Plomb

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Du plomb dans l’aile

Un jour de février des années 70, vers midi, Jojo, mon épouse, avançait vers notre 4L qui était garée à peu près à l’endroit où se trouve le manège sur la photo ci-dessus. Elle tournait le dos au bâtiment que l’on voit au fond de la place. Nous étions en retard et je venais de lui demander de presser le pas lorsqu’elle s’affala face contre terre… Elle avait heureusement eu le temps de porter ses bras en avant pour amortir sa chute. Et, comme elle


ne semblait pas souffrir de sa mésaventure j’ai dû bougonner à son adresse : « Mais fais attention où tu mets les pieds, enfin ! ». Il y avait quelques traces de neige et de verglas par endroits… Je pensais qu’elle venait de glisser sur ces vestiges de l’hiver. Jojo s’est donc assise dans la Renault et, au moment où j’allais démarrer, je l’ai entendu pousser un cri et vu porter sa main droite à son épaule gauche. « T’as quoi encore ? ! » fis-je sur un ton excédé. (1) « C’est ma chute, ça m’a donné une crampe dans le dos » Une crampe dans le dos causée par une perte d’équilibre ! On aura tout vu ! Ah c’était bien d’une femme, ça ! Leur logique me surprendra toujours… J’en étais là de mes misogynes pensées quand je vis que ma compagne était vraiment mal. Prête même à « tourner de l’œil » comme on dit familièrement. Bizarre tout de même… Je ne me suis pas plus interrogé. J’ai foncé chez un de nos potes, un médecin qui vivait pas loin de là, le docteur Christian Bail, un colosse d’une nature généreuse et explosive qui fut souvent un de mes partenaires de zinc. Quand on était en train de trinquer avec lui personne ne songeait à nous chercher noise, vous pouvez me croire. Au demeurant c’était également un toubib efficace quand on le « prenait » à la bonne heure. Celle d’avant la douxième tournée d’apéros. On était cette fois dans les temps.


Jojo quitta son manteau avec précaution, et en grimaçant pourtant. Et, sous le pull, apparut l’épaule la plus tuméfiée que j’avais jamais vue. Avec, au milieu de la large tache violacée, un creux d’un demicentimètre de profondeur et à peu près du diamètre d’un gros crayon. Mais c’était quoi, ça ? La piqûre d’un frelon géant tombé chez nous parmi les derniers flocons ? La touche brutale du bâton d’un bouvier fantôme ? La marque du doigt de Dieu ? Le docteur un temps dubitatif comprit soudain : « C’est une balle qui vous a fait ça… Un petit calibre tiré de loin et dont la pénétration a été freinée par l’épaisse étoffe de votre manteau. Elle n’a pas pu s’introduire plus avant et la peau a résisté. Mais c’est une balle »

De fait le vêtement était abîmé aussi au niveau de la contusion. Nous avons su plus tard, par les policiers auxquels Jojo conta sa mésaventure, que le sniper était un tout jeune homme d’une dizaine d’années qui testait une carabine appartenant à son père en « tirant sur des pigeons ». Aucune plainte n’a été déposée. Et le gamin en a été quitte pour une engueulade. Enfin je l’espère, c’était à mon sens la moindre des choses. Mais nous n’en avons jamais été informés et la famille concernée ne nous a pas adressé non plus de remerciements. Faut dire que les gens qui logeaient dans cette vaste maison qui fait face à l’hôtel de ville de Saint-


Etienne, de l’autre côté de la place, étaient des personnalités importantes et friquées de la cité. Et qu’ils avaient autre chose à faire que de témoigner leur reconnaissance au menu fretin. Ou à des « pigeons » plutôt. Au fait je n’ai pas vu la moindre plume de volatile ce jour-là sur cette place réfrigérée. Le petit nemrod n’avait donc d’autre choix pour parfaire son entraînement que d’aligner quelques passants. C’est ainsi que Jojo reçut du plomb dans l’aile. Guy Rougier

(1) Je rappelle aux représentants des nouvelles générations que les Zhommes de l’époque étaient des « vrais » des durs de durs qui ne s’apitoyaient pas facilement. Surtout sur les ennuis d’une femme. Je l’ai déjà dit mais il est bon de le répéter : la vérité historique est essentiellement celle du contexte.


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