Atelier Médiation sociale

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Atelier Médiation sociale Le groupe de travail du Laboratoire Printemps appelé " atelier médiation sociale " a été constitué à l’initiative de C. DELCROIX dans le but d’organiser un travail collectif engageant des chercheurs qui, à partir de terrains d’observation différents, remarquaient tous l’importance nouvelle que prenait la notion de " médiation " pour nommer des activités au premier abord fort diverses et se déroulant dans des contextes où, jusqu’ici, cette notion n’avait guère sa place. L’usage le plus fréquent du terme est celui qui dénote une volonté de neutralité par rapport à des enjeux opposés portés par des acteurs qui, devenus adversaires, entreraient en conflit sans l’intervention d’un médiateur, d’un "arbitre". Si cette idée de neutralité est présente dans les "scènes" observées par la plupart des chercheurs sur les terrains qu’ils étudient, elle ne permet cependant de rendre tout à fait compte ni de la réalité des actions menées au nom de la médiation, ni des positions occupées par les médiateurs, ni des objectifs de leur action, ni des attentes de leurs interlocuteurs. La neutralité se révèle être en effet une position difficile à tenir durablement. Etre soi, être l’un, être l’autre et tout cela ensemble : la médiation apparaît comme un " compromis instable ". Par conséquent, interroger cette précarité de la neutralité oblige à considérer les conflits qu’elle est appelée à surmonter. Dans les faits, qui dit médiation dit conflit d’intérêt et volonté d’en chercher la résolution par le moyen d’un " agir communicationnel " (Habermas 1987) afin d’éviter l’escalade des rapports de force, et pour certaines des situations étudiées par les chercheurs de l’atelier, le " décrochage " des individus par rapport à la société civile. Les usages du terme médiation étendus à des situations de plus en plus diverses font que le terme s’enrichit de significations multiples portées aussi bien par les pratiques auxquelles elle donne lieu que par les domaines - politique, juridique, économique, social...- dans lesquels elle est introduite. Dans le même mouvement les figures du médiateur se diversifient et le terme de " médiation " appartient à un langage courant qui s’accommode de sa polysémie. Comment construire une approche sociologique de ce phénomène à la fois tentaculaire et polysémique ? L’intérêt d’une telle entreprise ne réside-t-il pas dans le fait que la notion, si floue soit-elle, pourrait renvoyer à des formes de sociabilité nouvelles ? à de nouveaux modes de participation à la vie publique ? ou du moins à des aspirations en ce sens de la part de certains acteurs sociaux ? Ne devrait-on pas plutôt considérer que la médiation " est le fait fondateur de toute forme de sociabilité " (Lamizet 1997), puisque " le conflit fait partie de la vie ", comme l’annonce une brochure d’une association étudiée dans l’atelier ? Comment comprendre les glissements qui s’opèrent dans l’usage d’une posture de neutralité vers certaines formes d’engagement ? Peut-on admettre que, schématiquement, la médiation lorsqu’elle penche du côté du pouvoir serait d’un certain type, tandis que celle qui pencherait du côté opposé (du côté des " gens ") serait d’un type différent ? Trois grands types de médiation peuvent être dégagés à partir de l'observation de divers terrains. 1. La première forme, sur laquelle le groupe a travaillé la première année, est celle qu'on qualifiera de médiation émergente. Elle met en présence des


publics atomisés et sans voix face à une institution qui ne communique pas de manière à être comprise et qui ne cherche pas à se réformer. C’est au sein de ces publics soumis qu’apparaissent des initiatives pour pallier les conflits. Des réseaux informels d’entraide se créent, des protestations se font entendre, des porte-parole émergent (dans beaucoup de cas des femmes). L’enjeu sociologique est ici d’analyser les rapports entre les institutions et leurs publics, surtout ceux des quartiers populaires. A partir du travail des médiatrices (C. Delcroix et alii.), nous avons observé des situations où la médiation ne remet pas en question le fonctionnement social, où les usagers sont aidés pour s’adapter à lui. Nous qualifions cette médiation de "relais". Lorsque la médiation dépasse la visée adaptatrice pour devenir une force de changement les médiateurs/trices cherchent à infléchir les modes de fonctionnement des administrations de manière à les adapter aux usagers et non l’inverse. Dans ce processus, l'activité de médiation transforme l'action elle-même, qui d'individuelle devient collective. Nous qualifions cette médiation de " critique ". Dans ce cas la médiation peut mener à l’empowerment qui consiste à " habiliter " des gens en position dominée à agir et à découvrir leur propre force issue de l’action collective. 2 La seconde forme de médiation, la plus classique, est celle que l'on qualifiera de prédéfinie. La médiation juridique en constitue l’archétype. L’institution crée la fonction de médiateur pour gérer des conflits conçus comme opposant deux adversaires placés sur un pied d’égalité entre lesquels le médiateur désigné tentera de trouver un accord à l'amiable, afin d'éviter une procédure lourde et coûteuse. Mais les parties ne sont pas toujours "à égalité" : l’Ombudsman qui parle au nom des enfants s’inscrit au contraire dans un rapport de forces inégale des " usagers " face à la justice. Ajoutons que, si le rôle de ces médiateurs est au départ simplement d'informer les usagers sur leurs droits, cette fonction peut, avec le temps et le nombre de dossiers traités, évoluer vers une fonction elle aussi plus "critique", pouvant aller jusqu'à la formulation de propositions de lois destinées à réformer le système existant (cf. Libération). 3.Une troisième forme de médiation a été dégagée que nous appellerons transposée. Il s'agit de pratiques transférées d'un contexte social et culturel à un autre. C’est par exemple le cas du " griot-médiateur " transplanté dans un foyer de travailleurs immigrés à Paris, dont D. Gueye décrit les motivations personnelles. Récompensé par l'autorité dont il est investi, le fait d'être " écouté " satisfait sa revendication éventuelle d’un " pouvoir " personnel. La reconnaissance de son rôle peut d'ailleurs prendre la forme d'une rémunération, y compris de manière différée, lorsqu’une ascension sociale, voire une professionnalisation, est escomptée. Autre exemple

typique de transposition, celui de la reprise du terme " médiateur " par les S.E.L., systèmes d'économie volontaire, décrits par S.


Laacher. C'est le médiateur (terme utilisé par les responsables en alternance avec celui de " sage "), qui, en disant le droit lorsque apparaît un litige entre adhérents à propos d'un échange de biens et de services, fait jurisprudence. C'est un bon exemple de glissement sémantique : de sa valeur de " sage ", qui s'appuie sur une référence à l'impartialité du juge, vers une valeur que S. Laacher identifie comme comportant une compétence politique (et sa reconnaissance). Enfin, lorsqu’une médiation est initiée par une institution dont la volonté est d'abord de " calmer le jeu ", celle-ci pourra être amenée à instrumentaliser des activités qu'elle cherche à caractériser comme étant des " médiations ". Ce faisant elle se met en contradiction avec les intentions et les motivations des acteurs concernés. C’est le cas du "rap". En effet, même si ces productions artistiques peuvent apparaître comme remplissant une fonction de médiation, il serait illusoire d'imaginer qu'elles puissent conjurer, à travers leurs seules dimensions symboliques, les problèmes sociaux qu'elles mettent en scène. Ce pourrait être aussi le cas des mariages "mixtes" dans des contextes précis. Le mariage "mixte" est un construit dont les effets sociaux et subjectifs varient au gré des contextes et des périodes. Il peut être ignoré, stigmatisé, instrumentalisé. En Bosnie, depuis les accords de Dayton (1995) , le "séparatisme ethnique" a été érigé en norme officielle. Une enquête de G. Varro dira si des couples mixtes qui y vivent encore jouent le rôle de "médiateurs" inter-communautaires que des ONG tentent parfois de leur imposer. Un exemple particulièrement clair d'extension sémantique du mot " médiation " est celui mis en évidence par B. Havard-Duclos (cf. Utinam). Dans le cadre de l'association "Droit Au Logement", le terme "médiateur" apparaît inadapté, puisque la personne qu'il désigne est trop engagée dans la position de l’une des parties pour être la tierce partie nécessaire à la médiation. Cet exemple permet de tracer la frontière au-delà de laquelle médiation devient militance. Questions posées au sociologue... Notre objectif entre 1997 et 1999 a donc été d’étudier les contextes où le terme apparaissait (écoles, municipalités, associations de défense des habitants, institutions de la petite enfance..). Depuis la rédaction des textes publiés par la revue Utinam, nos discussions avec des chercheurs invités, un travail collectif autour de comptes rendus d’ouvrages et de projets de recherche ont permis d’approcher de plus près les difficultés conceptuelles posées par le terme " médiation ", tant par rapport aux terrains étudiés que par rapport aux préoccupations des membres de l’atelier. Nous avons tenté de démêler les usages " profanes " et " savants " observés dans le processus ordinaire de construction de l’objet. Dès lors l’examen des variations langagières devient une voie de recherche prometteuse. En s’institutionnalisant la médiation donne lieu à des mouvements de professionnalisation et dessine parfois les contours de professions visibles. Une


recherche qui commence sur l’institution scolaire permettra de décrire le cas des " médiateurs éducatifs " dans les lycées et collèges. Les différents types de médiation observés se positionnent donc sur un continuum qui, avec des retours possibles, va de la médiation relais à la médiation critique. C'est cette oscillation qui donne à l'activité son caractère d'enjeu politique. Parallèlement aux recherches sur ces nouvelles formes de travail, il nous faut donc examiner de plus près la signification sociale de l'ampleur prise par la notion, à la fois pour les personnes et pour les institutions qui s'y engagent.

Opérations de recherche : Enjeux prioritaires et types de conduite des familles populaires face à la précarité (D.G.12), C. Delcroix Pré-délinquance et stratégies de prévention : (IHESI et SAN), M. Badevant, J. Corteville, C. Delcroix, C. Dubar, E. Larguèche, S. Zegnani Les formes d'engagement solidaire (MIRE), B. Havard-Duclos & S. Nicourd Ouvrir l’Education Nationale au travail social ?, C. Houriez La médiation dans une économie volontaire, S. Laacher Paroles et porte-parole: le cas des enfants, C. Rollet Mixité matrimoniale et médiation sociale en Bosnie, G. Varro Nouvelles formes d'engagement de réfugiés chiliens en France, M. Voillemin Jeunes des cités et prévention générale. Analyse de la construction d'un système local de régulation , S. Zegnani

Bibliographie : P. Achard, G. Varro, F. Leimdorfer, M.-C. Pouder, "Quand des enfants migrants se traitent d’arabe..", Revue Européenne des Migrations Internationales n° 8/2,1993, pp. 191-209 J.-P. Bonnafé-Schmitt, La médiation : une justice douce, Syros, Paris,1992. J.-P. Bonnafé-Schmitt, La médiation pénale en France et aux États-Unis, LGDJ, 1998. M. Boucher, Rap, expression des lascars. Significations et enjeux du Rap dans la société française, L’Harmattan, Paris, 1998. M. Cohen-Emerique, "La négociation/médiation interculturelle, phase essentielle dans l'intégration des migrants et dans la modification des attitudes des acteurs sociaux chargés de leur intégration", Vie sociale, n° 2, mars-avril, 1999. C. Delcroix et alii, Médiatrices dans les quartiers fragilisés : le lien, La Documentation Française, Paris, 1996. J. Faget, La médiation. Essai de politique pénale, Erès, 1997. M. Grawitz et J. Leca, Traité de science politique, vol. 3, L'action politique, PUF, Paris, 1987.


J. Habermas, Théorie de l'agir communicationnel, 2 vol., Fayard, Paris,1987. J. Kellerhals, Le sentiment de justice dans les relations sociales, PUF, "Que sais-je?", Paris, 1997. S. Laacher, "Critique de l’argent et morale des échanges", Les Temps Modernes, n° 605, 1999. B. Lamizet, La médiation politique, L'Harmattan, Paris, 1997. Libération du 9 mars 2000, "Notre ami le médiateur" p. 1, "Le médiateur pompier de la République" pp. 1-4:. La Médiation, dossier établi par l'association Non-violence actualité, 1993. L. Mucchielli, "Le rap et l’image de la société française chez les jeunes des cités", Questions pénales, CESDIP, 1999a. L. Mucchielli, "Le rap, tentative d’expression politique et de mobilisation collective de jeunes des quartiers relégués", Mouvements. Société, politique, culture, n° 3, 1999b. A. Norvez, De la naissance à l’école, PUF/INED, Paris, 1990. J. Qvortrup, "Nine theses about Childhood as a social phenomenon", in Childhood as a Social phenomenon : Lessons from an International Project, publié par Eurosocial, report n° 47, 1993, pp. 7-18. C. Philippe, G. Varro et G. Neyrand (eds), Liberté, Egalité, Mixité... conjugales. Une Sociologie du couple mixte, Anthropos, Paris,1998. C. Rollet, La politique à l’égard de la petite enfance sous la Troisième République, PUF/INED, Paris, 1990. D. Schnapper, La relation à l’autre, Gallimard, Paris, 1998. J.-F. Six, Le temps des médiateurs, Seuil, Paris, 1990. A. Strauss, La trame de la négociation, sociologie qualitative, L’Harmattan, Paris, 1997. "Processus et figures de la médiation", Revue Utinam, volume 1/2, pp. 147-222, (Dynamiques professionnelles et temporalités), L'Harmattan, Paris, 1999.

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