Il était une fois dans l'Ouest de Sergio Leone

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LES MEILLEURS FILMS DE NOTRE VIE Collection dirigée par Enrico GiacovElli

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IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST [ C’era una volta il West, 1968 ] DE

SERGIO LEONE ROBERTO DONATI

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IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST DE SERGIO LEONE

Nom

Leone

Prénom Né le À

Sergio

3 janvier 1929

Rome (Italie)

Mort le

30 avril 1989

À

Rome

De

infarctus

Enterré à

Pratica di Mare (province Rome), Italie

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LA CARTE D’IDENTITÉ DU RÉALISATEUR

Filmographie (réalisation)

Les Derniers Jours de Pompéi (Gli ultimi giorni di Pompei, 1959)1 Le Colosse de Rhodes (Il colosso di Rodi, 1961) Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari, 1964) Et pour quelques dollars de plus (Per qualche dollaro in più, 1965) Le bon, la brute et le truand (Il buono, il brutto, il cattivo, 1966) Il était une fois dans l’Ouest (C’era una volta il West, 1968) Il était une fois la révolution (Giù la testa, 1971) Mon nom est Personne (Il mio nome è Nessuno, 1973)2 Il était une fois en Amérique (C’era una volta in America, 1984)

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Crédité comme réalisateur de seconde équipe uniquement, alors qu’en réalité il a dirigé une bonne partie du film (signé pourtant par Mario Bonnard). 2

Non crédité, il a dirigé plusieurs scènes (parmi les plus importantes et les plus réussies) du film, signé pourtant par Tonino Valerii.

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IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST DE SERGIO LEONE

IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST (1968)

réalisation : Sergio Leone ; sujet : Dario Argento, Bernardo Bertolucci, Sergio Leone ; scénario : Sergio Donati, Sergio Leone ; photographie : Tonino Delli Colli (Techniscope, Technicolor) ; musique : Ennio Morricone, dirigée par l’auteur ; son : Claudio Maielli ; montage : Nino Baragli ; décors et costumes : Carlo Simi ; maquillage : Alberto De Rossi ; décors : Carlo Leva ; assistant réalisateur : Giancarlo Santi. interprètes et personnages : Claudia Cardinale (Jill McBain), Henry Fonda (Frank), Charles Bronson (Harmonica), Jason Robards (Manuel « Cheyenne » Gutiérrez), Gabriele Ferzetti (Morton), Paolo Stoppa (le trappeur Sam), Woody Strode (Stony, le tueur de couleur du prologue), Jack Elam (Snaky, le tueur qui se bat avec la mouche dans le prologue), Al Mulock (Knuckles, le tueur qui se torture les mains dans le prologue), Marco Zuanelli (Wobbles), Keenan Wynn (shérif de Flagstone), Frank Wolff (Brett McBain), Enzo Santaniello (Timmy McBain), Simonetta Santaniello (Maureen McBain), Lionel Stander (barman), John Frederick (coéquipier de Frank), Fabio Testi (membre de la bande de Frank), Benito Stefanelli (membre de la bande de Frank), Spartaco Conversi (membre de la bande de Frank sur qui Cheyenne tire à travers la botte), Aldo Sam brell (membre de la bande de Cheyenne), Dino Mele (Harmonica enfant), Claudio Mancini (frère ainé d’Harmonica enfant), Raffaella et Francesca Leone (jeunes filles à la gare de Flagstone), Luana Strode (femme indienne dans le prologue), Aldo Berti, Livio Andronico, Salvo Basile, Bruno Corazzari, Conrado Sanmartin, Luigi Ciavarro, Renato Pinciroli, Ivan G. Scratuglia, Paolo Figlia, Stefano Imparato, Frank Leslie, Luigi Magnani,

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LA CARTE D’IDENTITÉ DU FILM

Umberto Marsella, Enrico Morsella, Tullio Palmieri, Sandra Salvatori, Claudio Scarchilli, Michael Harvey, Marilù Carteny1. origine : Italie / États Unis. production : Bino Cicogna pour Rafran Cinematografica et San Marco Films (producteur exécutif : Fulvio Morsella). extérieur : Almería et Guadix (Espagne), Arizona et Utah (États Unis). distribuction : Euro International Films / Paramount. première projection : 21 décembre 1968. première projection en France : 27 août 1969. durée cinématographique : 175’ minutes (version italienne intégrale restaurée [director’s cut]) ; 167’ (version italienne originale) ; 165’ (version américaine) ; 164’ (version française) ; 159’ (version espagnole) ; 144’ (version anglaise). Format : 2.35:1

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Principaux acteurs de doublage de l’édition italienne : Rita Savagnone (Jill), Nando Gazzolo (Frank), Carlo Romano (Cheyenne), Giuseppe Rinaldi (Harmonica), Bruno Persa (Snaky), Oreste Lionello (Wobbles), Pino Locchi (inspecteur de la bande de Frank), Stefano Sibaldi (shérif), Corrado Gaipa (Brett), Cesare Polacco (barman).

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Claudia Cardinale – Jill McBain

Charles Bronson – Harmonica

Jason Robards – « Cheyenne »

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LA CARTE D’IDENTITÉ DU FILM

Henry Fonda – Frank

Lionel Stander – Barman

Paolo Stoppa – Sam

Gabriele Ferzetti – Morton

Frank Wolff – Brett McBain

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Enzo Santaniello – Timmy

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synopsis Il était une fois dans un ouest lointain, non loin de la ville de Flagstone... L’homme d’affaires Morton (gabriele ferzetti) s’associe avec l’impitoyable tueur Frank (henry fonda) et avec sa bande de hors-la-loi pour s’approprier le terrain de Sweetwater, le seul terrain de la région – comme l’indique son nom – à avoir une source d’eau : il appartient à l’intraitable Irlandais Brett McBain (frank Wolff) ; c’est sur ce terrain que passera le chemin de fer que finance Morton – un magnat infirme – un chemin de fer qui reliera la côte atlantique à celle du Pacifique. Ainsi, la ferme située en plein coeur de Sweetwater et construite par McBain de ses propres mains, devient le théâtre d’une série d’événements dramatiques. En ville, pendant ce temps-là, arrive un mystérieux étranger surnommé Harmonica (charles bronson) – parce qu’il joue continuellement de cet instrument – lequel entend bien se venger d’un préjudice subi plusieurs années auparavant et causé par Frank. L’ancienne prostituée Jill (claudia cardinale) arrive de New Orléans, chargée de valises et d’espoirs, peu de temps auparavant, elle a épousé en secret McBain et elle rêve, grâce à lui, de pouvoir changer de vie et de fonder une famille comme il se doit ; mais en arrivant ce n’est pas son nouveau conjoint qui l’accueille, ni les deux enfants de celui-ci nés d’un premier mariage, mais leurs funérailles : quelqu’un s’est chargé d’exterminer la petite famille. Il y a aussi le bandit Cheyenne (jason robards), qui a échappé à la justice et qui rôde autour du ranch pour différents motifs : d’une part il est attiré par les formes généreuses de la femme et d’autre part il est mêlé aux intrigues ferroviaires, ce qui le pousse, comme Harmonica, à ne pas s’éloigner de la région. Jill, désormais propriétaire du terrain sur lequel sera construite une gare ferroviaire et la ville tout autour, est piégée par Frank (c’est lui qui a exterminé son mari et sa famille), lequel l’oblige à vendre sa

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propriété aux enchères afin qu’il puisse la racheter à un prix dérisoire. Mais finalement c’est Harmonica – toujours au courant de tout et protecteur vis-à-vis de la femme – qui se l’accapare avec l’argent de la prime qu’il a touchée pour avoir capturé Cheyenne (lequel, peut-être de mèche avec lui, parviendra à retrouver la liberté). Frank a perdu la confiance de Morton et, grâce à l’aide providentielle et inattendue d’Harmonica, il échappe à l’attentat perpétré par ses égorgeurs ; mais il comprend que l’heure de la confrontation et de la révélation a sonné. Harmonica le tue lors d’un duel non sans lui avoir d’abord fait comprendre qui il est et pourquoi il le persécute avec autant d’obstination : puis, une fois sa mission accomplie, il s’en va. Pendant ce temps-là, Cheyenne et ses hommes ont descendu Morton, déjà diminué par une tuberculose osseuse ; mais le bandit, mortellement blessé par le magnat infirme, meurt immédiatement après. À Sweetwater il ne reste plus que Jill : tandis qu’elle attend l’arrivée du premier train, elle suit le dernier conseil de Cheyenne et apporte un peu d’eau et de chaleur aux ouvriers dehors qui sont en train de travailler pour elle et pour construire la nouvelle ville, le nouveau Pays.

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INTRODUCTION

Nous sommes en hiver 1993, en février de mémoire. Tu n’as pas encore treize ans et tu es en cinquième : à l’école ça se passe bien, mais récemment, il t’est venu une lubie étrange, une sorte d’agitation, ou plutôt d’inquiétude. Finalement tu n’aimes plus vraiment aller à l’école. Aux leçons et aux professeurs, tu préfères la compagnie de tes amis : par une sorte d’instinct de survie, tu es devenu ami avec les « brutes » de ta classe et, avec eux, tu t’amuses bien. Tu es devenu un peu tyran toi aussi. Tu fais marcher ton camarade qui, hier encore, était ton meilleur ami d’enfance ; tu bavardes et tu rigoles tout le temps ; tu t’amuses à larguer des pets silencieux pour voir, et sentir, l’effet qu’ils produisent – récemment tu as lu Ça de Stephen King et, tu t’es dit à toi-même dans un grand élan d’égocentrisme, que dans cette histoire ils le font continuellement. Te sens-tu changé ? Te senstu différent ? Te sens-tu un autre ? Non. Au contraire : tu t’amuses, comme jamais tu ne l’avais fait avant, et les autres apprécient ; au fond, tu n’es pas devenu méchant, tu n’es pas devenu un voyou, ni un rebelle, tu es juste un gamin de 13 ans un peu vif. Voilà tout. On ne peut changer du tout au tout. Lors des entretiens avec les parents, en revanche, cette année, pour la première fois, presque tous les professeurs disent que tu sembles être quelqu’un d’autre, ils t’apparentent

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à un scorpion, ils disent que tu as changé, que tu as empiré, que ça ne va plus... Mais les notes restent bonnes, peut-être pas excellentes comme l’année précédente, mais bonnes tout de même, et finalement les professeurs eux-mêmes ne savent pas trop quoi en penser, ni ce qu’ils pourraient dire à tes parents. La banalité de la formule « il est intelligent (ou éveillé), mais il ne s’applique pas » ne fonctionne pas plus que la formule « il étudie, mais il n’y arrive pas ». Non, la seule qui fonctionne ici est « oui, mais... », ou « tout va bien, mais... ». Pourtant, le fait est que l’école peut être ennuyeuse, sans qu’il soit nécessaire d’en faire un drame, mais c’est comme ça. Ce n’est pas dramatique au fond de s’ennuyer : soit cela t’apprend à être mieux avec toi-même, soit cela te permet de trouver des alternatives, des stratégies. Dans les deux cas, tu grandis. Et puis, maintenant, tu as une nouvelle passion dévorante : le cinéma, et plus particulièrement les films d’horreur. Chez toi, heureusement, on regarde peu la télévision mais quand on la regarde ce sont toujours de beaux films et tu as pu en regarder beaucoup : malgré ton jeune âge, tu peux te vanter d’avoir vu de nombreux films d’Hitchcock, quelques films de Kubrick, peut-être même un ou deux films de Bergman, un de Kurosawa, et bien sûr des films pour enfants, des dessins animés, de nombreux westerns, certainement Le Parrain puisque c’est le film préféré de ton père, et ainsi de suite. Différents films, différents genres, différents auteurs, mais somme toute, peu de films d’horreur. Bien que l’une de tes tantes maternelles regarde tous les films d’horreur de cette terre pour pouvoir vous les raconter ensuite, à vous tous, ses neveux, et vous enchanter de ses récits uniques et affabulatoires ; la Commission de Censure, composée de ta mère (ta mère avant tout et, après seulement, ton père) ne laisse pas passer la chose facilement, ni volontiers. Peut-être croit-elle que tu vas encore confondre fiction et réalité, que tu vas être effrayé ou que cela va te perturber. Non. Elle se trompe – comme c’est le cas des femmes, très souvent, tu le découvri-

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ras plus tard, lorsqu’elles appliquent à elles-mêmes et aux hommes le critère de l’émotivité dans le choix ou dans le jugement d’une œuvre d’art. Mais c’est comme ça. Le fait est que, lorsque tu verras les films Sueurs froides d’Alfred Hitchcock et Reservoir Dogs de Tarantino (ces derniers étant passés entre les mailles du filet de la Commission Censure en raison de leur genre dit plutôt « polar » ou « gangster » et parce que ce sont des films réalistes et non pas des films de fiction stupides), là oui, tu prendras peur. Car, le premier te marquera à vie, encore aujourd’hui c’est ton film d’horreur préféré par excellence, le seul qui t’a empêché de dormir pendant plusieurs nuits ; et parce que le deuxième, justement par son côté réaliste, ne sera pas un jeu à tes yeux, ni une simple fiction, une infraction évidente au code des règles de la réalité et ainsi, il te causera beaucoup d’inquiétude. Les films d’horreur, donc. Les films d’horreur, ceux dont tes camarades de classe, surtout ceux qui ont redoublé et qui sont donc plus âgés que toi, te parlent avec insistance et intérêt ; ceux dont tu peux parler avec eux à tout moment, pendant les cours, entre les cours, lors des coups de fil de l’après-midi ; ceux dont tu parles et tu reparles dans ton journal intime, en écrivant obsessionnellement le titre, le réalisateur, les acteurs, bref la « carte d’identité » ; ceux à découvrir, à redécouvrir, à revoir, en cachette de tes parents, à l’abri de la censure, et – comme tes parents ont pris leur retraite de bonne heure et sont constamment à la maison – chez des copains dont les parents ne sont pas encore rentrés parce qu’ils travaillent. La découverte tout d’abord collective, puis individuelle, du Mal, du sang (si important surtout pour nous, les garçons, qui ne sommes pas au contact du sang réel du cycle menstruel), des horreurs de ce monde, du fait que bien souvent même le rêve ne peut pas être une issue (Nightmare) et il faut alors, dans la réalité, se retrousser les manches pour avancer, pour survivre, pour vivre tout simplement. Les films d’horreur sont alors comme une libération, inconsciemment bien sûr, et c’est comme s’ils

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étaient là pour te donner le sens des responsabilités (si tu t’égares, si tu ne suis pas les règles, si tu n’en fais qu’à ta tête, tu finis toujours mal : froid, raide, mort) ou encore le sens de l’angoisse, de l’inquiétude comme pour te rappeler ce qu’il y a d’angoissant juste là, dehors, ici et maintenant. Les films d’horreur sur lesquels tu t’interroges, le matin suivant, entre un « tu as fait ton exercice de maths ? » et un « tu as fini tes devoirs de grammaire ? ». Ces questions purement péremptoires ne pouvaient pas être comparées aux autres, pures et libératoires comme : « Tu as vu La maison ? » D’après toi, s’ils devaient se battre, qui gagnerait entre Freddy et Jason (des années plus tard, Hollywood donnera souvent une réponse à ces vieilles questions ingénues et magnifiques – des réponses souvent indignes de ce nom et de ton imagination) ? Toi, tu préfères Carpenter ou Craven ? Et lequel des Vendredi 13 tu préfères ? Et Tina dans le premier Nightmare, quelle bombe ! On s’interrogeait, on se passionnait, on se disputait, on se connaissait mieux. Et au milieu de tout ça, bien souvent le sujet du sexe venait se mêler au reste, grossier, trivial, par le jeu des hormones qui commençaient à se libérer en nous, en créant par ailleurs un lien subtil et intrigant : la mécanique répétitive de certains films d’horreur est-elle ou peut-elle être identique à celle de certains films pornos. Des questions en apparence enfantines, mais qui, en réalité, annonçaient les premières connaissances sur les analyses de texte, les premières compétences stylistiques et linguistiques, non encore appliquées aux textes écrits et à la littérature, mais au cinéma : et alors ? Ça changeait quoi ? Elles développaient un certain sens critique, plus ou moins raffiné mais aussi certaines capacités dialectiques : au fond, l’idée était toujours de convaincre l’autre que c’est toi qui avais raison, que ton point de vue était le meilleur. Le cinéma d’épouvante, mais le cinéma en général, voilà : comme espace limite vers lequel converger, s’affronter en duel, vaincre ou être vaincu. Plus simplement peut-être, pour reprendre les mots dont tu découvriras

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plus tard qu’ils étaient de Samuel Fuller, « s’émouvoir », et donc se sentir vivant, et donc être vivant. Vivants tous ensemble du reste : simultanément et passionnément. Nous sommes en hiver 1993, en février de mémoire. Tu n’as pas encore treize ans et tu es en cinquième : des nombreux westerns que tu as vus à la maison, et dont ton père est passionné (un jour ou l’autre, il faudra se pencher sur l’hérédité strictement masculine du genre western), un grand nombre d’entre eux est certainement de John Ford, mais autant sont de Sergio Leone. Sergio Leone. Un nom qui, déjà phonétiquement, sonne rond et plein, un nom que tu as toujours aimé. Un nom populaire, artisanal, fermier, qui sent bon les choses authentiques. Un nom et un prénom courts, brefs, secs mais pas anguleux ni contractés, plus ou moins de même longueur mais pas répétitifs ; un nom et un prénom qui créent de l’harmonie entre eux, du rythme, de la musique. Prononcés ensemble ou séparément, ils sonnent toujours bien. Ils donnent une idée de familiarité, de quelqu’un qui pourrait être de ta famille, ils sentent bon l’intimité. Et d’ailleurs, ses films sont intimes, familiaux, adaptés à toutes les saisons, à tous les soirs de la semaine, tout du moins ceux que tu connais, qui sont finalement au nombre de trois ou quatre : la « trilogie du dollar » et Il était une fois la révolution, ce dernier étant plus adulte dans les sujets traités et dans les issues et ce n’est pas par hasard que tu découvriras plus tard qu’il appartient plus à une seconde trilogie, idéale, celle « du temps », ou « de la nostalgie » ou du « il était une fois » qui cependant garde cet esprit picaresque, maladroit et qui se rapproche de nouveau de ses premiers films fulgurants. Ces trois premiers films justement que, à l’âge de douze ans, tu as déjà certainement vus et revus plusieurs fois : il y a de la violence, oui, mais maman est d’accord. Pourquoi ?, te demanderas-tu plus tard. C’est simple, sans doute parce que leur violence est une violence rassurante, récon-

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fortante – à la fin on assiste toujours au triomphe de la justice, si l’on peut dire, quoique latente et ambiguë – comme dans les dessins animés, une violence qui ne fait pas vraiment peur, même si ici les gens meurent vraiment et qu’elle est toujours égale à elle-même. On se tire dessus, on se relève, parfois on ne se relève pas, mais on se relèvera dans le film suivant ou alors on revient sous la forme d’un autre personnage, pas vraiment identique mais très semblable, reconnaissable, de nouveau « familier », léonien en fait, et ainsi de suite. Ce sont de vrais duels, oui, et on meurt vraiment, oui, mais tout ressemble à un jeu. À tel point que, dans l’un de ces trois premiers films, il y a précisément un duel qui est un jeu et Sergio Leone le sait bien, il en est même tellement conscient que, rusé comme il est, il l’a mis là exprès. Ainsi, sans le dire explicitement, on comprend par nous-mêmes que ces enfants qui observent en cachette ce duel étrange, ce jeu où les combattants curieusement « font comme nous » (nous les enfants), c’est nous finalement, nous spectateurs, nous plus ou moins adultes et le principe d’identification fonctionne parfaitement, rondement, familièrement. Familier, comme le nom de celui qui l’a créé : Sergio Leone. Léonien, de nouveau. Donc, oui, il y a de la violence, mais ces trois films, étranges, imparfaits, stupéfiants, passent à travers le filet de la censure maternelle, peut-être un peu grâce au coup de pouce (aujourd’hui on dirait l’engagement : comme ils sont laids les termes d’aujourd’hui) paternel. Voilà pourquoi, au-delà de la violence, on s’amuse, on s’amuse beaucoup ; voilà pourquoi ces films deviennent eux aussi, comme les films d’horreur, des objets et des sujets actifs de citations, de filiations, de références – autant chez toi qu’à l’extérieur ; et voilà aussi pourquoi le mécanisme est facile et archétypal : c’est celui du jeu des gendarmes et des voleurs, mais dans un monde où tout le monde veut jouer le rôle du voleur et, en conséquence, il y aura forcément des voleurs plus voleurs et des voleurs moins voleurs. Tel est le noyau, le cœur, le secret peut-être le plus simple et en

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même temps le plus profond de ces premiers films. Essayer de gagner comme gagneraient (ou devraient gagner, dans un monde idéal) les bons, bien qu’étant à la base des voleurs, donc des méchants et donc des êtres plus fascinants, plus mystérieux, plus irréalisables dans la réalité des faits, donc plus désirés. Trois films, disais-tu, qu’à l’époque tu connaissais déjà plus ou moins par cœur, mais pas seulement toi : la mémoire des films de Sergio Leone ne peut se limiter à être individuelle, c’est peut-être une mémoire historique, collective, jungienne. On naît en connaissant déjà par cœur les films de Leone, réplique après réplique, image après image, dans les détails. Les sentences de Sentence, le langage cru de Tuco, celui doux-amer de Douglas Mortimer, le caractère taciturne de « Joe », du Manchot, du Bon Blondin, trois visages de « l’étranger sans nom », trois visages d’un type d’Italien très identifiable et qui fonctionne bien dans le cinéma : le Romain. Tu vois un champ coupé sous le triangle des jambes ouvertes, avec un fond visible à travers le champ ouvert par ces jambes, et, que tu aies trois ans ou soixante-dix, tu sais répondre : Leone. Tu vois un très gros plan d’ensemble, dilaté horizontalement et coupé au niveau du front et du menton, des yeux rapaces qui scrutent hors du champ, hors du cinéma, qui nous scrutent nous, et que tu aies cinq ans ou quatre-vingt-dix, tu sais répondre : Leone. Certaines formes de cinéma savent vraiment comment être culturellement génétiques. Sur les trois films, que tu connais bien et qui t’amusent beaucoup, chacun à sa manière, tu préféreras toujours le premier, Pour une poignée de dollars, parce qu’il est sec, rapide, un genre à part. Pur, authentique. Mais les deux autres, si tu regardes de plus près, si tu observes avec un fond de critique, tu t’aperçois qu’ils sont même meilleurs, mieux pensés et mieux construits : Le bon, la brute et le truand est trop long et il se perd un peu mais c’est indubitablement le plus drôle ; Et pour quelques dollars de plus est à la fois drôle et mélancolique, c’est celui qui te parle le moins, le plus lointain et fuyant, mais c’est aussi celui

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qui, avec le temps, obtiendra toutes les faveurs, pour les mêmes raisons précisément pour lesquelles avant tu le comprenais moins bien et tu le considérais comme inférieur. Du reste, sur les trois, c’est celui qui anticipe le plus le fameux : « Il était une fois ». Nous sommes en hiver 1993, en février de mémoire. Tu n’as pas encore treize ans et tu es en cinquième. Soit parce qu’il passe moins à la télévision, soit parce que tu n’as pas encore décidé de le rechercher coûte que coûte, toujours est-il qu’un western signé Sergio Leone manque à l’appel. Il était une fois Il était une fois dans l’Ouest, parce qu’une fois que tu l’auras vu, on pourra dire « il est » ou « il sera » mais on ne pourra plus dire « il était ». Et voilà que, à l’horizon du programme télévisé que tu déchiffres attentivement, surtout depuis que tu possèdes un magnétoscope, le grand absent fait son apparition, le grand absent, le tant attendu. Ce sera un samedi, sur Italia Uno (tu aurais pensé que c’était plutôt un film du genre RaiTre, ou Rete 4, tout au plus), mais il y a un problème : toi, ce samedi-là, tu n’es pas là, tu seras chez tes grands-parents à Cesena, la famille en a décidé ainsi. Tu as toujours aimé, et d’ailleurs tu aimeras toujours aller à Cesena, mais là... juste à ce moment-là... Oh et puis ce n’est pas grave, il y a le magnétoscope, non ? Bien sûr, mais un jour tu t’es trompé, car tu n’as pas encore trop l’habitude et l’enregistrement ne s’était pas fait. Est-ce que tout ira bien cette fois-ci ? « Tu risques de ne jamais le savoir », t’aurait répondu Harmonica, si tu l’avais connu avant. Tout s’est bien passé, tu l’as regardé, tu n’as pas aimé. Nooon ? Non. Ton père a aimé mais pas autant que les autres ; ta mère a aimé, oui mais comme ça ; ton frère a adoré, plus que tous les autres membres de ta famille et plus que n’importe quel autre film de Leone. Comment se fait-il que toi tu n’aies pas aimé ? Aujourd’hui, tu le sais : ce n’est pas un film facile, Il était une fois dans l’Ouest, surtout pour

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un gamin de ton âge qui pense déjà tout savoir sur le cinéma. L’intrigue n’est pas linéaire, elle est plutôt compliquée et, dans certains cas même, tordue ; il y a bien toujours cette ironie mais elle sonne différemment par rapport à celle de la trilogie du dollar : plus élevée, « intellectuelle », obscure et fataliste. Elle a, à l’intérieur, quelque chose, quelque chose qui sent la mort – pour parler à la façon de Cheyenne. Les personnages sont plus étoffés : d’un côté toujours taciturnes, graves et inébranlables, mais de l’autre ils se trainent derrière eux des traumatismes et des conflits plus subtiles, plus psychologiques ; et puis il y a une femme, la femme, un monde complexe, stratifié et irrationnel s’il en est. Une violence qui fait plus mal : on meurt moins pour de faux, moins par amusement, moins par jeu, ici, malgré une première scène extraordinaire, pas seulement pour ses prouesses techniques qui font merveilleusement bien le lien entre l’époque d’avant, le « il était », et le maintenant, le présent, mais aussi entre l’après Il était une fois la Révolution – ce n’est pas un hasard si l’intention de départ était de lui donner le titre Il était une fois la Révolution – et Il était une fois en Amérique. Même la bande-son est différente : de picaresque et épique ou incroyablement expérimentale, elle devient mélancolique, plus suspendue, diluée. Trop d’éléments modifiés en fin de compte pour que le puzzle puisse se reconstituer. Déçu, tu le rejetteras pendant un bon bout de temps, même si, en réalité, pendant que toi tu grandis physiquement et que tu deviens plus mature sur le plan intellectuel, lui, silencieusement il grandit avec toi. D’ailleurs, à l’intérieur du film, à l’intérieur des films de Sergio Leone, le silence « parle » toujours. Nous sommes en hiver 2017, en février. Tu n’as pas encore trente-sept ans et tu es en seconde : derrière l’estrade, cette fois-ci. Ce silence, qui a duré et mûri pendant toutes ces années, est devenu un livre.

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