Planète Santé N°31

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ORGANISATION DES SOINS : REGARDS VERS L’AVENIR # 31 – OCTOBRE 2018

La méditation pour les ados ● Conseils pour vieillir en pleine forme ● L’influence du niveau de vie sur le cerveau ● Êtes-vous un parent hélicoptère ? ● Emotions et douleurs chroniques ● Rencontre avec Ada Marra ● Les bienfaits de l’altitude ● Sauver l’autre pour se sauver ● QUIZ Testez vos connaissances sur le cœur

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artout, et pas seulement en Suisse, les coûts de la santé ne cessent d’augmenter. Paniqués par cette tendance, les politiciens proposent chaque année, lors de la négociation de l’augmentation des primes d’assurance maladie, les mêmes recettes. En majorité issues de la sphère économique : rationaliser (pour éviter de dire rationner) l’offre, limiter les salaires, contrôler les innovations et essayer de responsabiliser le consommateur-patient. Le constat est pourtant implacable, ces mesures pleines de bonnes intentions ne marchent pas. Le principe de réalité est brutal, l’augmentation des coûts est linéaire et constante. Comment expliquer que, malgré une volonté globale et partagée de résoudre le problème, l’échec persiste ? La raison : le système de santé est globalement inadapté. A cause du vieillissement de la population, l’enjeu est désormais la prise en charge de patients souffrant de plusieurs maladies. Conçu pour soigner des pathologies aiguës, comme les accidents vasculaires, notre système de santé peine à relever ce défi bien plus complexe. Et les demi-mesures ne suffisent plus. Coordonner les soins de personnes confrontées à des maladies liées au vieillissement – en particulier avancé – exige de réinventer le modèle. Finie l’époque où l’on venait simplement mourir à l’hôpital. Tous les pays développés sont d’ailleurs confrontés à la même hausse des coûts et à la problématique de la gestion de malades chroniques et âgés (lire notre dossier en page 6). La France centralisée cherche par exemple à donner plus de pouvoirs à des régions sanitaires pour faire face à la transformation de

l’utilisation de son système de soins. La Belgique fédérale s’est lancée dans la création de maisons de santé pour favoriser l’interprofessionnalité. Autrement dit, si les voies sont différentes, les soucis, eux, sont identiques, multifactoriels et complexes. Alors que faire pour que les Suisses continuent à bénéficier de soins de qualité à un coût abordable et supportable ? D’abord, il s’agit de repenser en profondeur les formes d’organisation. Aux médecins de premier recours, il faut donner les moyens de prendre en charge une partie des soins aujourd’hui délivrés à l’hôpital. Pour cela, ils ont besoin de nouvelles conditions-cadres, notamment technologiques, valorisant la continuité des soins et le suivi des patients. En même temps, il est de plus en plus nécessaire de soutenir de nouvelles formes de collaboration entre professionnels de la santé. Bien soigner aujourd’hui, c’est soigner à plusieurs. Or, la collaboration et la complémentarité restent les parents pauvres du système actuel. Soutenir ces transformations et former des professionnels capables de gérer ces nouvelles tâches : voilà les vraies priorités pour le système de santé de demain. Un programme moins spectaculaire que les annonces de millions d’économie sur le prix des médicaments et les coups de baguette magique visant à baisser les revenus des médecins. Mais il est l’unique voie pour que puisse émerger un système de santé efficace, qualitatif et économiquement durable. ● Michael Balavoine rédacteur en chef Planète Santé


SOMMAIRE

PLANÈTE SANTÉ # 31 – OCTOBRE 2018

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6 DOSSIER

LA MÉDECINE DE FAMILLE EN PLEINE MUTATION MINDFULNESS

FAMILLE

12 La méditation en pleine conscience pour la santé mentale des ados

30 La montée en puissance du parent hélicoptère

CERVEAU

14 Le niveau de vie pourrait avoir un impact sur le cerveau

SENIORS

20 Un esprit sain dans un corps sain : la clé du mieux vieillir MALADIES CHRONIQUES

22 Diabète : et le conjoint dans tout ça ?

33 Connaissez-vous le cœur par cœur ? ÉVASION

34 Les bienfaits de l’altitude

INTERVIEW CROISÉE

16 « Un juge et un psychiatre peuvent travailler ensemble »

QUIZ

EN BREF

24 Prendre soin de son vagin Pourquoi un tatouage ne disparaît jamais Faire du sport après un arrêt cardiaque ●

COMPRENDRE

36 Le rôle des émotions dans la douleur chronique PSY

38 Sauver l’autre pour se sauver JURIDIQUE

40 L’expertise médicale, parfois une étape nécessaire

DÉSIR D’ENFANT

42 La PMA repousse les limites de l’infertilité

PR DAVID BAUD

26 « Il faut respirer et être en symbiose avec la maman » ZOOM

29 Cosmétiques : si vous saviez tout ce qui traverse la peau

FICHE MALADIE

44 L’hypercholestérolémie

ADA MARRA

48 « Il faut que je sois au bord de la mort pour aller chez le médecin »


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DOSSIER

LA MÉDECINE DE FAMILLE EN PLEINE MUTATION Vieillissement de la population, augmentation des maladies chroniques, hausse des coûts de la santé : en Suisse comme dans de nombreux pays industrialisés, la médecine générale est confrontée à de nombreux défis. Lors d’un séminaire en juin dernier à Lausanne, des pays francophones ont partagé leurs expériences.

©ISTOCK DEAN MITCHELL

TEXTE ELISABETH GORDON

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es temps ont bien changé pour les médecins de famille. Au cours de ces dernières années, « du héros qui sait tout et qui travaille jour et nuit, on est passé au médecin faisant un large usage de la technologie au risque d’en oublier son patient », constate Monika Diebold, directrice de l’Observatoire suisse de la santé. Aujourd’hui, la balance tend à se rétablir pour faire du médecin « un homme ou une femme comme les autres qui a pris conscience des avantages de collaborer avec d’autres professionnels de la santé ». « Collaboration » : ce mot était au centre des discussions lors du symposium francophone des soins primaires, organisé le 18 juin 2018 à Lausanne par l’Institut universitaire de médecine de famille (IUMF), la Policlinique médicale universitaire (PMU) et le Service de santé publique (SSP) du canton de Vaud. Des professionnels de la santé venant de Belgique, de France, du Québec et de Suisse ont fait part de leurs expériences en la matière.

DE NOMBREUX DÉFIS La médecine de premier recours doit évoluer car elle est maintenant confrontée à divers enjeux. A commencer par le vieillissement des médecins, dont la majorité, en Suisse, se situe entre 50 et 65 ans. La pénurie menace et certains pays comme la France comptent déjà un nombre important de déserts médicaux. A l’avenir, la situation risque encore de se compliquer dans la mesure où la plupart des jeunes médecins souhaitent travailler à temps partiel. Par ailleurs, le vieillissement de la population s’accélère, les cas de maladies


chroniques sont en augmentation, de même que les patients « complexes ». Pour expliquer ce concept, Catherine Houdon, directrice de recherche au département de médecine de famille et médecine d’urgence de l’Université de Sherbrooke au Québec, décrit une patiente fictive, Mme Tremblay. Cette femme « de 52 ans, aux moyens financiers limités, est mariée à un homme qui, lorsqu’il a consommé de l’alcool, devient violent verbalement. Elle souffre d’hypertension, d’un excès de cholestérol, de diabète, d’asthme et d’anxiété ». Elle n’a pas toujours accès à un médecin de famille et, quand elle a un problème, « elle va aux urgences ». Mme Tremblay, explique la professeure québécoise, « est une bonne illustration de ces personnes qui présentent des interactions complexes entre des maladies chroniques, une précarité socio-économique et des troubles de santé mentale », et dont la prise en charge pose problème.

DOSSIER

A ces défis s’ajoutent « les opportunités et les dangers de l’explosion technologique », selon les termes de Stéfanie Monod, cheffe du Service de la santé publique du canton de Vaud, ainsi que « la numérisation et l’arrivée en force des technologies de l’information dans le domaine de la santé dont on ne sait pas comment elles vont impacter les pratiques ». Sans compter, bien évidemment, l’augmentation des coûts de la santé.

MAISONS DE SANTÉ L’un des moyens envisagés pour relever ces défis est de renforcer la coopération entre les divers professionnels de la santé. Dans ce domaine, la Belgique a fait œuvre de pionnière en fondant des maisons médicales. « Le mouvement est né dans la fièvre des golden sixties,

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explique Hubert Jamart, médecin généraliste membre du bureau stratégique de la Fédération belge des maisons médicales. Des praticiens qui souhaitaient créer une médecine différente se sont associés à des infirmières, des kinésithérapeutes (physiothérapeutes, ndlr) des bénévoles et des patients. Leur principal objectif était de lutter contre les inégalités existant entre les patients, ainsi qu’entre les soignants ». Le phénomène a pris de l’ampleur, puisqu’il existe actuellement en Belgique 112 maisons médicales. Ce regroupement, sous un même toit, d’une équipe pluridisciplinaire, « permet au patient d’avoir accès quand il le souhaite à son propre médecin. Cela favorise aussi les échanges d’informations entre l’hôpital et le cabinet médical et assure la permanence des soins grâce à un système de garde ». Les premières évaluations font apparaître que « cette démarche collective motive l’ensemble de l’équipe et l’incite à réfléchir

©ISTOCK VM

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“La pénurie menace et certains pays comme la France comptent déjà un nombre important de déserts médicaux„

en termes de qualité (des soins) », souligne Monique Fergusson, coordinatrice du programme d’évaluation DEQuaP à la Fédération belge des maisons médicales. En 2016, des maisons de santé regroupant divers professionnels autour de médecins généralistes ont également été créées en France. Dans la foulée a été mis en place le dispositif Asalée (Aide de santé libérale en équipe), « une structure innovante et évolutive qui permet la collaboration entre des médecins généralistes et des infirmières », explique Gaëlle Savigneau, infirmière déléguée à la santé publique Asalée. Ces professionnelles qui sont rétribuées par des fonds publics, assurent « des consultations de prévention, d’information, d’éducation à la santé et d’éducation thérapeutique » et peuvent aussi, sous délégation du médecin, prescrire certains actes (comme des examens biologiques). Cela « contribue à la continuité de la prise en charge des malades chroniques », constate l’infirmière, en précisant que « le patient reste au centre du dispositif ». Au Québec, les efforts de collaboration ont pris la forme de Groupes de médecine familiale (GMF) qui ont vu le jour en 2007. Ce modèle « est fondé sur l’adhésion volontaire des médecins à ces GMF qui se sont ouverts à d’autres professionnels,

notamment aux infirmières et aux travailleurs sociaux. Certains groupes se lient par exemple avec au moins un pharmacien », précise Mylaine Breton, professeure au département des sciences de la santé communautaire de l’Université de Sherbrooke. Ces groupes reçoivent un financement public qui est calculé en fonction du nombre de patients inscrits, mais qui est pondéré pour tenir compte des conditions socio-économiques de ces derniers (un patient habitant un quartier défavorisé peut par exemple compter pour deux). En contrepartie, les GMF s’engagent à étendre leurs horaires d’ouverture (68 heures hebdomadaires) et à avoir un « taux d’assiduité » – qui mesure la fidélité des patients au groupe auquel ils sont inscrits – de 80 %.

ORGANISATIONS TERRITORIALES Aussi important soit-il, le cabinet de médecine familiale n’est qu’un des chaînons du système de santé qui repose aussi sur les spécialistes, les hôpitaux et les services de soins à domicile. Afin d’intégrer au mieux ces diverses composantes, certains pays tentent désormais

d’organiser les soins au niveau de larges territoires qui regroupent plus de 100’000 habitants. C’est notamment le cas de la France, où des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ont été créées. Elles sont composées « de professionnels de santé regroupés sous la forme d’une ou de plusieurs équipes de soins primaires, d’acteurs assurant des soins de premier et de deuxième recours (des spécialistes, ndlr) et d’acteurs médico-sociaux et sociaux », précise Hector Falcoff, médecin généraliste et président du pôle santé Paris 13, couvrant le treizième arrondissement de la capitale. Dans ce territoire qui compte 187’000 habitants et où de fortes inégalités socio-économiques existent entre les différents quartiers, le pôle santé Paris 13 a permis de mieux coordonner les interventions, jusque-là redondantes, « entre les acteurs de l’hôpital, de l’assurance maladie et de la santé publique ». Afin d’améliorer l’accès aux soins, il a suscité la création de maisons de santé à proximité des quartiers les plus défavorisés et mène des programmes de dépistage (du VIH et du diabète notamment) dans les foyers de migrants. La Belgique, elle, s’est engagée dans une voie territoriale analogue avec son programme Integreo.

AMÉLIORER LA COORDINATION EN SUISSE Dans ce cadre, où se situe la Suisse ? Selon l’analyse de l’International Health Policy Survey 2015 du Commonwealth Fund, à laquelle elle participe sous mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), 45 % des cabinets de premier recours ne comptent qu’un médecin de famille, et 60 % des médecins interrogés disent être en contact plus ou moins régulièrement avec des infirmier-e-s (qui travaillent pour des centres médico-sociaux par exemple) ou des gestionnaires de cas (lire encadré). Pour améliorer la


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DOSSIER

coordination, la Confédération a mis sur pied plusieurs initiatives. Le projet « Soins coordonnés », lancé lors de la conférence Santé2020 en 2015, « a pour objectif de coordonner les traitements et les soins des patients atteints de maladies chroniques ou d’affections multiples », rappelle Monika Diebold. La directrice de l’Observatoire suisse de la santé cite aussi le programme de promotion de l’interdisciplinarité, piloté par l’OFSP, qui vise à « analyser la collaboration interprofessionnelle dans le domaine de la santé et à documenter les modèles de bonnes pratiques », ou encore la « Stratégie Cybersanté Suisse 2.0 » (eHealth Suisse), dont les principaux objectifs sont d’introduire et de diffuser le dossier électronique du patient, ainsi que de coordonner la numérisation. Des projets s’élaborent aussi au niveau cantonal. Sur mandat du Service de la santé publique du canton de Vaud, la PMU et l’IUMF développent ainsi un nouveau modèle de coordination en médecine de famille « qui vise en priorité les patients à complexité moyenne », souligne Nicolas Senn, directeur de l’IUMF et organisateur du symposium. Son objectif est notamment « d’améliorer le suivi des soins en optimisant la prise en charge des patients, de diminuer les hospitalisations et le recours aux services

“Pour améliorer la coordination des soins en Suisse, la Confédération a mis sur pied plusieurs initiatives„

d’urgence, de développer un fonctionnement interprofessionnel au sein du cabinet ainsi qu’un partenariat médecine de famille-santé publique ». Il repose sur trois piliers – le dossier électronique du patient, le gestionnaire de cas et le plan de soins. Au centre de celui-ci se trouve l’inscription des patients, qui permet « de savoir que tel patient est suivi par tel médecin ».

LES GESTIONNAIRES DE CAS Pour améliorer la prise en charge des patients « complexes », la tendance, en Suisse comme ailleurs, est de faire appel à des gestionnaires de cas. Il s’agit le plus souvent d’infirmières qui sont chargées « d’évaluer les besoins, les préférences, les buts et les priorités du patient », explique Catherine Hudon, directrice de recherche au département de médecine de famille et médecine d’urgence de l’Université de Sherbrooke au Québec, où cette approche est expérimentée.

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Concrètement, elles « élaborent le suivi d’un plan de services individualisés et assurent l’éducation du patient afin qu’il puisse autogérer sa santé. Elles sont ainsi les premières répondantes du patient ». Une évaluation qualitative de ce programme a mis en évidence « une diminution de la détresse psychologique et une amélioration du sentiment de sécurité » chez les patients qui en avaient bénéficié.

Divers groupes de travail interprofessionnel s’efforcent maintenant de passer du concept à la pratique. Il ressort de leurs discussions que le modèle élaboré doit être « flexible et non limitatif, afin qu’il puisse être utilisé dans le plus grand nombre possible de cabinets, résume Regula Cardinaux, cheffe de projet à la PMU. Ses prérequis sont simples : chaque cabinet doit disposer d’un ordinateur pour la gestion administrative et d’une connexion internet. Il doit par ailleurs avoir – ou être prêt à créer – une liste de patients ». Au cours de la phase pilote, qui devrait démarrer en 2019, ce mode d’emploi sera testé dans une dizaine de cabinets médicaux du canton. « A terme, estime Regula Cardinaux, il aboutira à un changement de fonctionnement du cabinet dans lequel un trinôme – médecin, assistante médicale, infirmière – travaillera avec le patient ». En Suisse comme dans les autres pays francophones, la tendance est donc au changement de pratiques. Comme le souligne Hector Falcoff, « les médecins ne doivent plus rester avec leur salle d’attente comme seul horizon ». ●


©GETTYIMAGES FUSE

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MINDFULNESS

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La méditation en pleine conscience pour la santé mentale des ados Le mindfulness ou méditation en pleine conscience est déjà utilisé dans certains hôpitaux pour aider à la gestion des douleurs et du stress. Peut-elle aussi aider les adolescents à mieux contrôler leurs émotions et à surmonter leur anxiété ? C’est ce que vont étudier des médecins et chercheurs lémaniques. Leur projet a reçu l’un des Prix Leenaards 2018 pour la recherche médicale translationnelle. TEXTE ELISABETH GORDON

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n tiers des jeunes adultes suisses souffrirait de symptômes dépressifs, selon un rapport de l’Observatoire suisse de la santé. L’adolescence est une phase charnière marquée par de nombreux bouleversements – changements physiques, modification des relations sociales avec éloignement de la famille, acquisition de l’autonomie, etc. C’est aussi un moment durant lequel la réactivité émotionnelle est importante, « ce qui en fait une période de grande vulnérabilité en termes de santé mentale, car c’est dès le début de l’adolescence que la plupart des maladies psychiatriques commencent à se déclarer », souligne Camille Piguet, médecin-chercheuse au département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE), qui pilote le projet primé par la Fondation Leenaards. Remaniements du cerveau

Tout se joue dans le cerveau qui, à l’adolescence, est le siège de nombreux remaniements. « Entre 10 et 20 ans, la taille globale du cerveau n’augmente quasiment pas, précise la psychiatre. En revanche, certaines de ses régions continuent à se spécialiser ». C’est notamment

le cas des zones préfrontales, situées dans les parties les plus antérieures du cerveau, qui n’atteignent leur pleine maturité qu’à l’âge de 25 ans environ. Ces régions du cortex cérébral jouent un rôle important dans les mécanismes de l’anxiété, car elles sont fortement impli-

consciente, notamment par un mécanisme qualifié de “réévaluation cognitive” qui nous permet par exemple de relativiser une émotion négative ». C’est à ce niveau que le cortex préfrontal intervient. Or, à l’adolescence, il n’a pas encore atteint sa pleine maturité. La

“LA MÉDITATION DE PLEINE CONSCIENCE PERMET D'AGIR SUR LA GESTION DES DOULEURS, DU STRESS ET DE L’ANXIÉTÉ„ quées dans le contrôle des émotions. Ces dernières sont traitées par le circuit limbique. Constitué d’un ensemble de régions cérébrales renfermant notamment l’amygdale, il s’active automatiquement lorsque nous ressentons une forte émotion. Mais afin que nous ne soyons pas submergés par nos émois, son activité doit être régulée. Cela se fait « d’une part de façon implicite, sans que nous en prenions conscience, explique Camille Piguet, et d’autre part de manière plus

tour de contrôle n’étant pas encore prête à assumer pleinement sa tâche, le circuit limbique prend alors le dessus. « C’est probablement l’origine de l’hyperréactivité émotionnelle que connaissent les adolescents », selon la médecin-chercheuse de l’UNIGE. Pour les jeunes les plus vulnérables, tout peut alors basculer. Un effet clinique établi

La méditation en pleine conscience (lire encadré) pourrait agir sur la régulation


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automatique du système limbique, « car elle permet d’être plus conscient de ce qui se passe dans notre corps », précise Camille Piguet. Mais elle interviendrait surtout au niveau de la réévaluation cognitive, en apportant un certain détachement par rapport aux évènements déplaisants vécus. Cette méthode, déjà utilisée dans certains hôpitaux, « a un effet clinique établi dans la gestion des douleurs, du stress et de l’anxiété ». Toutefois, il reste à élucider précisément ses mécanismes d’action et à savoir qui peut en bénéficier. Ce sont là les objectifs des recherches que vont entreprendre Camille Piguet et ses collègues, Paul Klauser (du Centre de neurosciences psychiatriques du Centre hospitalier universitaire vaudois et de l’Université de Lausanne) et Arnaud Merglen (du département de pédiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève). L’équipe pluridisciplinaire va faire appel à une soixantaine d’adolescents âgés de 13 à 15 ans présentant un niveau d’anxiété important, qui seront recrutés dans les consultations multidisciplinaires genevoise et lausannoise, ainsi qu’à d’autres jeunes qui constitueront le groupe contrôle. Les participants seront séparés, de manière aléatoire, en deux groupes. Le premier suivra un entraînement de méditation en pleine conscience

pendant douze semaines, l’autre fera l’objet d’un suivi régulier. Avant et après cette prise en charge, les jeunes seront examinés. « Ils répondront à des questionnaires destinés à évaluer divers symptômes psychiatriques mais aussi physiques, comme des douleurs, dont souffrent souvent les adolescents », précise Camille Piguet. Observer le cerveau

Les chercheurs comptent en outre utiliser diverses techniques d’imagerie cérébrale pour observer l’activité du cerveau ainsi que son anatomie et la connectivité de ses régions. Ils auront par ailleurs recours à l’imagerie spectroscopique afin de mesurer les métabolites (notamment le glutamate, reflet de l’activité excitatrice) qui se forment dans le cerveau. Ces différentes techniques d’imagerie permettront de voir si la méditation en pleine conscience induit des modifications dans la structure et le fonctionnement du cerveau et, si oui, lesquelles. S’il s’avère que cette méthode permet effectivement aux ados d’acquérir une stratégie efficace pour gérer leurs émotions et surmonter leur anxiété, elle pourra offrir un complément intéressant aux thérapies classiques (médicamenteuses et psychothérapeutiques). ●

Se concentrer sur le moment présent « Je vous invite à vous asseoir, à fermer les yeux et à diriger votre attention sur vos pieds et sur les zones de contact de vos pieds avec le sol »*. Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), Arnaud Merglen, médecin-adjoint au service de pédiatrie générale, utilise déjà la méditation en pleine conscience pour traiter des adolescents anxieux. Cette méthode consiste à entraîner son esprit à se concentrer sur le moment présent. A se focaliser sur ses sensations, sa respiration ou une partie de son corps, en laissant aller ses pensées sans émettre de jugement de valeur. Pour certains adolescents, c’est efficace, comme en témoigne une jeune fille qui a suivi un entraînement de méditation en pleine conscience aux HUG : « Des fois, ça m’arrive d’avoir des sautes d’humeur. Alors je pense à ce que j’ai travaillé pendant les séances de méditation et je me calme, je respire, et ça passe. Je me sens bien. Je me sens calme et sereine »*. * Extrait d’une vidéo présentée lors de la remise des Prix Leenaards.


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CERVEAU

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Le niveau de vie pourrait avoir un impact sur le cerveau Avec l’âge, les fonctions cognitives ont tendance à diminuer. Toutefois, les seniors sont loin d’être tous égaux face à ce déclin. Les facteurs socio-économiques expliquent-ils en partie ces différences interindividuelles ? C’est à cette question que des chercheurs lémaniques vont, pour la première fois, tenter de répondre.

©GETTYIMAGES STEVE GSCHMEISSNER SPL

TEXTE ELISABETH GORDON


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l n’est pas rare de rencontrer des nonagénaires qui ont gardé quasiment intactes leurs capacités cognitives, alors que des personnes ayant dix ou vingt ans de moins souffrent de démences. Preuve que le vieillissement du cerveau varie considérablement d’un individu à l’autre. Parmi les principaux facteurs expliquant cette inégalité figure le niveau d’éducation. Il est maintenant clairement établi que les personnes n’ayant fréquenté que brièvement l’école ont un risque plus élevé de développer la maladie d’Alzheimer que celles qui ont fait de longues études. 20 % de surmortalité précoce

Quant aux facteurs socio-économiques, on sait qu’ils ont une influence sur la santé. L’analyse de différentes études menées dans sept pays et portant au total sur près de deux millions de personnes, coordonnée par Silvia Stringhini, maître assistante à l’Institut de médecine sociale et préventive de Lausanne, « a montré que les facteurs socio-économiques étaient responsables de 20 % de la mortalité prématurée. Ce pourcentage est analogue ou supérieur à celui attribué à tous les facteurs de risque connus : tabac, diabète, hypertension, sédentarité et autres », précise la chercheuse. Le niveau de vie influence aussi le vieillissement physique : des études ont montré que des personnes aisées de 80 ans avaient la même vitesse de marche que des individus moins favorisés ayant dix ans de moins. Toutefois, peu d’études se sont jusqu’ici vraiment intéressées au rôle des conditions socio-économiques sur le déclin cognitif. Ont-elles un impact sur le vieillissement du cerveau ? Un enfant qui a grandi dans un milieu défavorisé en garde-t-il des traces qui, plus tard, accéléreront son déclin cognitif ? Cet impact négatif peut-il être modéré si, à l’âge adulte, le niveau de vie s’améliore ? Le mode de vie (habitudes alimentaires, pratique d’une activité physique, etc.) intervient-il dans l’affaire ? Telles sont les questions auxquelles vont tenter de répondre Silvia Stringhini et ses collègues, Bogdan Draganski (directeur

du Laboratoire de recherche en neuro-imagerie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)) et Matthias Klieglel (directeur du Laboratoire du vieillissement cognitif à l’Université de Genève (UNIGE)), grâce à leur projet de recherche qui a reçu un des Prix 2018 pour la recherche médicale translationnelle de la Fondation Leenaards. Etudier l’anatomie du cerveau

Les chercheurs vont d’abord exploiter les données recueillies dans le cadre de deux larges cohortes (lire encadré). La première, CoLaus, rassemble des informations sur la santé de plusieurs milliers d’habitants de la région lausannoise. Certains d’entre eux ont fait l’objet d’examens d’imagerie cérébrale dont l’analyse « permettra d’étudier les relations entre les facteurs socio-économiques et l’anatomie du cerveau », explique Silvia Stringhini. La seconde cohorte, VLV, s’intéresse plus spécifiquement à la situation socio-économique des seniors. Les chercheurs lémaniques l’utiliseront pour « rechercher des liens entre mobilité sociale et déclin cognitif ». Dans un deuxième temps, les équipes lausannoise et genevoise feront appel à deux cents volontaires de la cohorte VLV. Ils les interrogeront de manière très ciblée sur les différentes situations socio-économiques qu’ils ont connues au cours de leur vie et les soumettront à des tests cognitifs. Ils observeront aussi leur cerveau, non seulement à l’aide de l’IRM, mais aussi en utilisant des techniques innovantes de neuro-imagerie mises au point par le laboratoire de Bogdan Draganski. Grâce à elles, il est possible d’étudier en détail l’anatomie du cerveau et même, précise le médecin-chercheur du CHUV, « de mesurer la quantité de certains de ses tissus, comme la myéline ». Cette substance, qui forme la gaine des neurones, est importante car elle intervient dans la propagation de l’influx nerveux, et « plus il y a de myéline, plus la transmission des informations est rapide ». Toutes les données recueillies au cours des différentes phases de cette étude seront ensuite traitées à l’aide de

Deux larges cohortes Les équipes lémaniques vont pouvoir tirer parti de données déjà disponibles grâce à deux cohortes aux objectifs complémentaires. Lancée en 2003 par le CHUV, l’étude CoLaus avait au départ comme but d’étudier les facteurs de risque cardiovasculaires dans la population lausannoise. Depuis, elle a étendu ses investigations à d’autres champs, notamment celui de la santé mentale. Cette cohorte rassemble des données relatives à plusieurs milliers de participants, dont environ 1500 ont fait l’objet d’une IRM cérébrale. La cohorte VLV – « Vivre, Leben, Vivere » – a été lancée en 2011 par l’Université de Genève. Suivant trois mille personnes de plus de 65 ans vivant en Suisse romande, en Suisse alémanique et au Tessin, elle s’intéresse à la qualité de vie des seniors et à la diversité de leur parcours individuel.

« nouvelles méthodes statistiques qui nous permettront de modéliser la variabilité interindividuelle », précise Bogdan Draganski. Fenêtres d’intervention

Ces recherches devraient contribuer « à améliorer les connaissances sur les mécanismes impliqués dans le déclin cognitif et à mieux comprendre les conséquences biologiques des inégalités sociales », selon Silvia Stringhini. La chercheuse espère aussi qu’elles pourront avoir un « impact social de santé publique en permettant d’identifier de potentielles fenêtres d’intervention ». Certes, il n’est pas du ressort des chercheurs de modifier le niveau de vie de la population. Ils visent donc, plus modestement, comme l'explique Bogdan Draganski, à mettre en évidence « quelques facteurs critiques pour le déclin cognitif », qui pourraient ouvrir de nouvelles pistes pour la prévention du vieillissement cérébral. ●


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INTERVIEW CROISÉE

PLANÈTE SANTÉ – OCTOBRE 2018

« UN JUGE ET UN PSYCHIATRE PEUVENT TRAVAILLER ENSEMBLE » L’un, Jean Fonjallaz, est docteur en droit et juge fédéral au Tribunal fédéral. L’autre, Jacques Gasser, est professeur à la faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne et directeur du Département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). A deux, ils ont entamé un dialogue sur les rapports entre la justice et la psychiatrie. Leur ouvrage, Le juge et le psychiatre*, fait la lumière sur le rôle de chacun et les relations entre la justice pénale et la psychiatrie. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉLODIE LAVIGNE

Planète Santé : A quel public votre livre

est-il destiné ? Jacques Gasser (J.G.) : Il s’adresse aux pro-

fessionnels, aux étudiants en droit et en psychiatrie, ainsi qu’à un plus large public : ceux qui veulent mieux comprendre ce que sont un procès et la justice. Ce n’est ni un traité de droit ou de psychiatrie légale, ni un ouvrage de vulgarisation. Il faut l’envisager comme un outil pratique qui répond aux questions relatives à l’élaboration d’une expertise psychiatrique dans le contexte de la justice pénale. C’est, à notre connaissance, le seul livre en français écrit conjointement par un juge et un psychiatre. Quels étaient vos objectifs en écrivant ce livre à quatre mains ? Jean Fonjallaz (J.F.) : En plus de la visée didactique, nous voulions démontrer qu’un juge et un psychiatre peuvent travailler ensemble et produire un ouvrage en commun. Dans quels cas la justice fait-elle appel à des experts, en l’occurrence au psychiatre ? J.F. : La justice mandate des experts pour éclaircir des questions de faits

* Le juge et le psychiatre, une tension nécessaire, Ed. Stämpfli et Médecine & Hygiène, 2017.

pour lesquels le juge n’a pas les compétences. Comme le veut la loi, celui-ci demande une expertise psychiatrique dès le moment où il a un doute sur la responsabilité de la personne dans les actes qui lui sont reprochés. Mais également, dans la pratique, dès que les actes en cause sont particulièrement graves. Par

exemple, dans les affaires de meurtre, on procède presque toujours à une expertise psychiatrique de l’accusé. En quoi consiste le rôle de chacun ? J.F. : Le rôle du juge pénal est, pour l’essentiel, de décider si les actes commis constituent ou non une infraction pénale, et, si oui, de fixer la sanction. Le psychiatre, de son côté, doit déterminer si l’expertisé souffre d’un trouble mental et, si oui, évaluer si ce trouble est en lien avec les actes qui lui sont reprochés. Pour cela, il envisage l’ensemble de la personne. Contrairement au juge, il ne prend pas de décision, même si son avis peut avoir une très forte influence sur le prévenu expertisé. Ce sont aussi deux visions différentes, n’est-ce pas ? J.F. : Oui. Le juge considère que chacun agit en principe selon sa propre volonté. Si une personne tue son voisin, c’est qu’il l’a décidé. Alors que le psychiatre considère que chacun est déterminé par sa personnalité, et le cas échéant, par son trouble mental. Autrement dit, la personne qui tue son voisin peut être déterminée par des circonstances


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pathologiques. Il peut avoir agi sous le coup d’un délire, par exemple. C’est le libre arbitre contre le déterminisme. Tout l’enjeu de l’expertise psychiatrique réside donc dans le fait de déterminer la responsabilité du prévenu. J.G. : Oui, et pour le faire, l’expert psychiatre doit d’abord déterminer si la personne est, ou non, atteinte d’un trouble mental et si le trouble est en relation avec l’infraction, ce qui n’est pas toujours le cas. Pour prendre un exemple, une personne schizophrène peut avoir enfreint le Code de la route, indépendamment de sa maladie. Il sera considéré comme pleinement responsable. Dans le cas où le trouble avéré est en relation avec l’infraction commise, l’expert doit alors déterminer dans quelle mesure le prévenu peut être tenu pour responsable de ses actes. Il devra ensuite évaluer le risque de récidive d’actes de même nature en lien avec la pathologie. Et, finalement, proposer un traitement qui pourrait diminuer ce risque. Comment évalue-t-on ce risque ? J.G. : La détermination de la dangerosité d’un être humain, pro futuro, est une opération d’ordre prédictif qui ne relève actuellement que de manière très limitée de la science. La psychiatrie peut certes apporter quelques éléments de connaissance à cet égard, mais on ne peut prétendre une prédiction sûre. La criminologie peut aussi apporter des éléments pertinents. La réalisation d’un risque de récidive dépend de nombreux facteurs (conjugal, familial, social, professionnel, encadrement socio-éducatif et administratif, etc.). De quelle façon l’expertise psychiatrique va-t-elle orienter la décision du juge ? J.F. : Le juge prononce une peine (amende, emprisonnement) ou une mesure, ou les deux. La mesure peut consister en un traitement ambulatoire, un traitement en milieu institutionnel ouvert ou fermé, voire un internement, selon l’état du prévenu et la gravité des faits reprochés. L’avis de l’expert est déterminant en ce qui concerne les mesures.

INTERVIEW CROISÉE

J.G. : La peine est infligée en relation

directe avec les actes perpétrés, alors que les mesures prises ne le sont pas nécessairement. Elles sont surtout établies en fonction de la dangerosité présumée de la personne. Conclure que l’accusé n’est pas tenu responsable de ses actes, n’est-ce pas les minimiser ? J.G. : Dans la société, on considère souvent, à tort, qu’être jugé irresponsable

BIOS EXPRESS JEAN F O NJ AL L AZ 1 95 7 Naissance 1 985 Doctorat en droit à la Faculté de droit de l’Université de Lausanne 1 987 Brevet d'avocat 1987-1 993 Avocat indépendant 1 994-20 0 1 Juge au Tribunal cantonal du canton de Vaud 20 0 2 Juge au Tribunal fédéral de Lausanne JACQU E S GAS S E R 1 95 6 Naissance 1 987 Doctorat de la Faculté de médecine de l’Université de Lausanne 1 990 Doctorat de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris 20 1 1 Chef du département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) 20 1 7 Professeur ordinaire à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne

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est un bénéfice pour la personne. Or, dans les faits, la réalité est très différente. Si une personne irresponsable est considérée comme présentant un risque de récidive, la mesure prise contre elle sera d’autant plus lourde que le danger pour la société est important. Les mesures peuvent s’avérer en définitive plus sévères qu’une peine d’emprisonnement. Avez-vous parfois le sentiment que le travail du psychiatre est mal compris ? J.G. : Oui. On a l’impression que les psychiatres, en cherchant à comprendre les actes, les excusent, mais c’est faux. Expliquer ne veut pas dire excuser. Aussi, on entend souvent : « Il est dépressif, parano, c’est un simulateur, etc. », comme s’il y avait une connaissance largement partagée des questions psychiatriques, mais ce n’est pas le cas. Psychiatre spécialiste en forensique est un métier qui exige une longue formation et une spécialisation. Un mot pour conclure ? J.G. : J’éprouve une certaine inquiétude face au manque d’intérêt donné à la responsabilité de la personne, au profit de l’aspect sécuritaire. Il faut rappeler que le fait de considérer différemment les actes d’une personne souffrant de troubles psychiques était vu depuis la fin du XIXe siècle comme une mesure de protection de ces personnes. Actuellement, le fait de souffrir d’une maladie mentale est plutôt considéré comme un facteur de dangerosité supplémentaire dont la société doit se protéger. Si elle doit évidemment se défendre des personnes qui mettent en danger ses citoyens, cela ne devrait pas se faire à l’encontre des droits des personnes souffrant de troubles mentaux. J.F. : L’humanisation apportée par les psychiatres est utile dans une perspective de réinsertion des personnes à moyen et à long terme. Il reste la question du lieu de traitement de ces personnes. Il n’existe pas ou pas assez d’établissements appropriés avec des professionnels formés. C’est un vrai problème. ●


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SENIORS

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Un esprit sain dans un corps sain : la clé du mieux vieillir Si vieillir est inévitable, on peut prendre de l’âge tout en préservant au mieux son corps et son cerveau. De l’activité physique, une alimentation adaptée et de bonnes relations sociales : la recette pour des vieux jours confortables.

©ISTOCK GRADYREESE

ADAPTATION* ANOUK PERNET


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néluctablement, chacun d’entre nous subit les outrages du temps. Au-delà de 65 ans, nos fonctions vitales ont tendance à s’affaiblir et à se fragiliser. Nous sommes confrontés à un risque accru de souffrir de diverses maladies susceptibles d’affecter nos organes et tissus. Pourtant, même en l’absence de pilule de longévité, nous pouvons agir pour rester en forme le plus longtemps possible. Exercice et nourriture en quantité

L’activité physique, c’est bien connu, est bonne pour la santé. Si l’idéal est de bouger suffisamment dès sa jeunesse, il n’est jamais trop tard pour s’y mettre. Les bienfaits sont multiples : moins de risques d’arthrose et d’ostéoporose, compensation de la fonte des muscles, meilleur équilibre (donc moins de chutes), mais aussi diminution des maladies cardiovasculaires et renforcement du système immunitaire. Deuxième astuce pour mieux vieillir : bien manger et en suffisance ! La malnutrition des seniors est en effet un problème fréquent, surtout chez les plus vulnérables. Ce manque de nourriture sape l’énergie de personnes déjà fragiles. Pour éviter cet affaiblissement, il faut assurer un bon apport en calories, en favorisant les matières grasses. Il est conseillé

Une activité physique adaptée Pour bouger plus, l’important est de choisir une activité selon ses capacités et de ne pas rester constamment allongé ou assis. Les seniors robustes peuvent se tourner vers des sports comme la marche, la natation ou le yoga. Pour les plus fragiles, jardiner, faire des tâches ménagères ou jouer avec ses petits-enfants est aussi une bonne option de se (re)mettre en mouvement. Par ailleurs, un simple bouleversement des habitudes, comme monter à pied les escaliers ou marcher au lieu de prendre le bus, apporte également de précieux bénéfices.

d’enrichir ses repas avec de l’huile ou du beurre, ou encore de manger du fromage et des œufs. Ceux qui manquent d’appétit ont intérêt à fractionner leurs repas et à manger de petites quantités de nourriture tout au long de la journée. Comme les personnes âgées ont un risque accru de déshydratation, il est également important de boire au moins 1,5 litre d’eau par jour. Quant à l’alcool, la modération est de mise, même si de nombreuses études ont montré qu’il semble bénéfique pour l’espérance de vie de boire un verre de vin rouge par jour, car il contient des antioxydants et ouvre l’appétit.

* Adapté de J’ai envie de comprendre… Comment mieux vieillir, d’Elisabeth Gordon et le Pr Christophe Büla, en coll. avec FrançoisXavier Borruat, Roland J. Campiche et Karl-Heinz Krause, Ed. Planète Santé, 2018.

Stimuler ses neurones

Avec le temps, certaines performances cognitives ont également tendance à décliner. La vitesse avec laquelle on traite les informations ralentit, les capacités d’attention diminuent, les souvenirs deviennent flous. Remuer ses méninges a un effet protecteur contre ce déclin cognitif, peu importe la façon dont on le fait. On peut, selon ses goûts, lire, faire des mots croisés, jouer au scrabble ou aux échecs, aller au cinéma ou suivre des conférences. Une activité intellectuelle intense donne un sens à sa vie et permet de lutter contre la routine, véritable tueuse de neurones. De plus, il a été prouvé que cela retarde le développement de la maladie d’Alzheimer. Il est donc bénéfique de continuer à acquérir de nouveaux savoirs et compétences. Contrairement à ce que l’on croit, il n’y a pas d’âge pour apprendre. Les capacités d’apprentissage des seniors ne sont pas touchées par le déclin cognitif. Le retour aux études par exemple est un challenge qui redonne du goût au quotidien. Conscientes de cette envie, des universités du troisième âge se sont développées, offrant un cadre adapté pour recommencer à étudier. La force de l’entourage

Les relations sociales jouent un rôle crucial dans le maintien de la santé physique, intellectuelle et mentale. De nombreuses études ont mis en évidence les conséquences de la solitude sur la

santé. Toutes concluent que l’isolement social augmente la morbidité. A l’inverse, les relations sociales poussent à sortir de chez soi, à bien se nourrir et à faire de l’exercice physique. Bref, à continuer à mener ses activités favorites et à échanger avec autrui. Même si cela paraît banal de le rappeler, la présence autour de soi de personnes proches a donc de nombreux effets positifs, qu’il s’agisse d’amis ou de membres de la famille. Dans ce registre, rien de tel que de s’occuper de ses petits-enfants. C’est un bon moyen de rester « branché » tout en faisant bénéficier les jeunes générations de son expérience. Si la famille n’est pas à proximité, les clubs et associations permettent de rencontrer des individus avec qui on partage des intérêts. Les êtres humains appartiennent à une espèce hautement sociale, qui a besoin de communiquer tout au long de la vie. Le maintien d’un réseau prend un relief particulier chez les personnes âgées, auxquelles il donne une nouvelle confiance en elles, tout en leur permettant de (re) trouver un rôle dans la société. ●


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MALADIES CHRONIQUES

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Diabète : et le conjoint dans tout ça ? La Journée romande du diabète, qui a lieu le 17 novembre, offre l'occasion de mettre en lumière les conjoints des personnes diabétiques et le rôle important qu'ils peuvent être amenés à remplir. Les explications du Pr Jacques Philippe, médecin-chef du Service d’endocrinologie, diabétologie, hypertension et nutrition aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

©GETTYIMAGES B2M PRODUCTIONS

TEXTE PATRICIA BERNHEIM


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ans la maladie, il y a celui qui souffre et celui qui l’accompagne. Ceci est d’autant plus vrai dans le diabète. Une maladie au long cours, marquée par un excès de sucre dans le sang, qui nécessite un traitement à vie. Celui-ci repose sur trois piliers : médicaments, alimentation saine et variée, et activité physique régulière. Des modifications du mode de vie qui concernent également le partenaire. « Le conjoint est la pierre angulaire du patient, on ne le prend pas assez en compte, souligne en préambule le Pr Jacques Philippe. À l'évidence, il joue un rôle clé, parce que le diabète implique non seulement de prendre des médicaments mais aussi de modifier ses habitudes quotidiennes en bougeant plus et en adoptant de nouvelles pratiques alimentaires. Mais changer de comportement n'est pas facile. Comme le conjoint est la personne la plus étroitement liée à l'environnement du patient, il a un rôle positif d'aide et de soutien à jouer. » Apprendre à réagir

Vivre avec une personne diabétique implique aussi, pour le partenaire, d'être à même de la prendre en charge en cas de malaise par exemple. « Lors d'une hypoglycémie, trois solutions sont envisageables : injecter du glucagon (une hormone qui augmente le taux de sucre dans le sang), donner du sucre ou appeler le 144. C'est très important d'avoir le bon réflexe. Or, on se trouve dans une situation stressante où il est très compliqué de réagir de manière structurée. » S'il n'existe aucun cours spécifique pour les conjoints, ceux-ci sont en revanche les bienvenus aux consultations médicales et diététiques. Ils peuvent ainsi bénéficier de l'enseignement thérapeutique donné au patient pour apprendre à vivre avec le diabète, et ses hauts et ses bas. Face à la maladie, patientes et patients ne sont pas à égalité. « Les femmes sont d'un naturel plus aidant et c'est souvent elles qui préparent les repas. Elles viennent donc plus volontiers aux consultations », souligne le professeur. La participation du conjoint dépend aussi du temps qu'il a à disposition, de l'envie du patient d'avoir son conjoint à ses côtés,

de l'implication que ce dernier est prêt à avoir. Le partenaire doit aussi trouver sa place entre le trop protecteur et le trop distant. Le rôle n'est pas facile. « Plusieurs situations peuvent provoquer des tensions dans le couple ou exacerber des tensions déjà existantes, comme le fait que le patient ne suive pas les consignes en matière d'alimentation, ne pratique pas d'activité physique ou,

LE RÔLE PROTECTEUR DES ŒSTROGÈNES Les spécialistes du diabète savent que les femmes non encore ménopausées ont moins de risques que les hommes de développer un diabète de type 2. Par contre, après la ménopause, la tendance s’inverse très clairement, mettant en lumière le rôle protecteur des hormones sexuelles féminines et surtout des œstrogènes. Une étude parue dans la revue JCI Insight, réalisée par une équipe dirigée par le Pr Jacques Philippe, spécialiste du diabète à la Faculté de médecine de l’UNIGE et chef du Service d’endocrinologie, diabétologie, hypertension et nutrition des HUG, révèle comment les œstrogènes agissent sur deux des hormones impliquées dans l’équilibre glycémique, à

dans l'autre sens, lorsque le conjoint est trop contrôlant. C'est souvent le cas des femmes qui sont connues pour être plus respectueuses des recommandations médicales ». Seul et malade

L'absence de conjoint représente quant à elle un gros problème sur le plan psychologique. « On se retrouve en mauvaise santé et seul au moment où on a

le plus besoin de soutien psychologique positif », souligne le Pr Jacques Philippe. Cela signifie que personne n'est là pour encourager, relativiser, inciter à bouger… toutes ces suggestions positives si importantes. Et aussi que personne n'est là en cas d'accident ou de perte de connaissance. Mais avec ou sans conjoint, il est important d'être soutenu, rappelle le spécia-

savoir le glucagon, une hormone régulatrice de la glycémie dont le rôle n’avait jamais été exploré en profondeur, et le GLP1, une hormone intestinale et pancréatique qui permet d’augmenter la production d’insuline. Les résultats de ces recherches prouvent l’intérêt d’une supplémentation en œstrogènes dès l’apparition de la ménopause. « Ces traitements, bien administrés, peuvent réellement constituer un plus pour la santé des femmes. Dans le cadre du diabète, un traitement œstrogénique s’avère dans tous les cas très intéressant afin d’éviter l’explosion des cas de diabète féminin », souligne le Pr Jacques Philippe. Une femme ménopausée sous traitement hormonal de substitution a jusqu’à 35 % de risques en moins de développer un diabète de type 2 qu’une femme sans traitement.

liste. Les patients peuvent compter sur les antennes cantonales de l'Association suisse des diabétiques. Pour lutter contre la solitude et l'isolement, elles proposent des espaces de dialogue, des forums sur internet, des rencontres entre patients, des promenades en groupe. « Dans nos sociétés, on est individualistes. Ailleurs dans le monde, là où les soignants manquent, les patients sont plus en lien et s'entraident ». ●


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EN BREF

©ISTOCK COFFEEANDMILK

PLANÈTE SANTÉ – OCTOBRE 2018

PRENDRE SOIN DE SON VAGIN Une flore vaginale équilibrée est un vrai rempart face aux maladies sexuellement transmissibles. Mais attention, certains gestes quotidiens risquent de dégrader sa qualité. ADAPTATION* AUDE RAIMONDI

Des milliards de micro-organismes vivent dans la région vaginale. Un véritable monde caché, sur lequel nous sommes souvent mal renseignés. Le microbiote vaginal est pourtant essentiel, puisqu’il constitue un bouclier chimique contre les maladies sexuellement transmissibles et les infections internes. Un mécanisme de protection assuré en grande partie par les bactéries lactobacilles, qui composent 90 % de la flore. Si celles-ci viennent à manquer, le vagin est moins acide et d’autres bactéries ou virus peuvent alors se développer plus facilement. Plusieurs comportements risquent de détruire une partie de cette flore et devraient donc être évités au maximum. De nombreuses femmes ont par exemple la crainte que leur vagin sécrète des émanations désagréables. Cette idée reçue les incite parfois à effectuer des toilettes intimes intensives. Pourtant,

un microbiote en bonne santé a une odeur naturellement neutre. « Il ne faut donc jamais introduire de produit d’hygiène dans le vagin, recommande le Dr Jean-Marc Bohbot, spécialiste des affections uro-génitales et directeur médical de l’Institut Fournier à Paris. L’eau dessèche la peau et peut provoquer des irritations. Il suffit amplement de nettoyer l’extérieur avec des produits dédiés à l’hygiène intime ». A noter que l’épilation définitive est elle aussi problématique pour l’hydratation naturelle. Le laser détruit non seulement les poils mais également les petites glandes qui les lubrifient. Une sécheresse permanente risque donc de s’installer. Un autre grand ennemi de la flore vaginale : le tabac, qui diminue le taux d’œstrogènes dans le sang et le vagin. Or, les lactobacilles survivent en partie grâce à cette hormone. Dès quatre cigarettes fumées par jour, le microbiote se dégrade. Enfin, les antibiotiques parfois prescrits pour traiter d’autres problèmes liés à la région génitale (par exemple les mycoses ou les cystites) risquent de détruire une partie de la flore. Il existe heureusement des probiotiques qui peuvent contribuer à retrouver un équilibre. Sous forme de comprimés oraux ou d’ovules à introduire directement dans le vagin, ils aident les lactobacilles naturels à reprendre le contrôle.

* Adapté de « Microbiote vaginal, la révolution rose », émission CQFD (RTS), diffusée le 01/03/2018.


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POURQUOI UN TATOUAGE NE DISPARAÎT JAMAIS C’est bien connu, les cellules de notre peau se renouvellent sans cesse. Comment les pigments des tatouages font-ils alors pour perdurer de manière indélébile ? Une équipe de chercheurs français vient de mettre en lumière ce processus. Les aiguilles des tatoueurs pénètrent dans le derme, à entre un et deux millimètres de profondeur. Les scientifiques ont donc longtemps pensé que l’encre se logeait dans les fibroblastes, des cellules du derme qui rendent la peau souple. Grâce aux chercheurs français, on sait aujourd’hui qu'elle est en fait contenue dans les macrophages, des cellules qui appartiennent à la famille des globules blancs. Ces macrophages font partie du système immunitaire et ont pour rôle d’engloutir les corps étrangers

qui circulent dans la peau. Comme les autres cellules, ils ne restent qu’une vingtaine de jours dans la peau avant d’être remplacés par des nouveaux. Mais les particules de pigments des tatouages sont trop grosses pour se disperser rapidement lorsque le macrophage meurt. Elles restent donc sur place avant d’être capturées par les nouveaux macrophages. Ce processus recommence indéfiniment et le tatouage reste ainsi inchangé. Cette découverte pourrait peut-être contribuer à améliorer les techniques actuelles pour effacer un tatouage. En détruisant au laser les macrophages de manière localisée, cela pourrait éviter que les fragments d’encre soient sans cesse recapturés par le système immunitaire. A.R.

Adapté de « Le pourquoi de l'indélébilité des tatouages », émission CQFD (RTS), diffusée le 26/03/2018.

FAIRE DU SPORT APRÈS UN ARRÊT CARDIAQUE Reprendre le sport après un arrêt cardiaque, une bonne ou mauvaise idée ? Après un infarctus, de nombreuses personnes sont réticentes à l’idée de soumettre leur cœur et leur corps à un effort physique. Il est vrai que dans de rares cas, une stimulation excessive peut être problématique. Mais de manière générale, les médecins recommandent une reprise de l’activité physique. Une étude suédoise stipule même qu’une augmentation de la pratique sportive diminuerait de 50 à 60 % le risque de mortalité dans les quatre ans qui suivent l’arrêt cardiaque. Faire du sport sur le long terme apporterait donc de réels bénéfices. Certaines activités physiques sont cependant plus recommandées que d’autres. Après un arrêt

cardiaque, il faudrait éviter les sports de puissance, comme par exemple le bodybuilding. Ceux-ci provoquent une forte élévation de la pression artérielle et risquent de briser les plaques de cholestérol présentes dans les artères. Ces dépôts forment alors un caillot qui peut conduire à l’infarctus. En revanche, les médecins recommandent de pratiquer des sports d’endurance comme la marche rapide, la course à pied, le vélo, le rameur ou encore la natation. L’important étant toujours de garder une certaine mesure et d’éviter les efforts particulièrement excessifs. A.R.

Adapté de « Le sport après un arrêt cardiaque, une bonne idée », émission CQFD (RTS), diffusée le 20/04/2018.

CQFD (RTS LA 1ÈRE) SUR PLANETESANTE.CH Tous les matins de 10h à 11h sur la Première, l'équipe de CQFD aborde des sujets santé passionnants, décrypte et explique les découvertes, les maladies et les progrès scientifiques et médicaux. Pour vous offrir toujours plus d’informations, les sujets santé de l’émission sont également disponibles pour écoute sur Planetesante.ch/cqfd !

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INTERVIEW

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PR DAVID BAUD

« IL FAUT RESPIRER ET ÊTRE EN SYMBIOSE AVEC LA MAMAN » Il est l’un des seuls chirurgiens à pratiquer la chirurgie fœtale en Suisse. En opérant les bébés alors qu’ils sont encore dans le ventre de leur mère, le Pr David Baud, chef du Service d’obstétrique du Département femme-mère-enfant au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), leur donne une chance inespérée de vivre. En toute humilité et humanité, le chirurgien évoque son parcours d’exception et nous laisse pénétrer avec lui dans les mystères du début de la vie. PROPOS RECUEILLIS PAR ÉLODIE LAVIGNE

Planète Santé : Comment êtes-vous devenu

spécialiste dans un domaine aussi réservé que la chirurgie materno-fœtale ? David Baud : Par hasard. Lorsque j’étais étudiant, je voulais d’abord devenir pédiatre. Lors du stage obligatoire en obstétrique, j’ai assisté à mon premier accouchement et cela a été une révélation. Je suis depuis fasciné par ce domaine. La grossesse a toujours été ce qui m’intéressait le plus, en particulier les grossesses compliquées. Le médecin qui m’a formé en chirurgie fœtale à Toronto cherchait un successeur, mais je voulais revenir en Suisse et rendre au Canton de Vaud ce qu’il m’avait aidé à aller apprendre. Les traitements par laser in utero n’existaient pas en Suisse Romande. Grâce à un important soutien de la Loterie romande, j’ai pu lancer ce projet. Aujourd’hui, on opère près d’une trentaine de cas par an. Qu'est-ce qui a permis l'avènement de ces traitements ? C'est l'amélioration des techniques d'imagerie. Grâce à l'échographie, on voit très tôt des détails, par exemple sur le cœur, même s'il est de la taille d'un grain de riz.

On détecte plus vite les anomalies, et on les voit beaucoup mieux. Désormais, on traite certaines d’entre elles avant la naissance. Nous opérons dès le quatrième mois de grossesse. Dans les années 60, la thérapie fœtale faisait l'objet de quelque 200 articles scientifiques par année, contre près de 5 000 aujourd’hui. Dans quels cas est-elle indiquée ? Les cas sont très divers. On peut transfuser les bébés anémiques en atteignant de façon très précise des vaisseaux sanguins du fœtus. Chez d’autres bébés, on va poser un drain dans le thorax lorsqu’il y a accumulation d’eau autour des poumons. C'est un geste très délicat : si on se rate et qu’on entre dans le cœur, c’est game over. De même, chez les petits garçons qui ont la vessie bouchée, on pose un drain en tire-bouchon dans la vessie pour éviter que l'urine ne remonte et lèse les reins. On les opère à nouveau après la naissance, mais cette première intervention permet au bébé de continuer à se développer dans le ventre de sa mère. On intervient également lorsqu'il y a une tumeur, par exemple dans

le dos (tératome) ou dans le placenta. Un jour, nous avons opéré une tumeur pulmonaire bénigne, mais à haut risque car elle compressait le cœur et les poumons, empêchant ainsi leur développement. On

UN PAS, UN FRANC, ET UN BOND POUR LA SCIENCE Le 13 octobre, le Pr David Baud se lancera dans un défi sportif pour soutenir la recherche pour la femme, la mère et le nouveau-né. Pour chaque franc versé avant cette date, le chirurgien fera un pas de plus le long du lac Léman. Son but ultime : parcourir l’entier de la distance autour du Léman et récolter ainsi 180’000 francs. Plus d’infos sur : www.onestepforlife.com


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a cautérisé le vaisseau qui nourrissait la tumeur. C'était très délicat, car si on touchait l'aorte à 2 millimètres, c'était fini. Mais on a réussi ! Dans les grossesses gémellaires où les jumeaux partagent le même placenta, il arrive que l'un des enfants devienne énorme, car il prend tout le liquide et tous les nutriments à disposition. Son cœur souffre tandis que l'autre enfant est comme dénutri. C'est le syndrome « transfuseur-transfusé », qui peut être fatal si on ne fait rien. Sous péridurale, on introduit une canule dans l'utérus et on repère les vaisseaux qui permettent les échanges d'un bébé à l'autre. On les cautérise afin de créer deux placentas. Chaque enfant a alors sa petite cuisine et peut se nourrir de façon adéquate. Est-ce que ces traitements nécessitent d'ouvrir le ventre des patientes ? Non. La plupart du temps, on accède aux bébés grâce à une canule extrêmement fine (2 à 3 mm). Les instruments que nous utilisons (fœtoscopes) sont dotés d'une lumière, d'une caméra, d'une fibre laser et de liquide pour rincer. Ce sont des instruments extrêmement perfectionnés et coûteux. En revanche, pour opérer les cas de spina-bifida, où il s'agit de refermer la colonne vertébrale, on est obligé d'ouvrir. Ces chirurgies se pratiquent à Zurich. Qu'est-ce que cela fait d'entrer en relation avec ces bébés qui sont dans leur bulle ? C’est fascinant, car on est « avant la vie ». Quand nous opérons, les bébés sont très petits, ils ont les yeux fermés, mais ils ne fuient pas la lumière. En plus de la péridurale, on donne aux mamans un médicament relaxant qui passe chez les fœtus pour qu’ils bougent moins, ce qui facilite l’intervention. Mais parfois, ils attrapent le scope (ndlr l'instrument chirurgical) comme un jouet. Il faut attendre qu'ils le relâchent pour continuer. Ça reste quelque chose de magique. Quelles sont les chances de succès de ces thérapies fœtales ? On fait le maximum, mais ce n’est pas du 100 %. Il faut rester humble avec les

INTERVIEW

patients. Nous les préparons au risque de décès et de handicap. Mais sans traitement, le risque de mort, par exemple pour le syndrome transfuseur-transfusé, est de 90 %. Avec l’intervention au laser, il y a 65 % de chances de sauver les deux enfants et 85 % d’en sauver au moins un. Dans 15 % des cas, aucun des bébés

BIO EXPRESS 1 973 Naissance à Bienne. 1 998 Diplôme fédéral de médecin, Universités de Lausanne et Zurich. 20 0 4-20 0 9 Spécialisation en gynécologie et obstétrique (Londres, Lausanne, Saigon). 2 0 0 9-20 1 2 Spécialisation en médecine materno-fœtale (Paris, Toronto). 2 0 1 2-20 1 6 Médecin associé au Département de gynécologie-obstétrique du CHUV. D è s 20 1 6 Professeur ordinaire à l’UNIL. D è s 20 1 7 Chef du Service d'obstétrique du Département femme-mère-enfant.

ne survit. Ce que les parents redoutent le plus, c'est le handicap. Le risque de lésion majeure après la naissance est d'environ 10 %. La chirurgie fœtale augmente le risque de prématurité, lui-même plus important dans les grossesses gémellaires. Nous faisons en sorte de repousser le plus possible la prématurité une fois la chirurgie accomplie. Nous sommes très clairs avec les parents sur les risques. Nous prenons longuement le temps d'en

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discuter avec eux. Je leur conseille toujours de prendre le moins mauvais chemin pour eux. Laisser la nature arrêter la grossesse est bien sûr aussi une option. Dans tous les cas, ils sont encadrés par une équipe pluridisciplinaire que nous avons mise en place au CHUV, comprenant obstétriciens, néonatologues, généticiens, pédopsychiatres, radiologues, neuropédiatres, etc. Ce sont des interventions extrêmement complexes et, on l'imagine, très stressantes. Oui, c'est à la limite de la science-fiction ! Cela demande beaucoup de patience et de précision. Il faut respirer avec la maman, être en symbiose avec elle et suivre les mouvements du (ou des) bébé(s). Je me mets dans une bulle, au point de ne pas pouvoir dire ce qu'il se passe à côté dans le bloc. Cela ne provoque pas de stress chez moi, car ce sont des opérations de la dernière chance, où on tente le tout pour le tout. Comment vous y préparez-vous sur le plan personnel ? Le sport m'aide beaucoup. Je fais des compétitions de longue endurance telles que la patrouille des glaciers ou des courses d'Ironman, dans lesquelles on peut se retrouver dans des situations physiques et psychologiques difficiles. On n'en peut plus, mais il faut continuer. Voir qu'on peut y arriver malgré un sentiment de désespoir m'est très profitable dans ma vie professionnelle. Vous êtes l'heureux papa de jumeaux également… Oui. Je m'occupe de jumeaux depuis très longtemps, ça m'a toujours intéressé. Et par hasard, j'en ai eu moi-même ! Ça donne une connexion supplémentaire avec les parents, avec qui j'ai souvent des liens très forts. Après l'intervention, je les vois énormément, ils m'envoient des photos. Il y en a même qui sont venus à ma leçon inaugurale avec leurs enfants. Je deviens leur deuxième papa ! ●


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ZOOM

COSMÉTIQUES : SI VOUS SAVIEZ TOUT CE QUI TRAVERSE LA PEAU Chaque jour, notre peau absorbe toute une série de substances. Des mesures de précaution peuvent être prises pour minimiser les impacts sur notre santé. ADAPTATION* AUDE RAIMONDI

La peau est l’organe le plus lourd et le plus étendu du corps humain. Chez l’adulte, elle pèse en moyenne entre trois et cinq kilos. Telle une enveloppe, elle nous protège de l’extérieur en faisant barrière aux virus, bactéries et produits chimiques. Certaines substances parviennent toutefois à la traverser et pénètrent dans l’organisme. Si les conséquences ne sont pas toutes connues avec certitude, le phénomène inquiète.

divers déséquilibres comme des problèmes de fertilité, des malformations précoces ou encore une puberté précoce. Périodes de vie critiques

Pour le Pr Charles Sultan, spécialiste en endocrinologie pédiatrique au CHU de Montpellier, trois périodes de la vie sont particulièrement vulnérables aux actions des perturbateurs endocriniens. Il s’agit de la vie fœtale, des premières années de la vie et de l’adolescence. Le risque de développer une malformation génitale serait six fois supérieur lorsque la mère utilise beaucoup de produits cosmétiques pendant sa grossesse. Concernant les adultes, il est plus difficile d’établir un lien de causalité entre les produits de beauté industriels et la survenue de cancers. Le doute subsiste pourtant. Bien choisir ses cosmétiques

Un organe semi-perméable

Certaines molécules solubles dans la graisse et l’eau passent plus facilement à travers les différentes couches de notre peau. Elles sont alors métabolisées par l’organisme. Une propriété intéressante, qui permet notamment d’administrer certains médicaments sous forme de patch. En revanche, cela permet aussi aux perturbateurs endocriniens contenus dans les cosmétiques de pénétrer dans le corps. Il s’agit de substances chimiques qui miment le comportement des hormones et peuvent alors entraîner

Comment faire lorsque la science ne peut pas nous aiguiller ? Face à cette zone d’incertitude, mieux vaut appliquer un principe de précaution. Certains commerces spécialisés proposent aujourd’hui des produits simples, qui contiennent moins d’ingrédients chimiques. En Suisse, la Fédération Romande des Consommateurs a dressé une liste noire des substances à éviter. En somme, renoncer au superflu et bien se renseigner sur les produits que l’on consomme devrait permettre de minimiser les risques et de rester bien dans sa peau.

* Adapté de « Cosmétiques : si vous saviez tout ce qui traverse la peau », un reportage de 36,9° (RTS), diffusé le 21/03/2018.

L’ÉMISSION 36,9° (RTS) SUR PLANETESANTE.CH L’émission grand public 36,9° aborde de nombreuses problématiques de santé en se plaçant du point de vue du patient. Elle s’intéresse particulièrement aux dimensions affectives, sociales et économiques de notre rapport à la santé. Pour vous offrir toujours plus d’informations, les émissions de 36,9° peuvent désormais être aussi visionnées sur Planetesante.ch/36.9 ! Retrouvez des témoignages et des experts sur le sujet dans le reportage que 36,9° a consacré aux cosmétiques.

Retrouvez toutes ces émissions sur planetesante.ch/36.9

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FAMILLE

PLANÈTE SANTÉ – OCTOBRE 2018

La montée en puissance du parent hélicoptère Le mauvais parent fut longtemps celui qui se désintéressait de la vie de son enfant. Le parent absent. Celui qui délaissait son enfant à ses problèmes comme l’on jetterait une souris dans la fosse aux lions. Ce mauvais parent-là subsiste certes toujours, mais il s’accompagne désormais de son extrême opposé : le parent hélicoptère. TEXTE MALKA GOUZER

O

n les appelle « hélicoptères », « drones » ou plus littéralement « hyper-parents ». Voulant le meilleur à tout prix, ils ne cessent d’intervenir dans la vie de leurs enfants. Que ce soit dans la façon dont il convient de construire un château de sable, d’interagir avec des camarades de classe ou, plus tard, de réussir un entretien d’embauche. Le parent hélicoptère est celui qui reste constamment à l’affût des problèmes que pourrait rencontrer son enfant. Pour le protéger, il se fait bouclier. Pour l’aider, il se substitue. Hélas, à force de vouloir que son enfant devienne le meilleur sans jamais se faire de mal, le parent hélicoptère finit par lui faucher les ailes. « Il prend la place de son enfant, ne lui laissant pas l’espace nécessaire pour expérimenter son propre désir », explique la Dre Dora Knauer, pédopsychiatre et ancien médecin adjoint agrégé aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). « Trop intrusif, trop contrôlant, il devient, si nous poussons le tableau plus loin, un parent castrateur ».

remonte à juin 2018. 422 enfants de 2 ans ont été placés avec leurs mères dans un laboratoire avec l’instruction de jouer puis de ranger une série de jouets. Les chercheurs ont désigné le groupe « hélicoptère »  selon la fréquence et la manière dont les mères sont intervenues sur les gestes effectués par l’enfant au cours de l’expérience. Trois ans plus tard, la capacité de ces mêmes enfants à résoudre un puzzle dans un temps limité a été observée, ainsi que leurs réponses face à un partage de bonbons inégal. Les enfants du groupe hélicoptère ont montré davantage de difficultés à gérer leurs émotions que ceux des groupes témoins. Cinq ans

Apprendre à gérer ses frustrations

plus tard, ces mêmes enfants ont à nouveau été évalués. Ceux qui avaient affiché de bonnes facultés à gérer leurs émotions et à réguler leurs comportements à l’âge de 5 ans, présentaient de meilleures aptitudes sociales et scolaires à 10 ans. L’étude stipule un lien entre l’apprentissage de la gestion des émotions pendant

Outre-Atlantique, les débats sur la parentalité hélicoptère sont affaire courante et les études soulignant les effets délétères d’une parentalité surinvestie se démultiplient. La dernière en date, publiée par The American Psychological Association,

la petite enfance et les chances de rencontrer par la suite des difficultés scolaires, sociales et psychologiques : « Savoir contrôler des émotions amplifiées peut renforcer les facultés de l’enfant à gérer sa frustration lors de travaux académiques difficiles et, de ce fait, favoriser la réussite de ces travaux », écrivent les auteurs de l’étude. Dépressions, angoisses et suicides

Une étude publiée dans le Journal of Child and Family Studies en 2014, affirme que les étudiants issus de parents hyper-contrôlants sont plus enclins que d’autres à souffrir de dépression, de

“DES ÉTUDES SOULIGNENT LES EFFETS DÉLÉTÈRES D’UNE PARENTALITÉ SURINVESTIE„ troubles de l’anxiété et à se montrer psychologiquement insatisfaits de leurs vies. Ancienne doyenne des premières années de l’Université de Stanford (USA) et auteure du best-seller How to raise an adult, Julie Lythcott-Haims va même jusqu’à suggérer que la parentalité hélicoptère serait une des causes possibles


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©ISTOCK SHAPECHARGE

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de la croissance du taux de suicide chez les adolescents de la région de Palo Alto. Berceau cossu de la Sillicone Valley, Palo Alto possède un taux de suicide à l’adolescence qui dépasserait de quatre ou cinq fois la moyenne du pays. « Nous passons beaucoup de temps à nous inquiéter des parents qui ne sont pas assez investis dans la vie de leurs enfants, leur éducation et leur croissance, et c’est justifié, écrit l’auteure. Mais à l’autre extrémité du spectre, il y a beaucoup de dégâts. Nous "micro-manageons" chaque instant de leur vie. Nous souhaitons que chaque activité réalisée soit enrichissante et utile pour l’idée préconçue que nous nous faisons de leur avenir. Ces enfants ne disposent plus une seconde pour jouer librement »1. En effet, plusieurs études suggèrent un lien entre le développement des

« capacités exécutives »  de l’enfant et le temps passé à jouer librement. Les parents qui structurent et supervisent trop assidûment les activités de leurs enfants, défavoriseraient leur aptitude à travailler de façon productive et concentrée vers des objectifs autodéterminés. Free-range children

Fustigée pour avoir laissé son enfant de 9 ans prendre le métro seul à New York, la journaliste américaine Léonore Skenazy fonde en riposte le mouvement Free-range children et publie, en 2009, un livre portant le même nom. Aux antipodes de la parentalité hélicoptère, Skenazy encourage les parents à oser laisser leurs enfants se construire une autonomie. « De nos jours, les parents ont perdu leur faculté de jugement du risque, estime-telle. Ils ne font plus la différence entre

laisser un enfant marcher seul à l’école et le laisser traverser un stand de tir. Tout risque est perçu comme trop de risque. La seule chose que ces parents ne semblent pas réaliser, c’est que le plus grand des risques pourrait justement être celui d’élever un enfant qui ne rencontre jamais de risques ».2 Pour la Dre Dora Knauer, un des problèmes majeurs du parent hélicoptère est qu’il se sent trop responsable. « C’est finalement un parent qui ne fait confiance ni à l’énergie positive du développement de son enfant ni à la société qui l’entoure ». ● 1 https://www.ted.com/talks/julie_lythcott_haims_ how_to_raise_successful_kids_without_over_ parenting?language=fr#t-137338 2 https://www.amazon.com/Free-Range-Raise-SelfReliant-Children-Without/dp/0470574755


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Collection J'ai envie de comprendre… Les douleurs chroniques

et rebelles

Les douleurs chroniques et rebelles aux traitements classiques minent, parfois gravement, le quotidien d’environ 20 % de la population. Le fait que ces douleurs « ne se voient pas » lors des examens médicaux joue en défaveur des individus touchés qui ne se sentent pas toujours pris au sérieux dans leur souffrance. Elles n’ont pourtant rien d’imaginaire. Comment éviter que ces douleurs ne prennent toute la place ? Quel est le rôle des émotions dans les symptômes ? Comment contrôler soi-même ses douleurs ? Ce livre fournit des clés de compréhension, utiles également pour les proches aidants. Il propose une série d’outils pour mieux gérer ces douleurs complexes et redevenir le pilote de sa vie.

Information santé grand public

Auteurs Suzy Soumaille Valérie Piguet

Vous pouvez passer votre commande par :

Prix CHF 16.- / 14 € ISBN 978-2-88941-049-1 © 2018

E-mail : livres@planetesante.ch / Internet : boutique.revmed.ch Tél. : +41 22 702 93 11 / Fax : 022 702 93 55

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QUIZ

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CONNAISSEZ-VOUS LE CŒUR PAR CŒUR ? D'où part l'aorte ? Quel phénomène est responsable des bruits du cœur ? Testez vos connaissances avec ce quiz !

Quel est le poids approximatif d’un cœur humain ?

7

Moins de 200 grammes Entre 250 et 350 grammes Plus de 400 grammes

A B C

2

Comment s'appelle la membrane qui enveloppe le cœur ?

8

D'où provient le sang contenu dans l'oreillette droite ?

A B C

Le péricarde L’endocarde Le myocarde

A B C

La veine cave supérieure La veine cave inférieure Les deux veines caves

A B C

3

Combien de fois, en moyenne, un cœur humain bat-il par jour ?

A B C

Environ 60'000 fois Environ 80'000 fois Environ 100'000 fois

4

Quelle cavité du cœur reçoit le sang après son passage dans les poumons ?

A B C

Le ventricule gauche L’oreillette droite L’oreillette gauche

5

Quel phénomène est responsable des bruits du cœur ?

A B C

La fermeture des valves Le remplissage des oreillettes L’expulsion du sang

6

Comment appelle-t-on une accélération cardiaque ?

A B C

Une bradycardie Une tachycardie Une extrasystole

Quel autre nom donne-t-on à la petite circulation sanguine ? La circulation systémique La circulation pulmonaire Le réseau capillaire

9

D'où part l'aorte ?

A B C

Du ventricule gauche Du ventricule droit De l’oreillette gauche

10

Quel tissu est à l'origine de l'automatisme cardiaque ?

A B C

Le tissu musculaire myocardique Le tissu nodal La membrane plasmique

11

Comment appelle-t-on la malformation congénitale qui place le cœur à droite ?

A B C

Situs transversus Situs solitus Situs ambiguus

©ISTOCKPHOTO

1

12

À quoi correspond la fréquence cardiaque maximale ?

A B C

Le rythme cardiaque à ne pas dépasser Le rythme cardiaque maximal au repos Le rythme cardiaque maximal lors d’un effort physique

Réponses : 1 : b / 2 : a / 3 : c / 4 : c / 5 : a / 6 : b / 7 : b / 8 : c / 9 : a / 10 : b / 11 : a / 12 : c

Retrouvez ce quiz et des explications en ligne sur RTS Découverte


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ÉVASION

PLANÈTE SANTÉ – OCTOBRE 2018

Les bienfaits de l’altitude Vivre ou séjourner à moyenne altitude est bénéfique, surtout si on y fait de l’exercice. Tout particulièrement pour les individus souffrant d’obésité ou d’hypertension, ainsi que pour les personnes âgées.

©ISTOCK SRDJANPAV

TEXTE ELISABETH GORDON


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D

ans l’inconscient collectif, l’altitude est synonyme de risque pour la santé. Il est vrai que plus on grimpe, plus la pression barométrique – et donc la pression de l’oxygène contenu dans l’air – diminue, ce qui amoindrit la quantité d’oxygène disponible pour nos poumons et notre organisme. C’est ce que l’on nomme l’hypoxie hypobare. Pour compenser, notre respiration s’accélère. Comme l’explique Grégoire Millet, professeur à l’Institut des

“A DES ALTITUDES MODÉRÉES, LA BAISSE DE PRESSION EN OXYGÈNE DANS L’AIR AMBIANT A DE MULTIPLES BIENFAITS SUR LA SANTÉ„

sciences du sport (ISSUL) de l’Université de Lausanne, « cela entraîne une hyperventilation qui réduit la teneur en CO2 des vaisseaux sanguins (l’hypocapnie) ». En outre, dormir en altitude augmente « le risque d’apnée du sommeil et d’hypertension ». Il suffit souvent de passer une nuit dans un refuge à 3000 m pour commencer à souffrir de céphalées, de nausées, d’insomnies ou de vertiges qui caractérisent le mal des montagnes. Et si l’on s’élève

au-dessus de 4 000 m, on risque d’avoir des œdèmes pulmonaires et cérébraux. Perte de poids

Toutefois, à des altitudes modérées (entre 1000 et 1800 m), la baisse de pression en oxygène dans l’air ambiant a de multiples bienfaits sur la santé. Elle entraîne dans l’organisme certains mécanismes proches de ceux que l’on retrouve chez les sportifs de haut niveau qui s’entraînent en condition d’hypoxie pour améliorer leurs performances. Nul besoin d’être un athlète pour profiter de ces bénéfices. Pour tout un chacun, faire de l’exercice en état d’hypoxie « accroît la perfusion ainsi que l’oxygénation des muscles et augmente la relaxation des vaisseaux sanguins », explique Grégoire Millet. Cela peut avoir un effet positif chez les personnes ayant de l’hypertension. Si ce trouble a tendance à s’aggraver avec l’altitude, il s’atténue au contraire quand on y fait de courts séjours. « Il suffit de rester trois jours à 2500 m ou quelques heures à 4500 m pour voir sa tension artérielle diminuer ». Rien de tel que la montagne pour lutter aussi contre l’obésité. Les personnes en surpoids, qui ont souvent des difficultés à courir, voire à marcher longtemps sans douleur, peuvent « utiliser l’altitude pour faire de l’exercice et augmenter ainsi leurs dépenses énergétiques », souligne le chercheur. Comme, en outre, l’hypoxie réduit l’appétit, « elle peut potentiellement faire diminuer la masse grasse et la masse maigre », et aider donc à perdre du poids. Les avantages ne s’arrêtent pas là puisque l’altitude « réduit les processus inflammatoires, diminue la rigidité des parois artérielles et, chez les diabétiques, elle améliore la sensibilité à l’insuline ». D’ailleurs, des études ont montré que dans les populations vivant à plus de 1000 m, la proportion d’individus obèses est inférieure à celle que l’on trouve en plaine. Baisse de la mortalité

L’altitude semble aussi retarder ou contrebalancer plusieurs pathologies associées au vieillissement, car « elle

Conseils pratiques Pour bénéficier des effets protecteurs de l’altitude sur notre cœur et nos vaisseaux et, plus généralement, sur notre organisme, Grégoire Millet, professeur à l’Institut des sciences du sport (ISSUL) de l’Université de Lausanne, recommande de monter entre 1000 et 1500 m et d’y faire « de l’exercice à intensité modérée, par exemple de la marche à plat avec bâtons, du ski de fond, du VTT ou de la natation. De temps en temps, il faut alterner des exercices plus intenses comme la course et la marche en côte ou, lorsqu’on est âgé, accélérer sur quelques pas ». Aux personnes hypertendues, il conseille de « limiter la longueur des séjours en altitude » et à celles qui souffrent d’obésité « de faire des exercices de faible intensité et d’éviter la marche à la descente ». Pour les seniors, il préconise « des séjours prolongés à altitude modérée ».

réduit les facteurs de risque cardiovasculaire, tout en augmentant les capacités physiques et le bien-être », précise le spécialiste de l’ISSUL. Une étude réalisée par des chercheurs de l’Université de Zurich, portant sur plus d’un million et demi de Suisses, a d’ailleurs montré que ceux qui vivent à moyenne altitude diminuent de 22 % leur risque de mourir d’un infarctus et de 12 % celui de succomber à une attaque cérébrale. De son côté, une équipe autrichienne a observé une diminution de la mortalité du cancer du côlon chez les hommes et du cancer du sein chez les femmes. « Des constatations analogues ont été faites aux Etats-Unis », ajoute Grégoire Millet. Quand on n’a pas la chance de vivre en montagne, on a donc tout intérêt à y séjourner. Et lorsqu’on habite sur les bords du Léman, conseille Grégoire Millet, « mieux vaut marcher ou courir sur les hauteurs plutôt qu’au bord du lac ». ●


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COMPRENDRE

PLANÈTE SANTÉ – OCTOBRE 2018

Le rôle des émotions dans la douleur chronique Nos émotions jouent un rôle central dans la perception de la douleur et sont capables de la moduler beaucoup plus qu’on ne l’imagine. ADAPTATION* JOANNA SZYMANSKI

©ISTOCK KNAPE

* Adapté de J’ai envie de comprendre… Les douleurs chroniques et rebelles, de Suzy Soumaille et la Dre Valérie Piguet, Ed. Planète Santé, 2018.


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L

es émotions font partie du tableau de la vie. Elles peuvent accentuer les douleurs chroniques comme les estomper. Cette réalité ne remet pas pour autant en cause les facteurs physiques. Mais nier le rôle des émotions dans l’expression des symptômes, c’est risquer de passer à côté de la nature subjective de la douleur. Apport des neurosciences

Grâce à la contribution des neurosciences, la compréhension de la douleur chronique a fait un bond en avant. Comment ? En mettant en évidence des mécanismes de sensibilisation qui contribuent à l’amplification des signaux douloureux dans certaines zones du cerveau. Outre ce phénomène d’hypersensibilité, des études ont confirmé le rôle clé des émotions dans le ressenti douloureux. Elles peuvent prédisposer à la douleur ou la moduler à la baisse comme à la hausse. Les consultations spécialisées évaluent d’ailleurs de manière systématique l’état émotionnel des patient-e-s. L’International Association for the Study of Pain (IASP) reconnaît pleinement le rôle des émotions dans le ressenti de la douleur, qui est décrite comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage ». Traduction : quand on a mal, on ne ressent pas qu’une sensation, on éprouve forcément aussi une émotion. On ne peut pas ressentir la douleur pour autrui, elle n’est pas visible sur une radio, comme le serait une fracture, ou mesurable avec un appareil, comme l’est la tension artérielle, ou par un test sanguin. La douleur est une expérience tout à fait personnelle qui doit être accueillie sans jugement. Cette définition confère une légitimité indiscutable aux douleurs pour lesquelles aucune lésion n’a pu être décelée. Exit donc les soupçons de douleurs imaginaires ou simulées. On ne peut que croire la personne. Si elle dit qu’elle a mal, c’est qu’elle a mal. Composante affective

Désagréable, pénible, envahissante, angoissante, insupportable : l’expérience

douloureuse, même de courte durée, possède une indéniable dimension affective. Dans sa version longue – mois ou années de souffrances –, les émotions négatives ont toutes les chances de prendre le dessus, avec à la clé l’apparition possible d’un état dépressif ou anxieux. Le contexte de la douleur et le sens que nous lui donnons contribuent aussi à la « couleur » émotionnelle. Tout comme l’incertitude liée à l’évolution de notre état qui peut se révéler anxiogène (« Je suis seule pour élever mes enfants, que vont-ils devenir si je ne peux plus travailler ? » ; « Vais-je souffrir comme ça toute ma vie ? »). À l’inverse, un certain optimisme a le don de remonter notre moral : « J’ai confiance, les choses vont aller mieux et je trouverai des moyens pour gérer la situation. » Dimension cognitive

« C’est forcément grave si je continue à avoir mal » ; « Avec ces douleurs, la vie n’a plus de sens ». Les représentations liées à une douleur qui ne relâche pas son étreinte varient fortement d’une personne à l’autre. L’interprétation et la compréhension des symptômes douloureux influencent directement le vécu de la douleur. Typiquement, savoir que la douleur persistante est le fruit d’un dysfonctionnement du système nerveux central aide à comprendre ce qui nous arrive et à l’expliquer aux autres. Les pensées et les anticipations négatives participent à l’abaissement des seuils de la douleur. L’anxiété, par exemple, contribue à amplifier les sensations désagréables ressenties, empêchant ainsi toute tentative de banalisation. Des expériences de perte (comme un deuil) peuvent également entraîner des variations du seuil de sensibilité. Les émotions positives, à l’inverse, sont en général capables d’émousser le ressenti douloureux. Prendre en charge les émotions

La subjectivité est ainsi le propre de la douleur. Les liens entre douleur chronique et émotions sont indissociables d’une vision humaniste. Cette conception globale ne remet pas en cause la réalité

de la douleur vécue par la personne. Au contraire, elle permet de la comprendre et de mieux la gérer. La façon dont l’individu interprète l’expérience douloureuse influence la composante émotionnelle et donc sa perception. Alliées ou adversaires, les émotions sont dans tous les cas les grands modulateurs de la douleur. Leur importance est telle qu’elles doivent

La douleur comme masque Phénomène connu depuis longtemps, la souffrance morale s’exprime parfois par la souffrance du corps. Dans ce cas, la blessure psychique revêt le « masque » de la douleur. On parle alors de somatisation. Les vécus traumatiques anciens et les situations de maltraitance ou d’abandon pendant l’enfance constituent des facteurs de vulnérabilité dans le développement de douleurs chroniques rebelles. Les études indiquent que le syndrome de stress post-traumatique est plus fréquemment retrouvé chez les malades douloureux chroniques. La persistance de la douleur semble coexister avec celle de l’émotion liée à l’accident ou l’agression. Enfin, des travaux récents montrent également un lien entre le sentiment d’injustice et l’intensité de la douleur.

faire l’objet d’une évaluation systématique lors de la prise en charge. Car, tel un rouleau compresseur, les douleurs incessantes épuisent les ressources personnelles et peuvent déboucher sur un état anxieux ou dépressif, source de tourments supplémentaires. Enfin, la douleur est parfois le reflet d’une détresse émotionnelle (lire encadré). Derrière une exacerbation douloureuse, la question d’une éventuelle souffrance psychologique doit être explorée. ●


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PSY

PLANÈTE SANTÉ – OCTOBRE 2018

Sauver l’autre pour se sauver La co-dépendance est un trouble affectif encore relativement mal connu des médecins et du grand public. Elle affecterait, si on en croit les spécialistes, un pourcentage élevé de la population. En Suisse romande, l’organisation Co-Dependents Anonymous (CoDa) permet aux concernés de trouver remède à leurs maux. TEXTE MALKA GOUZER

I

ngeborg* a 43 ans, elle est mère de deux enfants et occupe un poste à hautes responsabilités dans une organisation internationale. Elle est belle, sportive, rigole à pleines dents. Personne ne s’imaginerait une seconde qu’en réalité, sa confiance en soi frôle le degré zéro et qu’elle est constamment au bord du burnout et de la dépression. Faut dire qu’Ingeborg excelle dans le maintien des apparences. Sa maison est impeccablement tenue, ses enfants bien élevés, et on en vient presque à oublier l’existence de son conjoint, Robbie*, 46 ans, sans emploi, alcoolique et toxicomane depuis près de vingt ans. Dans les faits, Ingeborg souffre de co-dépendance. Elle n’est pas dépendante à une substance, comme Robbie, mais au lien qu’elle entretient avec lui et sa maladie. « Une personne saine ne reste pas avec un dépendant. Elle lui fait signe que ça suffit et, si rien ne change, elle part », explique Daniela Danis, psychologue et psychothérapeute spécialisée dans le traitement des addictions à Genève. « Seul le co-dépendant reste avec le dépendant. Ayant peu de respect pour lui-même, il est enclin à accepter l’inacceptable ». Reconnaître les symptômes

La co-dépendance est un trouble comportemental acquis qui affecte la capacité

d’une personne à entretenir des relations équilibrées avec autrui. Elle affecte principalement les relations amoureuses, mais peut aussi impacter les relations familiales, amicales et professionnelles. Pour Daniela Danis, le co-dépendant est celui qui vit constamment à l’extérieur de lui-même. « Il dénie ses propres besoins et limites. A mesure que l’autre s’impose, le co-dépendant s’efface jusqu’à devenir

changements ou encore difficultés à identifier ses propres sentiments et ressentis sont d’autres symptômes classiques de la co-dépendance. En mission

« Le co-dépendant, poursuit la spécialiste, se sent investi d’une mission, celle de sauver l’autre. » Dans ses élans bienfaiteurs, il cherche également à combler

“AYANT PEU DE RESPECT POUR LUI-MÊME, LE CO-DÉPENDANT EST ENCLIN À ACCEPTER L’INACCEPTABLE„

invisible. Il ne s’écoute pas et à un certain moment, c’est son corps qui finit par craquer. » Se sacrifier pour autrui est une des expressions typiques de la personnalité co-dépendante. Colère chronique, problèmes de culpabilité, difficultés à prendre des décisions, peur d’être abandonné, besoin compulsif de contrôler l’autre, recherche anormale de reconnaissance, incapacité à s’ajuster à des

un immense vide intérieur. « Il désire qu’on lui confirme sa bonté, ce qui le rend davantage vulnérable », explique Daniela Danis. Hélas, vouloir sauver l’autre pour exister n’aboutit pas toujours. Comme l’explique le Pr Daniele Zullino, chef du service d’addictologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), « le co-dépendant peut parfaitement être celui qui maintient la


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©ISTOCK KNAPE

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NFOS PRATIQUES www.coda.org Informations sur la co-dépendance et les séances CoDa sur le site web de l’organisation Co-dependents Anonymous International. Addictions et Co-dépendances : exercices pour se rétablir et Au cœur de la co-dépendance, de Daniela Danis.

chronicité de la consommation du dépendant en voulant justement le contrôler. Très souvent, l’un est malade, l’autre joue au soignant, et chacun y trouve son compte. Le problème, c’est que le soignant ne soigne en réalité jamais le malade jusqu’au bout ». Co-dépendants et dépendants s’isolent ainsi dans une logique de déni de la réalité, l’un en alimentant la dépendance de l’autre en le couvrant de tous ses besoins, l’autre en rendant le co-dépendant coupable et responsable de sa maladie. Causes possibles

Fréquemment, le co-dépendant est issu d’une famille dysfonctionnelle dans laquelle un ou plusieurs membres sont

dépendants et/ou co-dépendants. Enfant, il devient ce qu’on appelle un enfant-parentifié : se sentant responsable, voire coupable du dysfonctionnement familial, il essaie par tous les moyens d’y remédier. Il devient progressivement le porteur ou la béquille du ou des parents malades. « Je suis toujours frappée, raconte Daniela Danis, de voir des enfants ayant souffert de parents dépendants et co-dépendants vous dire "plus jamais", et de les retrouver plus tard, malgré leurs vécus, dépendants ou en relation avec une personne dépendante. C’est que le moule était déjà formé. » Dépendance invisible

« Nous n’avons à ce jour aucune statistique fiable, précise la psychologue, mais je peux vous dire qu’il y a environ trois fois plus de co-dépendants que de dépendants ». Selon elle, la co-dépendance est fréquemment mal diagnostiquée et confondue avec des troubles de l’ordre de l’anxiété et de la dépression. « C’est une pathologie qui génère des

souffrances atroces et qui finit par anéantir des vies entières. Pourtant, une fois que nous en avons connaissance, les symptômes sont extrêmement clairs à détecter et une prise en charge adaptée peut être entamée. » Prise en charge par CoDa

Il existe fort heureusement des moyens de se sortir des liens de co-dépendance. Dans la même veine que l’organisation mondiale d’entraide Alcooliques Anonymes (AA), l’organisation Co-Dépendants Anonymes offre des séances thérapeutiques de groupe plusieurs fois par semaine à Genève et à Gstaad. « CoDa est une association entièrement gérée par elle-même, se réjouit Daniela Danis. Sans hiérarchie, sans frais, sans inscription, la personne peut tout simplement s’y rendre en parfait anonymat. Dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, CoDa est un exemple de fraternité incroyable ! » ● * Prénom d’emprunt.


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JURIDIQUE

PLANÈTE SANTÉ – OCTOBRE 2018

L’expertise médicale, parfois une étape nécessaire Contester une prise en charge médicale peut arriver à tout patient. Recourir alors à une expertise médicale est très souvent une étape nécessaire pour pouvoir prouver qu’il y a eu violation des règles de l’art. Explications. TEXTE MARC HOCHMANN FAVRE

question permet souvent d’apporter l’éclairage nécessaire. Ce sera là le rôle de l’expert médical. L’expertise extrajudiciaire

Marc Hochmann Favre Avocat – Médecin LHA Avocats

L

orsque le patient considère qu’une prise en charge médicale n’a pas été effectuée convenablement et qu’il entend – le cas échéant – demander une indemnisation pour le préjudice subi, il fait face à une difficulté de taille : ni lui, ni un éventuel juge saisi du litige, n’ont les connaissances suffisantes pour appréhender la question de la violation des règles de l’art, reprochée au médecin en cause. La mise en évidence d’une violation des règles de l’art est toutefois essentielle puisqu’il s’agit en quelque sorte – et sous réserve du non-respect du consentement libre et éclairé – de la « clef de voûte » de la responsabilité civile médicale. Dans cette situation, le regard d’un professionnel de la spécialité médicale en

Lorsque le patient suspecte une faute de diagnostic ou de traitement, il peut s’adresser au Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH afin qu’une expertise soit réalisée.1 Cette manière de faire permet d’obtenir un avis circonstancié sur la réalité des reproches, et permet donc au patient d’évaluer les chances de succès d’éventuels pourparlers transactionnels ou d’une procédure judiciaire en dommages-intérêts. Le Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH facilite la mise en œuvre de l’expertise en se chargeant de trouver un expert du domaine de spécialité concerné et en coordonnant l’ensemble des échanges entre les parties. Le médecin membre de la FMH est quant à lui tenu de participer à la procédure d’expertise, sous peine de sanctions déontologiques. Ce type d’expertise est relativement peu onéreux pour le patient puisque seul un émolument forfaitaire de CHF 1’080.- est exigé par le Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH2, le solde des frais et honoraires de l’expert étant pris en charge par l’assureur responsabilité civile du médecin concerné. La demande d’expertise extrajudiciaire FMH n’est pas pour autant une simple formalité.

Il s’agit en effet pour le patient d’indiquer les parties concernées, d’établir un historique du traitement, de formuler les reproches quant à la prise en charge litigieuse et de joindre le dossier médical. Au préalable, le patient devra obtenir une prise de position commune du médecin et de l’assureur responsabilité civile. De plus, si le traitement a été effectué dans un hôpital ou une clinique, et que la responsabilité de l’établissement devait être mise en cause, le patient devra obtenir l’accord de l’établissement pour que la mission d’expertise FMH soit réalisée. Au vu de ce qui précède, il n’est donc pas rare que le patient sollicite le concours d’un avocat pour rédiger la demande d’expertise extrajudiciaire FMH et assurer le suivi jusqu’à ce que le rapport soit rendu. Faute médicale dans un tiers des cas

On relèvera encore que selon les statistiques publiées par le Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH pour l’année 2016, environ un tiers des expertises extrajudiciaires FMH (31.5 %) ont mis en évidence une faute médicale. Dans ces situations où une faute médicale est avérée, et si l’assurance responsabilité civile du médecin n’entre pas en matière sur un dédommagement, le patient n’aura d’autre solution que de saisir la justice. Malheureusement, en cas de procédure judiciaire, l’expertise extrajudiciaire FMH n’a – comme toute expertise privée – pas


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plus de valeur probante qu’une simple allégation de partie3, ce malgré le fait qu’elle a été menée dans le cadre « institutionnel » de la FMH et que les parties ont été entendues par l’expert. L’expertise judiciaire

A moins que la partie adverse ne conteste pas le contenu et les conclusions de l’expertise FMH, il sera en principe nécessaire pour le patient – à qui incombe le fardeau de la preuve (art. 8 du Code civil) – de solliciter du Juge saisi du litige la mise en œuvre d’une expertise judiciaire. L’expertise judiciaire obéit à des règles procédurales très strictes (art. 183ss du Code de procédure civile), en particulier le fait que les parties ont la possibilité de s’exprimer sur les questions à poser à l’expert, de poser des questions complémentaires et peuvent questionner l’expert oralement sur la teneur de son rapport

au cours d’une audience. Contrairement à l’expertise privée, l’expertise judiciaire lie en principe le juge. La jurisprudence enseigne à ce titre que les tribunaux ne doivent pas s’écarter d’une expertise judiciaire sans motifs pertinents. S’ils s’en écartent, ils doivent motiver suffisamment leur opinion divergente sous peine de verser dans l’arbitraire.4 Les frais de l’expertise judiciaire sont avancés par la partie qui la demande, mais suivent en définitive le sort de la cause au moment du jugement, c’est-àdire qu’ils peuvent être mis entièrement à la charge du patient demandeur s’il succombe. Si l’expertise extrajudiciaire de la FMH est une étape importante pour l’évaluation de la réalité de reproches formulés à l’encontre d’un médecin s’agissant du diagnostic ou du traitement, elle n’est souvent pas suffisante pour obtenir gain

de cause devant les tribunaux. La pratique démontre en effet qu’en cas de procédure judiciaire, et vu les règles sur le fardeau de la preuve, le patient devra fréquemment solliciter la mise en œuvre d’une expertise judiciaire pour tenter d’établir la violation des règles de l’art. ● 1 https://www.fmh.ch/fr/services/bureau_expertises.html 2 Contrairement à une expertise effectuée hors du cadre de la FMH où le patient devra – en principe et sous réserve d’un accord contraire – régler l’ensemble des frais. Ils pourront toutefois être inclus dans le montant du préjudice à réclamer au responsable civil en cas de faute avérée. 3 ATF 135 III 670 consid. 3.3.1. 4 ATF 130 I 337 consid. 5.4.2, JdT 2005 I 95, 103s.

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DÉSIR D'ENFANT

PLANÈTE SANTÉ – OCTOBRE 2018

La PMA repousse les limites de l’infertilité Lorsqu’un couple fait face à la difficulté d’enfanter, il peut se tourner vers la procréation médicalement assistée. Parmi les méthodes disponibles, on retrouve la stimulation ovarienne et la fécondation in vitro. Retour sur les étapes de chaque procédé. ADAPTATION* ANOUK PERNET

«

On ne laisse pas Bébé dans un coin ! », entend-on dans le film culte Dirty Dancing. Mais parfois, c’est bébé qui ne vient pas. L’infertilité touche près d’un couple sur six. Une véritable épreuve, mais qui n’est pas sans solution. La médecine moderne propose en effet des méthodes de procréation médicalement assistée (PMA). Parmi elles, la stimulation des ovaires couplée à l’insémination du sperme, ainsi que la fécondation in vitro. La stimulation ovarienne

Cette méthode est souvent proposée dans le cas où la femme n’ovule pas, en cas d’infertilité inexpliquée, lors d’infertilité masculine modérée ou en cas d’endométriose. Ses chances de succès sont de 10 à 15 % en moyenne. Durant environ deux semaines, la patiente reçoit quotidiennement une injection de petites doses d’hormones. Ces piqûres ont pour but de stimuler la croissance d’un ou deux follicules, ces petites poches de liquide où se forme l’ovocyte (nom scientifique de l’ovule). Une échographie par voie vaginale et une prise de sang sont réalisées tous les deux à trois jours à partir du cinquième ou sixième jour de stimulation, afin de pouvoir déclencher l’ovulation au bon moment, par une injection sous-cutanée d’hormones. Pour les patientes qui n’ovulent pas, le médecin prescrit le plus souvent un traitement spécial avec prises de comprimés.

Après le déclenchement de l’ovulation, le médecin réalise une insémination artificielle avec le sperme du conjoint, recueilli le jour même. Le sperme est centrifugé et lavé au laboratoire. Il est ensuite déposé dans l’utérus grâce à un cathéter.

Lutte contre le temps à l’issue incertaine En Suisse, il n’y a pas d’âge légal limite pour la PMA. Grâce à la FIV, l’infertilité due à l’âge est parfois surmontée. Ce résultat n’est toutefois pas garanti. Le pourcentage de réussite s’effondre vite avec l’augmentation de l’âge maternel. Alors que le taux de succès est de 30 % pour les plus jeunes, ce chiffre est plus proche des 20 % dès 40 ans. Passé 43 ans, les chances de réussite d’une FIV deviennent extrêmement faibles, en raison de l’âge avancé des ovaires de la patiente. Les médecins ne préconisent donc pas de FIV passé ce cap.

L’insémination est non invasive et dure une trentaine de secondes. Dans certains cas, le spécialiste peut décider de ne pas faire d’insémination et explique alors au couple à quel moment ils doivent avoir

des rapports sexuels pendant le traitement (« rapports sexuels dirigés »). La fécondation in vitro (FIV)

Lorsque ce premier traitement ne fonctionne pas, les patientes sont redirigées vers la fécondation in vitro. La FIV est également préconisée dans d’autres cas, par exemple lors de problèmes de trompes bouchées, en cas d’infertilité masculine sévère ou d’infertilité liée à l’âge de la femme. Son taux de succès est de 30 % mais diminue rapidement avec l’âge. La durée d’un cycle complet de traitement correspond au cycle menstruel de la femme. Pour ce processus, les ovaires sont stimulés avec des doses d’hormones plus importantes que dans le traitement par stimulation ovarienne. Cela permet le développement de plusieurs follicules au niveau de chaque ovaire. Un deuxième type d’injections doit être effectué durant la stimulation pour éviter une ovulation prématurée. Une injection d’hormones permet de déclencher l’ovulation. Ensuite, on procède à un prélèvement des ovocytes, effectué 36 heures après cette injection, sous anesthésie générale le plus souvent. Sous contrôle échographique, le médecin introduit une aiguille à travers la paroi du vagin, puis pique les follicules dans l’ovaire. Il y aspire pour chacun le liquide folliculaire qui peut contenir un ovocyte. L’intervention dure en moyenne une vingtaine de minutes. Le


©ISTOCK DOBLE-D

même jour, le sperme du conjoint est prélevé, suivant le même protocole que pour une stimulation ovarienne. Au laboratoire, les ovocytes sont mis en contact avec les spermatozoïdes pour être fertilisés. Dans le cas d’une infertilité masculine sévère, un spermatozoïde soigneusement sélectionné est directement introduit à l’intérieur de l’ovocyte à l’aide d’une microseringue. Après 16-18 heures, le biologiste observe le résultat de la fécondation. En cas de succès, les ovocytes contiennent deux noyaux, le leur et celui d’un spermatozoïde, qui renferment donc l’un l’ADN maternel, et l’autre l’ADN paternel. Ces ovocytes fécondés vont commencer à se diviser et devenir des embryons. Un ou deux des

embryons ainsi obtenus seront transférés dans l’utérus. Dans les situations de bon pronostic, les médecins préfèrent transférer un seul embryon afin d’éviter une grossesse gémellaire, qui augmente les risques de fausse couche tardive ou de naissance prématurée. L’implantation des embryons dans le corps de la femme est indolore et se fait sans anesthésie. Les embryons qui n’ont pas été transférés peuvent être congelés et utilisés par la suite en cas d’échec de grossesse. Au seizième jour après la ponction des ovocytes, la femme fait une prise de sang pour déterminer si elle est enceinte. En cas d’échec, une nouvelle tentative peut être faite, à raison de deux mois de délai minimum entre les deux essais. ●

* Adapté de J’ai envie de comprendre… la PMA, d’Aurélie Coulon et le Dr Nicolas Vulliemoz, en coll. avec le Pr Alexandre Mauron, Ed. Planète Santé, 2018.

©X

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FICHE MALADIE

PLANÈTE SANTÉ – OCTOBRE 2018

FICHE MALADIE L’HYPERCHOLESTÉROLÉMIE Le cholestérol est une graisse indispensable au bon fonctionnement de l’organisme. Mais lorsque le taux de « mauvais » cholestérol est en excès dans le sang, c’est la santé qui est en péril. En effet, l'hypercholestérolémie augmente le risque de survenue de maladies cardiovasculaires, d’où l’intérêt de surveiller ses valeurs et d’adopter une hygiène de vie saine. TEXTE

PATRICIA BERNHEIM

EXPERTS PR ALAIN GOLAY, SPÉCIALISTE FMH EN MÉDECINE INTERNE, MÉDECIN-CHEF DU SERVICE D’ENSEIGNEMENT

THÉRAPEUTIQUE POUR MALADIES CHRONIQUES DES HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE (HUG).

PR FRANÇOIS MACH, SPÉCIALISTE FMH EN CARDIOLOGIE ET EN MÉDECINE INTERNE, MÉDECIN-CHEF

DU SERVICE DE CARDIOLOGIE DES HUG.

L’

hypercholestérolémie est un trouble métabolique qui se caractérise par un taux de cholestérol sanguin plus élevé que la moyenne. Le cholestérol fait partie des graisses qui circulent dans le sang puis dans le corps et qui sont indispensables au bon fonctionnement de l'organisme. Il est donc normal « d'avoir du cholestérol ». Mais attention, il y a le « bon » (HDL) et le « mauvais » (LDL) cholestérol. Une quantité trop élevée de « mauvais » cholestérol dans le sang durant plusieurs années peut être dangereux pour le système cardiovasculaire. En effet, lorsque le foie produit trop de cholestérol ou lorsque l'alimentation est trop riche en graisses, l'excès de cholestérol peut s’accumuler dans les tissus ainsi que dans la paroi vasculaire des artères, où il contribue à former des dépôts appelés plaques d'athérome ou d’athérosclérose. En se développant, ces plaques rétrécissent progressivement les artères qui deviennent plus rigides et peuvent finir par être totalement obstruées, ce qui est à l'origine d’accidents cardiovasculaires tels que l’infarctus du myocarde ou les accidents vasculaires cérébraux (AVC).

Symptômes Sournoise, l’hypercholestérolémie ne se manifeste par aucun symptôme. Dans la majorité des cas, elle est découverte seulement lors d’une prise de sang ou de l’apparition des complications cardiovasculaires graves qu’elle entraîne : infarctus du

myocarde ou accident vasculaire cérébral (AVC), deux maladies qui conduisent à l’hospitalisation, voire au décès.

Causes Les causes de l’hypercholestérolémie peuvent être génétiques et/ou environnementales. L’hypercholestérolémie familiale, premièrement, est une maladie génétique peu connue et encore mal diagnostiquée. Elle se manifeste notamment par un taux élevé de cholestérol-LDL dès la naissance, des antécédents d’accidents cardiovasculaires précoces (avant 55 ans chez l’homme, avant 60 ans chez la femme) personnels ou familiaux et, plus rarement, des dépôts de cholestérol au niveau des tendons ou des paupières (sous forme de petits nodules ou de petites taches jaunâtres sous la peau). Si l’un des parents présente un excès de cholestérol, le risque de développer une hypercholestérolémie est plus important, mais ce n’est pas une fatalité. En modifiant certaines habitudes alimentaires (alimentation moins grasse), on peut agir sur le taux de cholestérol dans le sang. Une hypercholestérolémie peut aussi être associée à certaines maladies. C’est notamment le cas avec le diabète de type 2 (qui se définit comme un excès de sucre dans le sang), pour lequel les patients présentent souvent un taux de cholestérol trop élevé. La goutte, une forme de rhumatisme qui atteint les articulations et les parties molles, est aussi fréquemment associée à une


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hypercholestérolémie, de même qu’une insuffisance rénale. Les pilules contraceptives ont également un impact sur le taux de lipides dans le sang, tout comme la prise d’hormones féminines à la ménopause. Enfin, la prise de certains médicaments peut avoir comme effet secondaire une hausse du taux de cholestérol dans le sang. C’est notamment le cas de certains diurétiques et bêtabloquants utilisés notamment pour traiter l’hypertension artérielle.

Facteurs de risque Parmi les facteurs de risque de développer une hypercholestérolémie (dans sa forme non-familiale) figurent le tabagisme, le surpoids, la sédentarité et le stress.

Traitements Le traitement de l’hypercholestérolémie repose sur deux piliers : une alimentation saine et équilibrée et une activité physique régulière. Chez certains patients, ces modifications des habitudes de vie permettent d’équilibrer et normaliser en quelques mois le taux de cholestérol sanguin. Chez d’autres, l’effet escompté n’est pas obtenu, ou pas dans les proportions attendues. C’est notamment le cas en présence d’une hypercholestérolémie d’origine familiale. Le traitement doit alors être complété par la prise de médicaments hypocholestérolémiants, autrement dit qui vont faire baisser le taux de cholestérol dans le sang. A l’heure actuelle, il existe cinq grandes familles de médicaments destinés à normaliser le taux de lipides dans le sang, dits hypolipidémiants, mais seule l’une d’entre elles est considérée comme très efficace, celle des statines. En Suisse, la famille des statines comporte six molécules : atorvastatine, fluvastatine, pitavastatine, pravastatine, rosuvastatine, simvastatine. Si les statines sont mal tolérées, ou que les valeurs cibles de cholestérol-LDL ne sont pas atteintes, le médecin peut proposer de diminuer les statines ou de les associer à l’ézétimibe. En cas d’élévation des triglycérides, l’association d’une statine et d’un fibrate permet très souvent d’atteindre les valeurs cibles. Commercialisées depuis peu, de nouvelles molécules (anticorps anti-PCSK9) se sont révélées extrêmement puissantes pour faire baisser le taux de cholestérol-LDL. Depuis 2017, deux médicaments (l’évolocumab (Repatha®)) et l’alirocumab (Praluent®)) sont commercialisés en Suisse. De très nombreuses études, ayant inclus plus de 100’000 patients au total, n’ont pas révélé d’effets secondaires majeurs, mais le recul maximal n’est que de cinq ans à ce jour. A savoir que ces molécules ne s’utilisent pas en traitement de première intention. L’hypercholestérolémie est une maladie au long cours. Le seul moyen de recueillir les bénéfices du traitement prescrit consiste à le suivre avec rigueur et régularité. Par ailleurs, la prise de

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médicaments ne dispense en aucun cas de modifier en parallèle les habitudes quotidiennes en matière de mouvement et d’alimentation, qui restent la base du traitement. Levure de riz rouge La levure de riz rouge contient des statines naturelles (monacoline K ou lovastatine) qui permettraient de réguler le cholestérol. Toutefois, une certaine prudence s’impose quant à l’utilisation de ces produits vendus comme compléments alimentaires, en raison des effets secondaires, des risques d’interaction ou encore de leur efficacité. Des impuretés présentes dans les préparations disponibles en magasin ou sur internet peuvent avoir des effets toxiques, notamment pour les reins. Autre risque : celui de n’avoir aucun effet du tout. Par ailleurs, il faut rappeler que baisser le taux de cholestérol n’est pas indiqué pour tout le monde. Dès lors, ces compléments alimentaires ne devraient pas être pris à titre préventif et sans diagnostic préalable.

Evolution et complications possibles A terme, l’accumulation de mauvais cholestérol (LDL) s’accumule et forme des plaques essentiellement constituées de graisse, appelées plaques d’athérome, dans la paroi des artères. C’est ce que l’on appelle l’athérosclérose. Au fil du temps, ces plaques grossissent, se calcifient, et finissent par se fissurer, provoquant la formation d’un caillot sanguin qui bouche le vaisseau. En fonction des vaisseaux où se développe l’athérosclérose, différents organes peuvent être privés de sang et donc d’oxygène, tels que le cœur, le cerveau ou les membres inférieurs. Les maladies cardiovasculaires peuvent toucher plusieurs organes. L’insuffisance coronarienne correspond à une diminution de l’arrivée du sang dans le cœur due à la présence de plaques d’athérome dans la paroi des artères coronaires. En rétrécissant leur diamètre, elle limite ainsi le flux sanguin vers le muscle cardiaque (myocarde). La maladie peut être asymptomatique. Elle peut aussi se manifester par des douleurs au niveau de la poitrine, ce que l’on appelle angine de poitrine ou angor, voire par un infarctus du myocarde (ou crise cardiaque). L’angine de poitrine, qui est un symptôme de l’insuffisance coronarienne, survient lorsque le myocarde n’est pas assez alimenté en oxygène. Elle se manifeste par une sensation d’étau, de pression, de lourdeur, de brûlures ou de serrements dans la poitrine. Elle peut apparaître soudainement ou de façon récurrente dans le temps. Les crises douloureuses surviennent en général lorsque le cœur doit fournir un plus grand travail, par exemple lors d’une activité physique, en cas de froid intense, après un repas particulièrement copieux ou lors de tensions psychiques. Une angine de poitrine instable (qui peut se manifester au repos, en dehors de tout effort physique) représente un risque nettement accru d’infarctus du myocarde qui justifie de consulter rapidement un médecin. L’infarctus du myocarde survient lorsqu’une ou plusieurs artères


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FICHE MALADIE

PLANÈTE SANTÉ – OCTOBRE 2018

coronaires sont complètement obstruées. C’est le cas lorsqu’une plaque d’athérome se fissure, entraînant ainsi la formation d’un caillot qui obstrue entièrement l’artère, si bien que l’organe qu’elle est supposée irriguer ne reçoit plus de sang. Lorsque le cœur est concerné, on parle d’infarctus du myocarde. Chez les hommes, l’« attaque cardiaque » se manifeste en général par une douleur intense et persistante ou une forte douleur au niveau de la poitrine qui irradie vers la mâchoire et les membres supérieurs, et une sensation de constriction ou de brûlure en arrière du sternum. Les femmes sont moins touchées que les hommes par les infarctus, mais leur prise en charge est également moins bonne. En cause, un diagnostic souvent tardif car les manifestations de l’infarctus chez la femme sont souvent moins marquées, avec des symptômes moins typiques : fatigue, nausées, gêne respiratoire,

plus stables et ont moins tendance à rancir. Elles sont également présentes, mais en quantité moindre, dans les produits d’origine animale tels que les graisses de bœuf et de mouton ainsi que les produits laitiers. À l’opposé, pour autant qu’ils soient consommés en petites quantités, certains lipides sont bénéfiques pour la santé. Ils limitent la fabrication de mauvais cholestérol dans le sang et augmentent le bon cholestérol. C’est le cas des graisses monoinsaturées et polyinsaturées contenues dans les huiles d’olive, de colza, de tournesol, de soja ou de maïs, les oléagineux (graines de sésame, de courge, noix, amandes, etc.) et les poissons gras (sardine, saumon, truite). Les œufs, bien qu’ils soient riches en cholestérol (le jaune en particulier), ne devraient pas être bannis pour autant de l’alimentation. Ils peuvent être consommés avec modération sans

anxiété, douleur entre les omoplates, ballonnements et sensation de pesanteur ou de compression entre les seins. L’accident vasculaire cérébral (AVC) ou « attaque » cérébrale survient lorsqu’une artère cérébrale et/ou une artère qui amène le sang au cerveau (carotide) se bouchent. Le processus qui amène à cette occlusion est le même que pour les artères coronaires. L’insuffisance artérielle des membres inférieurs apparaît lorsque l’accumulation de plaques rétrécit une ou plusieurs artères conduisant le sang aux jambes. La maladie passe longtemps inaperçue, jusqu’à la survenue de douleurs durant la marche qui contraignent à s’arrêter toujours plus souvent après avoir parcouru des distances toujours plus courtes. Cette maladie concerne la plupart du temps des fumeurs de plus de 50 ans.

être nocifs pour le cholestérol sanguin. Selon de nombreuses études, l’activité physique alliée à une alimentation équilibrée joue un rôle plus important dans la prévention des maladies cardiovasculaires qu’un régime seul pauvre en cholestérol. L’activité corporelle est un facteur d’équilibre du cholestérol. Elle agit comme un consommateur de cholestérol et participe à l’utilisation des graisses comme carburant des muscles. Une activité, aussi faible soit-elle, vaut mieux que pas d’activité du tout. Les ligues de santé recommandent de pratiquer au moins deux heures et demie (150 minutes) d’activité physique par semaine, sous forme d’activités du quotidien ou d’activité physique d’intensité moyenne (marche rapide, vélo, jardinage), ou une heure de sport ou d’activité physique d’intensité élevée (course à pied, natation, ski de fond). L’idéal est de répartir l’activité sur plusieurs jours de la semaine et d’effectuer trente minutes d’activité physique par jour. Toutes les activités physiques de dix minutes au moins peuvent être comptabilisées dans le total de la journée. En prévention primaire, en plus de la modification des habitudes de vie, la prescription d’une statine peut être préconisée par le médecin. En prévention secondaire, soit après un événement cardiovasculaire, un suivi étroit (taux cible de cholestérol plus bas) avec un traitement combiné (médicaments et hygiène de vie) est indiqué pour éviter les récidives.

Prévention Les piliers sur lesquels repose la prévention primaire (avant la survenue d’un événement cardiovasculaire) de l’hypercholestérolémie sont identiques à ceux sur lesquels se base le traitement : une alimentation saine et variée accompagnée d’une activité physique. Une alimentation équilibrée permet d’améliorer le taux de cholestérol. Elle participe à la réduction du taux de mauvais cholestérol (LDL) et protège ainsi l’organisme des maladies cardiovasculaires. Une alimentation saine pauvre en matières grasses entraîne toujours une baisse du taux de cholestérol. La pyramide alimentaire représente un bon repère pour composer un repas. Manger varié et équilibré signifie puiser dans tous les étages de la pyramide et diversifier les aliments au sein de chaque groupe. Pour faire baisser le taux de mauvais cholestérol, il est recommandé de veiller à la quantité et à la nature des graisses consommées. Certains lipides poussent le foie à fabriquer plus de cholestérol que nécessaire et diminuent ses capacités à l’éliminer. C’est le cas des graisses saturées, principalement présentes dans les produits d’origine animale, les préparations alimentaires industrielles sucrées ainsi que dans les huiles de palme et de coco. C’est aussi le cas des graisses « trans », présentes en grande quantité dans pratiquement tous les produits issus de l’industrie agroalimentaire, parce qu’elles sont

Quand contacter le médecin ? Toute personne qui présente des douleurs de type angine de poitrine (serrement thoracique, sensation de brûlure, d’oppression, avec irradiation parfois vers la mâchoire, les épaules ou même l’estomac (mimant une indigestion)) qui durent plus de 5 minutes devrait composer le numéro de téléphone 144 afin d’expliquer ses symptômes et bénéficier d’une prise en charge urgente si nécessaire. Toute personne qui présente un déficit, même momentané (quelques minutes), d’une activité neurologique (perte de connaissance, difficulté à parler, trouble de la vue, gêne ou impossibilité de bouger un ou plusieurs membres) devrait composer, elle-même ou un témoin, le numéro de téléphone 144 afin d’expliquer ses


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symptômes et bénéficier d’une prise en charge urgente si nécessaire. De même en cas de soudaine paralysie, de troubles sensitifs ou d’affaiblissement, le plus souvent d’un seul côté du corps (visage, bras, jambe), de cécité subite (souvent d’un seul œil), de vision double ou encore de difficultés à parler ou à comprendre ce qui est dit.

Informations utiles au médecin Le médecin voudra savoir : → s’il existe des antécédents familiaux d’hypercholestérolémie ou de maladies cardiovasculaires, qui peuvent indiquer une hypercholestérolémie d’origine génétique ; → quelles sont les habitudes en matière d’activité physique et d’alimentation ; → quels sont les médicaments habituels ; → s’il existe d’autres maladies, notamment un diabète de type 2 ; → si la patiente prend un contraceptif oral ou une hormone de substitution ; → si le-a patient-e fume ; → quel est son IMC (index de masse corporelle).

Taux de cholestérol

Valeurs normales

Cholestérol total

Inférieur à 5,20 mmol/l chez une personne, homme ou femme, ne présentant aucun facteur de risque d’hypercholestérolémie

Cholestérol-LDL (mauvais cholestérol)

Inférieur à 3,5 mmol/l

Cholestérol-HDL (bon cholestérol)

Homme : supérieur à 1,65 mmol/l Femme : supérieur à 2,0 mmol/l

Triglycérides

Homme : inférieur à 1,7 mmol/l Femme : inférieur à 1,5 mmol/l

Si le bilan lipidique présente des anomalies, on parle de dyslipidémie. Le terme d’hypercholestérolémie s’applique lorsque le taux de mauvais cholestérol est trop élevé. L’hypertriglycéridémie définit un taux de triglycérides trop élevé. Enfin, le terme hyperlipidémie mixte correspond à un taux trop élevé de mauvais cholestérol et de triglycérides. La valeur standard du rapport cholestérol total/cholestérol-LDL est de 4,0. Au-dessus de ce chiffre, on estime que le risque de développer une maladie cardio-vasculaire est important.

Examens Une prise de sang à jeun permet de faire un bilan lipidique. Celui-ci va indiquer le profil complet de l’ensemble des graisses du sang : les taux de cholestérol total, de cholestérol-LDL (mauvais cholestérol), de cholestérol-HDL (bon cholestérol), et de triglycérides. Le dosage est indiqué en mmol par litre de sang.

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Références • www.swissheart.ch : site de la Fondation suisse de cardiologie. • En finir avec le cholestérol, Anne Dufour et Carole Garnier, Leduc.s éditions, 2018. • www.gsla.ch : site du Groupe de travail Lipides et Athérosclérose (GSLA) de la Société Suisse de Cardiologie (SSC).


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PEOPLE

PLANÈTE SANTÉ – OCTOBRE 2018

ADA MARRA

« IL FAUT QUE JE SOIS AU BORD DE LA MORT POUR ALLER CHEZ LE MÉDECIN » La santé, pour elle, n’est pas tant une question personnelle que collective. Elle avoue ne jamais faire de sport et boire des litres de soda. Mais elle a fait de l’aide aux personnes en situation de précarité son cheval de bataille. Rencontre avec la conseillère nationale Ada Marra, femme engagée et passionnée. PROPOS RECUEILLIS PAR CLÉMENTINE FITAIRE

Planète Santé : La Suisse est l’un des pays

où on vit et où on se soigne le mieux. D’où tient-elle cette place de leader ? Ada Marra : Même si on peut évidemment toujours faire mieux, notre pays dispose de beaucoup de moyens pour développer de nouvelles approches et financer la recherche. Le pouvoir d’achat des Suisses est incomparable à celui d’autres pays, même à côté de chez nous. Cela étant, on s’achemine quand même malheureusement vers une médecine « à deux vitesses ». Au niveau des cantons, d’une part. Est-ce normal que la prise en charge des prestations dans un même contexte soit si différente entre deux cantons ? Et d’autre part, d’un point de vue socio-économique, avec des gens qui pourront se payer des soins et d’autres pas. Car quand on est dans la précarité, se soigner n’est pas une priorité. En effet, certaines personnes n’ont pas les moyens de se soigner, ou font passer leur santé après le reste. Cela risque-t-il de s’aggraver à l'avenir ? Oui, car on est dans une société où il y a un accaparement des richesses par une minorité de personnes, tandis que le reste de la population doit se débrouiller. Une étude récente a montré que lorsqu’une

facture imprévue de 2 000 CHF arrive, un foyer de la classe moyenne sur cinq ne peut pas la payer. Les gens doivent de plus en plus faire des arbitrages sur leurs priorités en matière de dépenses. Quel est selon vous le principal enjeu de demain en matière de santé ? C’est indéniablement le vieillissement de la population. Comment soignera-t-on demain ces personnes plus âgées et plus malades ? Pour ma part, je crois beaucoup aux institutions peu médicalisées – comme il en existe déjà quelquesunes dans le canton de Vaud –, avec des lieux de vie communs mais aussi des chambres individuelles. Des espaces de vie agréables avec une autonomie mais aussi un partage, et une assistance si besoin. L’autre défi, c’est de quitter le monde de plus en plus technique du domaine médical pour remettre la personne au milieu du processus de guérison. Ré-humaniser les soins. Une solution miracle pourrait-elle permettre de régler la question des coûts de santé ? Une nouvelle hausse de 4 % a été annoncée pour 2019… Non, il n’y a pas de solution miracle. Les coûts de la santé augmentent d’année

en année. Il convient aujourd’hui de se demander dans quelle société nous voulons vivre : est-ce que nous voulons vivre le plus longtemps possible ? Tout anticiper ? Avec quels moyens ? Au-delà de ce constat, je tiens à insister sur une chose : certes, les coûts de la santé augmentent, mais les primes d’assurance maladie augmentent plus vite que ces derniers. L’assuré est le dindon de la farce. Pensez-vous que l’on « surmédicalise » trop ? Oui, et tant mieux, d’un côté. Heureusement que les choses ont évolué depuis cent ans. D’un autre côté, certains gestes médicaux sont inutiles. Ça ne veut pas dire qu’on ne doit pas se soigner, bien au contraire, on doit même démocratiser la santé et comprendre que ce n’est pas un bien mercantile. Le risque zéro en matière de santé n’existe pas, mais on veut nous faire croire le contraire et on « surprescrit » des gestes médicaux, des examens, des soins. On vit dans une certaine illusion par rapport à ça. Quel rapport entretenez-vous avec votre propre santé ? Je me sens très concernée par la santé d’un point de vue politique, c’est-à-dire


©NICOLAS SCHOPFER


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au travers des associations qui luttent contre la précarité, car je vois bien l’incidence qu’elle peut avoir, les facteurs qui peuvent la péjorer. Mais d’un point de vue personnel et privé, je ne me sens pas vraiment concernée. Il faut que je sois au bord de la mort pour aller chez le médecin ! C’est familial, on nous a élevés comme ça. Mais je ne suis pas un exemple à suivre. Quel est votre plaisir coupable ? Depuis à peu près sept ans, je bois en moyenne 50 cl par jour de soda au cola light. C’est beaucoup trop. Mon corps et mes veines en pâtissent. C’est une vraie addiction ! Vous semblez aussi « accro » à votre travail, votre engagement associatif, les réseaux sociaux. Diriez-vous que le travail, c’est la santé ? Non, pas du tout. Personnellement, j’ai la chance de faire partie des gens dont le métier est une passion. Alors, pour moi, oui, c’est la santé. Mais il y a plein de personnes qui ont malheureusement un travail aliénant, stressant. Je ne suis pas dans la sacralisation du travail, je ne suis pas du tout stakhanoviste ! Êtes-vous une femme stressée ? C’est vrai que la politique est très stressante. C’est passionnant, mais ça peut être très violent aussi. On vit de fortes trahisons, mais aussi des rencontres incroyables. Comment peut-on se protéger des coups que l’on reçoit, de ses collègues ou du public, sur les réseaux sociaux notamment ? On ne peut pas toujours. Des fois, on est pris au dépourvu. Il y a des gens qui arrivent à mettre plus ou moins de distance, mais moi je n’en fais pas partie. En politique, il faut avoir des soupapes pour se recentrer. Comme beaucoup de politiques, dormez-vous très peu ? Oui, je dors très peu… et très mal. J’aimerais dormir plus et mieux, mais je n’y arrive pas.

PEOPLE

Avez-vous le temps de pratiquer une activité physique ? Non, jamais ! Ma devise, c’est la même que Churchill : « No Sport ». Parfois, tout d’un coup, il me prend une envie d’aller nager par exemple ou de faire du vélo d’appartement. J’en fais à fond pendant trois mois puis j’arrête pendant trois ans ! Par contre, j’ai une hygiène de vie plutôt saine : je ne bois pas, je ne fume pas, je ne me drogue pas… alors je me dis que ça compense.

BIO EXPRESS 1 973 Naissance à Lausanne, de parents immigrés italiens. 1 997 Entre au parti socialiste suisse et en devient secrétaire générale pendant sept ans. 20 0 7 Elue conseillère nationale pour le Canton de Vaud. 1 2 févr i e r 20 1 7 Adoption à la majorité de l’arrêté concernant la naturalisation facilitée des étrangers de la troisième génération, neuf ans après le dépôt de son initiative parlementaire. 20 1 7 Parution de son livre Tu parles bien français pour une italienne ! aux Ed. Georg.

Vous avez la nationalité italienne et vous êtes très attachée à ce pays. On dit que la nourriture méditerranéenne est gage de longévité… vous êtes d’accord ? Oui, la diète méditerranéenne – avec ses légumes, ses matières grasses – est très

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saine évidemment. Mais moi je suis aussi Suisse ! Et j’adore la fondue, la raclette, les meringues. Avez-vous recours aux médecines alternatives ? Je n’y connais pas grand-chose, mais je n’y suis pas du tout fermée. J’ai déjà fait des séances d’acupuncture et j’ai trouvé ça super. Je pense que le côté positif des médecines alternatives est de nous reconnecter à notre corps, à la nature, à notre environnement. Dans cette espèce de course à l’individualisme, à l’homme augmenté, face à cette tentation de la surperformance, de la technologie, de l’hygiénisme, etc., on oublie d’où on vient : de la nature. On a tendance à croire qu’on est des dieux, qu’on maîtrise tout, y compris la santé. Mais il faut parfois ralentir le rythme, retrouver un dialogue avec la nature. Se couper de la technologie et du mythe du « surhomme ». Votre frère, Luigi Marra, anime sur RTS l’émission « Dans la tête de ». Un de ses sujets vous a-t-il particulièrement marquée ? Oui, l’une des émissions m’avait frappée, elle portait sur les TOCS : des gens qui gardent tout, qui amassent tout, ce qui se traduit parfois par de grandes angoisses. Personnellement, je n’ai pas de TOCS mais je connais des gens qui en ont. C’est très compliqué pour eux, évidemment, mais aussi très difficile pour leur entourage. Ça soulève d’ailleurs un sujet qui me paraît central, dont on parle très peu : les proches aidants. Je suis admirative de ces gens dans l’ombre, qui gèrent et accompagnent les malades. Quelle est votre citation préférée ? Celle de ma grand-mère en dialecte du Salento (Italie) : « Se è turtura all’acqua torna ». Qui signifie : « Si c’est une hirondelle, elle reviendra au point d’eau ». J’aime cette idée qu’il faut parfois faire confiance aux choses qui nous échappent, que nous ne contrôlons pas. ●


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« J’ai envie de comprendre… » À destination des patients Par des journalistes scientifiques, en collaboration avec des médecins suisses romands

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