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DESIGN

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BEAUTÉ

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LA GRANGE REMISEÀ NEUF

par RÉDACTION GO OUT !

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La Grange, Studio Julia Christ © Photographie: Christophe Voisin

Quand on pense théâtre ou campus, on ne songe pas forcément à un lieu archi design. Pourtant une fois qu’on foule La Grange de Dorigny- nichée au cœur de l’Université de Lausanne à l’orée d’un petit bois, on tombe des nues. Après 9 mois de travaux, ce lieu culturel dévoile un tout nouvel écrin haut en couleur aménagé avec dextérité par l’architecte d’intérieur Julia Christ. Close-up.

La Grange, Studio Julia Christ © Photographie: Christophe Voisin

C’est en 1984 que débute l’aventure de la Grange de Dorigny qui investit et transforme une ancienne réserve à foin. Depuis, rares ont été les travaux effectués dans cette bâtisse. Ainsi, en 2021, le Service Culture et Médiation scientifique décide de remettre à neuf le lieu. Après neuf mois de travaux, et une demi-saison programmée hors de ses murs, le théâtre débute sa saison 2022 flambant neuf. Sa mue se dévoile tout d’abord par un nouveau nom : La Grange de Dorigny devient désormais La Grange, Centre / Arts et Sciences / UNIL. Cette nouvelle identité se décline à travers des supports de communication renouvelés, un logo revisité, ainsi qu’un site Internet tout neuf, pourvu d’une billetterie en ligne. Situé sur le campus universitaire, et porté depuis 2021 par une nouvelle directrice, Bénédicte Brunet, le théâtre renforce son lien avec la communauté scientifique en proposant dès cette saison davantage d’événements et de créations qui stimulent la rencontre entre les arts et les sciences. Dans ce centre dédié à l'art et à l'expérimentation, artistes, chercheurs et public imaginent ensemble de nouvelles formes d'expression. Lieu de rendez-vous des amateurs de théâtre et de spectacle à la tombée de la nuit, La Grange est aussi un lieu culturel qui réunit les étudiants en journée. Son aménagement a été imaginé par l’architecte d’intérieur Julia Christ basée à Lutry. Elle y conçoit un cadre vivant et inspirant. Ainsi, l'espace modulable imaginé par l'architecte fait la part belle aux arts, à la scène et aux expositions. Au cœur de cette nouvelle pépinière d'idées, le foyer se pare de couleurs vives et de lignes géométriques, symbole du dynamisme créatif de ses espaces. Julia Christ y définit plusieurs espaces distincts, mettant en valeur la scène et créant un espace d'exposition, tout en veillant à ce que l'ambiance soit chaleureuse, tant pour les étudiants qui viennent travailler la journée que pour les connaisseurs de culture qui s'y retrouvent en soirée. L'architecte donne de la profondeur à la pièce en jouant avec les perspectives. Elle assombrit le plafond, choisit des rideaux de velours bleu foncé pour encadrer la tribune et illumine les arches en jaune vif pour guider le regard du public vers la scène, mettant en lumière les artistes ou acteurs.

Les matériaux existants ont été mis en valeur pour conserver l'authenticité de La Grange ; les sols ont été sablés et les murs restent presque intacts. En pièce maîtresse, le bar se pare d'une fresque colorée, signature du Studio Julia Christ. Suivant une disposition de motifs sur mesure, les carreaux de différentes tailles et couleurs sont juxtaposés pour créer un effet graphique impressionnant qui insuffle du mouvement dans l'espace. Les couleurs primaires vives sont un clin d'œil à l'expérimentation avant-gardiste du mouvement artistique De Stijl. Aux courbes architecturales, les chaises hautes, plus éloignées de la tribune, permettent au public de garder un œil sur l'animation de la scène.

Dans le coin lounge, tout a été pensé pour la vie universitaire : un espace commun où jaillissent les idées et les discussions, où les avis se partagent et s'échangent, et où les livres ont été gracieusement offerts par la bibliothèque communale. Cet espace culturel haut en couleurs promet des échanges vivants et des expériences passionnantes . Inauguré le 24 février dernier, on y découvre une exposition collective évolutive - Dédié·e à sa propre allure - d’Isabelle Andriessen, Alan Bogana, Ilana Halperin, Hunter Longe, Matheline Marmy, Sarah Sandler et comprenant des spécimen du Musée cantonal de géologie. À aller découvrir jusqu’au 30 juin !

La Grange, Centre / Arts et Sciences / UNIL Dorigny, Quartier, 1015 Lausanne Tél. 021 692 21 24 www.grange-unil.ch

TROP BEAU POUR S'Y ASSEOIR ! QUAND LE DESIGN SE FAIT ART

par AURORE DE GRANIER

Unique Womb table lamp, Jan Ernst

Dans un monde où nous avons pour ainsi dire tout, le nécessaire a fait place au plaisir. Créer ne se résume alors pas à l’utile, mais tend vers un absolu différent, où la créativité elle-même est placée au centre de toutes les attentions. Avec cette mouvance générale, l’univers du design a évolué avec son temps, le beau succédant au pratique, le concept à l’utile. Des chaises inconfortables aux lampes qui n’éclairent rien, en passant par des matériaux parfois inadaptés, le design, notamment dans l’univers du mobilier, s’émancipe peu à peu des fonctions premières de ses objets. Aujourd’hui les designers osent, tentent, bousculent les codes, pour aboutir à des projets se rapprochant de plus en plus de l’art. La beauté a supplanté l’utile, et tout à coup notre mobilier fait plus que représenter notre identité et nos goûts : il s’admire pour ce qu’il est et triomphe, seul, restant inutilisé, comme une toile de maître accrochée au mur. Décryptage d’une évolution qui célèbre la création.

Tribù Sofa, Studioforma

L’ARTIFICATION DE L’OBJET Et si tout devenait art ? C’est le postulat qui semble de plus en plus clairement planer au-dessus de notre société. Dans un monde où la haute-couture se fait sculpture, où l’architecture se fait défi, où les NFTs règnent en maîtres, l’art prend des formes toujours nouvelles, élargissant à chaque instant sa définition. Si l’artification de la mode se fait de plus en plus évidente depuis quelques décennies, l’univers du design, peut-être encore plus confidentiel, semble suivre la même voie de l’artification de l’objet. En effet, au départ, le mobilier, les accessoires de notre quotidien, tout comme la mode, portent en eux une première fonction pratique. Une chaise pour s'asseoir, une table pour manger, un verre pour boire. Mais comme tout domaine, le design innove, et magnifie. En recourant à l’âge d’or des rois de France, on constate que les métiers d’art sont omniprésents, visant à rendre beau l’objet. Si la dorure et le travail du bois sculpté en sont alors les moyens d’expression, le design d’aujourd’hui, des siècles plus tard, semble vouloir aller encore et toujours plus loin.

QUAND L’ESTHÉTIQUE PREND LE DESSUS Avec la montée en puissance des réseaux sociaux à l’image de Pinterest, mais aussi la naissance des influenceurs et l’obsession contemporaine de partager son cadre privé, nos intérieurs sont devenus de véritables cartes d’identité. Les confinements à répétitions à travers le monde n’ont fait que renforcer ce désir du beau dans notre nid douillet, et le design s’est encore plus popularisé. En parallèle, le design, notamment dans le domaine du mobilier, est depuis de nombreuses années un terrain d’innovation par excellence qui tend de plus en plus vers une artification évidente. La recherche du beau, du différent, de l’identité esthétique de l’objet prend alors le dessus sur sa fonction première.

Dans le domaine du mobilier, les chaises et canapés restent un exemple parfait. Aujourd’hui, le confort et la praticité laissent la place aux matériaux racés et aux formes organiques. Les objets de la collection OBJ du designer Manuel Bañó, en particulier les chaises en métal et à l’inclinaison rendant toute assise inconfortable, visent à un nouvel objectif dans le monde du design : ici la chaise est bien plus qu’un objet sur lequel s’asseoir. À l’inverse, elle s’admire, et ne s’utilise pas, à la fois pour son caractère inconfortable, mais aussi en raison du changement de sa fonction. Par le choix de son matériau, son traitement, son design, elle est plus qu’une assise : la chaise OBJ est une œuvre à part entière.

Le lieu de vie devient alors une galerie, qui présente à la fois qui nous sommes à travers nos objets, mais qui se fait également lieu d’exposition. Pour les designers, l’esthétique, dans un monde où les objets nécessaires à notre quotidien existent déjà tous, augmente encore d’un cran et la beauté, l’originalité, font la différence alors que le métier de designer attire toujours plus les jeunes générations.

Spirit coffee table, Monogram via Galerie Revel

Mélos armchair, Aro Vega pour Monogram

Fauteuil Hortensia, Andres Reisinger Chaise initialement imaginée pour le métavers et qui a finalement été manufacturée dans le monde réel

UN OBJET À ADMIRER ET À NE PLUS UTILISER ? Un problème se pose alors avec toute cette esthétique qui envahit nos intérieurs. Ces meubles peuvent-ils encore vraiment s’utiliser ? Ou sont-ils passés dans la catégorie des œuvres d’arts à admirer de loin sans les toucher ? Le prix de certaines créations, qu’il s’agisse de lampes, de canapés, de tables, ou d'autres objets de mobilier, est exorbitant chez de nombreux designers. Acheter une lampe dessinée par Dean Norton, un sofa imaginé par Studioforma, ou une table basse Monogram devient rapidement un investissement des plus importants, conférant une valeur nouvelle au mobilier. Tout à coup il est plus précieux, et consciemment ou non il devient difficile d’interagir avec son intérieur avec la même aisance et candeur qu’en vivant dans un showroom Ikea. Le code barre qui fait chauffer le compte en banque change notre rapport à l’objet qui n’est plus simplement objet. L’artification se manifeste à la fois par l’innovation, l’apport d’esthétique, la recherche de la beauté au-delà de la fonctionnalité, mais aussi par la valeur marchande de ces produits. Ne plus oser s’asseoir sur son canapé parait excessif, et pourtant, dans une société où la consommation semble incapable d’être refrénée, rendre sa valeur réelle à l’objet pousse à en prendre le plus grand soin.

Le design semble alors prendre une direction de plus en plus évidente vers le monde de l’art en empruntant ses valeurs. À l’image de la mode, il s’éloigne peu à peu de ses fonctions premières, et s’élève vers des sphères plus hautes, refusant de se contenter de remplir une fonctionnalité pratique. Quand la chaise, la lampe, la table basse, s’apparentent à une toile de maître.

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