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De la toponymie du lieu à la rencontre de ses habitants

je comprends alors que ce lieu d’habitation a également le statut d’entreprise

Situé dans le domaine de Bonneville, derrière l’église, le château du même nom appartenait à un fils d’un navigateur, Jean de La Varende10. La population de la commune de Chamblac a retrouvé sa démographie de 1793 en 2020 qui est de 300 habitants. Je constate que l’habitat rural n’est pas le point central de ma recherche, je trouverai plus de réponses à mes interrogations avec le métier d’agriculteur en 2020. Je continue à pédaler pour arriver au milieu de l’exploitation indiquée. Je ne vois personne aux alentours. Devant la maison située au fond de l’exploitation, je sonne. Le fils m’ouvre, « Monsieur Odienne est-il là » ? Il va chercher son père qui sort sur le perron pour comprendre la raison de ma venue à l’improviste. « Ici vous êtes sur l’EARL Brill Odienne », me dit-il sur un ton professionnel. Je comprends alors que ce lieu d’habitation a également le statut d’entreprise. Quatre employés travaillent dans cet atelier de polyculture élevage, 60 vaches pour 150 hectares, et qui sont en train de faire la transition vers l’agriculture biologique. Il garde néanmoins par sécurité une partie de son exploitation en régime d’exploitation traditionnelle. Son fils travaille à plein temps et consacre son temps libre à un projet de micro-brasserie. m’offre à nouveau un café et un carré de chocolat. Je suis touché par cette hospitalité qui me dit beaucoup sur la manière d’habiter. J’interroge la famille sur l’histoire de l’exploitation, qui a été touchée par un incendie en 1974. Une étincelle partie d’un moteur de tracteur a brûlé un hangar de stockage de paille. Je comprends alors les risques encourus par ces lieux et le besoin de dissociation entre lieu d’habitation et lieu de travail, en témoigne le changement d’attitude du chef de famille entre le foyer et l’extérieur de la ferme.

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La transformation des produits sur place est une dynamique de projet qui m’intéresse car elle change le cadre de travail quoi qu’en dise l’éleveur de la Barre en Ouche. Après un petit temps sur le pas de la porte, la mère nous fait signe d’entrer. Assis à la table du petit déjeuner dominical, on

10 Jean de La Varende Écrivain né le 24 mai 1887 à Chamblac (Eure) et mort le 8 juin 1959 à Paris, est un écrivain français, auteur d’une vingtaine de romans, d’une dizaine de biographies, de diverses monographies sur la Normandie, et de plus de deux cents nouvelles, La Varende s’est surtout attaché à l’évocation du terroir normand avec ses curés de campagne, ses paysans, et ses hobereaux, tout en exprimant sa nostalgie de l’Ancien Régime et sa passion pour la mer et les marins.

Environnent Ressource : l’eau ressource naturellee au cœur de la ferme

Avant d’arriver sur place j’avais vu une notice de la RSD 11 stipulant que les points d’eau devaient se situer non plus à 400 mais à 200 mètres des bâtiments, le département devant investir dans des camions-citernes de plus grandes dimensions. Parallèlement, on demande à ces exploitations de se situer loin des zones d’eau potable afin d’éviter leur pollution par le lisier. Je comprends alors que la région a également son mot à dire sur la forme de ces exploitations et sur leurs implantations dans le territoire. Elle définit les distances entre les habitations tierces et les hangars de production. C’est pourtant ce lien qui manque à notre société, mais comment les recréer ?Les règles de distanciation pour le paysage rural peuvent-elles inspirer les architectes dans de nouvelles démarches ? Je pose des questions sur les mares environnantes. Où un grand travail de rebouchage a été effectué dans les années 60 pour permettre le remembrement, on y a sacrifié la biodiversité. Mais il est bientôt midi et la famille se met petit à petit en mouvement pour la journée de travail. Le dimanche n’est pas vraiment un jour de repos lorsque l’on est éleveur. Après un rapide tour de l’exploitation et des différents hangars je me rends compte que je dois en apprendre plus sur les usages de ces lieux de production. J’entreprends un inventaire des bâtiments existants et une étude de l’évolution du parcellaire. J’ai englouti mon déjeuner le long d’une haie bocagère replantée avec son panneau explicatif d’agroforesterie : « Haie plantée pour la régulation biologique ayant pour but de lutter contre le réchauffement climatique ». Ce n’est qu’après, grâce aux photographies aériennes, que

l’espoir qui réside dans le faire ensemble, le collectif et la prise de décision des agriculteurs

▲ Arrivée sur l'exploitation

Brill Odienn depuis le chemin communale.

◄ Interieur de l'exploitationvue depuis l'habtiation familialle.

je comprends l’impact du remembrement des années 60, qui a causé la perte de la société paysanne par l’agrandissement des parcelles. Les habitations étaient beaucoup plus nombreuses et les parcelles plus petites. Les habitants étaient autosuffisants et le maillage du réseau de route était plus étroit.

C’est grâce à des documentaires tels que, « Profil Paysans » la trilogie de Raymond Depardon, que je me rends compte de la perte de cette société et de ces hommes dont on a gardé le souvenir. Est-ceque mon ami pourra être le symbole d’une nouvelle façon d’habiter le milieu rural ?

Néanmoins, un autre documentaire, celui de Dominique Marchais, « Nul homme n’est une île » me fait prendre conscience de l’espoir qui réside dans le faire ensemble, le collectif et la prise de décision des agriculteurs. Il me permet de recentrer la question sur les lieux de production. C’est ainsi que je me suis intéressé à des outils comme les CUMA12 (Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole) dont l’exploitation Odienne est responsable. En me renseignant plus précisément sur la polyculture élevage, je me suis rendu compte de l’écosystème qu’il y a entre le territoire et ces exploitations. Elles sont les garants de l’utilisation des ressources. Les méthodes d’élevage contemporaines nécessitent beaucoup d’énergie pour produire les céréales nécessaires à l’alimentation des vaches. Cette vache mammifère que l’on a domestiquée, transforment l’herbe (en la digérant) à la fois en lait et en excrément qui valorise la terre. C’est un modèle vertueux pour le territoire. En créant des modèles d’élevage de grande échelle, la densité animale pose le problème de la pollution des sols. Le modèle économique de l’exploitation est très important : les gestionnaires, Monsieur et Madame Odienne s’intéressent à un système économique qui valorise le pâturage. Pour la filière lait, la ration est le plus souvent composée de maïs et de céréales, ce qui permet aux agriculteurs de produire davantage de lait par vache13. Les efforts réalisés par les agriculteurs pour permettre à la vache de manger des aliments plus riches et produire plus de lait se voient freinés par les besoins de décarbonisation de l’économie agricole. De plus, ce type de culture céréalière appauvrit les sols. Certains agriculteurs se sont rendus compte que si la technique de pâturage des bêtes produisait moins de lait, ils dépensaient moins de compléments alimentaires et ont moins d’entretien sur place et de plus le pâturage valorise leurs terres. En somme, faire moins et laisser faire la nature.

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