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LE PRINCIPE DU VOYAGE
Un essai par Christian Jost Compositeur Voyage vers l’espoir
L’état du voyage, d’une odyssée, ou d’un parcours détermine un fil rouge qui traverse toute mon œuvre jusqu’à présent, tant dans les œuvres concertantes symphoniques que dans les œuvres scéniques complètes. Il y a la pièce de concert Odyssée surréale pour 23 cordes solo (1994), dans laquelle un astronaute contemple une valse qui se tait peu à peu, l’opéra choral Angst - 5 Stationen einer Reise in das innere der Angst (2006), qui prend comme point de départ le drame montagnard de deux alpinistes et pose la question de la nature de la peur, le CocoonSymphonie - 5 Stationen einer Reise in das Innere (2003), comme un condensé purement symphonique d’un voyage destructeur à l’intérieur de soi-même, Odyssey für Klarinette und Orchester - Heart of Darkness (2007) en référence au roman du même nom de Joseph Conrad et ShanghaiOdyssey - für großes traditionelles chinesisches Orchester (2017) comme une traduction musicale de la mégaurbanité de Shanghai.
Avec mon opéra Voyage vers l’espoir - Journey of Hope, je suis ce principe à un double niveau, aussi bien dans le sens de l’histoire à raconter que dans son exaltation musico-symphonique. Au film original de Xavier Koller, un road movie oscarisé du début des années 1990, et à l’étape intermédiaire –une version adaptée du film comme texte de mon travail – je juxtapose la musique et cette transformation résulte en un opéra qui pose ainsi en regard du film une véritable œuvre originale. Une œuvre à part
42 entière qui, comme le film, s’engage sur un thème qui est non seulement captivant par son actualité – ce qui est assez rare dans le monde de l’opéra - mais aussi par la signification de sa tragédie humaine sans cesse répétée, qui doit être racontée encore et encore ; un drame récurrent de réfugiés comme acte d’une catastrophe humanitaire complexe.
Une famille d’Anatolie, le mari Haydar, sa femme Meryem et leur enfant Ali fuient vers la Suisse via l’Italie. Ce faisant, ils perdent non seulement toutes leurs modestes économies, mais ils perdent tout, leur patrie, leur confiance mutuelle, leur amour, leur enfant, leur vie.
J’ai juxtaposé le modèle filmique très réel, le plus réel de mes dix opéras à ce jour, avec une grande structure musicale symphonique formelle en trois actes. Chaque acte forme un point focal instrumental qui joue un rôle de premier plan, structure symphoniquement et dirige les événements sur scène et dans l’orchestre.
Ainsi, le premier acte est dominé par un violon concertant. Très virtuose, il illumine les intérieurs des protagonistes, et ici en particulier le for intérieur de Haydar. Souvent, le violon solo perce à travers le son de l’orchestre, entre en compétition soliste avec l’orchestre environnant et symbolise ainsi les luttes intérieures de Haydar sur la voie d’un avenir prétendument meilleur.
Je conçois le deuxième acte comme un symbole de mouvement et de progrès constants, avec un ensemble de percussions compact de quatre interprètes. L’ensemble de l’acte est coulé dans un corset rythmique assez strict, où même la pluie incessante et la circulation rapide sur la scène sont soumises à un mètre serré. Des îlots de calme forment l’apparition, telle une ombre musicale, de la Médecin et du duo intime de Meryem et Haydar dans une structure rythmique par ailleurs compacte, dans laquelle toutes les séquences d’action sont musicalement entrelacées.
Deux trompettes dominent le troisième et dernier acte, mais moins que le violon dans le premier acte. Le centre du troisième acte est le moment de la perte de l’enfant au milieu d’un paysage de montagne enneigé, que j’ai créé et composé comme un flottement tendu, un glissement. Une vision qui se dissout dans le temps et l’espace, dans laquelle l’orchestre s’éloigne de plus en plus des structures métriques. Les harmonies orchestrales dérivent en grappes désintégrées et le son de l’orchestre entier se matérialise presque, pour se retrouver à l’unisson sur un La, la vibration fondamentale de tout orchestre. Par cette rigueur symphonique, l’histoire tragique du road movie acquiert une tension orchestrale générale qui suit les événements réels sur scène et qui donne à l’œuvre sa véritable dynamique et le battement de cœur qui la fait vivre. Mon idée de terminer l’opéra par une question et non par l’aveu péremptoire de la culpabilité de Haydar suit mon principe de composition qui consiste à transposer les moments essentiels de l’intrigue en des passages instrumentaux orchestraux et à transformer ainsi les développements de l’intrigue en transcendance musicale.
Ma musique suit l’idée sonique d’une improvisation structurelle, qui se développe à partir de cellules germinales musicales de manière processuelle. Ainsi naît une structure organique, un courant de conscience à partir duquel, à l’instar d’un voyage, un élément aboutit à l’autre et entraîne ainsi des condensations et des tensions atmosphériques qui subdivisent et font progresser la dramaturgie de l’ensemble.
Les dialogues respectifs sont entrelacés par des transitions instrumentales sans temps morts. Le flux instrumental n’est interrompu que par la division extérieure de trois actes, bien que ceux-ci s’enchaînent virtuellement à l’attaque. La scène est ainsi intégrée dans le sillage symphonique du stream of consciousness. Le cours de l’action flotte dans un fleuve de texte chanté et de symphonie orchestrale, dans lequel même les trains tonitruants, la pluie, les chiens qui aboient et le trafic autoroutier trouvent un pendant symphonique. Une structure organique, qui dans le jazz est appelée la troisième voie – Modern Creative. Mon travail porte toujours sur le flux organique et la respiration vivante. La transformation de la liberté et du groove du jazz et de la structure stricte de la musique classique ou nouvelle en une forme indépendante.
Civils réfugiés pendant la Deuxième Guerre sino-japonaise, 1937-1945 Photographie noir et blanc © SZ Photo / Scherl / Bridgeman Images
Les protagonistes de mon opéra sont composés de telle manière que les chanteurs rencontrent une âme à laquelle ils veulent et peuvent donner une forme humaine chantable. Je compose des lignes qui mènent directement au cœur du rôle et je donne aux chanteurs un matériau musical qui les emmène en un voyage à la découverte du personnage à interpréter et de sa fluidité atmosphérique. Le récit proprement dit, quelle que soit sa structure, fournit alors les indices et la marge de manœuvre nécessaires pour permettre une intensification dramaturgique et une condensation tonale. Un arc musical peut être tendu qui nous emmène dans les événements à représenter, nous permet d’y participer et ouvre à une sensibilisation à l’empathie, qui est d’une importance existentielle pour toute sublimation artistique et dans le cas de Voyage vers l’espoir en particulier. Pourtant, un opéra n’est pas un texte avec une bande sonore. La musique ne constitue pas non plus un simple sous-texte musical pour les événements qui se déroulent sur scène. La musique d’un opéra en est le cœur et l’âme dans une égale mesure, et c’est ce qu’il faut savoir pour comprendre l’essence même de l’opéra. ORCHESTRE VOYAGE VERS L’ESPOIR
2 flûtes Flûte alto 2 hautbois Cor anglais 2 clarinettes en Si bémol Clarinette basse en Si bémol 2 bassons Contrebasson
4 cors en Fa 2 trompettes 2 trombones
Vibraphone Marimba Cymbales chinoises 6 tom-toms Grosse caisse 2 timbales cubaines 2 woodblocks
Violons I Violons II Altos Violoncelles Contrebasses