mémoire
En quête d’un sens À L’ARCHITECTURE
La valeur artisanale comme vecteur d’identité au Maroc
Sous la direction de Jacques Robert
Ecole nationale d’architecture et de paysage de Bordeaux Année universitaire 2022/2023
Je tiens à remercier mes proches pour leur soutien lors de la rédaction de ce présent mémoire, mon père pour sa lecture du mémoire et ses conseils.
Je remercie aussi Mr Joris Lipsch, et toute l’équipe Studio Matters pour leur compréhension et leur soutien continu, aussi d’avoir été curieux à l’égard de ma rédaction et d’avoir engagé le débat sur les éléments que je leur ai présenté.
Un grand merci aux architectes qui ont accepté mes interviews, ceux que j’ai interrogés ou rencontrés. Je salue votre vision critique du métier.
Enfin, je remercie mon encadrant de mémoire pour ces conseils au courant de ce travail.
A tous ceux qui ont participé à l’élaboration de ce travail de mémoire, de près ou de loin.
Merci,
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
Remerciements Sommaire Avant-propos
Introduction
I. L’artisanat au Maroc : entre mise en valeur et abandon, un juste calibre pour plusieurs postures :
1. Rapport Africanité / Marocanité: des assignations identitaires et des représentations ethnicisées
Concept d’ethnicisation
L’africanité
La marocanité
2. La référence traditionnelle dans le discours officiel
Une série de discours royaux
Une époque de transition politique
La marocanité projetée par le roi Hassan II Vers une expression contemporaine
3. L’artisanat, une pratique séculaire diffuse et mise en perspective
Panorama des secteurs d’activité artisanaux
Contexte des arts traditionnels au Maroc
Les artisans du patrimoine: la dinanderie comme forme de perpétuation de l’artisanat
La convention artisanale
Les différents acteurs du secteur d’artisanat
En quête d’un sens à l’architecture
II. Parallele artisan/architecte: les lignes de correspondance
1. La valeur artisanale comme vecteur d’identité: analyse d’une attitude
Face a l’industrialisation
Diffusion de la doctrine artisanale
La double posture de Walter Gropius au courant du 20e siècle
Crise et recherche d’un nouvel ancrage: la théorie italienne de Manfredo
Tafuri
2. S’inscrire dans le contexte actuel
Le rapport entre le travail utile et savant Entre atelier et corporation
La corporation comme catégorie professionnelle
3. Le geste comme source de correspondance
La main de l’artisan
Le portrait d’un artisan
L’étude d’un atelier de métallurgie traditionnel
L’engagement du ferronnier comme machine-outil
Les ateliers de forge
4. Expérience et temporalité
III. Vers de nouveaux processus et idéologies: les postures actuelles
1. L’exploitation du kitsch et la rhétorique patrimoniale
La quête d’une identité dans un contexte globalisant L’étude des essences locales
Considérer l’autre: une quête d’exotisme
2. La production supermoderne: le choix du neutre et de l’indéfini en architecture
La dissociation du signe, selon la théorie de Martin Steinmann
Le contexte historique de la dissociation
L’expérience phénoménologique
L’anti-représentation par le visuel
En quête d’un sens à l’architecture
Ce qui est évident et nul de sens
La suspension du sens
La saturation du signe
Une manifestation de la référence
L’accumulation des signes
3. L’expérience de la matiere
L’expérimentation comme processus hybride
L’atelier en agence
Collectifs d’architectes, une installation sans hiérarchie ni référant Entretien avec l’agence Lmnts Lab/Mehdi Berrada
Conclusion
Bibliographie Sitographie Iconographie Annexes
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
De nos jours, dans certaines régions du monde, la sphère de la production architecturale témoigne d’une attention croissante aux métiers locaux dans la conception de projets contemporains.
Cette tendance est plus pertinente dans le contexte du Maroc en raison de certaines circonstances historiques. De nombreux architectes affirment s’inspirer des arts traditionnels pour produire des réponses contemporaines. L’évidence de l’ère contemporaine permet de déduire que ces tendances sont renforcées par les facilités de l’ère contemporaine, induites par les processus de conception et de production numériques.
Mais au-delà des faits apparents, la recherche a révélé que dans le cas particulier du Maroc, cette ascendance dans l’utilisation de l’artisanat dans les projets architecturaux contemporains est également due à certaines particularités historiques. Les discours architecturaux allant avec les deux moments de l’occupation et de l’indépendance ont été un élément clé pour comprendre comment l’artisanat et l’interprétation de l’artisanat ont été presque invariables pendant un siècle de production architecturale dans le contexte du Maroc.
Comment les discours architecturaux de ces deux moments historiques peuvent-ils façonner la production architecturale dans certains de ses aspects ?
Dans quelle mesure le discours officiel peut-il interférer avec certaines propriétés innées de la conception du projet, déclencher certaines voies et encadrer la prise de décision concernant les choix de conception du projet ?
En quête d’un sens à l’architecture
Cette étude est une modeste contribution qui tente de remettre en question les preuves, d’établir une compréhension critique du rôle des discours architecturaux dans l’utilisation croissante de l’artisanat dans les projets contemporains, en particulier lorsque la spécificité locale devient une demande renouvelée des projets contemporains.
Toutefois, le propos sur la dernière partie du mémoire sera nuancé, il ne s’agit pas de faire l’inventaire des architectures neutres pour appuyer l’étude de ce rapport au sens en architecture, mais plutôt de poser un questionnement sur cette approche de neutralité, car c’est une posture qui permet d’esquiver tout paradigme, se détache de tout éthique et dénue l’expression de l’architecte de toute signification culturelle, sociale ou autre.
Il s’agit donc de comprendre ce qui est l’origine de cette nouvelle écriture neutre et l’étendue de cette nouvelle idéologie. Et que l’on peut cerner dans la théorie de Martin Steinmann, la forme comme moteur de sens ou celle du banal, comprise comme une absence de sens.
Considérer une pratique ou l’on suspend l’idée du sens conduit à une architecture qui affirme sa présence physique en s’appuyant sur la perception, plutôt que les qualités d’un matériau, et donc s’éloigne de toute autre signification…
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
Le titre en quête d’un sens à l’architecture fait allusion aux architectes marocains en recherche d’un ancrage profond dans leur pratique et qui semblent se réclamer d’une sensibilité artisanale, elle constitue et un levier d’appropriation et de questionnement.
Au Maroc, il a une chance sur deux qu’un artisan d’art veuille exercer un métier qualifié d’intellectuel. Le travail artisanal subit aujourd’hui la division des tâches. Et inversement, qu’il est probable qu’un cadre de bureau - sachant que ces mêmes métiers subissent un effritement des tâches -, suite à un événement infortuné, qu’il ait eu envie de se mettre au travail manuel, passé du temps là-dessus et retrouve sa vocation.
Parle-t-on d’artisan qu’une image vient aussitôt à l’esprit. Jetant un coup d’œil par la fenêtre d’un atelier de menuisier, vous apercevez un vieil homme au milieu de ses apprentis et de ses outils. L’ordre règne. Les pièces de chaises sont soigneusement rangées ensemble, une odeur fraîche de copeaux emplit d’une pièce, le menuisier se penche sur son établi afin d’exécuter une incision en finesse pour la marqueterie.1
Ce qui vaut pour un pour l’artisan peut valoir pour un architecte, car sa maîtrise se dilue et s’émiette pour emprunter diverses directions. Son rapport au métier devient de plus en plus un travail où il orchestre, généralement avec une équipe, le déroulement d’un projet de construction. Il en résulte qu’un architecte se voit dans l’incapacité de toucher à toutes les disciplines nécessaires à sa pratique, et se met à la recherche d’une identité à sa profession. Cet émiettement a déclenché un questionnement plus personnel que je ressens en cette dernière étape du devenir d’architecte à l’école, autour de l’aspect pratique du métier.
D’autant plus qu’au Maroc, de nouvelles réflexions autour de la pratique architecturale émergent et encouragent de profonds questionnements autour de son paysage urbain éclectique et de la légitimité du discours qui le sous-tend. Le patrimoine bâti et ses éléments deviennent des modèles, des archétypes à reproduire et à imiter au nom d’une certaine tradition qui s’est construite dans l’imaginaire collectif.
Cette reproduction peut aller d’une interprétation du rapport formes/matériaux, jusqu’à un mimétisme formel partiel ou complet des formes du passé. S’ajoute à cela la prédisposition presque naturelle à l’appréciation de la matière et de la création artisanale.
En quête d’un sens à l’architecture
Toute architecture qui promeut l’identité d’un lieu doit avant tout avoir du caractère, capable de questionner les paysages dans lesquels elle s’insère. Chaque lieu raconte une histoire profonde. Le rôle de toute architecture est de créer des métaphores existentielles incarnées et vécues concrétisant et structurant notre être dans le monde.
Juhani Pallasma.La référence historique a été une première fenêtre d’investigation autour du mouvement de retour aux arts traditionnels, notamment à travers les discours politiques pour comprendre l’historiographie limitée qui les caractérisent.
Serait-ce la nostalgie une manière de redonner de la valeur ou du sens à l’architecture ?
Là ou l’architecte peut se distinguer, c’est dans sa capacité à prendre du recul. Il ne s’agit donc pas de considérer ce retour aux pratiques artisanales comme un mouvement de nostalgie car cette approche peut être réductrice ; cela minimise sa raison d’être et sa portée en le fixant sur une image romantique qui ne saurait convenir que d’amorce à cette recherche qui, considère l’artisanat comme un processus plutôt qu’un résultat.
Ces lectures en ont appelé d’autres diversement référencées dans le champ du patrimoine, de l’anthropologie etc.
Telle a été la démarche engagée par ce présent mémoire, partir des rapports qu’ont entretenus architecture et artisanat par le passé, pour ensuite aboutir aux rapports qu’ils se proposent d’établir aujourd’hui, et dans l’interstice, questionner ce que peut représenter l’artisan pardelà le champ de l’architecture et les axes de correspondances qui se créent dans la foulée, en s’appuyant sur le système de valeurs que j’associe à sa profession et qui fait le sens de son métier.
Le temps de la recherche a ainsi affiné le questionnement autour de ce sujet pour le concentrer autour de la problématique suivante:
Dans quelle mesure la valeur artisanale peut être un vecteur d’identité de la pratique architecturale au Maroc ?
Une première partie cherchera à mettre en avant, par une lecture historique de la référence artisanale au Maroc, les différents moments de l’architecture par rapport à sa production et son ancrage, et le rôle que joue l’artisanat à ces périodes.
En quête d’un sens à l’architecture
La seconde partie traitera, dans un mouvement général de sens, de ce en quoi les valeurs artisanales peuvent être des vecteurs d’identité. Cette partie sera théorique et prendra appui sur des ouvrages de sociologie urbaine pour définir ces qualités qui permettent à un architecte en quête d’accéder à sa définition.
Enfin, une troisième partie prendra appui sur le modèle du collectif d’architectes qui mettent en avant, dans leur pratique, une attention particulière au traitement artisanal, à des degrés différents, dans leur projets.
En quête d’un sens à l’architecture
I. L’artisanat au Maroc : entre mise en valeur et abandon, un juste calibre pour plusieurs postures
En quête d’un sens à l’architecture
I. L’artisanat au Maroc : entre mise en valeur et abandon, un juste calibre pour plusieurs postures
1. Rapport Africanité / Marocanité: des assignations identitaires et des représentations ethnicisées
L’africanité s’inscrit dans une logique d’ethnicisation qui va au-delà du contexte d’Afrique, et se révèle comme étant stigmatisante dans la mobilisation sociale des différentes classes. Les frontières hiérarchisées entre l’Afrique et les autres continents, permettant de constater les assignations identitaires et diasporiques, il semble alors pertinent d’analyser ces constructions sociales pour ainsi soutenir les marqueurs de différenciation et la façon dont ils nourrissent les crispations et labilités contemporaines.
L’analyse de cette notion se base sur des processus construits au cœur des mouvements migratoires, et ont notamment été prises en compte les logiques, représentations et pratiques sociales du quotidien. Elle intègre aussi une les catégorisations sociales et hiérarchies de classe construites autour de la notion de blanchité, par rapport à l’africanité. L’usage social qui en découle désigne, mais de façon générique, une personne dont la couleur de peau est blanche.
Concept d’ethnicisation
Cette notion intègre des représentations ethnicisées et se vérifie dans le rapport au travail, un domaine dans lequel se manifeste ouvertement l’assignation identitaire dans le quotidien professionnel, l’imaginaire social et dans le rapport avec l’autre.
L’africanité
L’affiliation des Marocains avec l’Afrique1 a toujours été sujet de débat et ne cesse d’alimenter les polémiques au niveau de la conscience marocaine : certains réfutent le lien identitaire et les autres le revendiquent. Souvent, la position est biaisée et les Marocains ont tendance à prendre des raccourcis pour répondre à la question d’appartenance à l’Afrique2
Faisant écho à ce débat, le thème de la marocanité s’articule autour de la question suivante : dans quelle proportion est-ce que la notion d’africanité interagit avec l’identité marocaine
1. De l’africanité à la transculturalité :éléments d’une critique littéraire dépolitisée du roman , Josias Semujanga
2. Janheinz Jahn, Muntu. L’homme africain et la culture néo-africaine, Paris, Seuil, 1975 (1958).
En quête d’un sens à l’architecture
En considérant la construction identitaire comme étant un processus faisant intervenir des sentiments d’appartenance ou d’adhésion à des références spatiales / historiques ou à des systèmes de valeur, ces systèmes d’ailleurs n’offrent qu’une perspective partielle du problème, car l’identité africaine dépasse toute considération géographique.
Elle n’est pas uniquement la somme des cultures qui composent les peuples africains, mais plutôt un ensemble de valeurs communes.
D’ailleurs, parmi les différentes difficultés que rencontre la critique d’architecture, c’est le rapport étroit entre la culture et le développement des pays africain, et qui s’exprime surtout dans la sphère des cultures constructives et des dimensions environnementales qui lui sont liées.
La marocanité
L’identité marocaine et un concept confus et composite, ce qui rend la définition de ce que peut être la marocanité1, terme introduit par le feu roi Hassan II lors de ces discours autour de la construction d’une identité marocaine. Pays aux confluences multiples, le Maroc se présente comme un pays profondément africain à l’héritage hétéroclite qui résulte d’une exposition à différentes cultures2
Une confusion identitaire est l’expression d’une recherche d’âme profonde par le biais de l’architecture comme un témoin culturel3. Le débat est ouvert par Hassan II suite la récupération des territoires a la fin des années 70. C’est lors d’un discours adressé aux architectes le 14 janvier 1986 à Marrakech que le feu roi énonce les règles des projections architecturales afin d’affirmer la souveraineté d’un Maroc indépendant.
La réflexion sur la marocanité a démarré par une volonté de démonstration politique pour montrer l’héritage du Maroc et sélectionner des architectures régionales dont les attributs peuvent être rattachés au pays pour les transposer en pratique, qui ne doit pas être qu’identitaire ou esthétique, mais comme point d’appui pour une réponse qui inclut son contexte, géographique ou social.
Dans un pays aux conditions pareilles, il y’a deux manières d’introduire le débat: la première serait de considérer l’ensemble des constructions localisées au Maroc comme faisant partie d’un tout national, ou de déterminer des spécificités régionales unies et encadrées par un canon national, dicté par la religion, la composition sociale et les conditions climatiques.
Le terme marocanité introduit le débat et sa définition reste hypothétique.
1. Tarik OUALALOU, Hakim BENCHEKROUN, Resistances et Resignations- architectures au maroc | 2004-2014, AAM EDITIONS, 2014
2. Plusieurs éthnies se sont succédées au Maroc au fil des années, la culture amazigh étant autochtone. Les différentes civilisations qui colonisent où échangent avec les peuples marocains laissent évidemment leur trace sur le territoire; romains, caliphate arabo-musulman, civilisations ibériques...
3.Terme employé par Hassan II, qui ouvre le débat sur la question après l’indépendance du Maroc, afin d’essayer de recréer une identité commune forte.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
I. L’artisanat au Maroc : entre mise en valeur et abandon, un juste calibre pour plusieurs postures
2. La référence traditionnelle dans le discours officiel
Comprendre l’influence du discours officiel dans la production architecturale liée aux métiers traditionnels passe par l’analyse d’un certain nombre d’échantillons de projets phares illustrant cet impact, en adoptant une méthodologie de lecture croisée selon la nature des fonds documentaires.1
L’étude du cas du Maroc permet de comprendre comment le discours architectural est utilisé par un pays pour véhiculer sa propre image à travers l’architecture qu’il construit en utilisant des références du patrimoine civilisationnel traditionnel.22 Le lien entre la production architecturale et le discours officiel n’est pas nouveau, et certainement pas propre au Maroc. Cependant, ce qui est intéressant dans ce cas particulier, c’est le rôle de l’artisanat dans la construction du lexique de l’architecture contemporaine.
Une série de discours royaux
Un territoire donné incarne une succession de modes d’interaction entre l’homme et son environnement, à travers les différentes strates qui forment une époque et que l’architecture vient traduire. Ces strates héritées constituent en elles-mêmes une direction de l’architecture à construire.
Cette question prend toute son importance lorsqu’il s’agit de moments historiques. Dans ce cas, les moments de la colonisation et de l’indépendance d’un pays3. Ces deux moments impliquent une série de conséquences telles que la dépendance, la rupture, puis l’autonomie politique, économique et culturelle.
Cette reprise de l’autonomie nécessite de fonder, de concevoir et de construire un état indépendant, impliquant ainsi un ensemble de choix et d’orientations à définir pour y parvenir. Les possibilités de nouvelles redéfinitions sont multiples et critiques. C’est là que l’attitude à l’égard de l’héritage devient importante.
1. Nelson Goodman, “How buildings mean”, in Critical Inquiry, 11, 4, June 1985, pp. 642–653, url: http://www.jstor.org/stable/1343421, accessed28/ 03/ 2019.Published by: The University of Chicago Press, Source: Critical Inquiry, Vol. 11, No. 4 (Jun., 1985), pp. 642-653
2. Ibn Khaldûn, Discourse on Universal History (Al-Muqaddima), trans. by Vincent Monteil, National Commission for the Translation of Masterpieces, Unesco Collection of Worksrepresentative, Series Arabic, Beirut, 1967, 1434 p., Volume 2.
3. Ce postulat des ingrédients pour unifier un territoire sont discutés dans l’article : Eva Cantat, “ Imaginaire national et territoire : La construction nationale marocaine après l’indépendance “, ILCEA [En ligne], 30 | 2018, mis en ligne le 31 janvier 2018, consulté le 20 avril 2019.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
I. L’artisanat au Maroc : entre mise en valeur et abandon, un juste calibre pour plusieurs postures
Fig.5 Rencontre entre le prince héritier Moulay Hassan et l’architecte Le Corbusier ina. fr/L’architecte, Le Corbusier au Maroc
Une époque de transition politique
La transition vers l’indépendance a été une étape critique et complexe, car elle a nécessité la prise d’attitudes politiques et d’orientations idéologiques définissant l’identité d’une nation indépendante. On essaiera de comprendre comment le discours architectural est utilisé par un pays pour construire et véhiculer sa propre image à travers l’architecture qu’il construit en utilisant des références du patrimoine civilisationnel traditionnel.
“Architecture is necessary for kings and for the great who want to found big cities, with beautiful monuments. They strive to apply the greatest precision and to calculate the elevation of volumes, to achieve [sic.] Perfection in the genre. Architecture is the right instrument for these companies.. “1
La marocanité projetée par le roi Hassan II
Les années 60 à 70 marquent le début d’une construction identitaire nationale, chapotée par le roi Hassan II. Loin des références folkloristes de l’architecture néo-mauresque et colonialiste, mais plutôt inspirée du modernisme de Gropius et Niemeyer pour établir une nouvelle base d’idées afin de tirer le Maroc vers la modernité et l’inscrire dans son temps.
Le modernisme marocain a profité de la condition désastreuse d’Agadir après le séisme de 1960 pour lui donner une sémantique architecturale originale. La création d’une première école d’architecture au Maroc exprime l’implication directe de l’État comme acteur de la pensée architecturale et affirme sa direction en la plaçant sous la tutelle du ministère de l’habitat et de l’aménagement. Néanmoins, le roi Hassan II énonce les bases de ce à quoi devrait ressembler une architecture marocaine à l’époque lors du discours royal de 1986 où il énonce une vision rétrograde et autocritique forcée qui pousse à revisiter les techniques du passé.
Notre pays est beau, ses monuments sont beaux, mais ses édifices ne le sont pas, je ne parle pas des bidonvilles, parle de ses rues, je parle de ce que voient les étrangers et de ce que nous voyons.2
Discours de Hassan II lors de la création de l’ordre des architectes, 14 janvier 1986
1 Nelson Goodman, “How buildings mean”, in Critical Inquiry, 11, 4, June 1985, pp. 642-653, url : http://www.jstor.org/stable/1343421, consulté le 28/ 03/ 2019.Publié par : The University of Chicago Press, Source : Critical Inquiry, Vol. 11, No. 4 (Jun., 1985), pp. 642-653
2. Discours de Hassan II lors de la création de l’ordre des architectes, 14 janvier 1986
En quête d’un sens à l’architecture
I. L’artisanat au Maroc : entre mise en valeur et abandon, un juste calibre pour plusieurs postures
Fig.6 et 7 Nouvel Agadir ( Haut-Commissariat au plan)/Mourad Ben Embarek / 1960 Illustrations tirées du site officiel du MAMMA ( Mémoire des architectes modernes marocains ) Group. mammagroup.org
En quête d’un sens à l’architecture
Les architectes se sentent investis d’une mission nationale, celle de faire de belles villes que les Marocains pourraient apprécier et s’y reconnaître. L’échec face à cette demande serait une preuve de manque de patriotisme. Cela entraîne un changement de référence et conduit l’architecture vers un style alimenté par le décor, l’ornementation. Il en résulte une hybridation des matériaux utilisés et par translation celle de l’authenticité revendiquée par Hassan II.
En effet, cette vision orientaliste est réductrice, marquée par un abus iconographique qui restreint le Maroc à une vitrine, son héritage architectural au décor à la calligraphie.
Toutefois, le discours de Hassan II est nuancé, d’une part ce dernier cherche à marocaniser les villes mais les rattache toujours à une présence coloniale par ses actions politiques ( BET français, entreprises de constructions étrangères ..)
Aussi, le patrimoine mis en lumière est politico-religieux, c’est à dire que certains sujets comme l’urbanisme ou le manque d’espaces verts ne sont pas soulevés1
Vers une expression contemporaine
Le règne de l’actuel roi Mohammed VI se manifeste par des gestes réformateurs, qui catalysent la transformation sociale au Maroc, et ou les gestes architecturaux ne sont pas guidés par des volontés politiques.
Le retour systématique vers les procédés du passé et la tradition sont remis en question. Les architectes commencent à transcender la simple exploration identitaire.
Les opinions varient autour de la scène architecturale au Maroc, on y construit mais on théorise peu, ce qui fragilise la dimension intellectuelle et par conséquent, conceptuelle de cette pratique. L’appétit pour l’ornement se ressent toujours.
Est-il légitime ? Comment s’en libérer ?
En réponse à cela, des questionnements plus contemporains font surface comme l’expression tectonique d’un bâtiment, ses interprétations et appropriations des répertoires du passé. L’intérêt est aussi porté sur les techniques bioclimatiques vernaculaires.
Toutefois, le développement des projets d’aménagement n’obéissent pas aux mêmes règles du territoire. Les formes urbaines qui en résultent sont ambiguës, car les libertés de conception qu’elles présentent ne résonnent pas avec la ville et sont déconnectées de sa réalité urbaine.2 Il reste à espérer que le Maroc pourra en finir avec ces débats binaires qui présentent la tradition comme opposée à la modernité.
1. HASSAN II, 1997, Discours et entretiens de sa majesté le Roi Hassan II, mars 1996-mars 1997, Rabat, Ministère de la Communication.
2 La volonté politique était de construire un “ symbole civilisationnel “, liant le savoir-faire traditionnel de l’artisanat aux progrès techniques contemporains. “Nous avons mis en œuvre une véritable révolution industrielle, mais nous soutiendrons toujours l’artisanat, cette école de l’humilité qui symbolise l’originalité du Maroc “15, exprime feu Sa Majesté Hassan II.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
I. L’artisanat au Maroc : entre mise en valeur et abandon, un juste calibre pour plusieurs postures
3. L’artisanat, une pratique séculaire diffuse et mise en perspective
Panorama des secteurs d’activité artisanaux
L’étude faite par le ministère du tourisme, de l’artisanat et de l’économie sociale estime certains indicateurs stratégiques du secteur de l’Artisanat d’Art et de la production au Maroc1.
Chiffres clés de l’Artisanat de Production d’Art et Utilitaire2
L’Artisanat de Production d’Art et Utilitaire est segmenté en :
• Artisanat de Production d’Art : est considéré artisanat de production d’art, toute activité qui tend à la fabrication de produits ou la transformation de matières premières en produits finis ou semi-finis, et qui se distinguent par leur caractère artistique, créatif et patrimonial original, à des fins décoratives ou esthétique.
• Artisanat de Production Utilitaire : est considéré artisanat de production utilitaire, toute activité qui tend à la fabrication de produits ou la transformation de matières premières en produits finis ou semi-finis, à des fins utilitaires en profitant de son usage.
Le secteur de l’Artisanat de Production d’Art et Utilitaire a totalisé en 2018, un chiffre d’affaires de 76,4 Milliards de DH et un nombre d’emplois de 1138977 ar tisans.
Les monos artisans réalisent une part de 94% du chiffre d’affaires du secteur de l’APAU. Ceux du milieu urbain sont ceux qui contribuent le plus à l’activité (une part de 82%).
Quant aux entreprises, elles ne contribuent qu’à hauteur de 6% au chiffre d’affaires, mais elles continuent à jouer un rôle important dans la dynamisation et la modernisation du secteur grâce, notamment, à leur mode de gestion et de production.
Fig.9 Indicateurs globaux de l’Artisanat de Production d’Art et Utilitaire (APAU)
1 Étude menée par le Ministère du tourisme, de l’Artisanat et de l’économie sociale. Publiée en 2021 en prévision de 2022
2 Définition selon la Loi 50.17
En quête d’un sens à l’architecture
I. L’artisanat au Maroc : entre mise en valeur et abandon, un juste calibre pour plusieurs postures
Contexte des arts traditionnels au Maroc
L’art traditionnel est défini dans le Petit Robert, comme une production artistique qui s’inspire d’une tradition artistique sans chercher à la renouveler ou à la repenser. Il est aussi un attachement à l’héritage, aux pratiques, aux coutumes et aux manières de penser, de faire ou d’agir.
La pratique artistique traditionnelle est riche car elle provient d’apports accumulés par le passage de plusieurs dynasties régnants sur le pays. La nature profonde de son génie réside dans le fait qu’il s’agit d’une conjonction d’une histoire multiséculaire, l’influence est double: berbère car les moyens d’expression employés sont simples, des formes élémentaires comme le point, le cercle ou la ligne. Arabe , par une expression plus raffinée et stylisée.
L’artisanat a un lien fort avec la tradition, car il est assimilé dans la culture, en passant par plusieurs métiers ( menuiserie, ferronnerie, poterie, tissage, orfèvrerie ).
La ferronnerie est un bon exemple du champ d’expression de la culture dans l’artisanat marocain. En se référant aux documents du ministère du tourisme, de l’artisanat et de l’économie sociale et solidaire, la maîtrise du fer fait son apparition au Maroc dès 1500 av. J.C. Depuis, l’art du fer forgé se caractérise par une grande diversité de matériaux.
Les différentes formes d’expression artisanales en textile vont du simple outil aux objets de décoration les plus raffinés. Ils domptent les flammes et le feu et dressent le fer. Ces artisans ont cerné la finesse et la subtilité des variations rythmiques et du motif.
Ces pratiques à mon sens s’immiscent dans la vie quotidienne au point que leur présence est presque évidente dans l’espace public. Dans la médina de Marrakech, la pratique artisanale dépasse les ateliers. Une grande partie de leur activité se déroule sur le seuil de ces ateliers. De même on retrouvera d’autres artisans..
Rien n’est plus extraordinaire pour l’esprit curieux et plus émouvant pour l’œil épris de riches couleurs que de visiter le souk des teinturiers (..) de Marrakech, pour ne citer que ceux -là. Ces cuves, garnies de faïence et remplies de bains de différentes couleurs, reçoivent les lourds écheveaux de laine filée. Une fois teintes, les belles torsades de laine sont mises à sécher sur des bâtons tendus en travers de la rue, au-dessus de la tête de passants. Et c’est un éblouissant spectacle que celui des rayons de soleil jouant à travers cette extraordinaire vue de tons chauds et violents. Le souk des teinturiers de Marrakech est, à juste titre, parmi les plus célèbres.1
Maroc, Hugot.H, (1972)En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
I. L’artisanat au Maroc : entre mise en valeur et abandon, un juste calibre pour plusieurs postures
Les artisans du patrimoine: la dinanderie comme forme de perpétuation de l’artisanat
L’artisanat constitue un domaine où circule plusieurs valeurs morales: il permet le transfert d’un ensemble de savoir-faire au sein d’un réseau et propose des alternatives d’entraide pour aller vers une émancipation collective, se positionner dans le marché et contrer ses répercussions.
Chez les artisans, patrimoine et l’ethnologie se confondent, dans le sens ou l’ethnologie est là pour mettre en valeur. Pendant mes études au Maroc, j’ai pu mener une courte recherche d’ethnologie auprès de certains artisans de la médina de Marrakech et je me suis rallié à l’idée qu’un artisan est aussi le gardien d’une tradition immuable et représente par ses travaux une partie du patrimoine marocain.1
La situation actuelle de cet artisanat émane de deux tendances historiques: la première, séculaire et datant du protectorat, et la deuxième moderne et dont la vocation est de substituer aux produits de consommation courante.2
Confrontés au risque de voir les attributs de l’artisanat se dissiper, les dinandiers ou Swaaniya entreprennent de figer et perpétuer le répertoire des savoirs artisanaux.
Certains ont emprunté la voie traditionnelle tandis que d’autres, proposent des gammes de produits plus larges. La condition capitaliste a donc joué un rôle important dans le dessein d’expansion. De ce fait, la situation de la dinanderie est fortement ancrée dans l’idéologie orientaliste et de l’industrialisation. L’évolution de la situation économique actuelle tend à exclure la coopération égalitariste et qui représente la base du discours traditionaliste.
La dynamique de la Sanaa, ou l’activité dinandière3, témoigne de cette évolution. La démarche de travail devient plus simplifiée, car elle reste manuelle et certains gestes mécaniques sont répétitifs. Cela n’affecte pas pour autant la perpétuation de ce savoir-faire.
Comment perpétuer la politique de patrimonialisation?
1. Les données de cette analyse ont été développées dans Baptiste Buob, La Dinanderie de Fès. Un artisanat traditionnel dans les temps modernes. Une anthropologie des techniques par le film et le texte, Paris, IbisPress-Éditions de la MSH, 2009.
2. D’apres les lectures de Prosper Ricard, un acteur majeur de la politique artisanale du protectorat. il parle successivement de « métiers manuels », d’« industrie indigène » puis d’« artisanat » : « Les métiers manuels à Fès », Hespéris, 4, 1924 ; « L’industrie indigène au Maroc », Bulletin économique du Maroc, 6, 1934 ; « Pour une première étape dans la modernisation de l’artisanat marocain », Bulletin économique du Maroc, 46-47, 1946.
3 L’activité des swāiniya (sing. swāini) consiste en la pratique d’un ensemble de techniques de mise en forme (coulage, martelage, pliage, découpe, torsion, etc.), d’assemblage (soudure, brasure, rivetage, etc.) et dedécoration (gravure, ciselure, émaillage, argenture, etc.) de métaux et d’alliages non précieux (principalement le laiton et le cuivre), grâce auxquelles sont fabriqués des ustensiles ménagers et des articles de mobilier : vaisselles, luminaires, portes, etc.
En quête d’un sens à l’architecture
Le contexte actuel marque un processus de patrimonialisation, où le vocabulaire traditionnel de l’artisanat se substitue progressivement pour suggérer un ordre de grandeur par rapport à l’industrie.Le fait patrimonial n’est que le résultat d’une sélection d’éléments représentatifs dans lesquels une société donnée peut s’identifier et meubler sa vitrine pour donner à voir.1
La politique patrimoniale ne s’appuie pas uniquement sur une vision historiciste, car elle déploie des outils pour l’éducation des artisans et la relance des savoirs séculaires dans une logique de régénération.
Toutefois, la dynamique patrimoniale est mue par des logiques qui tiennent à manipuler le discours traditionaliste, la référence à celui-ci a plus un rapport avec l’économie qu’avec certaines valeurs humaines.Regardés de cette manière, les artisans doivent donc s’accommoder à cette situation qui n’offre qu’une gratification pauvre; Ces valeurs artisanales ne sont pas naïvement perpétuées, car leur investissement est une réponse apportée pour subsister.2
Le comportement des artisans est rationalisé selon plusieurs principes d’action. Une convention professionnelle est mobilisée pour réagir aux différentes situations du quotidien. Il s’agit au d’un moyen de régulation, car c’est par le biais de cette convention que l’état intervient. Sauf que, historiquement, l’engagement avait un caractère domestique.
La convention artisanale :
La structure artisanale a longuement constitué une institution socio-économique, à l’origine de toutes les normes et règles et où le comportement de l’individu est rationalisé par différents principes d’action et de règles qui orientent les comportements des artisans. La convention permet de maintenir un rapport équilibré entre les différents agents du marché artisanal.
La régulation se fait par le biais de deux conventions.
La convention professionnelle, un moyen étatique pour assurer une prospérité du secteur. Tandis que la convention domestique, plus dominante, permet l’autorégulation du secteur et intervient à l’échelle de l’artisan et établit des normes de rapports 3
Dans la tentative de moderniser le secteur, la convention s’appuie sur un nouveau système de formation professionnelle. Sauf que cette logique se voit heurtée par un système d’apprentissage séculaire et se s’acquiert par l’expérience sur le tas.
1. Jean Devallon, « Philosophie des écomusées et mise en exposition » ; cité par Abdelmajid Arrif.
2. Christine Jaeger, Artisanat et Capitalisme. L’envers de la roue de l’histoire, Paris, Payot, 1982.
3. Michel Rautenberg, « L’émergence patrimoniale de l’ethnologie : entre mémoire et politiques publiques »
En quête d’un sens à l’architecture
I. L’artisanat au Maroc : entre mise en valeur et abandon, un juste calibre pour plusieurs postures
Les différents acteurs du secteur d’artisanat
Le Mohtasseb: Il s’agit d’un représentant à la tête d’une organisation corporative «La Hisba » ; une institution à caractère religieux, qui sera plus tard politisée. Son role est de réprimer les fraudes. On en retrouve un dans chaque ville du royaume.12
L’Amine: est une personne élue par les artisans et qui veille à l’application de la coutume. Sa fonction est de régler les conflits entre les artisans et ceux entre ces derniers et les particuliers.
Le Bailleur de fonds ou Maâlem Choukara: est un investisseur dans le domaine de l’artisanat, qui n’a aucun lien avec le métier et n’intervient que dans la gestion de l’entreprise artisanale.
Le Maâlem (Le patron): est le chef d’une entreprise artisanale. C’est le commanditaire des ouvriers pour la réalisation des projets.
Les « Sonnaâs » : Il s’agit d’ouvriers qualifiés et qui interviennent directement dans l’unité de production. Sa qualification professionnelle est inhérente à son ancienneté et lui attribue le statut de « Sanâ».3
L’apprenti ou le « Mataâlem » : C’est l’élève sous la tutelle de Maâlem-Sanâ, il reçoit son apprentissage de ce dernier.
1. Bougroum M.1999. « Fonctionnement du marché du travail et relation éducation –formation –emploi au Maroc : une étude analytique et empirique. » Thèse d’Etat de doctorat en sciences Économiques Université Cadi Ayyad
2. L’enquête sur le secteur informel réalisée par le Groupe de Recherche sur l’Emploi et la Formation – Qualification (GREFOQ) en 1988.
3. Université Cadi Ayyad 1999. « Étude sur le secteur de l’artisanat dans la ville de Marrakech. »Rapport de première phase.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
II . Parallele artisan / architecte: Les lignes de correspondances
En quête d’un sens à l’architecture
1
Cette seconde partie de ce mémoire traitera de la prétention des architectes aux qualités de l’artisan au Maroc dans leur recherche de sens, et de comment les valeurs artisanales peuvent être des vecteurs d’identité. Ces hypothèses me permettent d’esquisser les définitions des deux professions et mieux comprendre le croisement incessant entre les imaginaires d’un architecte et celui de l’artisan.
Une première définition un peu plus large, tirée du Robert le décrit comme étant un travailleur indépendant, qui justifie d’une qualification professionnelle et d’une immatriculation au répertoire des métiers pour l’exercice, à son propre compte, d’une activité manuelle. La norme traditionnelle avec tout ce que ça implique est donc indissociable de son exercice professionnel.1
La définition de l’architecte, quant-à-elle, est plus difficile à cerner, car elle balaye plusieurs époques ou l’architecture porte différentes casquettes, d’une simple profession a un corps de métier ou ses codes, sa doctrine et son esthétique sont partagés.
Dans cette continuité, la définition ne cesse d’évoluer et l’architecte est toujours muni du désir d’aller plus loin dans la compréhension de ce métier dont le champ des possibles est vaste, et qui ne cesse de se réinventer constamment avec l’exacerbation du désir de la vie.
La miscibilité des deux imaginaires, d’une part celui de l’architecte, et d’autre, l’artisan, permet d’esquisser quelques lignes de correspondances. Il importe de voir que certaines lignes sont intangibles, car elles sont sensibles et se manifestent autrement.
Une même idée a été traitée par Albert Shut, un phénoménologue qui étudie l’évolution de la société par le paramètre du temps.
‘’Chaque membre d’une société participe à l’évolution de la vie des autres’’.
A l’image d’un orchestre de musiciens qui n’interagissent pas pendant une performance et n’échangent pas d’idées, ou du moins pas dans un sens littéral; ils bougent ensemble et partagent le moment présent. Ce que je cherche à dire dans cette partie va dans le même sens, à savoir que le rapport de l’architecte est à double sens avec l’artisan.
En quête d’un sens à l’architecture
L’architecture partage avec l’artisanat le désir d’explorer les processus, capables d’engendrer un espace. intrinsèques aux atmosphères, aux volumes, aux formes et aux propriétés des matériaux que l’on engage.
Un architecte engage avec l’artisan un rapport de correspondance: celle d’une attention réfléchie a une habilité manuelle pour analyser la matière de « l’intérieur » et activement. Il réfléchit en observant ses variations, devient réceptif aux indices visuels et réagit avec précision.
Cette ligne de correspondance permet autant de remettre en question toute la construction normative de la profession que de donner une différence de perspective.
L’artisan a tendance à ramener des choses à la vie. On pourra matérialiser ce rapport par une deux lignes. La perception d’un architecte est médiatisée par les yeux, il engage une relation optique avec le monde alors que l’artisan perçoit avec ces mains (..)
Pour comprendre le sens des matériaux du point de vue de ceux qui les exploitent, partagé dans ces modes d’appréhension et bien ancrés dans la réalité, entre sa physicalité et ses valeurs acquises par les différentes activités humaines, il faut discerner les propriétés d’un matériau, objectives et scientifiquement mesurable et des qualités.
En quête d’un sens à l’architecture
1. La valeur artisanale comme vecteur d’identité analyse de l’attitude
Pour pouvoir comprendre le rapport contemporain à l’artisan, il faudra aborder la question d’évolution des modes de travail, depuis le 19e siècle.
A l’avènement de l’industrialisation, la nécessité de certains corps de métiers est remise en question, d’autant plus avec le contexte de numérisation. Il serait alors judicieux d’y regarder de plus près pour se rendre compte que ce processus s’est traduit par la prolifération de petites et moyennes entreprises.
L’analyse sera chronologique et dans un contexte globalisé, car le corps de métier évolue selon les différentes écoles de pensée et les codes professionnels qui en découlent. Les écrits de Karl Marx, John Ruskin ou William Morris constitueront une grille de lecture pour l’étude de la valeur artisanale.
Ces figures théoriques exposent des positions plus critiques et s’inscrivent dans des temporalités assez larges, le croisement des théories est assez intéressant car il permet de mieux situer les influences et les doctrines et de cerner leur portée. La réflexion se base sur des références occidentales; un contexte plus large permet d’aller aux sources pour ainsi voir comment cela se transpose sur une société marocaine postcoloniale, et qui est donc familière avec les idéaux occidentaux. 1
Face a l’industrialisation
L’inscription de l’académie d’architecture aux beaux arts au courant du 19e siècle a établi une certaine proximité qui célèbre justement la dimension artistique du corps de métier et s’éloigne du registre des arts mécaniques. L’attitude architecte/artiste se crée et s’émancipe pour élever son statut social. En parallèle, l’évolution scientifique et la mécanisation produit le profil de l’ingénieur. Un nouveau code déontologique émerge.
Ils proposent une conception à contre-sens de l’organisation législative des architectes du 19e siècle, car pour eux le facteur humain est important et se substitue sur un édifice. La figure artisanale transparaît comme un acteur de la construction: les deux théoriciens prêchent un modèle idéal ou la tradition du travail est encore présente et qui encourage la posture d’artisan.
1 Conclusions tirées par les rapprochements des visions politiques de John Ruskin, William Morris et Karl Marx .
En quête d’un sens à l’architecture
Diffusion de la doctrine artisanale:
William Morris et John Ruskin, ont été des fervents partisans de la doctrine artisanale et ont contribué à sa diffusion.
John Ruskin (1819-1900) est un écrivain, critique d’art et conférencier britannique connu pour ses œuvres sur l’art, l’architecture et la société. Il est considéré comme l’un des principaux défenseurs du mouvement Arts and Crafts et a eu une influence considérable sur le design et l’esthétique de l’époque victorienne.1
Ruskin a écrit de nombreux livres sur l’art, l’architecture et la société, dont The Stones of Venice et Modern Painters. Dans ses œuvres, il défend l’importance de l’artisanat et de la main-d’œuvre humaine dans la production de biens et a critiqué l’industrialisation croissante de l’époque. Il a également promu l’utilisation de matériaux naturels et l’adoption de styles de design simples et naturels.2
En plus de ses écrits, Ruskin a également donné de nombreuses conférences sur l’art et l’architecture, qui ont été très populaires auprès du public. Il a également enseigné l’art et l’histoire de l’art à l’université d’ Oxford et a fondé une école d’art à Londres. Ruskin était également un ardent défenseur de la justice sociale et de la réforme sociale. Il a dénoncé les inégalités économiques et sociales de son époque et a appelé à une réforme des conditions de travail et à une meilleure protection des travailleurs.
William Morris (1834-1896) est un écrivain, artiste et designer britannique connu pour son engagement en faveur de l’artisanat et de la qualité dans la production de biens. Sa doctrine, également connue sous le nom de mouvement Arts and Crafts, était basée sur l’idée que la production industrielle de masse menaçait non seulement les emplois des artisans, mais aussi la qualité et l’intégrité des produits.3
Selon Morris, la qualité et la beauté devraient être des objectifs primordiaux dans la production de biens, plutôt que la quantité et la rapidité de la production4. Il a soutenu le retour aux méthodes de production artisanales traditionnelles et à l’utilisation de matériaux naturels. Morris a également critiqué les styles de design ornementaux et fantaisistes de l’époque, prônant des formes plus simples et naturelles.
1 Ruskin John, Les septs Lampes de l’architecture, Klinkcksieck,2008, La lampe de Sacrifice.
2 IDEM
3 MORRIS WILLIAM, L’art et l’artisanat, Payot et rivages, 2011
IDEM
En quête d’un sens à l’architecture
Fig.11 John Ruskin et William Morris Fig.12 From Art to Politics. John Ruskin and William Morris. Lawrence Goldman
Sauf que la logique du marché ne correspond pas à cette vision, car le rythme de production ne le permet plus et dépasse la réalisation du simple besoin à petite échelle. Dans ses écrits, Ruskin a développé une théorie de la division sociale entre les professions libérales et les professions mécaniques, qui a eu un impact considérable sur les idées de classe et de travail de l’époque victorienne.1
Selon Ruskin, les professions libérales, telles que l’enseignement, la médecine et le droit, étaient supérieures aux professions mécaniques, telles que l’artisanat et l’industrie. Il soutenait que les professions libérales étaient plus nobles et créatives et qu’elles impliquaient un travail intellectuel, tandis que les professions mécaniques étaient routinières et peu créatives et impliquaient un travail manuel.
Ruskin a également soutenu que la division entre les professions libérales et mécaniques reflétait une division plus large dans la société entre les classes supérieures et inférieures. Selon lui, les classes supérieures, qui travaillaient dans les professions libérales, étaient supérieures aux classes inférieures, qui travaillaient dans les professions mécaniques.
Il déplore aussi le manque d’épanouissement car, selon lui, il n’y aurait aucun plaisir à soutirer des produits manquant d’agrément. William Morris étaye le propos en mentionnant l’intérêt esthétique dans la production. Il évoque la notion de beauté comme indispensable dans toute production créative.2
La double posture de Walter Gropius au courant du 20e siècle
L’avènement de la seconde guerre mondiale marque une nouvelle ère de la construction de l’architecture; les codes de la commande architecturale s’en voit modifiés, l’art n’est plus considéré comme un phénomène émotionnel ou l’expression d’un romantisme.3
Cette période est marquée par une recherche de l’efficacité que revendique le style international et par un positionnement différent des architectes par rapport aux enjeux de cette époque du 20e siècle.
L’approche de l’architecte et designer allemand Walter Gropius ( 1883-1969 ) vis a vis de l’architecture est intéressante , dans le sens ou il essaie de dépasser la dissociation entre art et artisanat. Il cherche à faire sens et à remettre en question les monuments statiques pour accompagner le mouvement de la vie et susciter une curiosité.4
Dans la continuité des préceptes du Bauhaus, Walter Gropius exprime sa volonté de dépasser le caractère personnel du travail de l’architecte.
1 Ruskin John, Les septs Lampes de l’architecture, Klinkcksieck,2008, La lampe de Sacrifice.
2 MORRIS WILLIAM, L’art et l’artisanat, Payot et rivages, 2011.
3 NOIROT Julie, Regards croisés sur l’architecture: Le Corbusier vu par ses photographes. Publications de la Sorbonne, 2010.
4 Gropuis Walter, Scope of Total Architecture, Collier Books, 1962.
En quête d’un sens à l’architecture
Fig.13 Un exemple de sublimité de la montagne etéchelle humaine dans les propres dessins de Ruskin :Chamouni. 1843.
Fig.14 Un exemple de sublimité de la montagne et échelle humaine dans les propres dessins de Ruskin :Chamouni. 1843.
Fig. 15 Gropius et Meyer, des logements standardisés utilisant des blocs de construction. 1923
Crise et recherche d’un nouvel ancrage: la théorie italienne de Manfredo Tafuri
Manfredo Tafuri est un architecte italien originaire de Rome. Il exerce en agence d’architecture et d’urbanisme avant de quitter la pratique pour s’engager en tant que professeur dans l’école d’architecture de Venise. Il mène ensuite une carrière d’historien et critique de l’architecture. Il a produit des œuvres référence en matière d’analyse du modernisme et de son déclin ( Projet et Utopie - 1973, Le Labyrinthe - 1980 ).1
À la fin des années 1960, l’architecte et historien italien Manfredo Tafuri a examiné la situation de la pratique et de l’architecture avec une sombre résignation. Une crise de la modernité commence à se faire sentir, car ce mouvement, bien qu’il soit caractéristique du 20eme siècle, essaie de rompre avec l’histoire.
Tafuri exprime un autre point de vue vis-à- vis du sujet; le détachement n’est pas une négociation de ce qui précède, car celle-ci n’annule pas le code historique auquel s’attachent les courants d’architecture qui ont précédé le modernisme. En prenant pour exemple Brunelleschi et Alberti avec leurs références intemporelles, il annule l’idée de trouver une alternative a partir d’une structure qui prête à une époque ou à un style.
La crise de la modernité n’est pas le résultat de la fatigue ou de la dissipation. C’est plutôt une crise de la fonction idéologique de l’architecture.. Une recherche d’alternatives dans la structure qui conditionne le caractère même du design architectural est en effet une contradiction évidente des termes.2
Manfredo Tafuri
Les théories de Manfredo proposent une série de bases pour son travail ou il propose d’ajuster la figure de l’architecte a un agenda anhistorique et s’éloigne des doctrines.
La position néo-marxiste qu’adopte Tafuri se réfère à la longue durée, une démarche immuable qu’on retrouve dans un atelier d’artisan.3
1
2
3
TAFURI Manfredo, Projet et utopie, Bordas, 1979.
TAFURI Manfredo, The sphere and the labyrinthe, The MIT Press 1987.
TAFURI Manfredo, Teoria e storia dell’architettura, Laterza, 1968.
En quête d’un sens à l’architecture
Fig .16 Portrait Illustration of Tafuri Manfredo, de Paul Sargent Fig . 17 À Manfredo Tafuri, dessin publié dans Aldo Rossi in America : 1976 to 1979, The Institute for Architecture and Urban Studies. IAUS Exhibition Catalogue, catalogue 2 (1979)
En quête d’un sens à l’architecture
2. S’inscrire dans le contexte actuel
Les architectes évoluent au sein d’une société mondialisée, il en suit un morcellement de la profession et une division des savoirs. Ils sont contraints, comme bon nombre d’autres corps de métiers, d’évoluer à la lumière des manifestations urbaines, et qui les surpassent des fois. Lorsqu’un environnement nous dépasse, Il serait intéressant de poser la question suivante:
Comment s’inscrire dans un monde qui ne cesse de repousser ces limites matérielles? Qu’en est-il de l’existence matérielle dans un monde régi par l’économie du savoir et la démobilisation du corps ?
Matthew B.Crawford repère dans son livre, éloge du carburateur1, les conséquences du détachement matériel; car cela bribe le potentiel de valeur ajoutée qu’une personne peut amener à la société, d’autant plus que quand le corps est démobilisé, toute une série de stimulations intellectuelles est écarté. Il appuie son propos sur des théories sociales et économiques. Pour lui, le fond - le savoir- n’est là que pour servir le facteur humain.
L’atelier, étant une institution séculaire, peut convenir à notre société contemporaine, elle répond aux besoins de notre temps et se transforme selon ces derniers. Il s’agit, à mon avis, d’un espace de travail qui fixe ses normes et les incarne dans l’humain plutôt que dans un code pratique et statique.
La norme se fixe dans la relation qu’entretient un artisan avec son maître / mentor, dont il reconnaît la supériorité par la connaissance; elle est source de légitimité du commandement.
Cette démarche permet de lever la contrainte et conduit à une valorisation personnelle.
Le rapport entre le travail utile et savant
La nouvelle économie mondialisée veut que le savoir, par le biais des métiers savants, soient des éléments plus valorisants. La supériorité intellectuelle est acceptée et prouvée au quotidien.
D’autant plus que le défi écologique amène une certaine sobriété et diminue l’emprise matérielle dans le quotidien des gens. Ces problématiques sont favorables à l’épanouissement de l’artisanat, car le rythme de consommation est mis en question; la pratique artisanale n’est plus considérée comme une forme de conservatisme: d’autant plus que la revendication écologique s’inscrit naturellement dans la démarche de l’artisan: filières courtes, recyclage, productions vernaculaires.
1 CRAWFORD Mattew B, Éloge du carburateur. 2009.
En quête d’un sens à l’architecture
Entre atelier et corporation
Si l’atelier ou l’agence apparaissent comme des catégories pertinentes, c’est parce qu’elles représentent des réalités capables d’intégrer des valeurs comme la solidarité organique, ou il est possible d’exprimer certains intérêts et se construisent comme une extension de celles communes . Durkheim l’illustre bien dans ses écrits autour de l’organisation moderne des sociétés; l’appartenance politique ou la réalité sociale ne sont pas exclusivement déterminées par des logiques de filiation, elles intègrent d’autres facteurs les déterminant comme la valeur patrimoniale ou la direction professionnelle. Ces organisation spatiales se positionnent comme des agents régulant les échanges sociaux.1
La corporation comme catégorie professionnelle
Une corporation renvoie a une organisation spatiale regroupant des personnes d’une même profession, elle est organisée autour d’un principe d’identification et rend possible, par la construction de nouvelles similitudes autour de la profession, une identité collective. Cela reviendrait a dire, que sur le plan institutionnel, la corporation peut être un point d’équilibre par le biais d’une réglementation plus égalitaire et moins hiérarchisée, elle généralise une solidarité organique.2
Dans cette région de la vie sociale, il n’existe pas de morale professionnelle proprement dite car l’activité se base sur une norme et exclut les règles et les limitations. La corporation peut donc être assimilée à une entreprise familiale.
Cette appartenance est dure à trouver dans d’autres contextes. L’atelier est une deuxième catégorie qui adopte le même rapport à la norme, elle s’incarne de façon à avoir un code pratique axé sur la compétence comme base de légitimité.
S’installer dans un atelier est une figure représentative d’un fait social approuvé par l’imaginaire collectif, cette acceptation est un argument d’autant plus convaincant que celui de la fonction productive. Il s’agit d’un lieu ou la contrainte est extrinsèque et ou l’individu est valorisé à travers sa connaissance technique.
Aujourd’hui, plusieurs architectes convertissent leur agence en ateliers, et affirment ainsi une posture professionnelle différente: cette démarche leur permet de devenir de vrais acteurs permanents.
1 Émile Durkheim, De la division du travail social, Introduction de Serge Paugam
2 La Révolte des premiers de la classe: Métiers à la con, quête de sens et reconversions urbaines Broché – Livre grand format, 8 mai 2017, de Jean-Laurent Cassely
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
lignes de correspondance
3. Le geste comme source de correspondance
On abordera le travail manuel comme une maîtrise physique habile, ou la main constitue un premier domaine du dialogue interne.
Le travail manuel engage une forme d’intelligence, celle d’un rapport entre la main et l’esprit vif. Il n’existerait aucune limite entre celui qui conçoit et celui qui réalise.
Une première distinction fondamentale s’introduit entre les deux corps de métier, de par les connotations, les méthodes et la convention, car l’acte de création est différent pour l’un et pour l’autre. Les architectes les plus courageux s’ambitionnent et cherchent à expérimenter de nouvelles structures. Conduit par l’association des idées et au rythme de ces esquisses, l’architecte bascule continuellement entre le tout et des parties. La trace du processus de conception est visible, non linéaire et parcours plusieurs échelles du projet.1
Quand je revois l’essai de départ, il me paraît faible, sans aucune comparaison, mais le flou de cette image incertaine, je sens une construction de lignes solides. Elle rend la liberté à mon imagination, qui travaille, à la séance suivante, selon l’inspiration d’après cette construction, et même venant directement du modèle (…) Des dessins de comportant toutes les finesses d’observation entrevues pendant le travail jaillissent comme d’un étang de bulles de fermentation intérieure.2
Henri MatisseLa main de l’artisan
Le dessin est une activité manuelle qui permet de dégager deux réalités qui s’affrontent. Une première, extérieure et rattachée à l’espace dans lequel nous évoluons, et une deuxième, produit d’une perception individuelle et dont le caractère est intériorisé.
Cette double représentation est le produit d’une suite d’actions mentales, une superposition d’éléments qui donne à voir et reçoit en même temps et qui compose cette dialectique.
D’après Michael Graves, l’architecture ne pourra pas se séparer du dessin manuel car il s’agit d’un signe cognitif matérialisé. Avoir quelque chose dans la main, c’est d’abord créer un lien actif de connaissance. D’une part, la main est cette partie du corps qui permet de réaliser l’échelle d’une création, artisanale soit-elle ou architecturale. l’impression en agence d’architecture est un moyen d’isoler un dessin pour mesurer son impact dans l’espace.
La main est un juste calibre de la réalité et des éléments qu’elle offre à saisir.
D’autre part, l’esquisse manuelle est un référentiel indispensable car il permet de contenir les incertitudes et facilite le choix, les pensées et images qui tapissent l’imagination prennent ainsi forme. L’esquisse à main levée ouvre un dialogue ou le champ des possibles est vaste.
1 BÉATRICE HIBOU. La bureaucratisation du monde a l’ere néolibérale.
2 Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art , 2007
En quête d’un sens à l’architecture
Fig .19 Les mains du créateur : le designer Tapio WIRKALLA dessine peint, sculpte le bronze et le bois
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
La profusion des éléments devient médiation. Ce que produit la main relève dans caractère artisanal. L’imaginaire d’un créateur peut être médié par les nouvelles technologies, quand l’usage qu’on en fait s’appuie sur un système de valeurs et l’accueille dans conditions qui leur confère un caractère vernaculaire. Dans ce sens, l’outil numérique peut réellement être versatile, d’autant plus qu’à ce jour, l’entreprise marocaine enregistre un retard dans le domaine du développement numérique.
Le portrait d’un artisan
L’image traditionnelle situe l’artisan dans une petite boutique, travaille dans son atelier, le passage de ses clients est presque routinier. Cette vision est presque obsolète car elle n’a plus lieu d’exister; la transition numérique, bien que fluide et inclusive, a amené de nouveaux modes de consommation. Il devrait alors s’équiper de nouveaux gestes sans renoncer à son savoir-faire, en fonction de son appétence sur le sujet et de la portée de son patrimoine.
L’artisan entre en phase avec ce qu’il produit, dans un rapport d’identification, pour vivre les différentes expériences qui s’offrent à lui et pour organiser ses échanges.
En utilisant le symbolisme, le petit enfant établit une distinction entre le fantasme et le fait réel, entre les objets internes et externes, entre la créativité primaire et la perception (…) Il me semble que l’objet transitionnel est justement ce que nous percevons du voyage qui marque la progression de l’enfant vers l’expérience vécue. 1
L’objet produit émane donc d’un processus de développement diffus, d’une perception intérieure chargée de symboles, ou les idées sont organisées puis intériorisées. Il est possible donc de faire le lien avec l’objet artisanal, car il offre un modèle transitionnel qui articule le passage vers le monde. Le sens d’un objet transcende sa simple présence physique, car l’expérience de celui-ci peut être vécue par des personnes qui lui sont extérieures - on parle là de la consommation d’un objet- et revendique les effets comme étant tangibles et exprimant les mêmes aspirations.
La consommation est une façon de revendiquer un effet tangible de nos choix, de produire quelque chose de nouveau et de différent dans nos vies. Elle est aussi pour les individus une manière essentielle de jouir de la créativité et des efforts d’autrui.2
Matthew B.Crawford.
1 Donald W. Winnicott, une nouvelle approche · 2008 2 CRAWFORD Mattew B. ouvrage sucscité.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
L’étude d’un atelier de métallurgie traditionnel
L’espace d’un artisan: une attitude corporelle et des techniques mises en oeuvre, une immersion dans Souk Haddadine:
Certains aspects de la pratique actuelle permettent de suivre l’évolution de l’artisanat, pour mieux comprendre le passé et donc mettre en lumière les rapports et mouvements de transmission.
L’idée n’est pas d’attribuer une pratique à une époque car cela peut créer un confusion, bien que cette évolution eut été dûment documentée; la comparaison permet d’orienter la recherche vers de potentielles explications et place un savoir faire dans son contexte culturel et social, comme celui de la médina de Marrakech.
Le souk Haddadine est le domaine des forgeries, ferronniers et chaudronniers de Marrakech. Il s’agit d’un impressionnant dédale où des artisans au visage et aux mains noircies tordent, soudent, polissent, martèlent..Ces espaces de création, dédiés aux activités économiques dans le souks sont le fruit d’une évolution et qui modifie constamment les systèmes antérieurs, sans les faire disparaître. La valeur sociale est intrinsèque à cette évolution, longtemps caractéristique du pouvoir et d’un savoir-faire.
Pour avoir fréquenté ce souk assez souvent, j’ai pu remarquer que la chaîne opératoire en l’atelier évoluent relativement peu. D’autant plus qu’ils utilisaient des matériaux périssables et un outillage frugal. Les attitudes corporelles des artisans et l’évolution de leurs gestes y sont relatives aux technologies et aux innovations.
L’engagement du ferronnier comme machine-outil
Un regard plus pragmatique des systèmes complexes constitués autour du corps humain a permis de transiter vers des outils mécaniques et informatiques.
Dans l’idée d’aller plus loin dans la compréhension de la pratique artisanale, une série de dessins et de montages illustrent quelques actions du quotidien d’un atelier. Le corps d’un artisan est comparable à une machine, car il coordonne ses actions dans une suite logique. Debout, assis devant un plan de travail, le corps est en interaction avec l’objet en cours de construction.
Ces figures représentent des mises en scènes, ou on voit comment la main transmet un effort physique pour réaliser des gestes appropriés à une production, en s’aidant d’outils. La main reste l’interface principale; suivant le contexte, une main est sollicitée pour tenir le manche du marteau et ce sont les doigts qui manient ce marteau.
En quête d’un sens à l’architecture
lignes de correspondance
Fig .21 plan d’un atelier de dinandiers hors du souk : espace organisé hiérarchisé en fonction des impératifs techniques.
En quête d’un sens à l’architecture
L’habilité des gestes est garantie grâce aux expériences qui s’accumulent. Toutefois, avec les débuts de la mécanisation puis l’automatisation, quand le rôle du corps devient secondaire, réduit à celui d’un simple transmetteur, l’architecture même de la machine et les liens avec les outils qu’elle porte peuvent reproduire des attitudes corporelles ou s’en inspirer.
Les systèmes anciens sont toujours actuels, car certains artisans n’ont pas senti le besoin de faire évoluer leur techniques, celles-ci engagent une collaboration de deux voire trois artisans au courant de l’étape de production, et s’engagent dans des rôles où chaque individu adapte ses gestes et l’impact de l’outil en vue de la réaction du matériau en question.
Le geste est relatif, ponctuel et imprécis.
Les ateliers de forge:
Le forgeage est l’action de façonner un métal par percussion à l’aide d’un outil sur un support solide, le métal est frappé à chaud. La trempe lui confère de la solidité/élasticité en fonction de la consistance désirée. Le martelage permet d’abord d’éliminer les impuretés mêlées au métal natif, d’amalgamer des fragments de métal natif par l’effet de la percussion (par la technique du corroyage), pour obtenir des volumes plus importants de métal exempt d’impuretés.
L’atelier de Ba Ali est petit et atteint de 6m2, ancien , de forme carrée et nichée dans le souk des Haddadines. Sa construction remonte au 18siècle . Une vitrine, presque tout le temps ouverte, sert à présenter les objets qu’il fabrique .
Les passants défilent et assistent à l’évolution du travail. Ce rapport a l’extérieur permet de se rendre compte de l’organisation de l’atelier sans y pénétrer. L’espace visible va jusqu’au fond de l’atelier, de part et d’autre , deux tabourets destinés permettent aux clients de s’asseoir pour assister au travail du maâlem. Tout en calant les deux vantaux pour les maintenir ouverts. La moitié avant de l’atelier, jusque légèrement au-delà du centre, constitue l’espace du travail proprement dit.
Au sein de cet atelier, on retrouve deux postes de travail en vis-à-vis, le poste est marqué par le coussin où s’assoit l’artisan, à droite le second poste avec des équipements plus fin, probablement pour la finition. Deux maalemines travaillaient debout et un troisième vient occasionnellement pour donner un coup de main.
L’arrière-boutique de l’atelier est occupée par les outils non nécessaires et pleins d’autres chutes, archives et carnet de commandes. Outre la hiérarchisation de l’espace, la circulation reste déterminante car c’est ce qui permet de distribuer les différentes zones, ou certaines sont facilement atteignables et donc ouvertes au public, tandis que d’autres sont assez serrées, et donc réservées au travail.
En quête d’un sens à l’architecture
Cette série de descriptions est le résultat d’une analyse sur terrain et d’entrevues avec les artisans-forgerons qui composent le quartier des Haddadis de la médina de Marrakech, pour lever le voile sur quelques pratiques et les mettre à la portée des lecteurs. J’en tire des résultats que j’illustre par des schémas annotés .
Fig.22 Enclume, frappe au marteau, enfoncée dans un plot en bois Fig.23 Martelage alterné à trois Fig.24 Martelage simultané , à l’aide d’une panne, effectué par deux forgerons Fig.25 L’artisan est assis, installé sur une rame en bois, une enclume s’ajoute au décor . Il frappe avec un maillet en bois pour façonner les bordures d’un chaudron qui repose sur une petite enclume fixée horizontalement dans la poutre de son banc
En quête d’un sens à l’architecture
4. Expérience et temporalité
L’artisanat est un apprentissage reposant sur un savoir-faire, son acquisition requiert alors une longue période de pratique, d’ailleurs toute pratique, d’ordre manuelle, demande un engagement continu.
Toutefois, l’inflexion spontanée est importante, car un véritable créateur est ouvert à la nouveauté, la préconception est réductrice. Pré-concevoir revient à définir les travaux qu’un artisan sera amené à réaliser pendant sa carrière comme une série d’objectifs, des résultats directs. Alors que Constantin Brancusi pose le jugement opposé.
En art, la simplicité n’est pas une fin, on y parvient malgré soi en approchant l’essence véritable des choses. La simplicité est elle-même complexe, et il faut être nourri de son essence pour comprendre ce qu’elle vaut.
Ce même savoir-faire exige une pratique consistante et répétitive, ce qui conduit à l’ennui: il s’agit là d’une expérience qui éveille les sens, car elle suscite de l’intérêt pour les éléments extérieurs et qui ont lieu autour de lui ( l’artisan ).
L’ennui et la répétition sont donc essentiels à l’apprentissage d’un savoir-faire.
L’expérience personnelle peut être exprimée sous différentes formes, elle s’appuie sur des faits accomplis et qui se manifeste tacitement. Là, le mot tacite balaye plusieurs sens, depuis ce qui est silencieux jusqu’à l’inexprimé, en passant par l’explicite.
Faire, faire, et puis faire avant d’être enclins à s’exprimer avec force détails, de long en large, et d’une manière diserte.1
La maîtrise de l’artisan s’acquiert dans le geste répétitif, la créativité ne vient qu’en second lieu, elle se dévoile dans les variations d’une proposition et l’inlassable rythme qui s’applique à la discipline.2
Il faudra noter que tout savoir-faire pratique n’est pas quantifié selon des types universels, car il s’agit d’une pratique enracinée et qui se module dans la répétition. Le point de vue de Richard Sennett, sociologue et historien américain, sur le travail répétitif est intéressant, car il ne le rattache à aucune notion d’opérativité ou d’efficience, mais plutôt au processus et à la formation; il parle de la pratique enracinée.3
1 TIM INGOLD Faire: anthropologie, archéologie, art et architecture,Paru le 2 mars 2017 Essai (broché).
2 Pallasmaa Juhani, La main qui pense, ACTES SUD, traduit en 2013.
3 RICHARD SENNET, Ce que sait la main, ALBIN MICHEL, 2010.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
Parallele artisan/architecte: les lignes de correspondance
III. Vers une posture porteuse de sens : débats autour de la pratique professionnelle
En quête d’un sens à l’architecture
Ce chapitre propose d’analyser les nouveaux processus de conception au Maroc et ailleurs. Integrée dans la phase préliminaire d’un projet, l’expérimentation désigne une méthode que je qualifierai d’hybride, car elle repose a la fois sur un lexique qui appartient a l’artisanat et apporte un autre regard sur l’expérimentation en architecture.
Cette définition vague permet plusieurs niveaux d’expérimentations, selon le rapport engagé avec la matiere. La démarche questionne les capacités de celle-ci, propose de nouvelles mises en oeuvre pour ainsi dégager ses capacités physiques.
Les mutations culturelles, législatives et sociales récentes du métier d’architecte sont une réponse à la crise structurelle au Maroc. La profession est en manque de repères, ce qui fait que les architectes ont tendance à aller vers de nouveaux modes de pratiques décloisonnés et qui ne sont pas traditionnellement assimilés.
Le résultat des pratiques explorées est une concrétisation matérielle sans pour autant que ça soit une finalité. Le résultat est determiné mais l’expérimentation continue dans le cadre de ce travail de recherche.Un architecte ancre son projet dans le contexte au sein duquel il s’insère en piochant dans les savoirs faire locaux.1
En quête d’un sens à l’architecture
Dans la continuité de ces études, on arrive à dégager les méthodologies de conception respectives aux architectes, et qui sont liées à leur expérience. Cela nous amène à la question suivante:
Quel est l’impact de l’expérience individuelle sur le travail d’un architecte ?
L’architecte s’arrange pour trouver un équilibre entre sa connaissance scientifique et son expérience professionnelle pour assurer les échanges avec les autres corps de métiers.
De nouvelles manières de considérer l’identité professionnelle apparaissent, ou le phénomène d’apprentissage est expérientiel. En lien avec la matière, son expérience constructive devient plus riche. L’architecte s’interroge sur les ressources disponibles.
En aval de la pratique d’un architecte, les compétences acquises au travers de l’expérience de la matière sont un appui solide pour sa pratique quotidienne. Elles sont propres à chaque individu, et liées à son parcours universitaire et influent directement sa démarche professionnelle.1
Aussi, l’apprentissage expérientiel et la concrétisation de la matiere font l’objet d’une formation identifiée dans plusieurs universités et écoles. La confrontation est plus immersive au regard de l’expérimentation.
Les architectes qui experimentent: en marge ou en avance ?
Souvent en marge des pratiques communes ou répandues, cette pratique d’expérimenter est un outil de conception qui, comme le dessin, facilite la compréhension d’une idée.
C’est aussi un facteur qui engage les architectes à faire des tests dès l’étape conceptuelle. La capacité à manipuler la matière donne accès à un savoir faire, qui, couplé avec une maîtrise de la théorie, permet à la pensée intellectuelle de renouer avec les phénomènes spatiaux autour desquels gravite le sujet de conception.2
Suite à cela, un architecte avisé devrait tisser des liens avec le savoir-faire artisanal pour s’ancrer dans le monde réel et mettre à profit la matière, disponible sur un territoire donné.
1 CHENSEAU Isabelle, profession architecte, éditions Eyrolles, 2018.
2 SENNETT Richard, Ce que la main, la culture de l’artisanat. Albin Michel, 2008
En quête d’un sens à l’architecture
processus et idéologies: les postures actuelles
Fig .27 ATOMAA - NOLITA - A HOME FOR FLÂNEURS
ATOMAA architectes utilisent une narration existante de l’appartement pour donner lieu à des interventions légères, en réalisant une série d’espaces qui reflètent leur propre atmosphère tout en restant en communication les uns avec les autres.
Ces interventions vont du choix minutieux des couleurs utilisées pour encadrer les pièces à la sélection d’un certain nombre de meubles conçus sur mesure, en passant par le choix romantique des couverts et de la vaisselle.
Cette attention subtile et significative portée aux détails découle d’une démarche d’expérimentation.
En quête d’un sens à l’architecture
1. L’exploitation du kitsch et la rhétorique patrimoniale:
L’intérêt porté par le patrimoine annonce de nouvelles pratiques de représentation pour construire une identité et poser les bases d’un régime politique qui protège la culture locale. Sauf que la protection du patrimoine passe par une logique de marchandisation pour pouvoir financer ces actions: cela présente un grand risque, car certaines ‘mises en scènes’ produites peuvent générer des représentations faussement authentiques. La lecture du patrimoine s’en voit actualisée sur une base pauvre de stéréotypes.
Il en résulte un détournement, qui fait abstraction de toute une évolution ethnique juste, au regard du patrimoine, et qui est d’autant plus accepté par les locaux qui se l’identifiant, il s’agit d’un processus d’auto-exotisation, comme l’identifie Nathalie Schon1
L’identité d’une société reste pérenne quand une continuité est assurée. L’évolution engage un changement de certains héritages. Sauf que cette quête de perpétuité a amené certains architectes à aller vers des pratiques Kitsch qui renforcent les stéréotypes orientalistes et développent des figures exotiques, subversives car elles risquent d’aliéner certaines représentations culturelles.
There is a paradox, how to become modern and to return to sources, how to revive an old, dormant civilization and take part in universal civilization. 2
Paul RicoeurLa quête d’une identité dans un contexte globalisant
La mondialisation a pris d’assaut la population planétaire: pour de nouvelles technologies de nouvelles pratiques observées auprès des architectes en réponse à cette évolution. Les deux points de vue se valent: d’une part on retrouve une vision se réclamant essentiellement marocaine, et d’autre part, une attitude qui réfute toute marque de marocanité.
L’oscillation modernité/tradition est un slogan saisissant d’actualité au Maroc. Pourtant, cette manifestation est observée dans un bon nombre de pays à partir des années 1970, ou les diktats anhistoriques sont abandonnés et ou les architectes ont emprunté un vocabulaire divertissant et qui participe à désacraliser la part de l’héritage.
L’évolution amène donc un détachement subtil du noyau des cultures locales, le transfert vers les références traditionnelles est mis hors de son axe.
1 SCHON Nathalie. L’auto-exotisme dans les littératures des Antilles françaises.
2 RICŒUR Paul, Ecrits et Conférences. Autour de la psychanalyse.
En quête d’un sens à l’architecture
L’étude des essences locales
Dans ce contexte d’identité culturelle, certains architectes puisent dans les codes éclectiques de l’architecture traditionaliste, rappelant parfois des stéréotypes mal digérés. Ces architectes trouvent alors dans cette période de transition vers un modèle postmoderniste, un champ lexical propice à l’élaboration de ce nouveau style à l’aspiration identitaire nationale. Ils mettent en premier plan un discours nostalgique, et qui valorise un discours du passé où seuls les souvenirs sont reconstruits.
Considérer l’autre: une quête d’exotisme
Le kitsch est une manifestation sociale inhérente à une situation sociale, comme le considère Abraham Moles dans son livre.1 Le système économique actuel l’encourage, car techniquement rentabilisé et sa consommation est monnaie courante. D’autant plus que cela répond à un besoin de stimulation et qui ne prend pas en compte l’authenticité, mais seulement le confort que le kitsch peut facilement amener.
Le consumérisme s’impose comme un nouvel ordre, mettant fin à celui ,religieux et d’état, ou le divertissement est instrumentalisé et se justifie par une éthique sous forme d’un ensemble canonisé largement accepté.
1 MOLES Abraham Psychologie du kitsch, quête du bonheur
En quête d’un sens à l’architecture
III. Vers de nouveaux processus et idéologies: les postures actuelles
Fig .29 Saint Sarkis Community Center. DALLAS, UNITED STATES
Fig.30 Apartment in Cruzes da Sé. Interventions: Ana Rita Martins ,; Bernardo Dias; Fig.31 Bernard Desmoulin, Michel Denancé, Célia
En quête d’un sens à l’architecture
2. La production supermoderne: le choix du neutre et de l’indéfini en architecture
La forme d’une architecture s’impose au moment où elle arrive à développer son propre langage et prolifère indépendamment de tout contexte, social ou culturel soit-il; elle échappe aux paradigmes de significations.1 Cette esquive est assez détaillée dans le propos de Roland Barthes qui pose dans ses théories la notion de physicalité, et qui questionne la manière dont une architecture assimile certaines significations. Cela reviendrait donc à suspendre la signification au détriment de la forme neutre, mais forte.
La dissociation du signe, selon la théorie de Martin Steinmann
Reconnaître une chose pose un regard biaisé, car à ce moment la nous percevons des signes; des signes d’usages, dès qu’il y a société. Et ainsi, pour pouvoir connaître, il conviendrait de désautomatiser la perception que l’on a, d’un objet ou autre. En s’appuyant sur les hypothèses de Martin Steinmann, la chose serait d’abord une forme avant de rappeler un signe, inhérente à une forme de sens.
Il existerait selon lui, « un effet qui découle de ce qui est déjà là: de la forme et pas de la signification, qui est associé à la forme du fait d’une convention, il est alors d’avoir une expérience possible des choses, cette dernière ne prenant pas la place de signification. »2
Martin SteinmannNous voyons donc la forme comme une chose en deçà du signe ». L’effet se rapporte à une expérience physique et directe, et qui n’est pas prédéfinie par une connaissance du sujet, ou d’un signe que l’on peut lui attribuer, il s’intéresse aux qualités physiques d’un objet . Cette question de sens peut être comprise dans une temporalité; le ressenti et la signification marquent alors des moments antérieurs à celui de la connaissance; étant donné que le signe se construit au cours d’un processus d’assimilation. La compréhension de la dissociation forme-sens s’appuie sur une analyse scientifique relevée par la psychologie de la forme. Henri Wolfflin l’applique à l’architecture, à travers le rapport de poids, la composition et d’autres critères tangibles qui permettent de dépasser la compréhension qu’amène la charge portée par le souvenir, ainsi le corps en dévient un moteur des forces que l’on éprouve à l’égard d’une architecture.
Tandis que Bruno Reichlin, dont les hypothèses résonnent avec ceux de Steinmann, établit une correspondance sur le sujet. La forme transcende pour lui le signe; car en effet, une première compréhension devient un signe, sa signification est traitée.
Le signe est un produit de notre interaction avec les choses, il appartient a nos cinq sens, surtout au sixième, si nous sommes des consommateurs avertis.
1 NIVET Soline , Radicalement neutre? dans D’Architecture, n191
2 STEINMANN Martin, matières 6: actualité de la critique architecturale, Volume 6, 2003
En quête d’un sens à l’architecture
Le contexte historique de la dissociation
Il est intéressant de comprendre le fondement de cette affiliation culturelle. Le propos de distinguer une entité de sa signification prend racine à partir du 17e siècle, ou celle-ci devient progressivement incertaine car les ordres et références devinrent des typologies diffuses et une réduction s’opère. De nouveaux styles s’appliquent à plusieurs domaines de l’architecture ,à une époque où la distinction de l’esthétique est admise quand elle est naturelle et non arbitraire.
« Petit à petit, le modèle d’architecture suppose une abstraction, non idéologique et devient une entité concrète.
Ce n’est qu’à partir du 19e siècle que la forme est théorisée en architecture. L’homme moderne a besoin de simplicité pour s’orienter.Ces besoins sont mieux satisfaits par certaines structures que d’autres ».1
Rudolf Arheim, « Forme et figure», Oppositions n°12, 1978.
Et puis, au début du 20e, les architectes puristes et adeptes de la forme, comme le Corbusier, affirment une esthétique davantage plastique, définie par une géométrie élémentaire.
L’expérience phénoménologie
Dissocier la forme du signe n’est pas une tentative d’annuler l’une ou concentrer l’intérêt sur l’autre. Car une architecture ne pourra jamais se détacher de la figure de signification qui lui a été attribuée.
On pourrait admettre qu’il y aurait un ensemble de qualités, qui tirent tout leur sens en relation avec une perception objective, qui n’émane pas d’une convention et ne sert aucun schéma de représentation, il devient secondaire.
Le rôle de la physicalité est important, car c’est une présence physique forte qui permet à une architecture d’exister sans avoir à être dans l’ombre d’une signification. Plus concrètement, la matérialité permet de retrouver certaines réactions presque élémentaires chez celui qui l’expérimente.
Cette vision de réalisme permet d’annuler toute échelle intermédiaire de lecture, entre la perception d’un bâtiment et sa réalité physique et matérielle. Ce que l’on aperçoit n’est pas une entité ouverte à la perspective de plusieurs points de vue. L’intention d’architecture est claire et offre une expérience perceptive plus corporelle, l’impact est viscéral et presque immédiat.
1Rudolf Arheim, « Forme et figure», Oppositions n°12, 1978.
En quête d’un sens à l’architecture
L’anti-représentation par le visuel
La neutralité prend racine à partir du minimalisme. On retrouve des échos dans d’autres domaines, comme celui des arts visuels.Cette volonté d’anti-représentation est remarquable chez certains architectes comme Herzog et de Meuron.
Ce couple d’architectes affichent leur volonté d’indépendance lors d’un entretien, mené avec Theodora Vischer.
“ Dans nos bâtiments, nous ne cherchons pas la signification, un bâtiment ne peut pas être lu comme un livre, il n’a aucune attribution, aucun titre ou cartel comme peut l’avoir un tableau exposé dans une galerie. Un bâtiment est un bâtiment, dans ce sens, nous sommes carrément anti-représentation”.
Cette idée de l’architecture désimplique toute expression d’un sujet et ses références culturelles. Les pionniers de l’art minimal, comme Martin Steinmann ou Carl Andre, ont recours aux formes élémentaires, comme le cercle, ou le carré, car un élément ne peut se décomposer ou s’insérer dans une hiérarchie comme le suppose la tradition, et donc annule la signification. Dans la même veine, l’anti-représentation suppose de dépasser tout processus de composition, ou on articule les parties pour aller vers une unité.Cette forme forte et unie permet d’énoncer clairement les problématiques actuelles, assez complexes. Une architecture est un outil qui vient répondre à un besoin, elle doit garder une opacité vis-à-vis du sujet qu’elle traite et son langage doit être simple. Le rapport est plus général, il intègre le contexte.
Ce qui est évident et nul de sens
À la forme unie et forte vient s’opposer une autre posture d’esquive, celle de l’absence de signification; on s’intéressera a la forme banale qui annule toute idéologie.
Le banal est une forme de neutralité. Cette notion, analysée par Roland Barthes est à l’opposé des styles architecturaux chargés de doctrines. Il se justifie par l’expérience du quotidien et son produit de l’évidence.1 Dans ce sens, ces deux notions ne sont pas comprises comme une forme de médiocrité, mais plutôt de l’ordre du commun. L’ordinaire se présente dans son immédiateté comme un fond et facilite la compréhension de l’environnement dans lequel il s’insère.
L’effacement est un support à la dialectique du geste exceptionnel. Le banal est un besoin, car il marque une dualité fondamentale, et établit un équilibre. Le tissu urbain est un exemple pertinent car si la monotonie est annihilée et que l’exception devient un marqueur, c’est grâce à ces lieux génériques.2
Il s’agit de signes vides dont l’indistinction empêche toute reconnaissance de signe.
1 BARTHES Roland, Le neutre: cours college de France ( 1977-1978), Brochet, Paris, 2002.
2 Steinmann Martin, Forme forte - architecture récente en Suisse alémanique, Birkhauser, 2003
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
processus et idéologies: les postures actuelles
La saturation du signe
Le neutre est un moyen d’opposition à la boulimie formelle pour dé-sédimenter l’architecture des signes et pour qu’elle se totalise sous un forme unitaire.1
L’idée du mélange, de l’hybridation et de l’hétérogène amène une confusion, elle cherche a décomposer le projet pour le représenter partiellement et additionne les parties d’un tout. A l’inverse de cela, l’architecture du neutre propose une continuité et cherche à former une unité.
La neutralité peut être envisagée comme une réaction au postmodernisme qui exprime l’architecture comme un langage, et a eu recours à un symbolisme local, il en a résulté une série de formes connotées, manipulées via un jeu d’échelles pour créer des effets et des conventions de formes qui résonnent avec un large public.
Une manifestation de la référence
Le bâtiment postmoderne est une manifestation de la référence, c’est-à- dire que sa présence se dissout pour représenter une autre chose. Il est donc transparent, par opposition à la forme forte qui adopte la posture inverse: elle est opaque et n’exprime aucun besoin de reconnaissance. Il n’emprunte à aucun autre objet et engage une expérience physique.
Dépasser les représentations figuratives donne accès à une multitude d’expériences sensibles qui permettent d’habiter le moment présent. Plus besoin de véhiculer une signification ou de porter une dimension symbolique.2
Mes bâtiments n’ont aucun message à communiquer. Je préfère les voir comme des conteneurs relativement neutres constituant une sorte de fond de scène… c’est-à- dire quelque chose qui se révèle uniquement lorsqu’on y porte attention.3
Eric Gauthier1 NIVET Soline , Radicalement neutre? dans D’Architecture, n191
2 HANS Ibelings, Supermodernisme, l’architecture a l’ere de la globalisation, Hazan Paris, 2003.
3 Exposition « Éric Gauthier, architecte - Le désir du neutre »
En quête d’un sens à l’architecture
processus et idéologies: les postures actuelles
L’accumulation des signes
Démultiplier les significations est susceptible de saturer l’architecture. Le neutre serait une réaction au registre postmoderne devenu excessif, et s’impose par une expression tautologique. Il déjoue les paradigmes.
Toutefois, une écriture systématique et expressément silencieuse est vite récupérée comme un signe. Par conséquent, elle s’inscrit tout de même dans un système de représentations.
Une œuvre banale est capable de donner une impression d’avoir toujours existé, car son inscription est diffuse et ne permet de repérer aucun cadre temporel. Un projet banal cherche pour origine un système d’idées concret, les lois le définissant sont atemporelles et écartent toute évolution historique ou idéologique du sens qu’il aurait pu porter.1
Une architecture neutre se désinscrit de toute datation, se banalise et laisse un impact essentiel au fait architectural.
En quête d’un sens à l’architecture
3. L’expérience de la matiere
L’architecte expérimente à travers de sa main, c’est son médium fort. D’autant plus que l’artisan, car il s’agit d’un vecteur de sa pratique. Les deux rapports peuvent être représentés par un schéma de correspondance, car c’est un mouvement continu et en temps réel.
Comme artisan, Il va au-delà d’une simple réception passive de la forme, il s’intéresse à l’activité de formation et prolongent cette médiation vers des fins qu’on peut qualifier d’évolutives. Pour illustrer le propos, l’artisan dessine une forme mais le matériau est dans une variation continue et se poursuit au-delà de ça, dans une succession qui lui confère une forme.Il développe progressivement un sens du rythme et apprend en même temps à maîtriser le matériau, sans avoir une idée claire de l’aboutissement. ( autre rapport que celui de l’architecte ).
La création s’insère plutôt dans une idée de mouvement continu qui tend à une modulation des formes.
La matérialité d’un objet n’est ni plus ni moins que l’ensemble des manières dont il a été utilisé, pendant ses moments de formation et son inscription dans le monde.
Lorsqu’il fait, l’artisan associe ses propres gestes et mouvements, sa vie même , au devenir des matériaux, s’alliant aux forces et aux flux qu’il s’applique à suivre et qui lui permettent de réaliser son œuvre. L’artisan, dans une démarche de collaboration, désire voir ce que les matériaux peuvent faire et comment il pourrait se mettre en correspondance avec lui. Il a une intention et part de ce qu’il voit dans la forme de la matière avec quoi il souhaite construire avant de s’atteler à réaliser un objet.
La conclusion qu’a pu tirer Thomas Wynn, dans son écrit handmade enigmas, nous donne un aperçu de la manière de travailler d’un artisan. Chaque action engage une autre, et toutes dépendent d’une manière structurante ou d’un plan, et donc une opération ne fait sens que dans un contexte d’ensemble.
La matérialité d’un objet, artisanal soit-il ou architectural, n’est que l’expression de sa variation dans le projet de celui qui l’exploite. L’idée devient matérielle et puis substance pour devenir culture.La création s’insère plutôt dans une idée de mouvement continu qui tend vers une modulation des formes.
L’architecte pratique la matière, pose des formes issues de son imaginaire et anticipe sur ce qui peut émerger. Tandis que l’implication de l’artisan n’est que de degrés, elle n’est pas de nature. Le produit se distingue mais la transformation n’est en aucun cas radicale. Il développe progressivement un sens du rythme et apprend en même temps à maîtriser le matériau, sans avoir une idée claire de l’aboutissement.
En quête d’un sens à l’architecture
L’expérimentation comme processus hybride
Un architecte est amené dans sa pratique à interagir avec plusieurs corps de métiers; comme le cite J.Pallasmaa dans ces écrits, et pour ce faire, il a besoin d’enrichir ces connaissances. Il ancre son projet dans le contexte au sein duquel il s’insère en piochant dans les savoirs faire.
Les mutations récentes du métier d’architecte sont une réponse à la crise structurelle au Maroc: culturelles, législatives et sociales. La profession est en manque de repères, ce qui fait que les architectes ont tendance à aller vers de nouveaux modes de pratiques, décloisonnées et qui permettent d’aller vers des secteurs qui ne sont pas traditionnellement assimilés.
Cette partie du mémoire propose un regard critique sur ce changement de paradigme, en faisant le point sur le contexte actuel, pour ensuite entamer les réponses innovantes apportées. Pour comprendre la portée de leur impact et de leur sens, Je me suis dirigé vers des architectes ( certains faisant partie de collectifs ) qui ont un rapport étroit avec la culture et le revendiquent dans leur travaux.
Il faut noter d’abord que le moule n’est pas une abstraction géométrique mais une construction solide qui a elle-même fait l’objet d’une fabrication (...) Il est donc erroné de croire qu’au cours du moulage d’une brique, on assiste simplement a l’union d’une forme et d’une matière. Nous avons bien plutôt affaire a un processus mettant en relation deux demi-chaines de la transformation. De sorte a les rendre compatibles les uns avec les autres.1
Deleuze Gattari
Comme énoncé précédemment, les racines de cette profession remontent à bien longtemps. Bien que son rôle n’a cessé d’évoluer. Mais aujourd’hui, quel est véritablement son rôle?
Cette réflexion s’inscrit dans une fluctuation beaucoup plus large, soit la quête de sens dans sa pratique.
Entre malaise économique et manque des supports théoriques , la réflexion en architecture devient limitée, au point de ne pas pouvoir formuler clairement le besoin ou la demande auxquels ils répondent.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
III. Vers de nouveaux processus et idéologies: les postures actuelles
FIG .35
Image d’un atelier, exposition matiere a construire, photographie Pierre Yves Brunau, 2011.
Le dialogue est inhérent à ce dispositif, les différents supports doivent savoir communiquer pour que la collaboration soit fluide, laquelle permet d’intervenir intelligemment et de pouvoir avoir de la marge pour traiter les délais écourtés. D’autre part, l’intervention devient plus maîtrisable, car l’effort est sélectionné et donc l’impact de chaque action devient plus important.
L’atelier en agence
Un atelier dans une agence d’architecture offre une expérience de l’expérimentation, de manière assez libre. C’est à l’image d’un espace social où s’élaborent des activités manuelles. L’exemple plus occidental, celui de l’agence d’architecture Ciguë, a Paris annexé au bureau, ou plutôt l’inverse car celle-ci a démarré comme étant une entreprise de bois. Le lien avec le travail manuel étant fort, la phase expérimentale d’avant-projet est importante car elle met en perspective les idées et permet d’expérimenter de nouveaux processus en lien avec leur conception.
Toutefois, les ateliers d’expérimentation restent en marge au Maroc, faute de financement et d’intérêt pour la matière. D’autres alternatives sont mises en place pour garder ce même caractère. Il s’agit souvent d’un espace d’expérimentation matériel couplé à un atelier équipé d’outils et machines numériques. L’expérimentation peut être faite autrement, toujours dans l’optique de développer un savoir lié à la matière. Ils s’ouvrent aux chercheurs, aux doctorants pour des expérimentations matérielles et ou ils questionnent la viabilité de certaines matières, vers des usages plus raisonnés.
Collectifs d’architectes, une installation sans hiérarchie ni référant
Le collectif d’architectes est une initiative abondante dans le sens de l’expérimentation, un groupement qui réunit de pairs, selon une organisation horizontale. Les thématiques traitées gravitent autour des questions les plus importantes, du monde dans lequel nous vivons, tout en gardant une certaine humilité, et qui résonne généralement dans les milieux où elles ont lieu.
Intégrer une agence facilite le processus d’identification pour se réaliser personnellement, car une structure d’un atelier rappelle celle d’un cadre familial et offre un sentiment d’assurance lors des échanges. Le cercle de production est identifié comme tant intime.
Le discours est beaucoup plus simple, et crée une ambiance ou les compétences de chacun sont révélées. Le travail s’améliore d’autant plus qu’il a lieu au sein d’une communauté d’usages ou l’artisan/architecte noue le dialogue avec l’autre et s’enrichit de cette expérience sociale pour s’investir humainement.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
Mes recherches m’ont dirigé vers quelques études de cas, les architectes que l’on a choisis ont tous un rapport à la culture marocaine, c’est une partie intégrante de leur identité architecturale. Au-delà de l’aspect informatif, cette série d’interviews nous permettra d’avoir des points de vues de ces architectes sur la revendication identitaire et de partager leur sensibilité.
L’artisan est l’emblème de tous ceux qui ont besoin de la possibilité d’hésiter (…) et de faire des erreurs.1
Richard Sennett
Il serait alors intéressant de comprendre leur rapport sensible, lié à la matière, dans le développement du projet. Le but est de voir comment l’expérimentation, inhérente à la pratique artisanale, influence la manière de faire de ces architectes et les connaissances techniques mises en œuvre et qui interviennent comme appui aux projets qu’ils développent.
En ce qui concerne leur processus de réflexion architecturale, ils travaillent beaucoup en maquettes, à la fois numérique et en carton, les médiums sont nombreux. L’expérimentation est alors un outil de travail évident pour ces architectes dans le dessin du projet et pour le choix des matériaux.
1 Sennett Richard, Albin Michel, Ce que sait la main – la culture de l’artisanat, 2010 (édition anglaise : The Craftsman, Yale University Press, 2008), 400 p.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
Vers de nouveaux processus et idéologies: les postures actuelles
FIG. 37
Chantier en cours, photographie Pierre Yves Brunau, 2011.
Entretien avec Mehdi Berrada 1 Agence Lmnts Lab, Novembre 2021
HE: Pouvez-vous présenter la singularité de votre travail ?
MB: Difficile de le définir, nous sommes une agence avec un atelier. On a démarré avec une boîte de menuiserie pendant nos études. Le bois était notre matière de prédilection. On a fait beaucoup de rénovation d’appartement et de mobilier, sur plusieurs phases. Au début tout était fait in situ, après on est passé par une entreprise pour faire faire les travaux et on se concentrait sur les détails.
Après notre diplomation, on a gardé notre atelier en plus de l’agence pour justement être dans ce rapport conception - réalisation. L’idée c’était d’offrir un certain niveau de détail à nos clients. On partage notre temps entre conception et réalisation, c’est-à- dire que les allez-retours entre le dessin et ce qu’on fabrique est incessant. On ne prévoit rien, et on ne fige jamais une esquisse pendant la conception, car celle-ci fait sens en la montant dans notre atelier.
Le rapport conception-réalisation est aussi très important car sur le terrain la réalisation est beaucoup plus dure. Aujourd’hui, comme on traite des sujets expérimentaux, et donc on est incapable d’anticiper tout les détails de chantier. Il faut pouvoir laisser les choses se faire.
HE: J’imagine que ce processus que vous adoptez est prenant ?
MB: Oui, ca prend énormement de temps, apres sur le plan économique, ca fait plus sens. L’échelle est aussi importante, elle est a prendre en considération.
HE: Quelle est votre histoire ?
MB: Au départ, nous étions 4, 4 membres fondateurs avec une cinquieme personne qui gere toute la partie finance. On parcours tous ensemble les projets, chacun sur une parte, de maniere presque séquentielle. On a des volets que chacun traite indépendamment. ( Dévellopement des projets / esquisses concours / relations clients / production de dessins détails ).
1 Les élements de cet interview ont été restitués suite a un appel téléphonique avec l’architecte Mehdi Berrada
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
Vers de nouveaux processus et idéologies: les postures actuelles
FIG.38 Mehdi Berrada, architecte fondateur de l’agence LMNTS LAB
HE: Quel est votre rapport actuel a l’expérimentation ?
MB: Le lien avec les artisans est fort. Tout est fait chez nous, sauf pour quelques structures. On démarre avec une série d’échantillons avant de statuer. Le processus de fabrication est assez long.
HE: Avez vous abouti a de nouveaux matériaux ?
MB: On est contre la prescription. Le terme de l’architecte prescripteur ne nous correspond pas. On a toujours eu un attrait pour les matières premières, sans finition. On essaie de manipuler la matière à un autre niveau, qui ouvre le champ des possibles. On ne part justement d’un produit catalogue. C’est un principe qu’on a adopté depuis le départ, car on questionne constamment ce qu’on utilise au quotidien. On a fait pas mal d’expériences avec de la paille, de la terre crue, on teste comment ça pourrait fonctionner puis on essaie de voir ce que l’on peut faire avec tout ça.
HE: Est-ce que le réemploi est important dans votre démarche ?
MB: Oui, car le cycle d’une matiere est un élement clé dans notre démarche et choix de matériaux, apres il pourrait y avoir certaines erreurs de connaissances, mais la matiere n’est jamais perdue, on est a fond sur la réversibilité.
HE: Votre matiere preférée ?
MB: Difficile de dire, car on est beaucoup lié au contexte dans notre pratique. Dans un projet, on developpe une palette de matieres. D’ailleurs on a une ce que l’on aime appeler une matériautheque, une sorte de boite a outils ou on vient piocher au ddébut d’un projet.
HE: Qu’est ce qui compose votre vitrine d’expérimentations ?
MB: On a d’abord une scène de matériaux, avec des chutes, des premières intentions de projet, et puis des maquettes plus abouties, des sections de détails.. Et puis le processus conception-réalisation, ça donne quoi sur le plan économique ?
L’économie a un rôle à jouer dans tout ça bien sûr, donc on régule notre posture en fonction de chaque projet, comme je l’avais cité toute l’heure, l’échelle du projet est importante (..)
HE: Considériez-vous votre démarche comme atypique ?
MB: D’autres jeunes agences expérimentent aussi, chacun ses moyens, peu importe tant que c’est ta propre démarche .
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
III. Vers de nouveaux processus et idéologies: les postures actuelles
FIG.39 QUelques images de projets de l’agence LMNTS LAB
En quête d’un sens à l’architecture
De recherche symbolique, à remise en question, puis expérimentation
A l’étude de ce sujet, on devient vigilants aux thèmes qu’il soulève: entre sens et identité. L’artisanat semble être une réponse, un outil des architectes en manque de sens. La rencontre que chacun trouve dans le sujet dépend des acceptations de ce qui peut être considéré comme valeur ajoutée à l’architecture et des applications qui relèvent de l’artisanat
La justification de cette quête active repose sur un questionnement autour de la légitimité du travail d’un architecte et l’idée d’une qualité influée à celui-ci par le biais d’une union de la conception et de la construction ‘’ artisanale ‘’, un imaginaire investi de toute la réflexion disponible sur l’architecture au Maroc et qui correspond à l’attirance pour le faire, pour concrétiser des idées préconçues car l’incertitude et l’absence provisoire de logique insupporte l’architecte, qui n’arrive pas a trouver sa réalisation dans une profession qui n’est pas conforme à ces attentes.
L’enjeu de cette réflexion est de faire évoluer le rapport à l’artisanat, en interrogeant la légitimité de la pratique architecturale dans le contexte urbain bien particulier du Maroc, ce qui nous amène à questionner la logique de production pour exprimer son identité.
Cette réflexion souhaite appliquer un changement de paradigme, de transiter à un autre secteur que l’artisanat, et autour duquel gravite l’identité marocaine.D’autant plus que les limites sociétales et environnementales nous relèvent constamment l’obsolescence de cette ligne de réflexion.
L’enjeu est ailleurs, il aspire à une architecture qui fasse sens et se projette vers l’avenir.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
Bibliographie
• Quitot Michel, Parlons L’arabe dialectal marocain, L’harmattan,2001
• MAMMA Group ( Mémoire des architectes modernes marocains ), 2019
• L’empire des signes : Roland Barthes
• Boutillier Sophie, Artisanat, la modernité réinventée, L’Harmattan , 2006
• Olivier Chadoin, Les vertus de l’indétermination, une Sociologie du travail professionnel,Pulim.coll Sociologie et sciences sociales , 2007
• Focillon Henri, Eloge de la main, les classiques des sciences sociales,1934
• Goetz Benoît, Indéfinition de l’architecture, Éditions la Vilette, 2009
• Morris William, L’art et l’artisanat, Payot et rivages ,2011
• Piano Renzo, La désobéissance de l’architecture
• Till Jeremy, Architecture Depends, The MIT Press, 2009
• Baptiste Buob, La Dinanderie de Fès. Un artisanat traditionnel dans les temps modernes. Une anthropologie des techniques par le film et le texte, Paris,
• IbisPress-Éditions de la MSH, 2009.
• BUOB Baptiste. 2011, Les artisans du patrimoine. Regard ethnologique sur les dinandiers de Fès et la
• patrimonialisation au Maroc.
• SENNETT Richard, Ce que la main, la culture de l’artisanat. ed. Albin Michel, 2008. K’A’ - L’architecture d’aujourd’hui, Renzo Piano », Fromonot Françoise, n°308, 1996, pp. 27-95.
• ATELIER GEORGES et ROLLOT Mathias, «Hypothèse collaboratives, Editions hyperville, 2018.
• BOUCHAIN Patrick, Construire autrement, comment faire ?», Acte Sud, L’impensé, 2006.
• CONTAL Marie-Hélène, «allé - enchanter le monde, Manifesto, 2014.
• MARIE Jean-Baptiste, «Architectes et ingénieurs face au projet», Ed. Le Moniteur, 2019.
• PALLASMAA Juhani, «La main qui pense», Actes Sud, 2013.
• PIANO Renzo, «La désobéissance de l’architecte», Edition Arléa, 2007.
• PICON Antoine, «La matérialité de l’architecture», Éditions Parenthèses, 2018.
• SENNETT Richard, «ce que sait la main, la culture de l’artisanat», Édition Albin Michel, 2008.
• YOUNES Chris, BODART Céline, «Au tournant de l’expérience, interroger ce qui se construit, partager ce qui nous arrive», Édition Hermann, 2018.
En quête d’un sens à l’architecture
• ALBERTI Léon-Battista, L’art d’édifier, Seuil, 2004.
• ANTINIOLI Manola, Machines de Guerre Urbaines, éditions Loco, 2016
• Architecten de vylder vinck taillieu Doorzon interieurarchitecten & Filip Dujardin, Bravoure, Scarcity, Beauty, VAi, 2016
• BOUTILLIER Sophie, Artisanat, la modernité réinventée, L’Harmattan, 2006
• CASSELYJean-Laurent,Larévoltedespremiersdelaclasse;métiersàlaconquêtesde sens et reconversions urbaines, Arkhe, 2017
• CHADOINOlivier,Etrearchitecte:Lesvertusdel’indétermination.Unesociologiedu travail professionnel, Pulim, coll. «< Sociologie et sciences sociales », 2007
• CHAMPYFlorent,Sociologiedel’architecture,LaDécouverte,coll.<<Repères»,2001 COLOMINABeatriz,LaPublicitéduprivé,deLoosàLeCorbusier,ÉditionsHYX,collection « Restitutions », 1998
• CRAWFORDMatthewB,Elogeducarburateur,2009,ÉditionfrançaiseLaDécouverte, 2016
• DEAMER P. & BERNSTEIN P.G., Building (in) the Future, Yale School Architecture,
• 2010
• DURKHEIM Emile, Division du travail, préface 2 édition, 1897
• ELLUL Jacques, Le système technicien, 1977, 2* édition, Le Cherche Midi, 2004 FOCILLONHenri,Elogedelamain,Lesclassiquesdessciencessociales,1934GIRARDET Raoul,Mythesetmythologiespolitiques,Points,1990GOETZBenoit,Indéfinitionde l’architecture,EditionsdeLaVillette,2009GRASSIGiorgio,L’architecturecommemétier et autres écrits, Mardaga, 1995 GROPIUS Walter, Scope ofTotal Architecture, Collier Books, 1962
• HIBOUBéatrice.Labureaucratisationdumondeàl’èrenéolibérale,LaDécouverte,coll. << Cahiers libres »<, 2012
• HOUELLEBECQ Michel, La carte et le territoire, Flammarion, 2010
• JACQUESAnnie,Lacarrièredel’architecteauXIXesiècle,DossierduMuséed’Orsay, Paris, 1986
• JACQUET Hugues, L’intelligence de la main, L’Harmattan, 2012
• KOSTOFSpiro,TheArchitects:ChaptersintheHistoryoftheProfession,Universityof California Press, 1977
• LAMBERTG.THIBAULTE.L’atelieretl’amphithéâtre:lesécolesdel’architecture,entre théorie et pratique, Mardaga, 2012
• LODS Marcel, Le métier d’Architecte, Editions France-Empire, 1976
• LUCAN Jacques, L’architecture en France, Editions du Moniteur, 2001,
• MacCARTHY Fiona, MORRIS William, A Life for Our Time, Knopf, 1995 .
En quête d’un sens à l’architecture
• MONNIER Gérard, Histoire critique de l’architecture en France, 1918-1950, Editions P. Sers, 1990
• MONNIER Gérard, Que suis-je ?, Histoire de l’architecture, PUF, 1994
• MORRIS William, L’art et l’artisanat, Payot & Rivages, 2011
• NOIROT Julie. Regards croisés sur l’architecture: Le Corbusier vu par ses photographes, Publications de la Sorbonne, 2010
• PALLASMAA Juhani, La main qui pense, Actes Sud, traduction de 2013
• PERRET Auguste. Le béton, texte dactylographié du 29 juillet 1948, publié dans Auguste Perret, Anthologie des écrits, conférences et entretiens, 2006
• PEVSNER Nikolaus, Ruskin and Viollet-le-Duc, Englishness and Frenchness in the appreciation of gothic architecture, Hardcover, 1969
• PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arlea, 2009
• RUSKIN John, Les Sept Lampes de l’Architecture, Klincksieck, 2008
• SENNETT Richard, Ce que sait la main, Albin Michel, 2010
Sitographie
• Site de l’école d’architecture de Rabat : http://www.enarabat.ac.ma/
• Site de la cité d’architecture et du Patrimoine de Paris:
• https://archiwebture.citedelarchitecture.fr/
• Site de Mammagroup : https://mammagroup.org/
• Magazine A+E https://aemagazine.ma/
• https://voirenvrai.nantes.archi.fr/?p=775
• http://www.des-gens.net UP6-Unite-Pedagogique-d
• GUEX Patrice, Objet-prétexte In: Demain l’artisanat ? [en ligne]. Graduate Institute Publications, 1986. Disponible sur Internet, http://books.openedition.org/iheid/3340 http:// www.portes ouvertes architectes.org/page/2-les-jpo-e-est-quoi
• Site web, AJAP 2012, https://ajap.citedelarchitecture.fr/fr/laureats/cique https://ajap. citedelarchitecture.fr/fr/laureats/cique
• Emissions de radiophonie et conférences
• A VOIX NUE, Patrick Bouchain, l’architecture en partage, 2017, émission de radiophonie proposée par BOURGEOIS Raphael, diffusée le 11 janvier sur France Culture NOUVELLES VAQUES, Artisanat 1/5, 2016, émission de radiophonie proposée par RICHEUX Marie, diffusée le 28 mars sur France Culture
En quête d’un sens à l’architecture
Notes
En quête d’un sens à l’architecture
1. HOUELLEBECQ Michel, La carte et le territoire, Flammarion, 2010, p268.
2. JACQUES Annie, La carrière de l’architecte au XIXe siècle, Dossier du Musée d’Orsay, Paris, 1986, p8.
3. DUMONT Marie-Jeanne, décembre 2005, DPLG, vie et mort d’un diplôme d’Architecture, n°151.
4. *On avait opté pour une épreuve purement technique, placée à la fin du cursus artistique. Pour se présenter au diplôme il fallait avoir passé le concours d’admission, parcouru la deuxième classe (sorte de premier cycle) puis la première (sorte de deuxième cycle), et être parvenu au seuil du Grand Prix. Cela représentait 24 * valeurs » et 5 à 6 ans d’études. L’épreuve elle-même consistait en l’étude complète, devis estimatif, descriptif et détail d’exécution compris, d’un petit projet relativement simple. Pour cela, l’élève était supposé aller s’informer à l’extérieur, par exemple au cours d’un stage, en faisant la place de tous ces détails>> qu’on n’enseignait pas à l’école. Un examen écrit sur la législation du bâtiment et sur l’exécution des travaux ainsi qu’un oral général incluant la soutenance du projet venaient enfin conclure Tépreuve. »DUMONT Marie-Jeanne, décembre 2005, revue suscitée.
9. Terme employé par Hassan II, qui ouvre le débat sur la question après l’indépendance du Maroc, afin d’essayer de recréer une identité commune forte.
10. 3-Plusieurs éthnies se sont succédées au Maroc au fil des années, la culture amazigh étant autochtone. Les différentes civilisations qui colonisent où échangent avec les peuples marocains laissent évidemment leur trace sur le territoire; romains, caliphate arabo-musulman, civilisations ibériques...
11. 4-Maurice Flory, Note sur la demande d’adhésion du Maroc à la Communauté économique européenne, Université d’Aix-Marseille, 5 p consultable surhttp://aanmmsh.univ-aix.fr/Pdf/AAN-198423_55.pdf
12.
Cf: Territoire du Maroc et dates de sa reunification sur la page précédente
13. Les artisans du patrimoine: La dinanderie comme forme de perpétuation de l’artisanat
14. Les données de cette analyse ont été développées dans Baptiste Buob, La Dinanderie de Fès. Un artisanat traditionnel dans les temps modernes. Une anthropologie des techniques par le film et le texte, Paris, IbisPress-Éditions de la MSH, 2009.
15. D’apres les lectures de Prosper Ricard, un acteur majeur de la politique artisanale du
5. Cette demande avait été anticipée par les associations d’architectes qui avaient commencé à se former au milieu du siècle : La Société académique d’architecture de Lyon, la Société centrale des architectes français, la Société nationale des architectes de France et la Caisse de défense mutuelle. *Cf. Code Guadet 1895.
6. RODRIGUEZ TOME D., 2006, L’organisation des architectes sous la Ille République. Le Mouvement Social, Editions de l’Atelier, n’214. Il rêve que l’architecte redevienne un maître d’œuvre à part entière, que l’esprit des corporations soit retrouvé afin que la proximité de l’architecte avec les autres métiers concourant à la construction soit rétablie. Il loue la période gothique et non le classicisme en vigueur aux Beaux-Arts. En ce sens les écrits d’Eugène Viollet-le doc, ou d’Augustus Pugin avant lui, s’apparentent bien plus à ceux de faiseurs
7. MORRIS William, L’art et l’artisanat, Payot & Rivages, 2011, p32.
8. Tarik OUALALOU, Hakim BENCHEKROUN, Resistances et Resignations- architectures au maroc 20042014, AAM EDITIONS, 2014
protectorat. il parle successivement de « métiers manuels », d’« industrie indigène » puis d’« artisanat » : « Les métiers manuels à Fès », Hespéris, 4, 1924 ; « L’industrie indigène au Maroc », Bulletin économique du Maroc, 6, 1934 ; « Pour une première étape dans la modernisation de l’artisanat marocain », Bulletin économique du Maroc, 46-47, 1946.
16. Jean Devallon, « Philosophie des écomusées et mise en exposition » ; cité par Abdelmajid Arrif
17. Granovetter M. 1994 « Les institutions économiques comme constructions sociales :un cadre d’analyse.» Analyse Économique des Conventions. Sous la direction de André Orléans.
18. Université Cadi Ayyad 1999. « Étude sur le secteur de l’artisanat dans la ville de Marrakech. »Rapport de première phase.
19. L’enquête sur le secteur informel réalisée par le Groupe de Recherche sur l’Emploi et la Formation – Qualification (GREFOQ) en 1988, montre que 54% des «Sonaâs » ont exercé une activité dans la même
20. Bougroum M.1999. « Fonctionnement du marché du travail et relation éducation –formation –emploi au Maroc : une étude analytique et empirique. » Thèse d’Etat de doctorat en sciences Économiques Université Cadi Ayyad
En quête d’un sens à l’architecture
1. La valeur artisanale comme vecteur d’identité: analyse de l’attitude: 2. MORRIS WILLIAM, L’art et l’artisanat, Payot et rivages, 2011.
3. Ruskin John, Les septs Lampes de l’architecture, Klinkcksieck,2008, La lampe de Sacrifice. 4. L’architecte, l’artisan ou l’artiste, sans distinction: l’homme d’un art 5. Conclusions tirées par les rapprochements des visions politiques de John Ruskin, William Morris et Karl Marx . 6. IDEM 7. IDEM 8. Gropuis Walter, Scope of Total Architecture, Collier Books, 1962 9. NOIROT Julie, Regards croisés sur l’architecture: Le Corbusier vu par ses photographes. Publications de la Sorbonne, 2010.
Colections Focales, 2005.
11. TAFURI Manfredo, Projet et utopie, Bordas, 1979.
12. ALBERTI Léon-Battista, L’art d’édifier, Seuil, 2004.
13. TAFURI Manfredo, The sphere and the labyrinthe, The MIT Press 1987.
14. TAFURI Manfredo, Teoria e storia dell’architettura, Laterza, 1968.
15. CRAWFORD Mattew B. l’élogfe du carburateur. 2009, édition la découverte, 2016
16. CRAWFORD Mattew B, Éloge du carburateur. 2009.
17. La Révolte des premiers de la classe: Métiers à la con, quête de sens et reconversions urbaines Broché – Livre grand format, 8 mai 2017, de Jean-Laurent Cassely
18. Délocalisation des architectes, par rapport aux travailleurs de la construction. CRAWFORD Mattew B. ouvrage sucscité.
19. La bureaucratisation du monde a l’ere néolibérale. Béatrice HIBOU. 20. Émile Durkheim, De la division du travail social, Introduction de Serge Paugam 21. Henri **Matisse, Écrits et propos sur l’art , 2007** 22. Donald W. Winnicott, une nouvelle approche · 2008 23. Tim Ingold Faire: anthropologie, archéologie, art et architecture, apparu le 2 mars 2017 Essai (broché) 24. RICHARD SENNET, Ce que sait la main, ALBIN MICHEL, 2010. 25. Pallasmaa Juhani, La main qui pense, ACTES SUD, traduit en 2013. 26. GRASSI GIORGIO, l’architecture comme métier et autres écrits, MARDAGA, 1995. 27. GRASSI GIORGIO, meme ouvrage suscité , MARDAGA, 1995.
10. VOILEAU JL, Les architectes et mai 68,
En quête d’un sens à l’architecture
1. GHYOODT Michael, cité dans le mémoire: mutation du métier de l’architecte. 2015
2. CHENSEAU Isabelle, profession architecte, éditions Eyrolles, 2018.
3. DEPLEZES Andrea, ELSENER Christoph, Construire l’architecture du matériau brut a l’édifice. Birkhauser, 2008.
4. PICON Antoine, La matérialité de l’architecture, Editions Parentheses, 2018.
5. Pallasmaa Juhani, La main qui pense, ACTES SUD, traduit en 2013.
6. SENNETT Richard, Ce que la main, la culture de l’artisanat. Albin Michel, 2008
7. Le kitsch
8. Schon Nathalie. L’auto-exotisme dans les littératures des Antilles françaises.
9. Ricœur Paul, Ecrits et Conférences. Autour de la psychanalyse.
10. A.GAYET, Extraits du livre L’art Arabe, 1893. Analyses
20. Steinmann Martin, Forme forte - architecture récente en Suisse alémanique, Birkhauser, 2003
21. Exposition « Éric Gauthier, architecte - Le désir du neutre »
22. Jacques Herzog & Theodora Vischer, «< Entretiens »>, Herzog et de Meuron, Bâle, Wiese, 1988
11. La production supermoderne: le choix du neutre et de l’indéfini en architecture
12. NIVET Soline , Radicalement neutre? dans D’Architecture, n191
13. HANS Ibelings, Supermodernisme, l’architecture a l’ere de la globalisation, Hazan Paris, 2003.
14. BOUVERESSE Jacques , Rationalité et cynisme, Paris: Edition de Minuit, 1984.
15. Eleb Monique, jean Louis Violeau, le Neutre: le sans genre comme constructions savante, dans l’Architecture entre gout et opinion. Construction d’un parcours et construction d’un jugement.
16. JUNOD Philippe, Transparence et opacité, Broché, Paris, 2004
17. BARTHES Roland, L’empire des signes, 2014.
18. Steinmann Martin, matières 6: actualité de la critique architecturale, Volume 6, 2003
19. BARTHES Roland, Le neutre: cours college de France ( 1977-1978), Brochet, Paris, 2002.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
Iconographies
Fig. 1 Photographie de BAB AL MANSOUR, a l’entrée de la Médina de Meknes
Fig. 2 Projet résidentiel moderne a Casablanca
Fig.3 Illustration d’une case africaine
Fig.4 La construction du marché du commerce de Fès
Fig.5 Rencontre entre le prince héritier Moulay Hassan et l’architecte Le Corbusier ina.fr/L’architecte, Le Corbusier au Maroc
Fig.6 et 7 Nouvel Agadir ( Haut Commissariat au plan)/MOurad Ben Embarek / 1960
Illustartions tirées du site officiel du MAMMA ( Mémoire des architectes modernes marocains ) group. mammagroup.org
Fig.8 Visite de S.M le Roi Mohammed V-Le Sinistre tremblement de terre - Agadir
Fig.9 Un groupement d’artisans dans un atelier de la médina
Fig.10 Scenes et types - Ouvriers d’arts marocains- Atelier de peinture aux Oudayas
Fig.11 John Ruskin et William Morris
Fig.12 From Art to Politics. John Ruskin and William Morris. Lawrence Goldman
Fig.13 Un exemple de sublimité de la montagne etéchelle humaine dans les propres dessins de Ruskin :Chamouni. 1843.
Fig.14 Un exemple de sublimité de la montagne et échelle humaine dans les propres dessins de Ruskin :Chamouni. 1843.
Fig. 15 Gropius et Meyer, des logements standardisés utilisant des blocs de construction. 1923
Fig .16 Portrait Illustration of Tafuri Manfredo,
de Paul Sargent
Fig . 17 À Manfredo Tafuri, dessin publié dans Aldo Rossi in America : 1976 to 1979, The Institute for Architecture and Urban Studies. IAUS Exhibition
Catalogue, catalogue 2 (1979)
Fig .18 Les Batteurs de pieux (détail), Maximilien Luce, 1902 1905
Fig .19 Les mains du créateur : le designer Tapio WIRKALLA dessine peint, sculpte le bronze et le bois
Fig .20 Interprétations de la main d’Henry Moore, dans son atelier, peintures a l’huile , dessins
Fig .21 plan d’un atelier de dinandiers hors du souk : espace organisé hiérarchisé en fonction des impératifs techniques
Fig.22 Enclume, frappe au marteau, enfoncée dans un plot en bois
Fig.23 Martelage alterné à trois
Fig.24 Martelage simultané , à l’aide d’une panne, effectué par deux forgerons
Fig.25 L’artisan est assis, installé sur une rame en bois, une enclume s’ajoute au décor . Il frappe avec un maillet en bois pour façonner les bordures d’un chaudron qui repose sur une petite enclume fixée horizontalement dans la poutre de son banc
Fig.26 Portraits d’artisans de Marrakech , juin 2019, Médina de Marrakech
Fig .27 ATOMAA - NOLITA - A HOME FOR FLÂNEURS
En quête d’un sens à l’architecture
Fig.28 A.GAYET, Extraits du livre L’art Arabe, 1893. Analyses
Fig .29 Saint Sarkis Community Center. DALLAS, UNITED STATES
Fig.30 Apartment in Cruzes da Sé. Interventions: Ana Rita Martins,Bernardo Dias;
Fig.31 Bernard Desmoulin, Michel Denancé, Célia
Fig.32 N on-social interest, ZAICKZ moz, série de photos , Mexico Fig.33 HAJJAJ Hassan, Séries POP ART , clichés fantaisistes , cacophanie de couleurs
Fig.34 Série de matériaux 1.Babelstudio bonadona arquitectura, biderbost photo, caserio azkarraga 2. Atelierdacosta tiago casanova holiday home 3. Bayer strobel architekten peter strobel christian kohler uneral chapel ingelheim 4. Blrm noshe treehouses bebelallee 5. Jonathan tuckey design theodore tennant woodstock studios 6. Katarsis grigoriy sokolinsky rotating triumphal arch 7. Martina d alessandro architettura lorenzo musto casa sr 8. Playa architects tuomas uusheimo kaarlo sarkian katu apartments 9. Ruinelli architetti vaclav sedy falegnameria 10. Zandbelt vandenberg rene de wit architectuurfotografie villa hoek van holland 11. Onsitestudio: Angelo Lunati, Giancarlo Floridi 12. Martina d alessandro architettura lorenzo musto casa sr
FIG .35 Image d’un atelier, exposition matiere a construire, photographie Pierre Yves Brunau, 2011
FIG .36, ATELIER R.A.A.R, Initié par LAN architecture en 2020
FIG. 37 Chantier en cours, photographie Pierre Yves Brunau, 2011
FIG.38 Mehdi Berrada, architecte fondateur de l’agence LMNTS LAB
FIG.39 Quelques images de projets de l’agence LMNTS LAB.
Fig.40 Collector des architectes émergents / Avril 2020 /A+E magazine
En quête d’un sens à l’architecture
Fig. 1 Photographie de BAB AL MANSOUR, a l’entrée de la Médina de Meknes
Fig. 2 Projet résidentiel moderne a Casablanca
Fig.3 Illustration d’une case africaine
Fig.4 La construction du marché du commerce de Fès
Fig.5 Rencontre entre le prince héritier Moulay Hassan et l’architecte Le Corbusier ina.fr/L’architecte, Le Corbusier au Maroc
Fig.6 et 7 Nouvel Agadir ( Haut Commissariat au plan)/MOurad Ben Embarek / 1960
Illustartions tirées du site officiel du MAMMA ( Mémoire des architectes modernes marocains ) group. mammagroup.org
Fig.8 Visite de S.M le Roi Mohammed V-Le Sinistre tremblement de terre - Agadir
Fig.9 Un groupement d’artisans dans un atelier de la médina
Fig.10 Scenes et types - Ouvriers d’arts marocains- Atelier de peinture aux Oudayas
Fig.11 John Ruskin et William Morris
Fig.12 From Art to Politics. John Ruskin and William Morris. Lawrence Goldman
Fig.13 Un exemple de sublimité de la montagne etéchelle humaine dans les propres dessins de Ruskin :Chamouni. 1843.
Fig.14 Un exemple de sublimité de la montagne et échelle humaine dans les propres dessins de Ruskin :Chamouni. 1843.
Fig. 15 Gropius et Meyer, des logements standardisés utilisant des blocs de construction. 1923
Fig .16 Portrait Illustration of Tafuri Manfredo,
de Paul Sargent
Fig . 17 À Manfredo Tafuri, dessin publié dans Aldo Rossi in America : 1976 to 1979, The Institute for Architecture and Urban Studies. IAUS Exhibition
Catalogue, catalogue 2 (1979)
Fig .18 Les Batteurs de pieux (détail), Maximilien Luce, 1902 1905
Fig .19 Les mains du créateur : le designer Tapio WIRKALLA dessine peint, sculpte le bronze et le bois
Fig .20 Interprétations de la main d’Henry Moore, dans son atelier, peintures a l’huile , dessins
Fig .21 plan d’un atelier de dinandiers hors du souk : espace organisé hiérarchisé en fonction des impératifs techniques
Fig.22 Enclume, frappe au marteau, enfoncée dans un plot en bois
Fig.23 Martelage alterné à trois
Fig.24 Martelage simultané , à l’aide d’une panne, effectué par deux forgerons
Fig.25 L’artisan est assis, installé sur une rame en bois, une enclume s’ajoute au décor . Il frappe avec un maillet en bois pour façonner les bordures d’un chaudron qui repose sur une petite enclume fixée horizontalement dans la poutre de son banc
Fig.26 Portraits d’artisans de Marrakech , juin 2019, Médina de Marrakech
Fig .27 ATOMAA - NOLITA - A HOME FOR FLÂNEURS
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
Annexes
Panorama des secteurs d’activité artisanaux
Indicateurs globaux de l’Artisanat de Production d’Art et Utilitaire (APAU)
Le secteur de l’Artisanat de Production d’Art et Utilitaire a totalisé en 2018, un chiffre d’affaires de l’ordre de 76,4 Milliards de DH et un nombre d’emplois de 1138977 ar tisans.
Chiffre d’affaire par acteur
Les monos artisans réalisent une part de 94% du chiffre d’affaires du secteur de l’APAU. Ceux du milieu urbain sont ceux qui contribuent le plus à l’activité (une part de 82%).
Quant aux entreprises, elles ne contribuent qu’à hauteur de 6% au chiffre d’affaires, mais elles continuent à jouer un rôle important dans la dynamisation et la modernisation du secteur grâce, notamment, à leur mode de gestion et de production.
En quête d’un sens à l’architecture
Chiffre d’affaires par milieu
88% du CA global de l’APAU est réalisé par les artisans urbains alors que les artisans ruraux n’y participent qu’à hauteur de 12%. En 2018, l’artisanat urbain a ainsi totalisé un CA de 67,3 Milliards de DH, contre 9,1 Milliards de DH réalisé par l’artisanat rural.
Chiffre d’affaires par milieu
Durant l’année 2021, la quasi-totalité des produits ont fait preuve de bonnes prouesses à l’export, voire excellentes pour la majorité d’entre eux.
Les produits de dinanderie ont connu une très forte demande à l’étranger. Cette demande s’est en effet amplifiée 5 fois plus qu’en 2020, classant cette famille de produits au premier rang en termes d’évolution. Des croissances remarquables ont également été marquées par les produits de fer forgé, de vannerie et de poterie et pierre, qui ont vu leurs exportations augmenter respectivement de 95%, 91% et 74%.
Un regain de croissance a également été au rendez-vous pour le tapis, qui affiche une progression de 67% en glissement annuel, après deux années consécutives de régression. Les articles chaussants se classent juste après, avec un taux de croissance de 62%, suivis des articles en bois, en progression de 51% par rapport à 2020.
D’autres familles de produits ont enregistré des croissances plus modestes, telles que la maroquinerie (17%), la bijouterie (6%) ou encore les couvertures (1%).
En quête d’un sens à l’architecture
Distribution des Exportations par Famille de Produits:
En quête d’un sens à l’architecture
Débats autour de la pratique Entretiens avec les architectes
Faut-il exprimer son identité en architecture ?
L’architecte n’entend plus rien prouver par son travail. L’enjeu est ailleurs.. Si la quête demeure , elle a changé de nature. La quête n’est plus essentiellement identitaire, même si personne ne peut renier ses racines, elle est esthétique et politique, au sens premier du terme. Une quête dans laquelle le temps, l’espace et le territoire, en tant que formateur d’individualités, interviennent naturellement.
Siham Sara ChraibiL’architecture a aussi besoin de projets - événements qui constituent des jalons et proposent un challenge aux métiers de l’architecture en mobilisant tout un ensemble de filières. Il s’agit néanmoins de tâcher de garder une certaine mesure de telle sorte que la disproportion des projets ramenée aux moyens réels du pays ne soit pas trop marquée au risque de susciter un sentiment de rejet .
Idriss KettaniEn quête d’un sens à l’architecture
Je voulais faire une proposition : cesser de parler de tradition et de modernité : ces deux mots, mal pensés et mal digérés sont les seuls alibis sur lesquels les maîtres d’oeuvres s’appuient pour décrire tout et n’importe quoi n’arrivant à rien formuler qui ne soit dans cette relation entre le traditionnel et le moderne. Je n’ai pas besoin de montrer ma marocanité de manière tautologique et la porter comme un drapeau. Je la porte en moi, dans ma culture, mon vécu, mes sensations, mes expériences. Elle percole dans mon travail. Je n’ai aucune nécessité à projeter la modernité car je suis un homme de mon temps et je dialogue avec les cultures du monde. La tradition doit devenir patrimoine, et la modernité contemporaine.
Tarik OualalouIl me semble qu’aujourd’hui, ce qui manque le plus à l’architecture et au monde, ce n’est pas de l’identité mais du cœur et du sens.Dans mon travail il y a des voyages, des lectures, des rencontres, des questionnements, des obsessions. Mais à aucun moment je ne me demande à quel point mon architecture est marocaine. Elle l’est probablement, mais je ne saurai dire si elle l’est dans un patio planté, dans le parfum du bois ou ailleurs.
En quête d’un sens à l’architecture
En quête d’un sens à l’architecture
en quête
de valeurs d’un art
d’une revendication
d’un ancrage
d’une histoire d’un sens