Sainté

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Sainté est-elle toujours Sainté ? !

Et voici Sainté, camarade, telle qu’à nouveau je la vis un jour un peu tardif de ma vie. «Sainté" que je disais -et non San Tsiève …ou San Stiève ? j’ai jamais vraiment su, j’étais pas de là au départ, j’ai toujours eu le «gaga» approximatif. La voilà avec pas mal de pierres que j’ai reconnues au passage. De vieilles et familières juste un peu plus flétries que de mon «temps». Et d’autres que j’ai découvertes, et qui ne m’ont pas parues d’ici. Trop neuves, assemblées trop moderne, un peu tristounettes néanmoins. Déjà ternies, elles qui n’ont pourtant jamais eu à craindre les sales caresses du vent lourd de la poussière huileuse des crassiers.

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Il n’y a plus de crassiers.


Les deux mamelles tutélaires qui se dressaient fières et nues au dessus de la cité comme le signal du travail obscur d’en-dessous, ne sont plus que doudounes ébouillées et un peu scabreuses dans leur soutien-gorge de verdure qui laisse apparaître l’obscénité rosâtre de leurs tétons camards.

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Sainté, je me la suis enfilée si j’ose dire par l’ex-rue des putes, celle des Martyrs de Vingré, où jadis j’allais moins «dégorger» que m’engorger… force pots. En compagnie pas souvent égrillardes de quelques copains et des dames du coin qui n’étaient plus de la première jeunesse quand je me suis mis à les fréquenter. La «Patère» un peu bigleuse dont j’aimais la peau si douce, la grosse Paulette qu’était tant fière de son fiston, un grand et costaud jeune homme sur la photo cornée qu’elle sortait volontiers d’entre les biffetons des passes.

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-«Même pas un jour de prison, et un métier bien honnête de mécano. Il en tâte dans la mécanique… si un jour ton scooter tombe en panne…»- et l’autre dont j’ai oublié le prénom si maigre et vieille qu’ellemême s’étonnait de la pérennité de sa petite entreprise.

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Avec mes potes de comptoirs ou de tablées et ces compagnes d’entre deux âges et d’entre deux lits on éclusait surtout au bout de la rue, à la «Coupole» que j’ai retrouvée rebaptisée et travestie en hôtel-restau tendance asiate. À l’époque la mère Cayrou ne faisait pas la chambre. Campée sur ses jambes torses elle servait les pots que l’on commandait à la longueur de l’enfilade. À partir d’un mètre le sourire de la daronne s’épanouissait large. Et on pouvait lui demander sans qu’elle rechigne de battre les œufs de l’omelette censée éponger les libations.


D’énormes omelettes. Pas à moins d’une vingtaine de cacauds… quand on n’était que deux. Et il y avait aussi la fille de la maison, l’Yvette aux avantages ostentatoires sur lesquelles on lorgnait en loucedé. Elle avait un fiancé costaud. Un ancien de la CRS. Même pas ripoux. Pas même pionnard. Seulement amoureux et sérieux. Et jaloux. Il faudrait dire encore les autres rades, bien moins pimpants que les gargotes pour bobos d’aujourd’hui, les rires et les hoquets, et les sonores dégueulis dans les toilettes à la turque. Et les grandes tirades philosophiques flinguées en plein vol

par des vulgarités incongrues. On avait la santé et on en abusait.

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J’ai poursuivi en mettant mes pas dans une voie plus sage, même dans mes souvenirs, l’avenue de la Libération, direction place du Peuple…

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Tiens, il y a des trams de partout maintenant. Avant y en avait qu’un à Sainté. Celui de la Grand-Rue. Pas de virage pour vous bousculer le passager. Geradeaus, comme disait mon poteau, le chleu, ancien «Pégué" (P.G., prisonnier de guerre, faut tout vous expliquer !) qui avait fini par s’établir garagiste des bords de Furan….cinq kilomètres deux cents de rectitude, qui, au fil des ans et des enfoncements du bitume tiré vers le bas par les effondrements des galeries de la mine ont la perspective qui rétrécit à vue d’œil. Aujourd’hui j’en vois bifurquer un de tram, du coté des Ursules.

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Dire la «place» pour cet endroit n’est qu’une manière de rappeler qu’il y en eut vraiment une autrefois, au lieu du


béton qui tasse le décor d’aujourd’hui. Ça manque d’espace de manière oppressante. Le père Ficelle qui faisait là l’article à haut débit et avec un humour fascinant en perdrait le souffle. Le père Ficelle… je revois sa lèvre inférieure, façonnée gourmande, sa casquette qu’il soulevait parfois pour aérer quelques mesquines mèches collées par la sueur… Quel baratin il avait ce camelot ! Royales ses séances qui m’ont fait rater quelques cours quand j’étais jeunot de Fauriel, le lycée. Plus tard j’ai fait un peu copain avec lui et je lui ai plusieurs fois rincé la dalle. Curieusement je me suis ennuyé à ces moments-là. Il n’avait le discours brillant que sur le trottoir au milieu des chalands, des vaisselles, des briquets d’amadou qui s’allumaient «même sous la pluie, m’sieurs-dames, même sous les flocons du plus neigeux hiver, même par grand vent…», des pâtes à repriser qui remplaçaient «les aiguilles, le fil, le dé» et n’exigeaient aucune dextérité… «un marteau suffit pour boucher durablement les trous de chaussettes, je vous montre»…


Je reviens vers «le» Peuple et sa tour. Un des rares vestiges un peu anciens de la ville…de manière publique et centrale du moins. De réfection en restauration elle tient le coup, la courtaude. Et c’est toujours une droguerie qui occupe le pas-de-porte. En revanche, tout près de là, le bistrot façon brasserie dans l’arrière-salle duquel les apprentis accordéonistes de l’ «amicale» faisaient leur gamme a disparu. Y répétaient aussi les orchestres de la société, celui des «grands», et celui des «benjamins», tout de bleu vêtus ces derniers les jours de gala avec un petit calot à l’entre-fesses jaune crânement porté sur le côté.. «Un, deux, disait le père Albaynac, on reprend Da Capo» «Clac ! clac !» faisait la baguette sur le pupitre, comme la règle d’un maître d’école devant une classe turbulente…

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«Elle est des nôôôôtreu.. elle a bu son verre comme les auautreu» chantaient pas loin de là les choeurs de femmes en goguette. Des copines de boulot ou de quartier qui fêtaient l’anniversaire de l’une d’entre elles, ou trinquaient juste


pour la joie d’être ensemble et pour la force et le culot que ça donne un petit verre aidant. On n’est plus «Au Peuple», mais à deux pas, derrière, place Grenette… Et précisément au «Muscat» le haut lieu des bordées féminines. Redoutable endroit pour les hommes certains soirs quand la gouaille des convives était débridée au vin doux des familles. Paraît que ça perdure ces virées. Si c’est vrai c’est bon signe. C’est que Sainté est toujours Sainté. Et ça me plairait assez qu’il en soit ainsi.

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GR


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