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Hors-série

Open Art Revue Octobre Novembre Décembre 2012

Troyes

Spécial

Eugène Van Lamsweerde © Inez & vinoodh


RSE Encart CLGB 28,5x41_Mise en page 1 25/09/12 16:57 Page1

Mot du Maire • 30e anniversaire du Centre d’art contemporain / Passages Texte / François Baroin, Maire de Troyes • Photo / Daniel Le Nevé

L

e Centre d’art contemporain / Passages prend une part active au dynamisme culturel de notre cité et je saisis cette occasion pour saluer le travail qui est réalisé au quotidien, en termes de production et de diffusion de l’art contemporain mais aussi de sensibilisation du grand public, avec cette volonté et cette passion de partager et de transmettre les savoirs et savoir-faire. La Ville de Troyes s’associe avec enthousiasme à la célébration de ce 30e anniversaire, qui montre le chemin parcouru par ce lieu culturel, aujourd’hui bien ancré sur notre territoire. Par la richesse des expositions proposées, l’accueil des artistes en résidence, la promotion de la création contemporaine, le Centre d’art contemporain / Passages est devenu en 30 ans un véritable lieu ressource, qui contribue au rayonnement culturel et artistique de notre ville. Preuve supplémentaire de la qualité de sa programmation : cet espace culturel est aujourd’hui l’unique

ERIC FOURNEL

centre d’art contemporain de la région ChampagneArdenne conventionné par le ministère de la Culture et de la Communication. J’aimerais également souligner le choix de l’artiste mis en lumière à l’occasion de cet anniversaire : Eugène van Lamsweerde, sculpteur, peintre et dessinateur. Reconnu dans le département et bien au-delà, il figure parmi les artistes locaux les plus créatifs, comme en témoigne l’originalité de ses sculptures. La rétrospective qui lui est consacrée permet au plus grand nombre de découvrir son œuvre. Les expositions organisées dans différents sites de la ville constituent des occasions de sorties, d’échanges et de partage, qui contribuent au développement du lien social et à la vitalité de la cité. Je remercie les organisateurs et les partenaires de ce grand événement qui offre aux Troyens et Aubois des moments enrichissants et épanouissants.

+ Le Centre d’art contemporain / Passages et l’exposition Eugène Van Lamsweerde +

MAJA MARINKOVSKA

+ Rencontre émotionnelle avec l’œuvre +

EUGÈNE VAN LAMSWEERDE

Bernard Quesniaux 2012

CHRISTIAN NOORBERGEN PIERRE BALAS

FLORENCE DERIEUX @scenesdeurope

+ Les fins territoires d’Eugène Van Lamsweerde +

+ La rencontre artistique +

LAURENT INNOCENZI

03 26 35 61 12 www.scenesdeurope.eu

+ La structuration de l’espace +

ROGER BALBONI

+ La commande publique l’Air et les Songes à Langres +

+ Les sculptographs ou la photographie plastique +

+ L’exposition : « Lamsweerde, Sculptures Récentes, 1983 » +

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bulthaup b3 suit des convictions, et non des tendances éphémères.

ERIC FOURNEL + LE CENTRE D’ART CONTEMPORAIN / PASSAGES ET L’EXPOSITION EUGÈNE VAN LAMSWEERDE + + EXPOSITION DU VENDREDI 26 OCTOBRE AU VENDREDI 14 DÉCEMBRE 2012 +

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Texte /

Alexis Jama Bieri • Photos pages 5 et 7 / © Daniel Le Nevé / Ville de Troyes • Photo page 8 / © studio Didier Vogel

N

é en 1982 de passionnés d’art contemporain, le Centre d'art contemporain / Passages est un des lieux fondateurs de la structuration des lieux d’art contemporain en Champagne-Ardenne. Lieu conventionné avec l’État, géré par une association loi 1901, le Centre d'art contemporain / Passages développe son action dans l’objectif de susciter et maintenir une dynamique locale et régionale en faveur de la création actuelle à destination des différentes catégories de publics et favoriser la création la plus récente en offrant un lieu ouvert à de jeunes artistes pour la production d'œuvres spécifiques, mais aussi établir des liens à l'échelle européenne et internationale en présentant l'état de la création actuelle étrangère. Ce lieu d’art propose donc des expositions, organise des résidences d’artistes, des ateliers de pratiques et des conférences. Éric Fournel, directeur du Centre d'art contemporain / Passages, revient sur une des figures artistiques qui a marqué, qui marque et qui marquera le centre d’art par son œuvre et sa personnalité : l’artiste Eugène van Lamsweerde dont les œuvres seront exposées au Centre d’art à l’occasion des 30 ans du centre d’art. E RI C F O URNE L - 05


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« Eugène Van

Lamsweerde pratique un art qui a pour fondement les expérimentations de l’art moderne avec les brèches ouvertes de l’artiste Marcel Duchamp(...) C'est tout ce que j'aime

»

• Peux-tu te présenter ? Diplômé de l’École Supérieure d’Arts Appliqués de Troyes, je suis graphiste designer de profession et collabore avec les différents champs de la création. Je suis curateur de différentes expositions autour du design, du graphisme et de l’art contemporain. Les médiathèques et les musées me sollicitent tour à tour pour la réalisation de projets scénographiques. Passionné avec ma femme et notre fille d’architecture, il y a à peine cinq ans, nous avons entrepris de réaliser un projet personnel et professionnel axé sur une architecture contemporaine d’habitation et d’unités d’hébergement sur notre terre d’origine qu’est le département des Ardennes. Après 18 ans passés dans l’Aube ; aujourd’hui, je me partage entre l’Aube et les Ardennes. Ce qui n’est pas sans me déplaire ! • Comment es-tu venu à la direction d’un centre d’art ? Membre du bureau du Centre d’art contemporain / Passages depuis près de 15 ans et amateur d’art, c’est donc tout naturellement que je succède, fin 2008, dans un premier temps par intérim, à Françoise Gibert avec la ferme volonté de donner une nouvelle vitesse de croisière au Centre d’art contemporain / Passages. Suite à une première réunion avec les partenaires financiers, le bureau et les membres du Conseil d’administration du Centre d’art contemporain / Passages ; il m’a été confié la responsabilité administrative et la gestion de la vie du Centre d’art jusqu’au recrutement d’une nouvelle direction programmé, à cette époque début 2010 où j’ai eu l’immense joie de me voir confier la direction du Centre d’art contemporain / Passages. L’engagement du Ministère de la culture vers une démarche de consolidation et de développement de la cinquantaine de centres d’art en France est l’occasion de proposer un projet de restructuration du Centre d’art contemporain / Passages accompagné d’un Projet artistique et culturel pour les années à venir, qui tout en conservant ses acquis, offre des possibilités, à la mesure des enjeux de l’art contem-

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porain en Champagne-Ardenne avec un rayonnement au-delà de la frontière régionale. • Peux-tu présenter plus précisément le Centre d’art contemporain / Passages ? Créé en 1982 dans l’effervescence d’une actualité tant politique qu’artistique qui voulait à tous crins se décliner sur le mode de la décentralisation, le Centre d’art contemporain / Passages s’est imposé très tôt en Champagne-Ardenne comme l’un des relais les plus actifs de la région. Le Centre d’art contemporain / Passages a tout d’abord été installé dans les espaces aux allures de maison particulière d’une vieille fabrique de bonneterie. Depuis 1999, outre un système d’aide à la production qui permet au Centre d’art contemporain / Passages de se situer en amont de la création, le site Ginkgo sur lequel il se trouve dispose de 2 résidences et de 10 ateliers d’artistes l’assurant ainsi d’être au plus près du vivant artistique. Le Centre d’art contemporain / Passages n’a eu de cesse, au fil du temps, d’affirmer sa vocation de lieu de diffusion et de promotion de la création artistique contemporaine en développant un panel d’activités multiples. Soucieux de faire valoir la richesse et l’éclectisme d’une production artistique, il s’est appliqué à proposer tout un programme d’expositions temporaires dont la seule liste dit son ouverture d’esprit. S’il peut ainsi se vanter d’avoir montré, à leurs débuts, des artistes comme Jean-Michel Alberola, Ange Leccia, Sylvie Blocher, John Coplan ou Éric Aupol, il n’a pas manqué aussi de présenter des figures plus chevronnées comme Raymond Hains, Gérard Garouste et Gina Pane. Comme l’ensemble des Centres d’art en France, le Centre d’art contemporain / Passages poursuit sa mission de service public, par l’accueil d’artistes en résidences, la programmation d’expositions révélatrices des enjeux de l’art actuel, dans toute sa diversité de techniques, d’horizon, sur un plan local comme international, par l’aide à la création et à la diffusion des œuvres.

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• Peut-on dire que le Centre d’art contemporain / Passages intervient comme un relai entre institutions, lieux et artistes ? On peut effectivement parler de « passage » en relais, dans la mesure où les partenaires institutionnels, l’État, par la Direction régionale des affaires culturelles, la Région Champagne-Ardenne et l’Orcca, ainsi que la Ville de Troyes ont accepté de signer ensemble une Convention avec le Centre d’art contemporain / Passages pour affirmer plus solennellement et dans la durée leur soutien au développement de l’art contemporain. Enfin dans ces circonstances d’un bilan et de perspectives, il est logique que les priorités dans les choix de programmation, d’accueil des artistes et de développement des publics soient réexaminées. • Quels événements y organisez-vous ? Outre un programme annuel de 4 expositions, le Centre d’art contemporain / Passages accueille également jusqu’à 3 artistes en résidence dans et hors les murs. Pôle structurant, la résidence est un formidable outil d’intégration du territoire, un moment vivant, habité, qui multiplie les occasions d’échanges fructueux, à la fois pour l’artiste et bien sûr pour le public. De même, l’existence d’un lieu ressource, une collaboration étroite avec la médiathèque du Grand Troyes permet aussi, à ceux qui le souhaitent, de bénéficier d’une documentation sur l’histoire et l’actualité artistique contemporaine. • Concrètement, cette mise en réseau est un réel vecteur de dynamique culturelle ? Cette mise en réseau des projets artistiques crée des synergies en faveur de tous les publics, en particulier le public jeune, pour lui permettre un accès direct à la connaissance d’œuvres contemporaines, dont certaines formeront, à n’en pas douter, le patrimoine artistique de demain. C’est aussi l’occasion

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de découvrir la diversité et la pluralité des pratiques culturelles par une médiation facilitée du fait de la présence des artistes sur les lieux d’expositions. • Quelle place joue la médiation dans vos actions ? L’accueil du public est notre quotidien. La médiation doit s’attacher à le fidéliser et à l’élargir, sans pour autant remettre en cause la politique d’excellence et d’expérimentation qui est au cœur de notre mission. Nous favorisons la meilleure rencontre possible avec les œuvres et les artistes. À cette fin, le Centre d’art contemporain / Passages est porteur d’une mission éducative, qui se traduit par la programmation régulière d’actions de sensibilisation et de formation, et plus particulièrement dans le cadre de la coopération avec l’Éducation nationale. Sous forme expérimentale, car nous nous remettons en cause en permanence, nous développons l’expression artistique, la communication orale, les cours et tout ce qui peut faciliter l’accès aux repères historiques et esthétiques à partir desquels se développe l’art contemporain. • Avez-vous une politique d’acquisition d’œuvres ? Non, nous laissons cette mission aux Fonds régionaux d’art contemporain présents dans chaque région de France. • Quels rapports entretient le centre d’art avec les collectionneurs, les galeries et établissements d’art contemporain en Région et à Paris ? Ils font partie de nos premiers contacts, bien avant la rencontre avec l’artiste ou l’œuvre. En effet, en ce qui me concerne, je suis à leur écoute. Ils me renseignent énormément et ils me facilitent le travail de veille surtout pour les artistes émergents. • Quelle est la particularité du territoire troyen

en matière d’art contemporain ? C’est la seule ville de Champagne-Ardenne à avoir abrité, en même temps, à leurs débuts, un Fonds régional d’art contemporain et un Centre d’art contemporain. Toutefois, je ne pense pas que Troyes peut s’enorgueillir d’avoir une particularité en matière d’art contemporain. • Pour toi, qu’est-ce qui caractérise l’art contemporain aujourd’hui ? C’est un art qui suit de très près les avancées technologiques. L’artiste s’en sert comme d’un instrument et en invente de nouveaux. Il se base sur la culture historique et également les faits d’actualités. Il recherche, expérimente, prend position. Il se veut démonstratif ou choquant, en tout cas il cherche la médiatisation. • Peux-tu nous parler de l’événement organisé à Troyes dans le cadre des 30 ans du Centre d’art contemporain / Passages et plus particulièrement de l’événement à caractère rétrospectif autour de l’artiste Eugène van Lamsweerde ? Pour l’année de son trentième anniversaire, le Centre d’art contemporain / Passages souhaitait créer un événement particulier. Le projet repose sur 50 ans de production artistique de l’artiste aubois Eugène van Lamsweerde, réalisé autour d’une série d’expositions, le temps du dernier trimestre 2012 et dans 5 lieux différents de la ville de Troyes. À savoir qu’Eugène van Lamsweerde, au début des années 80, a été parmi les premiers artistes à exposer au Centre d’art contemporain / Passages. • Peux-tu nous parler de ta rencontre avec l’œuvre d’Eugène van Lamsweerde ? Je trouve qu’Eugène van Lamsweerde pratique un art qui a pour fondement les expérimentations de l’art moderne avec les brèches ouvertes de l’artiste Marcel Duchamp, vu

comme le précurseur et l’annonciateur de certains aspects les plus radicaux de l’évolution de l’art à la fin de la seconde Guerre mondiale. C’est tout ce que j’aime ! C’est une réponse un peu égoïste, mais j’aime partager ce que j’aime.

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• Et de ta rencontre avec l’artiste ? La rencontre est récente, elle date d’il y a à peu près deux ans. Cette rencontre a eu lieu grâce au troyen Christian Noorbergen qui a facilité la rencontre.

+ RENCONTRE ÉMOTIONNELLE AVEC L’ŒUVRE + Texte /

Alexis Jama Bieri • Photos / © Crapaud Mlle

M Centre d’art contemporain / Passages 9 rue Jeanne d’Arc, Troyes. Du lundi au samedi, de 14h à 18h.

EXPOSITION DU VENDREDI 26 OCTOBRE AU VENDREDI 14 DÉCEMBRE 2012 Vernissage le jeudi 25 octobre 2012.

aja Marinkova, jeune sociologue et historienne de l’art, Slovène, s’exprime avec la musicalité de sa langue sur l’œuvre d’Eugène van Lamsweerde : « Če se v začetkih njegove skulpture še pojavi figura ali nekaj podobnega njej, kar se postopoma abstrahira, se v nekem trenutku umetnik popolnoma podvrže principu skladatelja, ki ima na voljo veliko materiala, iz katerega sestavi neko povsem novo kompozicijo. Začne se še danes trajajoče obdobje abstraktnega konstruiranega kiparstva preprostejših in kompleksnejših pretežno geometrijskih oblik iz industrijskih materialov, ki so sveži in originalni nadaljevalci idej, kakršne vidimo v Tatlinovih skoraj sto let starih konstruktivističnih skulpturah, v preprostih geometrijskih oblikah Georgesa Vantongerlooja, ter v čistih kiparskih oblikah Naum Gaba. ». C’est un fil de sensibilité continue, naturellement subjectif et variable, qui de l’artiste au public, en passant par le sociologue, exprime une émotion face à un environnement, une œuvre ou un ressenti de cette œuvre. Son mémoire s’attache à analyser et cerner l’immensité et la complexité de l’œuvre d’Eugène van Lamsweerde, sculpteur, dessinateur, peintre…

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« Dans son travail, l'argile,

la pierre, le bronze, le bois, le plastique, les métaux, le Plexiglas, le tissu mais également des objets trouvés apparaissent tour à tour de façon autonome ou dans des associations surprenantes où ils expriment leur singularité et leur code élémentaire

»

• Peux-tu te présenter ? Je suis historienne d'art. J'ai étudié la sociologie de la culture, mais j'ai suivi au départ une formation musicale qui a duré dix années. J'ai toujours su que je voulais travailler dans le milieu de l'art, c'est ce que j'aime et c'est ce qui m'a toujours intéressé. Je ne me suis donc pas posé d'autres questions en ce qui concernait mon avenir et j’ai par conséquent commencé à travailler tôt, notamment ces cinq dernières années comme conservatrice et critique d'art. • Quel type de musique as-tu étudié ? J'ai étudié la guitare et la batterie. J'ai par ailleurs toujours adoré jouer du piano : c'est l'une des choses que je pratique le plus. • Et c’est la musique qui suscite chez toi les plus grandes émotions artistiques ? Non, car j'ai rapidement compris que le choix de mon métier allait être connecté à l'art visuel, lorsque je suis allée à Florence pour la première fois. J'ai ainsi reçu un grand choc émotionnel que je n'avais jamais ressenti auparavant devant le David de Michel Ange. Jusqu’à cet instant, c'est la musique qui me donnait ce genre d'émotions, mais là ce fut la première fois qu'une œuvre d'art suscitait chez moi ce genre de réaction. C'est ainsi qu'une nouvelle option m'est apparue et il était normal que les travaux d'Eugène van Lamsweerde provoquent sur moi cette même réaction. C'est cela que je considère comme un art pur, l'art avec un grand A. • C’est donc là qu’est née ta vocation pour l’étude de l’art ? C'est ensuite que j’ai ressenti l’envie d'étudier l'histoire de l'art et la sociologie de la culture. Ces approches intellectuelles envisagent l'art dans un contexte plus large, ce qui était plus intéressant pour moi. Avec mon métier d'historienne de l'art, j'ai par ailleurs découvert qu'écrire, qui constitue un travail très créatif, me permettait plus facilement d'exprimer ce que je ressentais. Toutes ces approches sont pour moi une combinai-

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son parfaite qui me satisfait pleinement ! • D'après ce que tu dis, tu as eu un choc artistique avec l'art de la Renaissance. Pourquoi t'intéresser à l'art contemporain ? Oui, mais cet art qui était un art de commande s’est transformé en un art libre depuis 150 ans, c'est-à-dire depuis le milieu du XIXème siècle, quand les artistes ont commencé à exprimer et peindre réellement ce qu'ils ressentaient. Pour moi l'art n'est pas connecté à une période, ni au temps, au style ou à quelque chose comme ça. Quand je regardais le David, je savais peu de choses sur Michel Ange, je savais peu de choses à propos des dates, mais cela n'avait pas d'importance. C'était un moment d’une intense pureté devant une magnifique œuvre d'art où je me suis sentie en communion avec l’artiste, et c'était la seule chose qui importait. Cela n'avait aucune importance, si cette œuvre avait été réalisée durant la Renaissance ou le XIXe siècle, ou encore, si cela avait été fait hier. Ce genre d'œuvre survivra et aura toujours quelque chose à nous apprendre, à nous dire. Par contre, le contexte dans son ensemble de la réalisation de l’œuvre, est un autre point. On peut étudier une œuvre d'art de par son contexte historique, temporel ou alors l’étudier par la connexion intellectuelle et émotionnelle que l'on a avec. A vrai dire, je ne pense pas que l'artiste durant la Renaissance ait été restreint ou limité, c'était juste l'époque dans laquelle ils vivaient. Pour eux, c’était normal de créer pour répondre à une commande car ils ne connaissaient pas d'autres façons de faire. Mais je ne pense pas qu'ils se soient empêchés de s'exprimer. Donc, pour toutes les époques nous parlons de la même chose, le fond est le même : un artiste reste un artiste, c'est juste la forme qui change avec l'Histoire et le temps. • As tu fini tes études universitaires ? Oui j'ai fini mes études, j'ai écrit deux thèses, une d’histoire de l'art, et une de sociolo-

gie de la culture. Ce mémoire-là est ma troisième étude, totalement différente d'ailleurs ! • Dans quel domaine te destines-tu à travailler ? J'adorerais travailler comme je l'ai fait avec Eugène, comme quelqu'un qui écrirait à propos de l'art. Trouver un artiste ou être trouvée par un artiste cela n'a pas d'importance, un artiste que j'admirerais, qui m'intéresserais, avec lequel j'aimerais être connectée. J'aimerais être capable de choisir avec qui je peux travailler. En ce moment, je travaille dans une galerie d'art, je pense que si tout va bien, je continuerai d’y travailler comme conservatrice. Mais c'est difficile en Slovénie, tu ne peux pas vraiment choisir dans quel domaine ou art visuel tu veux travailler, il n'y a pas beaucoup d'emplois, ou alors ils sont mal payés. J'ai eu beaucoup de chance de travailler tôt, j'ai commencé durant mes études à travailler de mon coté, ce qui m'a donné beaucoup d’expériences. Si cela pouvait durer ainsi ce serait bien. • Pourquoi avoir choisi d'étudier l'œuvre d'Eugène van Lamsweerde ? Comme pour le David, quand j'ai vu la première fois une œuvre d’Eugène van Lamsweerde, j'ai ressenti sa présence, et ce fut cette présence, ce sentiment que l'objet est vivant et qu'il possède sa propre objectivité qui m'a attirée. Par conséquent, ce travail m'a intéressée depuis le début, et puis c'était une belle occasion d'avoir une autre expérience, de travailler d'une manière différente. C’est une sorte de rendezvous avec son œuvre, pour réfléchir sur son travail d'expression, et exprimer ce que j'en comprends... C'était alors un challenge pour moi, une chose que je n'avais jamais effectuée auparavant, et ce fut une opportunité formidable ! • Qu'est-ce qui t’interpelle dans le travail d'Eugène ? J'expliquai précédemment que je comprends son travail dans

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un sens phénoménologique. Ses travaux sont vivants, ils ont leurs propres présences. Ils sont bien sûr en lien avec Eugène, mais tu n'as pas besoin de connaître beaucoup de choses sur lui, car tu es celui qui lit, qui observe cette œuvre particulière, tu es celui qui peut la comprendre de différentes façons, qui peut la voir chaque fois d'une manière particulière. Et je pense que c'est la plus belle partie de son travail. Ses œuvres vivent leurs propres évolutions et lorsque l'on change, elles changent et nous pouvons alors les voir différemment, à chaque fois ou peut-être au même moment. C'est la liberté de l'observateur qui devient une partie importante de ces œuvres. • Lorsque tu regardes l'une de ces œuvres, imaginestu, au-delà du visuel, une musicalité ? Oui mais cela dépend quand et avec qui ! Si tu regardes par exemple les peintures d’Eugène, tu peux trouver une connexion entre la musique et l'art visuel, mais cela dépend toujours avant tout de l'artiste et enfin de ta personnalité. • Comment situes-tu son apport dans l'art contemporain aux XXe et XXIe siècles ? Je ne suis pas sûr de répondre à la question, mais c'est une question abstraite... Je n'aime pas le comparer à d'autres au niveau du style ou des règles de son art, car je pense que ce n'est pas juste pour l'artiste. Je pense que c'est exactement ce que j'expliquais précédemment, il y a dans ses œuvres un '' espace ouvert '', une liberté dont chacun dispose, car son art est si basique (dans le sens positif du terme), si ouvert et honnête que chacun peut y trouver quelque chose. Quand un artiste travaille sincèrement, honnêtement, c'est la meilleure chose qu'il puisse donner, donc si vous pouvez reconnaître cette générosité dans son art, c'est la seule chose qui importe. Son art survivra. Il peut te dire quelque chose aujourd'hui ou demain, mais il te dira toujours quelque chose, même dans une centaine d'années ! Eugène a une approche très classique. Il parle de l'expression visuelle de façon très traditionnelle, ses sujets sont aussi très universalistes et ne sont pas connectés à la politique, aux idéologies, ou aux actualités qui se passent de nos jours et ils ne se rapportent à rien de personnel. Il se place au-dessus de tous ces problèmes terre à terre qui agissent sur la vie et qui sont souvent des sujets communs en art contemporain. C'est pourquoi j’affirme que ses œuvres survivront toujours, car les gens sont toujours en train de poser les mêmes questions depuis 1000 ans... Et lui, il est connecté à la date limite, tu sais, quand une autre forme apparaîtra de son art après 200 ans, après 50 jours, peu importe ... Il réagit juste au matériel qui l’invite et nous transmet la spiritualité qu'il ressent. C'est ce qui le rend spécial. • Quelle est la différence entre tes thèses faites à l'université et ce mémoire réalisé hors études ? La seule chose qu'ils ont en commun, c'est qu'ils sont très longs ! Mais tous les autres aspects sont totalement différents. Eugène m'a donné toute la liberté pour choisir les sujets, comment les organiser et les écrire... Le début fut le plus difficile à organiser : savoir comment faire, mettre tout ensemble, voir la forme et coordonner le texte. J'ai également décidé de ne pas utiliser de dates, ce qui est pourtant la base de toute thèse que l'on écrit à l'université où vous travaillez toujours autour des dates car c'est la chose la plus importante, et votre point de vue vient après. Mon texte concernant Eugène fut totalement à l'opposé. J'ai eu la chance de vraiment pouvoir observer son art pour en concevoir ma propre vision. Je ne voulais pas lire ses textes, je voulais rester « vierge » d’influences, sans être limitée par la vue d'autres critiques. Cette démarche est à l'opposé de notre ''apprentissage scolaire'' qui consiste à faire lire les critiques avant, à effectuer des recherches puis enfin faire découvrir l'œuvre. Pour ce mémoire sur l’œuvre d’Eugène, j’ai principalement travaillé à partir de mes notes sur nos discussions et nos débats et de mes photographies. Ceci provoquait évidemment un effet totalement différent de l’œuvre vue en réalité, mais cela m'aidait à réfléchir, à me souvenir, à avoir du recul. C'était une expérience vraiment incroyable et belle ! • Combien de temps a duré ton travail sur ce mémoire ? Presque un an, avec le travail de recherches. • Si tu devais décrire ta découverte de l’œuvre d’Eugène van Lamsweerde en une phrase ? C'est difficile car son art est si minimaliste... Je dirais que c’est « le mystère de la vie exprimé par l'esprit ».

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• Peut-être pourrions-nous aussi citer quelques passages de ton mémoire :

Vivre pour l'art A priori, à propos d'un homme dont le nom contient la particule «van», et qui, en plus, est réellement propriétaire d'un château où séjourna entre autres Voltaire, les termes d'humilité et de modestie ne viennent pas nécessairement à l'esprit. De surcroît, si cet homme est chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres, que vingt-trois de ses sculptures sont exposées en Europe, et que ses œuvres font partie de cinq collections publiques de renom, ce sont avant tout les mots d'arrogance, de suffisance, voire même de snobisme un brin aristocratique qui jaillissent spontanément... Toutefois, rien ne saurait être plus éloigné de la vérité que ces dénominations superficielles. Et ces stéréotypes s'évanouissent d'un coup lorsque l'on rencontre Eugène van Lamsweerde, et que l'on plonge dans sa longue carrière artistique qui concerne à la sculpture, de la peinture et du dessin.

La poétique du vide De par le mode de création utilisé, où l'intuition et le subconscient l’emportent sur la raison, toutes les œuvres de l'artiste se caractérisent par l'absence de fidélité à un style donné, à l'uniformité ou à la répétition. Elles révèlent, au contraire, une incroyable liberté, visible aussi bien dans leur diversité formelle, presque éclectique, que dans le nombre de chapitres achevés ou en cours, dans la recherche technique et dans le nombre incalculable de matériaux employés. Dans son travail, l'argile, la pierre, le bronze, le bois, le plastique, les métaux, le Plexiglas, le tissu mais également des objets trouvés apparaissent tour à tour de façon autonome ou dans des associations surprenantes où ils expriment leur singularité et leur code élémentaire. Chaque matière possède sa propre langue, ses propres vibrations, ses spécificités naturelles telles que la couleur, le son et le mouvement, éléments que l'artiste, par le biais d'éléments primaires, utilise pour transformer une réalité physique en un état spirituel. Toutefois, dans son traitement des matériaux, van Lamsweerde ne se contente pas de se conformer aux règles établies, il reconnaît à chacun son autonomie et brise les stéréotypes afin que ses interventions techniques et rationnelles se combinent au sens et à l'esthétique. Dans toute son œuvre, les matériaux sont, de par leur identité, leur forme, leurs relations, leur ligne et leur couleur, ainsi que par leur densité et leur netteté, vecteurs d’une grande diversité de langage abstrait. Le rôle principal de leur forme, qui en elle-même est déjà très éloquente, témoigne également de l'absence de tout contenu mimétique, objectif, univoque et bien sûr, iconographique. Toutefois, il est un élément qui, dans certaines œuvres intéresse l'artiste plus consciemment que dans d'autres, et que l'on retrouve dans toutes les disciplines, indifféremment des techniques employées. C'est l'espace – vide que van Lamsweerde traite comme n'importe quel autre matériau et contenu signifiant.

La liberté de l'abstraction Dans tous les cas, nous ne pouvons pas comprendre les œuvres de l’artiste sans prendre en considération les éléments matériels intégrés et les espaces relatifs, lesquels semblent «modelés» et agissent comme un «négatif» qui façonne la sculpture et l'enveloppe là où le matériau est absent. Les espaces absolus et relatifs de ses constructions se fondent les uns dans les autres. Cela est perceptible notamment dans les œuvres plus importantes ainsi que dans les sculptures publiques où il est possible «d'entrer», et où le corps humain, du spectateur ou du passant, doit également être pris en compte, car il constitue, lui aussi, une part entière de la sculpture, à un moment donné, lorsqu’il y pénètre ou dialogue avec elle. (…) Le monde de l’artiste n’est pas plain. La superficie de la base est animée de plis, de creux et de courbes, comme une feuille de papier, et chaque forme est un piège ou plutôt une attraction avec lesquelles l'espace joue, grimpant sur des pentes abruptes, glissant vers l'infini ou se balançant sur des éléments suspendus. En se consacrant à l'espace, van Lamsweerde renverse tout ce à quoi nous sommes habitués, et il déstabilise notre perception du haut et du bas en s'opposant aux forces de gravitation.

Comment saisir l'espace ? En plus du matériau choisi, de son mode de traitement, du fait de le travailler seul ou combiné à d'autres éléments, van Lamsweerde ne cesse de réfléchir à la façon dont il va allier sa sculpture à l'espace et attirer ce dernier. Il est convaincu que l'espace change en fonction des environnements auxquels il est associé. Afin de lui laisser la plus grande marge de manœuvre possible, il s'efforce donc de modeler des formes extrêmement discrètes qui tendent vers une réduction progressive de la masse.

Le langage des matériaux Si jusque-là, le travail de l'artiste était, homogène, du point de vue des matériaux employés, il est désormais impossible de le classer dans une même catégorie tant il est diversifié et présente des combinaisons et des variations multiples. Les sculptures naissent à partir de plexiglas léger et coloré, de métal massif, de bois naturel, de tuyaux en plastique, de lourdes constructions en aluminium tollé mais également de rouleaux de matériel transparent combiné à de l'acier. L'artiste marie des matériaux bruts et lourds, les associe à des éléments légers et fragiles, à des métaux nobles, et toutes ces matières, intégrées dans une même histoire, créent une tension et des contrastes qui intriguent le spectateur. Il installe ses sculptures dans des contextes nouveaux et nie leurs caractéristiques naturelles, leur poids et leurs fonctions premières. (…) L'artiste s'amuse avec des combinaisons de matériaux inhabituelles, chacun affichant sa texture, sa densité et sa massivité. Toutefois, leur association n'est pas le fruit du hasard et dépend de la capacité de l'artiste à transformer les matériaux utilisés en une nouvelle unité esthétique, sémantique et énergique.

Les connexions Dans le cadre des constructions métalliques, nous avons déjà évoqué le fait que l'artiste s'intéressait au contact entre les différents éléments, et qu'il accordait une attention particulière à ce qui les reliait, à la façon dont ils s'articulaient, s'emboîtaient ou même s'évitaient. Chaque contact possède sa propre charge. Lorsque deux éléments s'associent, ils deviennent un tout et modifient l'espace autour d'eux, le dispersent ou le dissimulent dans de petits angles. Toutefois, même lorsque deux éléments ne sont pas joints mais simplement placés l'un à côté de l'autre, l'espace entre eux est animé d'une tension comparable à celle que nous ressentons lorsque nous sommes à côté d'un corps animé ou non (nous savons tous comment caresser un chat sans le toucher!), et qui est fonction de la sensibilité de chacun. L'espace entre deux personnes n'est pas juste vide. Il est chargé d'une tension perceptible. C'est pour cette raison que l'artiste laisse, dans ses œuvres, de petits espaces entre deux éléments côte à côte, telles deux bouches prêtes à s’embrasser. Des contacts «pars pro toto» entre différents éléments peuvent s'avéraient spirituels, comme lorsque des ciseaux attaquent la sculpture ou lorsque sculpture et ciseaux s'attaquent mutuellement, leur interaction étant littérale et narrative.

Suggestions Dans certaines œuvres, les caractéristiques que nous avons évoquées précédemment ne sont d'aucun secours tant elles sont insaisissables, et notre seul paramètre repose sur les suggestions qui résultent de notre observation et qui varient d'un individu à un autre. C’est une sorte de dialogue dont même l'auteur n'est pas exclu. (…)Dans quelques rares exemples, nous pouvons entrevoir certains épisodes de la vie privée de l'artiste. Ici, entre autres, le lien avec le frère de l'artiste semble évident. «Mon frère jumeau est mort à sept ans – quelques années plus tard, on inventait la pénicilline... Il est mort avant d'avoir commencé à vivre, moi, je vais avoir quatre-vingts ans de vie, d'expériences, de tout... Personne ne peut me dire pourquoi ma vie est si riche. Près de moi, il y a une fleur, parfaite, partie de rien. En ce moment précis, quelque chose d'inconnu est en train de nous arriver à des années-lumières de nous... S'asseoir et se rendre compte que la réalité de notre univers est ici et maintenant permet de donner un nouveau sens à l'existence et de se poser les questions du pourquoi et du comment?» C'est dans cette partie que s'exprime le plus sa position existentialiste laquelle accompagne tout son

travail, et est liée au besoin de créer qui est parallèlement l'occasion pour lui de s'élever au-dessus d'un cruel dualisme dont nous sommes tous victimes.

La matière (le "non-espace") vs l'espace Les sculptures en fil de fer représentent un autre grand chapitre de l'œuvre sculpturale d’Eugène van Lamsweerde, aussi bien d'un point de vue quantitatif que créatif. Il s'agit d'entremêlements arachnéens de fils fins et fragiles qui, par leur sobriété, intensifient le caractère dématérialisé des compositions. Ces dernières, qui se présentent sous la forme de constructions autonomes et verticales, entrent dans l'espace et communiquent avec lui comme de vraies sculptures, même si elles n'en ont que l’ossature. Tous les éléments superflus ont été supprimés, et leur composante physique se limite à ce qui est strictement nécessaire pour délimiter l'espace et n’a pas besoin d’enveloppe. La véritable sculpture se trouve à l'intérieur de ces canevas. Il s'agit du vide, espace à la fois flou et dynamique, entremêlé de forces spatiales et invisibles, et chargé d'énergies. Ces structures de fils matérialisent le rayonnement de ces forces, de ces flux et de ces lignes qui, à un moment donné, nous transpercent et véhiculent un contenu, une information que l'espace reconnaît et à laquelle il répond. (…)Le fil permet à l'artiste de dominer l'espace et de le saisir au détour des lignes de la façon la plus simple qui soit. Par sa grande malléabilité, il lui donne la possibilité de dessiner dans l'espace comme il dessinerait avec un crayon mais en trois dimensions. Et de la même façon que le mouvement crée des perturbations sur le blanc du papier, le fil«dérange» la pureté du vide. Parallèlement, alors que dans ses dessins, la linéarité est interrompue par des champs de couleurs et des collages, ces graciles constructions sont combinées à des éléments en cire, en métal, en céramique, à des dessins ou des photographies qui favorisent l'association de nœuds dans l'espace où se croisent plusieurs dimensions.

La Peinture À l’exception de quelques toiles réalisées au tout début de son parcours créatif, Eugène van Lamsweerde se met à la peinture alors qu’il traverse une crise en tant que sculpteur, et son intérêt pour cette discipline est toujours vivace. Dans sa première œuvre, qu’il intitule le Dernier Tableau, il reprend exactement là où il s’est arrêté avec la sculpture. Si sa dernière œuvre sculpturale, composée d’une plaque noire et d’un rectangle peint en blanc, est encore «matérielle», et s’efforce de traiter l’espace réel tout en étant plane, sa première toile est à l’opposé de ce langage dialectique et, sur une base bidimensionnelle, elle donne l’illusion d’une dimension spatiale. (…) Il crée ses tableaux comme un compositeur ses mélodies, à partir de rien, en réagissant à une stimulation qui permet à la composition de se développer. Plus que l’histoire de l’art ou la production artistique moderne, c’est la musique qui l’inspire avant tout, la façon dont certains sons s’organisent dans un ensemble, dans une atmosphère.

Les œuvres d’art sont des êtres vivants Il suffit à Eugène van Lamsweerde d’être proche de la matière et de se laisser inspirer par elle pour que le processus de création soit amorcé. Le travail se fait ensuite de lui-même. Il se développe ou régresse, et l’artiste l’arrange, le modifie et si cela s’avère nécessaire s’en distancie. Il instaure avec l’œuvre naissante un discours qui n’est pas mental mais qui est sensible aux humeurs de la toile qui lui parle (même après 20 ans !), et qu’il encourage par ses nouveaux coups de pinceau jusqu’à ce que l’ensemble vibre dans une parfaite harmonie. Comme il reste à l’écoute durant tout le processus et qu’il suit l’idée première, c’est-à-dire ce qu’il perçoit de la matière, il sent ce qui fonctionne, sait ce qui doit être arrangé sur les toiles plus anciennes et améliore l’œuvre ou, parfois, la détruit.

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EUGÈNE VAN LAMSWEERDE + LA STRUCTURATION DE L’ESPACE + Texte /

Alexis Jama Bieri • Photos / © Crapaud Mlle

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ugène van Lamswwerde est né aux Pays-Bas en 1930. Après avoir obtenu une maîtrise de droit, il s’oriente vers la création artistique. Sculpteur, il enseigne également la sculpture jusqu’en 1974, année de son arrivée en France. Après être passé à la peinture, il produit, depuis 2005 des sculptographs avec sa nièce Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin. Une exposition de ces œuvres singulières a eu lieu en 2010 à New York, puis en 2011 au Frac Champagne-Ardenne. Ses œuvres sont par ailleurs présentes dans d’importantes collections publiques (Stedelijk Museum d’Amsterdam, État néerlandais, Ville de Paris notamment musée des arts décoratifs, Frac, centre d’art et de littérature de Montolieu) et ont fait l’objet d’une vingtaine de commandes publiques, dont « L’air et les songes » à Langres en 1989. C’est dans un ancien monastère, où fut enterré Voltaire en 1778, qu’il donne vie à ses attrapes espaces, qu’ils soient en sculpture ou en peinture.

« Je crée des lignes de repère dans l’univers »

• Comment êtes-vous arrivé à vos premières créations d’art contemporain ? Je ne me suis pas tout de suite dit, à 18 ans, que je serai artiste. Je me suis tout d’abord orienté vers des études juridiques, mais j’ai rapidement découvert d’autres voies d’épanouissement professionnel et surtout personnel lorsque j’ai assisté mon oncle qui réalisait de la céramique pour l’architecture. C’est à ce moment-là que j’ai senti que ma vocation c’était la création artistique.

• Quelles ont été ces premières créations ? J’ai commencé à créer, dans mon atelier, des sculptures en argile recouvertes d’un émail très mat, qui avait des formes plutôt architecturales. J’utilisais cette matière lourde constituée de blocs pour personnaliser ou construire un espace. Mes créations étaient composées de 50% espace – 50% matière. À cette époque, j’ai décliné ce concept dans toutes sortes de directions et toutes sortes de matières. Toutefois, après une période de plus de 20 ans, j’ai pris un nouveau chemin vers toujours plus d’espace. Après la lourdeur de l’argile, je me suis mis à dessiner dans l’espace avec le métal. Ma recherche consistait à personnaliser ou donner un certain caractère à l’espace universel qui se situe autour de la terre et qui est caractérisé par une forme de neutralité. À partir de ces éléments en métal il est possible de donner à ces espaces un caractère, une couleur, une énergie, pas seulement à la matière mais aussi dans la perspective car si on installe une ligne, elle se continue dans son espace. • Vous créez en fait des lignes d’horizon, pas seulement horizontales, mais aussi verticales ? Je crée des lignes de repère dans l’univers. • Comment êtes-vous venu à utiliser la peinture pour vous exprimer. Aviez-vous atteint les limites de la sculpture ? Je suis venu à la peinture plus tard, après mon processus de création de matière / espace

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à 50%-50%, puis de matière à 1% / espace à 99%. Dès lors, j’avais l’impression d’être arrivé au bout de mes créations constituées d’un objet, qui étaient encore pour moi un « attrape espace » où l’espace était autre que l’espace neutre. Pourtant, je n’avais plus l’impression que ces œuvres constituaient encore un moyen de communiquer quelque chose. À ce moment-là, j’ai eu quelques mois assez difficiles parce que je ne voyais plus de possibilités de poursuivre un processus créatif.

si j’étais resté horizontalement dans une seule forme de production parce qu’elle me procurait un certain succès. Je crois que dans l’art, la richesse pour l’humanité c’est que chaque artiste cherche à intervenir afin d’ajouter quelque chose qui a de l’importance pour les autres. En effet, la manière qu’a l’artiste de se concentrer en lui-même a, après coup, une vraie fonction sociale car ceci permet d’ajouter quelque chose qui n’existait pas et qui ne pouvait pas passer et être restitué par une autre personne.

Après ces quelques mois de remise en question je me suis dit qu’il y avait encore une manière d’investir l’espace qui m’intéresse au moyen de « l’espace d’illusion » de la peinture. Je me suis alors interrogé sur ce que pourrait être mon dernier tableau à la fin du circuit créatif que j’entamais : une toile avec en son centre une forme de couleur qui suggère un espace dans lequel on peut entrer, et c’est la première peinture que j’ai réalisée. Aujourd’hui, après tant d’années de peinture, je réalise des tableaux blancs qui sont très proches, au fond, de ce que j’avais prévu. Tout se simplifie, tout y est plus essentiel qu’avant et je crois que le parcours que j’ai fait dans la sculpture je l’ai également fait dans la peinture. Avec la peinture, j’ai pu restituer mes sensations d’une manière qui pouvait être très baroque, ou sauvage, ou colorée, ou contrastée et je suis particulièrement satisfait car par cette ouverture qui m’a permis de m’exprimer différemment ; je ne suis pas resté bloqué dans une impasse créative.

• Vos peintures sont de plus en plus structurées. Vous mêlez à la fois des formes très géométriques avec des expressions libres (sûrement pour créer un effet de contraste). Quelle technique utilisezvous ? J’utilise un tip, c'est-à-dire un ruban autocollant, pour limiter la surface à peindre. Cet outil me donne la possibilité de changer la structure de la peinture car même dans ces formes très architecturales, on peut déceler une épaisseur qui se forme. J’aime bien attaquer cette apparente froideur par un clin d’œil de structure. Et puis, il n’y a rien de plus triste que des couleurs gaies.

En fait, lorsque l’on débute comme artiste on ne se connaît pas, on ne sait pas ce qui doit passer par soi individuellement pour concevoir une œuvre. À présent, je ressens une sorte de plénitude, de satisfaction car je me connais beaucoup mieux. Mieux que

• Concevez-vous vos œuvres comme une performance de l’instant qui n’est pas destinée à durer, ou pour qu’elles restent dans le temps, car vous utilisez principalement des matériaux qui ne se corrodent pas (inox, aluminium…) et ont une durée de vie presque infinie ? C’est juste une question de bon sens. Car quand on crée, pourquoi pas le faire dans des matériaux qui ne donnent pas de souci plus tard. Par exemple, dans le passé j’ai réalisé des centaines de dessins sur un carton qui jaunit terriblement dans le temps et sur lequel apparaît toutes sortes de taches. Avec le recul, je me suis rendu à l’évidence qu’il était plus utile d’acheter un beau

papier, car réaliser une œuvre sur un mauvais support ou avec de mauvais matériaux qui se dégradent très vite lui font perdre sa possibilité de communiquer correctement. Alors j’utilise en principe le bon sens pour faire le mieux possible. • Les corps présentés dans vos sculptographs sont-ils plutôt envisagés comme une abstraction, ou plutôt comme une subjectivisation de vos œuvres ? C’est exactement ça ! Si je crée une œuvre abstraite je dois maitriser la charge de figuratif en l’augmentant ou la diminuant pour qu’on comprenne ce que je fais. Ces sculptures sont presque comme des dessins en 3D qui révèlent un contraste entre la peau humaine et quelque chose en métal qui sort. Ces images de corps sont presque comme un objet abstrait que j’utilise comme une forme de vase ou de table. Mais ces corps sont particulièrement intéressants car on reconnaît une part de concret. • Comment êtes-vous venu à travailler en commun avec Inez van Lamsweerde sur ces sculptographs ? J’avais commencé à réaliser un sculptograph il y a longtemps, sur une photo de Jean Simmons, une star de cinéma classique à laquelle j’avais intégré des tiges très fines de métal qui sortaient de ce portrait. Cet ensemble inventait une sorte d’énigme qui évoquait les sensations et les pensées de cette personne. Cet objet-là donne vraiment un plus à la photographie et offre la possibilité à celui qui le regarde de rêver un peu. Un jour, ma nièce Inez est venue dans mon atelier et je lui ai montré cette œuvre. Elle a trouvé ce concept particulièrement intéressant car elle s’était lassé des accrochages de ses photos à plat au mur des salles d’exposition et cherchait depuis quelques temps à sortir de ce type de présentation de ses œuvres. Avec le sculptograph, elle voyait la solution.

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• Les sculptographs sont-ils quelque part une réflexion sur la fragilité humaine, entre la chaleur d’un corps vivant, la froideur du métal, le corps vivant qui par la photo devient inerte et le métal qui par le mouvement devient vivant ? Absolument. C’est exactement ca ! Je crois que la vulnérabilité est une très belle chose parce qu’on la retrouve partout. En acceptant cette vulnérabilité on peut l’exprimer. C’est cette vulnérabilité qui permet à la force d’exister. • Par rapport aux sculptures monumentales en extérieur, c’est toujours dans le même état d’esprit au départ de la vulnérabilité de la nature, quand on a une sculpture en métal qui ne change pas dans le temps par rapport à tout un environnement qui peut évoluer ? C’est le public autour de la sculpture qui change. Quand on se lasse de la sculpture, qu’elle ne fait plus rêver et qu’elle ennuie on la met à la casse. Les sculptures dans les lieux publics, c’est assez intéressant car les gens autour ne demandent rien, il s’agit juste d’une chose présente avec laquelle ils doivent vivre. Pour l’artiste c’est agréable car c’est une création qui est vue dans toutes circonstances : sous la pluie, en hiver, sous le soleil. L’œuvre a donc une vie beaucoup plus intéressante qu’une sculpture qui est à l’intérieur, à l’abri.

• Vous travaillez en musique. Est-ce que la musique a un impact sur votre inspiration ? Pour moi la musique c’est la forme d’art la plus élevée. C’est le plus proche de ce qu’on peut ressentir. Après il y a les arts plastiques et tout le reste. Je ne pourrais pas m’imaginer avoir une vie sans musique car elle ouvre l’espace, sans matière, et qui est pour moi une nécessité vitale. • Quel regard portez-vous sur l’art aujourd’hui ? Il est très divers, c’est l’expression de notre temps, l’expression d’un chaos, l’expression d’être sans repères… • Comment renouvelez-vous les codes de l’art ou comment les brisez-vous ? À l’extérieur, on intellectualise mon travail, mais je m’en moque totalement, parce que, comme je le disais, dans la subjectivité de mon travail, il y a quelque chose qui ne peut passer que par moi et pas par une autre personne. Je ne brise donc pas d’hypothétiques codes car je travaille naturellement ce que je fais.

• Est-ce que vous concevez l’interaction du public et les dégradations éventuelles comme faisant partie de votre œuvre, la complétant ? Je suis d’accord avec le fait que les œuvres doivent vieillir car cela fait partie d’un processus naturel. Toutefois, je nuancerais ce propos concernant l’interaction du public en fonction du type d’œuvre. Par exemple « L’air et les songes », l’œuvre monumentale que j’ai à langres, est une sculpture qui est très pure, avec une matière qui fut choisie pour constituer une sorte de miroir réfléchissant des vieilles pierres qui l’entourent afin de dématérialiser la matière car l’inox peut être noir ou blanc dans le même objet et au même moment, en fonction des variations de la lumière. Je ne suis pas du tout content si on commence à faire des rayures dessus, parce que c’est particulièrement difficile de reprendre une surface telle que celle-ci. Autre exemple. J’ai fait pour des écoles, des œuvres en bois tropical de grand diamètre en forme d’éléphant. Le public peut marquer ce qu’il veut dans le bois, car c’est une œuvre très forte et que ces interactions lui donnent une vie supplémentaire.

• Maja Marinkovska a réalisé un mémoire universitaire sur votre œuvre. Est-ce que c’est simple d’être analysé et théorisé ? Maja, c’est un regard extérieur. Je le respecte, avec ses propres sensations et sa propre pensée. Je vois la richesse de l’humanité dans la diversité de chaque artiste, et je la retrouve dans la sincérité de Maja. C’est une œuvre qui lui est personnelle, un supplétif à son propre processus intellectuel.

• Y a-t-il d’autres médiums auxquels vous voudriez vous attaquer ? J’utilise tous les médiums qui m’intéressent : sculpture, peinture, dessin). Pour imager : si j’étais enfermé en prison, on me donnerait un crayon et un papier, je créerais ; on me donnerait de quoi souder quelques fils, je créerais ; on me donnerait de la peinture, je créerais ; on me donnerait une caméra, je créerais. Il n’y a donc pas un choix dans la matière car je peux créer avec n’importe quoi.

• Enfin, sur quel projet travaillez-vous actuellement ? Je travaille sur plusieurs projets en même temps. Il y a toujours une période où je travaille une certaine matière. Actuellement il s’agit de la peinture blanche. C’est comme une sorte de vague et après quelque temps il n’y a plus l’énergie et je m’arrête. Puis il y a une autre vague qui vient s’exprimer dans une autre matière. Alors, comme j’ai, depuis tant d’années, manipulé toutes les matières qui m’intéressent, je me sens comme dans une sorte de jardin. Lors de ma première période où j’étais dans ce processus de matière et d’espace, ou lors de la période où j’ai commencé à peindre, il y a environ 15 ans, je n’avais pas le choix car j’étais dans un processus d’exploration au maximum des possibilités d’un médium particulier, d’une matière précise. Maintenant après être allé au plus loin dans ces deux grands processus, j’ai la possibilité de me promener dans « mon jardin » et de créer au gré de mes envies du moment (sculpture, peinture, dessin…). Mon travail est comme un arbre à plusieurs branches toutes liées au même tronc, aux mêmes racines. Comme un écureuil, je peux sauter d’une branche à l’autre !

• Au-delà de la matière, ce n’est peut-être pas l’œuvre qu’il faut voir, mais le processus créatif qu’elle exprime ? J’ai remarqué que lorsque je suis en processus de création, ce processus est le moment le plus important même s’il peut ne pas déboucher spécialement sur une œuvre. C’est l’action de restituer qui compte. Mais je peux rêver d’être un moine qui a trouvé toute sa satisfaction dans la prière où il n’y a pas de déchets, où rien n’est organisé et où rien n’est gardé. Je suis confronté à une lutte avec la matière et je crois que c’est cette lutte même, ce contraste qui fait ma vie. Et puis, j’oublie très vite les choses que j’ai faites. Je tourne autour d’un axe vertical en spirale et je reconnais dans mes œuvres, que je retrouve après 20 ou 30 ans, le même axe. Cet axe-là, c’est mon destin et ça me convient.

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• Comment vous vient l’inspiration ? Comme le dit Ondine, ma petite-fille de 5 ans "tu sais, quand Papi dessine, il fait ça dans son imagination. C'est pour ça que nous, les enfants, pensons que c'est n'importe quoi." Ma source, c’est le mystère de l’existence. L’inspiration est constante pour moi. Je n’ai pas besoin de faire comme les artistes du temps romantique qui attendaient l’inspiration assis sur un sofa. Le secret de ma création c’est ma manière d’être, où je suis constamment réceptif. Par conséquent, je travaille énormément car c’est dans cet état de création que je sens une plénitude que je ne trouve pas ailleurs.

• Comment travaillez-vous avec les différentes structures ou institutions liées à l’art contemporain du territoire de Champagne-Ardenne ? Je me concentre sur mon travail dans mon atelier et je ne pense pas aux institutions ou toute forme d’aide qui existerait ou non autour. • Et qu’est-ce qui vous a attiré dans le territoire aubois ? Dans les années 70, c’est dans l’aube que j’ai fait la rencontre d’un lieu où habiter, un lieu qui correspondait totalement avec ma manière de vivre et d’être, un lieu calme, avec de l’espace pour créer, …et proche de Paris !

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CHRISTIAN NOORBERGEN + LES FINS TERRITOIRES D’EUGÈNE VAN LAMSWEERDE + Texte /

Alexis Jama Bieri • Photos pages 20, 21 (bas) et 23 / © Crapaud Mlle • Photos pages 21 (haut) et 22 / © Eugène van Lamsweerde

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hristian Noorbergen est philosophe et historien de l’art de formation. Critique d’art depuis une quinzaine d’années, il partage son appétit pour l’art en enseignant l’histoire de l’art à l’École des Beaux-arts de Troyes et à l’Institut Universitaire Rachi et Icart à Paris. Il contribue régulièrement aux magazines Artension et Azart, et écrit pour des catalogues d’expositions. Ami d’Eugène van Lamsweerde, il laisse s’exprimer sa plume sur l’œuvre de l’artiste, notamment ses dessins.

• Pouvez-vous vous présenter ? Je suis rédacteur d'art, commissaire d'exposition, ami d'Eugène van Lamsweerde. Voyageur. • Comment avez-vous rencontré l'oeuvre d'Eugène van Lamsweerde, l'artiste, l'homme ? Je ne sais plus, chez lui, sans doute, ou en Égypte. • Qu'est-ce qui vous interpelle particulièrement dans son travail ? Sa créativité inventive, complexe et troublante. • Et spécialement dans sa production de dessins ? L'extraordinaire finesse, allusive et aventureuse. Aussi, je pourrais dire de l’œuvre d’Eugène van Lamsweerde, en reprenant en partie ce que j’avais exprimé en introduction de la monographie

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éditée en 2003 sur ses dessins : L’œil a des limites que la main aventureuse dépasse, quand le trait artiste emporte au loin l’expérience tendue du geste, comme pointe de ciel, vers les blancheurs amoureuses. Dans ce langage d’effacement, quand ont disparu les apparences épuisées de l’image, résistent à jamais, dans l’art aigu d’Eugène van Lamsweerde, la brûlure des signes, les voies défrichées, et les trames enfouies. Dénuement consenti dans le sacrifice du vouloirdire, où se noue l’âpre dépassement du sens ancien et fatigué. Ainsi l’art s’entoure d’absence, d’une absence délibérée et crue, qui efface en elle l’excès des certitudes. Le graphisme est désaxé, hors centre et sans fond : la trace appartient à ce qui consume

le signe. L’art est l’espace libre, l’espace pluriel où se joue l’autre pensée… Métaphore d’Éros : seul le désir peut vaincre l’absence, et seul l’infime la traverse… Lamsweerde, chirurgien d’âme, instaure l’éphémère suprématie du geste. Avec un scalpel de lumière, il dissèque les vaisseaux subtils des corps d’intime mémoire, et leurs fantomatiques mouvements d’errance inventive… Taches et traits prolifèrent, rapides, vifs, épars, lancés vers tous les possibles de l’être, comme pour exorciser ce qui n’est plus, et n’existera jamais, hors l’art. Ce qui se crée vient d’avant l’image publique, quand elle devient symbole plastique et que les signes s’achèvent. Ce qui se crée n’est pas fabrication, mais

voie vive d’épreuve et d’exploration. Lamsweerde navigue en haute création, entre innocence et désir, entre expérience et mystère. C’est la trame oubliée, maculée/immaculée, du dedans le plus profond que fait apparaître l’artistetransmetteur, quand la nuit mentale, dans l’univers indéfiniment broyé et reconstruit, ne laisse filtrer que l’essentiel. Art implacable et serein, avec des vagues de méditation lointaine qui, sur socle de chair, s’appareille au sacré. Mouvance acérée du dedans saisie dans ses effigies corporelles, dans son irrécupérable fluidité, ses failles vitales et ses soubresauts. L’espace psychique est mis à découvert, décanté, décapé et projeté loin des frontières sécuritaires. Il y a du sacrilège

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« Lamsweerde, chirurgien d’âme, instaure

l’éphémère suprématie du geste. Avec un scalpel de lumière, il dissèque les vaisseaux subtils des corps d’intime mémoire, et leurs fantomatiques mouvements d’errance inventive…

»

dans l’air : une irruption de transgressions formelles qui brutalisent la norme. Quelque chose d’interdit dérange la scène graphique. L’art est creuset d’immensité dans le trop-plein du tout. Il évide. Quelque chose s’arrache au fond le plus secret de tous les états de l’être : l’envers du corps-univers. De solitaires îles psychiques traversent l’opacité sans fin, et viennent, ténues, éclater à la surface. Et les chemins d’incertitude accèdent enfin à l’éphémère fragile de l’existence. L’art en traces légères oublie certitudes et blocs fabriqués : la création n’est pas circulation d’idées, mais choc troublant à peine recevable. Il s’impose hors volonté, et l’implacable présence des profondeurs heurte, comme de l’intérieur, la frêle surface du papier. Ainsi l’espace est secoué, vidé de toutes les inerties

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du monde, et le voir / vrai apparaît, tout vibrant d’intensité. L’impact graphique n’est pas seulement choc esthétique mais transmission d’événement : ce qui surgit fait effraction à l’ordre ordinaire du visuel. Le dessin du désir ausculte le réel, puis s’abandonne aux tremblements magiques des doigts. Maîtrise vraie laisse le trait se défaire, et le trait sans relâche, en charge de vie fiévreuse, s’en va seul sur ses parcours d’invention. De minuscules chemins d’aventure guident les tressaillements de l’œil. Les tracés d’Eugène van Lamsweerde traquent la vie. Ils sont « ouverts » : il n’y a pas de ligne d’horizon, chaque œuvre est l’instance de l’œuvre à venir. Les signes sont à l’écoute des signes, en inlassable travail, et toujours en échos. Ils inventent le hasard…

Grand dessin, pris en pleine face, à plein regard, a le pouvoir d’éveiller. Cartographie de conscience, pressant les modulations du trait, jusqu’au choc espéré de l’accident. Espace surpris, brusqué, barré de dures apparitions, quand le signe advenu nie l’élan premier et qu’il aborde, à l’insu du pensé, des contrées inconnues, ignorées … En arrière-fond, en arrière-paysage, dans cette densité piégée, vibre la fabuleuse présence des origines, nées du fond des âges, autrefois chaotiques et convulsives, et devenues presque pacifiées. Griffes mentales et morsures de chair fascinent ces fins territoires d’art, et le sexe en croix se pose en abîme sur la peau oubliée. Le corporel s’imprègne de tous les dehors, les seins d’une femme seraient la voûte nocturne du tableau,

et le dessin si fin, à la lisière du non-dit, serait le point d’appui du sexe infini. Les plis du corps, en mémoire d’ombre, en repli de nuit dévoilée, font ces plaines allusives, ces paysages indéfinis, secrets et foisonnants, miroirs si délicats et si poignants de notre seule demeure habitable, le corps innombrable. Eugène van Lamsweerde met à nu l’art du dessin. Aux marges infimes du dessin répondent les puissances verticales des passions picturales, et leur terroir de vie première, et leurs paysages de vastitude, et leurs coulées de chair lointaine. La base mouvante du chaos et ses barrages d’espace veillent sous les rêveries passantes de ces dures énergies. Un sang d’âme sacrifie la peinture, immense peau d’univers, au sein du magma de l’affectivité. Et l’art naît de ces vagues entrechoquées.

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PIERRE BALAS + LA RENCONTRE ARTISTIQUE + Texte /

Alexis Jama Bieri • Photos pages 24-25, 26, 27 et 28 / © Crapaud Mlle • Photos page 29 (série intitulée "Négocier avec l'aléatoire") / © Philippe Migeat

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eintre et ami d’Eugène van Lamsweerde, Pierre Balas a réalisé plusieurs œuvres monumentales, installées sur le domaine public ainsi que des œuvres sur toile qu’il expose en France et un peu partout dans le monde. À propos de son mode d’expression artistique par la peinture, Pierre Balas dit : « Les autres moyens d’expression, l’écriture que je pratique un peu et assez régulièrement. Tous ces autres moyens, je les aime. Je les aime, ils me plaisent, mais ils ne me font pas trembler. Seule la peinture me fait trembler. La mienne, parfois et aussi celle des autres, parfois. Ça dépend ». En parlant de peinture qui le fait trembler, d’œuvre et d’artiste qui l’émeut particulièrement, Pierre Balas livre en ces pages ses impressions aux questions de CLGB sur sa rencontre avec Eugène van Lamsweerde, sous forme de texte, de narration, presque romancée, mais viscéralement réelle.

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• Comment a débuté l’aventure ? Elle commença une fin de semaine, au début de l’été 2003. Je m’étais rendu à l’Échelle, près de Charleville-Mézières, et c’était la première fois où j’approchais Eugène dans son travail. Dans une petite chambre, au premier étage de cet ancien relais de poste, je vis ces objets, fabriqués à partir de fils en maillechort, un alliage de cuivre, de nickel et de zinc. C’étaient des objets assez petits, d’une longueur de quarante centimètres pour la plupart, faits de fils très fins. Ils étaient accrochés au mur et dégageaient une extrême tension. Ils pouvaient se détendre à tout instant et nous péter au nez. Mais non, ça n’arrivait pas. Tout était retenu. La conjugaison de cette tension et de cette retenue produisait une énergie folle. Et l’ombre grise des fils qui marquaient les murs blancs. Quand je fermais les yeux, j’avais la certitude qu’ils s’étaient déplacés jusqu’au plafond, dans ce pli qui marque la verticale du mur et l’horizontale du plafond. J’ouvrais les yeux pour vérifier. Ils n’avaient manifestement pas bougé. Mais quand je refermais les yeux, alors que je venais de procéder à cette première vérification, je les retrouvais à nouveau tout en haut, dans cette image intérieure qui était projetée sur mes paupières fermées. Je quitte cette chambre, tremblotant un peu et nous décidons Eugène et moi de nous revoir. Les artistes, au fond sont, assez prudents, peut-être même un peu méfiants. Nous allons donc sans nous le dire vraiment, laisser un peu de temps passer. Pour échanger réciproquement sur ce que nous faisons, il y faut de la précision, du tact mais aussi de l’audace. Il y faut également de la prudence et un grand souci de vérité. Il n’y faut surtout pas de mondanité courtisane, ni de fourberie : Nous ne devons ne pas perdre de vue que si nous sommes assez pru-

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« Eugène, je le sais

bien maintenant, est dans la prise de risque constante

»

dents, nous risquons fort aussi d’être assez crédules. • Quand vous êtes-vous à nouveau rencontrés ? C’est en février 2006 que nous nous rencontrons à nouveau. Cette fois-ci c’est dans l’atelier d’Eugène à Sellières, près de Romilly-sur-Seine. Il fait très froid et très sec ce jour-là. Dehors mais aussi dedans, dans l’atelier. La lumière est particulièrement blanche. Du cristal. Les images, celles qui nous collent aux yeux sont très nettes, nettes comme rarement, car, il n’y a dans l’air aucune molécule d’eau. Nous sommes allés au premier étage. Eugène m’a ouvert la porte. Il y avait là une série de petites pièces en travail. Elles étaient posées sur des surfaces planes, toutes recouvertes d’un petit quelque chose, un morceau de drap blanc. Je le vois comme un drap d’hôpital au service des urgences. Eugène passe de l’une à l’autre. C’est lui qui soulève les draps et les recouvre tout doucement. Ce sont des petits bouts de métal que je ne vois plus avec précision, au moment où j’écris ces lignes. Je me souviens seule-

ment à quel point ce métal est coupant, perçant, et blanc. À côté ou plus exactement, mélangés, transpercés par ce métal, des images photographiques de corps humains : pas des corps tout entiers, mais seulement des morceaux. De la chair humaine. Le papier des photographies contre le métal, le fragile contre le solide, le mat contre le brillant, le plutôt noir contre le plutôt blanc, le tendre contre le dur, le plutôt arrondi contre l’anguleux. Il se dégage ainsi naturellement dans ces petites pièces de quelques centimètres, à l’échelle d’une main d’homme, une énergie faite de ces différences, une énergie dévastatrice. Cette énergie est aussi une vraie grâce qui vient jusqu’à moi, ici, dans cet atelier, à travers les molécules d’air glacé. • Quels échanges entreteniez-vous ? Nous ne parlons pas. Ni Eugène, ni moi. Il faut faire attention à ce qu’on dit. On a vite fait de dire des bêtises et l’autre les entend. Ce n’est pas de dire des bêtises qui est préoccupant, c’est que l’autre les entende et

puisse être influencé par ces bêtises-là. Je crois que les artistes, s’ils sont assez prudents, sont en même temps comme des éponges et peuvent glisser vers la crédulité. Il faut donc redoubler d’attention. Sur le chemin du retour, en rentrant, et le soir aussi et encore, j’y pense. Je pense aussi à des petites figurines, aux poupées de cire ou de son, recouvertes de tissus et percées par les épingles de sorciers magiciens. Depuis, nous nous visitons souvent et nous nous parlons assez. Eugène, je le sais bien maintenant, est dans la prise de risque constante. Il fait de l’équilibre sur l’un de ses fils très fins en maillechort. Soit ça passe, comme on dit, soit ça casse. Il prend le risque que ça casse et il est dans l’aventure. Et ça casse souvent, c’est la vie ! Il a donc pris ce risque de me proposer de nous rencontrer régulièrement dans nos ateliers et de nous dire au plus près ce que nous pensons être la vérité. C’est un risque considérable, pas seulement, si ça rate. Une perte de temps. Mais surtout le danger de se diriger vers un genre d’impasse. • Et quelle était la qualité de ces échanges ? Je repense en écrivant ces lignes à cette phrase de Paul Cézanne dans une lettre à Émile Bernard en octobre 1905 : « Je vous dois la vérité en peinture, et je vous la dirai. » Cette phrase est célèbre et a maintes fois été commentée depuis. Elle a pour moi, malgré tous ces commentaires un âpre parfum d’énigme et c’est ce qui en fait son charme. Je me la cite souvent, en sachant bien sûr qu’il n’y a pas d’art en dehors de cette quête de vérité. Cézanne veut aller au bout des choses et en disant « je vous la dirai », il dit son entêtement. En pensant au travail qu’Eugène et moi faisons l’un sur l’autre, je me dis

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que ce travail de soutier est plus facile à deux. Bien sûr, nous sommes chacun seul, très seul. Mais depuis toujours, nous le savons et en avons pris l’habitude. La seule qualité, je dis bien la seule, que nous ayons l’un par rapport à l’autre, c’est la distance, cette distance qui nous manque tellement sur le moment. Et nous nous le disons souvent, car nous n’avons pas beaucoup de recul sur le travail de la journée, tellement nous avons la tête dans le guidon, et le regard de l’autre permet de faire la lessive, et de trouver rapidement ce recul si difficile à fabriquer tout seul, sur-le-champ. Nos ateliers sont espacés d’une trentaine de kilomètres. C’est assez et pas trop. C’est juste comme il faut. Et nous pouvons ainsi développer cet échange qui permet quelques fois, mais pas toujours, vraiment pas toujours, de devenir riches. Reste à chacun cette dernière liberté de prendre ou de laisser ce qui a été dit. • De quoi parle l’œuvre d’Eugène ? Eugène parle souvent du chaos d’où il vient, pas d’où il part, dans son travail, mais d’où il vient, lui. Et je pense seulement aujourd’hui, en écrivant ces lignes, alors que je ne lui en ai encore jamais parlé, à ce que dit Simon Leys à propos d’Henri Michaux : « Les artistes qui se contentent de développer leurs dons n’arrivent finalement pas à grand-chose. Ceux qui laissent vraiment une trace sont ceux qui ont la force et le courage d’explorer et d’exploiter leurs carences. » Il faut, c’est certain, exploiter ses carences, considérer ses fragilités comme des richesses, s’appuyer sur ses handicaps. La recherche de la vérité, celle dont Cézanne parlait dans sa lettre est incompatible avec le désir de plaire, incompatible avec l’expression majoritaire et par voie de conséquence avec la doxa. Car ce que

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font les artistes, tout du moins quand cela en vaut la peine, détruit les anciennes conventions, celles qui plaisent et que tout le monde accepte, alors qu’elles sont sur le point de s’user complètement. Ils proposent autre chose. Ils détruisent ainsi ce qui est conforme à l’opinion commune. Ils sont donc par essence contre la loi, sous peine de mourir quand ils n’y sont pas. Ou encore, sous peine de n’avoir jamais existé, s’ils ne l’ont jamais été. Toutes ces difficultés, toutes ces contradictions, nous ne les cachons pas. Elles sont là pour nous préserver de la doxa. Toutes ces fragilités, toutes ces idées impraticables, tout ce qui véritablement ne peut aller ensemble, nous ne les cachons pas. Elles produisent cette énergie dont nous ne cessons Eugène et moi de parler, et dont nous avons tellement besoin. • Que vous ont apporté les difficultés de cette aventure ? Elles produisent de nouvelles éclaircies qui engendrent à leur tour de nouvelles obscurités, telle une histoire à rebondissements. C’était à la fin de l’année 2010. Au moment où le jour décline : Entre chien et loup. L’obscurité était menaçante. Eugène venait d’arriver dans mon atelier pour donner à voir quelques pièces faites d’encre noire, très pulsionnelles, sur du papier et sur lequel sont cousus par endroits, avec des points de suture, des morceaux de films, supports d’images photographiques. Il fait nuit et nous regardons ce travail à la lumière d’une lampe. Nous avons des allures de faux-monnayeurs. Eugène, je le comprends bien à ce momentlà, vient de reprendre les cartes et de rebattre le jeu. Ce qu’il me montre est un travail qui bouscule les précédents. Un travail nouveau dont les images me troublent. Eugène dit en effet qu’il ne sert à rien de

faire deux fois la même chose. Ces répétitions sont inutiles et mêmes nuisibles. Pourquoi débroussailler ce qui l’a déjà été. Pourquoi refaire toujours les mêmes trucs ? Tout cela n’est pas très simple à vivre ni très facile à expliquer. Eugène en effet a multiplié les pistes, les procédures, les matériaux, les gestes, les outils physiques et mentaux. Il a lancé des passerelles dans tous les coins avec le risque de se perdre. Et il se perd souvent. • Quel est votre regard sur le travail d’Eugène à ce moment ? En juillet 2009, Eugène agit visiblement sur plusieurs fronts : À Romilly, rue de la Paix, des toiles tendues sur châssis, entreprises depuis des années, et travaillées par périodes, avec de la couleur et des pinceaux. Petites, moyennes en encore plus grandes, elles sont toutes carrées. Elles avancent lentement. À Sellières, au premier étage, et au même moment, des petites pièces accrochées au mur, pour lesquelles il me faudrait des pages et des heures afin de les décrire avec précision. Ces petites pièces du premier étage, près de la porte d’entrée, sont très belles. Vraiment. Et elles sont allées très vite. Elles sont belles, parce qu’elles apportent quelques réponses à des questions dont on pensait qu’elles se posaient ailleurs mais dont on perçoit la réponse ici, maintenant : Ainsi le mode de la photographie mêlée au projet pictural. Comment le marier avec la peinture ? Comment l’élément photographique porté par ce matériau ingrat qu’est le papier de la photographie, pourrait-il épouser efficacement la matière picturale, les pigments, la crème de la peinture, ces matériaux d’une si grande noblesse ? Mais dans le travail artistique nous ne sommes pas dans la logique formelle. Les questions arrivent quelques

fois après les réponses et le cheminement est énigmatique. Bien des gestes inachevés ou pas encore complets pour ce que l’on croit à tort être le projet, sont décisifs pour un autre projet. À Romilly, rue de la Paix, on peut travailler sans résultats importants dans un certain champ d’activité, poser des questions là et trouver les réponses dans un autre champ à Sellières. Ou tenter de résoudre des problèmes, qui sont en fait des débuts de réponses et dont on ne pouvait pas supposer la question. C’est comme si Eugène était en face d’une série d’escaliers disposés parallèlement et comme s’il sautait d’une marche de l’un, à une marche de l’autre escalier, en se servant de tous les escaliers en même temps, pour grimper et avancer ainsi. On doit pouvoir trouver actuellement cinq ou six escaliers correspondant à cinq ou six chapitres de son travail. Tous sont utiles. Tout se passe donc comme si les questions cachées, les réponses inconnues et les modes opératoires incertains, étaient disposés en vrac, dans le désordre de la pensée. Eugène le sait bien, lui qui gère parfaitement ce chaos.

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LAURENT INNOCENZI + LA COMMANDE PUBLIQUE L’AIR ET LES SONGES À LANGRES + Texte /

Alexis Jama Bieri • Photos / © Eugène van Lamsweerde

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n 1989 est érigée sur la tour Saint Fergeux à Langres, l’œuvre « L’air et les songes » d’Eugène van Lamsweerde. Une commande publique, qui aurait pu faire craindre, par sa dénomination de « Commande », que l’artiste y perde sa liberté si caractéristique. Au contraire, faisant murir un projet sur ce même lieu depuis 1984, il offre à cet espace chargé d’histoire, aux vieilles pierres érodées, un « attrape espace » (comme le dit lui-même Eugène van Lamsweerde de ses œuvres). De cette commande, l’artiste dit en 1988 que « par rapport au travail d’atelier, cela change… Ce n’est plus le même rapport à l’espace, au temps. C’est l’œuvre idéale au fond parce que c’est l’œuvre toujours en exposition ». Une œuvre pensée mille fois, bâtie en usine, arrivée par les airs, spectrale, perchée sous les câbles d’une grue. Une commande publique donc, organisée par l’État et voulue par la Région, et surtout, librement exprimée dans le métal poli par Eugène van Lamsweerde. À propos de cette œuvre Eugène van Lamsweerde s’exprime encore en 1988 : « Si l’on met quelque chose contre le rempart, on fait quelque chose de décoratif peut-être…comme une broche…La tour, c’est différent, si l’on met quelque chose contre la tour à l’extérieur, on reste physiquement en dehors, c’est un élément comme un tableau…c’est un objet que l’on peut maîtriser, on fait une allusion ». Laurent Innocenzi, conseiller arts plastiques à la DRAC de Champagne-Ardenne, a répondu aux questions de CLGB quant à cette opération, s’exprimant techniquement, avec sa vision personnelle de l’art contemporain en Région ; une vision générale complétée par les éclaircissements particuliers d’Eugène van Lamsweerde sur son œuvre.

« Celle-ci est née dans un

contexte, ou une époque, qui semblait moins exposée au contrôle social que la nôtre et qui plus est sur une terre sans mémoire artistique contemporaine

• En quoi consiste une commande publique d’œuvre par l’État ? Une commande publique artistique est une initiative de l'État portée par le ministère de la Culture et de la Communication, par une collectivité territoriale ou une association. C'est une procédure qui permet la naissance et l’existence d’une œuvre d’art dans l’espace public. Le ministère de la Culture en a hérité en 1959, dès sa création par Malraux. On a pu associer l'État à la modernité artistique par ses commandes à de grands sculpteurs. Dalou, Bourdelle et Rodin ont ainsi peuplé les places et ponts de Paris au tournant du XXe siècle. Un patrimoine récent, souvent monumental, est né de la commande publique contemporaine. Il associe la créativité d’artistes de tous horizons au savoir-faire des métiers d'art, une de nos richesses culturelles. Commandées par le mobilier national, des tapisseries ou des services de table dessinés par des artistes et réalisés dans la grande tradition des métiers d'art sortent aujourd’hui comme hier des anciennes manufactures royales. Avec les sculptures

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le domaine public, c'est l'élu, le prince moderne, qui choisit l’artiste et son œuvre au nom du public. La règle aujourd'hui lui impose d'être à l’écoute de conseillers, mais il ne la suit pas toujours... Là est toute la difficulté, car si les experts de l’art sont capables d’apprécier entre eux la meilleure qualité artistique, faire partager cette qualité à des non spécialistes, à ceux qui emportent la décision procède d’un tout autre enjeu, celui de l’appropriation personnelle des décideurs. Un autre enjeu est celui de l'appropriation collective, car les œuvres de la commande publique sont les nôtres, connaisseurs ou non. En art n’existe en effet pas plus de goût moyen que d’œuvre idéale pour un public moyen. Une autre difficulté : parce que la commande n’est pas un achat, choisir le meilleur artiste n’est pas dans tous les cas choisir la meilleure œuvre, celle que notre imaginaire projette avant qu'elle n'advienne. L’usage est répandu aujourd'hui de mettre en concurrence les artistes et leurs projets, comme le sont les architectes par concours, avant le choix du lauréat par

»

monumentales, les tableaux et dessins, les photographies et vidéos, les vitraux récents dans les églises ou les cathédrales, ces productions artistiques contribuent à l’enrichissement culturel de notre pays. La commande des deux plateaux de Daniel Buren, ses colonnes installées depuis 1986 dans la cour du Palais-Royal à Paris en est un magnifique exemple, tout comme les vitraux d’Imi Knoebel de 2011 à la

cathédrale de Reims. Toutes ces initiatives procèdent de la même volonté : mettre à la disposition du public, dans un espace ouvert ou fermé mais accessible au public des créations majeures qui traverseront notre temps, ou témoigneront plus modestement de notre regard actuel sur l'art. • Comment s’effectue le choix des artistes ? Dans

un jury. La commande proprement dite intervient après ce mode de sélection qui s’apparente à une compétition à plusieurs niveaux. La mise en concurrence et la transparence des règles garantissent-elles pour autant la meilleure qualité artistique ? Pas toujours, mais d’un simple point de vue économique, elle agit comme un régulateur sur le prix des commandes, dans un contexte où celui de l’art, fixé par le marché, est élevé. Plus profondément, il semble difficile d'accepter aujourd’hui plus qu’hier dans l’espace public une subjectivité, le risque d'une faille, les incertitudes liées à la proposition d’un seul, souvent interprétées négativement. La relation de confiance a fait place à la notion de contrôle. Mais que signifie au juste une commande artistique sans confiance, envers l’artiste comme le public ? Le plus difficile dans le choix d'un artiste est peut-être d'assumer ces questions à long terme, sachant que les ruses de l'histoire sont nombreuses. Comment être de son temps et écouter les artistes sans peur ni du passé, ni de l'avenir ? Souvenons-nous de l'hostilité et parfois plus, répandue autour de l'accueil en 1986 des colonnes de Buren, commandées par Jack Lang, ministre de la Culture. N'oublions pas non plus l'argument de la décadence dans la presse locale de l'époque, contre l'arrivée des nouveaux vitraux de Chagall à la cathédrale de Reims en 1974. Ces vitraux, comme ceux de Knoebel voisins depuis 2011 sont propriété de l'État, leur commanditaire, parce que la cathédrale lui appartient. Mais plus que la propriété, c'est l'appropriation publique de

la commande qui importe : comment sont perçues aujourd'hui par l'opinion ces œuvres à qui elles sont destinées et comment le seront-elles demain ? Réussir à satisfaire la demande publique suppose un savoir-faire spécifique. • Revenons à Eugène van Lamsweerde et à « L’air et les songes », sa commande publique installée au sommet de la Tour Saint-Fergeux à Langres. Quel fut le contexte de la commande de cette œuvre monumentale ? Celle-ci est née dans un contexte, ou une époque, qui semblait moins exposée au contrôle social que la nôtre et qui plus est sur une terre sans mémoire artistique contemporaine. Les années 80 correspondent à une préhistoire de l'art contemporain en Champagne Ardenne. Les artistes étaient moins nombreux qu'aujourd'hui et seuls existaient le FRAC à Reims et le Centre d’art contemporain / Passages à Troyes, comme institutions spécialisées en dehors des musées. Eugène van Lamsweerde avait quitté depuis 1974 les Pays-Bas avec sa famille pour s'installer à Sellières, dans la campagne Auboise. Ancien professeur à l'Académie des beaux-arts Rietveld d'Amsterdam, il avait exposé à plusieurs reprises au prestigieux Stedelijk museum. C'est le Conseil régional qui lui a proposé de réaliser la commande de Langres avec l'aide de la DRAC et de son conseiller d'alors, Monsieur Jacques Defert. Cette commande publique voulait rendre hommage à Gaston Bachelard, natif de Bar-sur-Aube et son programme faisait l'objet d'un accord bien pensé.

À la Région Champagne-Ardenne revenait l’initiative et le financement du programme au tiers, le ministère de la Culture et de la communication prenait à sa charge le deuxième tiers, le tiers restant étant financé par des mécènes locaux. L'hommage au poète du feu, de l'eau et des rêves avait alors été pensé sous la forme d'une commande multiple : un artiste pour les quatre éléments naturels, l'eau, la terre, l'air et le feu, un artiste par département, et quatre artistes de nationalité différente. Bernard Pagès avait initié le programme par une sculpture sur le thème de la terre à Mailly-Champagne (Marne). Klaus Rinke avait livré la deuxième sur l'eau à Lusigny-sur-Barse (Aube). Mario Merz, puis Paul Rebeyrolle avaient travaillé sur le feu à Chooz dans les Ardennes. Liberté avait alors été laissée à Eugène Van Lamsweerde, hollandais, de réaliser une sculpture sur l'air en Haute-Marne. L'un des points les plus hauts de la Haute-Marne était Langres et sa Tour Saint-Fergeux, qui dominait la ville et son entrée, était un lieu du patrimoine public bien identifié. Le site, ouvert sur le ciel, était classé Monument Historique. Le programme de Langres, lancé en 1984 et achevé en 1989 se résumait à ce repère d'angle des murailles de la ville, tour imposante et massive associée à la mémoire locale. L'environnement était fait de pierre, de ciel, de lumière, et d'une dimension publique attachée à ce patrimoine historique et à laquelle Eugène était très sensible.

Langres sa relation à l'environnement de sa sculpture, une tour de remparts ? L'air, pour Eugène van Lamsweerde, c'est l'espace aérien, qui conduit l'esprit vers le ciel et la rêverie. Il s'y intéresse plus qu'à la matière. « Mille fois, l'air fait la sculpture » a-t-il pu dire à propos de L'air et les songes, qui se présente comme une grande équerre haute de 6 m et longue de 9 sur sa base. Produite dans les aciéries d'Alkmaar aux Pays-Bas, la sculpture en acier inoxydable a été posée à même le sol au sommet de la tour, sur son grand côté. Découpées en deux dans leur hauteur, dressées vers le ciel, ou plutôt plongeant de l’infini de l'espace vers la terre, deux coulées d'acier restituent jusqu’au sol une énergie cosmique. Imaginons un fluide céleste, une coulée du ciel venant fertiliser la terre. C'est un unique séparé, une souche d'origine que seule la terre avait le pouvoir de faire deux. Tout cela n'est évidemment que production de l'imaginaire nourrie par la conjugaison, au sommet de cette tour, du minéral omniprésent et émoussé par le temps, de l'acier inoxydable, qui n'en garde aucune trace, mais réfléchit la lumière et la fait briller, du ciel changeant de la Champagne-Ardenne et de ceux qui font l'œuvre en la regardant.

• Précisément, comment l'artiste a-t-il pensé à

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FLORENCE DERIEUX + LES SCULPTOGRAPHS OU LA PHOTOGRAPHIE PLASTIQUE + Texte /

Alexis Jama Bieri • Photo pages 32-33 / © Crapaud Mlle • Photo pages 34-35 / © Martin Argyroglo

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i les Pays-Bas sont un lieu où l’on peut faire du lèche-vitrine néonisé de rose, sous l’emprise d’herbes issues de cultures hydroponiques, ce sont aussi un lieu de culture de la mode et de créateurs, corps célestes gravitant dans un univers de séduction et de noir & blanc [dé]coloré, incubateurs d’images réelles ou irréelles portées par des chimères flirtant avec l’hystérie, transpirant de leur grâce ingénue. Un résumé de cet élan créatif batave que le travail du peintre et sculpteur Eugène van Lamsweerde ! Il développe depuis plus de cinq ans un travail en commun avec le célèbre duo Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin, qui comptent parmi les photographes de mode les plus réputés au monde. Au travers de leurs nombreuses collaborations, notamment avec Björk et Madonna et des créateurs de mode ou des marques de luxe tels que Vivienne Westwood, Yohji Yamamoto, Balenciaga, Dior, Yves Saint Laurent, Chanel, Vuitton, etc, le travail d’Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin a, depuis longtemps, su s’affranchir des frontières pour être simultanément diffusé dans la presse, la publicité et les lieux d’art contemporain. Souvent étranges voire surréelles, leurs images se jouent des codes de la beauté et de l’identité et expriment une vision très personnelle de la notion de dualité (beau/ grotesque, attraction/ répulsion), de l’ambivalence (androgynéité) et de l’érotisme. Les œuvres réalisées par Eugène van Lamsweerde, Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin sont appelées Sculptographs et combinent deux techniques : la photographie et la sculpture. Eugène van Lamsweerde sélectionne minutieusement certaines photographies créées par le couple, qu’il découpe, le plus souvent, afin de ne conserver qu’un détail de l’image initiale, et qu’il manipule ensuite comme un matériau quelconque en le pliant, le froissant, le tordant, etc. Il travaille ensuite de fines tiges de métal qu’il sculpte à partir et autour de l’image choisie, comme pour lui créer un environnement. Il attribue ainsi une troisième dimension à ces images, celle de l’espace. L’univers en expansion qui apparaît alors est tout à la fois beau et fragile, précieux et gracieux, protecteur et inquiétant : fascinant ! Face à ces œuvres, la magnificence des corps et visages (ou ce qu’il en reste), austères et baroques aux courbes rassurantes, intrigantes dans leur fond a la perceptible rectitude, l’on devient irrémédiablement victim[e] ... et fashion. Cette exposition, évoquée alors dans les pages du CLGB #13 et dont le commissariat fut assuré par Florence Derieux, a été présentée à Reims, du 26 mai au 3 juillet 2011, au FRAC Champagne-Ardenne, établissement dont elle est directrice.

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« La vue de ces corps

suspendus et transpercés par le métal était particulièrement forte...

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• Pouvez-vous vous présenter ? Depuis avril 2008, je dirige le Fonds régional d’art contemporain de Champagne-Ardenne. • Pouvez-vous présenter le FRAC ? Les FRAC ont été créés dans chacune des régions de France en 1982, dans le cadre de la décentralisation. Le FRAC Champagne-Ardenne a, lui, été créé en 1984. Il agit en faveur de la création et de la promotion de l'art contemporain. • Quelles sont ses missions ? Il a pour vocation la constitution et la diffusion d'une collection d'œuvres d'art contemporain, la conception et la production d'expositions temporaires, l'édition, et l'organisation d'actions de sensibilisation à l'art contemporain pour le public le plus large possible. • Comment est née l’idée de cette exposition ? Je suis originaire du sud de la France et, pendant mes vacances d’été, en 2010, j’ai profité de pouvoir visiter La Coopérative, un centre d’art et de littérature situé à Montolieu, près de Carcassonne. Ce lieu magnifique a été créé par un couple originaire de Champagne-Ardenne dont j’avais beaucoup entendu parler car ils avaient auparavant créé un lieu d’art réputé à L’Échelles, dans les Ardennes, qu’ils avaient été contraints de fermer juste au moment où je suis arrivée dans la région. N’ayant donc jamais pu le visiter, j’avais naturellement envie de les rencontrer. Et lorsque je suis arrivée, j’ai découvert cette magnifique exposition des œuvres d’Eugène van Lamsweerde, Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin… • En tant que commissaire d’exposition quels ont été les partis pris de cette exposition ? Comment avez-vous opéré le choix des œuvres et leur mise en espace dans la Chapelle du Collège des Jésuites de Reims, espace d’exposition du FRAC ? Une exposition se conçoit, se définit toujours par rapport à un lieu. Je ne pourrais jamais imaginer une exposition autrement. Dès que j’ai vu les œuvres, j’ai pensé à celles que je choisirais de montrer. Et ce parce que je pouvais déjà les imaginer dans l’espace de la Chapelle, où nous organisons des expositions depuis juillet 2009, mais malheureusement plus pour longtemps parce qu’elle sera bientôt détruite pour devenir le hall d’accueil de Sciences Po. • Comment, selon vous, s’articule le lien entre la nudité de ces Sculptographs et le lieu (la Chapelle), quelle en est la trame ? La vue de ces corps suspendus et transpercés par le métal était particulièrement forte, visuellement et symboliquement, et faisait bien sûr penser à la figure du Christ. Toute la mise en scène, du positionnement des Sculptographs, au centre de la chapelle, en passant par le fait de devoir lever les yeux vers eux, répondait à la nature du lieu et se jouait, en quelque sorte des clefs de lecture imposées par lui. Mais il s’agit ici de corps de femmes. Ces corps sont morcelés, et offrent à la vue les parties les plus charnues. Selon les jeux de la lumière si particulière de la chapelle, ils paraissent comme martyrisés par le métal ou protégés voire embellis par les sculptures. • Quelles actions spécifiques avez-vous menées autour de l’exposition ? Cette exposition a eu énormément de succès auprès du public très varié qui est celui du FRAC. Non pas qu’elle se suffisait à ellemême, mais les œuvres répondaient au lieu d’une manière particulièrement poignante tout en ouvrant de larges pistes de réflexion chez tout

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un chacun. Comme pour toutes les expositions présentées au FRAC, la médiation auprès du public était assurée par un médiateur et au travers de documents produits pour informer et faciliter l’approche du public. Nous avons aussi invité, à l’occasion du vernissage de l’exposition, Bernard Blistène, un très grand spécialiste de l’art en général et de l’art contemporain en particulier qui est aujourd’hui Directeur du développement culturel du Centre Pompidou à Paris, à venir parler du travail d’Eugène van Lamsweerde, avec lui et avec le public. • Quel fut l’accueil, les réactions du public face aux œuvres ? Cette exposition a suscité beaucoup de questionnement et d’émotion du fait des œuvres elles-mêmes, mais aussi de leur mode de présentation précisément dans ce lieu. Ce fut l’une de ces expositions dont on souhaiterait qu’elle ne soit jamais décrochée tant sa nécessité se fait sentir. • Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec l’artiste ? En septembre 2010, j’ai pris contact avec Eugène van Lamsweerde et sollicité un rendez-vous avec lui. Je suis alors allée le rencontrer chez lui, là où il vit et travaille depuis plus de 35 ans, à Romilly-sur-Seine. • Si vous deviez exprimer en une phrase l’œuvre d’Eugène van Lamsweerde, quelle serait-elle ? L’œuvre d’Eugène van Lamsweerde est protéiforme. J’ai eu la chance de pouvoir en exposer certaines facettes, mais ce n’est rien en comparaison de ce qui reste au public à découvrir encore. Je ne saurais la décrire en une seule phrase. • Autour de cette exposition, quelles ont été les acquisitions d'œuvres d'Eugène van Lamsweerde effectuées par le FRAC ? Quelles ont été les orientations de vos choix ? Les membres du comité technique d’achat du FRAC Champagne-Ardenne ont choisi à l’unanimité de faire entrer deux œuvres d’Eugène van Lamsweerde réalisées en collaboration avec Inez van Lamsweerde et Vinoodh Matadin : Dree Back et Chloe (2010). Ce fut pour nous un moment quasi historique puisque la Région Champagne-Ardenne, qui finance à 50% le FRAC, à l’exception des acquisitions, qui sont prises à 100% en charge par l’État depuis 1996, a accepté de contribuer financièrement à cette acquisition aux côtés de la DRAC Champagne-Ardenne et du FRAC. Nous sommes particulièrement fiers que ces œuvres soient entrées dans la collection qui est celle de tous les Champardennais. C’est un véritable acte de reconnaissance de la part de toute une région à l’un de ses artistes. C’est à la fois l’aboutissement d’un travail collectif et le début d’une aventure commune. • Pouvez-vous nous parler de ces œuvres, de ce qui vous a attiré, de ce que vous appréciez particulièrement en elles, ce qu'elles évoquent pour vous... Leur beauté physique et leur puissance symbolique sont indéniables. Ce qui me fascine, c’est surtout leur capacité à nous ramener immédiatement à une tradition classique de représentation, picturale et sculpturale, et à la fois à nous confronter à des questions éminemment contemporaines quant à la notion d’image, de reproduction, d’originalité, de paternité de l’œuvre, etc. Et malgré tout ce que je viens d’évoquer, elles véhiculent de surcroît une intelligence, une liberté et une légèreté particulièrement remarquables. Quant à ce qu’elles m’évoquent… il me faudrait beaucoup plus que le cadre de cet entretien pour pouvoir vous répondre !

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ROGER BALBONI + L’EXPOSITION : « LAMSWEERDE, SCULPTURES RÉCENTES, 1983 » +

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Texte /

Alexis Jama Bieri • Photos / © Eugène van Lamsweerde

L

’art est affaire d’Hommes, d’êtres saisis par leur environnement : artistes, transcrivant leurs inspirations en œuvres et passionnés de la restitution qu’en font les artistes, par l’exposition et le partage. L’exposition qui eut lieu en 1983 au Centre d’art contemporain / Passages est évocatrice de ce don de soi, de cette rencontre et de ce partage entre artiste, exposant et public. En quelques échanges, une mémoire croisée revient sur cet événement. RO G E R BAL BO NI - 37


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« Un poète qui par sa

manière d'être et de faire, bien spécifiques, dressé dans le champ de la peinture et de la sculpture, "ajoute au monde" par ses créations

• Pouvez-vous vous présenter ? Mon itinéraire s'inscrit sur deux voies. Sociologue de formation, j'ai suivi une carrière dans l'enseignement, professeur de SES au lycée et intervenant en arts appliqués à l'ESAA de Troyes, ainsi que dans le groupe EAC-Paris pour un module sur la conduite de projets culturels. La seconde voie choisie, avec le même intérêt, est celle du milieu associatif culturel. Grâce au concours d'artistes et d'amis, dont Françoise Gibert-Balboni, nous avons développé des projets d'expositions et ouvert des lieux au public, d'abord à Auxon (Aube), dans des "Granges", durant l'été, de 1973 à 1982, ensuite à Troyes avec l'ouverture de Passages. Membre du bureau de l'Association, j'ai présidé celle-ci jusqu'en 2011. Le Centre d'Art Contemporain a été dirigé par Françoise Gibert-Balboni, c'est Éric Fournel qui lui succède en 2008. Il m'est arrivé d'animer des conférences données par des artistes et des critiques d'art, j'ai également participé à l'élaboration de catalogues sous la forme d'entretiens, comme celui que je viens de faire avec Eugène van Lamsweerde.

• Comment avez-vous rencontré l'œuvre d'Eugène van Lamsweerde, l'artiste, l'homme ? Les questions que j'ai pu lui poser actuellement, en 2012, sont l'écho lointain d'une rencontre avec l'œuvre, l'artiste, l'homme, en 1983, à l'occasion de la visite d'atelier, et l'observation de son choix d'œuvres récentes, cette année-là, qui sont la manifestation, comme il le confirme, d'un tournant dans sa recherche, faite de sédimentations d'un long travail, aboutissant à un concept nouveau de sculpture : Ce que l'accrochage sur les murs de la galerie m'avait révélé dans un choc visuel. • Qu'est-ce qui vous interpelle particulièrement dans son travail? Si vous deviez décrire l'œuvre d'Eugène van Lamsweerde en une phrase, quelle serait-elle ? C'est pourquoi, évoquer en quelques mots l'œuvre d'Eugène van Lamsweerde, c'est dire comme Pierre Tilman, dans sa conclusion du texte du catalogue, qu'il s'agit sans conteste d'un "poète". J'y joindrai les propos récents de l'artiste, un poète qui par sa manière d'être et de faire, bien spécifiques, dressé dans le champ de la peinture et de la sculpture, "ajoute au monde" par ses créations.

Échange entre Roger Balboni et Eugène van Lamsweerde à propos de l’exposition : « Lamsweerde, Sculptures récentes, 1983 ».

« L’artiste au travail est le premier public de son œuvre » En 1983, l’art contemporain en Champagne-Ar-

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denne bénéficie d’une impulsion issue des politiques culturelles, du côté de l’État et de la Drac par l’action du conseiller artistique régional, et du côté de la Région par la mise en place de l’Office régional culturel de Champagne-Ardenne. Conjointement État et région ouvrent le premier Frac, destiné à l’acquisition et à la diffusion de l’art contemporain. La France entière va bénéficier dans le même mouvement de l’essor des actions en faveur des artistes et des expositions, en particulier dans les nouveaux centres d’art et les Fracs. Le 1er décembre 1983 s’ouvre l’exposition LAMSWEERDE, sculptures récentes, 1983 une coproduction réalisée par le Centre Culturel de Brétigny-sur-Orge et la galerie-association Passages de Troyes. C’est l’an 1 de Passages, une association composée de membres fondateurs, bénévoles, qui se sont rencontrés régulièrement depuis quelques années à Auxon, un village de l’Aube, dans le cadre d’expositions organisées l’été, dans des granges, de 1973 à 1982, réunissant des artistes plasticiens et des artisans d’art. Passages porte alors le nom de galerie pour préciser que le lieu concerne l’art contemporain et la structure associative n’a pas encore le statut de Centre d’art contemporain attribué ultérieurement par le Ministère de la Culture et la DAP.

• Vous êtes artiste, sculpteur, né aux Pays-Bas, résidant en France, dans l’Aube, depuis 1974, et exposant régulièrement depuis les années 60. Un poste d’observateur privilégié et d’acteur directement impliqué par ces évolutions. Comment avez-vous perçu cette période ? La première impression alors est de vivre comme un rêve le fait de recevoir dans mon atelier des responsables culturels intéressés de voir ce que je fais. L’artiste au travail est le premier public de son œuvre, mais celle-ci doit pouvoir communiquer avec d’autres et en retour enrichir l’artiste de leurs commentaires. La tâche des « institutionnels », État, Région, Ville, a été très importante et nécessaire. De plus le sculpteur souhaite mettre son œuvre dans un lieu public, instaurant dans cet espace une fréquentation de nature différente que les gens n’avaient pas imaginée ni sollicitée. C’est pourquoi, d’un mot, la commande publique, c’est la situation idéale pour un sculpteur. • L’importance de la manifestation, du fait de la coproduction sur deux lieux, la réalisation d’un film vidéo, la publication d’un catalogue financé par l’ensemble des partenaires, État-Région,

enfin la qualité du texte du critique d’art Pierre Tilman, tout semble indiquer que 1983 est une année charnière ou un tournant dans votre travail de sculpteur, actif depuis plus de 20 ans ? C’est effectivement un tournant, bien préparé depuis quelques années, sans que je le sache. Les sculptures à Passages se présentent à chaque fois par groupes de deux. Dans la manière d’opposer ces deux objets, il y a un concept qui n’existait pas dans mes œuvres auparavant. Mais dans celles-ci il y avait tous les éléments pour réussir les sculptures de 1983. Le concept est alors développé jusqu’à son terme, sans rapport avec une réflexion thématique et sans envisager des déclinaisons à venir. Par ailleurs, j’ai toujours été intéressé par le processus de créativité et l’énigme de la création. Les années durant lesquelles j’ai enseigné la sculpture aux académies de Beaux-Arts m’ont largement donné la possibilité de suivre de jeunes talents dans leur évolution créative, les considérant comme des jeunes plantes, chacune différente et unique. Auprès des étudiants, je n’ai pas trop à parler de mon travail, mais je peux transmettre une manière d’être, qui mène à la création. Et pour rester dans la métaphore des plantes, certaines demandent d’être arrosées et d’autres négligées un certain temps. Ce fut une belle expérience. •En relisant le texte du catalogue et les reprises commentées dans la presse locale, qui décrivent comment l’artiste organise l’espace pour « saisir le vide », j’ai encore en mémoire vos explications patientes et fermes durant l’accrochage des œuvres et la mise en place du dispositif. Ces « mises en espace » qui « se présentent à chaque fois sous la forme d’un couple » m’avaient permis de percevoir les frontières entre ce qui est et ce qui n’est pas. Par exemple dans la première œuvre, « sculpture 1983 » du catalogue, une confrontation entre un violoncelle et une longue bannière, dressés contre le mur de la galerie. L’équilibre est délicat. À ce propos, est-il possible ou souhaitable d’assurer la « survie » et le suivi d’une œuvre sortie de l’atelier et qui ne vous appartient plus ? Cela dépend de la responsabilité de la personne bénéficiaire ou en charge de l’œuvre. Il y a des indications que je communique, ce sont les mêmes que celles fournies durant l’accrochage de l’exposition. J’accompagne l’œuvre d’un texte qui précise ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. En effet il est important et indispensable de trouver les espaces conformes afin d’assurer la raison d’être des objets ainsi disposés. Tout le travail est effectué dans l’atelier, il n’y a pas d’improvisations, et ce n’est pas une installation. Le choix du couple d’objets est à la fois formel et révélateur de sens. L’autre question

primordiale posée par le couple du violoncelle et de la bannière, dans l’exemple cité, est de savoir, qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Tout peut être de l’art, ou rien ne peut être de l’art. Heureusement, c’est une question sans réponse, mais elle reste ouverte. En effet l’objet, le violoncelle, n’est pas de l’art car il a une étiquette, chargée de références. L’autre objet, la bannière, pourrait faire penser à une œuvre d’art contemporain, plus libre de conception. Dans leur rencontre, on peut émettre un doute sur les raisons qui permettent de définir ce qui est ou n’est pas de l’art. • En 1983, Pierre Tilman, critique d’art, écrivait en titre de son texte du catalogue : « De quelques nouvelles impossibilités d’Eugène van Lamsweerde », comme pour énoncer son désarroi dans la tentative de cerner votre démarche artistique et la nature de vos œuvres. Mais il concluait qu’un artiste qui « laisse aller le temps » … qui « laisse aller l’espace », est incontestablement un poète. Est-ce pour vous également la fonction idéale de l’artiste dans nos sociétés ? Pour moi, l’art est sans but. Dans mon atelier, je ne peux pas me permettre de penser à l’effet, aux conséquences de mon travail. J’ai par contre une attitude de réceptivité qui ne peut être restreinte ou contenue par des exigences venant du monde extérieur. C’est une manière d’être. Mais je fais partie de ce monde extérieur, je ne suis pas isolé, solitaire, car le processus dans ma démarche de travail est de laisser arriver et donc de ne pas avoir d’obstacles, de freins, pour que l’œuvre puisse prendre forme, par un geste, un trait, une soudure, un assemblage. Je ne fais pas un art social, directement lié à son temps, mais je suis un acteur dans la société car je donne la possibilité à une œuvre de n’exister que par moi et qui ne serait pas autrement. C’est pourquoi j’apprécie tous les chemins personnels des autres artistes. S’il est authentique, selon mon critère d’une recherche en profondeur et d’une attitude « verticale », cet artiste ajoute au monde.

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L’ÉCOLE MUNICIPALE DES BEAUX-ARTS 37 rue Général Saussier, Troyes

La Chapelle de l’ancienne Abbaye Saint-Martin-ès-Aires accueille une série d’œuvres réalisées par Eugène van Lamsweerde et Inez van Lamsweerde appelées «sculptographs». Ces œuvres combinent 2 techniques : La photographie et la sculpture. Eugène sélectionne minutieusement certaines photographies créées par sa nièce, qu’il découpe, le plus souvent, afin de ne conserver qu’un détail de l’image initiale, et qu’il manipule ensuite comme un matériau quelconque en le pliant, le froissant, le tordant, etc. Il travaille ensuite de fines tiges de métal qu’il sculpte à partir et autour de l’image choisie, comme pour lui créer un environnement. Il attribue ainsi une troisième dimension à ces images, celle de l’espace. L’univers en expansion qui apparaît alors est tout à la fois beau et fragile, précieux et gracieux, protecteur et inquiétant. Par ailleurs, une embarcation d’acier occupe le cœur du cloître. L’École Supérieure de Design du Groupe ESC Troyes propose, en cinq années, un parcours riche qui va contribuer à professionnaliser des passions et des talents. Le design, tel que nous le concevons, n’existe que s’il s’agit d’une réflexion globale s’appuyant sur des influences multiples nourries de philosophie, de sociologie, de poésie, d’art, d’écologie mais également de marketing et d’économie. Car c’est bien cela qui fera la différence.Savoir anticiper les tendances, créer des objets et des formes nouvelles est important, mais savoir les adapter à un marché, à une demande et être en accord avec le monde de l’entreprise est un autre enjeu. C’est pour cette raison que nous formons des designers conscients du monde professionnel grâce à leur immersion en entreprise, avec plus d’une année de stage sur le cycle complet. Les entreprises nous accompagnent dans la pédagogie de l’école, dans les nombreux projets, et participent à l’enrichissement de votre expérience et à votre employabilité une fois sur le marché du travail. Le designer doit être un manager responsable de sa création et de l’équipe qu’il anime. Avec un semestre en université étrangère, une créativité décuplée au fil des années et un engagement professionnel fort mixant des compétences en design et en management en 4e et en 5e année, l’École Supérieure de Design forme bien plus qu’au design. Totalement intégrée au sein du Groupe ESC Troyes, l’École Supérieure de Design développe de nombreuses synergies avec les autres formations du groupe. Projets pédagogiques, associatifs, professionnels, les étudiants en management et en design travaillent régulièrement ensemble. Ce rapprochement entre une école de design et une école de management permet également de développer un réseau d’entreprises important et un choix d’universités partenaires pour les séjours à l’étranger de plus en plus large. En attendant, notre école propose cinq années pour cultiver des envies et des passions grâce à plusieurs options qui feront des diplômés des designers, acteurs incontournables du changement et de l’innovation, et qui apporteront des réponses aux défis de notre temps.

Après plusieurs visites des salles d’exposition Raymond Moretti de la Maison du Boulanger, l’artiste Eugène van Lamsweerde a souhaité présenter une série de dessins encadrés au crayon ainsi que des objets en technique mixte. Eugène van Lamsweerde propose également une sculpture pour chaque lieu, en guise de fil rouge. À la Maison du Boulanger son choix il présente une table en inox de 1850 x 950 x 950 mm, placée dans la cour intérieure. Le centre culturel – La Maison du Boulanger est depuis 2011 Etablissement public administratif, son action a évolué depuis ces presque 40 ans d’existence. La Maison du Boulanger a pour vocation de développer le potentiel culturel local et s’est fixé comme objectif de le faire rayonner au-delà des frontières de la région. Structure multidisciplinaire, elle est la plate-forme fédératrice de l’action culturelle grâce, entre autres, à son centre de ressources, lieu de conseils et d’aides aux artistes et aux associations culturelles. Centre de relais, elle apporte informations, financements, soutiens matériel et aides logistiques à tous les artistes, professionnels comme amateurs. Le centre culturel a pour mission de réaliser une programmation d’animations culturelles dans les domaines du spectacle vivant (Saison spectacles vivants), des musiques actuelles (concerts – Ville en musique, …), des arts plastiques, du livre et du cinéma (art et essai et festival cinéma étranger pour les jeunes). La Maison du Boulanger s’est lancée aussi dans l’édition d’ouvrages dans lesquels la ville, les hommes et le patrimoine troyen sont au cœur de la préoccupation littéraire. Cette programmation accompagne les acteurs et créateurs Troyens, Aubois et Champardenais à 80%. Aidée par de nombreux partenaires publics et privés, elle est réalisée avec la ville de Troyes, ses propres ressources et le concours d’associations. Le centre culturel vise à familiariser le public à la création contemporaine, quels que soient les langages usités (plastique, musical, littéraire, théâtral…) et à multiplier les échanges entre les artistes et le public grâce à la mise en place d’une programmation de spectacles riche et variée, d’événements culturels importants, de concerts, d’expositions… Dans le domaine des arts plastiques, le public est invité à nouer des liens durables avec les artistes dans les salles d’exposition Raymond Moretti de la Maison du Boulanger, sur le site d’art contemporain Ginkgo qui se compose du centre d’art contemporain /Passages, de deux résidences permettant d’accueillir des artistes du monde entier et de 10 ateliers pour les plasticiens locaux ou lors de la biennale « les artistes ouvrent leur porte ». La Maison du Boulanger abrite en ses murs la Direction et l’administration du centre culturel ainsi que le guichet d’informations culturelles et la billetterie de l’ensemble des spectacles vivants de Troyes. Les deux salles d’exposition accueillent 5 à 6 expositions par an d’artistes plasticiens aubois.

La Médiathèque est implantée au cœur de la cité, à proximité du Conservatoire de Musique et de l’espace Argence (salle de concert et espace de congrès). Conçu par le cabinet d’architectes Pierre Du Besset et Dominique Lyon, le bâtiment témoigne d’une architecture audacieuse, récompensée en 2002 par le prix d’architecture contemporaine l’Équerre d’argent. La Médiathèque est dotée de façades aux coloris pastel et ornée, au plafond, d’une immense résille d’aluminium dorée et ondulée. Entièrement vitrée, organisée en plusieurs salles, séparées par des cloisons transparentes, des espaces de lectures y jouxtent les espaces dédiés aux animations. Lieu de vie, la Médiathèque s’attache en effet à faire vivre ses collections à travers une programmation culturelle riche et variée pour tous. En partenariat avec les acteurs institutionnels ou associatifs locaux, elle propose des animations, des cycles de rencontres, des conférences et des ateliers. Des expositions sont proposées tout au long de l’année, destinées à faire connaître les fonds anciens, le patrimoine littéraire contemporain ou l’illustration jeunesse. La création contemporaine y a également toute sa place. La Médiathèque abrite ainsi une œuvre d’art de l’artiste américain Lawrence Weiner, commandée dans le cadre du 1% artistique. Créé dès l’ouverture, le service Hors-les-murs intervient auprès de différentes structures à caractère médical ou social (maisons de retraite, hôpitaux, prison …), par des dépôts de documents et des animations. La Médiathèque est aussi une bibliothèque universitaire, et accompagne, par le biais des collections et des services, les étudiants du Centre universitaire troyen, de l’Université de Technologie de Troyes, et des autres établissements d’enseignement supérieur de l’agglomération. Pionnière dans le domaine du numérique, pour la numérisation de ses fonds comme pour les services en ligne qu’elle propose à ses usagers (vidéos à la demande, cours de langues, livres numériques, ou livres audio), la Médiathèque du Grand Troyes n’en est pas moins l’héritière d’une riche histoire. Elle conserve en effet de prestigieuses collections anciennes, parmi lesquelles la plus riche collection française de manuscrits médiévaux après la Bibliothèque nationale de France, mais aussi une remarquable collection d’incunables (livres imprimés avant 1500), ainsi que les célèbres livrets de colportage de la Bibliothèque bleue. La richesse de ce patrimoine écrit a été reconnue sur le plan international, par l’attribution en 2009 du label « Mémoire du Monde » de l’Unesco, pour le fonds de Clairvaux. L’architecture du bâtiment répond là encore à une volonté de transparence et de mise en valeur de ce patrimoine. La Grande salle de l’abbaye de Clairvaux, qui autrefois abritait la bibliothèque, y a été reconstituée à l’identique. Des vues sont ménagées à travers ses parois, permettant aux visiteurs d’admirer les quelque 48 500 livres anciens. De dimensions impressionnantes, la Grande salle est régulièrement ouverte au public à l’occasion de conférences ou d’expositions. Autour de cette salle, une exposition permanente baptisée « Mille ans de livres à Troyes » retrace l’histoire de ces fonds et permet au public d’admirer quelques-uns des ouvrages les plus précieux.

Une grande sculpture en aluminium de 6000 x 2200 x 1400 mm, créée en 1973, est réactivée dans la cour de l’École municipale des Beaux-arts de Troyes pour être vue en permanence durant l’exposition depuis la Place Jean de Mauroy, dit le Parvis du Gros raisin. L'École municipale des Beaux-Arts a pour objectif de sensibiliser les jeunes aux arts plastiques et de préparer à l'entrée des diverses écoles d'art. Particulièrement, elle propose des ateliers pour adolescents et adultes (dessin, peinture, gravure et autres pratiques artistiques). Par ailleurs, elle dispense des cours permettant à ses apprentis artistes d’accroître leurs connaissances en histoire de l’art. L’Ecole des Beaux Arts de Troyes existe depuis 1773, et après avoir déménagé 11 fois elle s’installe définitivement au 37 de la rue Général Saussier. Située dans le cœur de la ville, l’École est intégrée à l’espace culturel, à proximité du Centre Culturel (La Maison du Boulanger), des Musées, du Conservatoire, de la Médiathèque, du Centre d’art contemporain / Passages, des ateliers d’artistes Ginkgo…

EXPOSITION DU VENDREDI 9 NOVEMBRE AU VENDREDI 30 NOVEMBRE 2012 Vernissage le jeudi 8 novembre 2012

EXPOSITION DU SAMEDI 1er DÉCEMBRE 2012 AU DIMANCHE 27 JANVIER 2013 Vernissage le vendredi 30 novembre 2012

EXPOSITION DU 21 JANVIER AU 22 MARS 2013 Présence d’une sculpture récente, dès le 18 octobre 2012

EXPOSITION DU VENDREDI 19 OCTOBRE AU VENDREDI 14 DÉCEMBRE 2012 Vernissage le jeudi 18 octobre 2012

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L’E.M.B.A est un lieu ouvert à tous et dispense des ateliers pour les adultes, les adolescents, les étudiants (préparation aux examens et concours d’entrée aux différentes École supérieures d’Art) et les enfants à partir de 8 ans. (474 inscrits en 2011/12, 231 enfants/ados et 243 adultes). Chacun peut développer ou consolider, en amateur, ses pratiques artistiques. Il s’agit d’ateliers et non de cours magistraux, où sont abordées à la fois les pratiques traditionnelles et une ouverture sur l’art contemporain. Lieu de rencontres et de stimulations, de parole et de partage où la curiosité n’est pas un vilain défaut. Un espace d’expérimentation qui laisse la place à l’expression de chacun, apprendre à choisir, à s’affirmer et à se créer une zone de liberté. « Avant toute chose, avant d’instruire, il faut apprendre à voir et à créer le désir » P. Soulages. L’École propose des visites d’expositions, des conférences, des stages et des ateliers ponctuels animés par des artistes, la participation à des projets transversaux, à des manifestations culturelles permettant de nourrir la réflexion, les recherches des élèves et d’élargir leurs connaissances. Chaque année des expositions individuelles et collectives des divers travaux d’ateliers sont organisées. L’équipe est composée pour l’administration d’une secrétaire et d’une directrice, de 9 enseignants et de 11 modèles. Les ateliers proposés sont : la peinture, le dessin, le volume (avec et sans modèle vivant), le modelage et la céramique, mais aussi la gravure, la bande dessinée et l’histoire de l’art.

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© Carole Bell /Ville de Troyes

LA MÉDIATHÈQUE DU GRAND TROYES Boulevard Gambetta, Troyes

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LA MAISON DU BOULANGER / CENTRE CULTUREL 42 rue Paillot de Montabert,Troyes

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L’ÉCOLE SUPÉRIEURE DE DESIGN 13 boulevard Henri Barbusse, Troyes

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+ LA MÉDIATION DE 50 ANS DE PRODUCTION ARTISTIQUE +

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LES LIEUX D'EXPOSITION

© Pascal Jacquinot

« Un événement à caractère rétrospectif de l’artiste aubois Eugène van Lamsweerde, sur 50 ans de production artistique, réalisé autour d’une série d’expositions »


AU SERVICE DU BÂTIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS DEPUIS PLUS DE 50 ANS —

La poésie d’un jardin, l’esprit d’un lieu…

La visite du parc, le salon de thé, la boutique, la vente de rosiers… — 11 rue des Prés à Provins — roseraie-provins.com

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ÉPILOGUE !

matali crasset /

+ L'ESPACE REDESSINÉ +

« Variété, c'est ma devise »

(Voltaire)

vernissage le jeudi 14 février 2013 à partir de 18h30

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ne prairie sauvage qui distille un parfum de souvenir d'été. Une bâtisse qui vit des hommes d'une foi illusoire vivre leur ordre. Un parc arboré de séculaires marronniers qui accueillit secrètement Voltaire pour lui offrir son ultime demeure d'homme libre des institutions. Un artiste et son épouse, venus du pays des tulipes, chaleureux et charmants, à l'accent chantant. Une jeune demoiselle théoricienne de l'art venue de l'ex-bloc de l'est, dont on imaginerait les formes en modèle d'école d'art. Des ateliers, des œuvres à foison, diverses mais mues par une même volonté d'attraper l'espace. Je me remémore ces instants riches en images kaléidoscopiques, chromatiques, riches en formes métalliques, et de corps féminins nus. L'art a ici élu domicile, en cette terre des Comtes de Champagne et de l'amour courtois. L'encre virtuelle ne peut hélas pas esquisser toutes ces impressions, car ici les mots ne sont pas utiles. En s'effaçant, ils rendent à l'espace ce qu'ils lui dérobent sur pages formatées, sans y être invités. Ici s'ouvre une cinquième dimension. Celle de l'espace éclairé. (Alexis Jama-Bieri)

avec le soutien de la Maison de Champagne Chassenay d’Arce — exposition 15 février - 12 avril 2013 — ouvert du lundi au samedi de 14h à 18h, sauf les jours fériés

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