Emile & Ferdinand - Numéro 13 (2015/5)

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Emile& Ferdinand Gazette du

Novembre 2015 | N°13 Bimestriel gratuit Bureau de dépôt : 3000 Leuven Masspost | P-916169

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Actu Jean-François Henrotte

L’avocature ne va pas se faire uberiser !

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NOM

PHILIPPE

59 574

APPELER UN AVOCAT

8 Rencontre

Pierre-André Wustefeld 30 ans de Méthode Renard

11 Actu

Patrick Henry AVOCATS.BE en lutte contre la surpopulation carcérale

14 Hommage

Robert Andersen, en collaboration avec Jean Vandeveld, rend hommage à Jean-Jacques Masquelin

Et aussi

 Les dates à ne

pas manquer

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ÉDITO

bonne lecture ! Chers lecteurs, Chers auteurs, Emile& Ferdinand Gazette du

Novembre 2015 | N°13 Bimestriel gratuit Bureau de dépôt : 3000 Leuven Masspost | P-916169

colophon Rédacteur en chef Élisabeth Courtens Secrétaire de rédaction Anne-Laure Bastin

L’avocature va-t-elle se faire uberiser ? La question de l’uberisation de la profession d’avocat a en effet été formalisée le 29 juillet 2015 par Arnaud Dumourier, directeur de la rédaction du Monde du Droit, dans un article très partagé sur les médias sociaux. Nous avons invité JeanFrançois Henrotte, avocat aux barreaux de Liège et de Bruxelles, directeur de la Revue du Droit des Technologies de l'Information et de la collection Lexing - Technologies avancées & Droit, publiées aux éditions Larcier, à réagir à cet article. Il y a quelques semaines, le Groupe Larcier a mis en ligne la toute dernière version du logiciel PCA-VOB, présentée dans un site refondu et à l’ergonomie renforcée. L’occasion pour Émile & Ferdinand de donner la parole à Pierre-André Wustefeld, membre du comité scientifique de PCAVOB. Pierre-André Wustefeld nous retrace l’évolution du logiciel PCA-VOB, premier outil d’aide à la décision dans le domaine des contributions alimentaires qui s’emploie à rendre la Méthode Renard accessible aux praticiens.

AVOCATS.BE a décidé d’introduire, il y a quelques mois, une action contre l’État belge pour dénoncer la surpopulation carcérale et obtenir sa condamnation à prendre les mesures adéquates pour assurer un traitement des détenus qui soit conforme aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Patrick Henry, le président d’AVOCATS.BE répond à nos questions. Jean-Jacques Masquelin nous a quittés le 11 juillet dernier. Dans le premier numéro de notre Gazette, paru en octobre 2013, il nous avait fait l’honneur de nous parler de son premier code qui fut -nul ne s’en étonnera- un Code Bruylant, 28ème et 29ème éditions, emprunté à la bibliothèque de son père. Robert Andersen, en collaboration avec Jean Vandeveld, rend hommage à celui dont le nom est indissolublement lié aux Codes belges Bruylant.

Belles découvertes…

Équipe rédactionnelle Anne-Laure Bastin, Élisabeth Courtens, Charlotte Claes et Muriel Devillers Lay-out Julie-Cerise Moers (Cerise.be) © Groupe Larcier s.a. Éditeur responsable Marc-Olivier Lifrange, directeur général Groupe Larcier s.a. rue Haute 139 - Loft 6 1000 Bruxelles Les envois destinés à la rédaction sont à adresser par voie électronique à emileetferdinand@larciergroup.com

L’équipe rédactionnelle d’Émile & Ferdinand

Cette gazette est la vôtre ! N’hésitez pas à proposer des articles, à formuler des suggestions, à réagir aux articles publiés et, ainsi, à faire évoluer et faire grandir Émile & Ferdinand. Adressez-nous vos messages à l’adresse suivante : emileetferdinand@larciergroup.com

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ACTU

L’avocature ne va pas se faire La question de l’uberisation de la profession d’avocat a été formalisée le 29 juillet 2015 par Arnaud Dumourier, directeur de la rédaction du Monde du Droit, dans un article très partagé sur les médias sociaux1. Émile & Ferdinand a invité Jean-François Henrotte, avocat aux barreaux de Liège et de Bruxelles, directeur de la Revue du Droit des Technologies de l'Information et de la collection Lexing Technologies avancées & Droit, publiées aux éditions Larcier, à réagir à cet article.

uberiser ! AVOCAT AVOCAT

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NOM

PHILIPPE

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APPELER UN AVOCAT

L’uberisation

Jean-François Henrotte Avocat aux barreaux de Liège et de Bruxelles, directeur de la Revue du Droit des Technologies de l'Information et de la collection Lexing - Technologies avancées & Droit, publiées aux éditions Larcier

Ce terme « uberisation » est devenu populaire suite à une interview de Maurice Lévy, le patron de Publicis, par le Financial Times2 dans laquelle il a évoqué l’uberisation de l’économie. De quoi s’agit-il ? L’uberisation peut être définie comme étant « une déstructuration de la chaine de valeurs où de nouveaux intermédiaires viennent capter la valeur sans proposer eux-mêmes des produits ou services, créant des condi-

tions de marché asymétriques au détriment des acteurs traditionnels »3. Uber un nouvel entrant dans le secteur du transport de personnes

L’emblème de cette disruption est la société Uber, dont le nom est la racine de ce néologisme. Quels sont les avantages d’Uber par rapport aux sociétés de taxis traditionnelles ?

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http://www.lemondedudroit.fr/unes/207448-les-avocats-contraints-innover-pour-eviter-etre-uberises.html http://www.ft.com/intl/cms/s/0/377f7054-81ef-11e4-b9d0-00144feabdc0.html#axzz3ln1gSt4C 3 F. Cavazza, http://www.fredcavazza.net/2015/04/09/facebook-va-t-il-uberiser-le-web/ 1 2

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ACTU

RÉSERVER UN AVOCAT MAINTENANT

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L’application UberPop apporte une série d’avantages : plus besoin de se faire comprendre d’un opérateur téléphonique, qui choisira avec plus ou moins de bonheur le taxi le mieux situé : la géolocalisation s’en charge. La prévisibilité du coût de la course et la certitude de la bonne sélection du point de départ et d’arrivée de la course sont garantis par la détermination et le partage de l’itinéraire par le logiciel. Le paiement est assuré via l’application elle-même. Il faut toutefois reconnaitre que tout le monde ne peut probablement pas bénéficier de ces avantages, eu égard à la persistance de la fracture numérique (en termes de moyens et/ou de compétences) dans notre société et, plus encore, dans d’autres parties du monde. En outre, l’honnêteté nous force à reconnaître que les taxis bruxellois ont lancé 4 5

une application similaire (eCab) en 2014 et qu’ils ont donc su réagir. Cela étant, nous craignons que peu de consommateurs n’utilisent cette application. Deux raisons à cet échec: une campagne publicitaire insuffisante par rapport à la communication brillante d’Uber et la perception du public du lancement de cette application comme une réaction alors que sa préférence va pour les innovateurs et non les suiveurs. Quelles sont les critiques adressées à Uber ?

1. Uber précariserait les chauffeurs en n’employant que des indépendants. Le ministre Tommelein a toutefois argué du fait que, d’après l’ONSS, c’était le cas de 84 % des chauffeurs bruxellois4. Ceci signifierait donc que seuls 16 % des chauffeurs bruxellois souhaitent le statut d’employé (ou ont trouvé une société de taxi qui accepte de leur accorder…). Uber doit d’ailleurs faire face à une class

https://twitter.com/Barttommelein/status/643435519800688640 http://uberlawsuit.com

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action tendant à la reconnaissance de ce statut à ses chauffeurs5. Uber invoque qu'il ne fait que mettre en relations des utilisateurs de son application. Son activité n'est pas le transport, mais un service informatique, dont ses véritables employés, informaticiens, sont salariés. Les plaignants font eux valoir qu’Uber demande aux chauffeurs de suivre un certain nombre de standards, qui vont de la tenue de la voiture à celle du chauffeur. Il les forme. Il peut les exclure en cas de manquement aux règles. Et il se rémunère en proportion de la longueur de la course. L'entreprise se comporterait donc comme une entreprise de transport, sauf pour la reconnaissance du statut de salarié pour ses chauffeurs. L’exemple du textile démontre que le consommateur a cependant peu d’égard pour le statut des travailleurs. Nous avons beau savoir que l’ouvrier bengali ou roumain travaille pour une misère et dans des conditions socialement inacceptables, nous continuons à acheter des vêtements fabriqués par ces nouveaux esclaves. Nous n’avons pas toujours le sentiment que la qualité de ces produits serait inférieure à celle de biens identiques qui seraient produits en Europe, comme nous n’avons pas le sentiment que le service des taxis soit meilleur que celui des chauffeurs Uber. Au contraire, Uber forme (mieux ?) ses chauffeurs car il en fait un atout pour atteindre son but : renverser un monopole. En outre, le prix de la course étant annoncé à l’avance, le chauffeur a intérêt à emprunter l’itinéraire le plus court ou en tout cas le plus efficace.


ACTU

2. Le prix de la course serait moins élevé parce que beaucoup de chauffeurs ne déclarent pas leurs revenus et parce qu’ils ne payent pas de licence. L’argument du covoiturage d’Uber qui permettrait cette absence de déclaration et d’obvier à la licence a été démonté par le Tribunal de commerce de Paris qui a estimé que l'existence d'une tarification prédéfinie, au kilomètre parcouru et au temps écoulé, avec un prix minimum "ne correspond absolument pas à un partage de frais mais s'apparente bien au paiement d'une course"6. Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question préjudicielle de la Cour d’appel de Paris de la contestation d’Uber relative à la validité d’une disposition de la loi Thévenoud du 1er octobre 2014 sur les transports. Uber soutient en effet que l’article 3124-13 du Code des transports rend illégale l’activité de covoiturage. Le Conseil a décidé7 que le covoiturage fait l’objet d’une définition dans un autre article de loi et qu’il s’agit ici de réprimer pénalement ceux qui se livrent « aux prestations de transport routier de personnes effectuées à titre onéreux » sans être ni des taxis, ni des voitures de transport avec chauffeur (VTC). « Le législateur a défini de manière claire et précise l’incrimination contestée », ont décidé les hauts magistrats.

La Cour d’appel de Paris, qui avait sursis à statuer en mars sur la demande d’interdiction d’Uberpop dans l’attente d’une clarification constitutionnelle, devrait donc pencher pour la confirmation de la décision du Tribunal de commerce. La fraude fiscale et sociale ne peut naturellement être admise. Une nuance toutefois : l’application induit une traçabilité puisque le paiement se fait toujours via cette application alors que beaucoup de paiements se font en espèce dans les taxis du fait même des chauffeurs.

3. Le chauffeur ne serait pas formé, pas contrôlé, et surtout pas assuré spécifiquement pour le transport rémunéré de passagers. L’argumentation des demandeurs à la class action et les documents contractuels d’Uber démontrent le contraire10. Tout au plus peut-on s’interroger sur le contrôle du casier judiciaire (également obligatoire en Belgique) mis en doute par le New-York Times11.

L’argument de la licence est imparable. La licence s’impose aux taxis traditionnels : ils ne la souhaitent pas. Elle doit également être acquittée par les chauffeurs d’Uber. Uber se sait dans l’illégalité ou, à tout le moins, sait que ses chauffeurs sont dans l’illégalité. Mais il s’en moque.

Uber invoque des erreurs marginales et sa volonté de réinsertion des détenus, certes contra legem, mais philosophiquement difficilement contestable par notre profession…

Le prix est également moins élevé parce qu’Uber est un « pure player », c’est à dire une entreprise œuvrant uniquement sur Internet8. Uber n’a pas d’opérateur téléphonique ou de siège local et réduit donc substantiellement ses coûts.

Pour le bâtonnier Thierry Wickers, « on ne dit pas uberiser on dit uberpauperiser (se dit aussi uberpoperiser) »12. Tout est dit ou presque…

Par contre, soyons bien conscient que le coût de la course continue d’être majoré d’un coût d’intermédiation allant de 20 à 30 %9 . L’entreprise n’a évidemment pas une valorisation de 50 milliards de dollars par hasard …

Existent-ils de nouveaux entrants capables d’uberiser les avocats ?

Il ne peut effectivement être question de laisser s’appauvrir la profession. Tout d’abord, parce qu’elle n’est pas riche (les statistiques 2015 du Barreau de Liège, par exemple, révèle que 53 % des avocats de ce Barreau ont un chiffre d’affaires avant impôt inférieur à 60.000 €).

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http://www.numerama.com/magazine/34200-uber-hesite-a-relancer-uberpop-en-france.html Cons. const. fr., décision n° 2015-484 QPC du 22 septembre 2015, http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2015/2015-484-qpc/decision-n-2015-484-qpc-du-22-septembre-2015.144387.html 8 https://fr.wikipedia.org/wiki/Pure_player 9 http://www.cnet.com/news/uber-tests-30-commission-for-new-drivers-in-san-francisco/ 10 http://www.chauffeur-uber.be/17-devenir-chauffeur-uber/20-devenir-chauffeur-uber.html ou http://www.chauffeur-uber.fr/faq/devenir-partenaire chauffeur-vtc/assurer-mon-activite/ 11 http://www.nytimes.com/2015/08/20/technology/uber-missed-criminal-records-of-drivers-prosecutors-assert.html?partner=rss&emc=rss&_r=1 12 Soulignons le trait d’esprit du bâtonnier, le service s’appelant en réalité UberPOP; https://twitter.com/wickers_t/status/627580159034392576. 6 7

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ACTU

(Re)Visionnez les vidéos du Congrès #Agissons – Avocats.be du 29 mai dernier L’avocat dématérialisé 

L’avocat augmenté 

L’avocat salarié 

Durant une journée entière, plus de 400 avocats ont réfléchi à l’avenir de leur profession. Retrouvez toutes les vidéos du Congrès d’Avocats.be sur la chaîne YouTube du Groupe Larcier.

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www.youtube.com/larcierbruylant

Des cabinets proposent de tels services en ligne depuis plus longtemps. Les Barreaux de Liège16, Eupen, Namur et Mons proposent à leurs membres et donc aux justiciables un module de consultation en ligne. Certes, les prix ne sont pas encore assez compétitifs et les contrats sont encore trop peu interactifs.

Ensuite, parce que ce n’est certainement pas le gage d’un bon travail et donc, à terme, se révèlera préjudiciable pour le justiciable.

juridique ou de revenus importants. Les droits à la justice et à la sécurité juridique deviennent de plus en plus inaccessibles pour la classe moyenne.

Les nouveaux entrants démontrent néanmoins, si cela était encore nécessaire, qu’il faut répondre à la difficulté de l’accessibilité du droit.

La profession négocie avec les assureurs Protection juridique depuis quelques années et continue de faire des propositions visant à en permettre la souscription la plus large par la population13.

La profession #agit toutefois.

3. De nouveaux entrants, comme Legalstart.fr, proposent une solution en ligne de création de documents juridiques et de formalités administratives tels que : la création, les statuts, le dépôt de marque, les modifications statutaires, les contrats de travail, etc.

Elle ne réagit pas (en tout cas dans notre pays, la France étant peut-être sur certaines questions plus dans la réaction que nous), elle anticipe.

2. Un bureau dédié semble inutile à certains alors que son coût intervient à hauteur de 14 % du coût d’un avocat selon l’étude BDO commandée par AVOCATS. BE14 ?

1. Un bon travail a un coût et celui-ci est élevé pour qui ne bénéficie pas de l’aide

AVOCATS.BE lance la réflexion de la dématérialisation du cabinet15.

http://agissons.avocats.be/lavocat-dassurance/ Acte du congrès OBFG 2007, Être avocat demain à quel prix ?, Anthemis, 2007, pp. 231-242. 15 http://agissons.avocats.be/lavocat-dematerialise/ 16 http://consultation.barreaudeliege.be 17 http://modeles.barreaudeliege.be 13 14

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Le marché doit faire sa mue et les avocats doivent se rendre compte que la base de départ de leur travail ne vaut guère plus que ce que les concurrents en demandent. Ce n’est pas sur la fourniture de ce contrat de base que nous devons nous battre mais sur le « sur-mesure », sur son adaptation à la situation personnelle du client. Un certain nombre de contrats de base seront d’ailleurs prochainement disponibles gratuitement sur le site du Barreau de Liège17. Ce Barreau a en effet décidé de proposer des contrats de base, pour autant qu’ils soient généralement disponibles sur le web, mais d’attirer l’attention des justiciables sur les points qui doivent être améliorés ou adaptés aux situations personnelles et de renvoyer vers les avocats traitant la matière concernée.


ACTU

Si les contrats sont encore trop peu interactifs, c’est parce que les avocats n’investissent pas assez dans les solutions logicielles, pourtant disponibles, qui leur permettraient d'être plus efficaces tant dans le « sur-mesure » que dans le « prêtà-porter ». Le prescrit de l’article 4.12, § 3 du Code de déontologie, qui énonce que « la délivrance automatisée de consultations en ligne n’est autorisée que pour répondre à la demande d’un client déterminé et pour satisfaire des besoins spécifiques », constitue cependant un frein à cette interactivité. La commission de déontologie d’AVOCATS.BE devrait néanmoins réexaminer prochainement la pertinence politique de cette disposition18. 4. De nouveaux entrants, comme le site Demander Justice, permettent aux particuliers d’effectuer des procédures en ligne pour résoudre des litiges dont le montant est faible en s’affranchissant des avocats. Depuis 2012, ce ne sont pas moins de 182.000 dossiers qui ont été traités par la plateforme … Cela est dû à la résistance des ordres français à la consultation en ligne par les avocats. Ce n’est pas le cas chez nous19. Il nous faudra néanmoins nous réinventer pour rencontrer plus adéquatement cette demande. Cela passera peut-être par l’usage de l’intelligence artificielle.

Les taxis se font uberiser parce qu’ils ont cessé d’innover. La Cour européenne des droits de l’homme est en train d’implémenter un système qui rédigera le premier brouillon des arrêts. Le robot référendaire se profile. Pourquoi ne pas confier la rédaction du premier jet de conclusions à un robot « stagiaire » ? Le cabinet anglais Berwin Leighton Paisner, qui a un bureau à Bruxelles, a développé, et utilise déjà, pour rédiger les contrats immobiliers un « robot rédacteur de contrat » qui peut effectuer en quelques secondes le travail juridique qui prenait des mois à une équipe de parajuristes et collaborateurs20. Dès lors que le système rédigera un premier jet de conclusions, moins d’heures devront être prestées par les avocats. Ces heures pourront être facturées à un taux plus élevé, au moins à celui du niveau moyen européen, car le montant absolu de la prestation pourra, malgré tout, être moins élevé qu’il ne l’est aujourd’hui. Cela pose naturellement une série de questions comme celle de l’apprentissage de la compétence juridique des stagiaires « moléculaires » qui ne commenceront donc plus leur carrière par ces tâches simples mais formatrices. La compétence technique des avocats doit croître pour la conception de ces systèmes ou, plus simplement, pour leur utilisation. Il faut également s’assurer que ce gain

d’efficacité va accroitre l’accès à la justice et donc le nombre de dossiers à traiter et non pas réduire le travail, et donc le nombre d’avocats … AVOCATS.BE explore en tout cas la voie de la mutualisation d’outils de big data et d’intelligence artificielle21. C’est un premier pas important et nécessaire, même si « nous devons aussi œuvrer pour reconquérir le respect et la confiance de ceux et celles qui, actuellement, rechignent à nous l’accorder »22. La critique d’Uber fondée sur la précarité du statut d’indépendant ou du statut de faux–indépendant peut difficilement porter dans notre milieu, convenons-en … À contre-courant du néo-libéralisme, AVOCATS.BE veut explorer la voie facultative du salariat . Elle ne semble pas poser, si elle est correctement encadrée comme tel est le cas en France, de difficultés majeures. Agissons, poursuivons !

Les taxis se font uberiser parce qu’ils ont cessé d’innover. On le voit, ce n’est pas le cas des avocats qui continuent à réinventer leur métier et #agissent ! #Poursuivons24!

http://agissons.avocats.be/lavocat-augmente/ http://consultation.barreaudeliege.be 20 http://www.managingpartner.com/news/business-strategy/blp-pioneers-‘contract-robots’-lawyers 21 http://agissons.avocats.be/lavocat-augmente/ 22 F. Dembour, « La confiance pour vaincre l’Uberisation », Justement, 14 octobre 2015, p. 1. 23 http://agissons.avocats.be/lavocat-salarie/ 24 http://agissons.avocats.be/agissons/poursuivons/ 18 19

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RENCONTRE

30 ans de Méthode Renard Il y a quelques semaines, le Groupe Larcier a mis en ligne la toute dernière version du logiciel PCA-VOB, présentée dans un site refondu et à l’ergonomie renforcée. L’occasion pour Émile & Ferdinand de donner la parole à Pierre-André Wustefeld, membre du comité scientifique de PCA-VOB. Pierre-André Wustefeld nous retrace l’évolution du logiciel PCAVOB, premier outil d’aide à la décision dans le domaine des contributions alimentaires qui s’emploie à rendre la Méthode Renard accessible aux praticiens.

Émile & Ferdinand : La Méthode Renard fêtera ses 20 ans en 2016. Comment les travaux de Roland Renard ont-ils mené à une méthode objective des contributions alimentaires ?

Pierre-André Wustefeld : Pour être précis, la « Méthode Renard » fêtera ses 30 ans en 2016. Son auteur, Roland Renard, en a, en effet, publié les principes dans un article intitulé « Divorce, coût de l’enfant, pension alimentaire et fiscalité », en pages 3 à 24 du Journal des tribunaux de l’année 1986. 10 années plus tard, au mois de mai 1996, le logiciel PCA-VOB, accompagné d’un livret développant et affinant la méthodologie, était présenté à Mons, à l’invitation de la Conférence du Jeune Barreau de la cité du Doudou. Ce qui était une manière de rendre hommage aux magistrats de la Cour d’appel de Mons, et plus particulièrement à Jean-Louis Franeau, président de chambre, qui furent les premiers à se référer explicitement aux travaux de Roland Renard pour tenter d’objectiver le montant des contributions alimentaires qu’ils étaient amenés à arbitrer.

Mais, pour en revenir à votre question, la « Méthode Renard » s’appuie, à la base, sur une étude développée à l’attention de la Communauté française de Belgique et intitulée « Le coût de l’enfant ». Publiée en 1984, le but de l’étude était de permettre aux responsables de cette institution nouvelle de mieux cerner le coût d’un enfant pour déterminer les budgets à prévoir pour la prise en charge des enfants confiés à des institutions ou à des familles d’accueil. Disposant des données qu’il avait ainsi recueillies, Roland Renard s’est ensuite penché sur la problématique du financement des besoins de l’enfant dans la situation des parents séparés.

Pierre-André Wustefeld Président de chambre à la Cour d’appel de Mons, Membre de la commission des contributions alimentaires, Membre du comité scientifique de PCA-VOB

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Les principes, développés dans l’article du J.T. de 1986, ont ensuite été affinés dans le cadre du développement du logiciel, pour corriger certains biais et mieux répondre aux réalités budgétaires des familles séparées : c’est ainsi qu’est apparue, dès 1996, la « pondération » des temps d’hébergement en fonction des dépenses assumées à l’occasion de ces périodes. Par la suite, lors du colloque « L’Argent pour vivre », organisé en 1999 par l’Unité de Droit familial de l’ULB, Roland Renard a


RENCONTRE

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abordé la problématique des « enfants-caviar », rencontrée dans les situations de familles à très hauts revenus, en suggérant de lisser la faculté contributive à prendre en considération : la part du revenu d’un parent excédant 150.000 BEF (arrondis actuellement à 4.000 euros) n’était désormais prise en considération qu’à concurrence de 20%. En 2005, Roland Renard proposait une nouvelle évolution, dans Les Dossiers du Journal des tribunaux, permettant de prendre en compte la recomposition familiale. Ces nouveaux développements ont, bien entendu, également été intégrés dans le logiciel PCA-VOB. Enfin, parallèlement, les contacts noués avec le Service Statistiques du SPF Économie ont permis de disposer des données actualisées relatives au « Budget des ménages », de manière globale pour la Belgique, dans un premier temps, en fonction des Régions, dans un second temps. Et de nouvelles perspectives s’offrent au logiciel, lequel devrait, sous peu, pouvoir différencier, de manière plus précise, les budgets consacrés aux besoins des enfants en fonction du niveau de revenus de leurs parents. Ainsi, au fil du temps et de ses développements, PCA-VOB s’avère être un outil de plus en plus fiable et précis pour tous les praticiens du droit confrontés à la détermination des contributions alimentaires. Et, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités, le logiciel respecte scrupuleusement les dispositions légales actuellement en vigueur, et ce dès avant qu’elles n’aient été précisées par le législateur : ce dernier s’est en effet très clairement inspiré des travaux de Roland Renard lorsqu’il a rédigé l’article 1321 du Code judiciaire ! Entre la première version de la méthode de calcul (sous format « disquettes 3,5’’ ») et la version actuelle en ligne, la société a évolué. Comment la méthode s’est-elle adaptée à l’évolution de la société, à la composition des familles ?

Le logiciel a intégré, au fur et à mesure, le résultat des travaux de Roland Renard, tout en veillant à préserver sa facilité d’utilisation : statistiques actualisées, recomposition familiale, lissage des revenus sont aisément disponibles et mis en relation dans les calculs à opérer.

Et les statistiques, par exemple, prennent en compte, notamment, la part croissante des outils de communication, d’une part, la diminution importante des frais vestimentaires, d’autre part, dans les dépenses des ménages. Tout en permettant également de distinguer le budget consacré au logement, selon le lieu de résidence des parties en cause … Dans le même temps, le logiciel a aussi pris en considération l’évolution de la société. Ainsi, par exemple, n’y verrez-vous plus figurer les mentions « Père » et « Mère », seules les identités étant désormais prises en compte, suite aux nouvelles dispositions légales admettant la parentalité au sein de couples de même sexe. Le logiciel PCA-VOB permet de proposer une contribution alimentaire. Peut-on dire qu’un ordinateur est maintenant compétent pour calculer une contribution alimentaire ?

Certainement pas ! PCA-VOB facilite la prise en compte des données pertinentes et opère les multiples calculs nécessaires à la détermination de la contribution alimentaire qui apparaît la plus juste en fonction du niveau de vie de la famille, de l’âge des enfants, de la composition de la fratrie et des éventuelles recompositions familiales. Il permet ainsi de conduire la réflexion de l’utilisateur en l’invitant à introduire les données pertinentes et nécessaires au calcul. Il facilitera ensuite l’élaboration de la motivation de la demande ou de la décision, en permettant d’illustrer clairement le cheminement du raisonnement. Mais le travail de base, à savoir la détermination des valeurs à prendre en considération reste et restera de la seule compétence de l’utilisateur.

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Novembre 2015|N°13|Emile & Ferdinand|9


RENCONTRE

... Lui seul peut en effet définir : • Les facultés contributives des parents • La (re)composition familiale • Les périodes litigieuses • Les modalités d’hébergement • Le montant des allocations familiales perçues et leur bénéficiaire • Les dépenses au profit des enfants à valoriser dans le chef de chaque parent • L’existence de revenus personnels d’un enfant et la part affectée à la couverture de ses besoins • Les éventuelles charges ou ressources particulières susceptibles d’affecter la faculté contributive de l’un ou l’autre des parents Tous éléments qui doivent être pris en compte dans la décision mais dont bon nombre de praticiens s’abstiennent, le plus souvent, d'identifier et de valoriser adéquatement. Contrairement au fantasme de certains, PCA-VOB n’est donc pas un « presse-bouton » appelé à substituer l’ordinateur au juge, à l’avocat ou au notaire ! C’est, au contraire, un précieux outil d’aide à la décision. Et à la motivation de cette dernière ! Il permet en effet au justiciable d’avoir accès au raisonnement qui conduit à lui accorder ou à lui imposer tel ou tel montant de contribution alimentaire. Montant qui est en outre personnalisé, le cas échéant, pour chacun des enfants. On parle toujours de PCA-VOB comme un calculateur de contribution alimentaire pour les enfants. L’outil pourrait-il évoluer pour objectiver les pensions alimentaires dues à des ex-conjoints ?

Nullement ! Les études de Roland Renard n’ont pas de lien, à tout le moins direct, avec l’objectivation des pensions alimentaires exigibles entre ex-époux. Et les principes légaux qui régissent la matière des contributions alimentaires pour les enfants et celle de la pension alimentaire entre ex-conjoints sont essentiellement différents. Ce qui ne veut pas dire que PCA-VOB ne peut pas être utile pour déterminer le montant du secours ou de la pension ali-

10|Emile & Ferdinand| N°13 |Novembre 2015

mentaire. Il permet en effet de déterminer de manière précise les ressources dont chacun des parents est censé disposer après avoir assumé son obligation alimentaire à l’égard des enfants communs. L’éventuel état de besoin, de même que le différentiel de revenus sont ainsi plus aisément identifiables, ce qui permet d’envisager plus facilement une solution équitable et justifiable à ce type de litige. PCA-VOB dans 20 ans ? Le logiciel pourrait-il encore évoluer dans l’avenir et comment ?

Sans nul doute ! En s’appuyant sur les évolutions technologiques, d’abord, pour faciliter toujours davantage son utilisation. En prenant en compte les développements scientifiques qui pourraient voir le jour, ensuite. En intégrant, dans la mesure du possible, les réflexions qui émaneront du nouvel acteur voulu par le législateur, « La Commission des contributions alimentaires », enfin. L’ouvrage est sur le métier depuis plus de vingt ans, et il est appelé à y rester encore de longues années. En préface du livret qui accompagnait les premières disquettes de PCA-VOB, Christian Panier, alors président du tribunal de première instance de Namur, s’exprimait en ces termes : « Peuton espérer qu’une ère nouvelle s’ouvre ainsi pour la « Méthode Renard », contribuant à affranchir le contentieux alimentaire de l’archétype des appréciations discrétionnaires et forcément subjectives ? D’aucuns risquent peut-être d’y perdre en confort – tant matériel qu’intellectuel – mais tous y gagneront assurément en rigueur et en crédibilité. » Vingt ans plus tard, la Méthode Renard et PCA-VOB ont manifestement contribué à relever le défi de l’objectivation du contentieux alimentaire, ainsi qu’en témoignent divers arrêts récents de la Cour de Cassation.


ACTU

AVOCATS.BE en lutte contre la surpopulation carcérale Émile & Ferdinand : Monsieur le président, AVOCATS.BE a décidé d’introduire, il y a quelques mois, une action contre l’État belge pour dénoncer la surpopulation carcérale et obtenir sa condamnation à prendre les mesures adéquates pour assurer un traitement des détenus qui soit conforme aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pourquoi ?

Patrick Henry : Si vous me le

permettez, je répondrai d’abord à la question : en vertu de quoi ? L’article 495 du Code judiciaire donne aux Ordres communautaires la mission de prendre les initiatives nécessaires pour assurer la défense des intérêts des avocats et des justiciables.

Patrick Henry Président d’AVOCATS.BE Rédacteur en chef de la Revue de jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles

AVOCATS.BE s’est emparé de cette disposition, déjà à de nombreuses reprises, pour introduire des recours devant la Cour constitutionnelle, le Conseil d’État, voire la Cour de justice de l’Union européenne ou la Cour européenne des droits de l’homme, en matière de défense du secret professionnel, d’accès à la justice, de procédure pénale, (notamment, dernièrement, en matière de prescription), de contentieux administratif, de T.V.A., de règlement collectif de dettes, de recouvrement amiable de créances, etc.

L’intérêt à agir d’AVOCATS.BE pour agir devant les juridictions de contentieux objectif ne suscite plus de discussion. Il n’en est cependant pas de même devant les juridictions de contentieux subjectif (les juridictions de l’Ordre judiciaire). Jusqu’ici, la Cour de cassation est restée fidèle à sa jurisprudence traditionnelle : les personnes morales ne peuvent agir devant les juridictions de l’Ordre judiciaire que pour autant qu’elles invoquent la lésion d’un intérêt qui leur est propre. C’est ainsi que, par le passé, des actions qui ont été engagées par les Ordres pour dénoncer les conditions de détention des prévenus dans le palais de justice de Liège (dans de petites « cages » de moins d’un m²) ou l’insuffisance d’encadrement médico-psychologique à l’établissement de défense sociale de Paifve, ont été déclarés irrecevables. Mais plusieurs évolutions jurisprudentielles récentes donnent à penser que cette solution traditionnelle peut être combattue et que les Ordres communautaires pourraient aussi agir devant les cours et tribunaux lorsque les intérêts primordiaux de certaines catégories de justiciables sont mis en cause et ce, particulièrement lorsqu’une violation de

...

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ACTU

... l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales peut être invoquée (traitements inhumains et dégradants). C’est donc ce que vous avez fait en intervenant au côté de la famille de Steve Michaux qui s’est suicidé à l’annexe psychiatrique de l’établissement pénitentiaire de Lantin, dans des conditions d’encadrement médico-psychologique tout à fait lacunaires ?

Oui, et c’est une nouvelle fois l’occasion de dénoncer la surpopulation dont la plupart de nos prisons souffrent. Parallèlement à cette affaire Michaux, AVOCATS.BE a aussi décidé d’agir devant les tribunaux de première instance de Bruxelles, Liège et Mons pour dénoncer la surpopulation dans les établissements pénitentiaires de Forest, Lantin et Mons et obtenir la condamnation de l’État, sous astreinte, à prendre les mesures nécessaires pour l’éradiquer.

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Les avocats se positionnent donc une nouvelle fois au côté des détenus…

Je réfute cette interprétation.

Certes, la surpopulation dans les prisons nuit d’abord à ceux qui y sont détenus. Ils y sont enfermés dans une promiscuité inadmissible (à deux dans des cellules qui sont conçues pour n’accueillir qu’une personne ; à trois ou quatre, dans des cellules qui sont conçues pour n’en accueillir que deux), dans des conditions sanitaires et hygiéniques déplorables. Ils ne


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bénéficient pas de l’encadrement médical ou psychologique dont ils ont besoin. Ils ne reçoivent pas non plus l’assistance sociale qui leur est indispensable, notamment pour préparer leur réinsertion dans la vie sociale à l’issue de leur détention. C’est d’ailleurs un cercle vicieux puisque, comme il y a trop de monde en prison, les assistants sociaux ne peuvent les aider efficacement. Ils n’ont donc pas la possibilité de préparer adéquatement leurs plans de réinsertion. Leurs demandes de libération conditionnelle échouent donc (lorsqu’ils en introduisent, ils ont généralement besoin d’assistance pour la présenter adéquatement) et leurs détentions se prolongent indûment. Mais la surpopulation carcérale est un problème qui concerne tout le monde. Qui ne voit que les détenus, qui finissent quand même par sortir de prison, sans aucune préparation à la réinsertion, et après avoir été traité comme des bêtes pendant la durée de leur détention, n’ont d’autre voie que le retour au crime ? Vous voulez donc dire que notre régime pénitentiaire encourage la récidive ?

C’est exactement cela. Et, ici, il faut se poser une question très simple : pourquoi punit-on ? Est-ce uniquement pour le plaisir d’exercer la vengeance ? Si nous posons cette question à n’importe lequel de nos gouvernants, il vous

La surpopulation carcérale est un problème qui concerne tout le monde.

répondra évidemment par la négative. On sanctionne un comportement pour éviter qu’il soit réitéré. Ce n’est pas autrement que nous agissons vis-à-vis de nos enfants ou de nos élèves, par exemple. La peine n’a jamais pour but de renforcer celui qui en est l’objet dans ses comportements déviants. Or c’est exactement ce que nous faisons. Dans notre pays, le taux de récidive est énorme, comme d’ailleurs dans tous les autres pays qui adoptent des politiques similaires. Au contraire, si l’on porte son regard, par exemple, sur les pays scandinaves, où l’accent est mis sur les sanctions alternatives et la réinsertion, les taux de récidive sont beaucoup moins importants. Vous vous prononcez donc pour une diminution drastique du recours à l’emprisonnement et pour la promotion des sanctions alternatives ?

Exactement. La sanction doit être une façon de faire comprendre à celui qui a commis l’infraction quel aura été son impact sur autrui. Il faut qu’elle lui rende une juste conception de la vie sociale. Le ramener à plus d’empathie, bref, le réinsérer. Monsieur le Procureur général De Valkeneer, dans la mercu-

riale qu’il a prononcée à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour d’appel de Liège, a tenu le même discours1. Il y a quelques années, au cours d’un débat sur les conditions d’emprisonnement en Belgique, un criminologue de l’Université de Liège avait lancé : « il faut supprimer la prison » et quand on lui avait demandé par quoi la remplacer, il avait simplement répondu : « par rien ». Cette opinion était un peu radicale, à mon sens en tout cas. Je ne veux pas prôner l’angélisme. Mais il me semble en tout cas qu’aujourd’hui, nous avons tout faux. C’est aussi ce que nous dénonçons dans l’avant-projet de loi pot-pourri II. On ne résoudra pas nos difficultés en augmentant les capacités de nos prisons, en allongeant les durées de peine, en augmentant la durée de la prescription des infractions, en réduisant les possibilités de libération conditionnelle, en détricotant les droits de la défense … Si nous voulons une société moins violente, nous devons investir dans l’éducation et l’assistance. Coupons le pénitentiaire. Ce qu’il faut, c’est (ré)apprendre à ceux qui ont commis des infractions à vivre avec les autres.

"C'est un système qui coûte très cher, et donc j'en appelle à une réflexion par rapport à cette problématique de réfléchir à d'autres formes de sanctions et notamment d'augmenter la certitude maintenant d'être sanctionné, la certitude qui semble être beaucoup plus dissuasive que la sévérité de la sanction." "Ce que je propose, c'est d'investir moins au niveau de l'administration pénitentiaire, de réduire le nombre de détenus, mais de récupérer ces marges budgétaires pour la justice pour lui permettre de pouvoir poursuivre davantage c'est-à-dire de ne pas envoyer les gens en prison, mais de pouvoir prononcer des sanctions alternatives à l'emprisonnement qui, elles, semblent avoir un effet plus dissuasif." http://www.rtbf.be/info/regions/liege/detail_rentree-judiciaire-a-liege-il-faut-reformer-le-systeme-des-sanctions?id=9069064

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HOMMAGE

Hommage

à Jean-Jacques Masquelin Jean Vandeveld et Robert Andersen

Jean-Jacques Masquelin nous a quittés le 11 juillet 2015. Son nom est indissolublement lié aux Codes belges Bruylant. Dans le premier numéro de la Gazette du Groupe Larcier Émile & Ferdinand, paru en octobre 2013, il nous parlait de son premier code qui fut -nul ne s’en étonnera- un Code Bruylant, 28ème et 29ème éditions, emprunté à la bibliothèque de son père. Bon sang ne peut mentir. Ce père n’était autre que Jean Masquelin, éminent juriste, président du Conseil d’État et professeur extraordinaire à l’UCL, auteur d’un magistral ouvrage Le droit des traités dans l’ordre juridique et dans la pratique diplomatique belge, publié en 1980 chez… Bruylant. Outre le droit des traités, le père de Jean-Jacques avait gardé de ses années passées au Bureau de coordination du Conseil d’État de 1947 à 1962, un vif intérêt pour la légistique. Il est d’ailleurs l’auteur d’un ouvrage publié par UGA Légistique formelle: règles pratiques pour la rédaction des lois et arrêtés. Sans doute est-ce l’expertise acquise en ce domaine qui décida les Établissements Émile Bruylant de lui confier avec Jean Blondiaux la codirection de la collection

Robert Andersen, en collaboration avec Jean Vandeveld, rend hommage à Jean-Jacques Masquelin. Il évoque le rôle incontournable qu’il joua dans l’histoire des Codes (belges) Bruylant. des Codes et lois les plus usuelles en vigueur en Belgique: avec les arrêtés royaux complémentaires et des notes de concordance et de jurisprudence utiles à l’interprétation des textes, plus familièrement connus, à l’époque, comme les Codes Servais et Mechelynck et dénommés actuellement les Codes (belges) Bruylant. Nourri dans le sérail, partageant avec son père la même passion pour la légistique, c’est tout naturellement que JeanJacques prit, à partir de 1976 jusqu’à sa mort, soit pendant 39 ans, la direction de la collection, d’abord en duo avec son père jusqu’au décès de ce dernier le 8 octobre 1995, puis seul. Jean-Jacques Masquelin a, pendant toutes ces années, rempli cette mission avec une rigueur, une disponibilité et une minutie constantes. C’est, en grande partie , grâce à lui et sous son égide, que le passage des Codes sur feuillets mobiles, devenu ingérable en raison de la prolixité et de la fugacité des normes juridiques -qu’il est loin le temps où les lois les plus usuelles étaient rassemblées dans un seul et même volume format in-octavo là où maintenant 18 volumes format in-quar-

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to suffisent à peine à les contenir ! - et que la continuité de la collection et de l’équipe d’auteurs purent être assurées de manière harmonieuse lorsque Émile et Ferdinand décidèrent de faire route ensemble. Alors, Jean-Jacques s’employa sans compter à réunir les auteurs, à répondre à leurs questions, à vaincre leurs appréhensions et à être leur interprète auprès du Groupe Larcier. La mission de directeur de la collection ne se résumait pas pour Jean-Jacques Masquelin à servir d’intermédiaire, de « go-between » entre éditeurs et auteurs. Il entendait également jouer le rôle de coordinateur, en veillant à une répartition harmonieuse des matières entre les différents volumes et en évitant au maximum les redites. Je garde à cet égard en mémoire notre échange de courriels à la veille de son décès, dans lequel je lui proposais de nous rencontrer pour résoudre un problème de ce type, rencontre qu’il me proposa de postposer pour raison de santé. Jean-Jacques Masquelin était particulièrement soucieux de la parfaite mise à jour des textes figurant dans chacun des volumes. Il n’en est aucune dont il ne


HOMMAGE

Jean-Jacques Masquelin vérifiait personnellement l’exactitude et, au moindre doute, faisait part à l’auteur de ses remarques et de ses suggestions. Il conservait la collection complète des Codes (belges) Bruylant sur feuillets mobiles avec pour chaque tome, toutes les mises à jour successives. Perfectionniste, il l’était jusqu’au bout des ongles. Aussi n’est-ce pas sans réticence de sa part que je le convainquis, fort de l’appui des autres auteurs, d’insérer dans chaque volume une clause d’exonération de responsabilité que l’inflation législative galopante rendait inéluctable. Cette même rigueur, il se l’appliquait à lui-même en tant qu’auteur, en collaboration avec Marie Bedoret, des volumes portant sur le droit du travail et le droit de la sécurité sociale, matières dont il avait fait sa spécialité au Barreau de Bruxelles. Jean-Jacques Masquelin, avant lui son père et après lui son fils François, une

belle lignée au service des Codes (belges) Bruylant et, au travers de ceux-ci, de toute la communauté des juristes. Sans eux, l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » serait davantage encore une pure fiction.

Président d’honneur et membre du conseil d’administration, il était toujours aussi présent et un des organisateurs du futur Colloque « Vivre ensemble » à l’occasion des 60 ans d’existence de la Conférence.

La vie professionnelle de Jean-Jacques Masquelin ne se résume pas à cette seule activité de directeur, coordinateur et auteur des Codes (belges) Bruylant. Il fut actif au Barreau de Bruxelles, mettant ses talents aussi bien au service des justiciables qu’à celui de ses confrères en sa qualité de membre du Conseil de l’Ordre, et accepta, de surcroît, d’exercer les tâches ingrates de juge suppléant au tribunal de première instance et de conseiller suppléant à la Cour d’appel de Bruxelles.

On ne saurait enfin assez souligner le rôle joué par Jean-Jacques Masquelin dans la mise en place et le bon fonctionnement du Centre d’arbitrage créé à la suite des travaux de la commission spéciale de la Chambre des Représentants relative au traitement d’abus sexuels et de faits de pédophilie dans une relation d’autorité et en particulier au sein de l’Église.

La Conférence Olivaint de Belgique lui tint également particulièrement à cœur. Il en fit partie en diverses qualités depuis 1954 jusqu’à sa mort, dont celle de président de 1974 à janvier 2010.

Jean-Jacques Masquelin fut, sa vie durant, soucieux d’agir en fonction de ses convictions religieuses profondes tout en se montrant ouvert aux convictions d’autrui et respectueux de celles-ci. Il fut un chrétien engagé pour qui « Les choses de Dieu se font d’elles-mêmes… mais non pas toutes seules ».

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XXXX THE DATES SAVE

➔ FORMATIONS UB3 ➔ Lundi 14 décembre 2015 : Le point sur les procédures de cassation ➔ Lundi 22 février 2016 : Le droit commun des contrats. Questions choisies ➔ Lundi 21 mars 2016 : Les juges belges face aux actes adoptés par les États étrangers et les organisations internationales : quel contrôle au regard du droit international ➔ Lundi 25 avril 2016 : Droit de la non–discrimination : avancées et enjeux

INFOS ET INSCRIPTIONS : Larcier Formation : 0800 39 067 formation@larciergroup.com - www.larcier.com (onglet Formations-Colloques)

➔ LES PETITS DÉJEUNERS EARLEGAL organisés par Philippe & Partners et le Groupe Larcier, de 8h30 à 9h30

➔V endredi 22 janvier 2016 : Publicité en ligne : faites-vous remarquer ! ➔ Vendredi 25 mars 2016 : Vers un nouveau règlement sur la protection des données ? ➔V endredi 27 mai 2016 : La propriété intellectuelle, un élément clé des marchés publics !

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GAZLAR13 ISBN : 978-1-1091-0055-6

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