Graffiti Navals de la Chapelle de Bavalan à Ambon (Morbihan)

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I. DONNÉES GÉNÉRALES

A. Les principales caractéristiques historiques et architecturales de la chapelle La chapelle privée de Bavalan liée à l'ancienne seigneurie de Bazvalan (en breton : le genêt) est presque l'unique témoin d'un ancien manoir situé au nord-ouest de l'étier de Billiers traversé par la rivière de Saint Éloi, au sud-ouest de Muzillac . La seigneurie de Bazvalan a été créée au XIIIe siècle. Le seigneur, devenu un

personnage de l'entourage du duc de

Bretagne, délaissera son ancien château pour résider dans son hôtel de Vannes.


Étier de Billiers avec Bavalan au nord


Vue sur l'ĂŠtier


La sortie vers la mer se trouve au fond et à gauche, en arrière de Billiers; le cap de droite prolonge la pointe de Bavalan


La chapelle rĂŠcemment restaurĂŠe


Le bâtiment est inscrit à l'Inventaire supplémentaire de Monuments historiques depuis 2009. La chapelle est de plan rectangulaire ; elle mesure 10,30 m de longueur, 6,70 m de largeur. Sa hauteur est de 4 m jusqu'à

l'arase des élévations nord et sud.


La charpente s'appuie sur des sablières moulurées et sculptées.

Elle date au moins du XVe siècle comme l'indique un texte gravé sur la sablière nord où se trouve la date de 1466.


La sablière nord avec la date de 1466


En très mauvais état, il y a quelques années, cette chapelle a été restaurée par son nouveau propriétaire qui, aidé par la DRAC de Bretagne, le Conseil général, la Fondation du Patrimoine et La Sauvegarde de l'Art français, y a consacré beaucoup de soins.


Vue intĂŠrieure de la chapelle


Elle présente deux curiosités architecturales :  D’une part, un étage inférieur en forme de cave. On y accède par une porte à gauche du portail après une descente de cinq marches. Là on ne trouve, dans une trouée de lumière, (côté nord-ouest), que deux graffiti dégradés de bateaux gravés sur un encadrement de tuffeau autour de ce qui serait une crédence pour Martine Nicolas – ancienne chargée d'étude à la Conservation régionale des monuments historiques (DRAC de Bretagne) – ou plutôt un placard comme le pense L. Goas-Straaijer, architecte du patrimoine. Cette cave est souvent remplie d'eau ; une certaine tradition, qui reste à authentifier, rapporte qu'elle aurait servi de prison à des marins, les auteurs des graffiti pour d'aucuns, alors que ces derniers sont pratiquement tous à l'étage supérieur à fonction religieuse. Trois énormes poutres soutiennent le plancher de la chapelle, deux d'entre elles reposent en partie sur un mur de soutènement.


Plusieurs traces de murs arasés perpendiculaires au côté sud, évoquent l'existence d'anciens caveaux comme dans une cave à provisions ou à vin. D'ailleurs, le propriétaire, nous a rapporté l'avis d'un conservateur des Monuments historiques qui lui a dit que la porte d'accès au sous-sol, plus large (1,02 m) que celle de la chapelle (0,98 m), avait la taille nécessaire pour faire entrer le module courant de tonneau qui servait naguère au transport du vin en Bretagne.  D’autre part, un appentis sur toute la longueur du côté nord à l'intérieur duquel se trouve la base d'un espace plus restreint (long de 2,75 m) accolé à l'extérieur du mur nord avec deux traces d'arrachage sur le mur goutterot. On l'a interprété comme un ancien oratoire seigneurial donnant sur la nef par deux baies inégales, de nos jours murées.


B. L'emplacement des graffiti. Techniquement, une première partie des graffiti, profondément gravée, est liée à la présence d'encadrements de fenêtres ou de niches en tuffeau de Touraine ou d'Anjou. La richesse de la Bretagne au XVe siècle et les circuits commerciaux de l'époque ont amené des livraisons de tuffeau à Nantes par la marine de Loire, tuffeau réparti ensuite en Bretagne-sud par cabotage marin. C'est ainsi que le grand château de Kerlévénan-en-Sarzeau sis

devant l'étier du Duer, a été entièrement construit en tuffeau de Touraine en 1784. Sur ces encadrements, se trouvent surtout des navires ventrus de

commerce du XVIIe siècle, s'apparentant aux cocas méridionaux, ou bien des navires de guerre sommaires.


Photographie d'un navire sur tuffeau


Une seconde partie de graffiti, occupant une surface plus importante, de style et d'époque différente, a été gravée à la pointe fine sur un enduit ancien à base de chaux et de coquilles

marines pilées. Ce sont surtout des bateaux de guerre du XVIIIe siècle dont deux mesurent plus d'un mètre de long.


Photographie d'un vaisseau sur enduit


II. ÉTUDE DÉTAILLÉE DE TRENTE-ET-UN GRAFFITI DE NAVIRES. Sur 137 graffiti au total, il y a un peu plus d'une trentaine de graffiti navals suffisamment développés ou détaillés pour être dignes d'étude.

Nous les avons numérotés en rentrant, à droite de la porte, en commençant par le mur ouest, puis par le mur sud avec les encadrements de tuffeau d'une niche sud, puis de la fenêtre Est, et enfin par le mur nord, en terminant par les deux navires gravés sur tuffeau à gauche de l'entrée du sous-sol (n°30 et 31). Nous ne citerons que pour mémoire les autres gravures, mineures par leur nombre et leur facture, présentes sur les pierres de jambage de la baie du chevet (étoiles, oiseaux et croix) et sur l'intrados de l'arc (croix). De même des signes géométriques, par

deux fois mêlés, dans un long cartouche rectangulaire du côté nord.

A. Les navires gravés sur les pierres de tuffeau. Les navires gravés sur tuffeau correspondent aux n° 9 à 21, et 30 et 31 (ces deux derniers dans le sous-sol).


Tableau I. Navires gravés sur les encadrements de tuffeau des ouvertures Nos Localisation Âge éventuel 9 Bord droit niche sud XVIIe s. 10 Linteau niche sud XVIIe s. 11 id XVIIIe s. 12 id id 13 Bord gauche niche sud XVIIe s. 14 id XVIIe s. 15 Pierre haute bord droit fenêtre mur est XVIIIe s. 16 id à mi-hauteur XVIIe s. 17 id ?

18 id vers la base ? 19 Pierre basse bord gauche fenêtre mur est XVIIIe s. 20 Pierre haute id ? 21 id ? 30 Sous-sol côté N jambage droit niche XVIIIe s. 31 id XVIIe s.

Types de navires goélette de guerre navire de charge armé navire de charge id Flûte navire fluvial vaisseau stylisé bateau fluvial Mâture sous voiles d'un grand vaisseau esquisse de vaisseau bateau fluvial canot ou flûte canot barque à sel ? Vaisseau à deux ponts


N°9

Goélette de guerre du XVIIe siècle


Navire n°9 Position : jambage droit de la niche du mur Sud. Il s'agit d'un navire arqué sans sabords, avec guibre à la proue mais sans tableau de poupe. Ce bateau à deux mâts fait penser à une goélette de guerre du XVIIe siècle. Noter un curieux drapeau à trois bandes verticales et une élingue d'ancre à la proue.


N°10

Navire de charge armé daté de 1676


Navire n°10 Position: linteau de la niche du mur Sud. Il s'agit d'un navire représenté de façon malhabile : il est ventru mais avec des mâts courts. Ce pourrait être un navire de commerce ancien armé

sous voiles avec deux rangées de sabords. Trois inscriptions dont l'une, en haut et à droite, est une date : 1676. Ce navire de charge ressemble quelque peu aux cocas du XVIe siècle gravés dans le château de Tarascon par

exemple mais avec deux mâts. Ce pourrait être une flûte (la première ayant été construite en Hollande en 1596). On a ici un travail antérieur d'un siècle à certains navires finement gravés sur l'enduit blanc.

Ce bateau s'apparente aussi aux deux suivants qui ont été réalisés par la même personne. Sur ces trois navires, on a insisté sur les bandes latérales de la coque qui évoquent une construction à clins et la tradition viking

venue de Normandie.


N掳11

Fl没te datant de 1665 ?


Navire n°11 Position: linteau de la niche du mur Sud.

Navire en tous points comparable au précédent et au suivant mais sans sabords, donc un navire de charge mais pouvant appartenir ou travailler pour la Royale. Ce sont des navires de commerce qui ont pu fréquenter le port de Pen-Lan (commune de Billiers) ou qui ont même pu

pénétrer plus avant jusqu'au port de Muzillac en remontant la rivière de Saint Éloi. Notons, de part et d'autre du mât intermédiaire le chiffre 65 qui nous intrigue (serait-il celui d'une date : 1665?) car il est rappelé deux fois sur le navire n°14.


N掳12

Fl没te


Navire n°12

Position: linteau de la niche du mur sud. Le même et de la même main, mais toutes voiles dehors avec trois grandes voiles carrées par mât.


N°13 - Flûte datée de 1601

N°14 - navire fluvial?


Navires n° 13 (le grand, au centre) et 14 (le plus petit, en bas) Position: jambage gauche de la niche du mur Sud.

Des trous délimitent nettement les contours des bateaux et ne figurent pas les sabords. Le premier est un navire de commerce moins ventru que les précédents, une flûte probablement du

XVIIe siècle si l'on tient compte de la date de 1601 située à gauche du mât de misaine.

Noter encore le chiffre 65 répété deux fois à gauche du navire n° 14 qui se présente comme un navire fluvial ancien amarré à deux ducs d'albe, à l'avant et à l'arrière et datant peutêtre de 1665.


N째15

Bateau fantaisie


Navire n° 15 Position: Partie haute du bord droit de la fenêtre du mur Est.

C'est un navire très différent car idéalisé. Des coups portés avec un instrument à pointe ronde ont dessiné trois rangées de sabords. C'est un trois-mâts sous voiles (de forme rectangulaire) avec des flammes

flottant au vent ? Le bateau est dessiné avec des traits doubles. Les sabords appartiennent-ils à un vaisseau de guerre à trois ponts ?

Ce navire traîne-t-il un filet ou est-ce un safran démesurément grossi? Ce bateau fantaisie qui ne ressemble pas aux autres est difficile à dater.


N° 18: un oiseau à bec de canard

N° 17: (à gauche vu de face): gréement d'un vaisseau

N° 16 (à droite) : navire fluvial du XVIIe siècle


Navire 16, navire 17 et N° 18 Position: sur une pierre à mi-hauteur du jambage droit de la fenêtre Est. Le navire 16 a une voile carrée et peut-être un foc au grand mât mais

pas de voiles sur le mât arrière. La courbure de la coque et la forme de l'étrave correspondraient à une navire fluvial du XVIIe siècle avec un grand panneau de gouvernail à

l'arrière et une longue perche au premier plan permettant de juger de la profondeur d'eau. Sur la Vilaine toute proche existaient des bateaux fluviaux et des

chalands de Loire ou des bateaux nantais qui assuraient dans le secteur des livraisons de pierre de tuffeau, de poteaux de mine ou la fourniture de chaux (les « chaufumiers »).


N°19

Navire fluvial occupé par un batelier stylisé


Navire 19

Position: sur une pierre de base du montant gauche de la fenêtre Est.

Nous n'avons pas reproduit un ensemble de traits touffus apparaissant comme parasites. Gravure sommaire. Ce navire arqué où la proue et la poupe ne sont pas terminées pourrait être un navire fluvial ; il paraît occupé par une silhouette de type « bonhomme-zizi » avec sa tête pointue (Couderc, 2014).


N掳20

Fl没te


N° 20 : joli petit navire du XVIIIe siècle Position: pierre haute du montant gauche de la fenêtre Est. Il s'agit soit d'un canot soit d'une flûte mais avec deux mats courts et étambot visible.


N°30

Barque Ă sel sous voiles (dans le sous-sol de la chapelle)


Navire n° 30 Navire situé dans le sous-sol, sur l'encadrement en tuffeau d'une crédence ou d'un placard.

Navire sous voiles, très difficile à reconstituer (traits fins devenus peu visibles). Sa hauteur de coque est faible, avec deux, trois et quatre mats et des vergues pour deux d'entre eux. Ce pourrait être une barque à sel car l'étier avait été peu à peu transformé en salines à partir du XVIIe siècle; ce bateau est à rapprocher d'un navire à quatre mats gravé sur la porte royale de Brouage (L. Bucherie, 1986). Ce type de bateau à fond plat, ici du XVIIIe siècle, venait dans le marais de Brouage, lui aussi peu à peu transformé en salines.


N°31

Navire à deux ponts du XVIIe siècle avec figure de poupe (Junon ?)


Navire n° 31

Position: Deuxième navire du sous-sol, à droite du précédent. Avec les n° 5, 9 et 28, il peut être rattaché au XVIIe siècle.

D'abord en raison de sa figure de poupe qui pourrait avoir été une Junon, épouse et sœur de Jupiter, représentée dans les sculptures de marine avec un sceptre à la main et une couronne radiée ; ensuite,

par la saillie de sa guibre, la saillie de l’étrave, de forme concave, en avant de la joue du navire. C'est un navire de guerre sans voiles à deux rangées de sabords, comme pour le n°28, avec là encore, la volonté de représenter le pont dans sa largeur.


B. Les graffiti navals sur les enduits Sur les murs ouest (à droite de la porte), sud, nord, et à nouveau ouest (à gauche de la porte).


Tableau II. Localisation et types de navires gravés sur l’enduit à la chaux et coquillages broyés. Nos

Localitsation

Âge éventuel

Type de navire

1

Mur ouest

XVIIIe siècle

Vaisseau de ligne

2

Id

Id

Chasse-marée

3

Id

Id

Id

4

Id

Id

Id

5

Mur sud (partie droite)

XVIIe siècle

Vaisseau à deux ponts

6

Mur sud

XVIIIe siècle

Id

7

Id

XVIIe siècle ?

Flûte

8

Id

XVIIIe siècle

Bâtiment d’escorte ?

22

Partie gauche du mur est

XVIIe siècle

Flûte

23

Partie droite du mur est

Id

Frégate

24

Id

XVIIIe siècle

Vaisseau à deux ou trois ponts

25

Id

Id

Vaisseau

26

Id

Id

Chsse-marée

27

Id

Id

Chasse-marée

28

Partie gauche du mur nord

XVIIe siècle

Vaisseau de ligne

29

Partie droite du mur ouest (vue intérieur)

XVIIIe siècle

Frégate


N°1

Frégate du XVIIIe siècle


Navire n°1 Position : c'est le premier navire à droite de la porte en entrant, sur le mur ouest (côté sud-ouest).

Gravures fines très difficiles à retrouver. Le graveur a une assez bonne connaissance des navires de guerre (nids de pie, mât d'artimon …). Il apparaît, ce que nous retrouverons fréquemment,

que des points sombres qui servent à figurer aussi bien les sabords que le contour d'une partie du pont, manquent dans la partie centrale.

C'est une signature qui va nous montrer, entre autres,

que

presque tous les navires inscrits sur l'enduit blanchâtre, sont l'œuvre de la même personne. On peut y voir une frégate du XVIIIe siècle.


N째 2

N째 4

N째 3


Navire n°2 (le grand au centre), n°3 (au centre, en dessous), 4 (au-dessous, à gauche) Il s'agit de trois chasse-marée.


N°5

Vaisseau à deux ponts du XVIIe siècle


Navire n°5

Position: mur sud, partie droite.

Sa coque est particulièrement haute avec deux rangées de sabords un peu basses ; à l'avant, plutôt qu'une esquisse de guibre, on peut y voir une figure de proue. Technique de gravure : tentative de donner une épaisseur à deux mâts sur trois. Volonté certes malhabile de faire apparaître le pont dans sa largeur et de donner une troisième dimension à la poupe en faisant apparaître les jottereaux (ou dauphins) flanquant la poupe. Ce navire date sans doute du XVIIe siècle.


Le N° 6 (au centre) est un vaisseau à deux ponts du XVIIIe siècle

le N° 8 (à gauche), est un bâtiment d'escorte

le N° 7 (en bas), est un navire de commerce ou de pêche


Mur sud: Navires n°6 (au centre), 7 (tout à fait en bas) et 8 (à gauche) Pour le 6 et le 8, c'est la même main que pour le 1. Le n° 8 est un bâtiment d'escorte ou de liaison analogue au n°3, p.57 des graffiti des Moulins de Plomb à L'Houmeau, près de La Rochelle, auquel Luc Bucherie donne le nom de « Lanche », de l'espagnol « lancha » : chaloupe, canot. Le n°7 est une navire de commerce (voire de pêche) à deux mâts inégaux passant à proximité soit d'un rocher surmonté d'une croix, soit d'une bouée à laquelle serait ancrée le grand navire. Ce navire 7 est du même type que ceux gravés sur l'encadrement en tuffeau de la fenêtre orientale. Une rangée de points accompagne le trait évoquant le pont du navire n°6 ; s'agit-il de doubler la limite du pont ou d'évoquer les dalots du bastingage pour évacuer l'eau du pont. Nous retrouvons ici une marque de gravure fréquente propre à la personne qui a réalisé ces graffiti du XVIIIe siècle, à savoir qu'il y a une interruption de la ligne de sabords (la ligne supérieure quand il y a deux ponts) sur le deuxième quart de leur tracé en partant de la gauche (ainsi pour le n°1).


N°23

Frégate de la fin du XVIIe siècle


Navire n°23 Position: mur Est. Peut-être une frégate avec une rangée de sabords ; deux drapeaux, l'un à la poupe, l'autre à la pointe du mât d'artimon avec trois bandes horizontales comme le drapeau batave. Son profil pourrait correspondre à un navire de la fin du XVIIe siècle.


N째24 et 25

vaisseaux


Navires n°24 (au centre), et 25 (en haut) Position: mur Est. Navires du XVIIIe siècle avec une rangée de sabords pour le bateau en haut et à droite et trois pour le bateau au centre qui possède ses voiles.

Un nid de pie est bien dessiné ainsi qu'un petit fanion en haut du grand mât. Là encore, une certaine interruption vers le centre de la ligne

supérieure des sabords.


N°26 et 27

Chasse-marée


le n° 26 (en haut et à droite) et le n° 27 (au centre-droit): Esquisse sommaire de deux navires

Position: mur Est. Le grand navire a une voile carrée sur le mât de misaine. Il pourrait être à quai car une échelle posée sur une plate-forme hors

du navire paraît inclinée vers lui. On peut les ranger dans la catégorie des chasse-marée comme les navires n° 2,3,4.


N°28

Vaisseau de guerre du XVIIe siècle, à figure de poupe


Navire n° 28 Position: partie gauche du mur nord.

Intéressant par deux détails : - une grosse figure de poupe prolongeant le tableau de poupe, un animal ou un dragon, la gueule ouverte et menaçante, avec ses yeux et ses oreilles pointues. Dans « Architecture hydraulique navale », Encyclopédie p. 415; on peut lire : « On mit tantôt à la proue, tantôt à la poupe la figure d'un animal, et quelquefois d'une divinité ».

- une étrave en bec, elle aussi caractéristique des vaisseaux de guerre du XVIIe siècle. Une ligne irrégulière de petits points correspond plus au bastingage qu'à une rangée de sabords d'artillerie. Un trait supérieur à cette ligne de points suggère la largeur du pont.


N°29

Vaisseau à deux ponts sous voiles du XVIIIe siècle


Navire n°29

Position: partie droite (vue de l'intérieur) du mur Ouest. Très beau navire de guerre sous voiles du XVIIIe siècle avec

malheureusement une proue disparue ou non terminée. Les nids de pie sont bien marqués ainsi que les échelles permettant d'y grimper. Là encore la rangée de petits points, la plus haute,

évoque plutôt les dalots du bastingage. C'est un trois-mâts probablement gréé de 4 voiles latines.


III. CE QUE NOUS APPREND CETTE ANALYSE A. Il convient de réfuter les premières assertions concernant l'origine de ces graffiti 1) Seraient-ce des graffiti de prisonniers ? Certes, il y a eu non loin, la bataille navale des Cardinaux, en 1759, au sud-ouest de l'île de Hoëdic et qui n'a pas été une victoire française. Mais s'il y a eu des prisonniers des deux côtés, un échange s'est fait dans les semaines suivantes malgré des discussions difficiles. De plus des prisonniers anglais n'auraient pas manqué d’inscrire le nom de leur navire, leur nom et leur port d’origine, comme ils l'ont fait pour tous les conflits du XVIIIe siècle, tant au niveau du donjon de Niort, que des tours du port de La Rochelle, des châteaux de Saumur, de Loches etc.


2) Cela ne nous paraît pas l'œuvre d'enfants Nous répondons ici aux considérations de l'architecte du patrimoine qui a fait par ailleurs un important travail sur la chapelle mais qui, dans le domaine des graffiti, n'a laissé qu'une demi-page (p. 16) que nous contestons. Il parle de deux jeunes enfants qui auraient œuvré dans

une chapelle désaffectée,

autant de choses qui restent à démontrer alors qu'il y graphismes d'époques distinctes.

des


3) Ce ne sont pas des ex-voto Cela a été suggéré par Martine Nicolas (p.15) qui a aussi travaillé sur l'architecture de la chapelle mais, en Bretagne, on confond très souvent les ex-voto avec les maquettes de navires sur brancard des communautés de marins défilant lors des pardons, ou avec celles offertes aux églises pour les mettre en suspension sous les voûtes, signe à la fois de respect religieux et de souvenirs mariniers. Ce n'est pas parce qu'on accomplit certaines pratiques religieuses comme un défilé ou un accrochage de maquettes qu'on réalise un vœu. Or, le véritable ex-voto (qui n'a jamais ce caractère sommaire), tel qu'on peut en voir, non loin, à la chapelle de Pénerf à Damgan (Morbihan), ou a fortiori

dans l'église N.D. De la Garde à Marseille, est en général un tableau rappelant la date et les conditions de la prière et du vœu.


Nous avons montré pour les maquettes de navires de haute mer en suspension sous les voûtes de certaines églises du cours de la Loire et de ses affluents (Couderc, 2003), ou dans une exposition du Musée de la marine de Loire à Châteauneuf-sur-Loire (2006 a et 2006 b) sur les croyances et la piété des mariniers de la Loire, que les maquettes de grands navires de guerre (et même de deux grands navires de commerce de haute mer) sont liées au régime de l'Inscription maritime. Depuis le début du XVIIe siècle jusqu'à la période napoléonienne, les mariniers, charpentiers et cordiers de la vallée de la Loire et de ses principaux affluents, ainsi que des rives des grands fleuves de France, et enfin des pêcheurs et des marins vivant sur les côtes, étaient embarqués dans la marine royale pour cinq ans. Impressionnés comme ils le furent dans les ports de Cherbourg, Brest, Lorient ou Rochefort par les grands vaisseaux de ligne de 74 ou 84 canons sur lesquels ils avaient pu servir, certains ont voulu en reconstituer la maquette, souvent pour leur confréries de mariniers mais d'autres en ont dessiné les formes sur les murs. Enfin, jamais un graffito de bateau sans légende particulière n'a été un ex-voto.


B. Vers des explications plus logiques

1) Les bateaux gravés sur tuffeau. Ils sont tous profondément gravés. Il appert qu'il y a plus de bateaux anciens gravés sur le tuffeau (9 au moins) que ceux que l'on trouve sur l'enduit (4). Ce sont surtout des navires de commerce ou de pêche sauf le 9, le 11, le 18 et le 31 (frégate, goélette armée, vaisseau et vaisseau à deux ponts). Enfin, ils appartiennent à plusieurs mains.


a) Des navires de commerce N'oublions pas qu'au Moyen Âge, la mer venait jusqu'au pied de la propriété de Bavalan et que depuis le XVIe siècle, l'étier de Billiers transformé en marais salants, possédait un chenal sur la rivière de SaintÉloi qui permettait la remontée vers le port de Muzillac (à l'emplacement du marais de Pont-Chaland). Le bateau n° 30, dans le sous-sol, paraît bien être une barque à sel, longue chaloupe à trois mâts et à faible tirant d'eau dont nous avons une reproduction sur la porte royale de Brouage (L.Bucherie,1986, fig.19). Par ailleurs, pour les navires de charge ventrus de la fin du XVIe siècle ou du début du XVIIe siècle, nous avons retenu provisoirement le terme de flûte bretonne. Ils ont été superbement croqués par des témoins qui pouvaient accéder à la chapelle et qui les voyait en contrebas remonter la rivière Saint-Éloi.


b) Les navires de guerre

Deux navires au moins, gravés sur les parties en tuffeau, qui ont des gros cercles à l'emplacement des sabords, les n° 15 (très stylisé), 31 (dans le soussol), peuvent être datés du XVIIe siècle. On les rapprochera des deux navires du XVIIe siècle figurant parmi les sept qui ont été gravés à la pointe métallique sur l'enduit couvrant le pignon intérieur d'une maison du XVIIe siècle à La Vieille Roche, au bord de la Vilaine à Arzal (Lebeaupin, 1982) (voir ci-contre). Il s'agit du troisième (en allant de la gauche vers la droite) mais qui n'a pas été terminé et surtout de l'avant-dernier à droite, d'une grande finesse et richesse de détails avec drapeau au soleil central timbré d'une ancre, et pavillon avant timbré de deux croix encadrant une monstrance. Les n° 10, 13 et 14, en fonction de leurs mâts, leurs contours doubles et leurs clins peuvent être considérés comme gravés de la même main.


Deux vaisseaux du XVIIe siècle parmi les navires gravés dans une demeure de La Vieille Roche, au bord de la Vilaine à Arzal.


2) Les navires gravés à la pointe fine sur l'enduit. On compte 7 vaisseaux de guerre sur 15 bateaux gravés. Ils ont été réalisés par une personne locale (de la famille du propriétaire par exemple), admirative ou impressionnée par la présence, après la bataille des Cardinaux, de 11 navires de guerre (10 après l'échouement de L'Inflexible), dans l'estuaire de la Vilaine tout proche (5 km à vol d'oiseau!).


Ils se sont réfugiés non sans mal pour échapper à la poursuite et à la surveillance des navires anglais. Après le combat sept navires

avaient gagné la haute mer pour rejoindre Rochefort mais deux s'étaient échoués avant d'arriver.

En effet, il fallait beaucoup de temps pour entreprendre ce travail.


Nous n'en avons certes pas de preuves écrites, mais imaginons l'impression que ces grands navires de second et troisième rang (cf. tabl. III) réfugiés non sans mal (ils s'étaient délestés de leurs canons et de leur avitaillement pour pouvoir entrer dans le fleuve ! ) ont pu produire sur la population des rives. Ils étaient ancrés à deux pas, au petit port de La Vieille Roche (port de Tréhiguier), entre le 20 novembre 1759 et le 6 janvier 1761 et même le 25 avril 1762 pour les derniers à pouvoir repartir. Le 6

janvier 1761 s'échappent Le Dragon et La Brillant, suivis le lendemain de deux frégates, La Vestale et L'Aigrette, et de la corvette Calypso. La Vestale est prise mais L'Aigrette combat victorieusement un navire

anglais .


Tableau III : Navires de guerre réfugiés sur la basse Vilaine de 1769 à 1762 Nom

Date de lancement

Type

Commandant

1) Vaisseaux de deuxième et troisième rang Le Brillant

1751

Vaisseau de ligne

Keremar-Boischâteau

Le Dragon

1745

Id

Vassor de la Touche

L’Éveillé

1752

Id

Prévalans de la Roche

Le Glorieux

1756

Id

Villars de la Brosse

L’Inflexible

1755

Id (perdu par la suite en amont)

Tancrède

Le Robuste

1758

Id

Fragnier de Vienne

Le Sphinx

1755

Id

Goyon

2) Frégates L’Aigrette

1756

de Longueville

La Vestale

1757

de Monfiquet

3) Corvettes La Calypso

1756

Bois-Berthelot

Le Prince Noir

1759

de Kergariou, puis de Roscoët


Une première chose frappe : deux

vaisseaux

gravés sur

l'enduit, le n°5 et le n°28, apparaissent comme des navires du XVIIe siècle avec éperon avant (la guibre) et figure de poupe prolongeant le tableau de poupe. Or, ce ne sont pas des gravures antérieures aux autres car, pour le n°5 en particulier, il y a des points communs avec les gravures des vaisseaux du XVIIIe siècle : manière de tendre les cordages, interruption des points marquant les sabords, dessin des nids de pie. Ces navires du XVIIe siècle ont été vus au XVIIIe !


Il n'y avait pas de navires de cet âge dans la flotte française au

combat des Cardinaux (cf. tableau III) ; il y en avait deux parmi les navires anglais mais refaits à plusieurs reprises au XVIIIe siècle. L'ancien Vanguard, lancé en 1678, coulé en 1703, renfloué l'année suivante, refondu à partir de 1705, fut remis en service en 1710 sous le nom du HMS Duke. Il sera démoli en 1733, mais reconstruit en 1739 (avec 90 canons) et détruit en 1759. Le Torbay correspondant à l'ancien Neptune, lancé en 1683, fut reconstruit en 1730 (70 canons) puis transformé en 1747. Le graveur a pu voir circuler de tels navires à Lorient ou à Brest et pourrait donc être un marin.


La flûte n°22 avec son étambot débordant et peut-être la n°7, du XVIIe siècle, étaient des bateaux de charge probablement encore en activité dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Ils rappellent ceux de la belle gravure relevée sur la cage d'escalier en bois d'une demeure du début du

XVIIe siècle, proche de l'ancien port de Vilaine à Redon (Cebron et Peuziat, 1985).


Flûte du XVIIe siècle gravée sur bois dans une demeure du début du XVIIe siècle à Redon (Ille-et-Vilaine)


Les navires n°26 et 27 gravés sur enduit et les navires n°2, 3, 4 gravés sur tuffeau, sont des chasse-marée, fréquents en Bretagne. Le terme qui remonte au XIVe siècle désigne un bateau allongé, à faible tirant d'eau acheminant rapidement le poisson pêché vers les villes. Il se présentait en Bretagne comme une longue chaloupe à trois mats inclinés (misaine, grand mât et artimon) avec voile pratiquement carrée à l'avant et dont on a une très bonne comparaison avec l'un des graffiti sur bois de la maison XVIIe siècle de Redon.


Chasse-marée gravé dans la demeure de Redon, très comparable à ceux gravés dans la chapelle de Bavalan.


Nous avons vu que les trous en ligne évoquent aussi bien les sabords que le bastingage et parfois les contours du navire (nos1 et 6). Une seule gravure sur enduit pourrait être d'une main étrangère au « maître de Bavalan », le petit navire n° 7 à l'avant proéminent, à voiles triangulaires, sans dessins sur la

coque et de taille discrète : un caboteur local, voire un bateau de pêche.


Au total, il y a donc une grande homogénéité de facture des

navires gravés sur enduit, ce qui n'est que partiellement le cas de ceux gravés sur tuffeau.

Les gravures sur tuffeau sont-elles de la même main que celles sur enduit? Notre réponse est négative, il y a des points de comparaison au niveau de la répartition des sabords mais ceux des

navires gravés sur tuffeau sont beaucoup plus grands, dessinés par un cercle ou par des enfoncements. De plus, il y a beaucoup de navires anciens du XVIIe siècle et peut-être, pour un ou deux, du XVIe. Au

contraire, une grande majorité des navires gravés sur enduit ont été gravés dans un second temps par une seule main. Par contre, les deux navires du sous-sol (30 et 31) gravés sur tuffeau s'apparentent aisément à ceux gravés sur tuffeau dans la chapelle.


BIBLIOGRAPHIE

1) Sources : AD Morbihan B 490 G 21 202/57 Wikipédia Bataille des Cardinaux.

2) Publications Berrier, Josiane, « La chapelle de Bavalan. Historique et bibliographie », Bull. Soc .polymathique du Morbihan CXXV, 1999, 53-64.

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17


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Tours, 2014, 234 p.

Nous adressons nos remerciements à Xavier Buthaud, propriétaire de la chapelle, qui a participé au relevé des graffiti.


Jean-Mary Couderc Président de l’Académie de Tourraine

Pour en savoir plus sur les graffiti anciens rendez-vous sur le site du GR.GA en cliquant ici


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