Open Art Revue
Š Georges Rousse
Mai Juin 2012 /// Reims /// Gratuit
Modèle : Mélissa • Coiffure : Jean Noël • Maquillage : Marine • Photo : Crapaud Mlle • Tenue : CLGB
LE PARI DE LA CRÉATIVITÉ Texte / Serge Pugeault - Adjoint au Maire de Reims en charge du développement économique, des grands projets et de la culture • Photo / © Clémentine Treu
L
a vie culturelle rémoise est foisonnante et depuis trois ans, elle est incontestablement entrée dans une nouvelle dynamique. De nouveaux lieux de création, de diffusion ou d’information ont vu le jour : le théâtre de verdure du Cryptoportique, le Temps des Cerises, la Friche Artistique, la Pépinière Art et Design, la Galerie Nexus, la Galerie de Culture et d’autres encore initiés ou accompagnés par la Ville. L’objectif est de diversifier l’offre, soutenir les créateurs, décloisonner les pratiques et les disciplines, encourager les initiatives, favoriser les croisements, irriguer l’ensemble du territoire, tisser entre les lieux et les artistes une toile dont les vibrations soient celles d’une ville qui bouge et qui regarde résolument vers l’avenir. D’autres projets sont en cours de réalisation : le planétarium, le nouveau musée des beaux arts, l’espace d’exposition des halles du boulingrin, la transformation des anciens celliers Jacquart en lieu de création, de diffusion et d’exposition… Autant d’équipements qui viennent compléter le maillage culturel de notre territoire qui dispose déjà de structures de très grande qualité comme la Comédie, le Manège, l’Opéra, la Cartonnerie, Césaré dont le rayonnement dépasse Reims. Mais la richesse de la vie culturelle rémoise se lit aussi à travers les événements majeurs qui
VIRGINIE DESPENTES
rythment l’année et ils sont nombreux. Certains sont bien installés, d’autres sont plus récents mais montent en puissance et en notoriété. Citons les Flâneries Musicales, Electricity, Reims Jazz Festival, Reims Scènes d’Europe, Méli-Môme, Chroniques Nomades, Orbis Pictus… Des projets sont lancés autour de l’art contemporain et son implantation dans l’espace public, la scène musicale rémoise est plus active que jamais tandis que les pratiques amateurs se développent dans les quartiers… La Ville fait le pari de la créativité. Ce pari traduit aussi le souci d’infléchir son image à l’extérieur, de l’inscrire dans une modernité qui est celle des métropoles culturelles européennes et par là même de travailler sur son attractivité, son « pouvoir de séduction ». Dans leur dimension économique, les industries créatives seront celles qui compteront demain. Le contexte économique est difficile, beaucoup souffrent, sont inquiets. Loin d’être un luxe la culture est d’autant plus nécessaire qu’elle est la garantie d’une bonne respiration démocratique. Une vie culturelle vigoureuse, c’est l’assurance pour les habitants de moments d’émotion partagée qui unissent, quand tant d’autres cherchent à diviser ou à cloisonner.
+ Femme à femmes +
JEAN-MICHEL HANNECART
+ Art multiple +
FONDATION LOUIS ROEDERER MAZARINE PINGEOT PLANDA
+ Une image humaine du mécénat +
+ Entretien avec René Descartes +
+ Plan design & architecture +
SAMUEL RÉHAULT
+ Rock en comédie +
GEORGES ROUSSE
+ Les ateliers de Georges Rousse +
JEAN-PHILIPPE COLLARD BARCELLA
+ Un nouveau DA aux Flâneries Musicales de Reims +
+ Un compréhensible charabia +
A PLACE TO BURY STRANGERS PHILIPPE LE GOFF
+ Un enterrement de première classe +
+ Swing à Césaré +
AYMERIC PENIGUET DE STOUTZ
+ Un nouvel esprit au Palais du tau +
centre d’essais
Texte /
C IN É MA
Jessica Piersanti • Photos / © DR
VIRGINIE DESPENTES + FEMME À FEMMES +
A
près l’adaptation cinématographique de son premier roman Baise-moi, qui avait fait du bruit en 2000, Virginie Despentes revient à la réalisation avec Bye Bye Blondie, film adapté de son sixième roman. Elle transforme ici son histoire amoureuse hétéro de l’époque en une liaison lesbienne, qui marque sans complexe son changement de camp. Quand les deux anciennes punkettes de 15 ans (Soko et Clara Ponsot) qui s’aiment sur fond de Bérurier Noir se retrouvent à 40 ans (Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart), cela ne fait aucun doute : si le destin est passé par-là, elles restent au fond toujours les mêmes.
« Je pense qu’on a moins peur de perdre une heure quarante au cinéma que de se lancer dans un livre. » • Comment décide-t-on d’adapter son propre roman ? L’idée de départ n’était pas de moi. On me l’a inoculée. C’était il y a plus de 7 ans, deux producteurs un peu fous avaient décidé d’adapter Bye Bye Blondie et voulaient que ce soit moi qui le réalise. Finalement, ça ne s’est pas fait avec eux, mais c’est comme ça que ça a commencé.. Au début, je n’étais pas sure de vouloir adapter un second roman, et puis après je me suis dit : les années 80 c’est bien, les punks c’est bien, l’hôpital psychiatrique ça m’intéresse, la ville de Nancy ça me dit. Plus tard, avec Béatrice Dalle, il y a eu l’idée d’en faire une romance lesbienne et après j’étais foutue, c’est comme ça que je suis devenue accro à l’histoire. Donc j’ai trouvé un autre producteur, j’ai attendu, et c’est pour ça que ça a pris autant de temps.
• Penses-tu qu’il manque une dimension au roman ? Que le format du film rallierait plus de monde que celui du livre ? Je me rends compte après avoir fait des avant-premières en Province, que tout le monde va voir un film. Même si je fais quelques signatures de mes romans et qu’il y a beaucoup de gens qui lisent, il s’agit quand même moins de tout le monde. Je pense qu’on a moins peur de perdre une heure quarante au cinéma que de se lancer dans un livre. Et puis, tout le monde regarde des films alors que tout le monde ne lit pas. • Tu es plutôt lectrice que cinéphile ? Je suis une super lectrice. Je suis à la limite de l’inquiétant par moment. Mais avec les livres, il n’y a pas d’after affect grave donc on je n’ai pas besoin de me ressaisir. Mais je peux vraiment m’enfermer
totalement dans les livres. Si je vais très très mal, les films ne me sortent pas de la déprime de la même façon. • Quel est ton rapport au cinéma ? Je me méfie plus du cinéma car c’est une industrie lourde. C’est dur de faire un film et tous les films ne peuvent pas se faire. D’ailleurs c’est de pire en pire. Il y avait plus de cinéma intéressant en 19801990, plus d’émergence de talents. Tout le monde n’est pas édité en littérature, mais il y a beaucoup plus de façons de passer à travers, notamment grâce aux petites maisons d’édition. Le cinéma, c’est vraiment une grosse propagande et j’en ai surement une conscience différente depuis que j’ai réalisé Baise-moi. J’ai vu mon film censuré et donc comment le cinéma est surveillé, justement parce que c’est un art politique vachement fort.
On surveille moins les livres car la propagande est moins directe. J’aime le cinéma, mais j’aime surtout alterner, car faire du cinéma c’est plus compliqué, il faut des tas d’accords. Et puis les gens ne sont pas des révolutionnaires, il y a très peu de sandinistes dans ce métier. • Dans ton film, on suit les parcours de Gloria et Frances, à 15 et 40 ans. Gloria va suivre la voie de ses parents, faire des études et devenir une présentatrice télé connue. Frances, elle, est plutôt dans la résistance, n’a pas envie de travailler, « n’a rien foutu de ta vie, rien construit ». C’est du destin dont tu parles ici, de ce qu’on devient ? Auquel des deux personnages t’identifies-tu le plus ? J’aurai tendance à penser Gloria… Autant qu’à Frances. Parce que je suis quand même publiée chez Hachette depuis
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CINÉMA
15 ans et qu’on me voit quand même super souvent à la télé. Physiquement c’est moins évident que je ressemble à Emmanuelle Béart, mais dans le personnage, oui absolument. Quand tu commences à vieillir et que tu retrouves des gens vingt ans plus tard, tu te rends compte qu’il y a quand même beaucoup de surprises. Il y a ceux qui étaient méchamment décidés, qui étaient bien en place, qui avaient tout ce qu’il fallait, et qui ont eu des difficultés. Il y en a d’autres qui étaient totalement à l’ouest et qui finalement ne s’en tirent pas si mal, soit parce qu’ils se réaclimatent, qu’ils saisissent des opportunités, ou parce qu’ils ont été sincères. Ça peut aussi se confirmer : il y a ceux pour qui c’est dur à 20 ans et quand tu les retrouves 20 ans plus tard c’est encore plus dur ou triste. Il y en a d’autres qui avaient les dents qui rayaient le plancher et qui sont là où ils voulaient être. Tout ça a quand même beaucoup à voir avec prendre des coups dans la gueule et une faculté à encaisser, et cette faculté ne vient pas de ton ambition. Beaucoup se joue là, comment tu vas manger ce que tu as à manger. • Tu as dit dans une interview qu’il était plus facile d’appréhender le travail de romancière ou de cinéaste en tant que lesbienne. Pourquoi ? Il y a beaucoup d’homosexuelles femmes dans la littérature, des réalisatrices peut-être pas tant que ça,. Et effectivement, ayant fait le changement à 35 ans, j’ai compris que tu as moins peur de ce qui est peut être un pouvoir ou une réussite quand tu es avec une fille que quand tu es avec un mec. Avec un mec, ça devient vite un handicap, ça peut menacer la relation. Après ça dépend des garçons, mais c’est souvent vrai. Le succès peut vite être déstabilisant pour lui et même si ce n’est pas le cas, toi tu l’as tellement intégré que ça le devient. Et puis, il y a un truc qui paraît évident, c’est que les lesbiennes font moins de gamins et ont plus de temps à consacrer à autre chose. C’est quasiment l’histoire de toute la littérature féminine. • Dans le film, tu as pris le parti de transformer le personnage initialement masculin dans ton roman, par une femme. Elle est clairement lesbienne, mais cache son homosexualité. Pourquoi ? J’ai vu que ça arrivait et je trouvais intéressant qu’être un personnage public veuille dire occulter tant de choses de soi. S’exposer, médiatiquement parlant, revient à mentir sur ce que tu es, parce qu’il faut protéger un public, une attente, et des gens qui bossent avec toi. Bizarrement, plus
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il va y avoir de lumière sur toi, plus tu vas être obligé de mentir. J’ai très souvent rencontré celles qu’on appelle des lesbiennes placards, qui sont mariées, souvent d’ailleurs avec des mecs qui sont pédés. Je n’émets pas de jugements, je pense que si elles le font, elles ont raison de le faire. C’est la preuve qu’il reste quand même mieux perçu d’être une femme bien mariée avec des enfants. • J’ai trouvé très réussi la relation amoureuse entre les deux héroïnes à 15 ans. Leur homosexualité a l’air nettement plus assumé qu’à 40 ans. Elles sont beaucoup plus dans l’affirmation de soi, la provocation et assument bien mieux leur identité sexuelle. Est-ce que c’est quelque chose que tu as voulu mettre en avant ? Disons que tu te poses moins de questions quand tu as 15 ans, parce que tu as peut-être moins conscience de ce que tu peux perdre ou peut-être parce que tu as plus confiance en ta force. Je pense aussi qu’en tant que spectateurs on se pose moins de questions devant ces deux filles qui pourraient être n’importe qui, que devant Dalle et Béart qui sont des ultra-iconos de l’hétérosexualité. Et puis, va chercher des histoires d’amour qui se passent bien entre deux femmes de plus de 40 ans dans le cinéma français de ces dix dernières années, tu verras qu’on n’a pas l’habitude... C’est tellement tout le temps les mêmes codes. Tu vois, quand Frances lit deux fois le journal dans mon film… C’est une connerie mais regarde le nombre de fois où tu verras des femmes lire le journal dans des films, si ce n’est pas pour lire les petites annonces, pour chercher un appart ou du boulot... • Tu es passé du statut d’hétéro à une relation avec une femme… Depuis 6-7 ans oui... • Du coup, comment as-tu réussi à diriger Clara et Soko pour jouer deux lesbiennes de 15 ans ? Pour Soko et Clara, c’était déjà tellement évident et super ludique. Elles avaient besoin d’être dirigées, mais pas tant que ça. Soko a eu pleins d’histoires avec des filles. Clara non, mais ça fait tellement parti de sa culture.... Du coup elle est assez insolente parce que justement c’est une super petite bombe de 20 ans, hyper sure d’elle, qui n’a rien à prouver sur la séduction. C’est un peu comme Emmanuelle, ça l’amusait de faire un truc un peu plus masculin. Elles ne vont pas avoir peur de passer pour des camionneuses. • Le projet du film est né avec Béatrice Dalle et vous avez longtemps cherché quelqu’un
pour lui faire face. C’était un fantasme pour toi de faire tourner Béart et Dalle ensemble ? Quelque part, je me fous qu’elles aient une relation amoureuse dans le film. Mais j’aime bien l’idée de deux meufs ensemble, qu’elles ne se ressemblent pas mais qu’elles aient deux caractères très forts. Après qu’elles tuent tout le monde ou qu’elles se roulent des pelles pendant des heures, ça m’importe moins. C’est toujours intéressant de se retrouver avec deux meufs, et comme dans Baise-moi, d’avoir envie que ça se passe bien entre elles. • Bye Bye Blondie est beaucoup plus lisse que Baise-moi dans ta manière de filmer… Incomparablement plus. J’avais envie que ce soit vraiment comme une comédie et de faire un film le plus proche de ce qu’on a l’habitude de voir. C’était intéressant pour moi que ce soit le plus classique possible dans la forme, l’image, la narration, le type de dialogues. Après, à cause du sujet et pour avoir vu pas mal de films lesbiens, je sais qu’il ne passera pas à 20h30 sur une chaine grand public, à moins qu’il ne se passe un truc extraordinaire. Lorsqu’on est passé au comité de censure, on a été autorisé tous publics, mais avec l’avertissement «scènes pouvant heurter la sensibilité du jeune public ». • Quelles scènes ? Parce qu’il n’y a pas de scènes de sexe à proprement parler ? Tout simplement parce que des femmes ne sont pas hétérosexuelles. C’est la décision de la commission. • Puisqu’on est dans un climat politique assez fort avec l’approche des présidentielles, je me demandais si, en tant qu’auteur et personnage public qui incarne certaines valeurs du féminisme, tu pouvais être consultée sur des questions de société liées aux femmes ? Pas vraiment, et puis je crois que sur la veine féministe il y a déjà pas mal de concurrence. Ça pourrait me plaire mais ca dépend où et avec qui. J’ai discuté par exemple avec Osez le féminisme, mais on sait qu’on est pas d’accord, donc ça me saoule. Et les meufs du magazine Causette, qu’est-ce que tu veux que j’aille faire avec elles? Et globalement, il n’y a aucun parti qui ait des propositions politiques sur le féminisme qui m’intéresse, aucun qui m’enthousiasme ou qui est très clair ni sur la prostitution, ni sur la drogue ni sur le porno, ni sur la violence des genres. • Tu avais pris la parole sur les ravages de la co-
caïne dans Le Monde. Est-ce que c’est quelque chose que tu fais souvent, que tu prends plaisir à faire ? C’est un mec qui m’a appelé un jour en me disant : « je fais un dossier sur la cocaïne, je rencontre très peu de gens qui sont contre, je sais que vous avez arrêté, que vous n’aimez pas ça ». Il allait voir tout le monde, des médecins, des dealers, des accros, c’était un énorme dossier. Finalement son énorme dossier n’est pas sorti et six mois après l’interview, il a publié ce texte que je n’ai pas écrit, mais ce que je lui ai dit, dans un contexte super différent. Mais effectivement je trouve que c’est une drogue dure et qu’on la diabolise moins que l’héroïne alors que je trouve qu’elle détruit vachement les gens. Mais sinon, moi toute seule, je n’aurais pas pris mon petit bâton pour aller crier que je suis contre en première page du Monde. Ou alors, si j’avais le choix, je serais partie sur d’autres chevaux de bataille. • Lesquels ? Je ne sais pas, plus sur les putes ou le viol. La cocaïne, c’est un sujet touchy et puis en trois paragraphes dans Le Monde tu as un peu l’air d’une folle. • Dans le film, il y a une vraie dualité des personnages : un côté punk très affirmé, avec Béatrice Dalle, ou des apparitions de Caroline Trinh Thi ou encore Lydia Lunch, et de l’autre, Béart et Pascal Greggory qui sont plus classiques… Là, dans le clash punk/non punk, Greggory je le mettrai plutôt du côté des ultrapunks, très classe, dandy mais quand même chef des punks. • Et toi, tu te positionnes où ? Tu sais, aujourd’hui si t’es pas encore mort à 42 ans, tu commences à avoir du mal à te sentir du côté des punks. À un moment donné, j’ai quand même décidé de ralentir vachement de choses. Mais c’est quand même bien d’être Virginie Despentes et d’avoir Baise-moi comme tatouage. Je crois qu’aujourd’hui j’irais bien vivre à Bordeaux parce qu’à Paris j’ai l’impression d’être un hamster qui court dans une roue pour gagner des thunes et avoir une maison, mais va trouver une boîte de prod à Bordeaux. Je suis quand même mieux ailleurs.
C IN É MA
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ART
Texte /
Alexis jama Bieri • Images / © Jean-Michel Hannecart
JEAN-MICHEL HANNECART + ART MULTIPLE +
N
é à Valenciennes il y a 40 ans Jean-Michel Hannecart enseigne le dessin à l’école supérieure d’art et de design de Reims et intervient par ailleurs dans le cadre des pratiques artistiques à Sciences Po ainsi que dans d’autres structures publiques. Se définissant comme peintre figuratif, il utilise la matière picturale comme révélateur permettant la compréhension de l’image.
même temps tout reste à faire...Chaque matin, je pousse la porte de l’atelier avec l’envie de voir ce que j’ai fait la veille.
• Quelles sont tes principales sources d’inspiration ? Je m’inspire principalement de l’image des autres, surtout de la presse et particulièrement des photographes de guerre. À partir de ces sources, je construis mon document qui me servira de référent. Mes documents de départ proviennent du journal « Le Monde » que je lis quotidiennement mais avec parfois un mois de décalage ; j’ai le sentiment alors d’être devin ! • Quelle est la fonction (s’il y en a une) que tu souhaites donner à tes œuvres ? Pour moi l’œuvre d’art doit être inutile, sans fonction première et c’est en cela quelle est indispensable. Je souhaite seulement que la personne s’arrête un peu plus de 7 secondes devant mon travail. Ce temps est celui que nous passons en moyenne devant une image... Ensuite je veux juste faire douter, afin de montrer que ce que l’on voit n’est pas toujours ce que l’on croit. La plupart des images ont une part d’ambiguïté sauf l’image publicitaire. Une œuvre d’art ne change pas le monde et permet juste de le regarder de travers mais sans lui apporter de solution. Elle nourrit l’esprit au même titre que la littérature, la musique, la danse.... Êtes vous quelqu’un de meilleur si vous regardez un tableau de Manet ? Göring n’était pas devenu un autre homme après avoir vécu avec des Cranach. En revanche, pour certaines personnes, et c’est mon cas, je ne peux pas vivre sans. • Quelles sont les techniques que tu utilises ? La technique est un moyen d’attirer le regard, de le séduire. Elle a une charge symbolique, historique et esthétique. Ensuite, il y a ce qui est représenté avec des références parfois caravagesques car très théâtrales. C’est une mise en scène. Je veux faire l’image la plus simple possible formellement mais avec un sens et un contenu le plus complexe qui soit. Dans le domaine du dessin cela reste très éclectique. Je travaille par cycle. Mes dessins sont comme des haïkus (courts poèmes calligraphiés japonais, ndlr) dont l’objectif est de créer une sorte de révélation et, pour ce faire, toutes les façons d’opérer qui engendrent la trace, l’empreinte sont abordées : le pochoir, le transfert, le frotti...J’essaie d’aller jusqu’à la limite des possibilités. J’ai aussi quelques projets en terre, mais que je n’ai pas encore eu l’occasion de réaliser, cela reste pour le moment à l’état de dessin. • Quelle place donnes-tu aux accidents et expérimentations ? J’essaie que mon travail soit le moins démiurge possible en laissant leur place
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« Ce que l’on voit n’est pas toujours ce que l’on croit » La bande à Bara 2010 • sérigraphie(56x76cm)
aux accidents ainsi qu’aux repentirs. J’ai parfois le sentiment d’être un vampire de l’image puis, un passeur. Je me sers de photos comme d’un «ready-made» à la différence près que je ne prends pas le même urinoir, je choisis plusieurs modèles de différentes entreprises pour n’en faire qu’un seul. Le ready-made est au même titre que la vidéo, la peinture ou la sculpture, une façon de développer une idée ou plutôt un questionnement. Pour ma part, j’ai déjà beaucoup à faire avec le simple fait de déposer une matière sur une surface, qu’il m’est difficile de travailler avec d’autres médiums. • Ta technique confère à tes réalisations un rapport particulier à la lumière qui rappelle les œuvres anciennes d’un passé artistique presque révolu. Pourtant, celle-ci est radicalement moderne par son fond et par sa forme, expérimentant de nouveaux territoires. L’art, ton art, doit-il, selon toi, être un terrain d’expérimentation, de découvertes, d’égarements, de réus-
sites ou d’échecs ? Pour les tableaux, j’utilise une ancienne technique à base de plâtre du XVe siècle flamand qui servait d’enduit sur des supports en bois. Je l’applique sur un papier préparé. Ici, je recherche une sorte de révélation de l’image, mais de façon inversée, c’est à dire que je recouvre souvent la totalité du support, puis je retire le médium afin de faire se révéler la figure. Cette technique doit s’effectuer dans un certain laps de temps. Le rapport physique est très important et la matière est là pour séduire le regard et donner à l’image une ambiguïté parfois paradoxale. La craie fait apparaitre toutes les traces. Lorsqu’elle sèche, j’ai l’impression de voir un polaroïd qui se découvre. Tant que je ne suis pas satisfait, je recommence l’exécution. Cette technique se rapproche de la fresque, puisqu’elle se travaille « dans le frais », mais aussi de l’aquarelle et de la peinture à l’huile, car je peux l’appliquer au couteau.... Dans le domaine de la peinture l’échec est présent et c’est cela qui fait avancer, rien n’est acquis et en
• Au-delà de cet aspect purement technique, tes ombres fantomatiques poudrées, émanant d’un vaporeux linceul, matérialisées en œuvres tactiles et charnelles, énigmatiques et érotiques, ne sont-elles pas la symbolisation des questionnements humains quant à l’apparence supposée des choses, dont l’artiste révèle, arrachée à l’obscurité et au néant, la véritable nature ? Comme je le disais, une image peut en cacher une autre et d’ailleurs une image ne fonctionne jamais toute seule. Elle en appelle toujours une seconde voire une troisième. Nous n’avons pas les mêmes regards selon nos cultures, c’est une évidence. Nous parlons toujours de la mondialisation mais jamais de celle de l’image. J’aime beaucoup cette phrase de George Didi-Huberman qui résume mes préoccupations: « Il faudrait apprendre à regarder les images, apprendre à y déceler ce à quoi elles ont survécu, afin que l’histoire, libérée de la notion de pur passé (cet absolu, cette abstraction) nous aide à ouvrir le temps présent ». • Comment est né le projet ANNA ? Je ne sais plus...cela fait quatre ans que j’avais cette idée, et avec l’aide du Frac Champagne-Ardenne et des amis du Frac, ce projet a vu le jour. C’est comme pour tous les projets que je réalise, c’est avant tout un détail dans une photo que j’ai scanné en 2006, année de la mort d’Anna Polotovskaïa. Épinglée devant moi depuis un certain temps, j’ai remarqué qu’elle devenait récurrente dans les médias car son assassinat n’était toujours pas résolu, elle est devenue un symbole, une icone. C’est à ce moment là que j’ai décidé de travailler le portrait de cette journaliste. Je souhaitais trouver un support permettant de manipuler l’image, de se l’approprier ; quitte à changer sa perception. J’ai remarqué que son prénom était un palindrome, j’ai donc cherché une matière pouvant s’approcher de cette notion mais qui du même coup évoquait un éternel recommencement car depuis sa mort, cinq autres journalises du «Novaya Gazetta» avaient subis le même sort. La feuille de plomb se prêtait parfaitement au projet autant du point de vue symbolique que technique. • Cette œuvre ne pourrait-elle pas avoir toute sa place dans une bibliothèque ou un cabinet de curiosités, telle une sorte de manuscrit où l’expression textuelle invisible serait exaltée
ART
Tatoo 2011
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Sage comme une image 2012
par l’image qui se dévoilerait impudiquement à son public après un rituel la déshabillant de son couvercle et de sa chemise de papier ? Dans ce cas précis, cela ne fait qu’un. Et c’est pour cela que le projet est réussi ! Je voulais que les personnes puissent s’approprier l’objet et, en même temps, on devait y trouver toute la complexité de l’image. La question qui se pose est : «que faisons nous de ce portrait qui semble si fragile et si solide à la fois. Que nous reste-il de ce visage qui nous regarde ?» D’une certaine façon, c’est une curiosité... • Peux-tu nous dire quelques mots de ton exposition de multiples, présentée par l’association des Amis du FRAC Champagne-Ardenne et Culturist Lavomatic Gallery Bazaar sur les cimaises de CHEZLEGRANDBAG en mai 2012 ? Je lui ai donné le nom de «multiples» car je souhaite présenter en même temps que la pièce Anna, un autre projet de sérigraphie réalisé en 2010. Il s’agit de la «bande a Barra». Joseph Barra était un enfant soldats républicain mort en 1793. Son histoire fut l’une des premières manipulations médiatiques, au même titre que le Marat de David. J’ai donc travaillé avec deux portraits que j’avais réalisés pour le projet. Le premier était
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celui de mon neveu et le second celui d’un autre enfant du même âge qui lui ressemblait étrangement, Omar Kader. Il fut arrêté à 14 ans, en Irak pour avoir tué un sergent Américain. C’était le plus jeune prisonnier de Guantanamo. Avec le sérigraphe, nous avons tiré 14 exemplaires à deux couleurs. L’idée était de superposer les deux visages en cachant une partie du premier et donc le second passage complétait le manque. Lors de la première couleur et donc du premier portrait, un papier déchiré était placé de façon plus ou moins aléatoire. Cette trace (réserve) rend chaque sérigraphie unique et leurs apporte un sens différent. Exprimant parfois l’aspect de camouflage, elle offre une singularité à l’estampe. On pourra voir aussi une vidéo où l’on me voit travailler le portrait d’Anna ainsi qu’une série de dessin en relation avec la notion d’icone. • Avec quels lieux, quelles galeries, travaillestu ? Actuellement, un projet sur lequel j’ai travaillé en 2009 est diffusé à la maison de la poésie à Paris. Il s’agit d’une commande de la compagnie Incauda qui a adapté le roman de Victor Hugo : « quatrevingt-treize » en pièce de théâtre. J’ai conçu environ soixante quinze peintures en noir et blanc qui ont été ensuite photographiées
et retravaillées à l’ordinateur. Elles sont projetées durant la représentation et servent de décor au spectacle. En septembre 2012 je vais participer à une exposition collective à la galerie Mathilde Hatzenberger à Bruxelles, puis suivra, en 2013, une exposition individuelle au Camac de Marnay-sur-Seine. • Si l’artiste, par son œuvre, réalise déjà un acte de partage, qui peut, dans une perspective malrauxienne susciter un choc culturel et esthétique par la seule contemplation, quelle place donnes-tu particulièrement à la médiation, à la pédagogie, notamment en direction du jeune public ? Il m’est souvent arrivé d’intervenir dans les établissements scolaires, les lycées, les collèges. Lors de ces rencontres, je suis toujours étonné du regard que peut porter un enfant sur l’art et particulièrement la peinture. Je pense que les arts tel que la musique, l’histoire de l’art en général devraient être enseignées dès que possible. Depuis toujours, l’art et l’histoire sont intiment liés. Nous avons avec les musées, les Frac et les autres structures culturelles des outils permettant de nourrir les plus jeunes. De nombreuses opérations de médiations sont proposées mais il n’est pas rare de croiser un enfant qui n’a jamais mis les
pieds dans un musée ou un théâtre. C’est certainement plus difficile d’organiser un déplacement pour une école de campagne. Voilà pourquoi l’Éducation nationale devrait apporter d’avantage d’outils et de moyens. On enseigne un peu d’histoire des arts dans les collèges mais de façon embryonnaire. C’est quelque chose qui devrait être plus généralisé et plus fréquent. La question est : Quelle histoire de l’art ? Tout cela n’est pas simple. Les artistes ne sont que des acteurs de ces structures et, à ce titre, dans la mesure du possible, ils doivent répondre présent…si l’on veut que la culture vive dans un pays, il faut former ceux qui la feront demain ou qui la consommeront. La connaissance, la culture sont les seules choses pouvant aider l’individu à émettre un sens critique, à prendre une position vis-à-vis de ce monde de l’immédiateté. • Quelle est enfin ta perception de la jeune création contemporaine ? On peut être jeune et faire un travail déjà vu ou être vieux et réaliser des œuvres très novatrices... il suffit de voir les dernières pièces de Daniel Buren !
liliane haine bovière, présidente des amis du frac champagne-ardenne boris terlet, clgb jean-michel jacquet, président du frac champagne-ardenne florence derieux, directrice du frac champagne-ardenne ont le plaisir de vous convier le jeudi 31 mai 2012 de 18h00 à 21h00 à la présentation de
multiple(s) jean-michel hannecart à cette occasion sera présenté anna (2012), multiple produit par l’association des amis du frac champagne-ardenne, en partenariat avec le frac, ainsi qu’une sélection d’oeuvres récentes de jean-michel hannecart
31.05.12
de 18h00 à 21h00 entrée libre
clgb 2, impasse jean baptiste de la salle 51100 reims
ART
Entretien /
Boris Terlet • Texte / Alexis Jama Bieri
FONDATION LOUIS ROEDERER + UNE IMAGE HUMAINE DU MÉCÉNAT +
M
ichel Janneau, a particulièrement développé, depuis une dizaine d’années, les opérations de mécénat de la Maison de champagne Louis Roederer dont il est le directeur général adjoint, chargé notamment de la communication et du marketing. La Maison Louis Roederer met en œuvre une vision du mécénat à visage humain, dont l’ambition n’est pas principalement guidée par une recherche d’image. Concrètement, la fondation Louis Roederer exprime une idée simple et saine du mécénat, en esthète amateur de jolies choses. Elle prouve que les entreprises privées peuvent s’investir dans le soutien à l’art, et que cette activité ne doit pas fatalement être réservée aux seules institutions publiques.
JR par ©Christophe Shay
• Comment la fondation Louis Roederer at-elle vu le jour ? La tentation du mécénat est fort ancienne chez Louis Roederer, probablement parce qu’il a toujours régné une grande tradition de discrétion dans cette vieille Maison et que l’idée de faire parler indirectement de soi à travers des activités de mécène a toujours eu clairement sa préférence. En 2003, j’ai appris tout à fait par hasard que la Bibliothèque Nationale de France (BNF) possédait dans ses sous-sols, rue Richelieu, une formidable collection de photographies d’environ 5 millions de clichés, constituée depuis les années 1850. Elle n’avait pas les moyens de rendre accessible cette collection au public. Dès lors nous est venue l’idée d’aider à exploiter cette extraordinaire richesse en créant une Galerie de la photographie rue Richelieu. Depuis dix ans nous avons ainsi développé un partenariat très proche avec cette belle institution. Nous soutenons chaque année une à deux expositions, soit en relation avec le fonds BNF, soit en invitant des photographes contemporains. En 2012, nous avons eu l’opportunité de devenir mécènes du Palais de Tokyo. Ces actions nous ont valu de devenir «Grands Mécènes de la culture», au même titre que les fondations Cartier et Hermès, les seuls en Champagne à ce jour. Forts de notre longue asso-
12 - F ON D ATION LOUIS ROEDERER
« Nous aimons
dans l’évocation de notre métier croiser les mots et les images.
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ciation avec la BNF et à notre rencontre avec Jean de Loisy et son équipe du Palais de Tokyo, nous avons créé, fin 2011, la fondation Louis Roederer afin de regrouper nos activités de mécénat dans une structure dédiée. La Fondation a vocation d’aider au développement de l’art contemporain tout en restant fidèles à la photographie.
• Êtes-vous personnellement à l’origine de sa création ? J’y ai fortement contribué, bien sûr, mais c’est un travail d’équipe particulièrement soutenu par la famille Rouzaud propriétaire du Champagne Louis Roederer • Quelle est l’équipe de votre fondation ?
L’équipe qui anime cette jeune fondation est extrêmement réduite, puisqu’en dehors de moi, nous utilisons l’équipe du service de communication de Louis Roederer. J’œuvre en tant que secrétaire général de la fondation, Frédéric Rouzaud qui est directeur général de notre groupe en est président et nous avons un conseil d’administration composé par des membres de notre Direction et quelques personnalités marquantes de l’art contemporain. • Quels artistes accompagnez-vous ? Nous sommes très liés à Jean-Michel Alberola et avons soutenu de nombreux artistes dans le cadre de la BNF, Sophie Calle, Bettina Rheims, Raymond Depardon... Nous essayons de leur marquer la plus grande fidélité. Le Palais de Tokyo va ressourcer l’équipe d’amis artistes que nous allons accompagner et aider dans les années qui viennent. Nous comptons également constituer progressivement une collection de la Fondation Louis Roederer que nous exposerons dans nos locaux à Reims. • Quels sont vos rapports avec les institutions locales ? Notre activité est bien sûr très orientée vers l’international. Pourtant, nous sommes
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Mary Ellen Mark • USA. Alabama. Anniston, Woman in • training, 1977 • BnF, dpt des Estampes et de la photographie •© Mary Ellen Mark
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Etats Unis. San Francisco. 2000. Semaine de la Marine • Recrutement pour les Marines. © Carl De Keyzer / Magnum Photos
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Photo de gauche : Jeffrey K. Silverthorne • Ugly Pat, 1972 • BnF, dpt des Estampes et de la photographie • ©Jeffrey K. Silverthorne Photo de droite : Richard Prince, Dodge Challenger, Swap meet, in Carlisle, Pennsylvania, June 1990 • © Richard Prince
proches des institutions locales et sommes notamment membre de PRISME qui intervient brillamment dans le mécénat Rémois. Nous avons été mécènes de l’installation de nouveaux vitraux de la cathédrale de Reims réalisés à l’initiative de la DRAC Champagne-Ardenne par Imi Knoebel et présentés à l’occasion du 800e anniversaire de la cathédrale de Reims. Nous restons en tous cas très attentifs à la riche évolution de la vie artistique et culturelle rémoise qui ne manque pas de projets.
qui vouent leur vie aux grands vins sont des chercheurs et, sont particulièrement des chercheurs de sens. Nous aimons dans l’évocation de notre métier croiser les mots et les images. La photographie et la littérature sont dès lors deux territoires qui nous attirent naturellement. Au delà, l’idée d’ouvrir notre champs d’intérêt, plus largement, à l’art contemporain vient de l’enthousiasme qui nous a saisis en découvrant l’univers du Palais de Tokyo et nous ne sommes qu’au début des surprises et des émerveillements…
• La maison Louis Roederer intervenait déjà dans le domaine du mécénat. Quel complément à cette activité apporte votre fondation ? La fondation permet d’institutionnaliser nos actions de mécénat au sein de notre groupe et de les graver dans le temps. Elle permet à la fois de fidéliser notre relation avec les institutions que nous accompagnons et de découvrir d’autres horizons grâce, par exemple, à notre riche relation avec le Palais de Tokyo.
• Comment allez vous intervenir afin que votre action ne soit pas perçue comme une opération marketing ? Pour Louis Roederer, associer l’univers du vin tel que nous le vivons à l’univers de la création artistique tel que nos tentons modestement de l’aider est une façon d’enrichir notre propre métier, de lui donner plus de sens encore bien au-delà des préoccupations marketing qui relèvent du «petit quotidien».
• Dans le cadre de son mécénat, la maison Louis Roederer soutenait particulièrement la photographie et la littérature. L’art contemporain que vous soutenez avec la fondation est-il plutôt orienté vers les domaines de l’image et du verbe, ou bien s’agit-il d’une ouverture vers des champs esthétiques plus étendus ? Les gens
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• Quels liens allez-vous notamment tisser entre le monde du Champagne et du luxe, et l’art contemporain ? Personnellement, je considère que nous sommes clairement à une époque où ce qu’on appelle classiquement «le luxe» est un peu dépassé. Je ne pense pas que cette référence soit la plus porteuse d’intelligence et de créativité dans les années qui viennent. Le véritable luxe pour-
rait désormais se définir comme la liberté d’exercer son métier comme d’autres n’auraient jamais du cesser de le faire, et la recherche quasi obsessionnelle de moyens nouveaux de tendre vers «l’œuvre». Nous nous retrouvons alors en vraie communauté avec de grands artisanats, et, plus modestement certes, l’univers des artistes que le mécénat nous permet de côtoyer. • Comment et par quels moyens votre fondation va-t-elle soutenir l’art contemporain et ses artistes ? Le champagne Louis Roederer accorde à sa fondation une dotation annuelle. Ces fonds sont destinés à soutenir les établissements et les artistes dans le cadre d’accords où le temps, la fidélité, jouent un grand rôle. Il s’agit d’une aide financière ou d’une aide en nature, évidemment en champagne, notamment lorsqu’il s’agit de célébrer le grand moment qui est l’ouverture d’une exposition. • Allez-vous développer une politique événementielle liée à l’art contemporain ? Je ne pense pas qu’il soit dans notre vocation d’initier des événements et de découvrir directement des artistes. Nous allons continuer à nous appuyer sur des intermédiaires, c’est à dire sur les institutions que nous soutenons et faciliter leurs initiatives. Le seul domaine dans lequel nous pourrions évidemment jouer pleinement les «maîtres de mai-
son» est notre projet de création au cœur de Louis Roederer, à Reims, d’un bel espace dédié à des expositions et à la présentation de la collection, et que nous allons désormais constituer. Nous rendrions ainsi à la ville de Reims l’hommage que nous lui devons. • Et quel sera l’importance de cette collection d’œuvres ? Afin de conserver des traces des expositions que nous soutenons, nous allons orienter notre collection d’une part vers l’acquisition d’œuvres des artistes que nous allons soutenir et tenter rétroactivement d’enrichir notre fonds d’œuvres de quelques uns des artistes que nous avons soutenus au cours de ces dix dernières années. • Quelles opérations de soutien allez-vous développer à l’international ? L’idéal serait de développer notre action au Japon, aux Etats-Unis, et dans quelques pays d’Europe mais c’est un projet à long terme. Dans l’immédiat, nous allons tenter d’accompagner au delà de la France, les artistes que nous soutenons en facilitant l’itinérance de leurs expositions ou en les accueillant ailleurs, un verre de champagne Louis Roederer à la main.
Entretien /
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Boris Terlet • Texte / Alexis Jama Bieri
MAZARINE PINGEOT + ENTRETIEN AVEC RENÉ DESCARTES +
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vec un regard « people », nous verrions en Mazarine Pingeot la fille de l’ancien président de la République Française François Mitterrand. Avec une vision vaguement patrimoniale, nous pourrions y voir la fille de la Conservatrice du musée d’Orsay Anne Pingeot. Mais ce qui nous intéresse en ces lignes, c’est l’intellectuelle française qu’est Mazarine Pingeot. Normalienne, docteur et agrégée de philosophie, enseignante à l’université de Paris VIII, chroniqueuse culture sur la chaine de télévision Paris première et écrivaine. Auteure de plusieurs romans et essais, Mazarine Pingeot vient de faire paraître son huitième ouvrage personnel « Entretien avec Descartes » aux éditions Plon, dans une nouvelle collection justement intitulée « Entretien », où s’effectue, entre deux auteurs, un dialogue imaginaire constitué de questions fictives et de réponses authentiques. Une manière de démontrer que les idées des philosophes d’hier sont toujours d’actualité. C’est à Reims Management School que nous avons rencontré cette jeune figure de la culture hexagonale.
« Le rêve rend créatif, car c’est parce que l’on rêve d’un monde meilleur qu’on va changer celui dans lequel on vit »
• Pouvez-vous nous parler de votre dernier livre « Entretien avec Descartes » ? L’idée est de faire un entretien imaginaire avec un auteur. Je trouve que c’est une bonne introduction à un auteur, une bonne manière de le faire connaître. Tous ses textes sont originaux, la seule invention provient des questions. Ceci permet de reconstituer une forme d’entretien à partir de textes issus de traités philosophiques ou de correspondances, et de rendre plus contemporaine et accessible la pensée en la rendant plus dynamique, ludique et pédagogique. • Avec cet ouvrage, vous rendez la philosophie accessible au grand public. Pensez-vous que la culture est restée trop élitiste, et qu’elle nécessite, peut être dans des domaines plus que d’autres, un important effort éducatif et de médiation ? La culture est nécessaire à chacun car c’est un mode d’évasion, un mode de réflexion, un mode de mise à distance du quotidien et un outil de créativité. Toutefois, il y a une forme d’élitisme du point de vue économique quant à l’accès à la culture, car c’est presque un luxe, aujourd’hui, qui coûte cher si l’on souhaite aller au théâtre, au cinéma ou acheter un livre. Je milite donc pour une démocratisation de la culture, sans qu’elle ne perde de sa valeur, et pour qu’elle soit présente à l’école car c’est un moyen de la rendre réellement égalitaire. Je pense qu’on peut rendre la culture accessible en la tirant vers le haut. Pourtant, il y a parfois un malentendu avec certaines visions de l’accès à la culture pour qui elle doit être nivelée vers le bas pour concerner un nombre conséquent de personnes. En fait une culture de qualité peut être accessible avec une médiation appropriée. • Vous évoquez les questions de liberté et de libre arbitre. Ces idées sont elles toujours d’actualité ? Oui, je pense que la liberté et le
libre arbitre sont une conquête face au dogme, au formatage et d’une certaine manière une forme de pensée unique véhiculée par les médias Il faut donc pouvoir avoir un esprit critique, décrypter un discours, et avoir des armes pour ne pas adhérer sans réflexion à tout et n’importe quoi. • Pensez-vous justement qu’il existe une culture « générale » et qu’elle soit nécessaire à l’épanouissement des sociétés et de chacun ? La culture générale est, d’un certain point de vue, élitiste car les jeunes gens qui ont vécu dans une famille cultivée (notamment classique) disposent de plus de facilités pour s’insérer dans la société. D’un autre point de vue, la culture générale est un lieu démocratique, car chacun dispose en fait de sa propre culture et peut, avec un minimum d’esprit de synthèse, développer une culture générale de haut niveau. Les deux arguments se neutralisent donc. La culture générale c’est plutôt une question d’adaptation et de rapidité de raisonnement, et quelle que soit la culture, l’on peut développer ce type d’esprit. • Pensez-vous que l’on puisse encore avoir espoir en un monde meilleur : Le temps des cerises existe-t-il réellement ou est-ce un leurre qui institue l’illusion comme palliatif au vécu afin de permettre à chacun d’accepter sa condition en s’y résignant ? Si l’on pense que l’espoir est une idée fausse servant simplement à endormir, alors, dans ce cas-là, c’est un outil politique à vision totalitaire pour ceux qui voient la culture et la liberté de penser comme un danger. Si l’on
croit qu’il n’y a pas de monde meilleur, on ne fait rien. Je pense que croire en ce monde meilleur est une nécessité, car le rêve est important et il ne faut pas s’en détourner au motif qu’il pourrait ne pas se réaliser. Le rêve rend créatif, car c’est parce qu’on rêve d’un monde meilleur qu’on va changer celui dans lequel on vit. • Vous enseignez à l’université de Paris VIII. Comment voyez-vous l’avenir de l’enseignement Universitaire, à une époque où l’utilitarisme prime sur l’esprit ? Les sciences humaines qui ne peuvent pas être évaluées à l’intérieur d’une échelle utilitaire sont aujourd’hui délaissées par les étudiants. C’est plutôt inquiétant. Il y a le choix entre deux façons d’envisager l’humanité : "l’humanité est là pour servir à quelque chose d’autre qu’elle", et "l’humanité se sert elle-même". La vision utilitariste, où l’économie prime et a été érigée en nouveau dieu, où cette force supra personnelle rendrait l’homme impuissant et où Il y a un déni de la création comme de la liberté, est tragique. Dans une société utilitariste tout ce qui relève de la pensée, de la gratuité, de la beauté, et donc de la culture, est réduit à une portion congrue. Or, c’est par la culture que l’humanité s’enrichit et retrouve un peu de puissance. Je pense donc qu’il faut se battre pour ces valeurs et lutter contre cet utilitarisme ! • Avez-vous par conséquent toujours la même motivation à enseigner ? Oui, même si il est parfois démoralisant quand on enseigne dans des cours en partie désertés par les étudiants. Être
professeur de philosophie aujourd’hui c’est un combat. Mais, comme dans tous les milieux, le milieu universitaire est un peu fermé, il est donc nécessaire de faire d’autres choses à côté et de rayonner dans différents milieux pour disposer d’une vision d’ensemble. • Avec vos nombreuses activités, Quel est désormais votre regard sur la culture ? Tout dépend de ce que l’on entend par culture. Il y a d’un côté la «grande» culture, et de l’autre la consommation de la culture. J’aime parler de la production d’une année où il y a aussi bien des choses géniales que des choses sans intérêt, et de l’autre m’intéresser à des domaines beaucoup plus patrimoniaux comme les grands textes. • Pouvez-vous nous parler de votre web émission « Le café » ? Comment ce projet a-t-il vu le jour ? Cette émission comportait de courtes interviews qui duraient environ 15 minutes, et qui étaient basées sur la construction des personnes que je questionnais. Pour moi c’était plutôt intéressant et amusant d’investir ce média que je ne connaissais pas vraiment, pour voir comment se produisait ce genre d’émission. Ces émissions sont réalisées avec peu de moyens, mais ont l’avantage d’être pérennes, de demeurer sur le web, de pouvoir être vues et revues. • Et quel est votre regard sur la télévision, puisque vous intervenez sur la chaîne Paris première ? C’est toujours un rendez-vous festif et intellectuel où l’on parle de livres, de films, sur une chaîne qui nous laisse une très grande liberté de ton et permet de vrais débats. C’est ma récréation ! Cela fait relativement longtemps que nous travaillons ensemble, nous sommes une bande de potes et on s’apprécie beaucoup !
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Texte /
Alexis jama Bieri • Photos et dessin / © DR
PLANDA
+ PLAN DESIGN & ARCHITECTURE +
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’architecte Ludwig Mies Van Der Rohe, qui dirigea le Bauhaus, disait que « l’architecture est la volonté de l’époque transformée dans l’espace ». Symptomatique d’un mode de vie auquel elle adapte des espaces, l’architecture, pourtant miroir d’une civilisation, n’en demeure pas moins éternelle, pour devenir partie prenante de chaque civilisation, à en devenir intemporelle. Les architectes contemporains agissent, encore plus aujourd’hui avec les possibilités techniques offertes par les matériaux, comme des compositeurs d’espace, à la fois artistes et techniciens, en expression de leur société du XXIe siècle. Planda est un studio d’architecture basé à Paris et à Reims, issu de l’association de deux jeunes architectes presque trentenaires Julien Jacquot et Marc-Antoine Maillard qui expriment leur créativité dans des projets d’échelles variées allant de l’architecture au design, en passant par l’aménagement urbain et l’architecture d’intérieure.
• Pouvez-vous nous dire ce qui a suscité votre intérêt pour l’architecture ? Ce qui est passionnant en architecture, c’est le fait de pouvoir aborder un grand nombre de professions différentes sans pour autant avoir la prétention d’être un expert. Comme il s’agit d’un métier complexe qui évolue sans cesse, on apprend constamment de nouvelles règles et techniques de construction. Les projets sur lesquels nous avons pu travailler ont souvent des échelles très variées. Le premier contrat que nous avons signé sous le nom Planda fut pour un projet de chaise (Marcelle) chez l’éditeur Harto Design. Le second fut pour la conception d’un simple placard. Notre premier chantier était pour un appartement d’environ 30 m2, puis de 55 m2 et récemment de 120m2 …Enfin nous terminons un chantier d’une surface d’environ 200 m2 pour le Centre Ophtalmologique de l’Etoile à Paris. Nous évoluons avec les projets et les nouvelles problématiques qu’ils impliquent. Depuis peu nous sommes mandataires du projet du nouveau skatepark à Reims, d’une surface d’environ 2000 m2 ! Nous gardons à chaque fois le même enthousiasme et la même méthode de travail quels que soient les enjeux et la taille du projet. Nous sommes amenés pour cela à rencontrer un grand nombre de personnes ayant chacune des connaissances et un savoir-faire à nous faire partager. • Quand et comment avez-vous débuté votre cabinet d’architectes ? D’où vient son nom et que signifie t-il ? Nous sommes tous deux diplômés de l’école Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Malaquais dans laquelle nous avons commencé à collaborer dès la première année d’étude. Nous travaillons en réalité ensemble depuis une dizaine d’années, en ayant suivi un parcours assez similaire, car nous sommes tous deux partis étudier à Montréal avant d’intégrer notre école de Paris. Puis Julien est parti à Tokyo travailler chez Shigaru BAN, et Marc Antoine a travaillé quelques temps après pour ce même architecte dans ses bureaux de New York. Après notre diplôme, nous nous sommes donc retrouvés à New York pendant plus d’un an. Durant cette période, nous répondions à de nombreux concours et il nous était par conséquent nécessaire de trouver une signature commune pour y participer. Nous avons donc opté pour Planda. Le nom Planda est le diminutif de Plan Design & Architecture. En effet, la notion de plan est importante dans notre
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« Nous sommes
fascinés par ces grandes villas entourées d’immenses baies vitrées surplombant les reliefs de la Californie travail. Nous considérons qu’une idée, une esquisse ou un projet quel qu’il soit, est abouti une fois que les plans retranscrivent correctement nos intentions initiales. Notre logo représente un œil de panda, cet animal nous plait. La plupart des
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gens le voient comme une grosse peluche calme et attachante, mais il s’agit en réalité d’un ours, un animal pas forcément toujours docile. • Sur quels projets majeurs ou innovants avez-
vous travaillé ? Il y a quelques semaines, nous avons réalisé l’aménagement d’une boutique dans le grand magasin Saks sur la 5eme Avenue, pour le styliste néerlandais PAUW. La conception du projet était pour nous particulière, étant donné que notre client était basé à Amsterdam, nous à Paris et la boutique à New York ! Après de nombreux entretiens téléphoniques avec la marque et un gros travail de préparation en amont, nous avons finalement réalisé le projet en seulement deux semaines de chantier. Dans ce genre de circonstances, l’on se retrouve à concevoir un espace par emails interposés, sans jamais avoir rencontré les interlocuteurs. À force de copies, de transferts ou de réponses groupées, les messages atteignaient des longueurs record ! C’était finalement un mode de conception inédit pour un projet principalement développé à travers une concertation intense entre Smartphones ... Même si le design de la boutique adopte, au final, un style plutôt classique, son mode de conception était pour nous complètement inédit. • Quels sont les projets que vous aimeriez particulièrement réaliser ? Nous sommes fascinés par ces grandes villas entourées d’immenses baies vitrées surplombant les reliefs de la Californie. Un peu comme les maisons de Cases Study House photographiées par Julius Shulman. À ce sujet, le projet de la Genesis House, en 2009, fut une occasion particulière de nous faire plaisir. Nous espérons avoir un jour l’opportunité de pouvoir travailler à nouveau sur ce type de programme. Le projet de skatepark est quant à lui notre premier pas dans la commande publique. Nous prenons ce projet très au sérieux compte tenu de sa dimension à la fois culturelle et sportive. Nous n’avons toutefois pas de préférence pour un type de programme particulier. Nous restons ouverts à toutes opportunités pour réfléchir à de nouvelles problématiques. Étant à moitié rémois, pourquoi ne pas faire un projet de réhabilitation pour une maison de Champagne ! • Quelle est votre méthodologie lorsque l’on vous commande un projet architectural, qu’il s’agisse de la construction d’une habitation, de son réaménagement, ou qu’il s’agisse de la conception de bâtiments publics ou prestigieux ? Quel résultat souhaitez-vous atteindre ? Dans les premiers rendez-vous, avant de dessiner quoi que ce soit, nous parlons durant un
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long moment avec nos clients, en les inondant de questions. Cela nous permet alors de rédiger un cahier des charges qui servira de base de travail. Nous revenons ensuite avec une première ébauche à plusieurs variantes afin d’identifier leurs réelles attentes. Une fois les enjeux correctement définis, nous dessinons les premiers plans et réalisons plusieurs maquettes d’études avant de lancer le chantier. Notre logique de travail pourrait s’apparenter à celle d’un réalisateur : nous commençons par réfléchir à un synopsis, pour élaborer un scénario, que l’on illustre ensuite sur un story-board. Cette esquisse permet de définir un budget et un calendrier plus précis. Nous lançons enfin le tournage avec une équipe composée de différents techniciens qui nous accompagnent et nous conseillent pour que le projet puisse voir le jour progressivement. • Quel rapport existe-t-il entre vos créations architecturales, les choix de vos projets et la culture contemporaine, notamment urbaine (musique, art…etc) ? Notre démarche tente de s’inspirer de la pratique classique de l’architecture tout en apportant un regard à la fois naïf et concret. À plusieurs reprises, nos projets se sont fondés sur des éléments issus de la vie courante qui, une fois intégrés dans un programme, leur donnent une identité forte. Que ce soit par exemple une lunette de toilette pour le dessin d’une chaise (Marcelle) ou une simple barre de salle de bain détournée pour aménager une boutique (Mojito skateshop). Toutefois nous abordons de front les contraintes budgétaires et matérielles en essayant de garantir les diverses considérations esthétiques. La réalisation doit être à la fois la traduction la plus fidèle possible des idées projetées et des souhaits énoncés par nos commanditaires. Dans son
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autobiographie, le couturier Christian Dior résume assez bien l’idée de création : « Tout ce que je sais, vois ou entends, tout dans mon existence, se tourne en robes . Les robes sont mes chimères, mais des chimères apprivoisées qui sont passées du royaume des rêves jusqu’à celui des objets usuels destinés à être portés. » • Avez-vous collaboré avec d’autres architectes ? Avant de créer Planda, nous avons eu l’opportunité de travailler aussi bien dans des agences prestigieuses que dans des structures plus modestes. Cela nous a donné la chance de participer à des projets de grande envergure sur des phases différentes : le Zoo de Vincennes chez Bernard TSCHUMI, l’Aspen Art Museum chez Shigeru BAN, la Bibliothèque et Opéra National d’Athènes chez Renzo PIANO ou encore l’Aménagement de la Place de la République de Paris chez TVK. Nous avons pu découvrir les notions de contrainte et d’économie ainsi que le travail en équipe prenant en compte les nombreux acteurs liés à la maîtrise d’ouvrage. Nos cursus parallèles nous ont finalement appris à aborder des méthodes et techniques différentes que nous essayons désormais d’appliquer dans nos projets. • Développez-vous par ailleurs des collaborations avec des artistes contemporains pour vos créations ? Nous essayons de rester attentifs à ce qui peut se faire dans l’art contemporain, mais également dans des domaines liés à l’architecture comme la photographie, le graphisme et le design. À défaut de collaborer avec des artistes, il nous arrive parfois de nous inspirer directement de leur travail. La chaise Marcelle par exemple, est un hommage à l’artiste Marcel Duchamp et particulièrement un clin d’œil à son ready-made d’il y
a maintenant presque 100 ans, son urinoir appelé ‘Fontaine’ qui fut une de ses œuvres majeures. Elle est composée d’un simple abattant de WC renversé et posé sur un piétement en structure tubulaire de métal laqué. De même, à l’occasion de l’anniversaire du Musée Guggenheim, nous avons proposé une installation traitant de la notion de vide s’inspirant du film Vertigo d’Alfred Hitchcock. La vidéo et la photographie sont des supports créatifs souvent utilisés pour les espaces que nous développons. En effet, l’angle de vue, la succession de plans et le type de montage d’un film sont des composants parfois repris dans notre façon d’appréhender un projet. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion de réaliser quelques clips musicaux, notamment pour les artistes rémois The Shoes sur leur titre America. • Vous venez notamment de nous parler de votre projet Genesis, qui était l’esquisse d’une villa réalisée sur la base de la croix servant de visuel au groupe Justice. Comment est né ce projet, quelle collaboration avez-vous développé à cette occasion avec Justice ? Un des membres du groupe Justice fait partie de la famille d’un ami proche. Nous avons donc rencontré les membres du groupe à plusieurs reprises lorsqu’ils étaient de passage à New York. Après avoir vu le documentaire de Romain Gavras, A CROSS THE UNIVERSE, dans lequel le groupe visite des villas à Los Angeles, nous trouvions amusante l’idée de leur dessiner une maison. Ce groupe cultive une image très forte, voire universelle, à travers son nom « JUSTICE », image que renforce le choix d’une croix comme identité visuelle, tant pour leurs disques que pour leurs concerts. Cette image nous paraissait par conséquent simple et puissante et c’est donc naturellement que nous
nous en sommes inspirés pour concevoir une maison en forme de croix. Justice étant souvent en tournée, nous avions décidé de leur envoyer le projet sous forme de vidéo. Le concept leur a plu et ils l’ont aussitôt publié sur leur site web. Nous ne nous attendions pas à une telle diffusion sur Internet et nous avons été très surpris de voir la vidéo sur autant de blogs et de journaux en ligne. Cela nous a fait une publicité inespérée et nous sommes toujours étonnés de voir autant de gens la visionner encore aujourd’hui, trois ans après sa publication. • Quel impact pensez-vous que puisse avoir une forme architecturale sur la perception de l’espace urbain ou naturel, sur les habitudes d’usage et l’appropriation qu’en font les utilisateurs ? Pensez-vous que l’architecture puisse changer les comportements ? Dans un contexte économique aujourd’hui difficile, il nous est fréquemment rappelé qu’il est plutôt osé de vouloir monter son agence. Mais nous préférons considérer cette situation critique comme une véritable opportunité de changement favorable à la découverte de jeunes agences. Faire appel à un architecte est souvent synonyme, dans l’imaginaire collectif, de travaux coûteux et source de dépenses pouvant paraître superflues. Notre objectif est de faire comprendre que la nature de notre métier n’est pas de faire dépenser plus, mais de faire dépenser mieux. Quels que soient l’enveloppe budgétaire ou le programme, nous cherchons toujours à répartir le plus agilement possible les coûts en fonction des besoins et des enjeux initialement formulés. Comme le disait si bien notre ami Joker dans le film The Dark Knight : «it’s not about the money, it’s about sending a message».
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Texte /
Alexis Jama Bieri • Photo / © DR
SAMUEL RÉHAULT + ROCK EN COMÉDIE +
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e printemps arrive à la Comédie ! Et pour clore la saison théâtrale, la Comédie organise une soirée mêlant spectacle, musique et moments de partage avec le public le vendredi 1er Juin. Au programme notamment, un concert du groupe Ramblin’ de Samuel Réhault, puis une fin de soirée où Cédric Cheminot et Guilhem Simbille enflammeront le dancefloor par leurs DJ set recherchés. Samuel Réhault est à la fois comédien et musicien (auteur, compositeur, interprète et guitariste). Ce jeune trentenaire, qui a grandi à Tours, a intégré la Comédie de Reims après avoir rencontré Ludovic Lagarde et Laurent Poitrenaux lors de sa troisième année de l’école régionale d’acteurs de Cannes, en 2005.
« La musique me constitue comme acteur »
• Peux-tu te présenter ? Samuel Réhault, comédien et musicien (auteur,compositeur,interprète et guitariste), 30 ans, grandi à Tours... • Comment es-tu arrivé à la Comédie et quel est ton rôle dans son collectif artistique ? J’ai rencontré Ludovic Lagarde et Laurent Poitrenaux en 3è année (2005) de l’école régionale d’acteur de Cannes (l’ERAC). Plus tard Ludovic m’a engagé pour une création alors qu’il était encore en compagnie puis je l’ai suivi à Reims. Mon rôle dans le collectif : jouer dans les différents projets qui s’offrent à moi, ceux de Ludovic Lagarde, Guillaume Vincent, Chloé Brugnon ou Rémy Barché, participer à la vie artistique de la «boutique» notamment en jouant dans des petites formes de spectacle au sein de la Comédie ou dans la région, en intervenant dans des lycées, ou en proposant des concerts. • Comment appréhendes-tu ton jeu de comédien ? Et bien justement, moins j’ai d’appréhen-
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sion mieux je me porte. Je cherche la confiance, l’amusement, la simplicité et l’honnêteté. Après il s’agit de se tenir debout, vivant, pleinement conscient dans l’espace impossible qu’est ce temps de la représentation. Un genre d’exercice en miniature de ce que nous tentons chaque jour de faire, nous, êtres humains perdus dans l’univers. Pour moi lorsque nous sommes fascinés - spectateurs et acteurs - par une représentation qui touche à un état de grâce, c’est un peu comme lorsque nous sommes fascinés en voyant un bâton qui tient en équilibre, qui a une stabilité parfaite, alors que l’on sait pertinemment qu’il est en mouvement. Quand je participe à un spectacle - en tant qu’acteur ou comme spectateur -, c’est toujours une grâce de vivre que je viens chercher... ou quelque chose comme ça. • Tu es par ailleurs musicien. Tu as notamment joué de la guitare dans le cadre de ton interprétation de Doctor Faustus à la Comé-
die en novembre dernier. La musique constitue-t-elle un complément indispensable à ton expression artistique, au même titre que la parole et le geste ? Appréhendes-tu différemment une prestation dans le cadre d’un rôle dans une pièce avec musique et une prestation dans le cadre d’un concert, où tu interpréterais quelque part, une sorte de rôle (rapport à la scène, au public, au jeu…) ? La musique m’est indispensable dans mon expression artistique en générale, je dirais même qu’elle me constitue comme acteur au même titre que mon rapport aux mots et au mouvement. Mais ça n’est pas pour autant que je tiens absolument à amener mes «aptitudes» musicales au théâtre, au contraire, l’exigence et l’intimité que je prête à ma musique me rendent un peu frileux ; il n’y a pas vraiment de bonnes conditions pour produire de la musique live. Sur Faustus, Rodolphe Burger avait non seulement composé la musique mais nous avait aussi assuré un excellent confort de son sur le
plateau ; il a fait en sorte que nous soyons dans les conditions d’un concert live. Parce qu’être débordé par des questions techniques peut générer du stress et, au théâtre, j’aime moyennement devoir gérer ce stress là en plus de mon personnage. • Le vendredi 18 mai, tu donneras un concert en collaboration avec le groupe Elisabeth Like a Dream à l’Appart café. Peux-tu nous en dire plus sur cette collaboration, et sur cette soirée concert ? D’abord je suis ravi de jouer à l’Appart’ café, j’aime beaucoup ce bar pour y avoir passé de mémorables soirées et j’aime vraiment l’esprit de la programmation. Les filles d’Elisabeth Like a Dream m’ont proposé de faire leur première partie, et je les en remercie. Je vais jouer en solo avec ma guitare Télécaster pendant une petite demi-heure et puis on a prévu de bosser un morceau en commun. Ça fait un moment qu’on parle de jouer ensemble en buvant des bières et là ça va être
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Fête de fin d’année ! Pour clore cette intense saison théâtrale, quoi de plus agréable que de se retrouver pour partager, à travers une soirée festive, le plaisir d’être ensemble ? Le collectif artistique et l’équipe de la Comédie de Reims vous convient donc à participer à cette fête de fin d’année qui mêlera théâtre et musique : • On est les champions, mis en scène par Simon Delétang à 19h dans la petite salle de la Comédie : Et si la langue apparemment libre et désinvolte du sport et des sportifs était un révélateur des mentalités et des idéologies ? • Pour découvrir en live le talent caché de Samuel Réhault, comédien que vous avez pris l’habitude de voir sur la scène de la Comédie, rendez-vous à l’Atelier de la Comédie, à 20h30 ! • Après ce hors-d’œuvre, nous vous proposons de partager un verre de l’amitié. À cette occasion vous aurez aussi la possibilité de vous restaurer (gratuitement) : brochettes et autres grillades seront de la partie. • Et puis pour tous ceux qui en ont l’envie, le plateau de l’Atelier se transformera progressivement en dancefloor aux rythmes des sons proposés par Cédric Cheminot et Guilhem Simbille, alias les Bananadrama, qui se chargeront de vous faire danser jusqu’au bout de la nuit. Un passeport pour une soirée entièrement gratuite et assurément joyeuse aux parfums d’été !
une bonne occasion de le faire. • Le vendredi 1er juin a lieu la Spring party de la Comédie, qui clôture la saison théâtrale. Peux-tu nous présenter cet événement, auquel tu participes activement ? Il y aura une pièce de théâtre On est les champions de Simon Delétang à 19h, il est possible que ça parle de foot. Après on fait notre concert à l’Atelier. puis on arrive ENFIN à l’apéro-brochettes, donc si j’ai bien compris y aura moyen de boire et de manger gratos. Et on pourra digérer sur un dancefloor jusqu’au bout de la nuit. Voilà. • Peux-tu nous parler particulièrement de ton groupe Ramblin’, qui donnera un concert lors de cette soirée de printemps ? Moi je joue en solo depuis un moment déjà. Petit à petit je me suis associé à un sax (Sylvain Roudier), un batteur (Pablo Picot) et à un contrebassiste (Sylvestre Perrusson), tous sont de Tours. Il y a un gros vivier de musiciens là-bas. J’échange pas
mal avec Silvestre Perrusson (contrebasse) sur le style de musique qu’on a envie de produire. En gros le son global c’est du Rock. Après ça va du morceau sophistiqué un peu bashungien à un blues brut champ de coton. J’aime les riffs répétitifs, le groove africain. On fait des morceaux parfois assez effrénés qui vont tout le temps vers l’avant ; on essaye de forcer le tempo. • Qu’allez-vous concrètement proposer lors de ce concert ? On va déjà essayer de faire les morceaux comme on a envie de les entendre, on cherche à dégager une certaine intensité. On sera là la veille pour travailler les balances de son, j’ai envie d’une diffusion sonore assez puissante. • Dans une considération plus large. Quel est selon toi l’avenir du théâtre en France, des activités de comédien et de musicien, notamment en période de crise ? Depuis un petit moment déjà on sent très concrètement qu’il
y a de moins en moins d’argent pour les lieux culturels publics, donc moins d’argent, moins de spectacles, et moins de risques artistiques. Je pense qu’un gouvernement digne de se nom a le devoir d’assurer une diversité culturelle dans son pays et financer la capacité de son peuple à s’interroger. Les perspectives ? J’ai déjà bosser comme «comédien» pour une marque de flotte, si je peux ne pas le refaire... • Le théâtre peut-il, à ton avis, encore jouer un rôle d’éveil des consciences et d’ouverture des esprits face à la montée de l’ignorance et des extrémismes - qu’ils soient religieux, communautaires ou politiques ? Je ne pense pas que les metteurs en scène doivent spécialement se soucier d’éveiller les consciences ou d’ouvrir les esprits, ça serait peut-être un peu présomptueux. Je crois juste qu’une oeuvre demande de toute manière au spectateur de se positionner. Pour comprendre et connaître un personnage, le spectateur est amené à faire
l’effort de s’identifier à lui, même s’il peut penser différemment. Grâce à cela ils déplacent et affinent leurs convictions. Je pense que l’on peut s’ouvrir l’esprit en multipliant les confrontations. Justement, le théâtre et tout les autres arts vivants forcent la confrontation et l’implication physique ; il permet beaucoup moins la mise à distance que l’on peut avoir devant son écran de télé par exemple, et c’est tout même un sacré événement que de se retrouver avec autant d’individus au même endroit et de se raconter une histoire.
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Entretien /
Boris Terlet • Texte / Laetitia Chazottes • Photos / © Georges Rousse
GEORGES ROUSSE + LES ATELIERS DE GEORGES ROUSSE +
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hotographe plasticien, Georges Rousse développe depuis les années 1980 un travail sur l’espace. Ses clichés viennent clore un processus qui relève à la fois de la peinture, de la sculpture, de l’architecture et de la photographie. L’artiste s’approprie temporairement les sites où il intervient en peignant sols et plafonds dans le but de créer une forme en suspension visible d’un unique point de vue. Les lieux choisis sont la plupart du temps des espaces abandonnés, voués à la destruction. Ils peuvent également être des espaces destinés à être réhabilités, comme récemment, son intervention dans les Anciens Celliers Jacquart à Reims. Georges Rousse choisit d’intervenir dans le champ photographique en transformant les lieux qu’il investit pour construire une œuvre éphémère, unique, que seule la photographie restitue. Sorte de conjugaison des espaces et des temps, l’œuvre du photographe bouleverse notre perception de l’espace et de la réalité. Nos certitudes et habitudes perceptives sont troublées par la réunion dans l’image finale de trois espaces : l’espace réel, l’espace fictif créé par l’artiste auxquels vient s’ajouter un nouvel espace rendu visible par la photographie. Artiste nomade, Georges Rousse décline son procédé dans autant de lieux qui deviennent le temps d’une intervention des laboratoires pour une expérimentation de l’espace, des sortes d’ateliers d’artiste sans cesse renouvelés.
« C’était finalement l’occasion pour moi d’habiter ces lieux abandonnés et d’en faire, pour un temps, mes propres ateliers » • Votre travail combine différentes expressions artistiques telles que peintures, sculptures et photographies, comment vous définiriez-vous en tant qu’artiste ? Il est assez difficile de me définir puisque en effet, j’ai cette pratique de la photographie, du dessin, de la peinture tout en jouant sur les transformations de l’architecture. J’ai, d’une certaine façon, appris à traiter chacune de ces pratiques pour réaliser mes photographies, pour mettre en scène les espaces. Aussi, dire exactement où se situe l’œuvre et quelle est ma posture se révèle être une question délicate. Quand j’étais étudiant en médecine, je m’ennuyais terriblement. Je voulais être photographe. J’ai alors pris contact avec un profession-
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nel afin qu’il m’enseigne la photographie. C’était un excellent Studio de prise de vues, (publicité, architecture, photographie industrielle), doublé d’un labo couleur. C’est là que j’ai été initié à la chambre photographique. Parallèlement à cette activité, j’occupais mes week-ends à organiser et construire ma propre démarche artistique. Mon goût pour la marche à pied m’a conduit à faire de nombreuses balades. J’ai commencé à réaliser des photographies dans la nature. Durant cette période, j’habitais à Nice, j’effectuais aussi bien des prises de vue urbaines que des clichés de montagnes, l’environnement s’y prêtait. Au fil de mes recherches et expérimentations, j’ai compris à travers les artistes du Land Art que la photo-
graphie est un moyen d’enregistrer, de mémoriser une action qui se déroule quelque part dans le paysage. De fait, l’image perd son statut de photographie pour devenir une sculpture. C’est le cas de Richard Long ou de Hamish Fulton qui se définissaient comme des sculpteurs alors même qu’ils n’exposaient que des photographies. C’est ainsi que j’ai débuté. J’ai commencé à effectuer des actions dans le paysage sans être pleinement satisfait et c’est réellement dans les bâtiments en ruine que j’ai trouvé une sorte d’équilibre, le point de départ de ma démarche artistique. • Vos interventions s’appliquent à l’espace photographique, vous opérez sur l’espace réel
et non sur l’image. Peut-on considérer l’espace comme le matériau de base de votre travail ? J’ai rencontré et photographié à plusieurs reprises des artistes. J’observais beaucoup leurs ateliers avant de les photographier et je trouvais que ces lieux étaient assez proches des espaces abandonnés que l’on pouvait trouver, à l’époque, un peu partout dans les villes. J’ai alors imaginé photographier des sortes d’ateliers qui auraient été abandonnés par des artistes. C’était une sorte de fiction. La référence principale étant l’atelier de Giacometti. Lorsque l’on regarde des photographies de l’atelier du sculpteur on prend la mesure du capharnaüm hallucinant. Les murs sont grattés, gravés, dessinés, repeints, etc. C’est ainsi que
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j’ai bâti ma fiction selon laquelle les lieux abandonnés pouvaient être ou avaient été des ateliers que des artistes auraient quittés. J’ai donc commencé à peindre des personnages sur les murs. C’était finalement l’occasion pour moi d’habiter ces lieux abandonnés et d’en faire, pour un temps, mes propres ateliers avant qu’ils soient pour la plupart détruits. Mon choix a donc été de transformer le champ photographique plutôt que d’intervenir sur l’image du lieu que je photographiais. • Comment choisissez vous les lieux que vous investissez ? Quels sont vos critères ? Comment abordezvous un nouvel espace ? Au départ, je choisissais des lieux qui se trouvaient près de chez moi. À ce moment-là j’avais quitté Nice pour Paris et je concentrais mes interventions sur la banlieue qui était, à certains endroits, une sorte de no man’s land facile d’accès. Je peignais sur les murs et réalisais des photographies. J’ai alors découvert les gestes de la peinture que je ne connaissais pas puisque le point de départ de ces recherches était la photographie. Il me fallait donc trouver les gestes du peintre et en même temps appréhender l’espace. En effet, intervenir dans un espace de dix mètres de profondeur sur dix mètres de large et cinq mètres de haut, c’est un peu comme être face à une page blanche lorsque l’on est écrivain, ou la toile blanche du peintre. Lors de mes premières interventions, j’allais dans des lieux en cours de démolition. J’arrivais le samedi matin car les chantiers étaient vides les week-ends. J’avais donc deux jours pour réaliser les peintures et prendre les photographies. Par la suite on m’a proposé des lieux où travailler. C’est ainsi que j’ai été invité à Lyon pour intervenir à la Sucrière qui est aujourd’hui le lieu de la Biennale. Par la suite j’ai travaillé à Villeurbanne, Bordeaux … J’ai également été sélectionné pour la Biennale de Sydney. Ainsi aux lieux que je choisissais sont venus s’ajouter des propositions d’espaces souvent liées à des expositions. • Quelle est la valeur de la photographie dans votre processus de création ? Il y a eu une évolution. Cela fait bientôt trente ans que je travaille dans des lieux abandonnés. La photographie est une constante et pour moi c’est l’œuvre. La photographie est dotée d’un grand pouvoir de rêverie, d’informations et de suggestions. Par exemple les clichés pris par les archéologues lorsqu’ils sont entrés dans les pyramides suscitent aujourd’hui encore une forte émotion. Pour ma part, lorsque je regarde ces images, j’ai l’impression de revivre le moment de la découverte. Concernant mon travail, je voulais que la photographie soit la mémoire du lieu abandonné. Puis avec l’arrivée du numérique, de Photoshop, il y a eu un basculement. Les regards ont changé. Les visiteurs qui venaient à mes expositions ne voyaient plus un travail sur l’espace mais un travail sur la photographie de l’espace. Cependant, cela ne m’intéresse pas de faire des « bidouillages » avec l’ordinateur. Mon œuvre a évolué avec la transformation de l’espace. Elle s’est enrichie au fur et à mesure en fonction des lieux, de leurs singularités, des villes et des pays. Par exemple j’ai réalisé en Inde, à Calcutta, des clichés d’un bâtiment occupé par des réfugiés du Bangladesh et quand par la suite je suis allé en Allemagne travailler dans la Ruhr les photographies étaient différentes. Il m’est impossible de plaquer un concept et de penser chacun
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de ces lieux de façon identique. Chacun a sa propre histoire liée à une culture différente. • Vous travaillez à la chambre photographique 4x5 inches. Dans votre processus de création, quel rôle joue-t-elle? Peut-on cantonner l’emploi de la chambre à un simple outil de prise de vue ? La chambre photographique est l’outil de départ puisque dès le début j’ai commencé à réaliser des photographies avec cet appareil afin de mémoriser un lieu et l’action dans ce lieu. Je voulais également avoir la meilleure définition possible : par définition j’entends qualité de tirage. Le travail que je développe dans l’espace est relativement monumental, la photographie, quant à elle est une réduction de la réalité, j’ai donc tout de suite essayé de faire des grands tirages de sorte que l’on puisse se projeter physiquement dans l’image. La photographie est donc très importante dans mon procédé puisqu’elle reste l’œuvre finale. On me demande souvent comment j’exécute mes formes dans l’espace. En fait je travaille à partir de la chambre photographique. C’est l’outil qui me permet de construire dans l’espace. Je dessine une forme sur le dépoli de l’appareil qu’ensuite je reporte point par point dans l’espace en faisant des allers-retours. Maintenant je suis aidé par des assistants que je guide afin de marquer les points. La chambre photographique est donc à la fois l’outil pour dessiner dans l’espace et celui de la prise de vue. • L’anamorphose (du grec “transformer”) est une représentation peinte, dessinées, etc volontairement déformée d’un objet, d’un motif quelconque, dont l’apparence réelle ne peut être perçue qu’en regardant l’image sous un angle particulier ou au moyen d’un miroir courbe. Quelle est la place de ce procédé dans votre création ? Pendant les dix premières années, j’étais hostile au mot anamorphose puisque celleci suppose un déplacement jusqu’au moment où l’on atteint le bon point de vue et que l’on voit apparaître une image. Me concernant, je montre des photographies, il n’y a de fait pas d’anamorphose visible, car pas de déplacement dans l’espace. C’est immobile devant l’image fixe que s’opère le déplacement de l’anamorphose et c’est mentalement par le regard que se déconstruit l’espace. La photographie ne propose bel et bien qu’une seule forme et l’on a beau bouger devant, on ne verra rien d’autre qu’une photographie plane. Dans ma démarche, l’anamorphose est donc un outil pour dessiner dans l’espace comme l’appareil photo-
graphique d’où s’organise le tracé. • Vos photographies jouent avec la notion de perception, elles illusionnent le spectateur, transfigurant le réel... Cela ne vous dérange pas que l’on puisse de prime abord ne pas croire à la matérialité de vos pièces (d’autant plus à l’époque de la photographie numérique et de la retouche) ? Comme je le disais auparavant, pendant plus de dix ans, il était évident que j’élaborais un travail sur l’espace et d’un seul coup avec Photoshop et les autres moyens de transformations de l’image il y a eu une sorte de perturbation dans la perception de mon travail. J’ai finalement essayé de neutraliser cela en faisant, par moment, des installations dans des lieux stratégiques notamment dans les musées. J’ai alors réalisé des installations que les visiteurs pouvaient voir de sorte qu’ils puissent se confronter physiquement à l’espace transformé et ainsi par écho suggérer une autre lecture de mes photographies. • Vos images sont des combinaisons de temporalités : l’architecture comme trace du passé, sorte de vestige, la peinture comme empreinte du moment de votre intervention et l’instant de la prise de vue. Comment définiriez-vous cette nouvelle temporalité contenue au sein de l’image photographique ? En fait, j’essaie de ne pas faire d’illustration de ce qu’a été le bâtiment dans le passé. Très souvent les espaces dans lesquels je travaille ont perdu toute affectation depuis si longtemps qu’il ne reste plus que des traces ou des successions de traces. C’est donc une nouvelle situation que j’essaie d’imposer au lieu. Je veux suggérer l’atelier de l’artiste, mon atelier. Quand je construis une image, elle prend appui sur la mémoire du site. Bien souvent l’espace apparaît tel qu’il est, on voit toujours son volume réel. Dans celui-ci j’organise un « sous espace », que je m’approprie, et que je transforme complètement par différentes actions : déconstruction, reconstruction, couleur, mots écrits, etc. Il y a donc deux temps qui coexistent au moment de la prise de vue. Le passé et une partie renouvelée de l’image s’associent pour un dernier temps avant la disparition du lieu. L’installation et sa photographie rendent alors le lieu intemporel. • Avec le recul quel regard portez-vous sur l’évolution de votre œuvre ? L’ensemble de mon œuvre a évolué. Cela fait bientôt trente ans que je travaille dans des lieux abandonnés. Je me suis confronté à des espaces très variés et j’ai abordé différentes préoccupations. Il ne s’agit pas uni-
quement d’une action sur un lieu, on évolue soi-même dans la manière de traiter la peinture, d’aborder l’image ouvrant bon nombre de directions. À mes débuts, il m’était impossible de transformer le lieu. Je le prenais tel qu’il était et j’intervenais sans modifier son architecture. Il me semblait alors impensable d’agir sur elle comme je le fais aujourd’hui. L’idée est venue par la diversité des sites que j’ai visités. Au début j’avais besoin d’avoir un espace constitué puis, progressivement, s’il manquait la moitié d’un mur je me suis autorisé à pouvoir le reconstruire. Ainsi tout ce qui pouvait apparaître comme des contraintes m’a permis d’avancer dans ma réflexion par rapport à l’image de l’espace devenant un élément moteur dans l’évolution de ma démarche. Lorsque j’ai passé un cap, je réalise une série afin de vérifier si mon orientation est juste. Lorsque j’invente un nouveau dispositif, il m’entraîne de façon quasi automatique vers une autre direction et ainsi de suite… Le travail enrichit le travail. À Reims par exemple, j’ai employé des feuilles d’aluminium que j’utilise depuis peu. C’est mon second essai et je trouve que cela apporte quelque chose de nouveau. La photographie reste une surface plane, lisse et sans matière. Quand je modifie l’architecture, je dis souvent qu’elle n’a pas d’autre fonctionnalité que de créer des variations de plans sur lesquels la lumière vient jouer. Ma matière photographique est donc cette variation de la lumière avec ses dégradés de couleurs, ses gris, etc... L’aluminium justement participe de ces variations, il présente ma structure avec une matière à la fois rigide et fragile par les jeux de la lumière. • Envisagez-vous une évolution du « système Georges Rousse » ? Allez-vous ouvrir votre procédé à d’autres champs d’expérimentation ? Peut-être, mais je ne crois pas. J’essaie de faire des vidéos mais en fait, je suis bloqué par l’image en mouvement. Mon point de départ reste la photographie, donc l’image fixe de fait, je pense que je peux encore évoluer à l’intérieur de mon procédé de travail en m’ouvrant de nouvelles directions mais je n’envisage pas de changer de support ou de passer à autre chose. • Pouvez-vous me parler de votre projet à Reims ? La première fois que suis venu à Reims, c’était une commande pour travailler dans la grande Halle Boulingrin pour les journées du patrimoine. On m’a demandé de faire une installation qui soit visible depuis la rue, avant le début des travaux de réfection. À la suite de cette première installation j’ai été à nouveau convié par la ville de Reims pour travailler sur différents lieux. Sur un premier site - les anciens celliers Jacquart destinés à devenir un espace culturel - j’ai réalisé deux installations avec l’aide des étudiants de l’ ESAD, de l’association La salle d’attente, des services de la ville de Reims, l’entreprise SEEI et de PRISME. J’ai imaginé aussi un certain nombre d’autres projets dans le but de développer plusieurs directions à la fois dans ce bâtiment mais, si possible, dans d’autres lieux que l’on m’a proposés… Faire en somme une collection d’œuvres rémoises… Les photographies seront montrées lors de l’ouverture de l’espace culturel.
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MUSIQUE
Texte /
Oscar Queciny • Photo / © Raudel Romero
JEAN-PHILIPPE COLLARD + UN NOUVEAU DIRECTEUR ARTISTIQUE AUX FLÂNERIES MUSICALES DE REIMS +
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l y a un an, CLGB Open Art Revue rencontrait le directeur artistique des Flâneries Musicales. Le projet artistique d’alors, grandiloquent et baroque, fiévreusement soutenu par le président du festival, prévoyait l’avènement de nouvelles Flâneries Musicales rompant en partie avec l’ancienne formule (qui s’essoufflait progressivement), pourtant techniquement rodée depuis une vingtaine d’années par une équipe passionnée et aguerrie aux subtilités d’organisation d’une telle manifestation d’ampleur. Pourtant, cette nouvelle formule fut loin d’être une réussite financière, creusant un déficit dans les caisses du festival. L’association organisatrice du festival a par conséquent mis fin à la mission du directeur artistique 2011. Bénéficiant toujours d’un large soutien de ses financeurs publics et de ses partenaires privés, en particulier de son cercle des mécènes, le festival s’est doté d’un nouveau président, Jean-Louis Henry, et d’un nouveau directeur artistique, Jean-Philippe Collard, afin que la renaissance de cet événement culturel majeur de l’été champenois soit une réussite pérenne, hors et en saison. Pianiste internationalement reconnu, Jean-Philippe Collard, né en 1948 près d’Epernay, prend plaisir à s’aventurer sur les terres des multiples œuvres du répertoire pianistique, avec une prédilection pour la musique française (de Fauré à Saint-Saëns, Poulenc et Ravel). Aujourd’hui, fort d’une discographie de plus de cinquante titres, Jean-Philippe Collard sillonne les grandes scènes musicales du vieux continent et d’Outre-Atlantique, de Carnegie Hall au Théâtre des Champs-Elysées et au Royal Albert Hall. Figure bien connue du public français et des Etats-Unis, il a joué avec le gotha des chefs et des orchestres à travers le monde. Sa soif d’échange et de partage avec le public le conduit volontiers sur des chemins peu fréquentées par la jet-set des pianistes. La direction artistique des Flâneries Musicales de Reims est un prolongement de cette virtuosité et de ce goût du partage simple. S’appuyant sur l’équipe permanente d’organisation opérationnelle du festival, Jean-Philippe Collard, qui se définit comme « champenois, amoureux de la musique et très passionné par les rapports humains », a élaboré un festival 2012 à la durée légèrement raccourcie et à la programmation de grande qualité, qui s’ouvre, encore plus désormais, à tous les publics.
« Je souhaite que la relation avec le public ne se limite pas au simple instant du concert »
• Avant de prendre la direction artistique des Flâneries musicales de Reims, quels sont les festivals auprès desquels vous êtes intervenus ? À proprement parler, je n’ai dirigé aucun festival. En revanche, je me suis toujours intéressé à la vie musicale de ma ville natale, Epernay, dont je dirige la saison au théâtre Gabrielle Dorziat. En matière de festival, j’ai créé des master class où de jeunes musiciens étaient venus dans un festival établi dans le sud de la France pour travailler avec des maîtres et s’habituer à tout ce qui permet de leur apprendre leur métier (travail en studio d’enregistrement, relations presse…). Par ailleurs, j’ai depuis toujours été à l’origine d’un certain nombre d’initiatives, pour faire en sorte que la musique s’échappe des lieux traditionnels de concerts. Par exemple j’ai créé une association qui s’appelle «Chemins de musique» dont le but est de développer des concerts de grands artistes classiques dans les villages de France sous la forme de spectacles ambulatoires qui s’adressent à des populations n’ayant pas forcément le goût, l’envie, ou l’occasion d’aller aux concerts « à la
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ville ». Avec ce type de représentations musicales l’on noue une relation tout à fait particulière avec ces publics, puisque nous nous rendons au plus proche des gens avec les instruments (piano, violon, violoncelle) pour jouer dans l’église, le château, ou la salle des mariages.
• Quel était votre regard extérieur sur ce festival ? J’avais, en tant que champenois, beaucoup d’intérêt à voir ce qu’il s’y passait. En tant qu’artiste, un petit peu moins, puisque j’avais appris, à mes propres dépens, que ce festival était, à l’origine, essentiellement basé sur la gratuité des concerts et, par conséquent, sur les efforts des artistes en terme de cachets. Je considérais que cette idée n’était pas celle que je défendais de l’accueil d’un artiste, parce que nous, les artistes, sommes comme les autres travailleurs : nous consacrons beaucoup de temps, de passion et d’énergie pour notre métier. Il est donc normal qu’au bout d’un certain temps ce travail reçoive rétribution selon une loi des marchés qui existe et à laquelle l’on n’échappe finalement pas ! A Reims donc, les
artistes des Flâneries Musicales était habitués à répondre à des invitations qui étaient certes très chaleureuses, mais qui ne remplissaient pas toutes les conditions habituelles. J’avais alors une certaine suspicion à propos de cette image, qui s’est en outre beaucoup améliorée depuis quelques années. Désormais, le festival est entré dans un circuit traditionnel, c’est à dire qu’on y invite des artistes et qu’on les rémunère en fonction du marché actuel. • Vous êtes pianiste, y avez-vous joué ? Oui, je m’y suis produit à deux reprises. Il y a quelques années, j’y avais joué, mais dans des conditions qui n’en étaient pas vraiment, puisque pour rétribuer le contrat, en l’absence de rémunération digne de ce nom, j’avais négocié des invitations sur la billetterie du festival pour les habitants de mon village natal, leur mise à disposition de deux cars et une invitation à dîner après le concert. L’année dernière, j’y ai joué dans des conditions tout à fait normales, à l’occasion d’un récital au conservatoire. Pour cette édition 2012, je m’y
produirai deux fois, rappelant ainsi ma vocation première. • Quels lieux seront investis par le festival en 2012 ? Les lieux qui seront investis sont, pour la plupart, des lieux qui sont régulièrement utilisés par les Flâneries Musicales, tels que la basilique Saint-Remi, la Cathédrale, l’Opéra, le Cirque et le Manège, le Conservatoire. Ces lieux emblématiques de Reims sont les plus traditionnels pour y jouer de la musique. A côté de ces lieux, le festival se déplace un peu partout, notamment dans les maisons de quartier ou les maisons de champagne. Il y a en tout une trentaine de lieux différents dans lesquels le festival s’exerce, soit l’aprèsmidi, soit le soir, puisqu’il y a deux concerts par jour, soit en plein air, soit dans des lieux couverts. • Ne pensez-vous pas que le carcan du concert « classique », de longue durée, en silence total et dans un lieu hermétiquement fermé, pourrait constituer un frein à l’ouverture vers de nouveaux publics? Allez-vous ouvrir les Flâneries
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aux publics qui ne fréquentent pas habituellement de concerts de musique classique avec des concerts en extérieur, des événements de courte durée et un programme accessible, dans un esprit contemporain alliant zapping et pédagogie ? Je suis complètement d’accord avec votre question, puisque l’on peut aujourd’hui considérer qu’il est difficile d’enfermer des gens dans un lieu clos et leur demander de ne pas bouger durant 1h30 ou 2h ! Il est, je crois, par conséquent nécessaire d’évoluer de deux manières différentes. En premier lieu, il convient de réduire la durée du concert à 1h00 environ, d’y supprimer l’entracte, qui constitue plus un moment de fracture que d’union où l’attention du public se disperse et où les artiste se déconcentrent au motif que durant 10 min ils doivent reprendre un peu leurs forces. En réalité, il me semble qu’un concert plus ramassé est la meilleure solution pour répondre aux nouvelles exigences du public. En second lieu, je souhaite que la relation avec le public ne se limite pas au simple instant du concert, mais que l’artiste se rende disponible, après sa prestation, pour discuter avec le public sur place ou en ville afin de faire connaissance, éventuellement pour parler de la musique, donner des clés, conter des anecdotes ou faire partager des réflexions sur le compositeur, sur l’œuvre ou tout simplement sur la fonction de musicien. Je considère que l’on doit opérer une relation beaucoup plus proche entre l’artiste et le public et je voudrais briser l’image de l’artiste qui vient juste pour le concert et qui ne parle pas à son public.
Flâneries Musicales resteront les flâneries, c’est du moins le vœu de la municipalité. Mais elles vont peu à peu s’intégrer dans un paysage qui ne sera plus seulement celui d’un festival, mais qui sera celui, plus général, d’une harmonisation des événements culturels de la ville de Reims. Mission nous est donnée par la Ville de réfléchir à une mise en cohérence de la saison musicale de manière à ce que tous les acteurs culturels qui s’occupent de musique classique (Conservatoire, Adac, Opéra, et tant d’autres qui ont vocation à organiser des concerts) se réunissent et établissent une programmation qui soit rationnelle, en fonction des salles, de leurs disponibilités ou de la tenue d’autres événements.
• Depuis leur création en 1990, et durant plusieurs années, les Flâneries Musicales offraient à Reims la seule programmation culturelle conséquente de l’été. Depuis quelques étés et l’action de la municipalité actuelle, de nouvelles programmations musicales et culturelles côtoient les Flâneries. Comment les flâneries vont-elles désormais trouver leur place au sein de cette offre désormais riche et variée ? S’agissant de la vie culturelle de la ville de Reims, les
• Comment avez-vous procédé pour établir la programmation des Flâneries Musicales 2012, avec les contraintes budgétaires résultant de la situation laissée par votre prédécesseur ? J’ai été soumis à deux types de pression : le temps et la contrainte budgétaire. Lorsque mon mandat a réellement commencé, le 15 décembre 2011, les calendriers des artistes pour la saison suivante étaient déjà bien remplis. Il a par conséquent fallu faire très vite. J’ai donc travaillé vite, avec mon
• Compte-tenu de cette offre culturelle désormais importante durant l’été et de votre volonté de mise en cohérence, allez-vous réduire la durée du festival ? Le festival 2012 prévoit en effet une réduction de la période de concert. Cette réduction est due à deux paramètres principaux. Le premier, c’est qu’il y a désormais une séparation effective entre la musique classique et le jazz qui organise ses propres événements durant l’été. Le second, c’est que le festival 2011 a hélas été marqué par un déficit conséquent qu’il s’agit de réduire ! Il y a donc une énorme prudence dans la gestion de la programmation qu’on m’a demandé d’établir, de façon à ce que le cahier des charges du festival soit respecté et qu’on n’assiste pas à des débordements incontrôlés, comme ceux que les Flâneries Musicales ont connues l’année dernière.
propre carnet d’adresse. J’ai par ailleurs réussi à glisser des concerts des Flâneries Musicales dans des agendas d’orchestres qui étaient, par chance, disponibles. Et puis, j’ai institué un projet artistique organisé sur trois fronts : - le regard sur la musique française, laquelle n’est pas spécialement célébrée dans d’autres festivals français - le chant choral, en tenant compte des importantes ressource locales avec Akadêmia, chœur professionnel financé par la Région ChampagneArdenne, le chœur Nicolas de Grigny, amateur et de très haut niveau, la Maîtrise de Reims et puis plus tard Ars Vocalis. - la mise en lumière de jeunes artistes, qui vont faire leurs débuts officiels au conservatoire. Les flâneries musicales 2012 en présenteront trois, qui ont entre 18 et 19 ans : une pianiste italienne, une violoniste américaine, et un violoncelliste français. Ces jeunes musiciens seront pour cela aidés par une web tv «medici.tv» spécialisée en retransmission en direct de concerts de musique classique. Cette retransmission, de diffusion mondiale, est par ailleurs un vecteur d’image important pour la ville de Reims et pour les mécènes de l’opération. • Quel programme pour l’ouverture du festival 2012 et le concert pique-nique ? La soirée d’ouverture réunit deux des principales articulations du festival (chant choral et musique française). Celle-ci a lieu le 22 juin à la basilique Saint-Remi et sera consacrée au Requiem de Maurice Duruflé et au Stabat Mater de Francis Poulenc. Quant au concert pique-nique, j’ai souhaité, puisque les Flâneries Musicales se sont détachées de la coloration jazz, proposer au public une célébration de la musique de film, jouée à cette occasion par un orchestre symphonique, avec les compositions de John Williams qui a écrit pour les films de Steven Spielberg (Jurassik Park, E.T...). • Les Flâneries 2011 ont donné une place plus importante à la musique baroque, peu repré-
sentée jusqu’alors. Allez-vous programmer du baroque aux Flâneries 2012 ? En ce qui concerne ma culture personnelle, il est certain qu’étant pianiste, je ne suis pas confronté à ce genre de répertoire, ou du moins indirectement. Cependant, il y aura naturellement des incursions dans la musique baroque puisque c’est une des esthétiques du panorama musical. Pour autant les thèmes que j’ai choisis ne rencontrent pas exactement cette musique. Elle sera probablement célébrée davantage l’année prochaine, car je disposerai de plus de recul me permettant d’évaluer à la fois les désirs des auditeurs et de trouver des ensembles de très haute qualité qui soient libres pour venir se produire aux Flâneries Musicales. • Comment imaginez-vous l’avenir des Flâneries Musicales? Comment les rêvez-vous ? Je les rêve avec une assiette géographique qui irait audelà des murs de la ville, je les rêve à la recherche de nouveaux chocs esthétiques en ce sens que je pense qu’on a encore à découvrir de nouveaux lieux dans lesquels la musique puisse s’exercer à Reims, je les rêve également en matière d’assiette sociologique des auditeurs, et je les rêve enfin dans une redéfinition de la relation de l’artiste avec son public. Surtout, je dois ce festival à toutes les personnes qui à Reims ont construit depuis 23 ans les Flâneries Musicales. Il y a une spécificité qu’aucune ville au monde ne nous prendra désormais : son nom si évocateur d’une philosophie de la musique qui doit venir à la rencontre des auditeurs dans une sorte de paix intérieure et de simplicité. Il y a une grande possibilité à Reims d’aller encore plus loin dans les quartiers, dans les strates de la population, du fait principalement que cette grande métropole ne possède pas une véritable salle de concert symphonique qui serait le cœur de l’événement. Voyons-y une chance, car les Flâneries Musicales peuvent alors s’exprimer dans une multitude de lieux et se rapprocher géographiquement des populations (jardins, banlieues, villages...). C’est, pour moi, l’objectif à atteindre !
J E A N -P H I LI P P E C O LLA R D - 3 1
MUSIQUE
Texte /
Alexis Jama Bieri • Photo / © Lisa Roze
BARCELLA
+ UN COMPRÉHENSIBLE CHARABIA +
A
uteur, compositeur et interprète, Barcella a promené sa guitare un peu partout en France au fil de nombreuses dates de concert. Le public a notamment pu le découvrir aux Francofolies de la Rochelle ou sur des premières parties de Francis Cabrel et Thomas Dutronc. Son premier album «La boîte à musiques» sort en 2009 et s’est déjà écoulé à 10 000 exemplaires vendus, et beaucoup plus encore par d’autres modes d’échange. Pour bousculer la logique et les genres étriqués Barcella compose un univers singulier et pourtant tellement universel, bâti de fulgurances où la distinction et la perfection du verbe servent une ironie féroce et une poésie débridée. L’auteur-compositeur rémois de 30 ans, qui se définit comme « un artiste curieux, lunaire et touche-à-tout », débute actuellement une tournée francophone pour accompagner l’édition de son deuxième album «Charabia», sorti le 14 mai 2012. Dans ce second volet de ses aventures musicales, réalisé par Jeff Delort (Tété, Archimède, Ridan, Zazie...) et masterisé par Tom Coyne chez Sterling Sound (Adèle, Martin Solveig …), Barcella cultive toujours un jardin riche et fécond, tout en s’aventurant plus loin encore dans la recherche des arrangements et de l’orchestration des morceaux, livrant ainsi un album plus abouti, qui met davantage en valeur sa plume. Ici, son « Charabia » ne saurait être incompréhensible qu’à ceux qui ne prendraient pas le temps de l’écouter !
• Comment est née ta vocation pour la musique et particulièrement pour la chanson française à textes ? Assez naturellement en fait. J’ai, comme beaucoup, pris plaisir à mettre des mots sur mes émotions lorsque j’étais plus jeune et c’est vers l’âge de 12 ans que mes premières chansons ont vu le jour. C’est mon père qui m’a offert ma première guitare, histoire de canaliser la bouillotte que j’étais. Kurt Cobain venait de tirer sa révérence, et à cet âge délicat, mes potes et moi-même avons senti poindre en nous la détresse adolescente. Par ailleurs, ma mère étant prof de lettres, m’a transmis le gout de l’écriture, du récit et de la poésie. Ce travail des maux m’a permis de me construire et de me comprendre, en mettant sur papier mes joies, mes espoirs, mes colères et mes peines. J’en ai fait une mécanique quotidienne, qui depuis est devenue mon métier.
empreinte dans la durée. Après, vu de l’intérieur, je trouve que l’effervescence artistique est réelle et que cette dynamique est stimulante. Une bonne chanson, qu’elle soit d’hier ou d’aujourd’hui, c’est avant tout une chanson que chanteront les générations futures.
• Quelles sont tes sources d’inspiration en général et l’univers de ta musique en particulier ? Elles sont plurielles et façonnent indéniablement les contours de mon répertoire. J’ai une tendresse et une admiration pour les auteurs qui firent la discographie de mes parents : Bourvil, Brel, Brassens, Ferré, Barbara … Et j’apprécie tout autant les plumes d’Oxmo Puccino, d’Arthur H et d’Émilie Loizeau. Musicalement, je m’inspire de tout et milite pour l’éclectisme, sans doute parce que la culture hip hop, culture du sample et de l’ouverture par excellence, a bercé mes avancées. Je crois que c’est cette diversité des styles empruntés qui singularise mon univers artistique.
• Dans une cité ou le politiquement correct étend son voile opaque et lisse, par crainte des personnalités singulières, ne fais tu pas en quelque sorte passer, avec tes textes, un message d’espoir en l’humain ou ce qu’il peut rester d’humain et de particulier en chacun ? Je l’espère en tout cas. J’aime jouer sur l’échiquier du monde, des émotions et des controverses. Certaines de mes chansons s’appliquent à prêcher le faux pour éclairer le vrai. Le cynisme, comme nous venons de l’évoquer est en cela une arme redoutable, un outil intellectuel qu’il est important de comprendre et d’utiliser à bon escient. Cela étant, j’aime aussi les chansons simples, chantantes, directes. Celles qui tiennent dans leur simplicité d’approche la fraîcheur d’une enfance retrouvée et qui n’ont pas d’autre prétention que de faire siffler ou fredonner les gens.
• Quel est ton regard sur la chanson française actuelle ? Je n’en écoute que trop peu et il m’est délicat de parler objectivement du travail d’artistes que je connais personnellement. Je trouve que l’idée de «nouvelle scène» est un concept proche de celui du beaujolais nouveau. Une nouvelle cuvée tous les ans … Et qu’ça tourne! J’ai du mal avec ça car j’essaye d’inscrire mon
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• Comment te positionnes-tu alors entre la tradition de la chanson et la modernité du 21éme siècle ? Si avancer en chanson est une démarche très introspective, elle n’en reste pas moins dénuée de préoccupations universelles. Je cherche à faire vibrer nos cordes sensibles pour en percevoir les sonorités, par curiosité avant tout, pour comprendre le monde qui m’entoure. Certaines de mes chansons sont d’un cynisme évident. Je suis un chanteur barbu comme tu peux t’en rendre compte. Il m’arrive donc parfois de piquer un peu !
• Lorsque tu dis qu’ « à force d’arrondir les angles, on met les équerres au chômage », ne critiques tu pas les compromis, les renoncements que beaucoup font par la force des
choses ou par calcul ? Tu vois, je crois que c’est en cela que j’aime la poésie. Ce qui m’y touche, c’est cette possibilité offerte à chacun de faire raisonner en lui le sens d’une phrase, du moins le sens qu’il souhaite y voir. Ne pas t’en dire davantage est le seul moyen que je trouverai ici pour laisser à ta liberté et à ton imaginaire l’espace dont ils ont besoin. J’ai baptisé mon album « charabia » pour faire parler les curieux et je suis heureux de voir que mes accroches te questionnent. • Comment procèdes-tu concrètement pour créer tes chansons ? Pars-tu d’une idée générale, d’un texte, d’une mélodie... ? Habituellement, ce sont les mélodies qui me viennent les premières. Elles correspondent à mes états d’esprits passagers. Lorsque je suis morose, je lis le monde en accords mineurs, lorsque je suis solaire, les accords s’enchaînent en majeurs. Je décide alors d’un sujet, qui en général me questionne ou m’emballe et je pars sur un travail d’écriture et de mise en forme. J’écris dans l’instant, en quelques heures. C’est assez spontané. Il m’arrive dans mes bons jours d’écrire deux chansons à la suite. Mais la quantité n’y fait rien. Je n’en garde qu’une sur trois au final. • Ton nouvel album s’intitule «charabia». Quelle place revêt pour toi le mot ? Loin du bavardage inepte, une chanson est-elle comme une discussion avec le public, un dialogue quasiment intime, tout en étant collectif ? « De mon charabia sont nés des poèmes ». C’est ce que m’a dit une jeune mère de famille à la sortie d’un concert. Petit, mes amis ne me comprenaient pas toujours. Aujourd’hui, ils me demandent parfois conseil. Mon album traduit cela et s’inscrit comme un pied de nez aux idées reçues. J’y défends l’idée selon laquelle nous ne devrions pas juger un tableau au pied du mur. Il faut savoir prendre du recul et laisser au temps le pouvoir qu’il a de révéler certains arômes insoupçonnés. Mes chansons sont en cela des
clefs de compréhension pour certains, ce dont je me réjouis. Pour d’autres, elles ne feront pas sens dans l’instant. Dans tous les cas, elles questionnent et créent du lien. C’est là toute leur utilité. Il convient d’aborder chacune d’entre elles avec le bon degré de lecture. Voilà tout. Elles sont des invitations à partager nos sensibilités autour d’un vers. Et tant que la curiosité sera, j’écrirai. Quelle place as-tu donné aux instruments dans tes nouveaux titres? Comment conçoistu le rôle des instruments traditionnels dans une composition moderne ? Chaque instrument colore l’album à sa manière, et les choix sont souvent méticuleux pour éviter des connotations maladroites. J’ai construit sur «Charabia» un album plus rythmé et plus orchestré que le précédent. «La boîte à musiques» était un concept à mi-chemin entre la chanson d’hier et d’aujourd’hui. «Charabia» est plus actuel. L’accordéon s’y fait plus discret, les cuivres et les rythmiques y sont plus présents. Toutefois, ce sont les textes qui, une fois de plus sont mis en avant dans mes chansons. La musicalité d’un morceau est un plus pour servir l’émotion du sujet abordé, mais ce sont les histoires que je raconte qui tiennent le premier rôle. • Tes chansons sont-elles réarrangées, mises en scène, théâtralisées, pour tes lives, afin d’offrir un spectacle unique ? Oui. J’aime habiller mes chansons différemment sur scène. C’est à la fois très stimulant et cela me permet de composer avec la monotonie des répétitions. J’ai enchaîné 90 concerts l’an dernier et je n’ai pas eu le sentiment de tourner en rond … Après, certaines chansons sont faites pour la scène et ne trouvent que difficilement leur place sur un album. C’est une bonne chose selon moi, car je défends avant tout mon univers sur les planches et le public qui me suit ne me semble pas venir pour écouter un copié-collé de l’album. C’est en cela que j’aime le spectacle
MU S IQU E
« Lorsque je
suis morose, je lis le monde en accords mineurs, lorsque je suis solaire, les accords s’enchaînent en majeurs
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VIVANT! Je laisserai toujours un part importante à l’improvisation. • Comment s’est créé le concept de ton nouvel album : l’objet, l’agencement graphique de la pochette ? J’ai travaillé avec des artistes dont j’apprécie l’univers. Pour la création de l’objet, c’est avec Antony Villeger, mon ami d’enfance, que nous avons réfléchi le digipack. Jeff Delort a réalisé l’album et Lisa Roze les photos. J’avais envie de décliner la poésie du disque sous toutes ces formes (musicales, visuelles). L’esthétique d’une œuvre m’importe beaucoup, ce d’autant plus que je fais parti des mélomanes qui achètent encore des disques. Pour tout te dire, si cela avait été possible, j’aurai fait parfumer «Charabia» !
• Le chef étoilé Philippe Mille du domaine des Crayères à Reims a développé un menu inédit interprétant les titres de «charabia». Comment naît une telle collaboration ? Par gourmandise ! Mon équipe et moi-même avions envie de présenter l’album de manière originale et l’idée, ambitieuse j’en conviens, nous est venue. Philippe a mis toute sa sensibilité au service de mes chansons et mes papilles en sont depuis nostalgiques. Nos métiers sont certes différents, mais je crois que nos curiosités respectives nous ont permis de savourer cette rencontre. Je suis très touché par sa créativité et réitèrerai l’expérience avec grand plaisir. Chapeau l’artiste ! • C’est sortir des sentiers balisés pour toucher de nouveaux publics… Dans le n°6 de
CLGB de février-mars 2010, nous avions évoqué les actions de médiation que tu effectuais avec Starlion, un de tes complices musicien, dans le cadre de la Fabrique collective. Quelle place revêt pour toi la médiation, notamment la pédagogie auprès des jeunes ? C’est un axe passionnant qui me permet de rester en phase avec mon époque. J’ai eu le plaisir de mettre en place et d’encadrer des ateliers chanson dans de nombreuses écoles, collèges et lycées francophones ces dernières années et je trouve que la jeunesse actuelle fait preuve d’un imaginaire surprenant qui ne demande souvent qu’à être stimulé. Ces expériences me sont d’autant plus bénéfiques qu’elles me permettent de transmettre ma passion pour l’écriture tout en restant dans une dynamique créative. J’explore ainsi le monde qui m’entoure et je me crée mes
propres avis. J’ai ainsi pu travailler avec des publics très variés (en maison d’arrêt, en maison de retraite, avec les gens dits «du voyage”). Grâce à ces travaux, je suis passé par New York, Washington, Toronto … et j’irai peut-être prochainement en Asie. Ces rencontres sont un moteur pour mes créations, une source d’inspiration importante. • En définitive, tu as quelque part un fond punk, ou du moins radicalement anticonformiste et subversif ? C’est possible Monsieur… Mais à force d’arrondir les angles, enfin vous voyez ...
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MUSIQUE
Entretien et traduction /
Audrey Delabos • Texte / Raphaël Mandin • Photos / © DR
A PLACE TO BURY STRANGERS + UN ENTERREMENT DE PREMIÈRE CLASSE +
S
uite à leur passage à la cartonnerie de Reims, nous rencontrons A Place to Bury Strangers, groupe rock originaire de New York, qui sort un nouvel EP, Onwards To The Wall, en attendant un troisième album à venir courant 2012. Olivier Ackermann, le membre fondateur, guitariste et vocaliste, est aussi connu pour être l’inventeur et l’expérimentateur de pédales à effets qui ont fait sa renommée à travers sa fameuse boutique, Death By Audio, qu’il tient toujours à Brooklyn. Accompagné de Dion Lunadon, le bassiste du groupe, ils acceptent, mais plutôt à contrecœur, de répondre à nos questions. En effet, ils seront d’emblée sur la défensive. On pourrait arguer d’une tournée épuisante, mais on sent que s’est développée en eux une certaine allergie aux médias. Ils rejettent toutes les questions pouvant alimenter l’image qu’ils véhiculent, à savoir celle d’un groupe shoegaze ultra-bruyant et référencé, casseur de matériel et avide de performance. On devine qu’ils sont agacés par le poids des clichés qui s’amoncellent de manière irréversible, un peu plus chaque fois, au gré de chaque interview. Le groupe se réclame ici, au contraire, d’une spontanéité libérée de toute justification et d’une méfiance envers tout questionnement sur leurs expérimentations sonores. Ils cherchent à retrouver une authenticité que les autres groupes, selon eux, n’ont plus. On peut certes trouver cela naïf mais on peut aussi comprendre cette réaction, tant le groupe mérite mieux que sa réputation « bruitiste », ce que prouve avec brio leur dernier EP, ce qui reste finalement la meilleure réponse possible.
• Vous devez en avoir marre d’être systématiquement caractérisés comme « le groupe le plus bruyant de New-York » ? Si vous deviez corriger ce cliché et décrire votre son en quelques mots, que diriez-vous ? O : En fait, c’est plutôt étrange que les gens y reviennent toujours. Je ne pense pas que ce soit notre problème. Je ne vais pas faire plaisir aux médias, ni donner raison à ce que les gens disent de ce que nous faisons. Je pense que ce que nous faisons se veut plutôt authentique et impressionnant dans le domaine de la musique ; si on écoutait tout ce que les gens disent on finirait par suivre la mode et on se retrouverait à faire de la pop. D : D’une certaine manière c’est surtout devenu lassant d’en parler, mais ce n’est pas la fin du monde, ça n’a pas grande importance. O : Je ne vois même pas pourquoi ça intéresse autant les gens. Si j’entends parler d’un groupe du genre à crier « on va faire du bruit ! » ça ne me semble pas si cool que ça. Le bruit en lui-même n’est pas forcément plaisant à entendre. • On cite souvent, parmi vos influences musicales, The Jesus and Mary Chain ou My Bloody
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« Les incidents
sont les meilleures choses qui puissent nous arriver
»
Valentine. En avez-vous d’autres ? O: C’est en effet une comparaison qui a été faite de nombreuses fois. Quand j’étais plus jeune j’appréciais des groupes comme Ministry, The Jesus and Mary Chain, Slowdive, The Pixies, Sonic Youth, Dinosaur Jr. Je viens d’une petite ville en Virginie et c’était les trucs les plus dingues qu’on pouvait imaginer pour l’époque. Presque personne, à part un des habitants de cette ville, n’aimait ces groupes.
Du coup, des liens se sont crées entre nous deux et naturellement on en est venu à parler de monter un groupe. Ah, je me rappelle encore quand je n’avais qu’une guitare et un amplificateur que je poussais à fond en trouvant ça trop cool. Sinon, je pense que les gens peuvent nous comparer à ce genre de groupe parce que les premières fois qu’ils nous ont vus jouer à la guitare on était clairement sous influence (je suis le genre de personne qui
n’a jamais pris de cours de guitare ou quoi que ce soit). D’ailleurs, je considère toujours que je ne joue pas comme un professionnel. Du coup, c’est un peu comme si on jouait comme des gens qui ne sont pas encore véritablement artistes. Il est plus question de mettre nos émotions dans notre musique qu’à s’entraîner à faire des gammes : cela consiste à traduire nos expériences personnelles en musique. C’est même assez bizarre qu’on soit autant sujet à ces comparaisons parce que finalement je serais plutôt tenté de penser que notre musique est même éloignée de celle de ces autres groupes… On connaît très bien la pop, les années 50, 60. Cela constitue pour nous comme des structures dans notre esprit qui se rapprochent de ce qu’on considère comme génial et c’est ce qui va en quelque sorte nous guider quand on écrit des chansons. Mais il y a aussi l’autre aspect : on aime le bruit ! On aime jouer avec ce que cela signifie et faire prendre conscience des résonances et des émotions que cela implique. Toutes ces choses réelles avec lesquelles les gens ne jouent pas forcément, nous les utilisons afin de créer notre musique. C’est une démarche similaire qu’on retrouve dans des groupes comme The Jesus and
Š Emily Berger
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MUSIQUE
Mary Chain, qui peuvent provoquer un sentiment de violence en produisant des sons assez purs. Donc, d’une certaine manière, on s’inscrit dans la continuité de ces groupes. Mais bien sûr, on ne peut pas s’empêcher d’être influencé par des groupes, au même titre que par des films ou par l’art… • APTBS n’a clairement pas la même orientation musicale que les autres grands groupes connus de la scène New-yorkaise actuelle. Vous identifiez-vous à une scène ? Vous reconnaissez-vous des affinités avec certains groupes en activité ? D : On fait plutôt partie d’une scène que nous nous sommes nous-mêmes créés. O : Ce serait une relation qui se rapprocherait plutôt de liens amicaux et je pense que notre musique est à prendre de manière séparée. Pour moi la musique est quelque chose de très personnel. Je n’ai pas l’impression de faire partie d’une communauté. On suit notre propre voie et c’est presque comme si on était en compétition pour nous singulariser, pour nous pousser plus loin les uns les autres. Se sentir appartenir à une scène n’arrive pas à grand monde. On n’appartient à aucune scène, excepté d’un point de vue amical, mais on suit des voies séparées, comme c’est le cas avec de petits groupes tels que Jeff the Brotherhood,
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Natural Child, Fuck Town, The Maculets… • Pourquoi ce nom de groupe d’ailleurs («Un lieu pour enterrer les étrangers») ? O : Au début je n’aimais pas ce nom. C’est un ami qui en a eu l’idée et qui nous a convaincus, en nous expliquant qu’il y avait beaucoup de groupes qui avaient des noms affreux mais qui en ont fait quelque chose de cool. À l’origine c’est la traduction d’une histoire d’Aleister Crowley et il me semble que c’est une référence à la Bible, mais je n’en suis pas sûr car le type qui nous a donné l’idée avait des idées bizarres sur ces choses. • Vous avez tourné avec de grands noms [Brian Jonestown Massacre, The Jesus and Mary Chain, Nine Inch Nails etc.] Comment cela s’est-il déroulé ? O : Ils sont tous sympas. Enfin, The Jesus and Mary Chain, pas tant que ça, mais les autres sont des gens bien. (sourires). • Vous êtes très dépendants de la technique (de nombreuses pédales à effets par exemple, ou des conditions de sonorisation extrêmes), cela doit réserver parfois des surprises. Des anecdotes ? D : Les incidents sont les meilleures choses qui puissent nous arriver parce qu’ils sont créatifs. Par exemple lorsqu’on veut enregistrer
une guitare, il y a une certaine idée qu’on voudrait essayer, mais entre ce à quoi on s’attend et ce que ça donne en réalité, le résultat peut être complètement différent. O : Ou même parfois, lorsqu’un micro tombe, quelque chose peut toucher autre chose et produire un cliquetis et devenir un son intéressant. Ou alors, quand on jette nos guitares en l’air, il y aura un son qui en sortira lorsqu’elle retombera par terre. Ce genre de choses, ou bien même juste jouer avec le volume à fond, amène des sons qu’on ne peut pas s’attendre à contrôler car il n’y a aucun moyen de le faire, et cela laisse place à l’instant présent. De ce fait, tout le temps d’un concert, on est au bord de ne plus pouvoir tout contrôler et cette sensation de défaillir est impressionnante. Chaque soir, on joue quelque chose de complètement différent de manière à conserver un certain intérêt, car nous créons quelque chose pour les gens à ce moment en particulier. On ne joue pas avec une cassette préenregistrée comme le font actuellement la plupart des groupes (tels que ceux qui cachent des ordinateurs ou une mallette ou quoi que ce soit) et faire ça, c’est juste horrible. C’est simplement étrange, ces groupes ne créent rien, et il n’y a aucun intérêt à voir la même chose plusieurs fois. Donc oui, j’aime vivre le moment présent.
D : Cela m’agace ; ce n’est pas travailler que de se contenter de passer des chansons. Il faut entretenir l’excitation. Ils utilisent des ordinateurs parce que c’est plus facile, mais c’est une preuve de fainéantise et ça retire l’élément humain. O : C’est ça qui garde les choses nouvelles et excitantes, de suivre la pulsion du moment. • Comment se déroule la tournée française ? Ya-t-il un groupe ou musicien français que vous écoutez actuellement ? O : La tournée en France est vraiment super, très cool. Les concerts n’ont pas arrêté de s’améliorer depuis les deux derniers mois. Je suis de plus en plus excité vis-à-vis du groupe. D : Je ne connais pas trop ce qui se fait en France. Je connais surtout les Yeh-Yeh et j’apprécie beaucoup Jacques Dutronc, j’en passe lors de mes sets. • Pouvez-vous nous parler de votre dernier EP [Onwards to the Wall] et de l’album à venir ? Si je vous dis que c’est votre meilleur, je me trompe ? O : Nous concevons chaque album de manière à ce qu’il soit meilleur que le précédent, donc en ce sens oui, c’est logiquement le meilleur !
présente
matali crasset works (version française), monographie aux éditions Norma. Textes d’Alexandra Midal, Zoe Ryan & Emmanuelle Lallement. Rencontre et dédicace avec matali crasset.
14 juin 2012 à partir de 18h30
2 impasse JB de la Salle, Reims • clgb.presse@gmail.com
MUSIQUE
Texte /
Valentin de La Hoz • Photos / © Agathe Dufort
PHILIPPE LE GOFF + SWING À CÉSARÉ +
C
ésaré, Centre national de création musicale, a été créé à Reims en 1991 sous l’impulsion de Christian Sebille et Tom. L’objectif d’un CNCM est de favoriser la création musicale sous toutes ses formes (composition acoustique, électroacoustique, électronique...) et de diffuser les œuvres créées au sein des studios. Césaré a particulièrement pour missions de favoriser la conception et la réalisation d’œuvres nouvelles, d’en permettre la diffusion, de participer à la conservation et à la valorisation de leur patrimoine, de contribuer à la recherche et au développement de nouveaux outils et processus de création, de sensibiliser le public aux formes musicales contemporaines et enfin de mener des actions pédagogiques. Le centre national de création musicale est fortement impliqué dans la formation musicale, mais aussi dans des actions d’insertion par les pratiques artistiques. Césaré est aujourd’hui dirigé par Philippe Le Goff qui a succédé à Christian Sebille en octobre 2011.
« Césaré, c’est d’abord un lieu d’écoute quelle qu’en soit la nature, savante ou non »
• Pouvez-vous vous présenter ? Comme tous les directeurs de CNCM, je suis compositeur. J’ai connu dans mon apprentissage la musique classique, mais très vite je me suis tourné vers l’électricité, le rock, la musique pop, c’est-à-dire toutes ces musiques amplifiées qui ont émergé à partir des 50’s. Ces mouvements musicaux m’ont véritablement passionné. Puis, je suis arrivé à l’électroacoustique avec la découverte d’un instrument très particulier qui est le microphone. Avec un micro, on se met non plus seulement à produire du son mais à écouter le monde et c’est cet aspect qui m’a permis de devenir également ethnologue. Je suis en effet parti dans le Grand Nord, dans l’Arctique et j’ai développé parallèlement à la création musicale un travail de recherche autour du monde inuit qui m’a valu d’enseigner pendant plusieurs années à l’Institut des Langues et Civilisations Orientales. J’enseigne également à l’École Supérieure d’Art et de Design de Reims. La transmission est très importante dans mon travail. • Quel a été votre parcours et quels ont été les déclencheurs de votre intérêt pour la musique électroacoustique ? Mon parcours est celui d’un musicien qui commence par la musique classique tel que l’exigeait le cursus traditionnel de l’époque. Mais très vite, je fus attiré vers les musiques électrifiées, le rock, la musique pop, le jazz qui m’ont nourri car beaucoup de disques arrivaient jusqu’à moi grâce à mes aînés qui les achetaient. Cette fascination pour la musique électrifiée m’a donné envie de composer et surtout d’écrire autre chose qu’une musique qui soit simplement pour instrument traditionnel. Je me suis dès lors plongé dans l’électroacoustique et découvert que la musique était en perpétuelle évolution. On a commencé avec des disques à sillons fermés, les bandes magnétiques ont suivi et aujourd’hui nous sommes au numérique. Ces évolutions technologiques ne résument pas, à elles seules, les évolutions musi-
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cales, mais marquent une manière différente de composer. C’est cette nouvelle approche, cette autre manière d’appréhender la musique qui m’a séduit dans la musique électroacoustique. • Comment avez-vous débuté votre carrière de responsable de centre de création ? Je n’ai dirigé aucun établissement avant Césaré. J’ai débuté ma carrière en créant un studio avec des associés que nous dirigions de manière collégiale. J’ai ensuite poursuivi ma route de compositeur jusqu’à intégrer Athénor, une structure culturelle implantée à Nantes et Saint-Nazaire. Un travail sur le territoire, l’ancrage des artistes et des démarches artistiques ont constitué sept ans d’une expérience très riche posant des questions essentielles : comment mettre les publics en relation avec des formes d’arts dites savantes, qu’on imagine souvent réservées à des élites ? En réalité, on observe que cela est relativement facile ! J’ai également développé ma propre structure, « Neije », afin de construire des projets personnels. Puis en octobre 2011, j’ai pris la direction de Césaré avec lequel je suis extrêmement familier depuis de nombreuses années. • Quelles sont les missions de Césaré ? Césaré a quatre missions principales. La première concerne la production, c’est-à-dire le soutien aux compositeurs et aux créateurs via des commandes, des résidences et parfois des productions de leurs travaux, avec un accompagnement. La seconde mission, qui me semble fondamentale et liée à la première, est celle de la diffusion, car lorsqu’on soutient un projet, c’est pour le mettre à la disposition du public. La troisième mission est l’enseignement. Nous avons à Césaré un volet concernant la réinsertion par les pratiques artistiques qui est essentiel car il s’agit d’une autre manière de former les publics. Nous travaillons également, sur le long terme, avec les étudiants de l’Univer-
sité de Reims Champagne-Ardenne (URCA), du Conservatoire à Rayonnement Régional de Reims (CRR), de l’Ecole Supérieure d’Art et de Design (ESAD) et avec tous les étudiants qui souhaitent découvrir le Centre. La quatrième mission, non aisée à mener, est extrêmement importante pour les CNCM. Celle-ci concerne le patrimoine et la numérisation des œuvres. En effet, tout ce qui est diffusé et produit à Césaré est enregistré et archivé et nous avons pour obligation d’en faire profiter le reste du monde en travaillant avec le Centre de Documentation de la Musique Contemporaine (CDMC). • Sur quels projets travaillez-vous actuellement ? Nous développons des projets à la fois de production et de diffusion pour la saison prochaine. Dans le cadre des productions, Césaré soutient deux principaux projets. L’un est un travail liant la parole à la musique où se retrouvent deux artistes : Hélène Breschand, une harpiste virtuose qui porte tant le répertoire contemporain que l’ouverture à l’improvisation, et André Ze Jam Afane, un poète rémois d’origine camerounaise. Cette proposition mêlera chant, harpe, électroacoustique, paroles et poésie. L’autre projet, intitulé « Les 4 éléments », réunit le son et le design culinaire, avec Vivien Trelcat, musicien du groupe John Grape qui est depuis très longtemps attaché à Césaré, et Delphine Huguet, designer culinaire. Ces deux artistes nous préparent un très beau projet pour Elektricity 2012. La diffusion pour la saison 2012/2013 constitue également un axe majeur pour Césaré, notamment avec les festivals tels que Elektricity que nous coproduisons avec la Cartonnerie. Cette collaboration unique mettant en relation un Centre National de Création Musicale avec une Scène de Musiques Actuelles permet d’aller chercher tous les créateurs qui se trouvent dans
les interstices de ces deux genres musicaux, l’un dit « musique savante », l’autre, « musique populaire ». Ces formules ne délimitent plus aujourd’hui des secteurs précis. Il y a bien sûr des choses très populaires et d’autres très savantes, mais l’espace où se situent des musiciens inscrits dans une démarche de recherche n’est plus seulement l’apanage des musiques savantes ou écrites. On voit aujourd’hui des personnalités surgir de secteurs différents, issues des arts plastiques ou de la musique et qui ont des démarches très intéressantes, aboutissant à un travail de qualité, fouillé et expérimental. Elektricity est donc le moment de faire se croiser musique expérimentale avec des musiques plus « populaires ». Nous participons également au festival Reims Scènes d’Europe qui réunit toutes les scènes culturelles rémoises. C’est un moment important car il permet de montrer le travail que nous défendons dans le cadre d’un événement identifié nationalement et internationalement. Cette année, Césaré vous fera découvrir une artiste irlandaise qui n’a jamais joué en France. Quelqu’un d’étonnant ! Césaré a également trois cycles de saison : les matinées contemporaines, menées en partenariat avec l’Opéra de Reims. Il s’agit de concerts dominicaux autour de la voix. Ce rendez-vous très convivial permet d’écouter des musiciens en sortant du marché, dans une relation de proximité ! Les apéro-concerts mettent en lien une création musicale et un vin, faisant découvrir au public des artistes soutenus par Césaré. Puis j’ai institué un nouveau cycle qui s’intéresse aux artistes situés plus largement dans le son donnant lieu à des installations sonores. Nous avons inauguré ce cycle, en lien avec La cartonnerie au mois de mars dernier, en invitant Thierry Madiot, un tromboniste qui fabrique des sculptures de tuyaux fonctionnant avec des compresseurs d’air. Nous continuerons avec notamment Tomoko Sauvage au mois
MU S IQU E
d’octobre, qui travaille sur les sons de l’eau via des installations, des sculptures sonores et des performances. Ce nouvel événement permet d’ouvrir l’espace de Césaré durant une semaine. À titre personnel, j’ai construit un travail depuis le début des années 2000, intitulé « Nature Blues », qui est un regard croisé entre nature et culture. Ce travail se concrétise par différentes pièces vocales électroacoustiques et des installations. J’ai par exemple composé un « cri d’amour en charolais », poème vidéo plutôt incongru. Depuis l’été dernier, j’enregistre le craquement sousmarin d’iceberg dans le Grand Nord, semblable à une puissante déflagration pour faire un travail autour de cette glace qui craque et d’une écoute de la mer et la terre. J’ai également un projet sismographique qui prendra la forme d’une installation où l’écoute se fera dans une salle fermée avec l’intervention d’une chanteuse inuit qui s’adonne à l’improvisation. • Quelles sont vos collaborations avec les autres lieux de création et de diffusion de Reims ? Collaborez-vous par ailleurs avec des lieux installés dans d’autres grandes villes, notamment à Paris ? La collaboration entre un CNCM et les autres structures culturelles locales est indispensable ! Toutes les institutions sont liées, que ce soit celles du spectacle vivant ou de l’enseignement tels que le CRR, l’ESAD, l’URCA. Il y a véritablement un dialogue entre toutes ces structures et cela est très agréable à Reims. Nous avons également des réseaux nationaux et internationaux, à l’image du réseau des CNCM (6 en France) via lequel nous défendons notre idéal de création musicale. Nous travaillons également avec des structures de production tournées vers la musique, avec des scènes ouvertes aux esthétiques contemporaines et l’on observe aujourd’hui qu’une place de plus en plus importante est donnée à la musique contemporaine, à l’improvisation et à de nouvelles formes musicales, notamment dans les opéras, les festivals de jazz et autres espaces d’expressions artistiques. • Comment voyez-vous l’évolution de Césaré à moyen et long terme ? L’évolution d’un Centre National de Création Musicale est une question fondamentale car comme je viens de le dire les frontières entre les genres artistiques sont en perpétuel mouvement. Les CNCM sont des studios nés de la volonté de compositeurs qui se sont réunis. Dès la fin des années 1970, des musiciens compositeurs se sont associés pour créer un outil de travail qu’est le studio. Aujourd’hui ils ont la chance d’avoir été labellisés et soutenus par le Ministre de la Culture permettant l’évolution de leurs fonctions. Les CNCM ont aujourd’hui un rôle d’interface et de relais pour les autres associations de compositeurs qui créent leur studio. D’où l’importance d’être, comme je l’ai dit précédemment, attentif au monde associatif qui se développe autour de nous. Avoir une activité d’accueil permettant d’ouvrir davantage, Césaré est une ambition à moyen et long terme, car le
lieu doit être traversé par un public qui se sente à l’aise, un public de jeunes créateurs ou d’auditeurs qui se sentent ici chez eux. Nous avons envie de prendre cette position de pivot pour la création musicale en Champagne-Ardenne. • Vous bénéficiez du soutien de plusieurs collectivités publiques (État, Région, Ville de Reims...). Face au poids et aux exigences grandissantes des financeurs publics, disposez-vous encore, concrètement, de libertés de manœuvre suffisantes, notamment quant à vos choix et orientations artistiques et culturelles ? La liberté est une conquête, elle ne s’offre pas. J’avais un maître improvisateur nommé Jacques Chapuy qui me disait : « tu trouveras la plus grande liberté quand je te demanderai d’improviser en mi bémol majeur, puis au niveau de la 15ème mesure tu feras une modulation dans un autre ton avec une mesure à 3 temps…et si dans ce cadre-là, extrêmement restreint, tu parviens à te sentir libre, tu le seras vraiment ». J’ai pris la direction de Césaré après avoir proposé un projet répondant aux missions spécifiques qu’exige un CNCM. Les financeurs ont accepté le projet afin de le mener jusqu’au bout. Il y a un engagement de ma part en tant que directeur et un engagement des tutelles à soutenir ce projet. Donc je ne ressens absolument pas le sentiment d’être bridé ou de ne pas avoir de liberté. D’autant plus que j’ai personnellement une grande foi en la création musicale et c’est pour cela que j’accepte très volontiers les pressions et notamment celles liées aux publics, car je pense que les projets que nous défendons méritent d’être vus et entendus. Nous avons une mission très importante de transmission auprès des jeunes générations et il est nécessaire que nous soyons investis aux différents niveaux de l’enseignement en ouvrant nos portes à des publics de maternelles, ce que nous avons fait récemment, de collégiens, lycéens et étudiants. Nous travaillons sur de multiples volets et je n’ai pas l’impression d’être privé de liberté. La liberté de manœuvre est évidemment liée aux financements car la mise en œuvre des missions nécessite des moyens financiers. La question des moyens dans l’avenir qui se dessine reste posée dans le contexte des années qui s’annoncent difficiles. • Quels sont les nouveaux publics auxquels vous voudriez vous ouvrir ? De la même manière que Tintin, l’ouverture n’est pas de 7 à 77 ans mais de 0 à l’infini ! La question de l’ouver-
ture aux nouveaux publics permet de s’interroger sur la manière dont on peut partager la création musicale. J’évoquais ci-dessus les classe de maternelle ; on peut très bien avec certaines œuvres faire des écoutes extrêmement nourrissantes pour des enfants, mais pas avec d’autres. Il faut respecter cela et notre rôle est d’imaginer comment un artiste pourra entrer en relation avec les publics. J’ai conduit à Athénor des présentations de projets très ambitieux devant des habitants ouvriers de Saint-Nazaire et il s’y instaurait très rapidement une forme de dialogue, car tout le monde a des oreilles pour recevoir ce que nous présentons ! • Quels sont vos rapports avec le milieu associatif œuvrant dans le domaine musical ? En tant que CNCM, nous avons le devoir d’être centre ressources et d’être ouverts à ce qui émerge sur le territoire. Je m’intéresse beaucoup au territoire à la fois pour porter ce que nous produisons mais également pour amener des musiciens venant du monde entier pouvant nourrir ce qui se passe dans notre localité. Ouvert au milieu associatif, absolument, tant sur Reims, avec les nombreuses associations musicales ou groupes qui représentent la scène rémoise émergente et à laquelle nous sommes attentifs, que sur l’ensemble du territoire notamment via les relations au monde musical de Haute-Marne, des Ardennes et bientôt de l’Aube. Nous essayons de tisser des liens pour soutenir à la fois des jeunes talents et l’enseignement auprès des conservatoires et écoles de musique. • En quoi consiste votre collaboration avec le CRR de Reims ? La collaboration avec le CRR est fondamentale et ne cesse d’évoluer. Cette année, un master de composition musicale va ainsi être ouvert. Césaré est totalement investi dans ce projet aux côtés du CRR et de l’URCA, notamment avec Daniel D’Adamo, le professeur de composition au CRR. Nous sommes fiers de construire ce cursus d’études supérieures assez unique en France intégrant un CNCM. Dans ce cadre, nous avons accueilli les étudiants de musicologie du Conservatoire et de l’Université afin qu’ils présentent leur pièce. • Quels grands compositeurs représentent votre esthétique musicale ? Le monde musical est tellement vaste qu’il est difficile de se relier à une esthétique musicale. Je viens de l’électroacoustique donc j’ai une grande admiration pour les compositeurs tels que Luc Ferrari et
leur ouverture. Il y a un personnage que j’aime tout particulièrement dans la musique écrite c’est Igor Stravinsky. Il était extrêmement libre, a vécu une période d’écriture de ballet durant laquelle il a composé cette œuvre magnifique qu’est le Sacre du Printemps, qui a bouleversé l’écriture musicale. Il est ensuite revenu au néo-classique jusqu’à composer des musiques sérielles. Il était totalement libre et disait « ce qui m’intéresse ce n’est pas tellement la musique mais c’est de la composer », et cela caractérise véritablement un musicien. Cet intérêt non pas pour un résultat et un show, mais pour tout le processus de composition, de découverte et d’écriture correspond à mon esthétique musicale. • Concrètement, quelles sont les caractéristiques de la musique que vous créez et diffusez à Césaré ? Je n’ai pas de nomenclature pour savoir ce qui est éligible ou non pour intégrer la programmation de Césaré. La question du style musical n’est pas totalement fermée. On peut traverser des esthétiques différentes avec des artistes ayant des démarches particulières. À Césaré, nous pouvons accueillir des musiciens proches des musiques rappelant le rock, venant du jazz ou d’autres écrivant de la musique. Ce qui m’intéresse c’est la relation avec les artistes et pas forcement la stylistique dont ils sont issus. On peut voir à Césaré des concerts de musiques savantes, écoutés de manière « religieuse », mais également entendre des œuvres d’artistes mêlant guitare électrique et instrument à vent avec de l’électroacoustique, ou des installations sonores dans laquelle l’on déambule… Le souci principal est la rencontre. Il nous arrive d’accueillir des groupes de musiques actuelles. Venir à Césaré, c’est venir dans une situation d’écoute particulière. Je dirais que Césaré, c’est d’abord un lieu d’écoute quelle qu’en soit la nature, savante ou non. • Pensez-vous enfin que l’on puisse encore dépasser les frontières de ce que nous connaissons en matière musicale ? Il se trouve que depuis la naissance de l’homme, nous n’arrivons pas à l’empêcher de perpétuer les mêmes choses et à les renouveler. Il est important de constituer un patrimoine présent, constructeur et fondamental, mais celui-ci n’est jamais figé. Il est en perpétuel mouvement et toujours au milieu des mondes, des hommes qui s’interrogent sur la nature des choses, pourquoi est-ce comme cela et pas autrement... Les frontières de la création ne sont jamais fermées dès lors que d’autres esprits arrivent, de nouvelles idées naissent, dans le courant de l’activité humaine. Tout n’a pas déjà été fait en musique et je pense que l’intérêt n’est pas de tout faire mais de rencontrer des personnes, des êtres humains qui, par ce qu’ils ont vécu, apportent un travail toujours singulier, car nous sommes tous des êtres singuliers. Donc tant qu’il y aura des êtres singuliers, il y aura des frontières franchies et repoussées !
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ÉVÈNEMENT
Publi rédactionnel
Texte /
Anne Babb/SUAC • Photos / © DR
S.U.A.C.
+ ET SI ON RETOURNAIT À CROIX-ROUGE EN TRAM... POUR Y DANSER ? +
L
’an passé, le SUAC vous invitait à aller en Tram au théâtre au centre culturel du CROUS sur le campus universitaire de Croix-Rouge. Cette année, il vous propose d’y retourner pour trois moments autour de la Danse. Rendez-vous Station Opéra (ancien Grand Théâtre) chaque soir pour un départ à 19h. Distribution de tickets pour l’aller et le retour.
• Mardi 5 juin à 19h30
• Lundi 11 juin à 19h30
• Mercredi 20 juin à 19h30
NATURE HUMAINE
ZIA
VALSE EN TROIS TEMPS
Petite poésie chorégraphique végétale (Pièce pour une danseuse) Compagnie La Girafe Bleue Le corps apparaît dans un univers végétal comme enfanté par lui…une seconde peau, un nouveau souffle. Jeux de mouvements et de matières, fusion et confusion, corps-totem, masque vaudou, gestes rituels, « Animal et végétal » s’animent, s’opposent et se permettent…Dialogue tour à tour sombre ou désinvolte.Que le mouvement célèbre simplement la puissance et la beauté du végétal ou qu’il le manipule, intrusif, jusqu’à l’épuisement de sa lisibilité…tous deux par un accord tacite font et défont des mondes imaginaires ou la nature se révèle magique et inépuisable. Danseuse : Julie BARBIER Chorégraphie : Isabelle BAZELAIRE Scénographie : conception Isabelle BAZELAIRE Réalisation Isabelle BAZELAIRE, Camille
« Ma démarche artistique aujourd’hui se situe au point de rencontre de plusieurs chemins : celui de mon parcours de chorégraphe, de mon orientation de plasticienne et de ma passion pour le végétal. Alliance du mouvement et de la matière… « Nature humaine »en est l’aboutissement ». Isabelle Bazelaire. Avec le soutien du LABORATOIRE CHORÉGRAPHIQUE DE REIMS, du CENTRE CULTUREL SAINT-EXUPÉRY, de l’O.R.C.C.A, du CONSEIL GENERAL DE LA MARNE, de la VILLE DE REIMS. Remerciements à la MAIRIE de VENTELAY.
Version DUO - Compagnie La Licorne Ce conte chorégraphique, poétique, acrobatique et musical pour deux danseurs, un conteur et un acrobate musicien s’adresse à petits et grands à partir de 4 ans. Il s’agit du voyage initiatique et du périple fantastique d’une fillette qui, découvrant qu’il manque des vies dans son univers naturel, part à la recherche du «Voleur de vie». Zia, nous invite ainsi à découvrir l’admirable diversité des espèces présentes sur notre terre ainsi que l’importance de la respecter et de la protéger. Metteur en scène / chorégraphe : Brigitte CANONNE Auteur / scénographe : José MENDES Création musicale : Ludovic Caqué et Damien Buisson Danseurs : Céline Coessens et Damien Guillemin (qui fait aussi « la voix du narrateur » Costumière : Mylène Gardel Photographe : Isabelle Bruyère
La Compagnie la Licorne a été fondée à Reims en 1990. L’écriture gestuelle de sa chorégraphe, Brigitte Canonne, tente de transporter le public dans des univers émotionnels et poétiques intenses où la conscience du mouvement est abordée en relation étroite avec les arts transversaux induisant un rapport au corps expérimental et une créativité renouvelée.ACCUSTICA, l’association des Acteurs de la Culture Scientifique, Technique et Industrielle en Champagne-Ardenne, a souhaité être partenaire afin d’appuyer l’action de sensibilisation des publics sur le respect de la Biodiversité, grâce à une exposition sur le thème sur les lieux de représentation. Avec le soutien de la RÉGION CHAMPAGNE-ARDENNE, de l’O.R.C.C.A, du CONSEIL GENERAL DE LA MARNE, de la VILLE DE REIMS. Le projet est parrainé moralement par la Fondation Yann Arthus-Bertrand.
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DUO ET SOLO Création 2010 : CFB 451 Christian et François Ben AÏm
« Valse en trois temps » est une création chorégraphique à géométrie variable, composée de trois courtes pièces. Des univers aux saveurs chorégraphiques et musicales à la fois bien distinctes et qui laissent vibrer le même plaisir du jeu et de la danse. Ces trois formes, volontairement légères, s’aventurent hors des théâtres et explorent de nouveaux espaces de danse, en intérieur ou en extérieur, à la rencontre de tous les publics. La compagnie vous présente ce soir le duo et le solo de cette pièce. Duo : Les faux semblants volent en éclats dans ce duel ludique où la douceur des étreintes rivalise avec l’engagement à-bras-le-corps. Solo : Une pause en dehors du temps, quelques grands airs de musique classique, l’esprit vagabonde, s’élève au son des notes et se laisse emporter par le corps.
Coproduction : Théâtre de La Madeleine - Scène conventionnée Troyes. Aide à la création : Conseil régional de Champagne-Ardenne Soutiens : La Menuiserie, fabrique artistique du pays de Briey (résidence de création), ARCADI dans le cadre des plateaux solidaires, l’Atelier de Paris- Carolyn Carlson, Centre national de la Danse.
CFB 451 est soutenue par la DRAC d’Ile-deFrance – Ministère de la Culture et de la Communication, par le Conseil Général du Val-deMarne au titre de l’aide au fonctionnement et par la Région Ile-de-France au titre de l’Emploitremplin. Christian et François Ben Aïm sont en résidence depuis 2006 et artistes associés depuis 2009 au théâtre de La Madeleine - scène conventionnée de Troyes, avec le soutien de la Région Champagne-Ardenne (ORCCA). La compagnie est en résidence à l’Espace 1789 à Saint-Ouen en 2012 avec le soutien du Conseil Général de la Seine-St-Denis (93).
Chorégraphie : Christian et François Ben Aïm Interprétation : Solo Aurélie Berland Duo Anne Foucher et Christian Ben Aïm Création lumière : Laurent Patissier Écriture sonore : Jean-Baptiste Sabiani Régie : Laurent Patissier ou Pierre Galais
Le travail de création de Christian & François Ben Aïm parcourt les différents visages de notre humanité commune ou multiple : la mémoire, l’engagement, l’observation du quotidien, les rêves… Le corps est envisagé comme l’encre d’une écriture mouvante, vivante. Ils approchent les arts de la scène à travers une formation pluridisciplinaire au cours de laquelle ils explorent à la fois les domaines du théâtre physique, des arts du cirque et de la danse. Production : CFB 451
S.U.A.C. (Service Universitaire d’Action Culturelle) Villa Douce Présidence de l’Université de Reims Champagne-Ardenne 9 Bd de la Paix. 51100 Reims 03 26 91 84 15 www.univ-reims.fr
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MUSÉE
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Texte /
Alexis Jama Bieri • Photos / © Anne Deniau
AYMERIC PENIGUET DE STOUTZ + UN NOUVEL ESPRIT AU PALAIS DU TAU +
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ymeric Peniguet de Stoutz, diplômé de Sciences Po Paris, est à 37 ans le nouvel administrateur du palais du Tau, des tours de la Cathédrale de Reims, depuis septembre 2010. Il exerce par ailleurs la responsabilité du château de la Motte-Tilly et du château de Bussy-Rabutin. Un administrateur jeune, qui conçoit sa mission avec modernité et ouverture.
• Comment est née votre passion pour le patrimoine ? Ma mère, professeur d’Histoire, a développé mon imaginaire enfantin autour de cette étrange histoire de France, riche de mythes, de légendes, de destins brisés, de découvertes mirobolantes, d’aventures glorieuses, de génies méconnus, de trésors enfouis… L’Histoire, quand j’étais enfant, m’était tout à la fois : contes de fée, roman de cape et d’épées, roman initiatique et d’apprentissage, aussi. Ensuite, j’ai eu le privilège de travailler plusieurs années auprès de Jack Lang, qui a considérablement élargi ma vision du Patrimoine. Jusque-là, j’étais le fruit d’une éducation assez bourgeoise, où l’on opposait volontiers la splendeur de l’art ancien à la « décadence » de la création contemporaine. Jack Lang, mais aussi son épouse Monique Lang, ont bouleversé ma façon de voir, en me montrant combien création et patrimoine sont, au fond, la même chose. Les artistes, de tout temps, ont exploré des voies nouvelles, questionné nos évidences, bousculé nos tabous… Qu’est ce que le Patrimoine, sinon la création d’un autre temps ? L’actuelle Présidente du Centre des monuments nationaux, Isabelle Lemesle, nourrit beaucoup mon approche dynamique du Patrimoine : elle insuffle au Centre des Monuments nationaux un véritable élan, qui donne, au métier d’administrateur beaucoup d’attrait. C’est une institution en pleine transformation. Grâce à elle, le Patrimoine n’est plus seulement un acquis : c’est un défi. • Quand avez-vous été nommé au Palais du tau ? Il y a un an et demi, en septembre 2010. • Dans quel établissement avez vous travaillé auparavant ? J’arrive du Val de Loire, de l’un de ses plus célèbres châteaux : Chaumont-sur-Loire. C’était une mission passionnante, car Chaumont-sur-Loire est non seulement un château, mais aussi un festival de jardins de création, et un centre d’art contemporain. • Comment concevez vous votre mission ? Où placez vous plutôt le curseur : patrimoniale, touristique, culturelle ? La fonction d’administrateur des Monuments nationaux est très diverse, et très riche. Elle est en outre, comme je l’ai dit, en pleine mutation, ce qui est plutôt enthousiasmant. Comme chef d’établissement, elle porte autant sur des aspects très techniques (la gestion des ressources humaines, la gestion budgétaire, la sûreté du monument, la sécurité des publics…) que sur des aspects culturels. Le développement des publics est l’un des objectifs
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« Être ambitieux
pour ce que nous proposons au public, c’est le respecter !
»
prioritaires de ma mission. J’ai choisi ce métier par goût du partage avec le plus grand nombre possible. Je suis passionné par le patrimoine, et permettre à tous de le découvrir est véritablement ce qui, chaque matin, me motive. Ce n’est pas uniquement augmenter la fréquentation : il s’agit de s’adresser à tous les publics, notamment à ces publics que l’on dit « empêchés », éloignés de la culture pour des raisons matérielles, structurelles, sociales, financières… La volonté d’Isabelle Lemesle de faire du Palais du Tau un « Monument
pour tous », notamment en y réalisant de lourds investissements pour réaliser l’accessibilité totale du bâtiment aux personnes en situation de handicap, est tout à fait exemplaire et donne vraiment sens à ma mission. • Les établissements patrimoniaux ont, dans l’imaginaire populaire, une image que l’ont pourrait qualifier de poussiéreuse, à l’image d’un vieux grenier familial, et tournée vers le passé, voire conservatrice et passéiste. Quelles
sont les opérations que vous avez mises en place pour donner une image plus contemporaine de votre monument ? Les vieux greniers sont pleins de charme, et je ne cherche pas à « faire » à toute fin du contemporain. La peur de manquer le dernier train conduit trop souvent à se tromper de quai… Cependant, le Palais du Tau s’est toujours inscrit résolument dans son temps, dans sa modernité. Depuis le Ve siècle, les évêques, puis les archevêques, ainsi que les trente-trois rois qui y ont séjourné, notamment à l’occasion de leur sacre, ont toujours fait appel aux bâtisseurs, aux architectes, aux artistes, aux musiciens, aux cuisiniers, en un mot aux créateurs de leur temps, et souvent choisi parmi les plus audacieux ! Depuis les fondations antiques de la Salle Basse jusqu’à la charpente en ciment armé d’Henri Deneux, le Palais du Tau témoigne admirablement des innovations apportées pendant quinze siècles aux arts. Il n’y a aucune raison que cela s’arrête. Le Palais du Tau continue à faire appel aux artistes de son temps, en présentant de grands photographes – comme Gérard Rondeau, Anne Deniau ou Deidi von Schaewen – ou des créateurs actuels. Il ne s’agit pas de « dépoussiérer », mais simplement de rester vivant ! • Votre établissement est un établissement d’État. Quels rapports développez-vous avec les services culturels de la ville de Reims et les élus municipaux en charge de la culture ? Le Palais du Tau appartient à un réseau national de 97 monuments nationaux, placés sous la responsabilité d’un grand établissement public de l’État : le Centre des Monuments nationaux. C’est un grand atout, car il permet au monument de s’appuyer sur les pôles d’expertises nationaux du CMN. Cela lui crée aussi le devoir de tisser avec les acteurs locaux des liens étroits. Nous collaborons d’abord, et c’est naturel, avec les services déconcentrés de l’État, en particulier le DRAC M. Jean-Paul Ollivier, mais également avec les collectivités territoriales. Le Président de Région Jean-Paul Bachy est un visiteur fidèle du Palais du Tau, et le bras armé culturel de la Région, l’ORCCA, nous accompagne régulièrement. Concernant la Ville de Reims, la Maire, Adeline Hazan, porte une remarquable ambition culturelle pour la Ville qui a, en quelques années, rattrapé un certain retard. Le spectacle pyrotechnique du groupe F en 2011, l’invitation de la « Mécanique Savante » de François Delarozière, ou encore la participation du chorégraphe Mourad Merzouki à la mise en lumière de la cathédrale contribuent, avec les grandes scènes rémoises comme Le Ma-
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nège ou la Cartonnerie, à hisser Reims au rang des grandes villes culturelles européennes. Le Palais du Tau veut évidemment participer à cet élan. Les élus municipaux et régionaux ne sont pas les seuls avec lesquels nous travaillons. Le député Catherine Vautrin, par exemple, et le sénateur de la Marne Françoise Férat, auteure d’un rapport parlementaire sur le Centre des Monuments nationaux, suivent avec une grande attention l’évolution culturelle du Palais. • Quelles opérations de restauration ou d’aménagement menez vous actuellement dans votre monument ? Prévoyez vous ouvrir de nouveaux espaces à la visite ou à des activités en lien avec votre équipement ? De grands travaux ont été déjà été conduits ces derniers mois, d’une part pour la mise en accessibilité, d’autre part pour réorganiser les salles. Toutes les fenêtres du Palais, qui étaient obturées, ont été rouvertes, permettant d’admirer la cathédrale, les jardins, l’hôtel du Corbeau… C’est déjà, en un temps très court, une petite révolution. L’antichambre du roi a été rouverte et réaménagée, notamment grâce à un prêt du Musée des Beaux Arts de Reims. Les projets à venir concernent une refonte complète du parcours muséographique, et un aménagement
complet de l’étage de la Reine. • Développez-vous des partenariats avec les acteurs économiques pour soutenir financièrement votre activité ? Bien entendu. Ancrer le Monument sur son territoire, c’est aussi le lier au tissu économique régional. Nous avons la chance d’avoir des mécènes qui sont de véritables partenaires, avec lesquels nous échangeons de manière très constructive. Dernièrement encore, c’est l’un de nos mécènes, M. Barbaras le délégué régional d’EDF Champagne-Ardenne, qui nous suggéré d’enrichir l’exposition sur l’Ange au Sourire avec une référence aux autres symboles de Reims, antérieurs à l’Ange. Nous le ferons, c’est une excellente idée ! Nos partenaires sont également de grandes maisons de Champagne, des banques… • La logique de fonctionnement en réseau est au cœur de l’organisation du centre des monuments nationaux. Quels réseaux développez-vous par ailleurs avec les acteurs culturels du territoire (lieux, artistes, responsables d’établissements, associations, ...) ? Le Centre des Monuments nationaux est un réseau : nous avons donc cette culture de partage et d’échange d’expériences. Le CMN lui-même est lié, par des
conventions, à de nombreux partenaires, comme l’Éducation nationale ; nous déclinons localement ces dispositifs. La convention avec le lycée Arago en est une illustration. Par ailleurs, naturellement, nous travaillons régulièrement avec des écoles – Sciences Po Reims ou l’ESAD -, des associations culturelles comme Nova Villa, et des lieux comme le Manège, le FRAC ChampagneArdenne, le festival Elektricity, la compagnie Pseudonymo qui organise chaque année au Palais du Tau un festival de marionnettes contemporaines au rayonnement international, « Orbis Pictus »... Nous avons la chance, à Reims, de bénéficier de la présence de talents extraordinaires, et de très grands artistes. Il y a des visiteurs réguliers du Palais que j’espère accueillir bientôt pour des interventions artistiques : Yuksek, Brondinski, par exemple, ou encore, dans un tout autre secteur culturel et artistique, Philippe Mille, le jeune et si talentueux chef cuisinier des Crayères. • Enfin, en période de crise économique, pensez-vous que le patrimoine puisse encore être une priorité politique, quant à ses activités culturelles, mis à part le rôle qu’il conservera toujours d’outil permettant aux citoyens de s’identifier à une histoire commune et de vi-
trine touristique ? L’avenir n’est il pas, hélas, dans la culture de masse, à seule visée économiquement rentable ? Le Patrimoine n’est pas seulement une identité ou une vitrine. Il est un acteur économique considérable. En ce qui concerne le Centre des Monuments nationaux, il est le premier opérateur culturel et touristique français, avec plus de 9 millions de visiteurs, un budget de 130 millions d’euros, près de 1 500 emplois directs, sans compter les nombreux emplois induits ! Du reste, son fonctionnement est financé à 75% par ses ressources propres : nous assumons nos missions de service public sans les faire supporter par le budget de l’État. L’établissement public pour lequel je travaille est capable de démontrer que l’on peut à la fois mettre en œuvre une politique culturelle exigeante et séduire un public nombreux. Ce public est plus en plus nombreux du reste, car nous enregistrons des croissances de fréquentation significatives. Au Palais du Tau, nous sommes passés l’an dernier de 53 000 à 68 000 visiteurs. Être ambitieux pour ce que nous proposons au public, c’est le respecter.
AY ME R I C P E N I G U E T D E S TO U TZ - 4 3
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AVRIL MAI JUIN 2012
La Cartonnerie
ÉPILOGUE !
RÊVERIE PRINTANIÈRE
« Le romantique a la nostalgie, comme Hamlet. Il cherche ce qu’il n’a pas, il rêve, il vit dans les songes » (SAINTE-BEUVE, Les causeries du lundi, 12 avril 1858)
I
11 BARCELLA BEN RICOUR
VEN MAI
GUEKO 12 SETH YORONER I DJ KEMAR
SAM
FEAR THE BEAT 24 CABARET AVEC DOPE D.O.D. I SHABAZZ PALACES I GUEST JEU MAI
CHARLOTTE GAINSBOURG 26 LIVE AVEC CONNAN MOCKASIN PREMIÈRE PARTIE SAM MAI
31 CAMILLE PREMIÈRE PARTIE JEU MAI
JEUNES TALENTS 02 TREMPLIN AVEC MUZZ’X I THE NORTHERN LIGHTS I LE SINGE SAM JUIN
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CYCLE MUMA I PROJECTION SPÉCIALE BACK IN TIME #4
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MAI
# pour les abonnés, une place achetée = une place offerte
KIDZ #11 23 CARTO AVEC FILLS MONKEY MER
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MAI
M 08 PAPA PALAU DEL VIDRE VEN JUIN
IN TIME #4 09 BACK AVEC THE EXCITMENTS SAM JUIN
INTENSIFIED I THE QUALITONS MALIK ET DJ BREIZHMATAZ (SELECTEURS)
nstallé en terrasse, je délaisse le roman dans lequel je m’étais plus ou moins intensément plongé avec le but inavoué d’échapper à l’ennui d’une époque sans panache. Je lève enfin mon regard enfumé et ébloui de chaleureux rais solaires afin d’observer le petit groupe attablé à quelques mètres de mon espace vital. Pourtant, ces personnes semblent à première vue soucieuses de se fondre dans un moule impersonnel, dont la fadeur essaie de rivaliser avec l’évidente absence de goût. Émergeant de ce lot, une jeune femme à l’élégance intemporelle et à l’insolente beauté froide et classique, éclaire cette banale assistance de son maintien et de ses gestes simples et délicats, jouant une chorégraphie monochrome que l’on pourrait croire issue d’un film des 60’s. Habillée d’une robe légère, elle dévoile, en tacite promesse à l’imagination, la longueur infinie de ses jambes, magnifiant ses reliefs d’odalisque. Sa sculpturale beauté se révèle par ses imperfections imperceptibles : un port de tête altier sur une ligne de cou oblique imaginée par un sculpteur hellénique, un regard profond et distant souligné d’une bouche au sourire énigmatique dessinés par un maître de la Renaissance... Je regrette soudain de ne pas converser avec cette incarnation vénusienne dont l’esprit, à n’en pas douter (et n’est-ce pas ce qui prime ?), rendrait cette apparition particulièrement enrichissante. C’est lors de ces superficiels moments que presque tout peut être oublié, jusqu’à soi. Public et acteur d’un spectacle en apparence gratuit, offert en intimité et liant, sans suite, deux univers par une indéfinissable matière noire... Sidérale. Cette élégance de la simplicité, comme autant de parties d’une œuvre d’art composite, apaise les esprits d’une rêverie printanière, du moins le mien. Un esprit qui aujourd’hui flâne en terrasse, les beaux jours revenus, en y dégustant un rare nectar, et s’évade un instant infime et hors du temps, en d’inavouables rêveries romantiques, fenêtres sur un ailleurs différent, à défaut d’être meilleurs. Cet ailleurs, que l’on peut pareillement trouver en visitant une exposition ou en écoutant un concert qui pourraient susciter une intense émotion, offre autant d’invitations au voyage, un voyage investi solitairement qui crée inexorablement un besoin de salutaire partage. Le printemps est bien là. Soyons donc rêveurs ! (Alexis Jama-Bieri)
Journal à parution bimestrielle. Prochain numéro : juillet août 2012 (Hors série #2 spécial Danse) CLGB Open Art Revue est édité par l'association CLGB. CLGB Open Art Revue est une marque déposée. Tous droits réservés. Toute reproduction même partielle est interdite sans autorisation. CLGB Open Art Revue décline toute responsabilité pour les documents remis. Les textes, illustrations et photographies publiés engagent le seule responsabilité de leurs auteurs et leur présence dans le magazine implique leur libre publication. À Reims, CLGB Open Art Revue est disponible gratuitement dans plus de 330 points partenaires. À Monaco, CLGB Open Art Revue est disponible gratuitement dans plus de 220 points partenaires, avec le soutien de la Fondation Prince Pierre et de la Fondation Albert II.
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