La porte des Phocéens
Projet de fin d’études, département H21 École nationale supérieure d’architecture de Marseille 28 Juin 2018 Gurvan Arnaud, Bastien Bréa
Membres du jury Stéphanie David (enseignante de l’ÉNSA de Grenoble) Nicole Rullan (personnalité extérieure) Delphine Désert (enseignante du département La Fabrique)
Mariusz Grygielewicz (enseignant du département LAB 43) Mohamed Belmaaziz (enseignant du département H21) Jean-Marc Huygen (directeur d’études)
Préface Ce projet est l’aboutissement du travail d’un semestre en binôme au sein du studio Relation et Sobriété du département H21 de l’école nationale supérieure d’architecture de Marseille. La volonté d’un travail collectif est née de l’unification de deux problématiques prenant place sur un même site et apportant plus de cohérence au projet général de transition du quartier du Panier à Marseille. L’école favorisant les projets de fin d’étude individuels, nous avons dans un premier temps essayé de nous séparer. Nous nous sommes répartis le site et le programme tant bien que mal, ce qui nous a conduis à un projet peu cohérent et peu pertinent. Nous ne souhaitions pas le continuer dans l’état, et nous avons décidé de travailler ensemble à la mise en place des éléments principaux : volumétrie générale et différents programmes. C’est seulement à partir de ce moment que le projet est devenu pertinent et s’est enrichi tant de nos volontés personnelles que de nos visions respectives de l’architecture. Ce projet est l’aboutissement des années d’études nous amenant vers notre futur métier, c’est pourquoi nous avons souhaité travailler en accord avec nos visions du monde et eu l’envie de travailler en groupe. L’architecte n’est jamais seul, il collabore avec d’autres corps de métiers (maîtres d’ouvrages, bureaux d’études, artisans, élus locaux, etc.), mais aussi avec ses collègues le plus souvent. De ces volontés découle le projet de « porte des Phocéens », aboutissement de ce semestre comme du master en architecture, nous permettant ainsi de nous former à d’autre pratiques comme celle d’architecte praticien, ce vers quoi nous nous dirigeons tous deux pour la prochaine étape de notre vie.
3
Préface
3
Introduction
5
I. L’ urbe du Panier : de l’isolement à l’autonomie
6
I.1.
Le quartier du Panier à Marseille
I.2.
Vers une urbe du Panier
13
a. b. c.
13 13 16
I.3.
Les enjeux de l’accessibilité et d’une économie locale
19
a. b.
19 19
Auto-soutenabilité Modèle de l’urbe Les cinq enjeux de l’urbe L’accessibilité Une économie locale
II. La porte des Phocéens
6
24
II.1.
Site et objectifs particulers
24
a. b. d.
24 30 32
II.2.
Intentions
II.3.
Le projet
46
a. b. c. d. e. f. g.
46 48 50 52 54 56 58
Situation existante et rupture Un ancien couvent Objectifs et statégies d’intervention
Implantation programmatique Le parcours, un découpage séquentiel Ressourcerie, théorie et fonctionnement Accueil et hospitalité, les caractéristiques d’une porte Végétation, de l’ombre au comestible Aspect économique Matériaux et détails techniques
34
Conclusion
60
Cadre pédagogique du studio « relation&sobriété », département H21
62
4
Introduction Fabriquant la ville, l’architecte influe sur les modes de vie des usagers. La réponse architecturale peut s’enquérir de problèmes sociaux et politiques, une approche d’autant plus pertinente au vu des perturbations actuelles que vit la société. Ce projet de fin d’étude est pensé collectivement dans le cadre du studio (nous sommes dix à travailler une problématique commune) pour intervenir avec de telles préoccupations afin de proposer un quartier du Panier frugal, convivial, et soutenable : l’urbe du Panier. L’analyse du quartier nous a amenés au constat qu’il souffre de son insularité : il dépend aujourd’hui beaucoup des apports extérieurs (une mono-orientation économique vers le tourisme, une accessibilité dépendante de la mobilité mécanique, une dépendance à l’importation et à l’exportation de matière). Or, pour atteindre l’auto-soutenabilité, il faut qu’il s’affranchisse de cette dépendance et développe une autonomie de résilience. Notre proposition est d’établir une nouvelle « porte d’entrée » au Panier, dont l’objectif et de faciliter l’accès au profit d’une mobilité douce, et d’améliorer la gestion de ses ressources matérielles et humaines en développant une activité profitable au quartier. Nous commencerons par définir ce qu’est le modèle de l’urbe et les enjeux de son application dans un tel contexte. Ensuite, nous présenterons le site d’intervention et les objectifs particuliers qui y sont associés. Enfin nous développerons nos propositions architecturales et urbaines, de leurs intentions à ses particularités.
5
I. L’ urbe du Panier : de l’isolement à l’autonomie Pour atteindre l’état d’urbe, que l’on peut définir succintement par l’harmonie entre le milieu et ses usagers, le Panier doit évoluer et s’adapter. Par l’analyse, nous identifions certains problèmes qu’il rencontre, que ce soit à cause de sa situation géographique ou à cause des modes de vie.
I.1. Le quartier du Panier à Marseille Un espace public difficilement accessible par les personnes à mobilité réduite et phagocyté par les voitures : - un problème d’accessibilité dû à la topographie (pentes et escaliers omniprésents) (cf. Fig.1) ; - pas de parking public (cf. Fig. 2) ; - pas de desserte de transport en commun en cœur de quartier (cf. Fig. 3) ; Un flux conséquent de matière : - une production destinée majoritairement au tourisme, donc sortant du Panier (cf. Fig. 4 et 5) ; - pas de ressources matérielles premières, donc un fort besoin d’importations (cf. Fig. 6) ; - une production de déchets peu valorisée devant ressortir du quartier (cf. Fig. 6). Une autonomie économique fragile : - une mono-orientation économique dépendante du tourisme (cf. Fig. 5) ; - une économie ne profitant pas aux habitants, centrée sur les échanges marchands (cf. Fig. 5 et 6) ; - l’assouvissement des besoins quotidiens dépendant totalement des importations de l’extérieur.
6
Circulation à sens unique Escaliers Pentes (sens de la montée) Voies ou espaces exclusivement piéton Voies ou espaces limités aux deux roues Voies ou espaces à circulation réglementée Voies lmitées aux véhicules individuels Voies lmitées aux véhicules légers
Fig. 1 Caractère des voies et accessibilté. 7
561
Quartier de la Joliette
193 49
20
Joliette
Préfecture Quartier du Panier
298 (161 Tourette)
254
121 (75 Tourette) 52
519
Quartier de la Préfécture
Panier 140 47
540
25
Quartier du Vieux Port
Vieux-Port 81
130 52
Fig. 2 Nombre de places de stationnement par quartier. 8
Trajets maritimes Ligne de tramway Ligne de mĂŠtro Lignes de bus
Fig. 3 Accès aux transports en commun. 9
Artisanat/création Céramique Métal/verre/bois Lutherie Typographie/sérigraphie Artiste Savon/huile/parfum Mixte/co-working Vêtement/accessoires Chocolaterie
Culture Sport/loisir Galerie d’art Musée Théâtre Bibliothèque École
Commerces quotidiens Épicerie Boucherie/charcuterie Boulangerie
Commerces occasionnels Boutique touristique Vêtements Cave Brocante
Services Médecin/kinésithérapeute Services divers Pharmacie Bar/restaurants Entreprise
Fig. 4 Activités du quartier. 10
Institutions Activité destinée au tourisme Commerce émergent mixte Service et commerce de proximité
Fig. 5 Destination des activités du quartier. 11
Fig. 6 Gestion des ressources actuelle. Institutions Activité destinée au tourisme Commerce émergent mixte Service et commerce de proximité
Fig. 7 Gestion projetée des ressources projetée. 12
I.2. Vers une urbe du Panier
a.
Auto-soutenabilité
La soutenabilité est une manière de se comporter répondant aux besoins de la génération présente (en particulier des plus démuni-e-s) sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. On arrive à l’auto-soutenabilité lorsque les habitants se sentent responsables de leur environnement proche et lointain. Ils participent au processus d’entretien et d’évolution de la ville, chacun y trouve sont intérêt qui participe à l’intérêt commun. Ainsi les usagers prennent soin de leur environnement sans se voir imposer des règles venant d’un pouvoir supérieur. Pour définir un fragment de ville fonctionnant sur un principe d’auto-soutenabilité, nous utiliserons la notion d’« urbe », terme d’Ildefonso Cerdá 1, enrichie des principes d’Alberto Magnaghi 2 et de Salvador Rueda 3 qui démontrent la nécessité de fragmenter la ville en petites unités (des villages de ville pour le premier ou des super-îlots pour le second) autonomes et reliées.
1. Ildefonso Cerdá, La théorie générale de l’urbanisation, Les Éditions de l’imprimeur, coll. « Tranches de villes », Besançon, 2005 (1979 - 1859), p. 98. 2. Alberto Magnaghi, Le projet local, Mardaga, coll. « Architecture+Recherches » n° 44, Sprimont, 2003 (2000). 3. Albert Garcia Espuche i Salvador Rueda (dir.), La ciutat sostenible, Centre de Cultura Contemporània de barcelona, coll. « Urbanitats », Barcelone, 1999.
b.
Modèle de l’urbe
Sur la figure 9 p. 15, les grosses taches représentent les fonctions en rez-dechaussée, les petites représentent les flux : - en rouge, les flux automobiles parcourent le territoire et puis la périphérie de l’urbe, et s’arrêtent éventuellement dans des nœuds d’échanges multimodaux. Ils marquent la limite de l’urbe ; - à l’intérieur de l’urbe, on utilise essentielement des moyens de déplacement doux, en rose pâle, sans pollution visuelle, spatiale, sonore ni environnementale ; - le vert représente les ressources naturelles et patrimoniales de l’urbe. Ce sont des rivières, des couloirs végétaux, des oiseaux, l’héritage de l’histoire, etc. ; - en bleu, les centralités sont significatives des caractères ou d’une identité propres à l’urbe ; - l’urbe dispose d’espaces non-marchands, en violet, qui permettent de se retrouver, de se détendre ou s’amuser, sans obligation de payer ; - la mixité représentée par le jaune et l’orange pourrait être déclinée en autant de couleurs chaudes qu’il y a de fonctions dans une ville. 13
Ressources
Nature, patrimoine, territoire
Mobilité
Nœuds multimodaux, flux routier
Mobilité douce
Circulation apaisée automobiles/piétons
Centralités
Marchandes ou non-marchandes
Espaces non-marchands
Vieille Charité
Parcs, places, plage, …
Mixité
Fonction diverses, équitablement réparties : loisir, commerces, artisanat, culture, Cathédrale habitation, équipements, …
de la Major
Hôtel-Dieu
Fort Saint-Jean
Mer Méditerranée Fig. 8 Organisation actuelle.
14
Vieille Charité Cathédrale de la Major
Hôtel-Dieu
Fort Saint-Jean
Mer Méditerranée
Fig. 9 Organisation de l’urbe . 15
c.
Les cinq enjeux de l’urbe
Centralité La centralité est l’espace qui où nous vivons ensemble. Elle permet de passer du statut d’individu à celui de personne. C’est par exemple la place qui fédère, relie, réunit plusieurs pouvoirs, personnes, époques, usages et fonctions. La rue participe également à la centralité. C’est un espace plus dilaté qui réunit deux centralités, mais qui peut également être une centralité à une échelle plus diffuse et moins concentrée. La centralité est un espace public d’ordre social défini par les usagers, sa dimension et sa symbolique. L’homme et la collectivité résident au sein de cet espace creux. Les centralités (ou polarités) permettent l’identification et la reconnaissance des caractéristiques du quartier. Elles permettent de façon physique et/ou métaphysique de redéfinir sa place, d’affirmer une histoire, un patrimoine, propres au lieu et à la communauté mixte du quartier. Limite et lisière Dans l’urbe, la limite est clairement compréhensible (urbe ou non-urbe). Ce n’est pas un rempart de protection mais une lisière par laquelle l’urbe communique avec son milieu (nature et autres urbes) et le re-connaît (s’en sent donc responsable). À cette porosité périphérique, s’ajoute une porosité transversale : des ruisseaux et canaux, des chemins végétaux sont autant des passages de nature et de maillage que des dispositifs de convivialité avec la nature et de son utilisation douce. Dans cette dernière catégorie, nous pouvons intégrer les voies et les percées visuelles permettant elles aussi une porosité du système. Pour Alberto Magnaghi, « la limite devient alors le concept opératoire qui permet de définir des échelles [...] Certes, il ne s’agit pas de rétablir des murs et des bastions de pierre, mais d’intégrer dans le projet urbain les variables que nous avons occultées et abandonnées dans la course effrénée que nous poursuivons pour nous affranchir de l’emprise territoriale : ces variables – absolues et relatives – qui fixent des limites à la croissance et réhabilitent la notion de ‘‘mesure urbaine’’. […] Les limites du village urbain sont déterminées par un ensemble complexe de facteurs allant des traits historiques aux itinéraires piétonniers. 4 »
4. Alberto Magnaghi, Le projet local, Mardaga, coll. « Architecture+Recherches » n° 44, Sprimont, 2003 (2000), p. 89 et 91. 5. Ezio Manzini, Artefacts - Vers une écologie de l’environnement artificiel, Éditions du Centre Pompidou, coll. « Les essais », Paris, 1991 (1990), p. 101. 6. Jean-Marc Huygen, Limites et lisières, studio P2-2 r&s, 2013. Introduction. 7. Dictionnaire Larousse.
16
Au-delà de sa limite, l’urbe se caractérise par sa lisière, l’étendue de son « aire d’influence » relationnelle. Comme pour un organisme biologique, la limite de l’urbe « n’est pas la peau de l’organisme lui-même mais l’organisme augmenté du système de relations qu’il établit avec son environnement. 5 ». De plus, « la lisière d’un système peut être considérée tantôt comme sa limite, tantôt comme la limite de son milieu. Le milieu d’un système est son environnement, l’ensemble des systèmes voisins avec lesquels il entretient des relations : c’est la ‘‘khôra’’ des villes de l’Antiquité grecque. Elle pose la notion de liminal, c’est-à-dire de seuil (en latin, limen). 6 » La lisière d’un système (sa périphérie), en contact avec celle des systèmes voisins, constitue une interface où des éléments des deux systèmes se mélangent, où il y a géographiquement de la bio-diversité. À l’inverse, au centre, leurs éléments sont fortement organisés : l’état de leurs relations y est plus complexe alors qu’il est plus simple en périphérie , moins organisé, plus aléatoire, moins régenté. Mobilité
Caractère de ce qui est susceptible de mouvement, de ce qui peut se mouvoir ou être mû, changer de place, de fonction. 7 Il s’agit du déplacement des êtres et des matières, en lien avec les infrastructures qui le permettent. La mobilité se compose du flux et de son support, le flux étant lui-même défini par sa densité et sa vitesse. La rencontre entre ces deux caractères s’effectue selon différents facteurs et permet de caractériser l’adhérence au mouvement. Celle-ci s’observe lors d’un parcours et varie avec les rythmes qu’offre le territoire. Ainsi un parcours lisse, dégagé, homogène et continu n’opposera que peu d’adhérence au déplacement, c’est de cette manière que sont conçues les voies rapides pour l’efficacité de circulation. En revanche un parcours rugueux, diversifié et discontinu offrira de multiples accroches au sujet sensible. Ce sont ces particularités qui font l’attrait des villes historiques constituées de manière organique, auprès des flâneurs par exemple. La mobilité se décompose suivant une hiérarchie de l’adhérence au mouvement, depuis la circulation territoriale entre les urbes, qui les relie entre elles et permet un déplacement fluide et efficace (possiblement motorisé). Ce type de déplacement longe l’urbe en périphérie, elle fait partie des lisières (territoire entre l’urbe et la non-urbe, mais dépendant et influencé par ses deux urbes limitrophes).
17
Les « portes » sont des interfaces entre ces déplacements à l’échelle territoriale et ceux de l’intérieur de l’urbe. Ces nœuds permettent une transition entre les moyens de déplacement, du motorisé et de sa grande vitesse à la mobilité douce. Ainsi elles peuvent accueillir des structures de transport collectif (gare routière ou ferroviaire, station de métro, de tramway ou bus, etc.) et du stationnement automobile. Ce déplacement intérieur sans véhicule rapide ou polluant ne vient pas d’une contrainte ou d’une réglementation imposées arbitrairement mais d’une logique de déplacement pertinente par rapport à la taille de l’urbe. Le principe des dix minutes à pied énonce qu’un déplacement pédestre est plus efficace qu’un déplacement motorisé s’il est réalisable dans ce temps. Si tous les services et les besoins de tout habitant de l’urbe sont contenus dans ce rayon temporel, alors cette partition de la mobilité est envisageable. Un maillage de mobilité lente débute donc depuis les lisières, où les limites et les portes ont pour rôle de faire sentir l’intérêt de continuer son parcours suivant un mode doux et d’offrir la possibilité d’un arrêt. Complexité « L’urbe est pluri-fonctionnelle. S’y trouve une diversité d’activités qui conduit à la rencontre d’une diversité d’usagers et qui répond au maximum des besoins de base. Avec l’objectif de réduire la quantité de matière et d’énergie entrante et sortante, elle tend vers l’autosuffisance : plus longtemps une matière importée reste à l’intérieur de l’urbe, moins elle ponctionne dans les ressources non renouvelables, plus elle développe des filières de transformation-valorisation avec une diversité d’artisans (marchands ou non-marchands). Le surplus produit permet des relations humaines avec les autres urbes. 8 »
8. Jean-Marc Huygen, « Objectifs », studio P2-2 r&s, 2017-2018. 9. Petit Larousse Illustré, 2012.
Mixité écologique
10. Ildefonso Cerdá, op.cit., p. 98.
La « mixité » vient du mot latin mixtus (de miscere) qui signifie « mêler ». En sociologie, on parle de mixité sociale pour définir la « cohabitation dans une zone, géographique ou une collectivité donnée, d’individus ayant des origines ethniques, sociales, culturelles différentes. 9 »
11. Insularité : isolement topographique réduisant l’accessibilité des personnes et des ressources matérielles, et occasionnant une monoorientation économique. L’insularité est subie et source de ségrégation alors que l’autonomie est organisée, source de mixité, d’autosoutenabilité et de résilience.
La mixité écologique monte à un niveau supérieur en prenant en compte la totalité des êtres vivants (être humain, animal, végétal) tout en ayant conscience de la richesse que cette cohabitation peut apporter à chacun. Ainsi, les différentes activités de base nécessaires à la vie sont imbriquées dans un tissu complexe où
18
12. Porte multimodale : lieu d’interface augmentant l’accessibilité des personnes et permettant la transition de moyens de transport énergivores vers des moyens de mobilité douce (ou l’inverse). La porte est aussi un passage entre deux ambiances et un lieu de rencontre et d’accueil.
des liens sont créés. Cette complexité amène à ne plus réfléchir la ville de la même façon, soit à une échelle urbaine trop large soit de façon hyper-centrée, mais à une échelle intermédiaire, celle de l’urbe définie par Ildefonso Cerdà : « L’urbe est un ensemble d’habitations où demeurent diverses familles - leur nombre importe peu - réunies par un sentiment d’entraide. 10 »
I.3. Les enjeux de l’accessibilité et d’une économie locale Le Panier est aujourd’hui en situation d’insularité 11. Pour l’amener à l’état d’urbe, il faut établir des passerelles qui le connectent à son milieu, afin d’amoindrir sa dépendance à l’extérieur et ainsi le rendre autonome. Pour ce faire, nous allons travailler deux notions principales : faciliter l’accès pour le piéton, et proposer une économie solidaire et responsable des ressources locales. (cf. Fig.8 et 9) Fig. 10 Situation actuelle
a.
L’accessibilité
Faciliter l’accès pour tous les usagers est un moyen de réduire la mobilité mécanique à l’intérieur de l’urbe, donc de libérer l’espace public aujourd’hui fortement occupé par le stationnement, au profit du piéton (et de la mobilité douce). Afin d’atteindre cet objectif, nous proposons d’établir des portes multimodales 12 attractives en lisière du quartier. (cf. Fig. 10 et 11)
Fig. 11 Vers l’autonomie du Panier
b.
Une économie locale
Afin de tendre vers l’autonomie du quartier et sa résilience, il faut diversifier la mono-orientation économique actuelle au profit de ses usagers, ainsi que limiter les besoins en importation et en exportation de matière. C’est dans ce but que nous proposons de garder au maximum la matière à l’intérieur du Panier, et ce par le développement d’un artisanat prenant en compte les ressources présentes destinées auparavant à en sortir. (cf. Fig. 12 et 13)
19
Pentes Escaliers Stationnement au Panier Limites du Panier 50m
Topographie 0
Flux piétons Flux motorisés
Portes multimodales projetées
Voies limitées aux piétons Voies réglementées
Fig. 12 Synthèse de l’accessibilité actuelle. 20
Porte de l’Observance
Porte de des Phocéens
Porte de de la Tourette Porte des Accoules
Fig. 13 Accessibilité projetée. 21
Activités utilisant de la nourriture Bars, réstaurants, épiceries Boulangeries, boucheries
Activités générant des déchets matériels Boutiques, entreprises diverses Artisanat Flux de matière Lieux stratégiques de gestion
Ressourcerie
Conteneur pour recyclage
Concentration de conteneurs
Fig. 12 Synthèse de la gestion actuelle de la matière. 22
Fig. 13 Gestion projetée de la matière. 23
II. La porte des Phocéens II.1.
Site et objectifs particulers
Pour répondre à cette problématique, nous traitons une des portes les plus importantes qui met en relation le Panier et la rue de la République, donc le « centre » de Marseille. (cf. Fig. 14)
a.
Situation existante et rupture
Ce site englobe plusieurs entités aujourd’hui sans connexion, de la rue de la République à la façade est de la Vieille Charité. Première entité, le parking souterrain des Phocéens a son entrée rue Jean-Marc Cathala. Cette rue en impasse venant de la rue de la République communique avec le passage de Lorette par le passage des Folies-Bergères. Ce parking est le seul parking public souterrain situé sous le Panier, mais il est néanmoins monoorienté vers la rue de la République. Il s’étend sur quatre niveaux, dont le dernier est destiné aux logements le surplombant. La place Trigance se trouve au dessus du parking. Anciennement un jardin d’enfant, elle n’est aujourd’hui que très rarement fréquentée. Ce n’est pas « officiellement » une place mais la continuité de la rue Trigance. Un mur de 4 mètres et un grillage de même hauteur la sépare du terrain de boule. Même s’il relève du domaine public, le terrain de boule est occupée par la Fédération française de Pétanque et reste en apparence fermé, car lourdement clôturé. Un mètre cinquante plus bas, rejoignant l’imposante Vieille Charité, le parking exclusif au terrain de boule est très peu occupé (il est reservé pour les compétitions oficielles de pétanque). De ce parking émerge la Vieille Tour, clocher de l’ancienne église du couvent des Hauts Trinitaires de Marseille. La rue du Timon s’élargit devant le terrain de boule, longeant la façade aveugle de la chapelle du Bon-Jésus. Cette respiration ne sert qu’au stationnement pour les travailleurs et habitants des alentours, la saturant toujours de voitures. 24
Fig. 14 Situation de l’intervention.
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Fig. 15 Zoom sur le site d’intervention. 25
Vieille Charité
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1
Fig. 16 Relevé photographique et des usages existants. 27
28
Rue Jean-Marc Cathala 1
Escaliers des rues Sainte-Élisabeth et du Bon-Jésus 4
Entrée du parking des Phocéens 2
Place Trigance depuis la rue Sainte-Élisabeth 5
Rue des Phocéens, au-dessus de l’entrée du parking 3
Croisement des rues Trigance et Malaucène 6
Place Trigance depuis la rue Trigance 7
Vieille CharitĂŠ depuis le terrain de boule 10
Parking des boulistes depuis la rue de la Vieille-Tour 8
Place du Timon depuis le terrain de boule 11
Rue de la Vieille-Tour 9
Terrain de boule 12 29
b.
Un ancien couvent
Les Grands Trinitaires de Marseille occupèrent ce lieu de 1545 à 1777, soit 232 ans. Leur couvent était un complexe de bâtiments dont subsistent très peu de traces (cf. Fig. 16, 17, 18 et 18) : - la Vieille Tour, le (second) clocher présumé de l’ancienne église, sa forme a laissé imaginer le passage d’un ancien rempart, sans preuve ; - l’église de Notre-Dame du Bon-Remède, orientée nord-sud, qui possédait un autre clocher à son entrée ; la rue Saint-Mathieu a été bâtie à l’emplacement de sa nef ; - sous le chœur de l’Église, aujourd’hui le parking des boulistes, se trouve encore une crypte (cf. Fig. 16 et 17), où les esclaves libérés par les Trinitaires venaient y déposer leur chaînes ; - sur l’emplacement de la placette du Timon, se trouvait le cloître du couvent. L’église du Bon-Jésus, dans sa position actuelle, est quand à elle postérieure au couvent.
Fig. 16 Tunnel entre la crypte et la Vieille Charité (source : Agence du Patrimoine). 30
Fig. 17 Reconstitution de l’ancienne église (en haut) et situation actuelle (en bas) (source : Agence du Patrimoine).
1 Cimetière 2 Église des Pénitents bleus de la Trinité 3 Clocher de l’église
1
4 Chapelle souterraine
2
5 Bureau de la Rédemption 6 Église de la Trinité 7 Hôpital
3
8 Entrée 9 Boutique 10 Grand Parloir
5
13
4
14
11 Cloître 12 Lavoirs
11
13 Logements, cuisines et réfectoire 14 Chapelle du Bon-Jésus
16
6 10
15 Écuries 16 Jardin
15
12
8 9
7
Fig. 18 Couvent des Grands Trinitaires de Marseille en 1743. 1 Lotissements de l’église de la Trinité 2 Traces de l’ancien couvent 3 Deuxième et actuelle chapelle du Bon-Jésus
2 2
1
Rue Saint-Mat
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2
3 1
Fig. 19 Évolution du site en 1785. 31
d.
Objectifs et statégies d’intervention
Le site est aujourd’hui fragmenté verticalement, isolant les différentes entités qui le composent : un parking souterrain ne communiquant pas avec la place Trigance le surplombant, si ce n’est une bouche de ventilation, puis une autre place sans lien 4 mètres plus haut. Une partie importante de l’espace public, sur les traces de l’ancien couvent notamment, ne sert qu’au stationnement. Intervenir sur ce site permettra de re-qualifier et lier ces espaces aujourd’hui délaissés, et en partie phagocytés par le stationnement, ainsi que révéler un patrimoine oublié. Reconnecter ces entités, c’est établir un lien entre la rue de la République (14 mètres au dessus de la mer au niveau de l’entrée du parking) et la Vieille Charité (le terrain de boule s’élevant 13 mètres plus haut). L’objectif de cette intervention est de tendre vers un Panier résilient 13. Aujourd’hui, son insularité le rend dépendant des apports extérieurs, aussi bien en terme d’importation de matière et de l’économie générée par le tourisme, qu’en terme de dépendance à l’automobile afin d’y accéder. Sortir de cette dépendance, c’est assurer sa survie en cas de disparition de ces ressources extérieures. Afin de répondre à cet objectif, nous proposons d’établir une porte d’entrée au Panier : la « porte des Phocéens ». Ce seuil filtre et accueille les flux entrant et sortant du quartier (de personnes comme de matières) : c’est une interface d’échange et de rencontre de ces flux. L’ouverture du parking des Phocéens vers le Panier, avec son raccord jusqu’en partie haute, nous paraît essentiel pour faciliter l’accès, tant physique que psyvhologique. Une porte multimodale accueillante et dynamique donnera aux usagers envie de profiter du quartier comme piéton, s’affranchissant ainsi de la mobilité mécanique. Ce lieu de passage et d’accueil pour les passants le devenient pour les matériaux. L’établissement d’une ressourcerie permet leur centralisation, amenant à leur réemploi donc au prolongement de leur durée de vie. C’est un moyen de limiter la quantité de déchets (entendu ici comme matière non désirable, non utilisée) à faire sortir du quartier, ainsi que les besoins d’importation en matière nouvelle. C’est de surcroît l’occasion d’amener une activité de production profitable à l’urbe, et cela par le biais d’un l’artisanat local.
32
13. La résilience est la capacité d’un système à surmonter une perturbation, à s’y adapter sans s’effondrer. Cette notion va de pair avec celles d’autonomie et d’indépendence. On peut y voir la métaphore du roseau qui plie mais qui ne rompt pas.
G
Vieille Charité
Vieille Tour
Rue de la République
Terrain de boules
Crypte
Rue de la Vieille-Tour
Parking des boulistes
+24.5
+26
Parking des Phocéens Place Trigance
Rue des Phocéens
+22 +17 +13
Fig. 20 Situation actuelle de rupture entre les niveaux.
Ascenseur Ouverture de la crypte
Terrasses et escaliers Ouverture du parking
Fig. 21 Intention de liaison des niveaux.
Ressourcerie et auberge
GSPublisherVersion 0.3.100.100
Fig. 22 Intentions de conservation de la matière dans l’urbe et d’accueil. 33
II.2.
Vieille Charité
Intentions
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Parkin g des Phocé ens
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Bassin
Terrasses et escaliers
Parcours d’eau
Ascenseur
Ouverture du parking
36
Le premier acte est de connecter l’urbe du Panier aux quartiers voisins. Nous relions la rue de la République au Panier en installant un ascenseur et des escaliers passant par un puits de lumière en fond du parking des Phocéens. Nous établissons ensuite une série de terrasses liées par des escaliers permettant de connecter les deux parties de la place aujourd’hui séparées par un mur de quatre mètres. Deux bassins sont installés aux extrémités d’un parcours d’eau accompagnant la progression des passants depuis la rue de la République (ou l’inverse).
Bassin
37
38
Les volumes bâtis suturent les blessures du dessin urbain de ce site. Par leur forme en sablier, ils crént une aspiration invitant à passer de l’actuelle place Trigance en partie basse à l’espace occupé aujourd’hui par le terrain de boule en partie haute, jusqu’à la Vieille Charité en fond de place. Il unit ces deux entités en une nouvelle place fédératrice.
39
40
Enfin les espaces publics invitent à la convivialité. Ils sont revêtus de pavés de pierres issues du démontage du mur, au calepinage continu de la rue de la République jusqu’à la Vieille Charité. Au même titre que le parcours d’eau, ce traitement de sol accentue le sentiment d’unité du parcours de franchissement de la porte.
41
Façade de la Vieille Charité en fond de place
Ouverture sur la crypte
Délimitation de l’ancien cloître
42
Les traces de l’ancien couvent des Hauts Trinitaires sont mises en scène en ouvrant la crypte au pied de la Vieille Tour, et en jouant sur le calepinage du sol sur la placette du Timon, révélant l’ancien cloître.
43
Jardin partagé
Toit planté Serre
Toit planté
Serre
44
Les toits terrasses des bâtiments accueillent des potagers et des serres de production de comestibles. De même, au niveau de l’actuel parking des boulistes, un jardin partagé gère la discontinuité topographique. Dix-neuf arbres à fruits et à noix sont plantés en complément de ces espaces de production.
45
II.3.
Le projet
Implantation programmatique
a.
TTO OIIT TP PO OT TA AG GE ER R ADMIN ISTRATIO SALLE N DE
Le programme varié crée la liaison entre le quartier du Panier et la rue de la République : par cette porte d’entrée, on le raccroche au centre-ville de Marseille. Une telle porte d’entrée combine à elle seule les cinq enjeux conduisant à l’urbe définis p.16. De ce lien découle la notion d’accueil, se formalisant entre autres par l’auberge de jeunesse. Elle propose deux types d’hébergement - des dortoirs ainsi que des chambres plus privatives et confortables - permettant à tous, voyageur de plus ou moins longue durée, mais aussi à la population vulnérable, de trouver un toit sous lequel s’abriter, se rencontrer et échanger. Ses espaces communs (séjour, cuisine et terrasse) sont des lieux conviviaux, facilitant le partage. Si elles sont plus spacieuses, les chambres ne contiennent ni salle de bain, ni cuisine privée afin d’encourager le mélange des usagers. D’autres fonctions primaires d’accueil complètent le dispositif : - une bagagerie, adjacente à l’auberge et à l’espace de vente de la ressourcerie, permettant aux usagers de déposer leurs affaires à l’abri ; - des douches et des toilettes publiques, absentes dans le quartier et à Marseille ; - trois points d’eau potable : dans l’impasse Jean-Marc Cathala ; sur la partie haute de la place ; dans la cuisine partagée sur la partie basse, actuelle rue Trigance ; - un plan de quartier et un garage à vélos sont placés dans l’impasse JeanMarc Cathala, dont les formes perturbent le passage des voitures, occasionnant une cohabitation piéton/voiture plus confortable pour l’entrée dans ce nœud multimodal.
ESPACE
REPOS
DE VENT
SERRE
COWORKING WC ET BAIN PUBLIC
CUISINE PARTAGÉE
E
A S C E N S E U R
AUBER BAGAGE
R
STOCKA
GSPublisherVersion 0.3.100.100
En partie basse, le programme de cuisine partagée s’étend sur la place avec une grande table et un barbecue. Sur ce même niveau, se trouvent des jeux d’enfants et une halle couverte permetant divers usages (espace plus intime à l’ombre, marché, espace de représentation, etc.). Les toits potagers et leurs serres produisent des fruits et légumes alimentant un marché lors des périodes de récolte. En complément à ces espaces dépendants de la ressourcerie, l’espace public est planté d’arbres à fruits et à noix et propose un jardin partagé. Un bassin de récupération d’eau non-potable, alimentant le 46
JARDIN PARTAGÉ
E POT
filet d’eau longeant le parcours et la fontaine rue Jean-Marc Cathala, est relié à une citerne d’eau d’arrosage et planté de végétation aquatique.
SERRE
RGE DE
RIE
Ce lien entre la rue de la République et le Panier se matérialise par l’installation d’un ascenseur permettant à tous, quelle que soit leur capacité motrice, de se rendre au Panier. En plus de faciliter l’accès, il facilite l’entrée et la sortie de la matière dans le quartier.
JEUNESSE
HALLE
L’établissement de la ressourcerie sur ce site permet de gérer, de filtrer le flux de matière, et de la garder au maximum dans le quartier. Si elle cherche à revaloriser les « déchets » par l’artisanat, elle ne peut en traiter l’intégralité. Ce travail sur l’accessibilité facilite aussi la sortie de la matière excédentaire non traitée.
TOIT POTAGER TOIT POTAGER
AGE
ATELIERS
Fig. 23 Répartition du programme des bâtiments.
EAU TABLE
La ressourcerie s’installe sur la partie haute de la place, facilitant l’arrivée de la matière depuis l’intérieur du quartier. On utilise l’ascenseur pour lier l’espace de stockage et les ateliers. Dans le second bâtiment, au nord, prennent place l’espace de vente surmonté de l’administration, des vestiaire et de la salle de repos.
JEUX D’ENFANT PLAN DE QUARTIER
EAU POTABLE
GARAGE À VÉLOS
EAU POTABLE
Fig. 24 Répartition du programme de l’espace public. 47
b.
Le parcours, un découpage séquentiel
D’après Christian Norberg-Schulz, « l’usage du lieu comprend cinq aspects, de manière atemporelle, quel que soit le style : (1) l’approche (perception d’un possible et d’une identité) ; (2) la rencontre (passage d’un seuil, franchissement, compréhension d’une atmosphère) ; (3) le séjour et la réunion (place et marché, lieux de diversité, d’éléments en commun, avec des institutions comme l’hôtel de ville) ; (4) la clarification (institution qui se réfère au sacré, reliée à un contexte cosmique, à l’arrière-plan, perceptible depuis le séjour) ; (5) l’isolement. 13 » Le parcours d’entrée au Panier (ou de sortie dans le sens inverse) intègre un tel découpage séquentiel. Dans le sens de l’entrée au Panier, l’approche (1) a lieu dans l’intervention rue Jean-Marc Cathala : le traitement de sol passe du bitume de la rue de la République au pavage de pierre caractéristique du projet ainsi que du quartier. De même, c’est une extrémité du parcours de l’eau suivant l’ascension, marqué ici par un bassin, s’engouffrant avec ce sol dans le parking, d’où l’on aperçoit l’appel lumineux et végétal en arrière-plan. On y retrouve aussi des arbres aux fruits comestibles qui, avec la présence d’un point d’eau potable, accueillent les passants. L’étape de la rencontre (2) a lieu pendant la progression dans le parking des Phocéens. Guidé par l’eau et la pierre, on se dirige vers l’appel de lumière rasant le mur-signal vif du fond du parking, amenant au pied de la circulation verticale. La réunion (3) a lieu à la sortie de cette circulation, sur la place Trigance, puis sur les différents paliers jusqu’à la place du Timon. S’y trouvent des usages variés et des possibilités d’arpenter dès à présent le quartier. La clarification (4), c’est à dire l’élévation spirituelle par la référence à l’histoire du lieu et au patrimoine, est permise par la présence de la Vieille Charité en toile de fond. Elle est d’ailleurs amplifiée par la montée de l’escalier. C’est l’institution caractérisant l’identité du Panier. La fin du parcours s’explicite par la fin du filet d’eau atteignant un bassin plus généreux, puis par une autre mise en scène du patrimoine oublié : l’ouverture de la crypte.
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13. Christian Norberg-Schulz, L’Art du lieu Architecture et paysage, permanence et mutation, Le Moniteur, coll. « Architextes », Paris, 1997. Chapitre 1, consacré à l’usage.
Ce bassin agit comme une rotule orientant le passant vers la dernière séquence : l’isolement (5). Il se ressent sur la place du Timon, plus intime, où l’espace prenant place sur la trace de l’ancien cloître se resserre et conduit aux habitations existantes. Le parcours et le franchissement de la porte, ne sont pas les mêmes dans le sens de la sortie. Venant du Panier, l’approche (1) se traduit aussi par la perception d’une identité : la végétation jusqu’alors peu présente dans le quartier annonce le début du parcours. La rencontre (2) a lieu avec ces éléments nouveaux pour le passant, et ce changement d’atmosphère a valeur de seuil dans le sens de la sortie. Suivant le filet d’eau, le parcours mène vers la place Trigance, espace de la réunion (3). Le parcours se poursuit avec la descente dans le parking, où la clarification (4) agit par cet appel vers le bas et ce mystère, vers une sortie certaine du quartier. Arrivé dans le parking, la lumière émanant de la sortie appelle. L’isolement (5) se ressent finalement avec l’arrivée dans la ville dense et bruyante, dans la rue de la République. On n’est plus dans l’urbe conviviale du Panier mais en plein cœur de la métropole marseillaise, où l’individualité et l’anonymat font loi.
1
5
2
4
3 4
2
1
5
Fig. 25 Séquences du parcours. 49
c.
Ressourcerie, la base des circuits courts
Une ressourcerie est une entité qui collecte des ressources afin de les valoriser pour les redistribuer, donc les réintégrer dans un cycle de vie permettant de réduire au maximum la production de déchets. Ces ressources peuvent être des objets, des matériaux, des « déchets » en tout genre mais aussi des vêtements ou de la nourriture non consommée. La fonction de collecte Des modules de collecte sont installés à plusieurs endroits stratégiques (Fig. 26), de manière à ce que les plus gros producteurs de déchets (les commerçants et les artisans par exemple) puissent activement y participer, mais aussi pour que chaque habitant ait accès à un tel module proche de son lieu de vie. Ces modules comprennent un espace de dépôt de matériaux et d’objets, un compost ainsi qu’un espace de stockage de nourriture. Ils sont ouverts à tous, que ce soit pour déposer de la matière ou pour en récupérer. À terme, ces modules peuvent devenir des lieux d’échanges non marchands où les restaurateurs et les commerçants puissent déposer les invendus afin qu’ils soient récupérés par les usagers du quartier. Il est cependant nécessaire de prévoir une récupération de ces ressources afin de permettre la revalorisation de celles qui ne trouveraient pas de nouveaux propriétaires. Il faut donc que la ressourcerie ait un espace de stockage en plus d’un espace tampon servant de zone de chargement/déchargement ainsi que de tri. C’est là qu’arrivera la matière récoltée dans le quartier, et qu’elle en repartira si elle ne peut être valorisée. L’espace de stockage doit être suffisamment grand et confortable, mais aussi organisé pour ne pas perdre ou oublier les ressources et qu’elles ne soient finalement jamais ré-utilisés. La fonction de valorisation Pour cette deuxième étape - rénovation ou production de nouveaux objets - un atelier permet divers travaux : découpe, soudure, peinture, électronique, etc. Cet atelier est ouvert au public, afin de partager les connaissances et les savoir-faire techniques, avec un espace de travaux manuels. Il doit donc être suffisamment spacieux et équipé pour devenir un lieu d’échange et de rencontre entre les gens comme avec la matière.
50
Parallèlement, une salle partagée pour le travail, ouverte à tous, permet l’entraide et l’apprentissage, donc l’enrichissement mutuel. Comme les ateliers, elle permet à des groupes n’ayant pas d’espace de travail de s’y installer ponctuellement. La fonction de vente C’est la dernière étape du cycle, celle qui permet de rémunérer les employés et de redistribuer les produits collectés et rafraîchis. Dans la boutiques sont exposés les objets re-conditionnés, (habits, meubles, petits objets, etc., et même nourriture). Du point de vue économique, des prix bas permettent une forte rotation des produits, ce qui génère une économie viable. Ces fonctions sont les parties visibles de la ressourcerie, elles ne sont cependant pas les seules. Une administration est aussi présente sur place pour coordonner le fonctionnement de l’entité, ainsi qu’un vestiaire et une salle de repos destinés au personnel de la ressourcerie.
Fig. 26 Répartition des points de récolte. 51
d.
Accueil et hospitalité, les caractéristiques d’une porte
La notion de porte d’entrée est indissociable de celles d’accueil et d’hospitalité. Au regard des changements sociaux et géopolitiques actuels, il est primordial de prendre en compte le nombre croissant de personnes en situation de précarité. Le Panier a toujours été une terre d’accueil, du premier établissement des Phocéens aux diverses vagues d’immigration qui ont jalonné son histoire ; aujourd’hui, c’est la destination des touristes ; demain en plus il accueillera la diversité. Dans les différentes cultures et religions, l’accueil a une dimension prépondérante. C’est le rôle de l’hôte (ici l’accueillant) de répondre aux besoins premiers de celui qui arrive : boire, manger, avoir un toit où dormir et faire ses besoins, etc. La porte, et par extension le seuil, propose un changement d’ambiance et est l’expression de l’identité des personnes et du lieu qui l’habitent. Ce sont ces aspects que nous avons développés ici. Une grande partie du programme est destinée à cette hospitalité : des points d’eau potable sont répartis dans les différents espaces publics (ces derniers sont rares à Marseille, voire totalement absents), ainsi que des espaces de production et de préparation de nourriture accessibles à tous. Aussi absentes dans la ville, sont proposées des toilettes et des douches publiques. De plus, une auberge accueille à la fois les voyageurs de passage et ceux en situation de précarité. Elle propose différents espaces de vie en commun (séjour, cuisine, sanitaires, toit terrasse) afin de promouvoir la rencontre et les échanges, donc une affirmation de l’altérité, tout en profitant au maximum de l’espace du bâtiment. Plusieurs configurations de chambres sont proposées : des chambres communes en dortoir, mais aussi des chambres plus généreuses et privatives permettant un séjour plus long, ou plus décent.
52
53
e.
Végétation, de l’ombre au comestible
En plus de ses fonctions évidentes (biodiversité, dépollution, puits de carbone), la végétation permet de cadrer des points de vue mais aussi de créer de l’ombre et de laisser ou non passer le soleil en fonction des saisons et des essences. Elle influe également sur la perception du lieu grâce à ses odeurs, ses couleurs ou même ses sons. Au delà de ces avantages, elle peut aussi devenir un lieu de production de comestibles, pouvant s’étaler sur les toits plats ou les places afin de devenir un véritable réservoir de bio-diversité urbaine, où chaque espèce trouve une place qui est la sienne afin de parvenir à un équilibre écologique.
Mandarinier
La production de comestible est un pilier de la conception d’une urbe soutenable tendant vers l’autonomie. Les toits sont donc des potagers permettant, sinon une véritable auto-suffisance alimentaire à l’échelle du quartier, une contribution non négligeable à la résilience. Les concepts de permaculture sont évidents, tant pour leur efficacité de production que pour l’enrichissement de la biodiversité. La porte des Phocéens peut alors agir comme une oasis urbaine, et surtout prouver aux usagers qu’il est possible de produire des comestibles même en ville et leur apporter l’envie d’emboîter le pas.
Oranger
Estimation quantitative Nous avons cherché à estimer la production potentielle de ce type de culture. Joseph Chauffrey, habitant de Sotteville-lès-Rouen, une petite ville à dix minutes du centre de Rouen, a réussi en 2017 à produire dans son jardin 347 kg de fruits et légumes pour 30 m2 cultivés. Sur son modèle, nous avons estimé la surface cultivable de nos toits, soit environ 380 m2 répartis sur les deux toits plats, comprenant deux serres de 50 m2 chacune. Il est donc possible d’espérer environ 4400 kg de fruits et légumes par an après quelques années de développement et peut-être davantage en raison du soleil bien plus généreux à Marseille. En rapportant ces 4400 kg à la consommation recommandée de 400 g par jour et par habitant, il apparaît que serait ici assurée la consommation en fruits et légumes de trentes personnes tout au long de l’année.
Cerisier
Citronnier
Au delà des toits, une partie de l’espace public est aussi destinée à la production de comestibles, ajoutant 150 m2 de surface cultivable soit environ 1800 kg par an et par conséquent la consommation de 12 personnes. Cédratier 54
Figuier
Sont plantés dix-neuf arbres dans l’espace public, deux orangers, deux citronniers, deux mandariniers, un cédratier, trois pêchers, deux abricotiers, deux figuiers, trois cerisiers et deux amandiers. Le reste des plantations s’organise sous forme de bacs. Il faut séparer les plantes qui demandent plus d’entretien des autres. À titre d’exemple 14, certains bacs sont plantés d’arbustes qui n’ont pas besoin d’être taillés comme les framboisiers, groseilliers ou cassis auxquels sont associés des fraisiers qui tapissent le sol et gardent son humidité. D’autres bacs sont plantés avec des pieds de kiwis (associant des pieds mâles et femelles pour la fruitaison), des plants de tomates profitant de leur ombre et du basilic, du thym ou de la lavande les protégeant de certaines maladies par leur forte odeur. Grâce à cette production, nous projetons l’installation d’un marché pouvant nourrir plus de quarante personnes tout au long de l’année, et petit à petit intégrer d’autre producteurs locaux intéressés par la démarche, voulant contribuer à leur échelle afin de tendre vers l’autonomie alimentaire du quartier.
Amandier
Impact sur la bio-diversité Pour réussir à obtenir de tels rendements, il faut évidemment organiser les espaces et offrir une mixité écologique très riche à ces potagers. Ainsi, le point d’eau créé sur la partie haute de la place, servant à la fois de réserve (citerne d’eau d’arrosage) et de point de départ du filet d’eau accompagnant le parcours, joue le rôle d’un abreuvoir pour les oiseaux et les autres espèces animales, autant que d’un espace de fraîcheur pour les passants. Des ruches sont aussi présentes sur les toits afin de favoriser la pollinisation des différents végétaux.
Pêcher
Abricotier
La mixité des espèces végétales est primordiale pour limiter et ralentir les épidémies, mais aussi pour offrir un panel varié de différents lieux de vie et pour complexifier la bio-diversité du quartier et répondre aux besoins d’un maximum d’espèces. Ainsi une harmonie peut se créer entre êtres humains, animaux et végétaux.
14. Informations obtenues auprès de Victor Joly jardinier paysagiste. 55
f.
Aspect économique 15
La prise de conscience du caractère non durable du mode de développement actuel de nos sociétés et le risque grave que sa poursuite ferait courir aux générations futures nous amènent à proposer un modèle économique alternatif. Nous retrouvons dans l’économie solidaire cette analogie avec le concept d’urbe : une forme de développement pensée à long terme. Elle a aussi pour objectif l’harmonie entre l’homme et la nature d’une part, et d’autre part, elle vise à une cohérence entre les dimensions économique, politique et sociale. Le terme d’économie solidaire regroupe des pratiques très différentes complexifiant sa définition et la délimitation du concept. Elle est souvent associée à l’économie sociale. L’économie sociale désigne les activités économiques réalisées par des personnes privées poursuivant un intérêt collectif. On la rapporte à un « tiers-secteur », se distinguant à la fois des secteurs public et privé : - il vise la finalité du service rendu plutôt que la recherche de profit ; - sa gestion est autonome et démocratique (indépendance vis-à-vis de l’État, ses acteurs ont une voix à faire valoir équitablement) ; - les profits sont orientés vers la personne et l’objet social. L’économie solidaire est le fruit de la recherche d’une économie alternative, que l’on voudrait au service de l’intérêt collectif et de l’utilité sociale plutôt que de l’intérêt individuel et du profit. Cet intérêt collectif se décline en termes de solidarités diverses et variées, amenant de la profondeur par rapport au concept d’économie sociale : - solidarité envers les générations futures au vu des intérêts pris en compte ; - solidarité entre personnes d’âge, de sexe et issus de milieux différents ; - solidarité entre les territoires ; - solidarité vis-à-vis des plus démunis. Ces multiples déclinaisons de la solidarité se traduisent par des pratiques dans des domaines très différents : la production, la consommation, la finance, le commerce international, les services à la personne, l’insertion sociale, le développement local, le secteur culturel, etc. À ces dimensions sociale et politique s’ajoute un troisième critère de définition de l’économie solidaire : sa capacité de changement social. Il ne faut pas réduire ce modèle économique à l’assistance de la population 56
15. D’après Elena Lasida, « L’économie solidaire, une nouvelle manière de penser l’économie », in L’encyclopédie du développement durable, n° 63, mars 2008, Les éditions des Récollets, Paris. Chapitre 5, consacré aux activités humaines. 16. La Casa Meteca est un projet d’auberge solidaire essayant de répondre aux problèmes d’insuffisance de places d’hébergement, notamment pour les migrant-e-s qui arrivent à Marseille, de la spéculation immobilière, ainsi que de la gentrification touristique.
vulnérable. Plus que « combler des manques », cette solidarité vise le partenariat, le développement de potentialités et la création plutôt que l’assistance, la réponse aux besoins, et la redistribution. Le fonctionnement économique de l’auberge est semblable à celui du projet de la Casa Meteca 16. Elle a vocation à accueillir des voyageurs payants (en déplacement pour tourisme, travail, études, etc.) et des voyageurs non payants (personnes ayant des difficultés d’accès au logement). Le coût de l’hébergement de ces derniers est financé par une participation des premiers. La gestion des espaces de production de comestibles est subdivisée. Ceux situés sur l’espace public sont accessibles et participent à sa perception d’espace commun, tandis que les productions issues des toits dépendent de l’entité « ressourcerie ». La gestion de cette dernière intègre les principes de l’économie solidaire afin de promouvoir la rencontre, l’échange, et la participation d’une pluralité d’usagers. Ses acteurs peuvent profiter des installations des bâtiments et/ou d’un tarif préférentiel quant à l’acquisition de nourriture, d’objets, ou de vêtements proposés à la vente. Le fonctionnement économique du parking des Phocéens (et par extensions les parkings des portes d’entrée de l’urbe) doit lui aussi être ajusté. Utilisé à moins de la moitié de sa capacité, il est rentable pour les gestionnaires privés de proposer un abonnement annuel pour les habitants du Panier afin d’optimiser leur occupation, quel que soit le parking où l’habitant dépose son automobile. De plus, l’intervention dans le parking et l’établissement d’une porte d’entrée majeure du quartier le rend plus attractif.
57
g.
Matériaux et détails techniques
Le choix des matériaux a été un élément capital de la réflexion : nous voulons à la fois utiliser des matériaux locaux afin de limiter les dépenses d’énergie liées à leur transport, tout en respectant l’identité du Panier sans pour autant l’imiter. Le choix de la pierre et de la terre permet de réutiliser la matière décaissée sur le site, mais aussi celle provenant des autres sites de ce projet global d’urbe. Si l’on décaisse environ 120 m3 de terre et de roche ici, cela reste bien en deçà des 750 m3 de terre et des 200 m3 de pierre nécessaires à la réalisation de la porte des Phocéens. Cependant ceux réalisés place des Moulins et sur l’esplanade de la Tourette garantissent un apport de matière bien plus important. En pratique, c’est bien une partie du sol du Panier actuel qui émerge sur le site, et s’étend de la Vieille Charité jusqu’à la rue de la République, créant un lieu de vie chaleureux et convivial tout en respectant le quartier et son patrimoine. Dans un bâtiment en terre, l’eau, même si elle est nécessaire en petite quantité afin de maintenir la cohésion de la terre, peut aussi être la cause de sa ruine. En effet, dans un mur en pisé, une forte concentration d’eau diminue les capacités mécaniques. C’est pourquoi il est important de porter une attention particulière à son imperméabilité. Les bâtiments ont donc un soubassement en pierre, un socle pour ces murs de terre qui, à une hauteur de 4,3 m au dessus de la partie basse de la place, se prolongent en partie haute, dépassant de 30 cm au dessus du niveau du sol. Ce soubassement permet, au delà d’accentuer l’unité de la place sur ses différents niveaux, de protéger la terre crue en évitant aux murs d’être directement en contact avec l’eau ruisselant sur le site. Ce soubassement est surmonté d’un pare-pluie afin de limiter au maximum les remontées capillaires. Pour protéger la façade au maximum du ruissellement de l’eau pluviale, étant donné l’absence de débord de toiture, sont incorporées des tuiles de terre cuite tous les 30 cm, l’équivalent de trois lits de terre une fois pisé. Ces tuiles jouent le rôle de ralentisseur. En effet c’est la vitesse de l’eau qui provoque l’érosion du mur plus que son simple contact ; une érosion sera toujours présente, mais bien plus faiblement, en dessous des tuiles et la terre se sédimentera sur le dessus de la tuile suivante. Quant à la tête du mur, elle est protégée par une bande de parepluie surmontée d’un couvre mur en pierre. Pour faciliter la reprise de charge des planchers par les murs, un chaînage horizontal en béton armé répartit le poids. Il est présent dans chaque mur et joue
58
un rôle d’appui pour le plancher, les baies seront surmontées d’un linteau en acier, lui-même lié à ce chaînage. Enfin, pour les toitures végétalisées, la dalle de toiture a une très légère pente afin d’évacuer l’eau, sur laquelle est installée un système de drainage, et enfin 40 cm de terre afin de convenir à un maximum de végétaux. Un pare-pluie anti-racines empêche l’infiltration d’eau entre le mur de pisé et la toiture. Le projet s’adaptant au contexte hétérogène, sa volumétrie générale s’infléchit afin de lier les différents espaces. La logique constructive permet à la fois d’organiser l’espace et de créer une trame structurelle s’affranchissant de cette géométrie variable. Ainsi la trame est perpendiculaire à la façade donnant sur la place, dont chaque élément porteur est espacé de 5 m. Les planchers étant constitués de bois lamellé collé croisé, leur rigidité permet dans les parties plus étroites des bâtiments de se passer de mur de refend, libérant ainsi l’espace pour les fonctions le nécessitant. Le sol de l’espace public est traité uniformément, pour appuyer l’unification d’un espace actuellement fortement délié. Ce traitement est réalisé en pavés de pierre d’une dimension de 30 cm par 40, au calepinage croisé, perpendiculairement au sens principal de circulation (permettant une meilleure stabilité) sauf sur la place Trigance, où les véhicules motorisés ne passent pas. Ils y sont placés longitudinalement par rapport à la place, accentuant sa perspective et continuant le calepinage des niveaux supérieurs. Ils sont liés au sable, et reposent sur un lit de gravats afin de minimiser l’imperméabilité du sol, sur toute leur épaisseur de 15 cm. Le sol est en pente douce vers un caniveau central, comme dans le reste du Panier. Lors d’une nécessité de changement de calepinage (changement de rues par exemple) et au raccord des pieds des bâtiments existants, on trouve une ligne plus fine de pavés. L’ancien cloître, situé sur la place du Timon, est révélé par un rétrécissement du calepinage. Les trottoirs sont supprimés sur le périmètre de l’intervention afin de proposer un espace pavé continu où le piéton s’affranchit de son « couloir de marche » et cohabite avec la voiture quand elle est autorisée. Pour les parties ponctuellement végétalisées de l’espace public, quelques pavés sont retirés afin d’y creuser un mètre de profondeur. Ces vides sont ensuite remplis de vingt centimètres de compost, puis remblayés de terre arable permettant la plantation d’arbres fruitiers. 59
Conclusion Par les neuf projets réalisés dans le cadre du studio, nous avons cherché à faire évoluer le Panier vers un fonctionnement soutenable, le faisant ainsi passer de l’état de quartier dépendant des apports extérieurs (du tourisme, mobilité mécanique, l’importation/exportation conséquente de matière) à celui d’urbe du Panier. Pour surmonter la situation d’insularité, la porte des Phocéens diversifie l’activité du quartier par la mise en place d’un artisanat local et profitable, et cela, autour d’un programme économique solidaire. La porte des Phocéens relie le cœur du Panier à la rue de la République et sa dense desserte de transports en commun - par extension, la ville de Marseille et le monde. C’est une interface multimodale et relationnelle accueillante en limite de l’urbe : elle facilite l’accès au Panier et induit une mobilité adoucie. L’espace public, désormais plus convivial, est libéré de l’imposant stationnement automobile. On retrouve les usages de la porte d’entrée (accueil, hébergement, production de nourriture, etc.) et la ressourcerie concentre et réutilise la matière afin de la garder le plus longtemps à l’intérieur de l’urbe. Cette intervention amène à un Panier plus résilient, plus autonome et solidaire donc plus soutenable. Un projet n’est jamais terminé : il vit et évolue avec le temps et ses usagers, ces derniers ayant au moins autant d’influence que l’architecte sur le système initialement pensé. Par l’architecture, il est possible d’enrichir la vie des humains, animaux et végétaux, et au delà du « green washing » souvent présent dans certains projet dit « d’éco-construction », nous pouvons évoluer vers une ville soutenable dotée d’une économie résiliente. Grâce à ce projet nous nous sentons un peu grandis : il nous a permis de nous placer en tant qu’architecte-penseur de la ville de demain, développant notre vision du monde et de l’architecture.
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Cadre pédagogique du studio « relation&sobriété », département H21
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Le département H21 (« habiter le monde, penser la décroissance au 21e siècle ») est l’un des quatre départements constituant le master d’architecture de l’ÉNSA-M. Si l’homme a cru à des ressources inépuisables, l’architecte d’aujourd’hui doit faire avec le solde : de l’énergie et de la matière en quantités limitées, de l’espace, du temps et un savoir limités. Comment diviser par quatre l’empreinte écologique actuelle de 5 ha/habitant en Europe ? Quels dispositifs architectoniques peut-on développer, tant au niveau des usages et des pratiques collectives, du bâtiment, de la ville et du territoire ? Pour contribuer au débat suscité par ces interrogations, le département H21 explore la décroissance : la simplicité volontaire conduisant à plus de bien-être (individuel, collectif, écosystémique), moins de consommation et plus d’attention aux autres. À travers des références structurées de la production architecturale, il explore des méthodes et stratégies de projet fondées sur des rencontres interdisciplinaires. Les situations de projet architectural et urbain sont analysées, pensées et produites dans un contexte économique, environnemental, social et culturel : - compléter ou renégocier ce qui existe ; - construire mieux avec moins, en combinant techniques traditionnelles et innovantes ; - concevoir autrement pour fabriquer le monde de demain, contraint mais biotique. Le studio « relation&sobriété » (au premier semestre : « relation&soutenabilité ») est l’un des trois ateliers de projet de H21 (explorant chacun une direction parmi les questions débattues dans le département). Maître-mot du studio, la relation est le rapport entre deux objets tel que chacun y trouve un intérêt, avec une influence mutuelle mais non nécessairement convergente. Ainsi, la fabrique architecturale et urbaine peut être pensée à partir des relations entre les choses (êtresvivants, espaces, bâtiments, matériaux, quartiers, …) avant les choses elles-mêmes. - Cette méthode vise l’efficacité, en diminuant dépense de matière, perte de temps et d’espace, dégradation humaine et biologique : pour adapter l’existant à de nouvelles attentes, il est moins coûteux de travailler sur le moins organisé que sur le déjà-stable. - Dans le paradigme de soutenabilité, un nouvel objet prend en compte conjointement ses impacts environnemental, économique, social et culturel : il n’est donc essentiellement pas objet pour lui-même mais 62
1. Texte de Jean-Marc Huygens. 2. « [La ville frugale se fixe] comme priorité d’offrir plus de satisfactions à ses habitants en consommant moins de ressources. [Elle] voit dans les contraintes énergétiques et économiques qui se resserrent non pas une menace, mais l’occasion d’inventer un nouvel art de vivre (ou de ville), plus joyeux, plus en phase avec les identités locales, moins dominé par les stéréotypes de la consommation mondialisée. [Elle] tend à privilégier les valeurs de simplicité, de santé et de retour au naturel. » Jean Haëntjens, La ville frugale – Un modèle pour préparer l’après-pétrole, Éditions FYP, 2011, p. 1011. 3. Terme générique inspiré de Cerdá : « L’urbe est un ensemble d’habitations où demeurent diverses familles […] réunies par un sentiment d’entraide ». Ildefonso Cerdá, La théorie générale de l’urbanisation, Les Éditions de l’Imprimeur, coll. « Tranches de Villes », Besançon, 2005 (Seuil, 1979 – 1859), p. 98. 4. Salvador Rueda, « Stratégies de survie » (« Estratègies per competir »), dans Albert Garcia Espuche i Salvador Rueda (dir.), La ciutat sostenible, Centre de Cultura Contemporània de Barcelona, « Urbanitats », Barcelone, 1999, p. 145-166. 5. Alberto Magnaghi, Le projet local, Mardaga, coll. « Architecture + Recherches » n° 44, Sprimont, 2003 [2000], p. 35. 6. « Le bien commun paysager désigne une fraction de territoire perçu (un paysage matériel) dont les fonctions et usages possibles sont partageables et reconnus comme tels par les acteurs publics et privés concernés. » Pierre Donadieu, « Quelles natures urbaines durables, pour quelles politiques publiques ? », dans Catherine Chomarat-Ruiz (dir.), Nature urbaine en projets, Archibooks et Sautereau Éditeur, coll. « Crossborders », Paris, 2014, p. 65.
Équipe d’encadrement : Cécile Frappat, Stéphane Herpin, Jean-Marc Huygen, Íon Maléas.
objet-conséquence d’impacts ou de relations-causes. - Enfin, une chose autonome participe à une « société de choses » : individus dans un quartier, bâtiments dans un îlot, matériaux assemblés, … ; une architecture locale dans un monde global. Le cadre du projet : comment, spatialement, peut-on conduire à vivre de façon auto-soutenable, c’est-à-dire, sans lourde réglementation, vivre, consommer et prendre du plaisir avec frugalité 2 ? Le cadre théorique du studio, avec la notion d’urbe 3, synthétise les hypothèses actuelles de fragmentation de la ville étendue en entités plus petites et clairement définies, ou au contraire de fédération de villages en biorégion urbaine : dans les deux processus, il s’agit de rendre les usagers responsables car conscients de leur territoire et du territoire, car vivant dans une entité à taille humaine et dotée d’une certaine autonomie. En Catalogne, Salvador Rueda fragmente Barcelone en « super-îlots 4 ». En Toscane, Alberto Magnaghi théorise les « villages urbains » qui tendent à l’auto-soutenabilité : « L’approche territorialiste […] se réfère à la construction d’un système de relations vertueuses entre les trois composantes du territoire que sont le milieu naturel, le milieu construit et le milieu proprement humain 5. » Les projets présentés se répartissent entre deux sites : soit un morceau de ville (le quartier du Panier à Marseille), soit à l’inverse un village (Correns dans le Var). Pour tendre vers l’urbe (super-îlot ou village biorégional), cinq piliers ont été définis : la centralité (permettant l’identification) ; la complexité (conduisant à la résilience) ; la production locale (suggérant l’emploi et l’autosuffisance) ; le maillage (donc la continuité du territoire, nature ou mobilité humaine) ; la lisière (donc la relation aux autres urbes et au « paysage »). Ces enjeux sont complémentaires mais ils constituent des objectifs préalables de projet. Chaque projet s’installe sur un site susceptible d’avoir un impact maximal quant au développement organique de l’urbe, qu’elle soit marseillaise ou corrensoise. Et chaque projet tente, bien sûr, de mettre en oeuvre les principes largement débattus dans le studio : vivre ensemble dans la diversité et la démocratie ; responsabilité et participation ; biodiversité et préservation de l’eau ; réduction de la consommation de matière et d’énergie, réduction des pollutions et des déchets ; valorisation du déjà-là ; etc. Si le studio est un lieu collectif de travail et de discussions, chacune a développé sa propre problématique conduisant à un programme spécifique, à une manière personnelle d’intervenir sur l’espace public, à une posture de reconnaissance6 de ce qui existe.
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Aujourd’hui, le Panier souffre de son insularité. Dans le studio H21 – relation et sobriété, nous cherchons à le faire évoluer vers un fonctionnement frugal, convivial et soutenable : l’urbe du Panier. Historiquement, le Panier a toujours été une terre d’accueil. La porte des Phocéens relie le cœur du Panier à la rue de la République, et par extension, à la ville de Marseille et au monde. Notre proposition est d’y établir une nouvelle porte d’entrée, dont l’objectif est de faciliter l’accès au profit d’une mobilité douce, et d’améliorer la gestion de ses ressources matérielles et humaines en développant une activité profitable au quartier.
Urbe - Panier - Porte - Accueil - Ressourcerie