Emile& Ferdinand Gazette
2016/1 | N°15 Bimestriel gratuit
Bureau de dépôt : 3000 Leuven Masspost | P-916169
3 Actu
Droit des personnes et des familles… Rencontre avec Yves-Henri Leleu
Théâtre
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3 questions à … Peter Craddock, concepteur de l’Interest Calculator
Interview du metteur en scène, Jos Verbist, et du dramaturge, Karel Vanhaesebrouck
Tribuna(a)l – Un spectacle documentaire basé sur des adaptations de procès réels en Belgique…
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L ’art au palais Jean-Pierre Buyle analyse Le conseil de l’Ordre, une peinture à l’huile de Maître Charles Bullman
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Et aussi Le mot de l'éditeur . ..
Concours
Tentez de gagner 5 x 2 places pour la pièce Tribuna(a)l
ÉDITO
bonne lecture ! Emile& Ferdinand Gazette
2016/1 | N°15 Bimestriel gratuit
Bureau de dépôt : 3000 Leuven Masspost | P-916169
3 Actu
Droit des personnes et des familles… Rencontre avec Yves-Henri Leleu
Théâtre
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3 questions à … Peter Craddock, concepteur de l’Interest Calculator
Interview du metteur en scène, Jos Verbist, et de l’auteur, Karel Vanhaesebrouck
Tribuna(a)l – Un spectacle documentaire basé sur des adaptations de procès réels en Belgique…
11
L’art au palais Jean-Pierre Buyle analyse Le Conseil de l’Ordre, une peinture à l’huile de Maître Charles Bullman
6
Et aussi
Les dates à ne pas
manquer
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Concours
Tentez de gagner 5 x 2 places pour la pièce Tribuna(a)l
colophon Rédacteur en chef Élisabeth Courtens Secrétaire de rédaction Anne-Laure Bastin Équipe rédactionnelle Anne-Laure Bastin, Élisabeth Courtens, Charlotte Claes et Muriel Devillers Lay-out Julie-Cerise Moers (Cerise.be) © Groupe Larcier s.a. Éditeur responsable Marc-Olivier Lifrange, directeur général Groupe Larcier s.a. rue Haute 139 - Loft 6 1000 Bruxelles Les envois destinés à la rédaction sont à adresser par voie électronique à emileetferdinand@larciergroup.com
2|Emile & Ferdinand| N°15 |2016/1
Chers lecteurs, Chers auteurs, Professeur et avocat au barreau de Liège, Yves-Henri Leleu vient de publier, dans la Collection de la Faculté de droit de l’Université de Liège, la 3ème édition de son ouvrage Droit des personnes et des familles. Cette édition entièrement refondue intègre toutes les réformes et la jurisprudence récentes. Elle contient une refonte complète de l’exposé du droit de la filiation, transformé par les arrêts de la Cour constitutionnelle. Yves-Henri Leleu a accepté de répondre à nos questions. Existe-t-il une justice des classes ? La justice est-elle raciste ou s’agit-il d’une loterie ? C’est avec ces questions que l’équipe de Tribuna(a)l, qui propose un spectacle bilingue sur l’agissement de notre appareil judiciaire, s’est rendue dans les salles d’audience. L’occasion pour Émile & Ferdinand de rencontrer les metteurs en scène, Jos Verbist et Raven Ruell, qui ont ciselé cette expérience pour en faire un documentaire implacable sur le fonctionnement du droit pénal belge. Tentez de gagner des places pour la pièce de théâtre Tribuna(a)l. Rendez-vous en page 8. Le Groupe Larcier vient de mettre en ligne l’Interest Calculator, un site web qui permet de calculer rapidement et simplement les coûts des soldes ouverts. Spécialement développé pour le marché juridique, l’outil applique automatiquement le taux d’intérêt belge actuel. L’idéal pour calculer les intérêts de retard des factures échues, les intérêts judiciaires ou toute autre catégorie d’intérêts (sur crédits, etc.). Interview avec son concepteur, Peter Craddock. Jean-Pierre Buyle nous invite à découvrir une peinture à l’huile réalisée par Maître Charles Bullman et exposée dans la salle du conseil de l’Ordre du barreau de Charleroi.
Belles découvertes… L’équipe rédactionnelle d’Émile & Ferdinand
Cette gazette est la vôtre ! N’hésitez pas à proposer des articles, à formuler des suggestions, à réagir aux articles publiés et, ainsi, à faire évoluer et faire grandir Émile & Ferdinand. Adressez-nous vos messages à l’adresse suivante : emileetferdinand@larciergroup.com
ACTU
Droit des personnes et des familles… Rencontre avec Yves-Henri Leleu
Yves-Henri Leleu Professeur aux universités de Liège et de Bruxelles, avocat au barreau de Liège Émile & Ferdinand : Monsieur Leleu, vous venez de publier, aux éditions Larcier, la 3ème édition de votre ouvrage Droit des personnes et des familles. Comment se positionne cette édition par rapport à votre ouvrage Droit patrimonial des couples, paru en 2015 ?
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Yves-Henri Leleu : J’ai essayé de
synchroniser les deux ouvrages afin qu’ils aient chacun le même degré d’actualité. Sur le fond, je tente d’y développer, dans l’un et l’autre, une vision co-
Professeur et avocat au barreau de Liège, Yves-Henri Leleu vient de publier, dans la Collection de la Faculté de droit de l’Université de Liège, la 3ème édition de son ouvrage Droit des personnes et des familles. Cette édition entièrement refondue intègre toutes les réformes et la jurisprudence récentes. Elle contient une refonte complète de l’exposé du droit de la filiation, transformé par les arrêts de la Cour constitutionnelle. Yves-Henri Leleu a accepté de répondre à nos questions. hérente sur le rôle du droit à la fois dans la constitution des personnes, dans leur développement et aussi dans la vie des couples, et dans la parenté. J’essaie de montrer, dans les deux ouvrages, comment le droit peut répondre aux besoins de protection juridique des individus et des couples. J’ai veillé à une cohérence de ton et d’approfondissement entre les deux manuels. Ils demeurent techniques avec suffisamment de documentation et les clés de la résolution des problèmes et des controverses.
Aujourd’hui, dans une société plutôt individualiste et composée de nouvelles formes de famille, quelle vision portezvous sur l’autonomie de l’individu ? Sa liberté peut parfois être difficile à assumer.
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Pour moi, l’autonomie des individus est cruciale et je pense que le droit doit favoriser cette autonomie jusqu’à la limite des interdits évidents
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2016/1|N°15|Emile & Ferdinand|3
ACTU
“ Droit des personnes et des familles Larcier – 3ème édition 2016
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Droit patrimonial des couples Larcier – Édition 2015
Plus d’infos sur le site www.larciergroup.com
et indiscutables, que ce soit en matière d’euthanasie, de procréation médicalement assistée ou de choix de vie en couple. Je trouve que le droit doit laisser le choix entre une pluralité d’institutions (euthanasie et soins palliatifs), sans contraindre, élargir les options, mais ne lier aux choix que s’ils sont éclairés (séparation de biens). Les interdits demeurent évidemment possibles, au niveau de ce qui menace la vie en société de manière tangible, pas seulement conceptuellement. Je demeure convaincu que notre droit civil des familles, qui a opté pour un libéralisme très audacieux, ne conduit pas aux périls annoncés de déstructuration individuelle et sociale, de pertes anthropologiques et autres périls redoutables. Oui il nous expose à l’international, mais nous assumons. Oui il rompt avec la tradition, et aussi avec la méthodologie classique, mais jusqu’à preuve contraire, vivre dans une société qui promeut
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l’autonomie individuelle et familiale, ne dépersonnalise pas l’individu. Bien sûr cela expose aux conséquences des choix. Mais là aussi, je crois que l’évolution dans ce sens est sociétale et définitive. Elle n’est pas juridique. Le droit doit prendre acte de ces évolutions. Il doit suivre et ne pas recadrer les individus ou les familles. Je me limite bien sûr au droit civil, pas au droit pénal ni au droit fiscal, qui poursuivent bien évidemment l’intérêt général. Parmi les réformes majeures qui émergent du lot de nouvelles normes et du flot de décisions jurisprudentielles et que vous évoquez dans cette 3ème édition, nous pouvons retenir le droit de la filiation qui, sous l’impulsion de la Cour constitutionnelle, est libéré d’un ordre public abstrait pour mieux écouter les demandes des familles. Concrètement, comment cela se traduit-il ?
Ce sont en effet des exemples de l’accompagnement par le droit des familles de demandes nouvelles en termes de protection juridique. Il y a d’abord eu des évolutions législatives marquantes dans le sens de l’autodétermination en droit de la filiation. Les PMA sont largement tolérées en Belgique. Depuis 2014, la femme de la mère est présumée co-parente. Surtout, le droit classique de la filiation subit une totale déconstruction par la Cour constitutionnelle, sous l’impulsion de parents et d’enfants en demande d’écoute de leurs besoins individuels, peu importe les intérêts généraux poursuivis par l’ancien droit. La possession d’état n’est plus ce qu’elle était. La prescription souffre. L’inceste ne peut nuire à l’enfant, etc. Tout cela, au nom du droit des individus, et principalement l’enfant, à faire examiner leur cas par un juge, sur le plan individuel, peu importe les grands équilibres voulus par le législateur. Cette évolution est regrettée par la majorité des auteurs, mais elle me réjouit depuis le début. C’est une preuve de la réalité d’un droit qui écoute, qui observe, qui répond aux demandes des gens, parce qu’il sent bien qu’une société ne vacille pas si elle permet à un juge de mettre en balance des intérêts individuels et des valeurs abstraites. La perte redoutée est le recul de l’ordre public ou l’insécurité juridique d’un droit plus anglo-américain où le précédent constitutionnel a force de règle. Des tas d’autres pays fonctionnent ainsi, et puis, en droit des familles, fautil une sécurité juridique comme en droit des affaires ? Il faut oser poser cette question, et ma réponse n’est pas inconditionnellement affirmative. La sécurité juridique n’est en tout cas pas une valeur supérieure aux intérêts individuels en balance. J’observe cette évolution avec
ACTU
“
un vif intérêt scientifique, et dans mon ouvrage, j’ai anticipé le nouvel office du juge en droit de la filiation, et pense donner quelques clés d’une autre méthode de conclure et de juger. Qu’en est-il de la loi sur la transmission du nom devant la Cour constitutionnelle ?
Cette évolution est une preuve de la réalité d’un droit qui écoute, qui observe, qui répond aux demandes des gens.
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Tout récemment, elle vient d’être annulée dans la mesure où le choix par défaut, lorsque les parents ne s’entendent pas sur le choix du nom à transmettre, est de retenir le nom du père. C’est discriminatoire selon la Cour constitutionnelle. Ce n’est pas étonnant, bien que personnellement j’adhérais à la solution légale, simple et non conflictuelle. Le législateur a maintenant un an pour mettre le droit en conformité et devra trouver un système non discriminatoire. Comme théoriquement il n’y en a pas, pourquoi ne pas s’en remettre au juge en cas de désaccord ? Vous voyez, l’institution judiciaire est pour moi le socle du droit moderne des familles. L’Arrêt Boël vient d’être rendu début février par la Cour constitutionnelle. Celle-ci donne raison à Delphine Boël dans sa démarche de reconnaissance en paternité visant le roi Albert II. Que pouvez-vous nous en dire ?
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D’un point de vue scientifique, cette affaire, quelle qu’en soit l’issue, est emblématique des mutations de notre matière. Elle confirme l’interaction entre le droit civil des filiations et les droits fondamentaux. C’est un énième exemple du choc entre le droit des cadres structurants et le droit futur des familles contemporaines.
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3 QUESTIONS À …
3
questions
à Peter Craddock concepteur de l’Interest Calculator Le Groupe Larcier vient de mettre en ligne l’Interest Calculator, un site web qui permet de calculer rapidement et simplement les coûts des soldes ouverts. Spécialement développé pour le marché juridique, l’outil applique automatiquement le taux d’intérêt belge actuel. L’idéal pour calculer les intérêts de retard des factures échues, les intérêts judiciaires ou toute autre catégorie d’intérêts (sur crédits, etc.). Rencontre avec son concepteur, Peter Craddock. Émile & Ferdinand : Pourquoi avoir conçu cet outil ?
“
Peter Craddock : Il s’agissait à la base simplement d’une manière de me faci-
liter le travail. Dès ma première année de stage d’avocat, j’ai été amené à traiter des dossiers de récupération de créances. Dans ces dossiers, nous avions le choix de calculer les intérêts de retard de paiement et en exiger le paiement, ou simplement menacer de les demander au juge en cas de non-paiement. Dans mon ancien cabinet, peu demandaient le paiement des intérêts parce que leur calcul était difficile. Quand j’ai compris comment cela fonctionnait, j’ai décidé d’utiliser mes connaissances en programmation web pour automatiser le processus.
Peter Craddock Avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle et droit des technologies de l’information
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Depuis lors, j’ai pris le réflexe d’intégrer des nouvelles fonctionnalités chaque fois que je réalisais que j’en avais besoin pour un dossier. Différents taux, paiements intermédiaires, etc., tout est issu de besoins rencontrés dans la pratique par un praticien. Pouvez-vous nous présenter les fonctionnalités du Calculateur ?
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Le Calculateur vise à répondre aux besoins des praticiens, et la liste de fonctionnalités en est le reflet. On y intègre les taux qui selon nos informations sont le plus souvent rencontrés : taux légal, taux « retard de paiement », taux ECB et taux « fixe » (comme le taux fiscal ou un taux contractuel, par exemple). Pour tous les taux non fixes, il est possible de moduler le taux (par exemple « taux ECB + 3% »). Par ailleurs, dans le cadre de procédures, il est possible de prévoir un « taux judiciaire » distinct du taux de base.
3 QUESTIONS À …
Si des paiements intermédiaires sont intervenus ou une capitalisation des intérêts a été demandée, on en tient compte, avec même une prise en compte des règles par défaut du Code civil (imputation par défaut sur les intérêts d’abord, capitalisation seulement permise après un an, etc.). En outre, une fonction distincte permet de générer un plan de paiement pour le remboursement d’une créance par tranches. Pour le reste, nous travaillons à de nouvelles fonctionnalités visant à répondre aux besoins supplémentaires des utilisateurs. Pourquoi utiliser votre Calculateur d’intérêts plutôt qu’un outil équivalent en accès libre sur internet ?
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Le Calculateur a avant tout été conçu pour les praticiens par un praticien. Comme le montre la liste de fonctionnalités, le but est d’aller au-delà du simple calcul de pourcentages qu’on peut faire dans Excel ou sur un outil gratuit sur internet. Ensuite, l’outil se veut facile à l’utilisation et rapide. L’interface a d’une part été améliorée au fil du temps pour permettre un accès rapide à toutes les fonctionnalités sans la rendre trop complexe. D’autre part, le résultat ne se fait pas attendre : on remplit les champs, on appuie sur un bouton et on a le résultat, avec même un choix quant au format final (copier-coller, document Word, document PDF). Enfin, nous le maintenons à jour. Le 18 janvier, le gouvernement publiait le nouveau taux légal pour 2016... et le même jour, nous intégrions ce changement dans le Calculateur. Ce maintien à jour peut être important. À titre anecdotique, un de mes anciens collègues avait utilisé le Calculateur pour corriger un calcul fait par un huissier pour notre client; le logiciel employé par l’huissier n’était pas à jour deux semaines après un changement de taux. Malgré le peu de temps écoulé, la différence due au changement de taux se chiffrait en milliers d’euros en faveur de notre client. Autant dire que ça valait la peine d’être à jour !
www.interestcalculator.be L’Interest Calculator est aussi disponible dans Strada lex. Pour plus d'infos, contactez-nous à info@stradalex.com
Dans l’ensemble, le caractère payant du Calculateur nous force à offrir un meilleur produit d’emblée et nous incite à toujours l’améliorer. À bon entendeur...
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THÉÂTRE
Tentez de gagner
5 x 2 places
pour la pièce Tribuna(a)l
en envoyant un e-mail à emileetferdinand@larciergroup.com
Tribuna(a)l
Les 5 premières personnes à avoir envoyé un e-mail recevront 2 places pour la pièce Tribuna(a)l (pour Bruxelles ou Courtrai).
Un spectacle documentaire basé sur des adaptations de procès réels en Belgique…
Rencontre avec le metteur en scène, Jos Verbist, et le dramaturge, Karel Vanhaesebrouck
Jos Verbist
Karel Vanhaesebrouck
Metteur en scène
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Dramaturge
Existe-t-il une justice des classes ? La justice est-elle raciste ou s’agit-il d’une loterie ? C’est avec ces questions que l’équipe de Tribuna(a)l, qui propose un spectacle bilingue sur l’agissement de notre appareil judiciaire, s’est rendue dans les salles d’audience. Les metteurs en scène, Jos Verbist et Raven Ruell, ont ciselé cette expérience pour en faire un documentaire implacable sur le fonctionnement du droit pénal belge. Et pour ce spectacle, l’équipe du Théâtre Antigone s'est totalement investie. En effet, une année durant, le dramaturge Karel Vanhaesebrouck a suivi des procès dans les tribunaux correctionnels d’Anvers,
THÉÂTRE
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L a pièce de théâtre Tribuna(a)l
Gand et Bruxelles. Pas de Cour d’assises média génique captivante, mais des procès contre le menu fretin montrant la vie telle qu’elle est. Karel Vanhaesebrouck a ensuite retranscrit les procès afin de les transmettre aux metteurs en scène. Ces derniers ont eux aussi assisté au procès en compagnie des acteurs. Tribuna(a)l est le fruit de cette expérience. On pourra à nouveau découvrir ce spectacle en mai à Bruxelles et Courtrai. En même temps, vient de paraître aux éditions Lannoo De rechtbank, een schouwtoneel, un ouvrage fascinant dans lequel des avocats, juges et criminologues commentent les textes de Vanhaesebrouck.
sera reprise en mai 2016 à Courtrai (Théâtre Antigone) et Bruxelles (Théâtre national). Plus d’infos sur www.antigone.be
Émile & Ferdinand : Pourquoi vouliez-vous mettre sur pied ce spectacle ?
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Jos Verbist : Nous rêvions d’un spectacle documentaire basé sur des adaptations de procès réels issus de tribunaux correctionnels en Belgique. Nous avions en vue un agenda idéologique très concret : nous voulions entre autres montrer comment le droit pénal, qu’on le veuille ou non, reproduit systématiquement des inégalités, et que notre système juridique n’a pas encore su se dépêtrer du joug de la justice des classes. Tribuna(a)l révèle également comment les acteurs individuels disposent du pouvoir et de la force pour changer le système, non pas à un niveau abstrait ou théorique mais bien d’une manière humaine concrète. Le droit n'est jamais abstrait mais toujours réel.
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Karel Vanhaesebrouck : Le point de départ de Jos, à qui l’on doit la mise en scène de Tribuna(a)l aux côtés de Raven Ruell, était que le droit reproduit l'inégalité. Je pensais qu’il était dans l’exagération et se laissait aller au simplisme. Mais une fois que nous avons procédé à des dizaines d'entretiens, avec des avocats et des magistrats de différents horizons, je suis arrivé à la même conclusion. À l’issue de chacun de ces
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THÉÂTRE
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entretiens, Jos posait la même question : Notre système juridique est-il raciste ? Au début, je ne savais plus où me mettre. Tout le monde était heurté par le côté direct de la question mais quasi toutes les réponses étaient affirmatives. Décevant, n’estce pas ? Comment se sont déroulés les préparatifs du spectacle ?
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Karel Vanhaesebrouck : J’ai assisté à différents types
de procès, et ce, pendant une période de huit mois : l’immigration et la traite des êtres humains, le trafic de stupéfiants, la petite criminalité liée à la pauvreté, un cas particulièrement intéressant de violence policière et plusieurs séances de la Chambre de Traitement de la Toxicomanie (CTT) à Gand. Par ailleurs, Jos, Raven et moi-même avons interviewé de nombreux magistrats et avocats, pour nous faire une idée précise des problématiques et des défis de la justice. Les mêmes problèmes resurgissaient avec une régularité métronomique : une grande différence de qualité au niveau du barreau, des pertes de temps et un manque d’organisation, la différence dans l’approche et le cadre de référence entre les différents tribunaux, le cynisme ou le désespoir de nombreux acteurs, l’importance de la psychologie et la subjectivité dans la jurisprudence, les tentatives courageuses des individus visant à donner un visage humain à un système défaillant, etc.
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Jos Verbist : Nous nous sommes également rendus
au tribunal avec les acteurs. Ils ont principalement été frappés par l’impossibilité de ce théâtre : les intéressés sont tous prisonniers de leur propre rôle de sorte qu’un véritable dialogue n’est jamais amorcé. Les gens parlent sur et à côté les uns des autres, mais ne sont pas en mesure de se déplacer ni de faire preuve de la moindre empathie. Pour les acteurs, c’était naturellement du petit-lait : dans les tribunaux, les pièces de théâtre sont parfois de bien piètre qualité. De nombreux avocats pensent être passés maîtres dans l’art de la rhétorique, alors que c’est souvent loin d’être le cas. D’autres, par contre, sont pétris de talent. Le moindre de leurs propos s’est d’une manière ou d’une autre retrouvé dans le spectacle.
Pour Tribuna(a)l, avez-vous construit vous-même une salle d’audience ? Pourquoi avez-vous opté pour cette forme particulière ?
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Jos Verbist : Giovanni Vanhoenacker, notre scénographe attitré, a conçu une sorte d'installation, com-
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posée d’un podium surélevé sur lequel trônent deux juges et le ministère public et un ensemble de bancs pouvant accueillir 150 spectateurs. Nous jouons dans une salle de théâtre agencée de façon telle que le public est au cœur des débats. Comme si vous passiez une matinée au palais de justice et que vous voyiez passer le cortège des personnes poursuivies. Les juges Tania Van der Sanden, David Dermez et Vincent Hennebicq supervisent le tout et se prononcent. Tout comme les spectateurs. Que voulez-vous véhiculer auprès du public avec ce spectacle ?
“
Jos Verbist : Tribuna(a)l est naturellement une lecture
spécifique de nos constatations. Dans le spectacle, le rôle des personnes poursuivies est, par exemple, interprété par des figurants. Les autres rôles ont été incarnés par des acteurs professionnels. Cette métaphore se vérifie : dans la réalité, la personne poursuivie ne peut jouer qu’un rôle de figurant. Et chez nous non plus, le public ne peut pas voir les personnes poursuivies. Il n’en voit que le dos, tout comme dans une salle d’audience.
“
Karel Vanhaesebrouck : Tribuna(a)l ne formule pas
de critique explicite sur notre système juridique – nous ne voulons pas uniquement pointer un doigt accusateur. Et pourtant, Tribuna(a)l n’en demeure pas moins une pièce particulièrement critique, même si elle ne fait ni plus (mais surtout ni moins) que dévoiler ce qui se trame au quotidien dans les salles d’audience belges. Le plus choquant n’est pas que de telles choses se passent vraiment, mais bien qu’elles aient lieu au quotidien sans que personne ne s’en rende compte. Suite à la demande de Jos et Raven, je suis entré pour la première fois de mon existence dans une salle d’audience. Et pour cela aussi, je leur en serai éternellement reconnaissant : ce fut pour moi une leçon de vie incroyablement importante. Depuis, je conseille à tous mes étudiants de fréquenter régulièrement les bancs des salles d’audience. La réalité que vous y rencontrez est un reflet de la société qui, autrement, demeurerait caché. L’ouvrage De rechtbank is een schouwtoneel, het spektakel van het strafrecht in België, rédigé par Karel Vanhaesebrouck, Christine Guillain et Yves Cartuyffels est publié chez Lannoo Campus. La version francophone de l’ouvrage est publiée sous le titre Justice et spectacle. Regards croisés sur la justice pénale en Belgique aux Éditions Racine.
L’
artpalais au
L’ART AU PALAIS XXXX
Jean-Pierre Buyle jpbuyle@buylelegal.eu
En cordial hommage à Me Karen Hanse, ancienne présidente du Jeune Barreau de Charleroi
« Le conseil de l'Ordre »
Peinture à l’huile de Maître Charles Bullman
Palais de Justice de Charleroi C’est parce qu’ils sont debout, en robe noire, épinglés par une bavette blanche, qu’on devine qu’ils sont avocats. Ils sont sans visage, parce qu’ils sont éternels et immortels. La peinture est abstraite. Les traits sont économes. Les couches de peinture sont épaisses et superposées. Au fond, il y a des éclats de bleu qui donnent un peu d’azur et de solennité à cet instantané. Si l’on pense à Cézanne, à Matisse, à Braque et un peu à Soutine, on ne peut pas ne pas évoquer l’empreinte déterminante de Nicolas de Staël. Toute sa peinture est présente dans l’œuvre de Charles Bullman, particulièrement dans ses « tableaux judiciaires ».
Le placement des avocats évoque la mise en scène des rugbymans ou des instruments de musique dans les huiles bien connues de de Staël. Les couleurs sombres rappellent ses débuts et ses empattements au couteau. J’ai longtemps admiré les peintures de Charles Bullman, sans savoir qu’il était mon associé. Cette découverte fut une surprise et un ravissement. Cette œuvre se trouve dans la salle du conseil de l’Ordre du barreau de Charleroi. C’est du reste, le seul conseil de l’OBFG qui se réunit encore en toge : bel hommage à l’œuvre représentée. Le tableau est accroché entre deux immenses portraits en pied des bâtonniers Emile van Bastelaer et Ferdinand –il n’y a pas de hasard- Noël, à côté du bureau du bâtonnier en exercice et lui faisant face lorsqu’il préside les débats : c’est une lucarne de lumière.
Salle du conseil de l’Ordre du barreau de Charleroi
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XXXX LE MOT DE L'ÉDITEUR
➔ UN JURISTE AVERTI EN VAUT DEUX ! Il y a quelques jours, Lex.be a lancé une plate-forme juridique. Émile & Ferdinand ne pouvait pas manquer de prendre, le temps d’un e-test, l’habit d’un journaliste d’investigation numérique. Après avoir pris connaissance de l’ambition de ce nouvel acteur : « …enfin les citoyens, les entreprises, le monde académique et l’administration recevront l’accès facile à la justice… Notre plateforme aidera les tribunaux à élaborer une base juridique solide pour leurs jugements à coûts réduits… », nous débutons notre enquête, motivés par cette promesse de démocratie sublimée. Pour concrétiser ce « I have a democratic dream », ce moteur de recherche rassemble le contenu de trois sites publics : Juridat, Moniteur belge, SPF Justice. Trois sites, c’est déjà ça. Les pouvoirs publics mettent également à la disposition de l’ensemble des citoyens de très nombreux autres sites (Cour constitutionnelle, Conseil d’État, CURIA…). D’accord, certains de ces sites mériteraient une mise à jour ergonomique, mais ils remplissent
parfaitement leur rôle d’accès aux sources juridiques pour tous. Rappelons enfin que l’État a lancé il y a 10 ans environ www.belg iumlex .be qui regroupe un très large panel de sources législatives et jurisprudentielles. Par ailleurs, n’oublions pas qu’aujourd’hui, lorsqu’un juriste veut accéder à plusieurs sources publiques, c’est le réflexe Google qui domine. En effet, Google indexe tous les sites publics. La question est dès lors de savoir si les juristes abandonneront Google au profit d’un nouvel arrivant. Et lorsque ce même juriste veut consulter la doctrine, source incontournable d’un État de droit ? C’est ici qu’interviennent les auteurs et leurs éditeurs. Les sélections de jurisprudence, de décisions non-publiées sur les sites publics, les annotations et autres commentaires rédigés par des spécialistes et auteurs renommés constituent une inestimable valeur ajoutée. Émile Bruylant et Ferdinand Larcier, à travers un véritable partenariat auteurs – éditeurs – lecteurs réussissent, depuis près de 180 ans maintenant, à construire et développer
cette valeur ajoutée, indispensable à l’exercice de la justice. Strada lex rassemble depuis 2004 les différentes sources publiques bien entendu, mais également et surtout des sources privées, soit plus de 3 millions de documents. Avec entre autres comme valeurs ajoutées : un moteur qui permet une recherche simultanée sur les textes en français, en néerlandais et en anglais, de nombreux filtres qui affinent les résultats et la mise en relation de tous ces contenus grâce à des hyperliens entre textes privés et textes publics. Strada lex propose également dans les listes de résultats des suggestions de textes juridiquement liés. Le journaliste d’investigation numérique que fut Émile & Ferdinand sort de cet e-test avec le goût d’un rêve inachevé. Et avec la conviction que nos auteurs, nos partenaires et nos stratégies éditoriales répondent avec professionnalisme à un accès large et efficace aux sources du droit. Émile & Ferdinand
Consultez notre offre de colloques et de formations sur www.larcier.group.com. Retrouvez-y également les formations CUP (Commission Université Palais) et les formations UB3.
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GAZLAR15 ISBN : 978-1-1091-0583-4
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