CLGB_REIMS#14

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Édito

C’est la rentrée littéraire ! Waouh ! Encore plein de bouquins partout, de la tête de gondole par-ci, du bon matraquage promo par-là. On nous annonce "tragiquement" un peu moins de romans, c’est la crise. Tout est fichu. Tout est foutu. Des milliers de librairies vont fermer…

J’ai mis du temps à utiliser un smartphone (c’est vrai que la 3G, ça peut aider son éditeur) et davantage à m’intéresser aux tablettes. J’ai fini par me rendre compte que lire sur un iPad, ce n’est pas plus con que de lire sur son ordinateur – d’ailleurs, HP annonce la fin des PC et la victoire par abandon des tablettes d’ici 2014. Je suis dans le bon timing. La Qui va avoir le Goncourt ? (On s’en fout !) Dans ce barnum, tous plupart de mes livres sont disponibles sur iTunes. Seulement avec Apple. les jeux sont faits – et tous ces jeux ne Une décision plus humaine que définitivement m’intéressent pas. De cette rentrée, j’ai envie stratégique. Le manager d’iBookstore ayant de lire le nouveau Jaenada, La femme et l’ours beaucoup apprécié. Pas mieux d’Arnaud Le (Grasset). Voilà pour moi. Je suis servi. Après la Guilcher. Alors quand un boss d’Apple Livre dramaturgie des grosses maisons, ça m’amuse me dit qu’il a lu et aimé l’un de mes livres et parce que c’est un peu ma boutique, mais j’en souhaite qu’on bosse ensemble : je dis ok. Et pense pas moins. puis, c’est une façon pour l’éditeur et surtout l’auteur de reprendre un peu la main. J’ai quitté Paris en juin, pour m’installer au bout d’un chemin dans le petit village de Le monde physique est dominé par le Laugnac (près d’Agen pour situer), et je n’ai distributeur et le libraire (qui en fonction de qu’un seul roman en septembre. Un livre, un ton distributeur te traite plus ou moins bien). bon, voire un très bon, c’est bien suffisant. Sur iTunes, l’éditeur fixe le prix et l’auteur (si Pour la petite auto-promo, je vous conseille le l’éditeur est sympa) peut être le grand gagnant second roman de Fanny Salmeron, Le travail (50 % - au lieu de 10 pour une version papier). des nuages. Comme quoi le ciel bleu n’est pas Je ne crois pas que ce soit la fin des libraires une fin en soi. Cet été, j’ai aussi expérimenté le ou du codex. On verra bien. Et puis il y aura livre numérique. J’ai longtemps été sceptique certainement encore des arbres ou du vieux et ça ne me disait trop rien de proposer mes papier à recycler quand on aura épuisé toutes romans en format ePub. Je n’avais pas créé les réserves de lithium. L’avenir appartient ma petite maison d’édition pour vendre des toujours aux plus petits… fichiers. J’avais envie de liens avec les libraires, PS : Je ne me suis toujours pas mis au cinéma de contacts avec les lecteurs, du plaisir de sentir un livre, de choisir un 3D (qui m’indiffère totalement). Sauf s’ils ont la judicieuse idée de papier (Munken Cream 80 gr., tout de suite, toute une poésie !)… s’intéresser à la filmo de Russ Meyer. Rien que du bonheur ! De Stéphane Million, Éditeur (stephanemillionediteur.com)

+ EMMANUEL RÉGENT + + JULIEN CARREYN + + GUILHEM SIMBILLE +

Sommaire numéro 14

+ CHASSOL + + HERMAN DÜNE + + ETIENNE JAUMET + + BRODINSKI + + ARTUS + + CIPRIAN MUREŞAN + + ARNAUD PYVKA + + MATALI CRASSET + + JEAN-YVES JOUANNAIS +

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Texte /

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Isabelle Giovacchini (Retranscription : Nicolas Petit) • Dessins / © Emmanuel Régent (courtesy Galerie Espace à Vendre) - Ci-dessous : «Ondes» - 2010 - feutre encre pigmentaire sur papier arches, 30x40 cm.

+ LE RÉFLEXE DU PARACHUTE +

Révélé en 2009 par le prix Découverte des Amis du Palais de Tokyo, Emmanuel Régent est devenu l’un des jeunes artistes incontournables de la scène française. Prolifique, il s’exprime à travers de nombreux supports (dessins, peintures, sculptures, installations), mais on retrouve toujours derrière ses différentes pratiques certaines thématiques qui le hantent, comme l’errance, l’attente et l’effacement. Après avoir présenté son travail en 2010 au Palais de Tokyo, au Salon du Dessin Contemporain (Carrousel du Louvre), au FRAC PACA et à la galerie Le Cabinet à Paris, il prend maintenant d’assaut la ville de Nice avec pas moins de cinq expositions à découvrir simultanément au MAMAC, à la Villa Arson, à l’Ecoparc de Mougins et à la Galerie Espace à Vendre.

Pouvez-vous vous présenter ? Emmanuel Régent, artiste, villefranchois né à Nice, diplômé en 2001 des Beaux-arts de Paris. Dessinateur, peintre et sculpteur, sans ordre de préférence.

Vous êtes donc un artiste à la production protéiforme. Comment procédez-vous ? Je peins depuis les Beaux-arts en alternant les médiums. Je suis plutôt connu pour mes dessins mais ils représentent en fait une petite partie de mon travail. Dessiner provenait du besoin de me perdre et de me retrouver en même temps. De me perdre parce que quand je dessine je pense à des milliards de trucs, un geste répétitif et mécanique s’instaure, comme une imprimante. Les moments où que je gratte mon noir, où je creuse avec mon feutre, me permettent de penser à autre chose, de divaguer, de réfléchir par exemple à des sculptures, car je pense toutes mes sculptures en dessinant, et pendant que je fais mes volumes en sculpture, je pense à ma peinture. J’ai actuellement un besoin compulsif de peindre, par conséquent je ne dessine quasiment plus depuis presque un an, au grand regret de mon galeriste. Et ça durera

le temps qu’il me faudra pour exulter. C’est très sexuel en fait ! Lorsque je peins, je ne peux pas faire ou penser à autre chose. Il y a quelque chose qui m’accapare totalement, ne serait-ce que par la force physique que ça me demande. Pour ma série intitulée Nébuleuse, par exemple, j’additionne des couches de peinture monochrome les unes sur les autres en surfaces planes, et puis, à la fin, quand j’ai accumulé une quinzaine de couches et que tout est bien sec, je ponce à la ponceuse mécanique. Tout est donc très physique, à la limite de la performance solitaire ! En ce moment je m’intéresse particulièrement aux images issues des nouvelles technologies, comme les images de l’espace, les images médicales, les courbes de chaleur, bref toutes ces images qui apparaissent suite à l’aventure numérique et aux images dématérialisées. Cet apport du numérique dans ma pratique en général et notamment dans ma peinture m’intéresse. Dans mes dessins, quand j’utilise un fourmillement d’encre noire, ça rappelle le grain numérique, le rapport à la disparition de l’espace que j’appelle « l’espace de divagation ».

Selon vous, quelle est l’œuvre qui représente le mieux votre travail ? Une sculpture : Mes plans sur la comète. Il s’agit d’une corbeille à papier en matière plastique basique avec à l’intérieur trois plaques de plomb de plongée et trois rouleaux de papier roulés en tube, qui montent jusqu’à une hauteur de 3,5 m. Ils sont contenus dans une sorte d’équilibre précaire et représentent tous les projets que j’ai ratés, et tous les projets que j’aimerais faire et que je ne fais pas. C’est comment faire d’un échec potentiel un moteur de travail. On fait tous des plans sur la comète, qui nous permettent d’avancer et de tenir, mais qui ne se réalisent pas. Et heureusement parfois!

Les titres de vos pièces peuvent parfois être très prosaïques ou tout aussi bien allégoriques et conceptuels. Quel rôle jouent ces titres dans l’appréhension de vos œuvres ? Ce sont souvent des compléments aux œuvres. Je pense par exemple à ma sculpture Décisif, réalisée à partir de papier aluminium ménager froissé comme on le ferait après avoir mangé un sandwich. Cette boule, qui au début ne

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ART

« Lunatique» - 2010 - feutre encre pigmentaire sur papier arches, 56x76 cm.

Emmanuel Régent « Le Réflexe du Parachute » du 03 septembre au 22 octobre 2011 Galerie Espace à Vendre 2 rue Vernier, Nice 09 81 41 09 17 www.espace-avendre.com

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ART

«File d’attente» - feutre encre pigmentaire sur papier arches, 56x76 cm.

« Comment faire d’un échec potentiel un moteur de travail » fait quelques centimètres, grossit au fur et à mesure que je froisse et compresse à la main les rouleaux d’aluminium que je déroule au sol. La longueur de ces derniers est donc « décisive » puisque c’est elle qui va déterminer le diamètre de la boule d’aluminium. C’est aussi le mythe de Sisyphe et au delà du titre, une pièce qui fait référence à Manzoni. Autre exemple, Le chemin de mes rondes, est une série de dessins réalisés au feutre sur du papier blanc qui représentent des rochers avec une vue de la mer. Je voudrais continuer cette série toute ma vie pour voir comment il me sera possible, sur ces vingt mètres de paysage, de renouveler à chaque fois l’angle de la vue, son sens, sa lecture. Ce paysage est toujours changeant : en fonction de la météo, les rochers changent d’aspect et la mer, même si elle demeure toujours là, ne bouge jamais de la même manière. J’ai choisi ce titre, Le chemin de mes rondes, d’abord parce que j’emprunte le même chemin de ronde que les douaniers de Villefranche, mais aussi parce que cette expression symbolise l’idée de tourner en rond, et donc d’errance, de réflexion, de positionnement, de devoir faire avec peu. Ca me permet aussi de me confronter au motif classique et intemporel de la mer, cette chose mouvante qui comporte paradoxalement une structure totalement contemporaine ; je pense qu’on est dans une société liquide, sur laquelle nous n’avons pas de prise, où tout change et tout bouge très vite, et où les frontières sont poreuses.

Désormais, vous exposez dans des institutions de renom : Palais de Tokyo, Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de la ville de Nice, Villa Arson… Comment abordez-vous cette reconnaissance institutionnelle ? Ce n’est pas une reconnaissance, ce sont juste quelques expositions. C’est surtout par le biais du secteur privé que je suis entré dans de belles collections et que mes œuvres se vendent bien. Quant aux institutions publiques, j’ai toujours l’impression d’y être ren-

tré par la petite porte, de façon modeste. Ma première exposition au MAMAC était installée dans les vitrines du rez-de-chaussée du musée. Tout dépend de la façon dont on exploite ensuite ces invitations.

Vous avez travaillé avec la maison de champagne Taittinger. Pouvez-vous nous parler de la nature de cette collaboration ? Taittinger m’a proposé de revisiter Le comte de champagne qui est leur bouteille phare, dans le cadre des 800 ans de la Cathédrale de Reims. Leur souhait était qu’un jeune artiste crée une « édition collector ». Ils ont vu mon travail au Palais de Tokyo et ils m’ont contacté pour réaliser ce projet. C’est une maison qui a une longue tradition de collaboration avec les artistes, car le champagne Taittinger a commencé à concevoir des coffrets avec Vasarely il y a près de quarante ans… Un tel projet était pour moi un réel challenge ! Je me suis concentré sur l’une de mes pratiques artistiques, c’est à dire le dessin. J’ai alors décidé de dessiner la Cathédrale de Reims, de façon très simple, en pensant aux grands classiques, sauf que je l’ai dessinée comme on dessinerait une montagne. À partir de ce dessin, j’ai réfléchi à comment faire du coffret une sculpture. Il y a eu 800 exemplaires de cette réalisation.

Justement, êtes-vous critique par rapport à cette logique de commandes passées par des entreprises privées ? Je joue le jeu, sans avoir l’impression de me compromettre. Je trouve ça ridicule d’être sectaire vis à vis de ces grandes firmes qui s’ouvrent a l’art contemporain. Il me semble que de nos jours, il n’y a plus de frontières entre les différentes formes d’art : par exemple, un designer peut très bien passer dans le monde de l’art et inversement. Entre une œuvre présentée dans des expositions et une commande comme celle-ci, les enjeux sont différents mais restent très intéressants à partir du moment ou je peux penser la

globalité d’un projet, par contre je ne souhaite pas décliner une œuvre d’exposition en produits dérivés.

Quelle est l’exposition dont vous êtes le plus fier ? La prochaine ! Vous exposez en septembre à la Galerie Espace à Vendre, à Nice. Le titre de l’exposition, Le réflexe du parachute, est très énigmatique et même poétique. Pouvez-vous nous en dire plus ? Le Réflexe du parachute est une expression médicale. Elle permet de vérifier si un enfant est bien capable de se rattraper lorsqu’il chute. S’il met les mains en avant lorsqu’on le pousse, c’est qu’il a le « réflexe du parachute ». J’essaie d’envisager mon rapport à l’art de cette façon. J’ai toujours l’impression que je suis en train de créer ma dernière pièce, de faire ma dernière exposition. À n’importe quel moment, tout peut s’arrêter. Cette impression, je la ressens tous les quarts d’heure, et elle déclenche chez moi une énergie du renouvellement. Ce que je veux dire, c’est que quand on est artiste, même si le travail se vend plutôt bien, l’atterrissage est incertain. C’est ce moment entre le saut et la chute qui m’intéresse !

Pouvez-vous nous parler de vos projets à venir ? En ce qui concerne les expositions, il y aura celle dont nous venons de parler, Le réflexe du parachute, à la Galerie Espace à Vendre en septembre à Nice. J’y montrerai essentiellement mes peintures récentes, réalisées à la ponceuse et intitulées Nébuleuses, ainsi que quelques dessins. Au même moment, je participerai à Docks Art Fair à Lyon. Je prépare aussi pour 2012 une exposition à Montpellier organisée par Aperto, une association gérée par des artistes, très active dans cette région.

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ART

Texte /

Alexis Jama-Bieri • Photo / © Julien Carreyn (2011 / Page de droite : « sans titre » / laserprint 18x27cm Courtesy Galerie Crèvecœur • Ci-dessous : « Ewaulin » 2011 / Pastel / 16x11cm / Courtesy Galerie Crèvecœur)

JULIEN CARREYN + PUDIQUE HYPNOTIQUE +

Julien Carreyn compose un art mystérieux et hypnotique, aux frontières ténues entre le dessin, la peinture et la photographie. Il crée par ses œuvres une sensation de voyeurisme chez le spectateur, admirant les courbes en ombres chorégraphiées de ses modèles, jeunes femmes ensorcelantes dans leur imparfaite simplicité. L’on pourrait presque se voir transporté dans l’intérieur de quelque courtisane d’un temps oublié, comme dans un rêve. Julien Carreyn est de ces artistes à la notoriété grandissante, exposant dans de renommées galeries et institutions, et bénéficiant de la couverture de la presse culturelle sur son travail, dans Beaux-arts magazine, Le journal des Arts, L’œil, les Inrockuptibles, Technikart, et bien d’autres encore… Des créations envoûtantes, entêtantes à souhait, comme un capiteux parfum, à déguster du regard.

« J’aime les histoires perverses racontées avec innocence »

mots, ce serait ? Fontab, Weekend, Repas-

Peux-tu te présenter ? Non.

sage, Lyot. Ca fait quatre.

Comment es-tu arrivé à l’art ? Par hasard, j’aime la musique et le cinéma. Je ne suis pas à ma place mais tant mieux.

Quelles sont pour toi les limites du beau ? La fascination qui tourne à l’idolâtrie

Quelles sont les rencontres artistiques qui ont marqué ton œuvre ? Antoine

peut être un travers, un piège de la beauté, mais les limites j’aime à penser qu’il n’y en a pas.

Marquis avec qui je collabore depuis 18 ans. Nous avons une grille en commun, des pistes et restrictions que nous appliquons à notre pratique. C’est à prendre comme un jeu.

Comment procèdes-tu pour réaliser tes images et leur donner leur rendu si particulier et intense ? J’ai toujours été attaché au dialogue texture/harmonie dans la musique que j’écoute, beaucoup d’ambient et de shoegazer. Quelque chose d’émouvant et distant à la fois. C’est ce que j’essaye de traduire quand j’imprime une photo avec ma vieille HP Laserjet 1010 monochrome ou quand je dessine avec mes pastels Caran d’Ache Neocolor 2.

Comment choisis-tu les thèmes, les modèles ? Je me ballade. En général mes modèles sont des amies.

La scénographie de tes œuvres, presque chorégraphiées, joue-t-elle un rôle important ? Jacques Demy. Mais ça peut être un choix de faire des images morbides, statiques, pourquoi pas, c’est autre chose.

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Quelles sont les œuvres dont tu es le plus « fier » ? Stars of the Lid, A imagem.(Pastel, 16X9 cm). Ce dessin m’échappe complètement. «Plus tu m’échappes, plus tu me plais», c’est dans une chanson de Christophe.

Pourquoi avoir choisi de petits formats pour tes œuvres. Est-ce pour renforcer un sentiment d’intimité, presque (dé)voilée ? Mes expositions visent à produire un tissu d’images mentales. L’intimité pourquoi pas, encore que pour moi distance et pudeur sont des règles d’or, c’est surtout l’hypnose qui m’intéresse.

Tout en jeu d’ombres et lumière estompées, tes images semblent être un hymne à la photographie vintage, presque classique d’aspect... Une source de ton inspiration ? Sur internet l’érotisme amateur est intéressant, bien qu’il n’échappe hélas qu’exceptionnellement à la vulgarité. Notre vie quotidienne côtoie de nombreuses représentations érotiques fonctionnelles, par exemple les publicités qu’on trouve dans les vitrines de pharmacies. Tout cela j’aime le mélanger avec des influences plus anciennes, la photo pictorialiste, le surréalisme, des

rêves dans lesquels les époques se superposent.

… mais profondément érotique et subversif au fond, avec un sentiment d’interdit. Est-ce pour mieux nous inviter dans ton univers, presque en « voyeurs » ? Je ne suis pas subversif. Mais j’aime les histoires perverses racontées avec innocence.

Pourtant, les thèmes, poses, ambiances, mise en scène, cadrage, scénographie derrière une atmosphère de boudoir rappelant notamment certaines scènes des séries anglaises des 60’s, sont résolument contemporains. Peut-être une (ir)réelle représentation de ce que t’évoque ce monde contemporain ? Je ne sais pas. Je n’y com-

Quelles sont tes expositions majeures ? Disons déterminantes plutôt que majeures ! Lyot au Frac Champagne-Ardenne et Repassage à la galerie Crèvecœur. Une expédition, une exposition de groupe curatée par Stéphane Calais à la fondation Ricard m’a fait « rentrer dans la danse » il y a trois ans. J’y montrai des images en compagnie des artistes Aurélie Salavert, Isabelle Cornaro et Antoine Marquis, trois artistes dont je suis fan inconditionnel. Avec quelle galerie, institution travailles-tu ? La galerie Crèvecœur !

Des projets à venir d’expositions, résidences, créations ? Enfin, voyons, tu sais que ça porte mal-

prends rien. Et ça empire avec l’âge, je nage dans le chaos, ça ne me déplaît pas d’ailleurs.

heur de répondre.

En fait, si on devait résumer tes créations en 5

galeriecrevecoeur.com


ART

JU LIE N C A R R E Y N - 09


MODE

Texte /

Clémence Depericam / Oliver Peoples • Photo / DR

Oliver Peoples + RIEN QUE POUR VOS YEUX +

Auparavant l’on qualifiait les lunettes de « béquilles pour les yeux ». Il était effectivement d’usage de faire plus dans l’utilitaire que dans l’esthétique, l’important étant de bien voir, plutôt que d’être bien vu. Pourtant, ces lunettes d’autrefois, à l’aspect aujourd’hui vintage, sont, pour certains modèles, loin d’être inesthétiques. Remis au goût du jour par des créateurs contemporains, ces accessoires utilitaires sont devenus de véritables objets de mode, soulignant, avec style, le regard. Oliver Peoples est de ces marques qui ont fait du vintage un signe d’élégance. Ici, pas de logo ostentatoire, tout se fait dans la simplicité et l’efficacité de lignes parfaitement équilibrées.

Oliver Peoples naît en 1986 lorsque les opticiens Larry et Dennis Leight réalisèrent leur rêve en ouvrant leur première boutique de lunettes à Hollywood. Leur collection (qui s’inspire de montures vintage achetées aux enchères) propose alors un changement implacable par rapport aux styles futuristes et aux formes géométriques en vogue vers la fin des 80’s. Les modèles et la philosophie particulière d’Oliver Peoples ont dès lors changé le cours de la mode dans les lunettes, en influençant de très nombreux designers. Des trend-setters du monde entier ont très rapidement adopté Oliver Peoples, qu’ils apprécient particulièrement pour son style qui allie exclusivité et discrétion, distinguant cette marque des autres griffes de lunettes. Ces personnes les plus à l’avant-garde et influentes apparaissent souvent portant les lunettes Oliver Peoples au cinéma et dans nombre des plus célèbres revues mondiales, en contribuant encore plus au succès de la marque. Oliver Peoples collabore notamment avec des personnalités telles que Zooey Deschanel, icône de la mode, musicienne, étoile naissante et incarnation idéale de la nouvelle Hollywood, sur une monture homonyme et avec des marques telles que Prada, MiuMiu, Jil Sander, Helmut Lang, Vera Wang et Balmain. Concrètement, les lunettes de vue Oliver Peoples sont d’une constante inspiration vintage, avec des modèles unisexes et sans âge, au style intellectuel, retro, audacieux et distinctifs, aux finitions à la main, qui rappellent Buddy Holly et les autres icônes des 50’s et 60’s. Les lunettes de soleil Oliver Peoples représentent, quant à elles, le glamour et les dernières tendances des défilés, avec des textures luxueuses et des finitions raffinées, et des modèles qui rappellent Roy Orbison, Ray Charles ou

Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé. Seuls les experts peuvent reconnaître les modèles à la marque sobre, disponibles uniquement chez les opticiens, et les points de vente spécialisés les plus prestigieux et exclusifs. Le client Oliver Peoples pourrait alors se définir comme un intellectuel sûr de lui, au sens moderne du style, une personne qui apprécie la discrétion de la marque, le goût de la découverte et la qualité, et qui ne renonce pas à la tendance. Et surtout, c’est une personne qui sait que le luxe doit être discret, car le vrai luxe se reconnaît, entre initiés, tel un trésor que l’on se partage, entre personnes de bonne compagnie… en toute élégance.

musique joue un rôle fondamental dans le style de vie qu’il véhicule. La création d’un disque Oliver Peoples est une exploration permanente, à la recherche de la nouvelle musique dans le monde entier, à partager avec qui pourrait ne jamais avoir l’occasion de la connaître, comme une sorte de médiation. Les disques Oliver Peoples, en sobre format CD, sont imaginés, conçus et réalisés en interne, dans la même optique que les lunettes. Les sélections sophistiquées d’Oliver Peoples capturent l’essence de la marque et en affirment la philosophie et le style de vie. Toujours dans son souci constant de bâtir un univers voluptueux, Oliver Peoples a fait jouer le thème de sa campagne de communication 2011 par le musicien Devendra Banhart et Rebecca Schwartz, couple aussi dans la vie. Cette campagne au mystérieux nom de Rainbow House, affronte le thème de l’intimité et de la sexualité dans une ambiance moderne de la Californie du Sud. L’histoire d’amour, filmée par la photographe et réalisatrice Lisa Eisner, se déroule dans un véritable chef d’œuvre de l’architecture contemporaine, la Rainbow House de l’architecte John Lautner, un nom qui aurait presque chez nous une consonance cinématographique, culturelle et populaire.

Oliver Peoples propose un univers qui s’étend bien au-delà des simples accessoires de mode. C’est un art de vivre qui entoure la prestigieuse marque américaine. Je dis «marque», mais c’est en toute discrétion qu’elle s’efface, fidèle à son concept du «no logo», derrière un univers culturel, des codes symboliques d’un mode de vie raffiné, que tout un chacun peut tenter d’atteindre... Et puis les rêves ne sont-ils intimement liés à la culture ? Cet univers s’épanouit avec une incontournable bande son, comme à l’intérieur d’un film des productions hollywoodiennes. Oliver Peoples commercialise alors ses propres disques, car la

Célèbre pour la forme reconnaissable du toit en arc avec une seule travée et les baies vitrées des deux côtés, la maison, construite en 1961, est un exemple typique du style de vie californien, qu’aurait pu connaître le fictif Don Draper lors de ses vagabondages avec la jet set californienne des 60’s florissantes. Tourné en intérieur et extérieur, le court-métrage met en scène le feeling naturel de ce jeune et fascinant couple. En toute liberté... pour une vie libre et sans tabous, loin des diktats d’une moraliste société où l’image prime plus que le(s) sens.

Disponible chez NATURAL VISION • 82 rue de Vesle • 51100 Reims • 03 26 02 76 22 • he@naturalvision.fr 10 - O L I V E R P E O PL ES


Texte /

C IN É MA

Raphaël Mandin • Visuel / Bernard Launois / Sheep Tapes

+ DANS LES ABÎMES DU CINÉMA +

Attention, film culte. L’équipe de Nanarland.com sort en DVD, aux éditions Sheep-Tapes LE nanar absolu du cinéma français, maître étalon du cinéma Z, à savoir l’inénarrable «Il était une fois le diable - Devil Story» de Bernard Launois, sorti en 1985. Ce dernier s’est déjà illustré avec quelques ˝ films˝ pornos ou comiques aux titres qui laissent rêveurs («Les dépravés» du plaisir ou «Touch’ pas à mon biniou») lorsqu’il décide de s’essayer au film d’horreur afin de rivaliser avec les grands d’Hollywood. Le film, introuvable jusqu’alors en DVD et devenu collector en VHS, est enfin accessible dans une superbe édition avec de nombreux bonus. On y trouve deux documentaires sur le film (avec les interviews du réalisateur et de l’actrice principale), dont un parodique, un reportage FR3 sur le tournage et d’autres friandises indispensables. On recommande chaudement le commentaire audio par Bernard Launois (dont la gouaille vaut son pesant de cacahuètes), croustillant d’anecdotes hallucinantes. Alors, de quoi ça parle ? C’est bien là tout le problème ! Citons le synopsis de la jaquette : « Un jeune couple tombe en panne de voiture lors d’un voyage en Normandie. C’est pour eux le début d’une terrible malédiction qui les verra croiser le chemin d’un serial killer nazi, d’une momie, d’un bateau zombie et d’autres envoyés du diable ! ». Vous trouvez que c’est n’importe quoi ? C’est normal. Oubliez tout ce que vous savez sur le cinéma. « - Vous pensez qu’en France on peut faire aussi bien qu'en Amérique ? - Euh, personnellement, personnellement, je pense qu’on peut faire mieux... On a les techniciens pour, mais faut sortir les tripes comme on dit dans le métier, mais je pense qu’on peut faire aussi bien, on peut faire mieux, on a les décors, on a tout ce qu’il faut... on a inventé le cinéma en France ». (Bernard Launois, FR3 région)

Par définition, un nanar ne brille guère par son intelligence, que ce soit celle de son scénario ou de sa mise en scène. D’intelligence, qu’on se rassure, il n’en est pas du tout question dans Devil Story. Mais, étrangement, alors que de nombreux nanars sont d’une bêtise effarante et hilarante (et c’est d’ailleurs pourquoi on les aime tant), celui-ci n’est pas bête non plus. Diantre, de quoi s’agit-il alors ? A dire vrai, on est au delà de tout ça. Devil Story est plutôt un objet filmique indéterminé, sans cohérence autre que nominale, et par-là même traumatisant. En effet, ce « film », pour peu que l’on daigne lui accorder tout notre temps de cerveau disponible, est véritablement une épreuve affective et perceptive qui vient heurter notre rapport logique au monde. En effet, passée la stupeur du premier visionnage et l’esprit un tant soit peu à nouveau lucide, on en viendra nécessairement à se poser certaines questions : « Qu’ai-je vu ? » « Que s’est-il passé ? » « Qu’ai-je compris ? ». En effet, pourquoi la blonde sort-elle de la voiture ? Pourquoi un chat et des battements de cœur dans la montagne ? Pourquoi une maquette

de bateau sort-elle de terre ? Pourquoi d’un seul coup des sons de jungle ? On se rend vite compte que le « pourquoi » est un jeu de langage inadéquat. Alors, au bout d’un moment, l’esprit abdique, l’entendement se laisse aller. On contemple des images et des scènes qui n’ont ni queue ni tête, où le nonsens guide le sens et où l’arbitraire est devenu la règle... Puis, d’un seul coup, sans crier gare, survient à l’écran un semblant de cohérence : la Toccata de Bach, un orage, un château majestueux et un travelling presque réussi nous rappellent, l’espace d’un instant, au sublime des vieux films de la Hammer, et l’on s’exclame, « Mais oui bien sûr, le titre parle du diable, tout s’explique, le chat et le cheval, les forces du mal ! Etc... », pour se rendre compte que finalement, non, ça ne tient pas debout. Impossible de recoller les morceaux. « Pourquoi ce costume est-il nazi ? », « Pourquoi cette scène semble t-elle au ralenti ? » et l’épuisante valse des « pourquoi » reprend... Devil Story, c’est donc ça, un va-et-vient perpétuel entre contrôle et perte de repères. On y est tout le temps déboussolé alors même qu’on se croyait en terrain connu. Ce que nous décrivons n’est pas l’effet pas d’une grammaire cinématographique maladroite. Même le plus malhabile des réalisateurs aurait obéit à certaines conditions de possibilités formelles. Or la grammaire de Bernard Launois semble schizophrène, sorte de langage privé dont il serait le seul à connaître les règles et les critères. Il faut la voir pour la croire, cette scène hallucinante où le monstre est sensé être écrasé par une voiture

contre un poteau ! Le monstre pousse des cris, bave du sang. Très bien, sauf qu’on nous montre en même temps qu’il est à plusieurs mètres du poteau ! De telles inconséquences sont véritablement incompréhensibles pour l’entendement du spectateur tant tous les défauts du film auraient été facilement évitables. Prenons encore pour exemple symptomatique la fameuse scène, désormais culte, du chasseur et du cheval. Dans cette scène, le chasseur tente, en vain et sans viser, de tuer un cheval dans toutes les directions ad infinitum tandis que le cheval hennit compulsivement, ad nauseam. Ils semblent tous deux prisonniers d’un espace-temps différent en vertu d’un montage chaotique. L’impression étrange qu’a le spectateur de voir se répéter les mêmes plans, les mêmes faux-raccords en rajoute dans l’étrangeté absolue. Cette scène continuera, tout au long du film, sans la moindre finalité ni cohérence, douloureuse, fascinante pour le spectateur. N’y cherchez pas un effet de style. On est très loin du travail sonore d’Eraserhead de David Lynch. Ici, rien n’est pensé. Rien n’est raffiné. Pas la moindre logique, si ce n’est celle d’un pur bricolage empirique totalement aveugle. Pas le moindre onirisme, tout y sent le sol froid et raboteux de Normandie. Cette expérience shadockienne des frontières du cinéma devient celle de la contingence absolue. Tout y devient possible. Soudain un chat. Soudain un bateau. Soudain une momie. À cet égard, la comparaison, faite dans le documentaire Il était une fois Devil Story, entre le scénario original (tel qu’il aurait dû être filmé) et le résultat final est confondante : on a carrément sauté d’un univers

possible à un autre. On sait que Launois manquait d’images (il n’en possédait, selon ses dires, que 52 minutes, à cause d’acteurs tire-au-flanc), qu’il lui a fallu « bricoler » pour parvenir à boucler quelque chose d’un tant soit peu « cohérent » ou au moins « ressemblant » à ce que devrait être un film. Les décors, les acteurs, la bande-son, tout y est chiche et rare, y sent la « survie » et l’urgence, la compulsion sauvage de filmer. Dans le commentaire audio de son film, Launois résume ainsi ses consignes au cameraman : « Tournez, tournez, ça fera toujours des plans ». Il dit aussi : « J’ai tiré sur la pellicule ». En effet ! On ne saurait mieux dire. Contraction de l’espace et distorsion du temps, surgissements arbitraires de sons, ralentis intempestifs, montage chaotiquement diachronique, cadrages défaillants, mouvements de caméra improbables... Ainsi, dès le début, au moment même où il serait sensé devenir iconique, le monstre nazi se prend les pieds dans la tente. On pourrait se dire que cela est fait exprès, dans un registre comique. Même pas... Bien évidemment, Launois sait qu’il n’a pas fait un chef d’œuvre, mais il ne semble pas prendre pleinement conscience de l’anomalie visuelle qu’est son film, ni comprendre l’extraordinaire engouement au second degré qui entoure désormais celui-ci (« Y en a qui sont cons quand y z’écrivent des trucs » ditil). Aucun signe dans le film ne vient trahir un quelconque second degré. Si le véritable nanar doit être absolument involontaire, arguons dès lors que Devil Story en est un, sérieux, ambitieux, donc en tant que tel totalement foiré, mais du coup d’une beauté brute et pure.

+ Film de Bernard Launois + Avec Véronique Renaud, Marcel Portier, Pascal Simon. (Film 16/9 compatible 4/3 - Audio Français, anglais (mono) - Durée du film : 80 minutes - Durée totale du DVD : 160 minutes - Date de sortie cinéma : 1985 - Sortie DVD : septembre 2011, éditions Sheep-Tapes).

D E V IL S TORY - 11


F E S T I VA L

Texte /

Alexis Jama-Bieri • Photo / Crapaud Mlle

GUILHEM SIMBILLE + GÉNÉRATEUR D’ELEKTRICITY +

La musique électronique réécrit constamment un nouveau rapport au temps, qu’elle rythme et déforme à sa convenance. Et le temps, on ne l’a pas vu passer, avec déjà cette année la 9ème édition du festival Elektricity ! À l’origine événement dédié à la musique électronique, le festival rémois a su emprunter avec maturité, un virage pop, à l’image de son initiateur Yuksek, toujours en conservant un fond de musiques électroniques. Pour l’édition 2011, Elektricity propose une programmation du meilleur goût, alliant créativité et esprit de fête, car un festival, c’est toujours une fête, particulière. Ainsi, Brodinski, Bruit fantôme, Chassol, Herman Düne, Baxter Dury, Etienne Jaumet, Metronomy, The Shoes, Yuksek, … viendront illuminer les nuits de la cité des sacres du 4 au 8 octobre, avec un couronnement en apothéose sur le parvis de la cathédrale. C’est Guilhem Simbille, venu du monde du graphisme, qui désormais veille aux destinées de l’événement.

Peux-tu te présenter en quelques lignes ? Je m’appelle Guilhem Simbille. Je suis coordinateur programmateur au sein de la Cartonnerie du festival Elektricity depuis 2009. Autrefois, j’étais graphiste indépendant. En 2005, j’ai rencontré P-A (Yuksek) et Cyril Jollard. Ils m’ont confié la ligne graphique de l’événement. Et je n’ai plus quitté ce projet. Mon engagement dans le festival n’a fait que croître au fil des éditions. Aujourd’hui, j’ai plusieurs casquettes. En plus du graphisme, je gère une grosse partie de la programmation et la coordination entre les structures. Ce festival est aujourd’hui le fruit du travail commun de la Cartonnerie et de Césaré… un travail colossal.

Comment et quand est né le festival ? C’est Pierre-Alexandre qui l’a lancé, tout seul, en 2003. Il faudrait lui poser la question, mais je pense

12 - G U I L H E M S I MBIL L E

que son idée était de créer de l’émulation autour des musiques électroniques. À l’époque il n’y avait rien à Reims. Ni club, ni salle de concerts. L’Usine avait fermé depuis déjà longtemps et la Cartonnerie était encore en chantier. Quant aux «clubs»… no comment. Exception faite de La Spirale, qui n’était pourtant qu’un bar, et de la courte existence du Carré, il n’y a jamais eu un seul lieu privé à Reims ressemblant de près ou de loin à un club - au sens haciendesque du terme. C’est un drame… Parenthèse refermée. L’année suivante donc, en 2004, P-A a été rejoint par Cyril. Et en 2005, ça a été la première grosse édition du festival, notamment grâce à la participation de la Cartonnerie. Aujourd’hui ce festival est en passe d’être un événement reconnu au niveau national. C’est dû à la volonté des deux producteurs, la Cartonnerie et Césaré. La rencontre de ces deux structures a contribué à faire d’Elektricity un évé-

nement à la fois audacieux et fédérateur. C’est une belle réussite autour d’un projet artistique original.

Quel est son objectif ? L’objectif ? Le même que la plupart des festivals de notre époque. Rassembler le plus grand nombre autour d’artistes que nous, organisateurs producteurs, trouvons intéressants. Créer une forme d’ébullition sur une période courte. Éveiller de la curiosité. Dans le cas d’Elektricity, on a toujours cherché un équilibre entre des propositions fédératrices et d’autres plus confidentielles. Cette année par exemple, on souhaite mettre en avant des garçons comme Etienne Jaumet ou Chassol, un peu comme nous l’avions fait pour Erik M ou pour le projet de Benjamin Morando ; Pentile & the Noise Consort. On fait ça en s’appuyant sur des grosses cylindrées comme Metronomy et Yuksek. C’est un principe


FE S TIVA L

« une belle réussite autour d’un projet artistique original » qui a fait ses preuves. L’autre particularité d’Elektricity, c’est le développement de la manifestation parallèle à celui des artistes rémois comme Yuksek, Brodinski ou les Shoes. D’une certaine manière Elektricity s’est construit autour d’eux. Que ce soit avec P-A (Yuksek), Guillaume (des Shoes), Brodi ou les Bewitched, on échange des avis. On parle de musique, des concerts qu’on a vus et des albums qu’on a écoutés en boucle. D’une part parce qu’on aime beaucoup de choses en commun et d’autre part parce qu’on est ami. Ces relations participent au projet. C’est en pensant aux Bewitched que m’est venu l’idée de faire Baxter Dury. Pour en revenir aux artistes rémois, leur parcours est assez déconcertant. Personnellement, je n’éprouve plus de gène quand je dois dire que je suis de Reims, au contraire. Il y a encore quelques années, ce n’était vraiment pas le cas.

Quels sont les temps forts de l’édition 2011 d’Elektricity ? Cette année, Etienne Jaumet est l’invité du festival. Pour la première fois, nous avons dit à un artiste «Tu as carte blanche, qu’est-ce que tu veux faire ?». Etienne m’a répondu du tac au tac qu’il voulait jouer avec Richard Pinhas. C’est comme ça que c’est parti. Ensuite, il a dressé une liste d’invités. Ils se joindront à lui sur scène, à Saint-Ex. Etienne est aussi un pur esthète et un collectionneur de disques. Il a une culture musicale vraiment incroyable ! Je lui ai proposé de jouer des disques dans le bar de la Comédie pendant toute une soirée. Il aime bien ce genre de challenges. Dans les temps forts, il y a évidemment le concert des Shoes sur le Parvis. Ils ont fait un tel carton cette année que je ne voyais pas comment ne pas les caler sur cette édition, bien qu’ils aient joué l’an passé. En 2010, leur live était tout frais, ils donnaient leur premier concert avec cette formule. Pour 2011, j’ai proposé à Guillaume de se lâcher et d’imaginer une formule étendue sur scène, avec des guests et des musiciens supplémentaires… Il a tout de suite trouvé le principe excitant. Le concert qu’ils vont donner sera tout simplement magique. Le retour de Yuksek est évidemment pour nous un grand moment. On a voulu que ça se fasse dans des conditions particulières, assez exceptionnelles. C’était important de lui proposer un nouveau spot pour Elektricity. Il jouera donc à la Comédie dans une configuration vraiment spéciale. Ça promet d’être un grand moment aussi. L’album est, à son image, chic & classe. Et le live (que j’ai encore vu fin août) est assez déroutant. Il a réussi à aller vers une performance pop, tout en conservant avec lui ses vieux démons du fond du club. Un peu comme aux débuts de Tahiti 80 ou sur les dernières tournées de Phoenix, il y a beaucoup d’énergie qui se dégage des chansons. C’est difficile de ne pas taper du pied. Je pense qu’il va tout simplement retourner la Comédie… J’allais oublier Metronomy, alors que c’est le groupe le plus demandé au monde en ce moment. On est très content de les avoir cette année. Pour moi, ils sont au sommet de leur carrière. The English Riviera est déjà un classique. Ce disque restera dans l’histoire de la pop moderne, versant raffiné. Un peu comme Animal Collective, ils sont devenus une sorte de repère. Le dernier temps fort du festival sera le passage de Brodinski. Il fait partie lui aussi de notre cahier des charges. Elektricity ne serait pas tout à fait le même festival sans lui... Il est vraiment incroyable. Chaque année il gagne en notoriété. Aujourd’hui c’est un dj international qui n’a plus rien d’un petit français qui essaye de percer. Nous sommes tous très heureux de cette réussite. D’autant qu’il est adorable. Cette année, on voulait qu’il joue sur le Parvis… parce que les statues de la façade de la Cathédrale vont bien avec son

nouveau tatouage (rires). Plus sérieusement, c’est un endroit assez dingue, à la hauteur de l’hystérie qu’il déclenche quand il joue. Enfin, je pourrais parler des heures de Baxter Dury (un génie) ou de Chassol (un ovni), des Düne et d’Emmanuelle Parrenin (que j’adore), du Magician (un des DJs les plus raffinés du moment). Je pourrais aussi m’étaler sur Bruit Fantôme (un autre rémois qui va sortir un premier EP très bientôt) ou du projet Immensity of The Territory. Mais point trop n’en faut. Le mieux c’est encore d’aller jeter une oreille à tous ces artistes. Et puis il y a des propositions nouvelles comme la conférence de Christophe Brault sur le label Warp. Ce type est totalement habité. Il te parle de ce label comme s’il en avait été le créateur. Il est génial. Et ça remet un peu en perspective l’importance et la singularité d’artistes comme Broadcast (qu’à titre personnel je vénère), les Boards of Canada ou même cette vieille canaille d’Aphex Twin… Dans le même registre, on propose une projection : Sound it Out. Un film magnifique, qui n’a jamais été montré en France, sur un disquaire indépendant du nord de l’Angleterre. Je le recommande sincèrement. Ça se passera à la Médiathèque le samedi après-midi, avant le concert du Parvis… Pendant la semaine du festival, il y aura une exposition d’Olaf Ladousse, un artiste étonnant qui fabrique des instruments à partir d’objets usagés, un peu à la manière d’un Pierre Bastien. Et Saint-Ex proposera lors de sa journée Portes Ouvertes le 10 septembre le live d’un groupe de Paris, Signal, qui mélange vidéo et electronica.

Comment souhaitez-vous développer l’image du festival ? On travaille d’arrache-pied sur cette question. La communication, c’est l’autre nerf de la guerre. Là encore, c’est un travail d’équipe… On tient à cette image décalée. La plupart des festivals étiquetés «électro» montrent toujours des petits bonhommes, des robots ou des kid en American Apparel les bras en l’air… Nous on aime les gravures du XVIIIe. C’est un choix qui s’est imposé très tôt à Elektricity, une allusion au patrimoine et à l’histoire de la Ville. Pour occuper l’espace et faire parler de l’événement, on est évidemment très présent sur les réseaux sociaux. L’an passé on a lancé une application iphone, on était parmi les premiers à le faire. Cette année on continue de développer le site du festival, et on proposera des vidéos tous les jours. Il y aura pour la première fois un Off dans les bars de Reims la semaine précédent le festival et une grosse soirée pleine de surprises sous un chapiteau le 1er octobre. On s’attache aussi à être dans la presse, au coin de la rue et dans les commerces… C’est un travail harassant.

En conclusion ? Personnellement, j’ai hâte d’y être. Non pas pour être débarrassé, mais bien pour voir tous ces artistes. Je sais que certains auraient aimé qu’il y ait plus de techno. D’autres auraient voulu du dubstep, de la house, du hip hop… D’autres encore sont nostalgiques de l’époque où on recevait Krush ou Carl Craig. Moi et toute l’équipe, on a pensé à la génération qui avait envie de voir Metronomy. On essaye d’être en phase avec notre époque. C’est la raison d’être d’un festival comme celui-ci. C’est un exercice difficile, voire périlleux. D’autant qu’on s’attache à ne surtout pas donner dans le consensus… En conclusion de la conclusion, nous souhaitons un bon festival à tous. Venez nombreux !

www.elektricityfestival.fr

GU ILH E M S IMB ILLE - 13



Texte /

MU S IQU E

Valentin de La Hoz / Steeve Grandsire / Elektricity • Photo / DR

+ TERRESTRE EXTRA + Pianiste, compositeur, arrangeur, chef d’orchestre et même vidéaste-réalisateur, Christophe Chassol est devenu au fil de ces dix dernières années l’auteur d’une œuvre inclassable. Ses compositions articulent voix, musique, sons et images au sein d’objets audiovisuels inédits. Connu pour avoir accompagné aux quatre coins du monde Phoenix, Sébastien Tellier sur la tournée de «Sexuality» ou encore Keren Ann, Chassol produit aussi une œuvre personnelle affiliée aux cercles de la musique dite contemporaine pour ses propres albums et ses projets personnels d’art visuel. Interview.

Tu es un artiste inclassable. Entre des travaux personnels, des commandes pour la télé et le cinéma, des collaborations avec des artistes prestigieux comme Sophie Calle… L’auditeur pop moderne a du mal à te mettre dans une case. Peuxtu nous raconter ton parcours, tes amours (artistiques) ? Si

Tellier) à New Orleans avec mon ami critique d’art et journaliste Renaud Faroux filmer les fanfares, les artistes, le fleuve, les baraques défoncées, les poètes, les digues, les trains, les projects, les ponts les cheerleadeuses etc etc... C’est très cliché, mais chaque tournage était tellement intense qu’on revenait rincés les larmes aux yeux... et saouls aussi....(le bourbon)... Les maisons éclatées, le nombre de morts et les dates inscrits sur les portes,... les gens qui ont tout perdu, ceux qui racontent l’eau jusqu’au cou accrochés à des embarcation de fortune... et malgré tout la musique toute la nuit dehors... c’était très très intense.

j’analyse mon apprentissage, je dirais que comme François Hollande, j’ai le sentiment d’être un musicien « normal »: J’ai un parcours logique pour un musicien né vers la fin du XXeme siecle. Je viens des musiques sérieuses (classique et jazz) que j’ai apprises comme un bon élève de 4 à 18 ans au conservatoire ; J’écrivais ma musique au computer (Atari St / Cubase / Pro 24) dès mon entrée au collège en 1988 en écoutant les deux premiers albums de The Cure ; Je jouais et écoutais des musiques keuponnes au lycée (Peter & the Test Tube Babies, Bérus...) ; J’enregistrais les musiques de film au magnétophone à même la TV... ; Je jouais ado dans les groupes de biguine/zouk de mon pater ; Et puis j’ai cachetonné dans un paquet de groupes de salsa, rap, reggae, rock... J’en oublie mais, je me sens hyper normal comme musicien, un musicien logique du XXème siècle qui commence le XXIeme parfaitement armé : les armes de la théorie, de l’improvisation, de la technologie, de l’image et de l’altérité (ce qu’on appelle connement les musiques du monde)...

Quel regard portes-tu sur la musique d’aujourd’hui ? Tu as forcément un avis sur ce qu’on appelle le marché, la consommation, l’idée peut-être factice de diversité ? Je ne suis fan ni du son (trop clean), ni de l’écriture d’aujourd’hui et comme énormément de gens je n’ai pas de fini de digérer la musique de la 1ere moitié du XXème siècle et celle des années 70. Par ailleurs, je ne viens pas du disque et j’ai surtout gagné ma vie avec la pub, la télé, les films et les commandes... mais René la taupe ou Julien Doré ne me dérangent pas, je sais juste depuis longtemps que je ne fais pas le même métier. Je pense en fait que la diversité musicale est très réelle et que l’on peut trouver énormément de choses très différentes en cherchant autre part qu’avec les balises degueulasses du marketing et de la comm...

« Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse »

À quoi ressemble ton quotidien ? Es-tu souvent dans l’urgence ou parviens-tu à conserver du temps pour flâner et créer en liberté ? Je flâne dans l’urgence.

Lorsqu’on se penche sur ton univers musical, on se demande si tu te poses des limites ? Y’a-t-il des instruments ou des sons interdits ? Existe-t-il un dogme Chassol ? Oui : ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse

Nous parlions d’univers musical, on imagine qu’il y a des icones et des maîtres à penser. Parle-nous d’eux… Je considère avoir joué avec tous les gars dont j’ai acheté les disques au sens où j’ai appris à jouer en relevant leurs morceaux. Ce sont donc un peu des évidences (comme pour le cinéma (Kubrick, Scorcese, Hitchcock etc...)...: Stravinsky, Ravel, Miles Davis, Morricone, Steve Reich etc etc... avec lesquels j’ai eu et continue d’avoir un rapport de fan compulsif dont la goutte de sueur perle du front jusqu’au cou lorsqu’il a pu en croiser un (Reich). Mais un « maître à penser » un peu moins connu et tout aussi influant pour moi et que vos lecteurs pourraient aussi découvrir est Don Sebesky, l’arrangeur du label CTI, génial orchestrateur aux gouts et connaissances fascinants et grâce au bouquin duquel (The Contemporary Arranger) j’ai appris l’arrangement. Don Sebesky (Giant Box - tous les albums CTI qu’il a arrangés)

Qu’affectionnes-tu le plus dans ton métier ? Le style de vie qu’il t’autorise ou la possibilité d’être un créateur ? Le style de vie d’un créateur. Les meilleurs moments dans l’écriture sont ceux où après avoir procrastiné jusqu’à l’ultime prétexte on trouve l’angle, la juste approche, le déclic qui va permettre au processus de commencer pour ne plus s’arrêter. En somme les meilleurs moments sont lorsque l’on travaille sans s’en rendre compte. Je dois avouer que l’étape suivante où l’on écoute

ce que l’on vient de produire avec les portes de la perception grandes ouvertes n’est pas mal non plus.

Parle-nous de ta rencontre avec Bertrand Burgalat. C’est un personnage attachant. Il est venu vers toi ? Ou bien est-ce toi qui est allé à la rencontre de cette institution qu’est Tricatel ? C’est curieux, mais de la même façon que lorsque j’ai découvert Chick Corea au lycée, j’ai eu la sensation de l’avoir toujours connu... Il y a quelque chose de similaire à la façon dont je connais Bertrand Burgalat. Je ne me souviens pas exactement, mais j’ai le sentiment que lorsque j’ai composé le thème du logo des films Gaumont en 2002 on a dû me dire que le précédent avait été écrit par Bertrand et celui d’avant par Michel Magne. Je pense m’être renseigné à ce moment là et avoir vu en BB : BB (Burt Bacharach) une filiation (L’amour de l’orchestration, des sophistications harmoniques, le joueur de piano etc etc...). J’ai flairé que mon parcours pouvait lui plaire et que s’il y avait un gars à rencontrer à paname dans la musique bah c’était lui..). Je lui ai donc téléphoné et il m’a invité chez lui - moquette et piano blanc - et nous nous sommes bien entendus ! Tricatel ça n’est venu que cette année et c’est beaucoup avec Cyril Vessier que je bosse.

Avec quel artiste disparu aurais-tu aimé travailler ? Pêle-mêle : Jerry Goldsmith / Frank Zappa / Johan van der Keuken / Basquiat / Nina Simone / Minnie Ripperton / Gil Scott Heron / Freddie Hubbard / Michael Brecker / Joe Zawinul / Michel Colombier / etc etc... j’aurais aimé les filmer, les harmoniser, les ralentir, les superposer et les répeter... Mais s’il ne fallait en citer qu’un ce serait Miles de 1969 à 1974 ! Peux-tu nous parler de tes projets à venir, de tes futures collaborations ? Nous allons partir en Inde à Calcutta et Varanasi (Benares)

Tu as composé Nola Chérie, une pièce pour le Musée d’Art Contemporain de la Nouvelle-Orléans. Pourrais-tu nous planter le décor ? Nous parler de cette expérience dans cette ville dévastée… Avec plaisir ! C’est Xavier Veilhan qui en en 2007 a parlé de mon

filmer les gurus et leur élèves, la danse, la voix, les chants védiques en sanskrit, le trafic, les animaux... (peut être un peu la modernité aussi)... revenir avec les images les harmoniser, les monter, les ultrascorer et jouer tout cela en live façon Nola Chérie. Je vais travailler avec Marina de Van (Ne te retourne pas, Dans ma peau, 8 femmes) sur le score de son prochain film d’épouvante. Je finis mon film ultrascore Animal Conducteur sur Jean-Claude Casadesus chef de l’Orchestre National de Lille que nous jouerons Live l’an prochain. Nous allons continuer de jouer Nola chérie le plus possible dans de beaux endroits avec The drummer : Lawrence Clais. D’ailleurs nous fêtons une partie des 15 ans de Tricatel au Lieu Unique où Cyril Jollard programme aussi Nola chérie ! Pour les futures collaborations il y a beaucoup de choses de prévues, dont des concerts à deux pianos avec Bertrand Burgalat, mais j’aimerai bien également bosser avec Rebotini ou Chloé je crois...

travail video (ultrascores) au CACNO et qu’ils m’ont invité à exposer mes courtes videos d’harmonisation du discours. A ce moment là j’ai proposé de plutôt faire un film (un ultrascore*) sur la ville... FACE a financé et je suis parti en juin 2008 (le lendemain d’un concert avec

www.elektricityfestival.fr

C H A S S OL - 15


MUSIQUE

16 - H E R M A N D Ü NE


Texte /

MU S IQU E

Alexis Jama-Bieri • Photo / DR

HERMAN DÜNE + FOLK EN STOCK +

Herman Düne, c’est le groupe phare de l’antifolk. Loin de composer une antimusique, l’on se surprend vite à plonger, toute tête baissée, dans l’univers si particulier des Düne, aux accents d’une Amérique romanesque. D’ailleurs, c’est Jon Hamm, acteur américain, qui incarne un des personnages principaux de leur dernier clip ! Après plus de dix années d’exercice, le groupe, formé aujourd’hui de Yaya et Cosmic Neman, offre à nos oreilles avides de mélodies soignées, leur excellent dixième album Strange Moosic. Étrange musique ? Interview.

Qu’aimeriez-vous dire à ceux qui se demandent ce qu’est Herman Düne ? Je sais pas, je pourrais vous dire un truc à la con comme : « c’est un groupe de rock qui chante des chansons en anglais accompagnées à la guitare et à la batterie », ou pour vous donner un peu plus envie comme dans les magazines féminins : « c’est une musique qu’on écoute en allant à la plage avec sa copine », mais je pense que la meilleure manière de découvrir notre musique c’est de venir nous voir jouer, c’est ce qu’on sait faire de mieux je crois, de partager ce plaisir avec nous, ce plaisir qu’on a sur scène, ça peut vous donner l’envie d’écouter nos disques ensuite.

Vous faites de la musique ensemble depuis quand ? Depuis le début des années 90. Yaya et moi nous sommes rencontrés dans la cour d’école, au collège. J’écoutais les Pixies et Sonic Youth dans mon walkman, et Yaya m’a demandé si je ne voulais pas faire un groupe avec lui, je lui ai dit que je ne savais pas jouer d’un instrument, il m’a dit que ce n’était pas grave, qu’il pouvait m’apprendre, et après les cours, il m’apprenait la batterie dans le sous-sol de la maison de ses parents, et c’était parti, ça fait 20 ans que ça dure maintenant !

travaillées dans les six mois afin qu’elles soient prêtes avant d’aller les enregistrer. Notre dernière tournée aux États Unis en 2009, pendant cinq semaines en première partie de Jolie Hollande, nous a donné envie d’aller enregistrer à Portland, Oregon, avec Adam Selzer, le petit ami de Rachel Blumberg, la batteuse de Jolie. Il avait enregistré des disques qu’on aimait bien comme ceux de M.Ward et le premier She&Him. Comme les chansons étaient prêtes et qu’on souhaitait faire un disque avec peu d’arrangements, c’est allé très vite. On a enregistré et mixé le disque en deux semaines à Type Foundry studio, et sur les 20 titres enregistrés on a mis sur le disque, les 12 qui semblaient aller le mieux ensemble. Puis on a fait masteriser le disque par Bob Weston de Shellac à Chicago.

le plus, dans tous les domaines : la Beat Generation, Bukowski, Alfred Hitchcock, Woody Allen, Seinfeld, le skateboard des Dogtown Z Boys... Et puis Yaya et moi avons grandi en écoutant principalement de la musique américaine : Elvis, Johnny Cash, Bob Dylan, le Velvet Underground, et ensuite pas mal d’indie rock pendant notre adolescence : Nirvana, Sonic Youth, Pavement, Palace Brothers... C’est ce qui nous a donné envie de faire de la musique, un groupe et puis d’aller enfin enregistrer un disque a New York, Mas Cambios en 2004.

de s’affirmer, de montrer que nous ne somme pas comme les autres ou juste de se sentir bien. On sait tous que les plus grandes marques s’inspirent souvent de la rue ou du look des artistes qui lancent souvent les modes avant les autres, après c’est trop tard. Alors sans vouloir lancer une mode, travailler avec April 77, c’était d’abord collaborer avec une marque qu’on aimait beaucoup et ça nous permettait de faire des vêtements qu’on aime bien et qui correspondent a nos convictions de ne pas tuer des animaux pour fabriquer des vêtements.

Vous vous sentez particulièrement proche de quels artistes ? Avec qui aimeriez vous travailler ? Je ne sais pas si on peut se sentir vraiment

Quel est votre souvenir de concert le plus drôle ? Je crois qu’une fois en Angleterre, il y avait

proche d’un artiste, il y a des gens qu’on admire

« L’inspiration peut venir de tout et n’importe quoi »

Vous avez une production discographique prolifique. Comment vous vient l’inspiration ? Notre premier album est sorti en l’an 2000 ou 2001, depuis on a sorti un album par an en moyenne. On travaille beaucoup. L’inspiration est quelque chose de très personnel, qui demande un travail quotidien. Je ne pense pas qu’il y ait un jour où Yaya ne pense pas à l’écriture de ses chansons. L’inspiration peut venir de tout et n’importe quoi, une expérience vécue, un livre, un film, une chanson qu’on écoute. Ensuite on se réunit pour voir comment jouer les nouveaux morceaux avec la batterie et la basse de Ben Pleng. Et à quoi rêvez vous ? À pouvoir continuer à jouer ensemble pendant encore de longues années, Herman Düne c’est le mode de vie qui nous convient le mieux je crois !

Comment avez vous travaillé pour concevoir votre nouvel album Strange moosic ? On a sélectionné une vingtaine de chansons, qu’on a beaucoup

Comment le clip de Tell me something I don’t know avec en guest Jon Hamm, héros de la série Mad Men, et une marionnette du créateur des Mupettes, a-t-il vu le jour ? Où a-t-il été tourné ? Le clip est une idée de Yaya, qui dessine le Yeti bleu dans ses tableaux depuis pas mal de temps déjà. Il a écrit le script où l’on voulait faire découvrir a Baby Blue, le fils du Yeti, le monde des humains : pour ça on voulait trouver une figure paternelle d’un grand acteur. Nous avons choisi de travailler avec Toben Seymour, qui a déjà fait nos clips précédents et qu’on aime beaucoup. Et on s’est dit pourquoi ne pas demander a Jon Hamm ? Il paraissait hors d’atteinte pour nous, mais qui ne tente rien n’a rien, et finalement le script du clip lui a plu ainsi que l’idée de rencontrer Baby Blue, et il a donc accepté de venir nous rejoindre sur le tournage du clip a Austin, Texas pendant qu’on venait jouer a SXSW. Pour vous, que représente l’imaginaire américain ? Pour nous c’est la culture qui nous attirait

comme les Beatles, Leonard Cohen mais qui sont inapprochables. Ou d’autres qu’on adore comme les Strokes mais qui n’ont pas grand chose a voir avec nous. Et puis il y a les amis, comme Jeffrey Lewis ou Little Wings qu’on aime beaucoup mais qui sont aussi différents de nous. Peut être que plus qu’un chanteur, on aimerait plutôt travailler avec un gros producteur, c’est quelque chose que nous n’avons jamais fait de laisser les rennes a quelqu’un d’autre, quelqu’un comme Rick Rubin ou Danger Mouse qui nous amènerait autre chose ?

un type chauve au premier rang qui dansait comme un fou pendant notre concert - et sa manière de danser était tellement improbable - et le fait de voir son crâne depuis la scène - on s’est tous pris d’un fou rire et on a du s’arrêter en plein milieu des morceaux à plusieurs reprises sans pouvoir dire au public pourquoi… très bon moment !

Que pensez vous de la scène musicale rémoise et du festival Elektricity ? Nous sommes sur le même maison de disques (GUM) en France, que le groupe rémois The Shoes, je connais un peu Yuksek aussi et les Bewitched Hand, ce sont tous des gens intéressants, même si on ne fait la même musique. Ça fait toujours plaisir de voir une ville où il se passe des choses, où on ne boit pas seulement que du champagne, et où des groupes s’exportent hors de nos frontières ! Je pense qu’un festival comme celui d’Elektricity permet de réaliser des projets intéressants, comme la carte blanche donnée à Etienne Jaumet, qui permet de faire venir des gens qu’on voit rarement sur scène comme Emmanuelle Parrenin et Richard Pinhas. Je n’ai pas encore vu toute la programmation, mais je suis sûr qu’on doit s’attendre à de bonnes surprises avec le bon goût de Guilhem Simbille !

Vous venez de collaborer avec la marque parisienne April 77 sur la création de modèles de Chinos. La mode joue-t-elle un rôle important pour vous ? La manière de s’habiller a toujours été importante dans la culture rock, a partir du moment où on est en représentation sur une scène ou ailleurs. Ce serait mentir de dire qu’on n’y attache pas d’importance : c’est une manière de se démarquer,

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H E R MA N D Ü N E - 17


MUSIQUE

Texte /

Valentin de La Hoz • Photos / DR

ETIENNE JAUMET + IMPROVISATION ORDONNÉE + Passionné de sonorités issues de vintage synthé., saxophoniste de formation, Etienne Jaumet est un érudit du son, pop, électro…La musique comme aventure perpétuelle, qu’il développe personnellement ou accompagné au sein de son autre projet Zombie Zombie, avec Cosmic Neman, batteur de Herman Düne. Interview.

« Pour moi la plus belle musique est celle que je n’ai pas encore entendue » Peux-tu te présenter en quelques mots, pour les lecteurs de CLGB qui ne te connaîtraient pas encore ? Etienne Jau-

En quoi ton projet personnel est-il différent de celui que tu mènes avec Zombie Zombie ? Zombie Zombie est

met, 40 ans né à Rouen, musicien, vis à Paris.

un duo avec un batteur ! Il apporte ses idées, son énergie, ses rythmes à mes compositions : ça change pas mal de choses ! Notamment d’un point de vue esthétique, car il n’aime pas toutes mes idées et me pousse à suivre les siennes : et c’est très stimulant ! Si on te donne carte blanche, tu fais quoi ? J’invite mes potes pour jouer ensemble ! Ce que j’ai la chance de faire justement à Elektricity cette année !

Comment caractériserais tu ton travail ? La musique n’a jamais été un boulot pour moi ! C’est devenu ma profession au fil des années... J’en fais depuis 11ans, mais avec dilettantisme ! Je ne suis pas un très bon instrumentiste, mais j’essaye de faire de la bonne musique avec le peu de technique que je possède ! Je ne sais pas si cette caractéristique se ressent à l’écoute de mes morceaux... J’ai commencé par apprendre le saxophone, puis au début des années 90 j’ai acheté tous les synthé. analogiques devenus surannés que je trouvais dans les brocantes ! J’ai à la base une formation d’ingénieur du son ! C’est sans doute cela qui m’a attiré dans le fait de fabriquer mes propres sons... Bref ma musique est le fruit de nombreuses expériences pas du tout déterminées, c’est le hasard qui dicte mes pas depuis le début. Moi, j’ai simplement improvisé au fil des évènements !

Tes références englobent aussi bien l’électro vintage que le free jazz. En Live électro, laisses-tu justement une grande part à l’improvisation, chère au Jazz ? Oui c’est

Conçois-tu ton travail comme une œuvre musicale à proprement parler, imperméable, où comme une partie d’un tout où plusieurs disciplines artistiques interagissent ? Je ne maîtrise au-

Au cours de tes différents projets, tu as investi plusieurs champs musicaux. Est-ce une volonté, un besoin, ou une adaptation aux tendances ? C’est la encore le hasard des rencontres avec différents

cune autre forme d’art ! Même en musique je me sens bien incapable de jouer dans tous les styles. Cependant, plusieurs disciplines interagissent déjà au travers de ma musique, mais par l’intermédiaire d’autres artistes tel que LA BOCA le designer de mes pochettes ou même Simon Gesrel et Xaver Ehertsmann dans le clip de Zombie Zombie (mon duo avec Cosmic Neman). En tout cas j’aime bien confronter ce que je joue à de la danse ou même des sculptures (!!!!) et je n’hésite pas à le faire des que l’occasion se présente !

musiciens qui a diversifié mes champs d’expression : Flop (chanson Française), Herman Düne (rock/folk), The Married Monk (pop/rock), Turzi (électro/krautrock) ! Évidemment tous sont devenus des amis très proches ! La notion de plaisir et d’échange est essentielle dans ma démarche ! Avec le temps je me suis aperçu que toutes ces expériences m’ont nourri et ont interagi d’un style à l’autre. Je n’ai pas d’objectif de carrière et encore moins de vision stylistique à long terme ! Pour résumer, je fais ce qui me plait quand l’occasion se présente !

Quel est ton regard sur la scène musicale française en général et électro en particulier ? Pour moi la plus belle musique est celle que

Avec Zombie Zombie, tu reprends les thèmes du cinéma fantastique et d’horreur… Qu’est ce qui te fait le plus peur ? Dans les

je n’ai pas encore entendue (ndlr John Cage) ! Je trouve la scène musicale française toujours aussi créative, mais comme l’industrie du disque s’écroule et qu’il est de plus en plus dur pour les musiciens de vivre de leur art et donc de se faire connaître, les plus belles choses se déroulent dans l’underground aujourd’hui plus que jamais !

films d’horreur ? Lorsqu’il n’y a aucun bruit dans une maison trop calme et que le chat bondit devant l’écran violemment balancé par un technicien hors champs ! Ca marche toujours sur moi ça ! Je fais des bonds à tous les coups sur mon siège ! Sinon comme je suis dans un environnement où je ne suis pas confronté à des situations effrayantes et que je suis d’une nature calme, rien ne me fait vraiment peur.

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vrai ! Peut être simplement parce que je ne suis pas assez bon musicien pour répéter deux fois de suite la même chose ! J’ai donc instinctivement choisi la “structure” jazz... Et puis il faut l’avouer j’aime beaucoup improviser… et le fait que j’ai appris le saxophone en premier m’a inévitablement sensibilisé à cette musique !

Quel est, selon toi, le concert parfait ? ... Et le lieu de concert parfait ? En général, les meilleurs concerts n’arrivent jamais au moment où on l’imagine ! J’ai constaté que ce ne sont ni ceux où tu as le meilleur son, ni ceux où tu joues le mieux que je préfère ! C’est lorsqu’il y a une symbiose entre le public, le lieu et toi, qu’il se passe quelque chose de particulier ! Et ça c’est impossible à prévoir ! Je ne connais pas de lieu de concert parfait.

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MU S IQU E

E TIE N N E JA U ME T - 19


MUSIQUE

20 - B R O D I N S K I


Texte /

MU S IQU E

Alexis Jama-Bieri • Photo / © Crapaud Mlle

BRODINSKI + VIRTUOSITÉ +

L’électro est une musique à part entière, peut-être même, par les nouveaux sons qu’elle produit, une musique d’avenir, du moins un de ses éléments, ringardisant presque le Rock. Les DJs, qui mixent plusieurs disques ensemble, recréent, à partir de compositions vécues comme des sons instrumentaux, une nouvelle musique, et constituent leur univers propre, leur son reconnaissable dès les premières mesures. Brodinski est de ces musiciens du XXIème siècle, nourri au son et au rythme synthétiques. Rémois, ayant débuté lors des mémorables soirées Bonheur binaire, il fait désormais partie des dj que l’on s’arrache sur les cinq continents, de Paris à Los Angeles, New-York, Ibiza, Monaco… Interview

Comment es-tu venu à la musique électro ? Quand j’avais 15 ans, j’ai écouté mes premiers morceaux de musique électronique via des labels comme Kill the DJ, Warp, Crosstown Rebels, Cocoon ou encore Kompakt. L’Internet m’a vraiment aidé dans ce processus de découverte et je ne pourrais que remercier encore et encore tous ces artistes et labels qui m’ont donné l’envie de Créer !

Que t’apporte justement Internet dans ton travail ? C’est une bibliothèque infinie qui facilite énormément de choses et qui encourage la découverte et le savoir ! Quelles sont tes principales influences ? Je dirais que les DJ comme Ivan Smagghe, Damian Lazarus, Andrew Weatherall, les 2 Many DJs, Erol Alkan, Boys Noize, Dj Mehdi, et Yuksek bien sûr, m’ont particulièrement influencé. En ce moment, je suis de plus en plus inspiré par les producteurs de rap comme Bangladesh ou les artistes comme The Weeknd.

des dizaines. D’une certaine façon, cet oubli signifie que je suis constamment en train de vivre des choses incroyables !

penchant pour le rap est de plus en plus important : j’essaie de concilier les deux dans mon emploi du temps tout en les dissociant dans mes DJ sets.

Y a-t-il des lieux où il est plus difficile de jouer, de capter le public ? Oui il y en a de nombreux ! Ce

Quel est ton rapport à la production ? Un moyen de développer des collaborations artistiques ? D’explorer d’autres univers musicaux ? Avec quels artistes collabores-tu justement ? Je

sont les lieux où les gens ne sont pas encore habitués à ce genre de musique, les lieux qui n’accueillent pas les DJs comme nous. C’est toujours difficile, c’est un challenge, mais c’est aussi une bonne chose de jouer des choses différentes pour leurs oreilles et les ouvrir à d’autres esthétiques. Mais je joue de plus en plus dans des soirées où le public sait ce qu’il fait là et heureusement pour moi !

ne suis toujours pas un grand fan de la production après ces années. La collaboration a donc toujours été une bonne alternative pour moi, comme celles avec Pierre (Yuksek, ndlr) ou Guillaume des Shoes. Mais aussi d’autres artistes comme plus récemment Noob, Mumdance ou Electric rescue. C’est, je pense, la meilleure chose à faire pour rester ouvert d’esprit.

bel a largement participé au développement de ma musique, mais je pense fonctionner avec des gens différents sur les prochaines sorties, juste pour changer d’air. J’ai déjà fait l’expérience avec l’excellent label RELIEF records de Chicago, monté il y a presque deux décennies par Green Velvet, une légende !

Comment vois-tu l’évolution de la musique électronique à l’avenir ? Les discothèques ne sont elles pas en train de tuer les clubs, et donc la musique « dance » bas de gamme ne risquet-elle pas de faire disparaitre l’électro pointue et travaillée ? La musique dance a toujours été là, elle ne tuera pas le reste de la musique électronique, et il y aura toujours des personnes de bon goût pour apprécier la qualité ! Le groove c’est tout ce qu’il nous reste et je veux rester optimiste à ce sujet !

« Le groove, c’est tout ce qu’il nous reste »

Comment a évolué ton style depuis ton premier set en public ? Je dirais que techniquement j’ai considérablement changé, je suis vite passé aux platines et je me suis clairement dirigé vers la techno tout en m’ouvrant à l’écoute de beaucoup plus de choses. C’est ce paradoxe qui fait évoluer mon style de jour en jour !

Quelles émotions, énergies ou ondes veux-tu faire passer lors de tes sets ? J’essaye de concentrer l’esprit de la fête, l’Entertainment, tout en essayant de jouer de la musique de bon goût et les choses que j’aime particulièrement. J’espère que le public le ressent de cette façon ! Quels sont tes meilleurs souvenirs de sets ? Il y en a beaucoup ! Ma première soirée Bonheur binaire à Reims, mes résidences au Social Club, I Love techno à Gand, le Libertine Supersport à Bruxelles, les soirées Bugged out à Londres ou Manchester, les soirées Illégales à The Well à Los Angeles, et j’en oublie surement

Des résidences de prévues dans des clubs ? Toujours au Social club ? J’ai effectué une résidence à Ibiza cet été, à L’Amnesia. Et puis je vais poursuivre les Brodinski residency au Social Club, où je continue à y inviter les artistes que j’aime et les gens me suivent. La prochaine a d’ailleurs lieu le 15 octobre ! Justement, comment fonctionne une résidence dans un club ? Ces résidences me tiennent vraiment à cœur et c’est quelque chose qui me permet d’avancer. Dans ces événements, le public et la musique ne doivent faire qu’un ! Ici, c’est simple, je m’occupe de la programmation et je l’organise comme si tout dépendait de moi !

Tu joues aussi bien de l’électro que du hip hop. Comment arrives-tu à concilier les deux ? J’essaye de ne pas trop les concilier. J’ai ma résidence de Rap avec DJ Mehdi (toujours au Social club), on va commencer à s’exporter. Je suis un DJ Techno et je ne lâcherai pas l’affaire ! Mais c’est vrai que mon

Peux-tu nous parler justement de tes autres projets : Gucci Vump, The Krays… ? Gucci Vump c’est mon chouchou, on bosse beaucoup avec Guillaume et on expérimente plein de choses. On part dans tous les sens ; c’est vraiment un projet fun et authentique ! En ce qui concerne The Krays, nous venons de terminer notre deuxième maxi, on attend la date de sortie ! C’est vraiment enrichissant de travailler aussi bien avec Yuksek qu’avec Guillaume ! Quels artistes aimerais-tu remixer ? En ce moment, j’aimerais vraiment travailler avec The Weeknd, je suis vraiment un fan de la première heure ! Je pense notamment en faire un remix non officiel avant la fin de l’année. Je remixe actuellement Gesaffelstein, Nero & Savage skulls, des projets qui eux aussi me tiennent énormément à cœur !

Avec quels labels travailles-tu pour tes prod. ? Jusqu’à maintenant je travaillais avec Turbo. Ce la-

Quels sont tes 5 morceaux préférés, toutes époques et tous genres confondus ? 1. The Weeknd - What You Need / 2. Drake - Bria’s Interlude / 3. Bobby Brown - Don’t Be Cruel / 4. Aril Brikha - Winter / 5. Larry Heard - Missing You

Quelle sera la tonalité de ta soirée à Elektricity le 8 octobre ? J’essaie de ne pas trop y penser ! Je sais que l’endroit va me donner l’inspiration rêvée et j’ai vraiment hâte d’y être. C’est une très belle opportunité pour moi encore une fois. Merci !

Un dernier mot pour les lecteurs de CLGB ? J’espère que vous serez là pour Elektricity et que vous avez apprécié cette interview : c’est toujours difficile de trouver les mots pour exprimer la musique :) Et pour le public d’Elektricity #9 ? Vivement le samedi 8 octobre, et croisons tous les doigts pour que le soleil pointe le bout de son nez sur la parvis de la Cathédrale !

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B R OD IN S K I - 21


ART

Texte /

Alexis Jama-Bieri • Photos - dessins / © Artus de Lavilléon

ARTUS + ART POSTHUME +

Né en 1970, Artus de Lavilléon vit une enfance hors normes, riche de rencontres et de libertés. Après avoir créé en 1988 le fanzine FTBX (Fuck the blaireaux) qui est le plus vieux fanzine de skateboard français encore existant, il intègre en 1991 la faculté d’arts plastiques à l’université de Paris 8. Rapidement, Artus développe un style unique et particulièrement graphique. Interview.

Tu as grandi dans un milieu culturel et underground… est-ce ce qui t’a donné l’envie de poursuivre une œuvre créative ? Il y a plusieurs choses qui m’ont donné envie de faire de l’art, la première c’était quand j’étais enfant, lorsque mon beau-père a peint un rond blanc sur le mur de ma chambre, et que beaucoup plus tard, j’ai découvert le carré blanc sur fond blanc de Malevitch. J’ai été très touché par cette œuvre et me suis alors demandé ce qui pouvait pousser quelqu’un à concevoir une œuvre comme ça. Par la suite, j’ai redécouvert les textes de Malevitch au cours de mes études en fac d’arts plastiques, et j’ai eu la surprise de réaliser que ces textes amenaient la même réflexion que ce que le carré blanc sur fond blanc avait fait germer en moi. La seconde vient également de mon enfance, entre 9 et 12 ans : Un très grand relieur d’art, Pierre Lucien Martin, s’est occupé de moi. Il avait chez lui de nombreuses lithographies et sérigraphies de Vasarely, Chagall, Braque, Picasso et des livres magnifiques. La troisième est venue beaucoup plus tard, à 22 ans, avec la découverte de l’underground et du « Do It Yourself ». Après avoir beaucoup trainé dans la rue à faire du skateboard, j’ai décidé, à la fac, de rédiger un mémoire sur moi-même. Je me suis dit : tant qu’à parler de quelqu’un, autant parler de quelqu’un que je connais ! Mais il fallait que je m’invente des inspirations. À cette époque j’aimais déjà ce qu’il y avait écrit sur les murs. Pas les graff hip hop, mais ce que j’appelle moi les « graffitis historiques », comme par exemple « loi 1901 ne pas afficher » autour duquel on voit toujours écrit des choses qui donnent une autre dimension au texte, insultes etc. ça m’a toujours intéressé. Mais j’aimais également les inscriptions dans les toilettes des bars punk rock avec les amoncellements d’affiches, de stickers, et c’est ça qui m’a amené à découvrir le lettrisme, et le situationnisme (notamment Guy Debord, qui était un très grand ami de ma mère, ce que je ne savais pas, et qui est devenu une de mes références). C’est donc comme une boucle qui se bouclait, quand on sait que le punk rock était influencé par Malcolm Mc Laren et que Mc Laren avait insufflé le situationnisme dans le mouvement punk…

Quelle est ta relation à l’art, au dessin, à la street culture ? J’aime à la fois la nature et la ville, les pots d’échappements les vélos à pignons fixes, les slides au milieu des voitures, le skate board, la vie, les rencontres, et puis le fantasme de liberté que représente l’idée de pouvoir vivre dans la rue. Je sors assez peu en soirée, je n’aime pas ça. Mon rapport à l’art c’est la liberté ! C’est faire ce que j’ai envie quand j’ai

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là, tout le monde a communié, est rentré dans cet espèce d’instant magique.

Photos : © David Ledoux

envie de le faire, et ne pas me limiter à un support particulier, et puis surtout ne pas faire partie d’une « École », comme le « street art », « l’art contemporain », car c’est se mettre dans des cases qui n’ont aucune raison d’exister. Quand il se passe quelque chose devant moi qui le nécessite je peux filmer ou photographier. Quand l’émotion est plus compliquée à traduire (ou plus brute) je fais une peinture, ou un dessin quand elle est plus précise… Quand les appareils numériques sont arrivés, j’ai commencé à décalquer mes photos car je les trouvais trop plates par rapport à l’argentique, et à écrire dessus ce que me racontaient ou m’inspiraient mes amis. Et c’est

cation d’une éthique stricte dans l’une comme dans l’autre »… L’art posthume c’est une façon de dire : d’abord la vie et ensuite sa trace, et si nous parlons de « témoignage brutal de vécu » c’est surtout poussé par cette nécessité intérieure qui a besoin de sortir et de s’exprimer pour exister et nous permettre d’exister à travers elle. Avec l’Art Posthume, on fait l’œuvre d’abord, ensuite on réfléchit, et c’est cette réflexion qui mène à l’œuvre suivante, pas le contraire. Ce n’est jamais une réflexion qui va amener une œuvre puis amener une œuvre suivante : On ne peut pas démarcher avant d’avoir fait l’œuvre. Par exemple, Daniele Tedeschi, qui est un des fondateurs de l’Art

« L’art, c’est la liberté » comme ça que le dessin est re-rentré dans ma vie. Il n’y a pas de limites à ce qu’on peut créer.

Qu’est ce que l’Art Posthume, le mouvement que tu as cofondé en 2004 ? Avec le manifeste on a voulu créer, non pas une case, mais du lien autour d’idées. Ce n’est ni un manifeste de « street art » ni « d’art contemporain ». C’est une proposition ouverte. Pour preuve, les derniers mots du manifeste sont « S’en revendique qui veut », c’est donc très clair ! La plupart des idées du manifeste sont très fortes pour moi, comme « En art comme dans la vie on a besoin de vérité, pas de sincérité », ou « Il ne faut pas faire pour être, mais être pour être » et puis « Si on doit un jour être connu pour et par son œuvre, cela sous-entend qu’on lira forcément cette dernière à la lumière de notre vie donc l’appli-

Posthume, est incapable d’aller démarcher une galerie pour dire qu’il aimerait exposer quelque chose correspondant à une ligne artistique précise. Et de cette manière-là, quand on lui a proposé d’aller exposer chez Agnès b, il ne savait pas à l’avance ce qu’il allait faire. C’était juste impossible de penser en terme de cible ou de « projet ». Ce n’est pas comme ça que nous travaillons. Donc il a fait une grande peinture où il a écrit Nothing to say, but nothing to lose too, accompagnée d’une paire d’Adidas qu’il avait porté sans relâche, encadrées dans une caisse en bois à la mode de l’Arte Povera. Pour couronner le tout il y avait une cage d’oiseau, quelques photos enfermées, et puis en point d’orgue quelqu’un est venu jouer du violon le soir du vernissage. C’était ce qui lui arrivait à ce moment précis de sa vie, interprété sous une forme artistique et c’était magnifique ! À ce moment-

Le titre de ton exposition Vendu à la galerie M.H. Karst dans le 11ème était un clin d’œil à l’encontre du côté parfois « alimentaire » du travail artistique ?... et du regard de certaines galeries sur ce travail justement ? Dans Le mythe de la contre-culture de Joseph Heath et Andrew Potter, il est dit « le confort que vous avez exigé est maintenant devenu obligatoire ». Il n’y a rien, en fait, qui fait mieux vendre que la contre-culture. J’utilise des codes, pour mettre les gens face à une culture, une génération, et très peu de personnes ont conscience de ce second degré. Ce titre Vendu me trottait dans la tête et je me suis dit qu’il fallait faire une exposition pour montrer mes travaux commerciaux et notamment, pour le crédit coopératif. Cette banque m’a demandé de réaliser leur campagne publicitaire après avoir vu mes fanzines où il y avait notamment une fille à vélo qui expliquait qu’elle détestait « que des hommes mariés descendent sur elle ». Et le plus drôle c’est que cette image a inspiré une campagne très propre sur elle ou une fille en vélo aussi (presque la même) s’est retrouvé à dire « Une banque qui me défend, ça se défend ». Cette culture punk dérangeante (et sa récupération) m’intéresse. Les gens s’autocensurent eux-mêmes. Je pense que c’est une erreur… Comme si on ne pouvait pas être un bon artiste parce qu’on fait de la pub. Je crois au talent, et au fait que celui-ci peut s’exprimer partout et qu’il est presque impossible de trahir un réel talent. Car il finira toujours par ressortir. Avec l’exposition Vendu je me suis pourtant demandé si je me trompais, du fait de travailler pour une banque. Mais en même temps, l’argent gagné de cette banque me permet de rester libre des institutions et de faire ce que je veux, sans forcément encadrer mon travail. Après, je ne dis pas qu’encadrer son travail soit forcément mauvais, je dis qu’être obligé d’encadrer son travail pour réussir à le vendre est mauvais. Ça me permet de ne pas dépendre de galeries qui vont me demander de présenter mon travail d’une manière qui n’est pas la mienne. Et puis, c’est intéressant de voir que tout le travail qui a été présenté dans cette exposition a été publié. Un ami de ma mère m’a un jour dit « à partir du moment où on se bat pour la liberté c’est très difficile de se battre pour la structuration de cette même liberté » (in « Les enfants de la société du spectacle » visible sur youtube : http:// www.youtube.com/watch?v=jJoAmRn7uwE). ça me paraît très juste, surtout aujourd’hui. (suite page 28)


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Si l’artiste, pour vivre, doit faire œuvre de compromission, n’est ce pas le signe que l’artiste « professionnel » pourrait perdre son âme… alors qu’un artiste amateur, ayant par ailleurs un moyen alternatif de subsistance, serait plus libre parce que libéré des contraintes matérielles ? Pour moi il y a une énorme différence entre la compromission et les concessions. Les compromissions, c’est se compromettre et les concessions c’est concéder quelque chose. Je pense que faire des concessions c’est très important. C’est important de réussir à imaginer ce que peut être la personne qui est en face de nous, de quoi elle a besoin, ce qu’elle a besoin de voir, ce qui va lui plaire, comment réussir à la toucher et à lui communiquer notre émotion. Dans le manifeste de l’Art Posthume, il y a écrit « l’art c’est donner forme à l’espace qui nous sépare ». C’est ça la concession. Mais se compromettre, jamais ! Si on me demandait de dessiner une chose contre laquelle je suis, je ne le ferais pas.

Cette liberté qui permet de s’affranchir de limites pourrait questionner également sur la scission opérée depuis les 60’s entre pratique professionnelle et amateur ? Je trouve que le professionna-

Chezlegrandbag et Vin&Culture présentent ARTUS • exposition « VENDU » Vernissage le jeudi 20 octobre 2011

lisme dans l’art c’est quelque chose de détestable. Il y a pour moi une énorme différence entre les gens de métier et les professionnels, synonymes d’un manque de curiosité et d’ouverture d’esprit. Paradoxalement je suis de plus en plus ce que je déteste c’est à dire « professionnel » et ça me rend malheureux et mal à l’aise.

Lorsque tu réalises un travail de « commande », restes-tu finalement libre dans ta création ? Ce fut le cas pour la pub pour la banque Crédit Coopératif ? Beaucoup de gens ont fait des remarques négatives sur le fait que je faisais de la publicité à côté de mes créations personnelles, notamment pour Crédit Coop (qui est pourtant une banque assez « éthique » pour autant qu’une banque puisse jamais l’être) ou par ailleurs pour Nike ou Citadium. Pour le dernier projet avec Nike, j’étais parti en résidence dans le sud de la France où j’ai eu carte blanche. J’ai donc commencé cette exposition par un dessin qui disait « Don’t do it ». Pour Citadium. J’ai réalisé une performance enfermé dans un stand à t-shirt opaque durant les 15 jours que durait l’exposition qu’il voulait faire de mes dessins, c’était la condition, qu’ils ont étrangement acceptée. Ici la boite pouvait bien représenter, un cercueil, le carton du clochard, ou le logement insalubre de l’ouvrier qui produit à très bas coût les t-shirts que nous portons… Je vivais donc là pendant que les gens achètent des t-shirts à 45€ ou plus ! La seule indication consistait en une simple inscription sur la vitrine : « Un homme vit et dort dans un stand à t-shirt caché dans le magasin, pendant 15 jours » (et les dimensions étaient indiquées 90x90x190cm). J’ai eu 16 millions de visites sur mon blog à ce moment-là à cause des textes que je publiais sur le blog du monde. Ce que je veux dire par là c’est qu’on peut donc parfaitement rentrer dans le système pour le changer de l’intérieur, et ça c’est l’esprit du punk ! C’est incroyable que toutes ces marques me donnent la liberté d’exprimer ce que je veux comme « Don’t do it », ou la représentation de la femme à vélo et de ce que ça sous-entendait au départ…Donc finalement, en gardant ma ligne, j’ai assez de liberté pour rester moi-même, y compris dans mes travaux commerciaux.

Les considérations économiques et la quasi obligation de disposer de réseaux ne sont-ils pas en train de tuer l’art, ou du moins la créativité ? On oublie aujourd’hui que l’art pour certains artistes c’est juste une nécessité. Souvent les gens pensent que les choses viennent par le relationnel,

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vernissage, les gens se regardent entre eux, personne ne regarde les œuvres. C’est dans les musées comme au Metropolitan Museum qu’il y a des choses magnifiques à voir … Et puis il y a parfois des galeries qui émergent de cette masse. Il y a eu notamment Aaron Rose qui avait monté l’Alleged gallery près de Canal Street à New York qui a fait, il y a une dizaine d’années, l’exposition Beautiful loser consacré au D.I.Y Americian, qui finalement peut être très proche de l’art brut. Cette exposition a fait le tour du monde et a donné lieu à un film documentaire en 2008. Le problème en fait c’est qu’il est très dur d’arriver au musée sans passer par les galeries, ou par le réseau, ou par l’institution… C’est un cercle vicieux. Mais je crois quand même plus au travail qu’au réseau. L’un amène l’autre. Estce que ce que je viens de dire contredit tout ce que j’ai dit avant ? Quels sont tes projets ? - Faire parler d’une de mes œuvres réalisée avec une vieille peinture marquée par le temps sur laquelle j’ai inscrit « kill yourself and die ». J’ai commencé à l’exposer il y a quelques années, et j’ai du la faire restaurer car elle se dégradait de plus en plus. Or, il s’agissait d’une œuvre de Marie Bracquemond, une femme impressionniste de la fin du XIXème siècle considérée comme une des trois grandes dames de ce mouvement avec Berthe Morisot et Mary Cassat, et on m’a proposé de restaurer cette œuvre rare en enlevant mon texte, ce que j’ai refusé … - J’ai une exposition à la rentrée où je vais montrer des photos qui ont été prises dans la chambre que j’avais reproduite chez Patricia Dorfmann et que j’ai conservée dans des cartons numérotés à la campagne en vue de sa potentielle réinstallation future en tant qu’œuvre. Il faut savoir que, entre 1994 et 2004, tout ce qui entrait dans la chambre y restait, ce qui en fait une très belle capsule temporelle des années 90-2000. L’idée c’est que rien ne puisse être modifié, et je trouve ça extraordinaire comme projet ! Pour moi, visiter Versailles ne me fait aucun effet, mais visiter la chambre de quelqu’un ayant vécu à l’époque de Louis XVI avec tout cet amoncellement de choses personnelles me passionnerait. Mon projet artistique est donc de figer pour l’éternité cette chambre en la vendant. J’essaie par ailleurs de publier des textes et des documents sur ce projet en ce moment avec l’aide de ma compagne Jessica Piersanti, qui m’aide beaucoup à réorganiser tout mon travail, à le rendre visible comme elle dit, sans pour autant me trahir. - Publier le livre de la performance que j’ai effectué chez Citadium, et un ouvrage rétrospectif de mes créations plus ou moins sous forme d’interview, toujours avec Jessica. Je ne sais pas ce que je ferais sans elle aujourd’hui !

+ Du 22 octobre 2011 au 10 janvier 2012 • Chezlegrandbag • 2 impasse de la Salle • 51100 Reims + + Ouvert le samedi de 12h00 à 19h00 +

et c’est vrai pour beaucoup de choses. Personnellement, tout vient par mon travail, par ce que je fais : je vais faire des dessins, les montrer à des potes qui vont ensuite vouloir les publier dans des magazines, et puis des projets émergent. Les choses s’enchaînent comme ça et on n’est pas obligés de connaître des gens au début, ou de faire de la lèche. Par contre il y a la nécessité chez l’artiste de diffuser son travail de la manière la plus large possible. Certes on nous demande d’avoir déjà exposé avant de pouvoir être pris dans une galerie, mais on peut exposer partout : dans un bar, dans une boutique de vêtements… Par exemple, j’ai réalisé un projet dans une boutique du VII ème, en face de Sciences po : j’avais construit un cube en bois qui était installé à 40 cm des murs de la boutique. On avait à peine la place de passer pour faire son shopping. À l’extérieur de ce cube, il y avait plein de morceaux de mon intimité, des photos de copines, des textes et des choses très personnelles, et à l’intérieur il y avait trois lits rouges dans une ambiance noire avec une peinture où il y avait écrit « Guilty » et une musique qui était de plus en plus forte à en devenir insupportable pour le public qui entrait dans cet espace en forme de cube. Ça c’était une vraie rencontre artistique entre des personnes qui venaient pour acheter des vêtements et qui avaient la surprise de tomber sur cette installation. Il y a donc plein de manières de faire de l’art sans forcement passer par les galeries, et qui n’est pas forcément du street art.

Penses-tu que les galeries permettent encore aux artistes novateurs d’exister, et qu’elles jouent leur rôle de découvreurs de talents ? On ne vit pas pour mettre des choses dans des galeries, on vit pour vivre. Quand on choisit un chemin alternatif, il faut accepter que ce chemin soit long. Quand on voit le marché de l’art aujourd’hui, il fait peur et on se demande bien comment réussir à faire sa place là dedans. Alors tous ces gens se pressent dans les galeries pour voir quoi ? Ce qui est insupportable c’est tout ce qu’il y a autour de l’art, tous ces gens et cette sorte de hiérarchie féodale… Dans le manifeste de l’art posthume on écrit notamment «j’encule l’art contemporain» ! C’est très premier degré mais en même temps je pense qu’au moment où nous l’avons écrit c’était nécessaire de le faire… Et d’une certaine manière ça l’est toujours – même s’il y a aussi de très

bons artistes dans l’art contemporain… Pour en revenir à ta question, oui, il y a certaines rares galeries qui peuvent être très bonnes dans les choix qu’elles effectuent, comme par exemple la galerie Patricia Dorfmann. J’expose partout, un peu tout le temps, et puis j’ai une fois tous les deux ans une exposition plus ou moins rétrospective dans sa galerie. La première exposition que j’y ai fait reproduisait l’univers saturé d’œuvres qui avait été le mien durant 10 ans, autour de la réinstallation à échelle réelle de la chambre de 12m2 dans laquelle elles avaient toutes été créées, et dans laquelle j’avais vécu sans interruption. Malgré un nombre de visites exceptionnel, je n’ai vendu que deux ou trois œuvres. Par contre, la seconde exposition, qui était beaucoup plus organisée et « aride », avec des beaux encadrements pour tout, s’est très bien vendue. D’ailleurs j’en fus paradoxalement attristé, comme si les gens ne pouvaient pas voir les choses quand elles ne sont pas « bien montrées » ; ça m’a dérangé que les collectionneurs - qui étaient pourtant là aux deux expos - n’aient pas été capables d’apprécier des œuvres sous prétexte qu’elles étaient (trop) nombreuses et de réaliser que sans aide à la vision, sans support ou texte explicatif, il est presque impossible de vendre. La troisième, après une interruption de deux ans où j’avais décidé de ne pas exposer dans des galeries, présentait les œuvres qui étaient le résultat de ce qui m’était arrivé durant cette période.

En fait, l’art doit il être élitiste, non pas en terme d’exclusion ou de cooptation, mais en terme de singularité et de liberté artistique ? Je crois au punk rock, je déteste l’élitisme. J’ai une relation très conflictuelle avec l’art contemporain que je trouve élitiste et très peu ouvert. Un petit monde où il y a certains codes qu’il faut respecter... Pour moi l’art c’est la liberté, donc à partir de là les codes n’existent pas. Par exemple, la pire chose c’est la sélection dans les endroits où on te dit « toi tu entres, toi tu n’entres pas », mais c’est valable pour tout et pas seulement pour ce qui est branché ou ne l’est pas. L’humanité de quelqu’un c’est aussi ses erreurs, ses faiblesses… et l’élitisme est totalement inhumain. Dans l’Art Posthume, tout le monde entre !

Tu es allé à New York. Quelle perception as-tu de la place de l’art dans la Big Apple ? Comme à Paris, les galeries sont insupportables les jours de

En parlant de projet, peux-tu nous dire quelques mots sur ta collaboration avec Vin et Culture ? Comme tout ce qui m’arrive c’est né d’une rencontre, ici avec Benoît Truttmann, de Vin et Culture qui m’a proposé de dessiner l’habillage d’un Bib (Bag-in-Box) de vin. Comme ça m’embêtait de faire un simple contenant pour vin, j’ai proposé à Benoît d’aller à la rencontre des producteurs dans le Roussillon. Cette aventure est devenue ensuite un fanzine (ndlr contraction de fanatique et magazine). L’idée est que cette BD puisse circuler et se diffuser le plus largement possible. Enfin, ce projet, en évoluant, a donné lieu à une exposition à la galerie M.H Karst, avec une installation composée d’un amoncellement de boîtes avec au centre une boîte de Ben, qui faisait penser aux boîtes Brillo de Warhol. Cette exposition devrait se poursuivre par une autre exposition à Monaco, puis une à Bordeaux, et ailleurs encore...

Pour avoir des infos sur Artus et son actualité : artusdelavilleon.com/blog


ART

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ART

Texte /

Jens Andersson & Frac Champagne-Ardenne • Photo / © Ciprian Mureşan

CIPRIAN MUREŞAN + RECYCLED PLAYGROUND +

Ciprian Mureşan exprime son art comme un cri de liberté. Ses œuvres, dessinées, photographiées ou sculptées pourraient presque faire penser aux carnets de guerre où les combattants consignaient la mémoire de leur vécu. Car ici, de la mémoire il y en a...comme de l’espoir. Alors, Ciprian fait siennes les nombreuses références historiques, politiques, sociales et culturelles qu’il replace dans une contemporaine réalité, telles des pièces sur un jeu de société. Il analyse les mécanismes de diffusion de la culture, les relations ambivalentes voire contradictoires entre mémoire de l’histoire récente et l’expérience des réalités actuelles. Il aborde l’art d’une manière expiatoire et fabrique une vision toute contemporaine de son univers intime. À l’occasion de sa toute première exposition en France, Ciprian Mureşan investit l’ensemble des espaces du FRAC ChampagneArdenne qu’il domestique pour en faire son terrain de jeu et d’expression.

Pourriez-vous nous présenter votre travail en quelques mots ? Peut-être à cause de l’École des Beaux-Arts que j’ai faite, où les influences des artistes les uns sur les autres étaient envisagées d’un point de vue chronologique ou historique, et l’art était compris en tant que système édifié sur des courants artistiques, je me suis formé comme un artiste à “personnalité multiple”. Ceci non seulement parce que j’utilise différents médiums d’expression, mais aussi dans le sens où j’essaie, comme un comédien, de me mettre dans la peau de plusieurs personnages de l’histoire de l’art. Le comédien, en interprétant ses personnages, impose son propre style…

Quelles sont les principales références dans votre travail ? Mes références appartiennent notamment à l’art lui-même. Je ne vois pas l’histoire de l’art uniquement comme une accumulation des résultats, mais également comme une chose ouverte à une possible intervention. Les interprétations viennent après l’intervention comme telle. L’œuvre d’art n’est pas une chose achevée, elle est plutôt susceptible d’être retravaillée pour qu’elle progresse, pour ainsi dire. Ma curiosité est toujours celle de voir, chaque fois, si un artiste laisse une œuvre comme lettre de loi ou bien s’il ouvre quelque chose. C’est pourquoi j’aime beaucoup Kafka, par exemple, Le Château ou l’Amérique.

Vous travaillez avec de nombreux mediums différents. Quel est, selon vous, celui qui a le plus d’impact sur le visiteur ? D’habitude je cherche le médium le plus apte à exprimer mon idée d’un travail. Par exemple, pour Communism never happened, il m’a semblé important de découper les lettres composant l’énoncé dans le matériel même qui fait la preuve comme telle de la logique de cette proposition. Il s’agit de disques vinyle datant d’avant 1989, avec des enregistrements de diverses musiques, folkloriques ou urbaines, ayant eu une popularité certaine dans la société précisément parce qu’elles participaient de la culture de masse officiellement promue par l’ancien régime. En effet, à travers ces

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« Je me suis mis dans la peau d’un enfant en essayant de créer une sorte de jouet » formes culturelles s’était exprimée très clairement, en tout cas d’une manière moins équivoque que dans les discours proprement politiques, la dérive nationaliste du régime de Ceauşescu. D’une certaine façon, l’œuvre rayonne comme le feraient des ruines après un désastre atomique. Le matériel dont est fait le container qui véhicule le message est important lui aussi. Le bon choix dans cette matière devrait avoir le meilleur impact sur celui qui regarde.

Est-ce que l’histoire de votre pays a une influence sur votre travail ? De la même manière, je crois, que la plupart des artistes dans le monde sont influencés par l’histoire de leurs sociétés respectives ou de leurs contextes d’origine. Cela est probablement plus évident dans le cas des artistes provenant des régions où la situation politique, sociale, économique ou culturelle a changé depuis peu de temps.

Pourriez-vous nous parler de vos principales expositions ? En 2009, j’ai participé au pavillon roumain de la Biennale de Venise, dans lequel j’ai présenté deux ouvrages au sein d’une exposition plus large. Le premier, Auto da fé, était un travail réalisé à côté d’autres “graffiti artists”. J’ai pris un fragment du roman L’aveuglement d’Elias Canetti que j’ai déchiqueté en morceaux inscrits par la suite en tant que phrases indépendantes sur les murs de différentes villes, pour la plupart en Roumanie. Dans l’exposition, on pouvait regarder la recomposition du fragment initial à travers l’ordre de succession des

diapositives présentant les photos des ces graffitis. La vidéo Dog Luv a également été un travail de collaboration, réalisé cette fois avec le dramaturge Saviana Stănescu, qui a écrit pour l’occasion un texte pour un spectacle de marionnettes ayant comme personnages principaux des chiens. Leur dialogue se dévoile petit à petit comme une parabole de notre situation humaine en guise de leçon “universelle” sur la torture et les interrogatoires de tous les temps, se terminant par une lutte féroce entre chiens amoureux. En plus des significations du texte théâtral, ou plutôt à leur rencontre, j’ai cherché à travailler les éléments visuels du spectacle, aussi bien ceux qui sont d’habitude visibles pour le spectateur (la marionnette, la scène) que ceux qui, par convention, ne le sont pas (le marionnettiste). Les marionnettes, la scène et l’arrière-fond étaient en noir et dans l’obscurité, de même que les marionnettistes. J’ai voulu intervenir ainsi au cœur de la représentation théâtrale en partant du texte proposé par Saviana Stănescu, qui lui s’inscrivait dans une lignée du théâtre de l’absurde de Ionesco et de la satire orwellienne. Plus récemment, en 2010, j’ai eu ma première exposition dans une institution, à la Neuer Berliner Kunstverein, où j’ai présenté pour la première fois une mini rétrospective de mon travail entre 2004 et 2010. À la même occasion est également sortie ma première monographie d’artiste.

complétée avec d’autres plus anciens. Dans l’installation Recycled playground, je me suis mis dans la peau d’un enfant en essayant de créer une sorte de jouet, mais en plus grand, à l’aide de ce qu’on a à portée de la main dans la rue, c’est-à-dire le mobilier urbain. Par exemple, ces poubelles que l’on trouve partout dans nos rues. L’idée m’est apparue en pensant que durant des années j’ai eu sous les yeux un parc délabré dans un des faubourgs de la ville, le Parc des Cheminots, où jadis il y a eu un petit train qui marchait. Aujourd’hui en restent seulement les rails rouillés. Je ne sais pas si le parc avait commencé à se dégrader avant 1989, mais après le changement de régime la situation a empiré de plus en plus, donnant naissance à un paysage de nouvelle cyberpunk ou sorti des films comme Mad Max ou Blade Runner. Dans la vidéo diffusée en même temps, on voit que j’ai transformé une poubelle dans la scène sui-generis et mobile d’un théâtre de marionnettes qui peut se camoufler dans le paysage urbain. Les scénettes jouées « sur » elle par le marionnettiste Pilo Adrian Ilea sont écrites par Gianina Cărbunariu, metteur en scène et dramaturge roumain de ma génération, et elles se rapportent à la condition du protestataire après le galvaudage de cette idée même de protestation, un sujet conçu à partir des réalités roumaines mais qui peut être compris aussi en dehors de ce contexte.

Quels sont vos projets pour les mois (ou les années) à venir ? L’année prochaine, l’exposition présentée ici voyagera au Centre d’art contemporain de Genève et à la Contemporary Art Gallery de Vancouver. Bientôt je vais continuer le travail mené avec Gianina Cărbunariu à partir d’un autre texte dramatique créé par elle et qui sera présenté à Cluj, ma ville, en novembre prochain, dans le cadre d’un festival de performance.

Quel est le concept de votre exposition au FRAC Champagne-Ardenne ? L’exposition est

frac-champagneardenne.org

construite autour de deux ouvrages nouveaux et

Traducteur : Adrian T. Sirbu


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BOOKS

Textes /

Raphaël Mandin • Photos / DR

I’M ONE • 21st Century Mods (Parution : 2009 / Editeur : Prestel USA / Auteur : Horst Friedrichs / 160 pages / 20 x 28 cm / Langue : anglais)

+ I hope I die before I get old +

I

’m One : 21st Century Mods, (éditions Prestel) est un ouvrage du photographe documentaire allemand Horst A. Friedrichs. Issu du photojournalisme, sa pratique consiste à s’immerger au sein de communautés ou de tribus urbaines contemporaines. On lui doit entre autres un reportage sur les blousons noirs rockabilly, édité sous le titre Or Glory: 21st Century Rockers. Il propose ici un témoignage sur la persistance culturelle du mouvement Mod de nos jours.

À l’origine, un courant, le modern-jazz (aussi nommé le « cool ») dont les plus fameux représentants sont Miles Davies, Stan Getz, Dizzy Gillepsie. Une scène musicale indissociable d’une cool attitude, d’une manière de vivre nouvelle, intense, dont s’inspireront les beatniks, en révolte contre le conformisme et la société de consommation matérialiste naissante. Dans les rues de Londres ou de Brighton, à la fin des années 50, la jeunesse est aussi en ébullition, ivre de modernité (d’où le terme « mod »). Le rock naissant débarque d’Amérique et en réaction contre les premiers blousons noirs, on voit surgir les Mods, prolétaires se rêvant Dandys, raffinés et provocateurs, armés de nouvelles influences multiculturelles, d’un appareillage vestimentaire très élaboré, d’une nouvelle manière de danser et de se battre, d’une musique à leur image (Small Faces, Who, Kinks), exprimant le rejet du conservatisme et la soif de vivre. Ils ont la conscience d’être une “génération” différente, refusant de vieillir et toute forme de compromis, ainsi que le revendiquent les paroles du titre emblématique des Who : My Generation.

ouvrage que de faire sentir combien cela ne va pas de soi. En effet, ce qui surprend d’emblée à la vision de ces photographies prises sur le vif ou mises en scènes, c’est combien l’effet “Retour vers le Futur” est bluffant. Le temps semble s’être arrêté en 1966. Si ce n’était un certain traitement photographique (couleurs froides, effet “mode” du flash), qui trahit le coup de patte contemporain, on croirait les photos prises sur le fait, en plein cœur des sixties. Tout y est ! Des batteries Who ou Small Faces aux chemises Ben Sherman ou Fred Perry, des Vespas custom à la coupe de cheveux, l’attitude à la fois cool et hautaine, dandy prolo, rien ne manque à l’attirail. Pourtant, l’apparence glaciale et figée des personnages que parvient à restituer le photographe témoigne d’une certaine inquiétude. Les générations se sont succédées. Quelque chose semble avoir été perdu entre temps. Ils ont beau tous crier à la révolution permanente, les modèles photographiés donnent pourtant l’impression d’être trop “poseurs”, astreints à des codes très stricts qu’ils ne peuvent changer. Il y a ainsi quelque chose de conservateur dans leur révolte (tout le paradoxe anglais), car là où leurs ancêtres détournaient les codes musicaux et vestimentaires, avec une énergie et une vivacité propres aux années soixante, on sent que le mod des années 2010 s’est embourgeoisé et qu’il paie désormais très cher ses vêtements dans des magasins de luxe. Là où le mod des sixties cherchait à tout prix à fuir le conformisme, ceux-ci cherchent désormais à se conformer à un modèle. En quelque sorte, le cœur n’y est plus. Non pas qu’il n’y ait plus d’ennemi à combattre, mais la musique ne danse plus, l’âme a vieilli. Le moderne est devenu traditionaliste.

Dès lors, est-ce que cela a encore un sens de se dire « mod » aujourd’hui ? La même question se poserait pour les punks, les hippies ou toute autre attitude issue d’un mouvement musical et chacun ferait sans doute la même réponse : bien sûr car c’est avant tout un état d’esprit, une manière de vivre (Way of life) ! Pourtant, ce n’est pas le moindre intérêt de cet

Cet ouvrage se veut donc un témoignage ethnologique qui pose un regard fasciné et clinique sur la contre-culture une fois que celle-ci a été digérée et assimilée à la culture aussi bien qu’un hommage sincère dans lequel les fans ne manqueront pas de réviser leurs gammes et leurs classiques.

YVES SAINT LAURENT • Icons of Fashion Design (Parution : 2010 / Editeur : Schirmer/Mosel. Préface de Marguerite Duras / 232 pages / 23 x 32 cm / Langues : anglais avec encarts en français et allemand)

+ L’effet papillon +

R

etour vers l’immense Yves Saint Laurent à l’occasion de la réédition de Yves Saint Laurent, Icons of Fashion Design par l’éditeur allemand Schirmer/Mosel accompagné d’une préface de Duras. Ce bel ouvrage photo de 1988 nous permet de réaliser combien l’univers YSL fut d’abord et avant tout un fabuleux écheveau culturel et artistique. Cette anthologie retrace cinquante années de création à travers le regard des plus prestigieux photographes (Avedon, Klein, Newton, Weber...). On y retrouve les plus singulières icônes féminines (Hepburn, Rampling, Twiggy, Deneuve...) auxquelles s’entremêlent les œuvres des grands peintres (Matisse, Picasso, Braque...). Mais il faut bien garder à l’esprit qu’Yves Saint Laurent, né en 1936 à Oran et mort à Paris en 2008, fut avant tout un artiste qui chercha à traduire et à accompagner les bouleversements de la modernité (guerre mondiale, décolonisation, libération de la femme et éclosion d’une société de consommation). En effet, lorsque YSL accède en 1957 à la tête de la maison Dior, la société est en pleine mutation et il faut désormais donner une forme à cette évolution. Comme l’affirme Duras en préface, « Il voit de vous ce que vous ne savez pas que vous avez ». Et que possédaient les femmes qu’elles ignoraient jusqu’alors ? Un désir de revanche, une volonté de puissance. « Chanel a libéré la femme, Saint Laurent leur a donné le pouvoir » selon la fameuse formule de Pierre Bergé. Car YSL fut peut-être le premier à comprendre que la femme possède une aura magique (« la mode est un sortilège » déclarat-il) et que la haute couture ne doit plus être le reflet passif des mœurs ou des classes sociales, mais devenir le véhicule des désirs et le réceptacle de la modernité artistique et politique. L’habit devient l’expression même des potentialités poétiques que recèle la féminité. C’est ainsi qu’il faut comprendre le nœud papillon, accessoire emblématique de Saint Laurent, moquant et détournant les codes de la virilité tout en faisant de la femme une promesse de métamorphoses. Pour accomplir cette transformation, il a proposé aux femmes des attributs d’hommes (smoking) ou

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équivoques (tissus transparents). Il a emporté avec lui ses visions de l’Afrique du Nord qu’il transpose dans ses tissus à travers des jeux de couleurs inédits. Il donne ainsi aux femmes les formes du désert et des tribus nomades (caban ou saharienne) ou des accessoires hyperboliques (superbe robe en fleur portée par Audrey Hepburn dans une mise en scène d’Avedon). Son amour des peintres est total et les tableaux semblent désormais vivants (robe Mondrian). Ainsi, en devenant l’architecte majestueux de son époque, se tenant le regard aiguisé sur la crête de la modernité, il réalise le rêve artistique autrefois refoulé de Christian Dior, ce père spirituel trop imposant. Mais cette magie est indissociable d’une mise en scène. Ainsi, lorsque William Klein apporte la singularité de ses cadrages à des flous de mouvements, ou lorsque Avedon propose la célèbre photo en contreplongée de Jean Shrimpton en robe Mondrian, la féminité se dévoile dans une grâce quasi mythologique et insaisissable. Il y aurait beaucoup à dire sur le regard de chaque photographe et sur la manière dont ceuxci s’emparent des propositions de Saint Laurent. On se contentera de remarquer que c’est toute la société contemporaine qui se met ici en image. Car en faisant se côtoyer le pop et l’élitisme, le snob et le démocratique, YSL annonce une mode paradoxale où tout est digéré, même ce qui la récuse (des hippies aux punks, du grunge au porno). Effets pervers d’une société du spectacle, car là où YSL nourrissait le rêve de faire de la mode un sortilège et de la féminité une œuvre d’art totale, le corps tend désormais à se désirer mannequin, « objet homologue des autres objets asexués et fonctionnels que véhicule la publicité » (Baudrillard). Il faut maintenant se l’avouer : YSL est venu à notre rencontre, mais nous n’avons pas été à sa hauteur.



BOOKS

Textes /

Raphaël Mandin (Krautrock) & Isabelle Giovacchini (Book Art) • Photos / DR

BOOK ART • Iconic sculptures and installations made from books (Parution : mars 2011 / Éd. : Gestalten - Paul Sloman / Textes : Christine Antaya / Format : 20 x 24 cm / Langue : Anglais)

+ Prière de ne pas lire +

L

e livre Book Art – Iconic sculptures and installations made from books paru chez Gestalten recense artistes et designers ayant abordé le livre comme matériau plastique à part entière. Explorant les possibilités offertes par ce support, ces créateurs découpent, recouvrent, plient, entassent, démembrent feuilles, reliures et couvertures pour les détourner de leur usage premier et offrir au regard du spectateur un résultat souvent déroutant mais toujours fascinant. C’est à Mallarmé qu’il revient d’assumer la paternité de ce curieux objet que l’on nomme « livre d’artiste », en publiant en 1875 la traduction d’un poème de Poe accompagné de gravures de Manet. Ce qui peut paraître timide est pourtant le point de départ d’une ère où le livre devient progressivement un objet intégralement pensé et conçu par l’artiste. Le livre d’artiste semble difficile à définir tant ses contours sont flous et protéiformes. Mais c’est justement parce qu’il échappe à toute caractérisation qu’il offre aux artistes une liberté d’expression totale. Ainsi, dans les années 1960, le mouvement Fluxus et l’art conceptuel en feront l’un de leurs supports privilégiés en sondant ses conditions de présentation, ses propriétés sculpturales et discursives. Ainsi, l’américain Ed Ruscha, suivant sa démarche pop et conceptuelle, ira jusqu’à contredire les clichés liés au livre d’artiste, prétendument fragile et raffiné, rare et précieux. Son célèbre livre Twentysix gazoline stations (1963), tautologiquement composé de vingt-six photographies en noir et blanc de stations-services, tiré à près de 4000 exemplaires ni signés, ni numérotés et vendus à 3.50 $, marqua un tournant par son hommage paradoxal à la beauté triviale du livre grand public, mais aussi en interrogeant notre rapport à la production de masse, à l’uniformisation des formes et du regard. La centaine

d’artistes présentés au sein de Book Art bousculent à leur tour le statut du livre. En jouant avec la perméabilité des médiums artistiques, ils font surgir au détour d’un accident des formes hybrides qu’il n’est plus nécessaire de définir – littérature ? Installation ? Sculpture ? Design ? – pour les comprendre. tParmi eux, citons Guy Laramée qui creuse la tranche de livres en une série de fragiles paysages hypnotiques ; Georgia Russel qui les lacère méticuleusement pour les présenter ainsi échevelés à la verticale et sous vitrine, de façon à les faire ressembler à de troublants masques primitifs ou de singulières anémones de mer ; Alicia Martin qui les entasse et les agence de façon à en faire de magistrales montagnes, de spectaculaires cascades figées qui se déversent des fenêtres de bâtiments jusque dans l’espace public ; ou encore les designers Laura Cahill et Michael Bom qui en tirent respectivement de délicats vases ou de solaires luminaires. De même, c’est avec délectation que l’on découvre Wound (2005), d’Anish Kapoor, œuvre composée d’un livre révélant une étrange béance. Chaque page y a été découpée au laser pour donner l’impression d’une brèche creusée dans l’épaisseur du volume de papier. Une blessure donc, profonde et chirurgicale, mais que l’on imagine s’amincir et se refermer si l’on pouvait en tourner les pages. Par une action simple – l’incision, le livre s’épure, change d’échelle, évoque autant une faille géologique qu’une coupure à même la chair. Enfin, le hollandais Job Koelewijn propose en 2006 Untitled (Lemniscate), classieuse bibliothèque dont la forme en ∞ représente l’infini. Ce mobilier, qui n’est pas sans rappeler l’utopique Bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borges, suggère dans ses vastes rayonnages la totalité des livres existant et à venir, quel qu’en soit leur contenu.Book Art nous invite ainsi à redécouvrir le livre comme un support aux potentialités inépuisables. D’une beauté rare, il trouverait sa juste place dans cette bibliothèque aux prolongements infinis.

KRAUTROCK • Cosmic Rock and its Legacy (Parution : 2010 / Éditeur. : Black Dog Publishing / Textes : Michel Faber, Erik Davis, David Keenn, Ken Hollings / 192 pages / 22 x 27 cm / Langue : Anglais)

+ How High ? +

A

lors que Conrad Schnitzler, pilier du Krautrock, vient de nous quitter et qu’un certain effet revival se fait sentir, Krautrock, cosmic rock and its legacy, des éditions Black Dog, présente une trentaine de groupes, des plus connus (Kraftwerk, Can, Tangerine Dream) aux plus discrets (Gila, Nektar), et s’avère être une anthologie fourmillante d’informations. Le terme Krautrock, littéralement le “rock du chou” (entendre choucroute) désigne de manière générale la scène rock allemande qui court sur une décennie, du milieu des années 60 à celui des années 70. Ce mouvement, souvent caricaturé sous le titre de musique planante, se caractérise en général par de longues nappes répétitives et atmosphériques, électro-expérimentales, froides et inhumaines, en ce sens dites “cosmiques” (Kosmische Musik). A l’instar du western dit “Spaghetti”, qui témoignait d’une incroyable vitalité alors même que son homologue américain déclinait, et qui fut pour cette raison déprécié de manière quelque peu raciste, il importe de se rendre compte que la dénomination péjorative de “rock choucroute”, spécifiquement anglophone, est profondément injuste. La richesse du rock allemand, à bien des égards, n’a rien à envier à l’explosion de la scène rock anglaise. Il est pourtant d’usage, en histoire du rock, de considérer que le déclin du rock américain (celui des légendes fondatrices des 50’s, comme Presley, Lee Lewis, Berry) connut sa renaissance en terre anglaise et que le rock allemand ne fut qu’un phénomène annexe et périphérique. Et pourtant, quelle autonomie, quelle singularité ! Difficile en effet de nier les différences manifestes, tant au niveau de l’atmosphère que des expérimentations sonores, entre des groupes comme Can, Kraftwerk, Eloy ou Popol Vuh et c’est tout l’intérêt de cet ouvrage que de rendre justice à cette diversité. Certes, le Krautrock cédera souvent à la facilité, se caricaturant lui-même plus qu’il ne faudrait (surtout vers la fin), mais guère plus, finalement, que le rock garage ou la pop, même si peut tout à fait concéder qu’un mièvre morceau pop passera toujours mieux qu’une prétentieuse nappe sonore de synthétiseurs (un morceau de 30 ou 40 minutes n’avait alors rien d’anormal). Si une certaine lassitude se fait vite sentir dans ce mouvement

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musical, c’est surtout en vertu d’une prétention sincère, difficilement tenable sur la durée, commune à tous ces groupes, de vouloir toucher au sublime, de viser l’infini. En ce sens, le Kraut appartient bien à cette tradition allemande qui, du baroque de Bach aux expérimentations électro et aléatoires de Stockhausen, considère la musique comme une affaire sérieuse et métaphysique. Mais pas seulement, car le Krautrock est une mosaïque complexe d’influences multiples et d’énergies parfois contradictoires. En effet, si les forces américaines végétant en Allemagne de l’ouest transmettront directement quelque chose de l’esprit rock US (Cf. The Monks), alors même qu’en France le Yéyé et Claude François monopolisent toute l’attention, c’est surtout auprès du mouvement Fluxus et de la musique sérielle que ces générations allemandes d’après guerre, oscillant entre culpabilité et colère, puiseront leur inspiration musicale. Enfin, l’usage massif de drogues telles que le LSD (voir les pochettes), orientera de manière tangible l’expérimentation de la matière sonore vers des thèmes cosmiques, répétitifs et atmosphériques. Beaucoup moins austère que The Crack In The Cosmic Egg (1996), considéré comme la référence encyclopédique sur le Krautrock, l’ouvrage est un incontournable pour tout amoureux du genre. On y trouve ainsi quatre textes introductifs replaçant, chacun à leur manière, le rock allemand dans un contexte précis. Aux magnifiques visuels et photos, inédits pour la plupart, il faut ajouter un récapitulatif des pochettes d’album (qui valent à elles seules leur pesant d’or), des labels, des producteurs et enfin une indispensable chronologie.



ART

Texte /

Jens Andersson • Photo / © Arnaud Pyvka

ARNAUD PYVKA + ORDINAIRE EXTRAORDINAIRE +

Arnaud Pyvka prête son œil aiguisé à plusieurs activités : tout d’abord la photographie, son activité artistique principale, pour des travaux personnels ou des publicités destinées à des marques comme Playstation ou Samsung, mais aussi la Direction Artistique pour de prestigieuses maisons telles Giorgio Armani parfums ou Martin Margiela pour ses défilés. À partir de 1999 Arnaud Pyvka a activement collaboré à la création du magazine Double en tant que directeur de création, et depuis 2004 en tant que directeur de la rédaction. Double, c’est une publication au fond éclectique, ouverte d’esprit, originale, mêlant art, pop culture, art de vivre et mode. Mais, loin de se vouloir prescripteur de mode tentant d’imposer des diktats à une population de suiveurs, Double apparaît simplement comme une fenêtre sur les tendances, qui ne se prend pas au sérieux. Et ce côté non conventionnel d’un ordinaire qui se mue en extraordinaire, on aime ça !

Peux-tu te présenter ? Garçon, la quarantaine, qui pense au sport et qui n’en fait jamais, fumeur, rêveur qui adore refaire le monde, certainement polémique et intransigeant. As-tu des souvenirs de ta première photo ? Pas précisément… Je me souviens juste de scènes à l’âge de 6, 7 ans où je me revois photographier mes jouets, avions, Big Jim, voitures avec l’appareil photo que mes parents m’avaient offert. Juste, peut-être, histoire de déjà vouloir arracher un moment à son temps, de le transférer dans une sorte de durée autre, bien sûr à l’époque de manière intuitive.

Comment penses-tu tes photos ? Estce un fruit du hasard ou prépares-tu des mises en scène ? La photo est pour moi le prisme par lequel je peux transformer ce que je vois par le cadrage, par l’angle, par l’isolement… Un langage où l’on détourne une réalité, où on la transforme, et où on se l’approprie, et aussi un langage où l’on se rebelle. Je ne peux pas arriver à dire que des photos, d’une manière générale, sont pensées. Pour moi, elles sont plutôt vécues, à l’instant. Il y a un avant, et un après, mais en même temps ce que je cherche c’est le moment, l’instant, avec les surprises qui peuvent en surgir. Les photos ne sont donc ni le fruit d’un hasard, ni d’une mise en scène, mais un témoignage de l’instant et parlent aussi bien du sujet photographié que de celui qui enregistre ce moment. Quand sais-tu qu’une photo est réussie ? Je peux ressentir une forte excitation au moment où je prends la photo, et là je pressens l’image que je retiendrais dans une sélection à venir, ou au moment de la découverte sur les planches contacts quand je les parcours, sans même faire le tirage. En fait il n’y pas de règle, seule, l’agrandissement et le tirage posé sur une table ou sur un mur me font dire – « oui cette image est peut-être réussie… » et finalement je peux être le seul à la trouver réussie !

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« Ce que je cherche c’est le moment » Tes différentes activités (directeur artistique, photographe… dans l’édition, la mode, la pub…) t’apportent quoi spécifiquement pour le développement de ta pratique personnelle ? J’ai toujours considéré que pratiquer plusieurs activités développait des terrains d’enseignements, de découvertes, et permettait de s’ouvrir, de ne jamais s’enfermer dans “une réalité”. Donc je dirais, pour répondre à ta question, que ces expériences ont aiguisé mon appétit de rencontres.

Cette esthétique du quotidien a-t-elle la même vocation qu’un journal intime ? J’ai quasiment en permanence un appareil photo avec moi, comme je le disais précédemment, c’est comme écrire, et quand on l’écrit on en apprend tout autant sur l’auteur, donc oui il y a forcément l’idée d’un “journal intime” ou plutôt d’une intimité. Par contre, à travers une sélection d’images, je bouleverse la chronologie de cette intimité qui pour moi ne représente pas beaucoup d’intérêt.

Ton travail procure une impression de tourment latent, de langueur prêts à tout consu-

mer, dans une atmosphère crépusculaire, ou flashée comme par des éclairs orageux. Est-ce l’expression d’une certaine mélancolie rageuse ? L’expression d’une poésie peut-être, ou d’une tension plutôt… C’est ça : une tension et une immersion ! Je ne suis ni mélancolique, ni nostalgique.

Avec le quotidien comme sublime outil narratif… cherches-tu à nous conter l’ordinaire ? Bien sûr, je conte l’ordinaire car tout ce qui m’entoure est ordinaire et, sans vouloir tomber dans un poncif, c’est cet ordinaire qui rend tout si extraordinaire dans notre quotidien ! Cela devient une documentation de ce qui peut être du moins informatif, du plus insignifiant, au plus signifiant, afin de donner à ces moments une autonomie, un anonymat et ainsi de passer de sujet à sujet.

En même temps cette beauté semble être dans un état limite… à la frontière du réel et de son double, à la limite de la chute… Certains parfums de madeleine peuvent-ils être une source de phobies ? Pour répondre à cette question, permettez moi de penser à un article de Sébas-

tien Planas sur mon travail et de reprendre ses propos : « Ce flux paranoïaque d’image joue de l’effet de série, l’effet Koulechov, et qui montre l’influence immédiate ou retardée des images les unes sur les autres. Pyvka force ainsi les clichés jusqu’à ce qu’ils s’irradient mutuellement et ne disent plus rien du monde, mais témoignent d’une séduisante illusion volontaire. Pour ce qui concerne les parfums de madeleine tout peut être sujet à phobies et émotions ! ».

Quelle est la photo qui t’a le plus marqué ? C’est beaucoup plus le travail de photographes tels que William Egglenston, Araki, Nan Goldin, Wolfgang Tilmmans, Juergen Teller, Thomas Struth et bien d’autres qui m’ont marqué, plus que des images en particulier. Je ressens plus la photo s’intégrant dans processus de travail, dans une recherche. Si vous parliez d’une des miennes, malheureusement je suis attaché à beaucoup d’entre elles. Celle que tu aimerais faire ? Elles restent toutes à faire et à refaire Et celle que tu ne voudrais jamais réaliser ? J’ai déjà réaliser quelques films en partant du même principe que pour la photo, c’est à dire an ayant une caméra en permanence avec moi et en isolant ainsi des séquences. Ensuite, j’ai montré ces séquences lors d’expositions. Mais ce travail, si je devais le refaire, nécessiterait aujourd’hui de m’investir aussi sur la scénarisation afin éventuellement de coupler les séquences du "quotidien" et celles pensées. Je ressentais alors une certaine frustration et je l’ai par conséquent mis de côté car je ne disposais pas de suffisamment de temps. Mais j’y reviendrais certainement… !

Les contes de fées finissent-ils toujours bien dans tes histoires ? À vous de voir !


ART

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DESIGN

Texte /

Jens Andersson • Photo / DR

MATALI CRASSET + DESIGN ET PLUS +

Matali Crasset est designer industriel de formation. Elle met en place une méthodologie propre dans laquelle elle questionne l’évidence des codes qui régissent notre vie quotidienne pour mieux s’en affranchir et expérimenter. Elle développe ainsi des nouvelles typologies articulées autour de principes tels que la modularité, l’appropriation, la flexibilité, le réseau. Son travail, qui s’est imposé à partir des années 90 comme le refus de la forme pure, se conçoit comme une recherche en mouvement, faite d’hypothèses plus que de principes. Elle collabore avec des univers éclectiques, de l’artisanat à la musique électronique, de l’industrie textile au commerce équitable. Ses réalisations l’ont ainsi amenée sur des terrains qu’elle ne soupçonnait pas, de la scénographie au mobilier, du graphisme à l’architecture intérieure. Elle travaille notamment pour : BHV, Comité Colbert, Cristal Saint Louis, Drugstore Publicis, Grimaldi Forum, Guy Degrenne, Hermès, Le Printemps, Lexon, L’Oréal, Orangina, Swarosvki, Thomson Multimédia, Who’s next…

Pouvez-vous vous présenter… ? Je m’appelle Matali, j’ai 46 ans, je suis designer industriel. J’habite à Paris, à Belleville.

… Et nous dire quelques mots sur votre agence ? Notre agence est pluridisciplinaire. Nous sommes une équipe de quatre personnes et je fais des efforts pour qu’on reste une petite équipe !

Quelles réalisations proposez vous ? En fait, le corps de mon métier, c’est le design industriel, mais je fais aussi du graphisme, de la réalisation d’espace et de l’architecture à petite échelle. J’ai donc des domaines d’intervention qui sont très larges, mais qui s’articulent tous autour d’une même approche, et on vient me chercher pour cette approche particulière. Par exemple, quand je travaille sur des projets d’hôtel, ce sont toujours des projets expérimentaux, des expériences à vivre. Mes objets, sont eux aussi conçus autour de scénarios de vie. Arrêter l’objet à une seule fonction ne m’intéresse pas ! Ils représentent plutôt l’idée d’accompagner un moment de vie et donc d’élargir la fonction. Par exemple, j’ai conçu un couteau avec le pâtissier Pierre Hermé, et ce couteau qui va servir à couper se transforme par ailleurs en pelle à tarte, en l’inclinant simplement d’un quart de tour. Je ne me contente pas d’une seule fonction, j’essaie d’être plus généreuse que ça ! Quelles sont vos thématiques ? J’en ai beaucoup ! Je travaille depuis longtemps sur une thématique liée à l’hospitalité, la flexibilité et la fluidité. Ce qui tourne autour de la maison est souvent identifié autour de codes bourgeois, j’essaie de questionner ce type de structure pour les remettre en cause. Par exemple, pour moi un canapé doit pouvoir disparaître si l’on a besoin de la place qu’il occupe. Je cherche donc à concevoir des structures évolutives, pour inventer la vie au quotidien. L’objet devient par conséquent un outil plus qu’une structure statutaire qui nous encadre et nous enferme, et, en même temps, nous interdit un certain nombre de choses. Quelle place tient la poésie dans votre travail ? Mon travail est plus sensible que poétique. Par contre, il y a une certaine appréhension de la vie car pour moi, être designer c’est une attitude face à la vie, une façon de l’appréhender, et ça se traduit par une prise de position que l’on exprime dans l’objet. En

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fait, mes projets ont un petit côté naïf. Je questionne les choix successifs d’une façon de vivre : pourquoi en est-on arrivés là ? Est-ce que l’on mérite ça ? Estce que cela représente quelque chose qui fasse sens avec ce que l’on a envie de vivre aujourd’hui ? Il y a des choses évidentes dans ce processus que l’on a oubliées. Il est assez facile de remonter ce processus qui est une suite d’évolutions en mettant un petit pas de côté pour avoir un autre angle de vue sur ces choix et se rendre compte d’un décalage. Je donne toujours l’exemple du canapé : les gens se retrouvent avec des canapés énormes à la maison, finissent par dire qu’ils n’ont plus de place alors que l’on peut trouver des canapés modulables plus fluides. C’est assez simple ! Je joue un peu au jeu du miroir : je regarde ce qui ce passe, d’ailleurs je dis souvent que je fais pousser des champs dans ma tête et lorsqu’on me demande de faire quelque chose je vais juste les cultiver. C’est aussi facile que ça ! La poésie est peut-être là : un petit peu de naïveté et un optimisme effréné ! Si le design pouvait servir à donner envie aux gens de se lever le matin, de croire à la vie, de faire en sorte qu’ils puissent apprendre à vivre ensemble ce serait déjà énorme !

m’est propre. Et puis, c’est dans les collaborations à long terme qu’on peut imaginer des choses un peu plus profondes !

Votre travail est extrêmement protéiforme : architecture, mobilier, design d’objet, et pourtant on parvient toujours à vous identifier derrière chacune de vos créations… Je n’ai pas de "patte"

On a tendance à catégoriser l’art, la mode, le design en oubliant l’essentiel c’est-à-dire l’approche et le regard de l’artiste. Votre travail ne consiste-t-il donc pas à casser ces codes ? Je veux

ni de domaine formel bien identifié. Je peux utiliser tout type de forme, mais l’approche est toujours la même : il y a toujours un pas de côté pour que le projet soit un peu différent. Je ne suis pas dans l’idée de l’évolution de l’objet mais dans le questionnement autour de cet objet. Sortir de l’archétype pour amener quelque chose de plus vivant : ce n’est pas forcement avec des archétypes que l’on vit le mieux parce qu’un archétype c’est sec, un archétype c’est une représentation mentale et on ne vit pas avec une représentation mentale, on a besoin d’autre chose, on a besoin d’un autre type de confort.

créer un nouveau territoire. Sur ce nouveau territoire je propose des interactions et une nature totalement artificielle. Pour réaliser cette fiction, on a alors besoin de faire appel au savoir faire du designer pour inventer cette nature. Il faut qu’on vive dans cette nature, mais autour d’une fiction. Je réalise des expositions dans des galeries d’art en étant designer industriel. Je ne m’intéresse pas à ce que je suis, mais plutôt à ce que je donne dans un endroit précis, et j’essaie de contextualiser le projet que je poursuis. Par exemple, mon exposition au Centre Pompidou est très représentative de ce que je défends. Dans cette exposition, je ne me suis pas contentée de mettre une table et une chaise en disant : voilà, je suis un designer industriel ! Ce qui me parait en revanche intéressant dans un musée, c’est d’être questionné, et ne pas être flatté dans le bon sens du poil. Ce que j’attends d’un musée c’est d’ouvrir un champ d’investigation, que le public puisse y voir autre chose, qu’il y retrouve les notions de la vie quotidienne, avant de repartir

Quelle est votre méthode de travail ? Mon travail est toujours un travail d’équipe, un travail de collaboration avec des personnes avec qui je partage les mêmes valeurs. Je travaille avec des personnes complètement différentes : des privés, des grandes entreprises… etc, et j’adapte notre méthodologie en fonction d’elles, tout en conservant une approche qui

Pouvez vous nous en dire plus sur la liberté ? La liberté m’est donnée par les gens qui passent la porte de l’agence et qui me proposent des choses. Mais je n’ai pas peur des contraintes, car plus on connaît les contraintes, plus on les dépasse. Ces clients me permettent cette liberté d’expression. Plus on montre qu’on a une approche spécifique, et plus ils viennent nous chercher pour cette approche, mais dans des secteurs complètement différents. C’est ça qui est assez intéressant car au départ je n’aurais jamais imaginé, ni faire un hôtel, ni faire de la muséographie, ni faire une exposition à Beaubourg. Vous avez collaboré avec plusieurs artistes. Comment un artiste et une designer font-ils pour travailler ensemble sans que l’un empiète sur l’autre ? Les collaborations, ne tournent pas autour de l’idée de mélanger, mais obligent à faire évoluer son travail personnel au travers du regard de l’autre. C’est important car c’est formateur !

avec des questions et de continuer l’histoire avec son propre imaginaire. C’est l’idée du blobterre de matali : un espèce de nouveau territoire où je propose des interactions. C’est une nature qui est complètement artificielle, c’est une fiction ! Je mets en place les outils du designer mais dans une direction très précise. C’est ça qui m’intéresse parce qu’en fait c’est beaucoup plus riche. Je pense que le public en visitant ce lieu y trouvera autre chose tout en y retrouvant les mêmes notions de la vie quotidienne mais en les questionnant : on fait appel à l’imaginaire des gens pour qu’ils continuent l’histoire : c’est beaucoup plus ludique, je revendique cette histoire de ludique parce que ludique veut dire expérimenter le monde qui est autour de soi. Normalement les enfants le font avec les jeux, mais on interdit l’aspect ludique aux grands alors que le monde va à une vitesse folle et les changements aussi. On n’arrive plus à appréhender les choses ce qui pourtant pourrait nous permettre de freiner, d’avoir un espace temps un peu différent et d’interagir avec les choses

On pourrait alors dire que vos créations tiennent de la recherche, de l’hypothèse, plutôt que du design industriel pur ? Le design industriel pur veut dire que les pièces sont fabriquées en grande série. Je ne renie pas ca, mais j’essaie d’apporter un peu plus que ce que l’objet industriel propose, et aller au-delà de la seule fonction ou la seule esthétique de l’objet. Je veux faire en sorte que les objets participent à la vie plutôt que de rapporter des archétypes d’objets dans leur seul sens esthétique. J’essaie d’aller plus loin.

Quelle est votre position face à la commercialisation ? Nous concevons des objets ou des espaces qui sont censés être vendus et qui sont destinés à constituer une expérience. En effet, dans un hôtel, par exemple, les clients achètent un moment, pourtant c’est à l’inverse de ce que proposent les grands groupes hôteliers avec des produits standardisés et sans surprise aucune. J’essaie d’apporter des singularités et de faire en sorte que cet espace vécu dans l’hôtel soit riche et insolite ! Du coup on se souvient, on a une perception de ce moment-là qui vient alimenter notre imaginaire, alimenter notre vécu.


D E S IGN

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DESIGN

« Je ne me contente pas d’une seule fonction, j’essaie d’être plus généreuse que ça ! » Nous avons (avec Patrick et Philippe) conçu plusieurs concepts d’hôtels : - Le Dar Hi à Nefta en Tunisie qui est bâti dans le désert et propose des unités de vie, à l’instar d’une maison. Le lieu a ouvert en décembre 2010 au moment de la révolution tunisienne. C’est un beau projet, construit avec les tunisiens, où tout s’est réalisé en local. L’idée était de susciter un nouveau rapport à la culture dans la nouvelle Tunisie et de montrer qu’elle est en train de réfléchir à comment accueillir différemment ses visiteurs en mettant en valeur son réel patrimoine. Car on ne peut découvrir un pays qu’en côtoyant ses populations, sa culture, son artisanat et en découvrant sa gastronomie. D’ailleurs je suis allée 5 ans en Tunisie pour ce projet mais je n’avais jamais vraiment gouté la cuisine tunisienne du désert puisqu’en fait il faut rentrer chez les gens pour la goûter… Donc là en fait ce sont des femmes de Nefta qui viennent cuisiner dans l’hôtel : Tout est fait comme ça ! À Nefta, les gens passaient auparavant sans descendre dans la palmeraie qui constitue pourtant l’identité du lieu. Avec le Dar Hi on est directement dans la ville et pas parqués dans les zones à touristes, comme il y a un peu partout en Tunisie. C’est une espèce de retraite pour mettre en balance le corps et l’esprit. La deuxième tranche du projet va consister à réaménager prochainement la palmeraie : le Palm’Lab que l’on va présenter à Maison & Objet pour montrer le travail qui est en train de se faire : la Tunisie est en train de cogiter à d’autres façons à la fois d’accueillir les gens, mais aussi de mettre en valeur toutes ces choses qu’on connaît peu : à la fois la datte, la palmier, qui ont été montrées d’un façon un peu artisanale. Je travaille de plus en plus sur des projets qui me permettent non seulement de faire des espaces spécifiques, de vivre des choses un peu différentes mais avec cette idée de mettre en relation un terroir particulier, une culture différente pour que ce singulier soit connecté avec un contexte bien particulier. - À paris nous avons réalisé le Hi-Matic, rue de Charonne, en pensant que quand on n’est pas de Paris on aimerait bien y disposer d’un pied à terre. Communément, on a tous un copain qui nous héberge, mais ce n’est pas toujours possible… L’idée est donc de faire d’un hôtel un pied à terre : ça doit être aussi facile que d’appeler un copain ! C’est un hôtel qui est en partie automatisé. On achète sa réservation sur Internet comme on le ferait pour acquérir un billet d’avion. En même temps on va remettre en question les organisations des hôtels. On est dans des petits hôtels qui sont des hôtels de quartier, ici

budget, va forcément aboutir sur autre chose que le white cube de la galerie d’art type qui fait que tout est présenté de la même façon. À Montrouge, les objets prennent position. Nous qualifions l’espace avec des partis pris scénographiques forts, afin de créer des cheminements fluides pour qu’il y ait des croisements entre les différentes œuvres. Le but étant de montrer au mieux cette diversité des œuvres sélectionnées par le jury du salon. Les jeunes artistes sont par ailleurs accompagnés, un texte critique est écrit à propos de leurs œuvres, et tout ceci est un appui non négligeable pour ces jeunes artistes, qui, pour la plupart n’ont pas de galerie. En 3 ans le salon a complètement changé, maintenant, dès le premier jour les galeries arrivent car elles ont compris que c’était un lieu important.

nous sommes à Charonne, un quartier très vivant et l’hôtel est vraiment connecté avec le quartier, ce n’est pas quelque chose de parachuté ! L’idée c’est de faire comme si les gens qui y travaillent étaient dans une maison et non pas dans un hôtel ; on ne va pas demander au réceptionniste de rester 10 heures derrière son comptoir à attendre parce que finalement il risque de faire la tronche : rester 10 heures derrière un comptoir c’est un peu lassant ! L’idée est donc de trouver une logique singulière. Comme ce sont des petits espaces (on est en centre-ville), on est accessible, ce sont des niveaux 2 étoiles donc on va obtenir une chambre assez petite… Le but n’est pas de donner juste un lit on va repenser la chambre comme une plateforme au sol qui va ressembler à un ryokan japonais et qui fait qu’elle va être transformée en cabane. C’est-à-dire que le lit ne prendra pas toute la place, c’est une grande plateforme avec une cabane en bois permettant de tout accrocher (penderie bureau…).

vais prendre cette chaise je vais prendre cette table sinon tu répercutes exactement la même façon de vivre que ce qui existe. Donc l’idée de se décaler est de proposer autre chose et de faire en sorte de créer une logique. Et cette logique on peut la sentir dès que l’on passe la porte du lieu parce qu’il y a une hospitalité inhabituelle : on ne veut pas que les gens jouent un rôle ! Or aujourd’hui on est dans un monde où (surtout pour les hôtels 4 étoiles) il y a beaucoup d’apparences, beaucoup de statuts qui entrent en jeu ! Dès lors que ces notions interviennent, on sait que les gens ne vont pas expérimenter… ils vont juste jouer un rôle ! L’idée c’est au contraire de casser, de laisser un peu tout ce que l’on connaît à la porte de l’hôtel pour se mettre en condition d’essayer autre chose. C’est pour ça qu’il faut dessiner tout, avoir une cohérence pour que ça marche et pour que l’expérience soit complète.

- À Nice, nous avons conçu le Hi-hôtel et le Hi-Beach qui lui répond.

Vous avez également travaillé pour des structures aux budgets modestes. Est-ce pour vous un moyens de soutenir la jeune création ? Oui !

Justement, avec le Hi-hôtel vous avez créé votre premier établissement global où vous avez tout conçu. Comment avez-vous abordé ce projet ?

Par exemple, pour le salon de Montrouge je travaille avec Stéphane Corréard, le commissaire qui a repris Montrouge (le plus ancien salon dédié à la découverte de nouveaux artistes, créé en 1955, ndlr), on partage les mêmes valeurs, je sais ce qu’il défend, je sais qu’il défend la diversité de la création artistique. C’est aussi ce qui m’intéresse : mettre en scène cette pluralité à travers l’espace ! Quand j’ai visité le lieu, le salon se situait dans une ancienne usine,(ça n’existera plus cette année). C’est formidable d’avoir un bâtiment industriel ; ce cadre ajouté au peu de

C’est un projet que j’ai réalisé avec Patrick Elouarghi et Philippe Chapelet : on l’a muri pendant 2 ans. Ce qui est intéressant ce n’est pas d’avoir tout conçu, mais d’être sortis des archétypes, pour casser les codes et pour que l’expérience de la clientèle hôtelière soit totale. À partir du moment où tu cherches à faire quelque chose de spécifique tu ne peux pas te permettre d’aller faire un shopping en disant je

Vous avez collaboré au projet Vent des forêts situé en Lorraine. Envisagez-vous de façon sereine les possibles dégradations des structures que vous avez créées dans une forêt publique et comment envisagez vous leur avenir ? C’est un projet complexe et long, mais d’une beauté incroyable. On travaille avec les entreprises locales. Ce qui est intéressant dans Vent des forêts c’est qu’il s’agit d’un projet ancré dans son territoire qui représente les prémices d’un développement local. Depuis 12 ans, il consiste à implanter des œuvres d’art dans un environnement sylvestre. C’est un projet participatif, les artistes résidents vont dormir chez les habitants des six petits villages du territoire. Ces habitants qui sont des ruraux, agriculteurs, chasseurs, … etc, ne sont pas habitués à l’art contemporain, mais avec ce projet, ils vivent au contact des artistes et des œuvres. Le concept de Vent des forêts c’est de partager la forêt, avec les usages propres de chacun, entre le chasseur, l’écologiste ou l’amateur d’art contemporain. Et même si ça paraît improbable ça fonctionne ! Tout le monde se retrouve pour profiter de la forêt. Pour en revenir à la question, la maison n’est pas laissée dans la nature, elle est à la charge d’une famille qui en est responsable et qui est rémunérée pour son entretien mais pas simplement ça, c’est aussi elle qui vous accueille. En même temps on est en train de voir si on ne peut pas les laisser ouvertes lorsqu’elles ne sont pas utilisées pour que les gens de la forêt puissent les utiliser aussi. Ce n’est pas un objet privé ! C’est un objet réalisé pour l’usage de la forêt, et qui, de ce fait va aussi être respecté différemment et va donc avoir un pérennité différente aussi.

www.matalicrasset.com

Du 1er octobre au 5 mars 2012 Le blobterre de matali

Centre Pompidou • 75191 Paris cedex 04 • +33 (0)1 44 78 12 33

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COMÉDIE DE REIMS

Texte /

Isabelle Giovacchini • Photo / DR

JEAN-YVES JOUANNAIS + PORTRAIT DU CRITIQUE EN FANTASSIN +

« Ça a débuté comme ça ». Jean-Yves Jouannais, critique d’art, commissaire et auteur d’essais, décide en 2008 de dynamiter ces différentes pratiques, d’en récupérer les lambeaux ainsi obtenus et de les bricoler pour se lancer dans cette entreprise déraisonnée qu’il nomme Encyclopédie des guerres. Organisée par ordre alphabétique, elle englobe des termes directement issus du langage militaire qui viennent se jouxter à d’autres beaucoup plus personnels ou rocambolesques. Depuis 2010, Jouannais invite une fois par mois le public de La Comédie à suivre l’avancée de ses recherches martiales sous la forme de conférences performées. Comme pour toute vraie guerre, on sait quand ça commence mais jamais trop quand ça se termine. Il en est actuellement à la lettre B. Questionnons donc notre Belligérant Bibliophile.

Pouvez-vous vous présenter ? J’ai longtemps été critique d’art. Aujourd’hui, à 47 ans, je n’ai plus de métier. J’essaye juste d’accorder ma vie à un seul et unique projet, lequel devrait m’accompagner jusqu’à la fin de mes jours.

Vous développez en effet depuis plusieurs années un vaste projet qui s’intitule l’Encyclopédie des guerres. Quel a été le point de départ de ce projet ? Pourquoi avoir pris pour thématique un sujet tel que la guerre et pourquoi avoir choisi la forme encyclopédique ? Pour le point de départ, je ne sais plus s’il y en a eu une infinité ou absolument aucun. Je sais juste que quand ça a commencé, en septembre 2008, au Centre Pompidou, à Paris, j’ai commencé à vivre une autre vie. Quant au choix de ce thème - l’histoire des guerres -, je m’efforce de m’expliquer à moi-même, au fil des conférences, en quoi ce n’était pas un choix. Mais plutôt une obsession. Le mot « Obsession » est de la même famille que le verbe « Assiéger ». Les « fièvres obsidionales » désignent des maladies spécifiques aux villes assiégées. J’ai l’impression de n’avoir pas choisi la guerre, mais d’être assiégé par l’Encyclopédie des guerres. J’ai aussi parfois l’impression que le sujet de la guerre n’est qu’un prétexte pour réfléchir à ce qu’est une obsession. Ce qui me confirme dans cette hypothèse, c’est que la majorité des personnes qui sont devenues des fidèles de cette entreprise, prétendent n’avoir aucune curiosité pour le phénomène de la guerre en elle-même.

De l’encyclopédie traditionnelle, vous avez conservé une organisation par mots-clés classés dans l’ordre alphabétique. Comment choisissez vous ces mots-clés ? Je passe toutes mes journées à lire tous les ouvrages qui me tombent sous la main et qui ont trait à tous les aspects de tous les conflits à toutes les époques, sous toutes les latitudes, et ce jusqu’en 1945. Or je ne suis pas historien, encore moins spécialiste de l’univers militaire. Alors je dévore tous ces livres avec beaucoup d’innocence. Et je m’arrête sur des mots qui me troublent, qui me plaisent, que je ne comprends pas, ou de travers. Certains d’entre eux deviennent des mots-clés, des entrées de l’Encyclopédie. Mais tout cela est très aléatoire, très accidentel. Cela se veut très sérieux. Mais on se rend vite compte que cette entreprise n’est pas crédible une seule seconde. Ça ne tient pas debout.

Certains de ces mots-clés n’entrent a priori pas du tout dans le champ lexical de la guerre (danse, éléphant, épicerie...) mais

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vous parvenez tout de même à les y insérer avec beaucoup de justesse. Peut-on considérer qu’à terme, tous les noms communs de la langue française pourraient apparaître dans votre Encyclopédie ? Aujourd’hui, samedi 2 septembre 2011, à 23h48, l’Encyclopédie des guerres compte 512 entrées. Certains jours, plusieurs entrées sont créées. Et puis plus rien pendant des semaines. Ce sont alors de nouvelles citations, piochées dans les livres que je lis, qui se contentent de compléter, de nourrir, des entrées existantes. Pour répondre à votre question d’un terme envisageable de l’Encyclopédie, je dirais que je rêve de « digérer » intégralement tous les livres que je lis, lis et relis encore (j’en suis par exemple à la sixième lecture de l’Iliade) et d’aboutir à une composition de citations qui restituerait, de manière explosée, la totalité de ma « Bibliothèque de guerre ».

Comment organisez-vous ce colossal travail de recherche ? Prétendez-vous à l’exhaustivité ? Si oui, pourquoi avoir choisi de faire débuter votre Encyclopédie des guerres avec L’Iliade et de l’achever avec Hiroshima le 6 août 1945 ? Cela s’arrête en 1945 parce que mon grand-père paternel, Jean Jouannais, est mort noyé cette année-là, sous l’uniforme français. Or, je me suis surpris à dire, puis à croire moi-même, que c’était lui qui aurait dû me raconter cette histoire des guerres. Je travaille à un projet d’exposition autour de l’Encyclopédie des guerres qui aura pour titre « Comment se faire raconter les guerres par un grand-père mort ».

Dans le but de récolter le plus d’informations, vous avez organisé en 2010 plusieurs séances d’échanges de livres. Il suffisait de venir avec un livre ou un document traitant de la guerre pour repartir avec l’un des livres de votre bibliothèque classique. Quel sens donnez-vous à ce cérémonial ? Y avait-il des règles d’échange ? Cela s’appelle « Conversion d’une bibliothèque de nonguerre en bibliothèque de guerre ». Je vais le refaire cette année dans une magnifique librairie parisienne, l’Atelier, dans le 20e arrondissement. Cela occasionne d’incroyables rencontres. Je voudrais finir par me séparer de toute ma bibliothèque pour signifier explicitement mon changement d’existence. De mes Richard Brautigan, je ne garderai que Le Général sudiste de Big Sur. Je n’ai plus besoin de Gide ni de Huysmans, encore moins de mes essais d’esthétique. Alors qu’il me reste des millions de livres à découvrir sur la guerre de Sécession, la conquête de la Nouvelle Espagne, les guerres Papoues, sur l’histoire de la baïonnette,

sur la bataille de Pharsale, sur le siège de la ville de Candie, le plus long de toute l’histoire humaine.

Par ces actions, donnez-vous une extension participative à votre Encyclopédie ? Oui, mais ce n’était pas prémédité. J’ai eu cette idée parce que beaucoup de gens m’offraient des livres à l’issue des conférences et que j’ai toujours été gêné par les cadeaux. L’autre raison, c’est que je n’ai pas les moyens de m’acheter tous les ouvrages existants sur toutes ces guerres. Échanger les ouvrages de ma bibliothèque était une solution économique. Il est important pour moi, et vital, d’inventer progressivement l’Encyclopédie des guerres, dont aucune règle n’est définitivement fixée, et son économie propre.

Cette constante recherche de documentation fait de l’Encyclopédie des guerres un projet évolutif. Comme pour toute encyclopédie, le contenu d’un mot-clé peut-il évoluer au cours de vos investigations ? Tout à fait ! Certaines entrées, dans un premier temps, peuvent sembler n’avoir aucun intérêt, être creuses ou insipides. Et puis, au gré d’une nouvelle citation, d’une nouvelle image, d’une nouvelle interprétation, elles peuvent prendre soudain une ampleur incroyable. Ce fut le cas, par exemple, pour « Boum », « Costume de bain », « Exécution », et surtout « Abeilles »…

Votre performance encyclopédique s’organise de façon alphabétique mais son contenu peut changer, ce qui vous oblige donc à le réactualiser constamment. Vous faudra t’il reprendre sans cesse vos conférences depuis le début ? De nouvelles citations sont rangées dans des entrées déjà anciennes et m’entraînent à y revenir. C’est un processus sans fin de rumination. Plus j’avance - à Beaubourg, je suis à la lettre F -, à Reims, à la lettre B -, plus j’ai de raisons de revenir en arrière. Et puis, j’aime bien « rejouer » certaines entrées sur des tonalités différentes. La question de la couleur, de l’ambiance, de ce qu’il me faut bien finir par appeler un « spectacle » m’intrigue beaucoup. Le fait est que je ne sais pas ce que c’est vraiment et quel rôle je suis censé jouer sur scène. Suis-je un conférencier, un performer, un poète, un comédien, un historien, un polémologue, un clown, un professeur ? Quant à l’esprit de l’entreprise, je le fantasme par intermittence. J’ai parfois envie que cela ressemble à un concert de Joy Division. Parfois, je rêve que cela sonne comme un disque de Kid Congo. Je me dis, d’autres soirs, qu’il s’agit d’un hommage à Eric Duyckaerts. Parfois je pense aux Saisons de


C OMÉ D IE D E R E IMS

« Il n’y aura aucune trace de ces moments de parole en grande partie improvisée »

Pelechian. Le mois suivant, j’ai envie que cela ressemble à The Party de Blake Edwards (un extrait de ce film illustre d’ailleurs l’entrée « Clairon ». Mais, au final, c’est toujours un pauvre type, tout seul, qui raconte des histoires sur une scène.

Pour la deuxième année consécutive, La Comédie de Reims vous invite à présenter votre Encyclopédie des guerres. Pouvez-vous nous parler de cette collaboration ? Y a-t-il des différences notables entre l’Encyclopédie des Guerres telle que vous la présentiez au Centre Pompidou à Paris et celle que le public rémois peut découvrir ? C’est en effet à la Comédie de Reims que j’ai accepté d’entamer une seconde version de l’Encyclopédie des guerres. J’ai été très touché, et honoré de la proposition qui m’a été faite par Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde. Ils savent que cela les engage sur de nombreuses années. J’ai donc repris à la lettre A, en octobre 2010. C’est à la fois le même principe qu’au Centre Pompidou, à raison d’un rendez-vous par mois, et cela n’a rien en commun. Rien n’étant écrit, à l’exception des citations, je me lance dans des réflexions qui parfois produisent des effets, et parfois retombent à plat. Je ne suis pas un fan du bide, mais le fiasco m’intéresse beaucoup. D’autres villes m’avaient invité pour refaire un cycle de l’Encyclopédie. Il fallait, à mes yeux, que cette ville ait un lien étroit avec l’histoire des conflits. Cela pouvait être, en France, Metz, Strasbourg, Dunkerque ou, bien sûr Reims. Je suis très heureux que ce soit Reims. Un souvenir d’enfance en particulier me rend cette ville attachante. Je me souviens du jour, à l’école, où j’avais appris que Reims avait reçu plusieurs médailles, dont la Légion d’honneur et la croix de guerre 1939-1945. Cela avait été un choc d’apprendre qu’une ville pouvait être décorée. La question de l’héroïsme que cela pose n’est toujours pas résolue à mes yeux. Et puis, je pense souvent aux gargouilles cracheuses de plomb de la Cathédrale que l’on peut voir dans l’extraordinaire Musée du Tau. Je pense d’ailleurs créer pour elles une entrée « Gargouille ».

Avant d’avoir entamé ce travail d’encyclopédiste, vous étiez surtout connu pour votre travail de critique et de commissaire d’expositions, ainsi que pour vos essais, tels qu’Artistes sans œuvres - I would prefer not to, ou encore

l’Idiotie : art, vie, politique - Méthode, parus en 1997 et 2003. Or, avec L’encyclopédie des guerres vous vous rapprochez de la performance artistique. Vous considérezvous aussi comme un « artiste sans œuvres » ? C’est en tout cas mon ambition d’en être un. C’est l’une des raisons pour lesquelles ces deux cycles de conférences, qui devraient nécessiter une vingtaine d’années, ne donneront lieu à aucune publication. Il n’y aura aucune trace de ces moments de parole en grande partie improvisée. Il n’y aura pas de transcription de ces récits qui relèvent strictement de la littérature orale et non de l’édition.

Avez-vous d’autres projets en cours ? J’essaye de n’en avoir aucun autre !

L’encyclopédie des guerres Conférence - Performance

Les mercredis 20 octobre, 17 novembre et 15 décembre à 19h30. Entrée libre sur réservation.

La Comédie De Reims Centre dramatique national 3 Chaussée Bocquaine 51100 Reims 03 26 48 49 00 www.lacomediedereims.fr

JE A N -Y V E S JOU A N N A IS - 41


OP É R A

Texte /

Valentin de La Hoz & Opéra de Reims • Photo / Benoit Pelletier

Opéra de Reims + SAISON 2011/2012 +

Une nouvelle saison à l’Opéra de Reims où les arts du spectacles illumineront vos nuits. Grands classiques de l’opéra, créations, danse, concerts et bien plus encore, se côtoieront tout au long de l’année. « De Pagliardi à Verrières, nous parcourrons à nouveau cette saison les époques de l’opéra. Il y aura ces "grand classiques" - dont on n’arrive pas à se lasser - : Faust de Gounod, La Traviata de Verdi,… Un de la Canebière de Scotto, ainsi que de nombreux spectacles de genres et de formats très différents, manifeste de l’éclectisme que nous revendiquons. Je vous inviterai à quelques rencontres singulières : Jenufa tout d’abord, chef d’œuvre du grand compositeur tchèque Leoš Janáček. Son inspiration musicale et poétique tient du vérisme (l’histoire se passe au début du siècle dernier dans un moulin en Moravie) et procède de la volonté de création d’un opéra national en ce temps où vacille l’empire

austro-hongrois. L’œuvre porte la marque d’un humanisme profond où une forme de rédemption vitale transcende le malheur des êtres : la vie continue, après la souffrance renaissent l’amour et l’espérance. La Tétralogie ensuite. Crénom ! Pas la version intégrale, dont l’orchestre ne tiendrait pas dans la fosse de notre théâtre, mais une version condensée, réécrite musicalement pour 18 instrumentistes et dramatiquement pour 15 chanteurs. Un petit sacrilège en somme, une version "de poche" pour une durée totale de 9 heures quand même -, qui permet l’approche du monument par une sente traversière et d’en aborder les contours à défaut d’une visite complète. L’esprit de "festival scénique" cher à

Wagner est toutefois préservé : les 4 opéras s’enchaînent sur trois jours consécutifs. Cette production européenne s’inscrit dans le festival Reims Scènes d’Europe. Et pour débuter, en octobre, un ballet avec des oiseaux. Images de grande et fragile beauté que celles de ces danseurs aux gestes lents et calculés, contrariés par l’agitation incessante, turbulente et colorée des oiseaux. La plume et la peau, leurs rencontres gracieuses, parfois comiques. Vous souhaitant à tous, lyricophiles avertis ou amateurs occasionnels, de belles émotions artistiques et une excellente saison 2011-2012. » (Serge GAYMARD - Directeur de l’Opéra de Reims)

THE TURN OF THE SCREW

CALIGULA

LA CONFIDENCE DES OISEAUX

(Le tour d’écrou) De B. BRITTEN Fasciné par le monde de l’enfance ou plutôt la perte de l’enfance, Benjamin Britten est particulièrement inspiré par l’écriture tourmentée d’Henry James et réalise l’un de ses meilleurs ouvrages, d’une force à la fois sensuelle et angoissante. À sa création en 1954, Le Tour d’Écrou ancrait les personnages dans l’ambiance puritaine de l’époque victorienne. La mise en scène choisit ici de conserver un décor british indispensable, mais pose l’esthétique d’un passé proche pour y dessiner une véritable tragédie psychanalytique. Avec des personnages qui prennent une apparence contemporaine, charnelle, moins fantomatique qu’à l’origine de leur création dans la nouvelle d’Henry James, écrite en 1932.

De G.M PAGLIARDI Au XVIIème siècle, la Sérénissime République de Venise constitue un îlot de liberté pour la création d’opéras. Joyau de cette époque vénitienne, le Caligula de Pagliardi n’aspirait qu’à être redécouvert… Pardelà le mythe de l’empereur dépravé au pouvoir sans limites, Caligula mêle sur scène désir, jalousie, ambition, trahison, ruse, magie, rage, nostalgie, amertume… une large palette d’affects qui confère à ce drame musical un subtil équilibre entre les registres tragique et comique. Pour revisiter l’interprétation originelle de 1672, Mimmo Cuticchio se joint aux musiciens du Poème Harmonique. Représentant le plus éminent de la tradition de la marionnette à tige sicilienne (les pupi), Mimmo Cuticchio en est aussi le dernier maestro. Avec sa compagnie Figli d’Arte, il se fait à Palerme et dans le monde le défenseur éclairé et passionné d’une discipline que l’UNESCO a récemment inscrite au patrimoine de l’humanité.

(ballet pour 4 danseurs et 30 oiseaux) De L. PETTON - CIE LE GUETTEUR Confidence pour confidence, ce spectacle-là n’est pas de ceux qu’il est possible de manquer… La conjugaison de la gent ailée – aurait dit La Fontaine – et de danseurs, donne au spectacle vivant tout son sens : l’alchimie est tout à fait perceptible entre l’homme et l’animal. À travers une sensation quasi onirique, on perçoit combien cette œuvre est liée par ses motifs et son esthétique aux Métamorphoses d’Ovide. Voici une proposition de toute beauté, à ressentir, pour ne plus jamais regarder les oiseaux du même œil.

Mardi 4 octobre 20h • Durée : 1h45 Chanté en anglais, surtitré en français

Vendredi 14 octobre 20h30 Samedi 15 octobre 20h30 • Durée : 1h20

Vendredi 7 octobre 20h30 • Durée : 1h20 Chanté en italien, surtitré en français

OPÉRA DE REIMS • 1 rue de Vesle - 51100 Reims • 03 26 50 03 92 • www.operadereims.com 42 - O P É R A D E R EIM S

YOUN SUN NAH • [Djaz] À L’OPÉRA N°1 La chanteuse sud-coréenne Youn Sun Nah continue d’explorer le jazz avec une précision inouïe et une douceur infinie. Son timbre si particulier ne lui confère aucune comparaison et son jeu subtil aux mille et une nuances nous invite à entrer dans son monde intérieur. C’est une exceptionnelle improvisatrice et la fluidité de son phrasé lui permet de jouer aussi bien avec les silences que les éclats de voix. Elle envoûte le public et l’entraîne dans une émotion pure entre fragilité et force mêlées. Sa voix, qu’elle a confié rêver vouloir faire sonner comme une harpe, impressionne surtout par une plasticité incroyable, passant en un clin d’œil des graves aux suraigus. Le suédois Ulf Wakenius qui l’accompagne, dernier guitariste d’Oscar Peterson, ne tarit pas d’éloges à ce sujet : « Nous avons justement essayé de rendre compte de l’incroyable arc-en-ciel de nuances que possède sa voix ». À eux deux, ils façonnent un art de l’intimité qui réussit à transcender les frontières et captiver un public qui pensait que le jazz n’était pas pour lui.

Jeudi 20 octobre 19h • Durée : 1h


Texte /

JOU R N É E S D U PATR IMOIN E

Anne Babb / SUAC • Photo / DR

S.U.A.C.

Dans le cadre des journées du Patrimoine les 17 et 18 septembre, l’Université Reims Champagne-Ardenne présente son 1% artistique et les architectures de ses sites.

Pour tous ceux qui fréquentent ou ont fréquenté les campus de l’Université de Reims, sans voir ces œuvres, qui se fondent dans un paysage urbain désincarné, et qu’on ignore à tort. Une occasion de redécouvrir ces œuvres et de se les réapproprier !

• Campus MOULIN DE LA HOUSSE (« Pôle Sciences ».)

Les bâtiments de ce campus à l’américaine et notamment la bibliothèque universitaire font partie des œuvres majeures conçues par l’architecte Marcel LODS dans les années 60. L’architecte a utilisé pour l’ensemble des bâtiments de la faculté des matériaux et une technique résolument modernes : piliers extérieurs en béton blanc supportant l’ensemble, aluminium anodisé et grands vitrages constituant les façades.

Samedi de 14h à 17h Toutes les heures, visites avec un architecte et un professeur d’arts plastiques.

• VILLA DOUCE 9 boulevard de la Paix

• Campus CROIX-ROUGE

(Siège de la Présidence de l’Université de Reims Champagne-Ardenne).

(Droit et Science politique ; Sciences économiques, sociales et de gestion, Lettres et

Inscrit sur la liste supplémentaire des Monuments historiques en 1992, cet hôtel particulier de style Paquebot (Art déco) fut construit de 1929 à 1934 par les architectes Pol Gosset et Jacques Debat-Ponsan pour André Douce, notaire. Cette spacieuse demeure, construite en béton armé revêtu de briques rouges, s’ordonne autour d’un hall occupé par un grand escalier suspendu, sa courbe soulignée par une rampe en acier. La maison possède également une salle de musique dont l’extrémité en forme demi-circulaire ouvre par de grandes portesfenêtres sur le jardin. L’hôtel est occupé aujourd’hui par l’Université de Reims Champagne-Ardenne.

sciences humaines.)

Samedi et dimanche de 14h à 18h Visites guidées toutes les 30 minutes. (Groupes limités à 25 personnes)

EXPOSITION Marie-Hélène Ferrasson - « Passages » Le mode d’expression favori de Marie-Hélène Ferrasson est la gravure en taille-douce. Depuis quinze ans, elle expérimente les nombreuses possibilités qu’offre la gravure contemporaine pour produire des créations très variées. Exposer à la Villa Douce, lieu culturel et d’architecture d’exception, au moment même des Journées du Patrimoine, lui a permis d’imaginer un projet artistique autour de l’architecture et d’aborder les questions de passages, d’espaces et de points de vue (multiples comme peuvent l’être les tirages d’états en gravure).

Les coquilles marquent l’entrée du campus ; cet ensemble de 6 amphithéâtres a été conçu par A. et D. Dubard de Gaillarbois et R. Clauzier, elles symbolisent l’université (logo). Les nouveaux amphis achevés en 2000 par J-M. Jacquet et le bâtiment Recherche en 2003 par l’atelier de Claude Monfort offrent des lignes plus sobres. La Bibliothèque Robert de Sorbon créée en 2006 et conçue comme un livre ouvert par Chabanne et Partenaires respecte le label HQE. Les œuvres du 1% seront aussi à l’honneur: la sculpture du Parvis de Marino Diteana, les Girouettes d’ Hélène Remy...

Dimanche de 14h à 17h Toutes les heures, visites avec un architecte et un professeur d’arts plastiques.

N U I T D E S M U S É ES

Texte /

Palais du Tau • Photo / © Stéphane Franzese – Centre des monuments nationaux

Palais du Tau

+ AU PALAIS DU TAU, LES ÉTUDIANTS SONT ROIS… + Gratuit aux ressortissants de la Communauté européenne de moins de 26 ans, le palais du Tau séduit les étudiants.

Ancien palais de l’archevêque de Reims, le palais du Tau est un des hauts lieux de l’histoire de France, administré par le Centre des Monuments Nationaux et classé au patrimoine culturel mondial par l’Unesco. Théâtre de quinze siècles d’histoire, séjour de plus de trente rois, le monument conserve des collections exceptionnelles. Sculptures, tapisseries, costumes, ornements et pièces d’orfèvrerie constituent un trésor unique. Le palais du Tau est également au cœur de la scène culturelle rémoise. Il est un des partenaires du Festival Elektricity, festival des musiques électroniques, du 4 au 8 octobre. Il propose également chaque année au mois de mai, un festival de formes marionnettiques contemporaines, Orbis Pictus.

Cette année encore, le palais accueille les étudiants de Reims pour la « Nuit des musées, spéciale étudiants », le

16 novembre de 20h00 à minuit. C’est l’occasion rêvée de découvrir, en nocturne, Tout ce qui brille… et notamment, l’exceptionnel trésor de la Cathédrale et des sacres dans les chambres fortes du monument. À cette occasion, un prix sera remis à l’étudiant le plus « brillant ».

CENTRE DES MONUMENTS NATIONAUX Palais du Tau • 2 place du cardinal Luçon 51100 Reims • 03 26 47 81 79 Ouvert du mardi au dimanche de 9h30 à 12h30 et de 14h00 à 17h30.

É V É N E ME N TS - 43


The Sherlock Pub • Place Drouet d’Erlon, Reims • 03 26 40 19 46

www.sherlock-pub-reims.fr



ÉPILOGUE ! "Hâtons-nous de succomber à la tentation, avant qu'elle ne s'éloigne" (Épicure) 40% d’art, 40% de musique et 20% de découvertes culturelles, voilà, ici dévoilé le nouveau cocktail de CLGB. De « newspaper » CLGB se mue en « open art revue ». Une revue ouverte sur tout ce qui se fait de mieux et de plus novateur en création contemporaine. Désormais, CLGB explore la culture à Reims, Monaco, Bordeaux, Toulouse, Nantes…avec un format doublé en nombre de pages. Il n’en perd pas pour autant son âme, alliant sérieux, curiosité, second degré et subversion. Bien au contraire ! En parcourant les pages de CLGB, marathoniens avides de nouveautés vous entrerez en résistance contre la morgue ambiante. Alors, donnez toute sa place à l’art, en chaque lieu et moment de votre existence… car l’art, c’est ce qui identifie et scelle une civilisation. Au-delà d’un discours parfois technique, CLGB vous invite simplement à pénétrer dans l’univers intime et l’esprit créatif hors normes de plasticiens, photographes, peintres, musiciens… bref, d’artistes, quels qu’ils soient, jeunes, vieux, connus ou inconnus, sans hiérarchisation. Plus qu’une revue, CLGB est une porte ouverte sur le monde, leur monde, notre monde, où l’on s’engouffre pour succomber à la tentation de notre curiosité, pour fuir l’ennui, jusqu’à l’extase, et c’est ce qui compte le plus… ! (Alexis Jama-Bieri)

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