Tachycardie estivale
La météo pluvieuse du début d’été était tout en contraste avec la palette des émotions des régatiers suisses. Pour eux, l’été a été chaud! En premier lieu, pour nos athlètes olympiques avec qui nous avons pris l’ascenseur émotionnel. La médaille tant espérée n’a pas été acquise en baie de Marseille, mais nos cinq classes engagées ont ramené cinq diplômes: un véritable exploit. À l’heure d’écrire ces lignes, Alinghi Red Bull Racing est au pied du mur. Pour tenter d’accéder à la demi-finale de la Coupe Louis Vuitton, l’équipe doit aller puiser des ressources au plus profond d’elle-même. D’aucuns pensent que seule la victoire est belle. Chez Skippers, nous sommes fiers du retour de notre pays au sein du concert des grandes nations véliques. Chacun sait que Rome ne s’est pas bâtie en un jour et que la route pour accéder à l’Aiguière sera corsée. À partir du 5 octobre, n’oublions pas de soutenir avec la même ferveur nos féminines engagées en AC40 sur la Women’s America’s Cup! En course au large, des marins suisses avides de challenges nous dévoilent leur ambition de s’aligner au départ de The Ocean Race. Autour d’Alan Roura – dont vous trouverez l’interview dans ce numéro –, Élodie-Jane Mettraux et Simon Koster comptent unir leurs forces pour fédérer une équipe suisse de course au large. Enfin, sur la scène nationale, la fin d’été a été des plus palpitantes. Retrouvez, dans les pages qui suivent, nos reportages sur le championnat du monde de RC44 à Brunnen, les championnats de Suisse de J70 à Spiez et de 6mJI à Genève. Comme toujours, les amoureux de croisières pourront s’évader et mettre le cap sur les trésors de Corse avec Bernadette Salignac que nous accueillons pour la première fois dans nos colonnes. Les inconditionnels de patrimoine pourront, quant à eux, se plonger dans les fabuleuses recherches de l’historien Christophe Vuilleumier qui retrace l’histoire des régates lémaniques du XIX e siècle à nos jours. La pratique de notre sport favori a été inscrite à la liste du patrimoine immatériel de la Suisse l’an passé; nous vous proposons donc de revenir sur son histoire dans ce numéro et le suivant. Si cette édition estivale vous a plu, l’automne devrait prolonger cette actualité bouillante: America’s Cup, suite et fin, trois Suisses sur le Vendée Globe, chasse aux records en Ultim, nominations aux SUI Sailing Awards et départ d’une nouvelle saison sur SailGP. De battre, notre cœur va continuer!
Quentin Mayerat Rédacteur en chef
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Bernadette Salignac
Skippers Cup 2026
L’Ouest Corse, entre porphyre rouge et sable blanc
Toute proche du continent, la Corse coche toutes les cases du navigateur en quête de paysages vierges, d’anses couleur émeraude, de vie sauvage! Pour une première rencontre, il faut mettre le paquet. Le rendez-vous est pris, sur la côte ouest, sublime, variée, incontournable. Des airs chauds gon eront doucement les voiles pour caresser ses méandres de roche, ourlés de sable blanc. Tout au mouillage, ou presque. Coup de foudre garanti. Personne à bord ne saura lui résister et le deuxième rendez-vous s’inscrira vite dans les agendas!
LA CALA DI PALU, ABRI DE RÊVE SUR LA RIVE SUD DU CAPU ROSSU.
Texte et photos ) Bernadette Salignac
Remercions la tectonique des plaques d’avoir permis la formation de la Corse et surtout celle de sa merveilleuse côte ouest, il y a quelques millions d’années. En décrochant la Corse lentement du continent, elle a contraint Bonifacio à faire ses adieux à Cassis, et Porto à regretter son massif de l’Estérel natal. Le peuple corse, comme il aime à s’appeler, a veillé au cours des siècles turbulents de son histoire à toujours prendre soin de Kalliste, la plus belle, comme la nommaient les Grecs. Ainsi, chacun peut aujourd’hui s’émerveiller de ses territoires maritimes et montagneux sublimes, préservés comme rarement en Méditerranée. Oublions les excès de béton à l’espagnole ou la privatisation de la mer à l’italienne par une mafia des parasols.
Un équilibre entre tourisme et écologie n’est pas simple à maintenir mais une grande liberté est encore laissée aux plaisanciers qui peuvent jouir, incrédules, de ce paradis vierge, chatoyant, vibrant de vie et d’odeurs enivrantes. De juin à septembre, les vents et le soleil y invitent à la navigation. Une portion de la côte ouest de la Corse, de 70 milles environ, de Galeria à Figari, o re un large catalogue d’escales remarquables, d’une grande variété. Avis aux amateurs de paysages grandioses, de nature vierge et de dépaysement! Les ports sont peu nombreux mais quelques très bons abris su sent à la sécurité du voilier et de son équipage. Lors de notre passage, les mouillages sont rarement encombrés, voire vides, et l’on s’y sent très privilégié. On y savoure, au crépuscule, les airs tièdes d’une brise de terre parfumée à l’immortelle. Puis, sous des cieux d’un noir profond que l’absence de pollution lumineuse autorise, on se surprend à compter les Perséides entrevues. Le hululement lointain d’un petit-duc, mêlé au clapotis de la mer sur la coque, et le rêve prend forme.
De Galeria à Figari, d’où que le voyage ait commencé, se laisser monter et descendre le long de la côte ouest corse au gré du vent ravira tous les membres d’équipage, vieux matelots, amis néophytes, enfants désabusés de la vie du bord. Ce cabotage de criques en criques sera un coup de foudre pour tous, qui marquera les mémoires et nourrira d’autres rêves de navigation en Corse, à ses pointes nord et sud par exemple. Galeria est une petite bourgade de 400 habitants, nichée au fond d’une large baie, dans le delta du fleuve Fangu. Elle marque le point le plus au nord de cette partie incontournable de la côte ouest corse. Point de passage des transhumances depuis l’Antiquité, vantée pour son bois au XVIIIe siècle, elle n’est pas parvenue à se développer tant elle est di cile d’accès par la terre. Et c’est tant mieux ! Galeria est une halte presque étrange tant elle est paisible, hors du temps, authentique. Une cardinale nord à peine visible sur l’eau, un banc de sable sondé à 2 mètres et le voilier peut jeter son ancre dans 5 à 6 mètres d’eau, dans du sable, devant un champ de bouées déserté, ou bien s’amarrer à deux d’entre elles, tête et cul, pour limiter le roulis dans cette baie assez ouverte à l’ouest. Jamais plus d’une dizaine de voiliers au mouillage, même en plein mois d’août! Aucune concession au tourisme ici: les aegagropiles, ces boulettes de posidonies formées par les flots, côtoient les bouses de vache sur la plage au sable grossier. À la Cabane du Pêcheur, sous l’œil sévère du patron qui surveille
UN REPÈRE MAJESTUEUX SOUS LES 400 M DE FALAISE ROUGE DU CAPU ROSSU.
MOUILLAGE PRIVILÉGIÉ DANS L'ANSE DE TOPIDI, QUELQUES ANNÉES
APRÈS LA MISSION DE RÉSISTANCE PEARL HARBOR.
son échoppe, il est bon de goûter la langouste du cru avant un délicieux sorbet aux agrumes, en s’amusant du spectacle d’un zodiac volant. Sur le chemin de la boulangerie ou du supermarché, à Galeria, il convient de saluer les vaches sauvages qui déambulent docilement sur le trottoir. Cette halte, hautement recommandée, o re un repos total, bien appréciable, avant ou après les émotions fortes de Scandola!
Au cœur du voyage, Scandola palpite et émerveille
Cette fameuse pointe de Scandola, à environ 4 milles au sud de Galeria, est célèbre pour être une réserve naturelle terrestre et maritime depuis 1975, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Aujourd’hui, des espèces maritimes nouvelles y sont encore découvertes. Coraux et balbuzards y prennent leurs aises. Elle attire les regards admiratifs depuis longtemps car elle est un petit bout de Corse exceptionnel. Elle le montre de toutes ses couleurs en concentrant la presque totalité des granits ocres de l’île, o rant au plaisancier un spectacle unique de hautes falaises rouge feu sous le soleil du soir : architectures étonnantes de globules troués, monstrueux, sympathiques, de colonnes basaltiques, de filons de roche insolents qui résistent à l’érosion et hérissent la côte de crêtes insolites. Des aiguilles autour desquelles le voilier ne peut s’empêcher d’épouser la roche dangereusement, des grottes, des tunnels à explorer, entre émerveillement et inquiétude, sont à couper le sou e. Quelques mouillages sont autorisés de jour dans la réserve mais ce n’est à conseiller que par beau temps.
Les derniers maillons de la chaîne se réjouiront de tâter enfin l’eau salée, c’est probable. Trois milles de côte torturée à parcourir au pas, les mirettes grandes ouvertes vers le haut, et sur la carte aussi.
Cap au sud: lorsque l’époustouflant s’achève, commence le sublime. Le golfe de Girolata s’ouvre, enserré entre deux caps des plus rougeoyants, fermé à l’est par des monts recouverts de maquis, vierges de toute construction humaine à perte de vue. La côte nord du golfe se laisse longer de près, tranquillement, pour se perdre en rêverie à contempler ses hautes falaises d’aiguilles, de bubons, de coulées de pierre rouge qui semblent encore mobiles. À son extrémité, un peu au nord de Girolata, se trouve un mouillage assez pratiqué, mais arrosé, par e et de site, de rafales de vent plus fortes qu’ailleurs. Continuer la balade en passant devant le désormais trop célèbre et trop fréquenté village de Girolata, sans s’y arrêter, demeure la meilleure option. La baie voisine, la Cala Tuara, un peu au sud, remarquablement sauvage et déserte, aux
CALA DI ROCCAPINA, SURVEILLÉE PAR UN LION DE PIERRE, ALANGUI SUR LA POINTE DU MÊME NOM.
À LA RECHERCHE D'UN MOUILLAGE À SCANDOLA.