Reflexionsimages

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Putain, faut tout leur expliquer. C’est fini la clef qu’on sort de sa poche pour l’enfiler dans le trou adéquat d’un geste chargé de symbolique grassement sexuelle. C’est terminé, pépé, ce temps-là. Maintenant on tapote sur un clavier la formule secrète. À l’abri des regards, comme il se doit. Comme quand tu vas tirer les bifetons de la machine à sous pour les courses. Marque tous ces numéros sur ton carnet. Ça serait trop bête que tu ne puisses plus rentrer chez toi et que tu meures là, sur le trottoir, la gueule ouverte et vide faute d’avoir pu payer un quignon au boulanger.



Un jour j’irai manger dans cet établissement et, avant de pousser la porte, je parcourrai d’un regard attentif les photos des plats au menu du « Kebab, palmier d’or ». J’essaierai d’en retenir au moins trois pour ne pas me trouver désemparé si jamais il y en a qui manquent. Je mangerai sur place. Pour avoir l’ambiance en bonus. Je suis un consommateur complet qui se nourrit aussi par les yeux et les oreilles.



Il était là à tourner en rond, seulet dans son restau. Se demandant peut-être si aujourd’hui les clients allaient venir. Comme hier. Ne peut-il pas arriver qu’un soir personne ne se présente ? Sans doute puisque l’on voit parfois de sinistres panneaux annonçant « Cessation d’activité » barrer l’accès à un pas-de-porte. Et tout plein d’étiquettes « racket fiscal » voleter autour de cet avertissement. J’ai attendu un moment après avoir pris la photo. Il est resté solitaire. Mais il était encore tôt. J’irai vérifier un de ces jours que le restaurant « Aspendos » est toujours ouvert.



Ce qui m’interpelle c’est la mention « Étude de tous projets ». J’imagine que le « tous » se veut rassurant. Même les envies les plus folles, les plus intimes, les plus révélatrices peuvent donc être soumises à l’opérateur… (praticien ? artiste ? dessinateur sur peau ? confesseur ? complice ?) . Même les plus glauques fantaisies peuvent être livrées ici sans que le… tatoueur, on va dire ainsi… bouge un sourcil réprobateur. Un espace de liberté en somme.



Con comme un coucher de soleil qui fait s’extasier les mémères. C’est beau. C’est magnifique. La nature nous comble, merci Seigneur. À bien y regarder pourtant ce n’est que du barbouillis de couleurs dont personne ne voudrait sur ses murs. Mais l’important, n’est-ce pas, c’est que vous puissiez exclamer votre admiration inconditionnelle, irréfutable, unanime. Vous joindre à l’émerveillement général. Sentir vibrer votre fibre artistique à l’unisson de celles des autres. Jouer votre partition dans la vénération des peuples pour la divine création tellement raffinée.



« Que vous inspire cette image ? » Peut-on poser plus bête question ? Plus cucul-lapraline ? Mis à part, bien sûr, en sujet de philo au baccalauréat. Florilège de ce qui était proposé à la méditation des candidats en 2014 : « L’artiste est-il maître de son œuvre ? », « Doit-on tout faire pour être heureux ? », « Suffit-il d’avoir le choix pour être libre ? », « Les œuvres éduquent-elles notre perception ? », « Pourquoi chercher à se connaître soimême ? », « Vivons-nous pour être heureux ? » Tous les journalistes ont le bac maintenant. Et la plupart des politiques aussi. Faut peutêtre pas s’étonner si beaucoup des uns et des autres ont des discours un peu futiles et creux.



Je n’ai pas encore essayé ce moyen de transport « écolo » mis à la disposition des citadins par la municipalité de Lyon. Faudrait pas que je tarde trop : je commence à manquer d’équilibre. Encore deux années ou trois et je devrais, pour être dans le ton du choix de la pollution minimale, me rabattre sur les voitures électriques dont une station permet de regonfler les batteries à deux pas de chez moi. Ou bien il y aura toujours, j’espère, les solutions d’utiliser les transports en commun ou de marcher.



C’est illisible, ça ne veut sans doute pas dire grand-chose. Mais ça claque. Et c’est toujours mieux que la grisaille des murs des quartiers excentrés de Lyon. Quand on a le neurone de la créativité amorphe ça fait une photo. Vous avez remarqué, au fait (?), que les habits sont de couleurs de plus en plus ternes. Ça fait des foules mornes, déprimantes, sales. De tristes et cafardeuses troupes. Et chaque fois que déambulant parmi la multitude de mes concitoyens je me fais cette réflexion, je me dis aussi que personne ne doit me remarquer dans le lot. Je suis tout pareil à eux dans mes atours brumailleux.



J’ai devisé plus haut sur les couchers de soleil. Et ce faisant j’ai critiqué les « mémères » et seulement elles. Ce qui est une manière de dire et de catégoriser complètement sexiste. À ma décharge les « pépères » de mes connaissances s’expriment très peu à propos de ce phénomène. Peut-être vouent-ils une admiration plus discrète mais néanmoins vive pour les « beautés de la nature ». Mais d’ordinaire, lorsqu’ils parlent « esthétique » c’est plutôt à propos de tout autre chose. Et pour être sexiste, on peut dire que ça l’est aussi.



C’était un arbre qui se prenait pour un gardien de but. Il jouait avec le vent qui lui envoyait des sacs en plastoc. Il les arrêtait avec habileté et poussait alors un long « goooaaaal ! » de victoire comme il avait entendu faire un speaker sud-américain à la télé du bar d’en-face. Pour une coupe du monde de foot, je crois. Mais le vent est tombé. Et le rade à la télé sportive est fermé. Depuis qu’il y est interdit de fumer les clients d’autrefois suivent les matches chez eux. C’est un arbre qui s’ennuie et qui a de plus en plus mal aux fourches de ses branches maintenant qu’il ne les fait plus bouger. Il serre tristement son dernier sac en rêvant au bon temps d’autrefois.


Guy Rougier - 2015


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