2 minute read

2.2.4 La confusion des mondes

le néant. En fonction de la série, on va cacher l’abattage de l’animal ou la traite des vaches. C’est une façon de maintenir à distance des situations parfois compliquées à appréhender. «Les conditions de production industrielle de la viande sont telles qu’elle a été complètement distinguée du corps d’un animal vivant» (Bombo Perozzi Gameiro, Dupuis & Forte Maiolino Molento, 2020), raison de plus pour jeter un voile pudique sur une question qui est source de débats et d’inquiétudes pour le consommateur.

Cette stratégie elliptique apparaît également dans la manière dont les annonceurs évoquent régulièrement le travail de l’élevage et de la viande, sans jamais rien en montrer. D’une certaine manière, l’ellipse confère une tonalité inoffensive au projet, à l’extrême inverse de toute représentation indésirable de la viande comme un sujet sérieux (traitant de bien-être animal, de mauvais traitements et d’abattage).

Advertisement

De même, la plupart des publicités ne parlent pas explicitement du produit; elles préfèrent détourner l’attention sur autre chose (des prix attractifs, faire la fête ensemble, le sentiment d’appartenance à une famille). Cette technique de détournement de l’attention est utilisée par les magiciens et les illusionnistes pour empêcher le public de voir comment le tour est joué. Dans le corpus, on relève quelques exceptions à cette stratégie, en sachant que les publicités semblent se focaliser davantage sur le produit lorsque celui-ci est haut de gamme, comme c’est le cas des programmes pour une agriculture durable.

En analysant ces tactiques, nous avons constaté que la publicité se concentrait souvent sur autre chose que le véritable argument d’achat, notamment lorsqu’il s’agissait de produits de mauvaise qualité ou dont l’origine est problématique. À l’inverse, les publicités pour les produits bio Naturaplan ou pour de petites marques de viande haut de gamme (p. ex. Ticinella) montrent le vrai lieu de vie des animaux et parfois même le processus de production. Ce sont des éléments que l’on voit davantage dans les publicités pour des fromages ou des produits laitiers de qualité (Coop Naturaplan, cf. 3.2.3) et quasiment jamais dans les publicités pour de la viande (à quelques exceptions près, dont Proviande, Admeira no 1026875, ou encore les produits phares Ticinella et Rapelli). En somme, il apparaît que plus la publicité est implicite et l’attention détournée du produit et de son origine (l’animal, ses conditions de vie et les conditions de production), plus le produit et son processus de production sont douteux.

2.2.4 La confusion des mondes

Plusieurs séries, émanant d’entreprises financées par les contribuables et de détaillants privés, font clairement un amalgame entre les espèces (voir l’illustration 7). Premièrement, on relève une tendance exacerbée à l’anthropomorphisme, en particulier de la vache qui est anthropomorphisée à la fois dans le discours et dans les représentations visuelles (Proviande, cf. 3.1.2; Swissmilk, cf. 3.1.5; Coop, cf. 3.2.3; Migros, cf. 3.2.6 et 3.2.8). Par ailleurs, les séries construisent leurs spots autour d’un lien visuel entre l’animal et l’enfant, ou entre la femme et l’animal. Dans le premier cas, l’animal est présenté comme un membre de la famille (dans les séries Proviande surtout), il est chouchouté, aimé et câliné comme un enfant; dans le second, la femme est comparée à la viande. Deuxièmement, une confusion est créée entre les mondes. Ainsi, le monde végétal est «animalisé» et le monde animal est «végétalisé», comme le montrent ces éléments du discours: «filets de légumes» («Grilétariens», Migros, cf. 3.2.8) ou «la viande qui pousse dans la halle à poulets» («La famille Staub», Proviande, cf. 3.1.2).

This article is from: