En Être N°2
DIALOGUE AVEC — Nathalie Genot
pour Nathalie, l’art prend la forme de réélaborations intérieures. « Mes carnets sont composés de textes poétiques. […] Après 10 ans « d’écriture » de vie : d'expériences et de résilience, et suite à mon départ de Belgique, j’étais prête à me consacrer pleinement à mes projets artistiques ». Ce que les œuvres de Nathalie Genot donnent à voir est un processus créatif qui se dévoile dans le respect de la subjectivité. « Mon travail c’est ça : je crée des univers, ou des mondes, avec des éléments qui ne servent plus. » Elle poursuit : « Je trouve les objets, je ne les cherche pas, je les recueille ; […] en fait, on se retrouve, car tout est vivant ». Les œuvres de l’artiste sont des mondes créés pour une condition de survie existentielle. Ces mondes ne sont pas dichotomiques ; la sphère intérieure et le monde extérieur de l’artiste ne sont pas en conflit mais se reflètent. « À l’intérieur d’un être humain, ou d’une chose, rien n’est à jeter, tout est essentiel ». Entre l’humain et le monde, l’objet et la nature, s’établit une conversation presque fusionnelle. Nathalie Genot, La séquentielle, 2016
Cet entretien est le fruit d'une rencontre entre l'artiste Nathalie Genot, qui figurait parmi les participants au 70e festival en 2021, et Maica Gugolati, anthrologiste et philosophe. Cet échange permet de découvrir quelques-uns des « mondes » de Nathalie Genot.
Le leitmotiv qui guide son travail est celui de la con-versation : de l’étymologie latine cum-versare : se retrouver-ensemble, dans ses propres différences. Chaque œuvre propose un partage de la vie intérieure de l’artiste. Sa « conversation » est avant tout introspective et interne. Ses œuvres se font la voix de certaines questions et de leurs réponses. Tout commence par l’écriture, qui prend plusieurs formes : écriture du geste, du son, du signe, du rythme et du texte. Cet acte devient un métadiscours qui rayonne et s’approprie son espace, propre aux matériaux plastiques et aux installations, à travers plusieurs ramifications. Elle commence par « écrire » sa vie ;
Nathalie Genot, Équilibre temporel - Espace-Temps, 2021
Nathalie Genot, Coeur épineux, 2014-2015
Notre conversation continue par la signification de la fragmentation, sujet qui est traité dans le projet composé de huit modules « L’enfermement avec soi, sa famille, son couple » et de ses possibles sorties : « Il est question d’écrire d’une autre manière les ressentis de l’enfermement au quotidien et, au fur et à mesure, enlever certaines couches pour y découvrir son propre être ». Dans cette série, Nathalie nous interroge indirectement sur notre perception de la fragmentation interne. Est-ce que c’est une perte d’unité ou une mise en valeur de la pluralité de chaque personne ? Le public est libre d’appréhender cette question et d’y répondre sur la base de sa vérité personnelle. Dans ses œuvres, la fragmentation est une étape inhérente au processus créatif, qui produit des mosaïques d’émotions. « J’ai cassé les coquilles et j’ai récréé un territoire sur des boules en verre... ». Cette pratique du fractionnement de territoires pour en créer des autres reflète son expérience intime du départ de son pays de naissance, qui opère comme un déclencheur de son travail d’élaboration nouveaux « territoires » géographiques, intimes et créatifs. La sculpture Cœur Épineux, réalisée à partir de coquilles d’oursins, montre la double dynamique de la défragmentation et de la création. L’art plastique devient une force réparatrice et un espace de sécurité où chaque équilibre intérieur se forme et se consolide.
Nathalie Genot, Nature fragile, 2020
La répétition est une composante capitale de la vision de l’artiste. Elle peut être compulsive dans le contexte d’une matrice
Nathalie Genot, Vibration éphémère, 2013-2014
d’auto-conviction, comme une boucle qui se répète sans fin en empêchant toute forme d’agentivité. Mais c’est aussi une matrice apaisante à la manière d’un mantra, qui produit équilibre et stabilité, un espace où l’on peut se perdre pour mieux se centrer. Cette répétition adopte aussi la forme du rituel et de la filiation avec ses grandsparents. « Dans chaque œuvre, il y a toujours quelque chose de mes grands-parents ». Ses œuvres amènent à une con-versation qui dépasse la notion linéaire du temps. Dans l’œuvre Vibration Éphémère, par exemple, elle transforme des bandes magnétiques musicales en questionnant à la fois la valeur de la trace et la portée éphémère de la perte. « Toute cette musique n’existe plus, qu’est-ce qu’il en reste ? » dit l’artiste. Elle continue : « Il était important pour moi de jouer sur les rythmes du fonctionnement intérieur et sur la respiration. Les trouver correspond à la vibration du territoire intérieur. Ce rythme, fait par les événements marquants de la vie, devient mélodie lorsque sa composition est homogène ». La con-versation qu’expriment les œuvres de Nathalie Genot est phénoménologique ; les objets rencontrés tout au long de sa vie forment des « recueils d’informations ». Des détails intimes, familiaux, naturels ; le tout est soigneusement recueilli, sélectionné, organisé et répété dans une forme de rituel. « Aujourd’hui j’ai terminé la thématique de l’enfermement » Nathalie affirme : « je suis dans une nouvelle recherche sur l’équilibre naturel ».
Nathalie Genot, Semons des possibles, 2021
Avec certains des matériaux qui rappellent ses grands-parents, l’installation devient un moyen de communication avec le monde, qui s’incarne dans le public. Cet élément de filiation, ou fil-liaison, permet une communication en tension, que traduisent les fils tendus entre les épingles de sa grandmère et le tronc d’arbre récupéré sur un terrain familial. La tension exercée sur les fils garantit un équilibre des forces, un Équilibre Naturel. Le fil devient ainsi une « respiration », qui permet par sa dynamique de s’extraire des dichotomies. « Le fil, c’est encore une tension qui me ramène à l’équilibre. C’est la tension du fil entre les aguilles qui me remet en phase. Et cette tension est là dans toute sa fragilité ». C’est dans cette tension que l’artiste peut clôturer son action : « Je dis, stop maintenant, l’œuvre est finie ». Le processus se forme et se concentre introspectivement, pour ensuite presque exploser dans l’acte créatif. « Quand je filais ça sortait des mots, et ça sortait le contrôle aussi ». La fragilité et la dureté dans la matière de la sculpture expliquent ici des hémisphères internes qui se dévoilent dans un équilibre de coexistence. L’artiste nous livre une partie d’elle-même. Ces tensions sont des questions que l’artiste se pose, et auxquelles elle apporte sa propre réponse, avant de les donner au public. C’est ainsi qu’elle nous invite à connaître nos propres Territoires Intérieurs. Ceci est le projet suivant de l’artiste, constitué lui aussi de plusieurs sculptures et installation,
continue l’interrelation entre l’hémisphère intérieur et celui extérieur : « Si tu ne connais pas tes propres territoires, comment tu veux écouter vraiment l’autre, sans juste t’écouter toi-même ? » Ses œuvres se chargent d’un métadiscours entre l’intime, le monde, les affects, le tout transposé au public. Ce dernier, comme pris dans un jeu de reflets entre deux miroirs, où l’image se multiplie indéfiniment, absorbe les questions matérialisées sous forme plastique et il est invité à trouver sa propre réponse. Comme entre deux miroirs anciens et déformants, les questions-réponses se réverbèrent et s’élargissent à plusieurs niveaux de réfringence, qui métaphoriquement deviennent le monde. Encore une fois, avec les œuvres de Nathalie Genot, l’interne et l’externe, l’intime et le social sont des parties d’un tout qui dépasse l’être humain pour offrir une communication avec tout être vivant. C’est sur ces paroles que Nathalie conclut notre entretien en souriant, et que je termine moi-même ce texte : « Si j’arrive à semer cette graine dans la tête des gens, mon boulot en tant qu’artiste… franchement … j’aurais tout réussi ! ». Merci à toi pour ces con-vergences. Comvergere : un hymne à la tension-ensemble.