Des Graffitis Préhistoriques ?

Page 1


Vouloir faire remonter les graffitis aux premières expressions graphiques de l’homme suppose déjà une définition de ce qu’est ou n’est pas un graffiti.

Qu’est-ce que n’est pas un graffiti ?

Les dessins et peintures aurignaciennes de la Grotte Chauvet, les fresques magdaléniennes de Lascaux n’appartiennent pas au domaine du graffiti. Apparemment c’est l’extrême qualité de leur rendu qui les différencie du graffiti, mais ce critère peut être interrogé : il existe des graffitis dont la qualité graphique ou plastique n’a rien à envier à celles d’œuvres canoniques.



Qu’est-ce qui fait donc essentiellement la différence entre les rhinocéros, les aurochs, les félins de Chauvet, les chevaux, la scène du puits de Lascaux d’une part et telle ou telle représentation de mains, par exemple, dans une grotte préhistorique ?



Les premières, malgré leurs datations de 33 000 et 17 000 ans BP, sont les œuvres de spécialistes reconnus comme tels par la communauté à laquelle ils appartiennent qui se charge de leur entretient. Qui sont les seconds qui représentent des mains et que veulent-ils dire ? En essayant de répondre à ces deux questions nous nous approcherons peut-être d’une définition pérenne du graffiti.



Les mains prĂŠhistoriques Les reprĂŠsentations de mains positives


Ou nĂŠgatives


…sont extrêmement nombreuses sur les parois des grottes du Paléolithique supérieur. La majorité d’entre-elles sont des mains de femmes.



Un contact avec l’au-delà par le chamanisme ?


Pour certains archéologues comme Jean Clottes, qui se fondent sur des observations ethnologiques, les mains sur les parois des grottes illustrent la prise de contact entre les Paléolithiques et les forces de l’au-delà lors de cérémonies chamaniques.



La paroi est perçue comme un simple voile entre la réalité des hommes et celle des forces animales et telluriques. Il disparait au moment de la transe de l’officiant.



Le chamanisme pour expliquer les représentations pariétales paléolithiques est vertement critiqué par de nombreux archéologues au nom du fait, en particulier, qu’un chamane en transe ne peut pas réaliser la plupart des représentations du Paléolithique supérieur. A moins qu’il ne les ait réalisées après, en matérialisant le souvenir de ses visions. Les mains négatives réalisées en soufflant directement du pigment ou les mains positives plus simples encore à représenter sont par contre parfaitement faisables au moment même de la transe. L’hypothèse du chamanisme pour les mains peut donc être retenue.


Les mains un langage ?


De nombreuses mains négatives et positives se présentent avec des phalanges manquantes. L’hypothèse a d’abord été avancée que ces manques étaient le résultat de pathologies ou d’engelures. Mais la présence constante du pouce qui serait le seul à être insensible aux maladies et aux gel invalide l’hypothèse. Les doigts représentés incomplets ne le seraient pas à cause de phalanges manquantes mais à cause de phalanges repliées.



Et, ces mains pourraient représenter un langage. Une sorte de langage des signes matérialisé sur les parois par les peintures. Il y a des décennies une expérimentation avait été tentée par l’abbé Breuil, André Leroi-Gourhan et leurs collaborateurs. Ils avaient renoncé faute de résultats probants. De manière contemporaine l’archéologue Michel Lorblanchet affirme avoir pu reproduire la plupart des mains incomplètes connues en repliant ses doigts de la manière voulue. Ces Préhistoriques qui ont peut-être développé un langage n’étaient pas des chamanes mais des femmes et des hommes probablement sans pouvoir ni responsabilité particulières. N’est-ce pas les mêmes qui imprimaient la marque de leur main, complète cette fois, comme une signature sur les parois et abris sous roches ?


La main comme signature.


Depuis que l’écriture existe et qu’on peut approcher une certitude sur ce qui est dit, on trouve des témoignages de l’homme qui se nomme, qui affirme son existence avec une détermination d’autant plus grande qu’il sait qu’il n’appartient pas aux groupes de ceux dont les générations à venir retiendront le nom. Cet homme qui se nomme signe. Parmi les plus anciennes signatures on trouve celles de scribes égyptiens qui laissent leurs noms dans les chapelles funéraires des pharaons auxquels ils sont venu rendre hommage. Mais avant l’écriture ? Un aborigène d’Australie évoqué par Jean Clottes affirme avoir laissé la trace de ses mains dans un abri sous roche à un moment de vague à l’âme. En réaction à son ennui oppressant n’a-t-il pas cherché une forme d’affirmation de soi n’a-t-il pas lui aussi cherché à se nommer?


Cette affirmation de soi qui prend la forme de l’identité n’est-ce pas ce qui est demandé à travers les empreintes digitales mise au goût du jour au XIXe siècle par Bertillon qui n’a peut-être pas eu conscience de renouer peut-être avec une pratique multimillénaire ?

N’est-elle pas aussi remarquable cette affirmation de soi dans les empreintes de mains laissées par de nombreuses stars, pas toutes aussi connues que Marilyn Monroe, qui cherchent ainsi à éviter le gouffre de l’oubli ?





Certaines mains préhistoriques, à coté d’autres fonctions possibles, n’ont-elles pas eu celle d’affirmer une présence, un passage. A ce titre, ne peut-on pas les considérer comme les premières signatures de l’homme et ainsi les premiers graffitis ?

De la signature au graffiti. Le graffiti ne se résume pas à une marque écrite rapidement, tracée ou gravée. Il peut être aussi un dessin, une peinture, ou même un relief. Certains graffitis écrits peuvent-être poétiques, politiques, érotiques etc…Ce qui les différencie des autres écritures ou expressions graphico-plastiques c’est qu’ils ne répondent à aucune commande, sont manifestes et exécutés de manière spontanée soit par le « tout venant », soit par quelqu’un qui, au moment où il les exécute se met dans la position du « tout venant ».


Les signatures digitales laissées par le « tout venant » préhistorique ne trouvent-elles pas leur écho dans d’autres représentations du même type laissées par des peuples sans écriture des temps historiques ?


Ou bien encore dans les signatures écrites qui depuis des siècles ont été tracés ou gravés partout et qui représentent la majorité des graffitis anciens connus.


Les mains préhistoriques comme signatures ne sont-elles pas les premiers graffitis connus ?

Le graffiti est entaché d’une connotation négative. Il nous revient de montrer son caractère patrimonial et l’intérêt archéologique qu’il peut présenter. Il n’est pas sans importance de lui donner une définition et de l’ancrer dans le passé des premières expressions de l’homme. C’est ce que nous avons essayé de faire. Le travail de défrichage du graffiti ancien et de délimitation de son champ dans les cultures préhistoriques, tribales et historiques doit faire l’objet d’une discipline de recherche que nous nommerons la graffitologie.


Pour en savoir plus sur les graffiti anciens rendez-vous sur le site du GR.GA en cliquant ici


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.