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FONDATION MARTIN BODMER ENTRE ESPOIR ET DOULEUR

Entre espoir et douleur

par Charlie Godin Martin Bodmer La mort d’un enfant est un drame sur lequel il est difficile de mettre des mots. La langue elle-même trouve ses limites. On parle d’orphelins, de veufs ou de veuves, mais il n’existe pas d’équivalent pour désigner la condition d’un père ou d’une mère ayant perdu son descendant. Face à la souffrance éprouvée, l’écrit et le langage apparaissent néanmoins comme un remède, voire une catharsis.

Tiré de faits réels et adapté du film éponyme, Voyage vers l’espoir retrace le parcours d’une famille quittant la Turquie pour émigrer clandestinement en Suisse. Cherchant des conditions de vie meilleures, Haydar et Meryem prennent avec eux l’un de leurs enfants, Mehmet Ali, avec l’intention de sortir de leur grande pauvreté. Pour entamer ce périple, le couple vend tous ses biens et prend la route. Les trois personnages arrivent non sans difficulté en Italie, avant de conclure un marché avec un passeur. C’est de nuit qu’ils franchissent la montagne et espèrent traverser la frontière suisse. La neige, la fatigue et le froid viennent pourtant mettre un terme à leur rêve, en prenant la vie du jeune enfant. Avec la mort du fils, tout espoir se trouve anéanti, la quête vide de sens. Haydar le résume ainsi : « Ce que je cherchais ? Le paradis. Ce que j’ai trouvé ? L’enfer sur la terre. »

Ce sentiment d’avoir tout perdu face au décès brutal de l’enfant, qui peut inciter à laisser une trace de sa souffrance, entre en résonance avec l’héritage du romantisme européen. Plusieurs célèbres textes se sont en effet imposés comme de poignants témoignages de l’amour parental, et comme de vibrantes déclarations aux êtres chers, partis alors qu’ils n’avaient pas atteint l’âge adulte. C’est par exemple le cas de deux poèmes, écrits dans le deuxième quart du XIX e siècle, par Alphonse de Lamartine et Victor Hugo.

Dans son ouvrage Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient (1832- 1833), ou Notes d’un voyageur, Lamartine rend compte du désespoir dans lequel la disparition soudaine de sa fille l’immerge. Alors qu’il visite la Terre sainte et ses environs tel un pèlerin fasciné par un ailleurs mythique, il perd brutalement Julia, victime de tuberculose. Le livre, dans lequel quelques poèmes en vers viennent rythmer le récit en prose, laisse une place émouvante à ce drame, et notamment avec « Gethsémani ou la mort de Julia ». Pour le poète désormais, « Toute [son] âme est un tombeau ». Dans la préface des Contemplations (1856), Victor Hugo indique quant à lui qu’il s’agit du « livre d’un mort », et les « Mémoires d’une âme ». L’accident mortel de Léopoldine vient scinder en deux le recueil, marquant un avant et un après, un passé et un présent. Le poème « Demain, dès l’aube… » révèle le chagrin du père meurtri, pour qui « le jour [….] sera comme la nuit ».

Pour Lamartine comme Hugo, le drame familial apparaît comme une fissure dans leur existence, il fait naître une forme d’agonie du père qui les plonge dans une insondable tristesse autant qu’elle motive une parole poétique à la fois très personnelle et universelle.

Victor Hugo Les Contemplations 1856, Paris, édition originale. Photo: © FMB/Naomi Wenger

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