques. Cette participation ne peut pas se faire systématiquement sous forme de « double dipping », par exemple dans le cadre d’une mise à la retraite hâtive combinée à un nouveau salaire à titre de consultant. Une telle pratique est non seulement inéquitable pour les travailleurs des autres générations mais également intenable sur le plan financier. Si la retraite demeure toujours une finalité pour plusieurs, il nous faut donc revoir nos politiques sur le moment et la manière de la prendre. Or, d’un point de vue strictement humain, une telle participation est encore ce qui fait le plus de sens du point de vue de l’intégration de nos aînés à notre société. Le travail, tant rémunéré que bénévole, même lorsqu’il est effectué au rythme de chacun, comporte des opportunités en or de transfert de connaissances et de mentorat. À ce titre, il faut revoir les mentalités de plusieurs employeurs qui, encore en 2009, refusent de voir un candidat en entrevue parce qu’à 60 ans, il est trop vieux et « fini » (je parle de cas vécus). Les choix difficiles en matière sociale et en santé que l’on annonce depuis plusieurs années posent sans aucun doute de grands défis, mais ces choix seront sûrement moins difficiles si nous nous donnons des moyens et des ressources financières à la hauteur de ces défis. L’implication de chaque génération est une condition essentielle de cette équation.
Paul St-Pierre Plamondon Et vous, qu’allez-vous faire?
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Nicholas Cerminaro
GEDI
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Les possibilités d’un Obama Canadien (ou Québécois)
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Difficile d’oublier la date du 4 novembre 2008, jour de l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis. Difficile d’effacer ces images de joie planétaire. Difficile de ne pas être frappé par un frisson d’émotion. Difficile de ne pas essuyer une larme. Facile il y a quelques mois de condamner l’Amérique, de mettre tous les maux du monde sur le dos de ce pays. Difficile aujourd’hui, du moins pour l’instant, de soutenir ce discours antiaméricain. Une élection a suffi pour réconcilier l’Amérique et le reste du monde. Et cela grâce à Barack Obama et au système politique américain. Alors, les possibilités qu’un Obama canadien ou québécois émerge existent-elles ici? La première possibilité, c’est de le dénicher. Il existe quelque part dans ce vaste pays. Et même s’il n’est pas encore né, couples canadiens, à vos lits. Il en sortira un, un jour. Enfin, peut-être... Peu importe sa race, sa provenance, ses origines. En ces temps où tous les sondages d’opinion montrent une fatigue politique générale. Au moment où les citoyens, pour remédier à cette fatigue, installent des gouvernements minoritaires, nos politiciens, eux, n’ont rien compris. Ils multiplient les élections, les promesses, les chicanes partisanes, etc. Ils ont même réussi l’exploit de fabriquer, en période de crise économique, une crise politique à Ottawa. Conséquence : l’électorat a décroché, surtout après avoir suivi avec passion les élections américaines. L’« Obamania » a frappé tout le monde. Canadiens et Québécois veulent croire en leur Obama, ici. Ils rêvent de le voir faire ses premiers pas. Ils attendent qu’il les fasse rêver. Qu’il leur parle d’espoir. Qu’il leur dise que les temps sont difficiles, mais qu’il ne faut pas désespérer. La seconde possibilité réside dans la capacité de nos partis politiques à faire la place aux jeunes. À leur ouverture, à la sophistication de leurs systèmes de cooptation, à leurs aptitudes à insuffler du sang neuf. Mais nos partis sont des machines lourdes et labyrinthiques peu disposés à le faire. Peu enclins à propulser vite et bien une nouvelle tête. Pour le reste, ce Obama canadien doit compter sur lui-même. Il doit avoir du charisme pour inspirer les autres. De la compassion pour émouvoir le public. De la sincérité lorsqu’il parle des problèmes qui accablent les gens ordinaires. Comme Obama, il doit être citoyen du monde pour comprendre les enjeux mondiaux. Il doit avoir du vécu pour mieux saisir, par exemple, la nocivité du racisme, les difficultés des familles monoparentales, etc. Il doit être le symbole d’un temps nouveau. Un pont entre les générations.
La troisième possibilité est dans notre histoire politique. Plusieurs affirment qu’on n’a pas la même histoire ici. Qu’il ne faut pas comparer les États-Unis, le Canada et le Québec. Que l’histoire constitutionnelle américaine, comme l’a écrit Joseph Facal dans sa chronique du 12 novembre 2008 dans Le Journal de Montréal, exalte « la vie, la liberté et la poursuite du bonheur ». Alors que celle du Canada, toujours selon Facal, est un arrangement historique qui valorise « la paix, l’ordre et le bon gouvernement ». Quant à celle du Québec, c’est selon lui une succession d’échecs. Donc, la trame historique d’un peuple définit son existence. C’est en partie vrai. Mais l’Histoire a ses caprices. Le rêve américain est une idée simple : l’opportunité de se réaliser et l’espoir de sentir que c’est possible. Cela a moins à voir avec les guerres coloniales, les déchirures constitutionnelles, mais plus avec l’évolution des sociétés, de leur mentalité et de leur capacité à accepter la différence. Être différent (en apparence) de la majorité et avoir l’intelligence, comme Obama, de s’approprier l’histoire de son pays. Il n’y a pas longtemps, la perspective d’un président américain noir était du domaine de l’impossible. Aujourd’hui, c’est une réalité. Notre Obama canadien ou québécois, s’il se révèle un jour doit, lui aussi, s’approprier l’histoire de son pays, douce, romancée, douloureuse ou fantasmée. Le Canada et le Québec, malgré leurs imperfections, comme partout ailleurs, sont des terres d’accueil et d’ouverture. Le cas Obama est possible et souhaitable. Enfin, toutes ces possibilités ne sont réalisables que si les jeunes décident de s’impliquer en politique. D’avoir le désir de changer leur pays et le monde. D’essayer de secouer les convenances et les conformismes. Les jeunes Américains l’ont prouvé. Peu importe nos allégeances politiques, lorsqu’on entend un Amir Kadir, co-porte-parole de Québec solidaire, solide dans son argumentaire pour convaincre les électeurs, on se dit : yes we can. Les possibilités existent. Le déclic, on l’attend. Bello Bakary
« ... toutes ces possibilités ne sont réalisables que si les jeunes décident de s’impliquer en politique » Artiste : Jacinthe Robillard © Titre : Chaises Berçantes Série : Intérieurs Monochromes Année : 2006 Impression Chromogène www.jacintherobillard.com
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Cessons nos luttes fratricides! Depuis les dernières élections fédérales, des voix s’élèvent pour déplorer le fait que les choix électoraux des Québécois résultent en une diminution historique du poids politique du Québec au sein du Canada. Ainsi, la décision renouvelée de nombreux Québécois de donner leur voix au Bloc Québécois constituerait une abdication de leur influence politique. Pire, un refus délibéré de participer à la vie politique canadienne. Outre le fait que cette analyse sonne faux en sous-tendant une réprobation du choix démocratique des Québécois, elle est réductrice en passant sous silence les motifs qui pourraient expliquer cette position. Plus fondamentalement, cette analyse semble viciée en identifiant un événement récent comme la cause d’une marginalisation du Québec, alors que cet événement constitue plutôt la manifestation d’une marginalisation amorcée bien avant ces élections. Certains voudront attribuer le début de cette marginalisation à l’émergence du mouvement nationaliste, à l’élection du PQ, au rapatriement de la constitution, à l’échec de l’Accord du Lac Meech, aux hésitations du PLQ face à son aile nationaliste ou aux référendums sur la souveraineté. Cette liste d’événements nous renvoie invariablement à notre « débat national ». Ainsi, souverainistes ou fédéralistes choisiront les événements attribuables à l’autre camp pour lui imputer l’exclusivité du blâme. Ainsi faut-il lire les commentaires traitant de l’érosion du « French power » à Ottawa à la suite des dernières élections fédérales. Ainsi va la ritournelle sur laquelle le Québec danse depuis trop longtemps. Souverainistes et fédéralistes ont oublié que leurs options ne constituent pas des fins en soi, mais bien des moyens différents de poursuivre le même objectif, à savoir l’épanouissement du Québec. Au fil des batailles, les partisans de part et d’autre ont développé leur credo et ont institutionnalisé leur option jusqu’à l’ériger au rang de principe quasi sacré, désincarné de son origine. Du fait d’une croyance aveugle que le bien commun entretient une relation d’identité avec l’option, cette dernière est ainsi devenue l’objectif et non plus le moyen. L’option constitue désormais l’a priori de toute analyse, chaque enjeu étant abordé sous l’angle le plus susceptible de favoriser l’option, sans égard au bien commun. Pendant ce temps, perdant d’un seul coup tous ses adeptes, plongé contre son gré au cœur d’une lutte fratricide, le bien commun souffre des tirs croisés « amis ». Cette guerre incessante des a priori constitue la véritable source de l’affaiblissement politique du Québec. Loin de nous l’idée de contester la sincérité des acteurs de cette lutte ou son importance. La question du statut politique du Québec devra sans doute être réglée tôt ou tard, autrement que par l’inconfortable statu quo actuel. Ce qui nous apparaît toutefois néfaste est le fait que ce débat en soit venu à pervertir tous les autres, s’infiltrant dans chaque enjeu au profit d’une partisannerie sans fin qui consume de multiples opportunités de faire progresser le Québec. Pourquoi ne pas profiter de l’accalmie actuelle sur ce débat pour sortir des tranchées et aborder les enjeux un à un, hors des ornières des options souverainiste et fédéraliste, en vue de définir un nouveau projet collectif qui permettrait aux Québécois de s’affirmer et d’affronter l’avenir avec une confiance renouvelée?
Ce projet implique nécessairement la création d’une solidarité nouvelle sur la base d’un axe différent des options évoquées ci-haut. Le germe de cette solidarité existe, latent, dans la puissante flamme de vouloir-être collectif que les Québécois ont hérité de leur histoire et cherchent à perpétuer. Il s’agit de l’âme québécoise même, laquelle fait des Québécois, selon la définition du philosophe français Ernest Renan, une nation à part entière. Cette âme québécoise ne demande qu’à être affranchie de l’influence pernicieuse du soi-disant «débat national» qui, ironiquement, a rendu suspectes même les manifestations les plus nobles de cette âme québécoise. Pour rejaillir des braises laissées par ce «débat national», cette flamme requiert non seulement un changement d’analyse de la part des protagonistes de la sphère politique québécoise, mais aussi un leadership politique qui fait cruellement défaut. Nous en appelons donc à un nouveau projet collectif québécois qui prendrait assise sur le vecteur historique des convergences québécoises, à savoir la conscience nationale dans sa version moderne et décloisonnée. Replaçons la nation au cœur de l’action politique québécoise en vue de réparer les blessures infligées par le «débat national» et de lui permettre de s’affirmer et de se déployer avec confiance dans l’avenir. Il faudra toutefois se méfier des artifices partisans de certains politiciens qui, flairant leur intérêt, pourraient vouloir détourner cette initiative de ses véritables objectifs. Au «débat national», substituons un véritable «dialogue national» ouvertement centré sur les intérêts et les aspirations de notre nation. Suivons l’appel de l’un de nos chefs politiques historiques, Honoré Mercier : cessons nos luttes fratricides et unissons-nous! Alain Ricard
« Souverainistes et
fédéralistes ont oublié que leurs options ne constituent pas des fins en soi, mais bien des moyens différents de poursuivre le même objectif, à savoir l’épanouissement du Québec » 20
// Commentaire La réflexion d’Alain Ricard sur le sens à donner aux choix électoraux des Québécois au cours de l’automne 2008 vaut la peine d’être approfondie.
Les propositions d’Alain Ricard s’inscrivent dans la vision de Génération d’idées, qui veut construire un projet de société adapté aux défis que le Québec devra relever.
L’auteur soutient que les options des partis politiques en présence au moment des élections constituent essentiellement des moyens différents proposés à la population pour atteindre un même objectif : l’épanouissement de la nation québécoise. Il est évidemment normal que les partis proposent des chemins différents pour y parvenir; toutefois, l’option politique elle-même, qu’elle soit fédéraliste ou souverainiste, ne devrait pas occulter l’intérêt national.
Je souhaite qu’Alain Ricard développe davantage son idée sur l’instauration d’un « dialogue national » centré sur les aspirations de la nation québécoise. Sa pensée est claire et la qualité de son écriture lui permet de l’exprimer avec justesse.
Conrad Ouellon L’auteur est président du Conseil supérieur de la langue française.
Pour Alain Ricard, l’opposition systématique des a priori, où l’analyse de chaque enjeu est envisagée sous l’angle le plus favorable à l’option d’un parti, est la véritable source de l’affaiblissement politique du Québec. Ce que suggère et souhaite l’auteur, c’est qu’on aborde les enjeux nationaux, un à un, dans la perspective de la mise au point d’un « nouveau projet collectif qui permettrait aux Québécois de s’affirmer et d’affronter l’avenir avec une confiance renouvelée ». Ce projet s’appuierait sur « le vecteur historique des convergences québécoises, à savoir la conscience nationale dans sa version moderne et décloisonnée ».
Artiste : Katia Gosselin © Titre : Ce que l’on trouve au fond de la mer Année : 2007 Collage, 4x6" http://katiagosselin.blogspot.com
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Le social et le capital, Le remaniement récent du décor politique québécois laisse entrevoir l’émergence d’une dualité renouvelée opposant ///// les groupuscules situés aux deux extrémités du spectre politique (c’est-à-dire la gauche socialiste incarnée par Québec solidaire et la droite économique représentée notamment par l’Institut économique de Montréal). Cette opposition où l’on retrouve les forces du « bien » (le social et l’environnemental) et les forces du « mal » (le capital et le marché) ne date évidemment pas d'hier, mais il semble que ce fossé idéologique traditionnel se creuse progressivement au Québec.
Un examen de conscience collectif est donc incontournable si l'on souhaite véritablement se préparer pour les enjeux critiques qui nous guettent si le statu quo actuel n'est pas renversé. Un échange sérieux entre les différents groupuscules doit être entamé afin de déterminer quels échanges seront profitables pour ces intérêts divergents en apparence. Quelques exemples :
: : Augmenter les tarifs d’électricité pour réduire la surconsommation D’une part, il y a les fervents du « capital » qui sont prêts à vendre corps et âme en échange de quelques points de rendement supplémentaires, même si cela se fait au détriment de l'environnement ou des moins biens nantis. Selon cette école de pensée, il est préférable de jouer à l’autruche à court terme (afin de protéger les gains actuels) en espérant que le marché sera assez flexible pour absorber les retombées à long terme. Il est alors permis de faire une abstraction quasi totale des enjeux non monétaires (c’est-à-dire les enjeux sociaux). Cette confiance aveugle dans un système que l’on pousse à pleine vapeur est tout à fait illogique. D’autre part, on retrouve les défenseurs du social et de l’environnemental qui prônent le partage de la richesse, le développement durable et la solidarité sociale. On ne peut évidemment pas s’opposer à la vertu. Par contre, dans un monde où tous ces souhaits impliquent nécessairement des fonds publics, il faut évidemment avoir les moyens de ses ambitions. C’est justement ces moyens que le « capitalisme » offre à la société québécoise. Effectivement, c'est ce même « capital » qui nous offre un niveau de vie sans précédent dans l’histoire de l’humanité et qui nous permet d’investir comme jamais dans le développement et la protection de la dimension sociale. Cette fixation quasi maladive sur la création de la richesse n'est donc pas nécessairement contre-productive si elle est gérée lucidement dans une perspective de développement durable.
«Un échange sérieux
entre les différents groupuscules doit être entamé afin de déterminer quels échanges seront profitables pour ces intérêts divergents en apparence»
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d’énergie (enjeu environnemental) et pour engendrer des revenus supplémentaires afin de réduire le fardeau de la dette (enjeu économique – alléger le service de la dette qui est de 7,6 milliards de dollars annuellement); Permettre l'insertion raisonnable du privé dans le domaine public (pour les services complémentaires) afin de concentrer les ressources disponibles sur le développement des services essentiels (enjeu social – améliorer la qualité des services); Ajuster les frais de scolarité selon l’inflation pour assurer la pérennité de l’enseignement (enjeu social) et pour améliorer la représentativité des coûts (enjeu économique – principe d’utilisateur/payeur); Alléger les structures gouvernementales pour dégager des revenus qui permettront, entre autres, d'entretenir nos infrastructures en pleine décrépitude.
Il s’agit de mesures simples et concrètes qui sont évidemment discutables et facilement contestables selon les paradigmes largement répandus (qu’ils soient de droite ou de gauche). Par contre, avec un minimum d’ouverture d’esprit, on réalise rapidement que l’on ne peut pas toujours avoir le beurre et l’argent du beurre. On en revient toujours à l’idée qu’une petite pizza partagée équitablement est toujours moins intéressante qu’une grande pizza où les plus petits morceaux demeurent nettement plus gros. Dans cette perspective, ces actions, qui peuvent être interprétées comme des reculs sociaux de prime abord, permettront, à terme, de dégager une marge de manœuvre qui donnera une plus grande latitude et une plus grande capacité d’intervention dans les domaines critiques pour le développement durable de notre société. Étienne Langdeau
Artiste : Félix Ménard © Extrait de la série “Gravures” Année : 2008 Impression jet d’encre, 8x11" www.felixmenard.com
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une conciliation inimaginable? // Commentaire
Il faut reconnaître que le secteur privé se développera s'il y a des profits dans les entreprises. Ceux-ci doivent être, en bonne partie, réinvestis pour améliorer notre situation concurrentielle en regard de la productivité vis-à-vis nos compétiteurs étrangers.
Le marché effréné que nos milieux financiers ont sanctionné depuis des années n'a pas laissé de place au simple citoyen qui avait confié, directement dans un REER ou indirectement dans un fonds de pension d'entreprise, ses économies en vue de sa retraite.
Enfin, l'État doit-il donner le service au public ou le déléguer au secteur privé? Le service doit surtout être de qualité, à bon prix, et le jeu de la concurrence est le meilleur garant pour en être assuré. Lorsqu'il incombe au secteur privé, il faut un contrôle rigoureux de l'État, sinon le citoyen se sent floué et en fait les frais.
Soudainement, nos gestionnaires de fonds ont disposé de milliards de dollars de nos économies collectives, sans grande planification des objectifs dont une société développée devrait se doter pour assurer sa croissance et le bien-être de ses citoyens. On a alors vu une minorité s'enrichir de façon démesurée, sans vraiment rendre de comptes aux millions d'actionnaires (salariés) sur l'usage des épargnes qu'ils leur avaient confiées.
Présentement, ce qui est important pour notre avenir collectif, ce n'est pas tellement qui sera responsable de la mise en place des instruments de développement ou des services à la population, c'est plutôt lesquels sont prioritaires et avec quels moyens on va les réaliser.
Face à l'échec de notre système, il faut certes le repenser et surtout planifier un meilleur usage ou un partage plus équitable. Qui d'autre que l'État - que ceux que l'on appelle les socialistes privilégient, tandis que ceux que l'on nomme les capitalistes démonisent - peut créer un ensemble de politiques et de règles qui assureront notre avenir collectif ? D'abord, il faut discipliner notre secteur financier et adopter des règles claires qui reposeront sur la transparence, l'éthique et la pertinence.
À ce moment-ci, le secteur le plus stratégique est celui qui créera des emplois pour les années à venir. C'est celui de la modernisation de nos infrastructures dans tous les domaines : municipal, provincial et fédéral, incluant le secteur touristique qui est porteur d'avenir. Avec quels fonds allons-nous les réaliser? En utilisant les milliards de nos fonds de pension privés et publics, plutôt que de les exporter en Asie, en Europe, en Amérique du Sud, etc. Une formule qui garantirait un rendement raisonnable pour les fonds, basée sur le taux d'inflation et qui tiendrait compte de la moyenne de la croissance générale de notre économie. Cette formule pourrait s'intituler : Charité bien ordonnée commence par soi-même!
Céline Hervieux-Payette L’auteur est Sénatrice du Parti Libéral du Canada.
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Mise en forme perceptuelle
La mise en forme perceptuelle est un échange entre une œuvre d’art, le regard d’un spectateur et l’artiste. Cette gymnastique de la perception vise à créer un dialogue entre l’interprétation d’une œuvre par un spectateur et la vision de l’artiste qui répond au commentaire. Cet exercice stimule la discussion entre l’art et la population en général, néophyte ou connaisseur. À vos réflexions : qu’est ce que l’œuvre vous inspire?
// Commentaire
// Réponse de l’artiste
En posant les yeux sur elle la première fois, je me demande : est-il trop tard? Fait-elle déjà partie des belles âmes qui ont parcouru ce monde? Ou ai-je encore la chance d’apprendre d’elle un ou deux secrets sur la douceur et la sagesse? Sur cette sérénité qui fait en sorte que même si près de la fin, aucune peur n’envahit ses traits. Au contraire, je perçois une confiance tranquille, celle qui se dégage de la personne en paix avec elle-même, en harmonie avec son vécu.
Les portraits de ma mère, une série de 15 dessins, furent exposés à Toronto, en 2004, en duo avec le photographe canadien Evergon. Evergon expose les très grandes photos noir et blanc de sa mère. Elle a 80 ans, elle s’appuie sur des béquilles, la chair est nue et lourde, notre regard ne peut se détourner. Les dessins de ma mère, eux, sont tout à fait à l’opposé; intimes, discrets, ce sont de petits bustes de quatre à cinq pouces au centre de larges feuilles noires, d’où les corps semblent émerger ou s’engouffrer.
Mais en la regardant encore, je me demande si elle se sent seule. Personne n’entend la pensée à laquelle elle songe. Son corps, frêle et dévêtu, s’assoupit. Est-ce qu’il a eu mal? Sa fragilité touche tant les cordes sensibles.
Je décide de la dessiner pour me rapprocher d’elle avant que la maladie s’installe. Et aussi, pour affronter ma propre vieillesse et ma peur de la mort. Je lui ressemble – ces dessins sont presque des autoportraits – je dessine ma mère et je me dessine du même coup de main. Cette expérience est troublante. Elle accepte son propre vieillissement avec une sérénité que j’envie. On se parle très peu lors de cet échange – je la regarde et la dessine – elle est assise et est pensive. Je la sens tour à tour forte, vulnérable et sensible. Je la connais si peu.
Le portrait me conduit ensuite vers l'univers de l’esprit. Il me parle des inévitables contraires : la naissance et la mort, le bonheur et la souffrance, le tangible et l’intangible, et aussi du mystère de la conscience et de l’inconscient. Se pourrait-il qu’elle nous ait déjà quittés d’une autre façon, vers son propre domaine mental? Plus je la regarde, plus on dirait un fantôme, un souvenir, mais aussi un buste, une statue à l’effigie de la femme qu’elle est et restera. Je voudrais la retenir pour découvrir la vérité, légère et transparente, mais aussi certainement qu’en un souffle, la poussière et les cendres se perdent dans l’atmosphère, elle va disparaître. Une mère, la figure centrale, la lumière dans l’obscurité, s’effacera du tableau. Que laissera-t-elle derrière? Malgré tout, une empreinte éternelle.
Elle n’a jamais demandé à voir les dessins après avoir posé. Elle ne commente pas et j’apprécie ce silence tacite. Je suis émue par cette femme, ma mère, qui s’approche tranquillement de la mort, avec ses joies, ses douleurs et ses pertes. Serai-je aussi forte qu’elle à son âge, aurai-je des regrets? Cette série de portraits lui est dédiée. Elle est toujours vivante. Elle a 73 ans. Sophie Jodoin Artiste
Ranya Nasri Elle travaille à l’administration, au conseil légal et aux ressources humaines chez Nasri International.
Artiste : Sophie Jodoin © Titre : Portrait de ma mère #12 Année : 2004 Acrylique, pastel et fusain sur papier Stonehenge noir, 30 x 22" www.sophiejodoin.com
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