L’ENRICHISSEMENT DE LA CONCEPTION ARCHITECTURALE de l’ornement à la disposition matérielle
de FONVENT Henri Université catholique de Louvain Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme (Site de Bruxelles)
L’ENRICHISSEMENT DE LA CONCEPTION ARCHITECTURALE de l’ornement à la disposition matérielle
LBARC 2200 | Travail de fin d’études en & sur l’architecture Henri de Fonvent Co-promoteurs Cécile Chanvillard Christine Fontaine Jean-Jacques Jungers Gérald Ledent Expert David Schmitz Université catholique de Louvain Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme (Site de Bruxelles)
Remerciements Je tiens à remercier toutes les personnes que j’ai eu la chance de rencontrer tout au long de l’élaboration de ce travail. Tout d’abord, l’ensemble du corps professoral qui m’a suivi, conseillé, aiguillé : Monsieur David Schmidt, mon promoteur pour ses remarques précieuses dans la partie écrite du travail et pour son aide dans la structuration du propos et dans la recherche d’une manière d’aborder au mieux la thématique sur le volet théorique et projectuel ; Mesdames Cécile Chanvillard et Christine Fontaine, mes deux copromotrices, pour le temps incalculable qu’elles m’ont accordé tant pour ce TFÉ que pour le cours d’Histoire & théorie de l’architecture et pour l’Atelier de recherche : Écrit. Ce sont ces cours, dispensés avec enthousiasme et implication, qui m’ont donné l’envie de poursuivre cette lignée d’enseignement en m’inscrivant dans l’atelier de recherche composition. Je leur suis éternellement redevable de l’enseignement personnalisé qu’elles m’ont apporté ; Monsieur Gerald Ledent et Monsieur Jean-Jacques Jungers pour leur contribution à rendre ce travail cohérent et pour les relectures attentives et pertinentes de passages clés. J’aimerais aussi faire hommage à mes confrères, devenus amis, pour leur aide dans la résolution de problèmes liés au projet et pour les travaux communs réalisés. Ensuite, dans une sphère plus personnelle, j’aimerais remercier mon entourage proche qui a résisté avec moi aux périodes de stress qui caractérisent ces études et qui a, directement ou indirectement, pris part à l’établissement de ce travail.
Intérêt personnel L’origine de ce travail de fin d’études, inscrit dans un questionnement personnel concernant l’écriture architecturale, trouve ses sources en différentes causes. La première est, bien évidemment, la réalisation de projets d’architecture, lesquels posent la question de la matière : non seulement pour son rôle esthétique et pour l’image que le projet renvoie, mais surtout pour l’ensemble des éléments qui ne sont pas directement perceptibles et qui appellent à une réflexion sur les matériaux, sur la construction, sur la culture, sur l’histoire, sur la symbolique... La seconde raison réside dans le lien étroit qu’entretiennent les grandes théories qui ont jalonné l’histoire de l’architecture et la question de l’ornement, de même que l’intérêt de leur compréhension pour l’exercice de la profession. Enfin, en dernier ressort, ce travail correspond à une volonté de réflexion « ultime » (par rapport au cursus universitaire) au sujet des modalités de mise en place du projet d’architecture. Dès lors, le but de ce travail est de donner, tant aux lecteurs qu’à l’auteur, des clés permettant de comprendre la complexité de la notion d’« ornement » et la façon dont cette question pourrait aujourd’hui faire partie intégrante de la production architecturale.
Résumé La réflexion qui sous-tend ce travail consiste en la pensée selon laquelle l’« ornement » peut, entre autres, se révéler être une question d’édification où les principes fondateurs de la pensée architecturale s’expriment au moyen de détails constructifs et d’une mise en œuvre particulière. Dans un premier temps, il s’agira de parcourir les notions d’ornement, d’architectonique et d’ornementation dans le but de construire les bases nécessaires à la compréhension du contexte dans lequel le travail s’inscrit. Un regard rapide au travers de l’histoire par le biais de ces termes permet de fonder les bases de la réflexion. En effet, qu’il s’agisse des travaux de Gottfried Semper, Adolf Loos, Ludwig Mies van der Rohe ou encore Robert Venturi, les notions vues se colorent de significations particulières qu’il est nécessaire d’appréhender. De même, Jacques Lucan et Antoine Picon apportent-ils leur pierre à l’édifice en proposant un point de vue encore différent de la question. Une lecture de différents projets belges contemporains viendra ensuite éclairer le propos et lui apporter une touche sensible. Enfin, comme suite logique, ce sont les principes théoriques et pratiques qui s’appliquent au projet d’architecture qui seront abordés par une réflexion portant sur la disposition de la matière, sa mise en œuvre et son caractère.
PARTIE I SUR L’ARCHITECTURE
1
Question et pratique
11
2
Lexique d’un glissement
15
2.1 Ornement 2.2 Architectonique 2.3 Ornementation 2.4 Relations
3
Cheminement d’une pensée 3.1
Tapis et mur construit
3.2
Vienne, du textile au purisme
3.3
La matière au service de l’espace
3.4
L’ironie comme réponse au purisme
4 Théorisations
5
4.1
Matière et construction
4.2
Médium et subjectivité
Lecture contemporaine 5.1
Ornementation, tectonique et poétique
5.2 Intertextualité 5.3
Limites et concept
23
41
49
PARTIE II EN ARCHITECTURE
6
Intérêt pour le plein 6.1
La proportion d’espace comme outil théorique
6.2
La qualité de l’espace comme outil projectuel
7 Matières
8
7.1
De la tradition à la discipline
7.2
De l’archaïque à l’artéfact
7.3
De la technologie à la préciosité
7.4
Du caractère au synthétique
7.5
Des matériaux
Synthèse critique
9 Sources 9.1
Écrits référencés
9.2
Écrits inspirants
9.3 Images
59
65
77
78
L’architecture s’empare de l’espace, le limite, le clôt, l’enferme. Elle a ce privilège de créer des lieux magiques, tout entiers œuvres de l’esprit
Fig.01 Auguste Perret, 1952.
1
Question et pratique
La sphère architecturale, belge entre autres, accueille en son sein différents bureaux qui proposent une façon neuve d’aborder la question de l’ornement1 au XXIe siècle. Même si leurs visions2 ne sont pas monosémiques, elles procèdent toutes d’attentions spécifiques quant à la matière et à sa mise en œuvre. Dans ce contexte, ce TFÉ s’interroge sur la qualification que l’on peut donner à ce « nouvel ornement issu de la matière » et sur une possible démarche qu’il faudrait mettre en œuvre pour l’intégrer comme fondement du processus de projet. Bien que la matérialité se pose en architecture, elle n’en demeure néanmoins pas distincte de la question d’espace. En effet, le binôme espace/forme constitue l’une des dualités primaires constitutives de l’architecture3. Ces deux termes s’opposent par le fait que la présence d’un plein produit immanquablement du vide et qu’il s’agit là, d’ailleurs, de la condition primaire de l’existence du vide : celle qu’il est circonscrit par du plein4. Dès lors, sous un regard formaliste, l’architecture peut être vue selon ces deux points de vue. Si la première vision revient à affirmer que l’architecture génère toujours des espaces et que ces derniers sont le médium de l’architecture ; la seconde vision porte à penser l’architecture comme quelque chose d’irrémédiablement matériel, et dont le médium n’est autre que les matériaux de construction. Bien que ceux-ci diffèrent et que l’un d’eux traite de dispositifs spatiaux tandis que l’autre fait état de matériaux et de leur mise en œuvre, ils ne sont en aucun cas opposés au point d’être inconciliables. L’architecture peut évidemment être abordée par ces deux approches de manière conjointe et itérative, mais elle peut aussi l’être par le biais de l’une de ces entrées de façon privilégiée selon les cas. Le choix opéré dans ce travail, et comme réponse logique à l’intérêt suscité par une franche de la production architecturale contemporaine, consiste à développer, comme fil rouge, une recherche portant sur le caractère matériel de la construction ; il s’inscrit donc dans une tentative de compréhension de l’architecture par la décomposition. À titre d’exemple, le travail de l’architecte Luigi Moretti (1907-1973) s’inscrit, à l’inverse, dans une réflexion sur l’espace tout en se détachant de la question de la matière. L’architecte représente des spazi interni par la construction de maquettes inversées, matérialisant le vide tout en faisant disparaitre l’enveloppe matérielle. Tandis que celui-ci acquiert une matière, la matière est supprimée de la perception. Cette approche matérialiste, Jacques Lucan la définit comme « le besoin ou la nécessité de repenser la manière par laquelle les matériaux sont mis en œuvre, mais aussi de réfléchir à l’image qu’ils sont susceptibles d’offrir ou à laquelle ils participent »5. Ce travail regroupera dès lors, irrémédiablement, tant des réflexions sur la matérialité que sur l’image qui en découle. 1 L’utilisation du terme « ornement » se limite pour l’instant à sa qualité d’enrichissement. 2 Ces visions feront l’objet de quelques considérations au chapitre 5. 3 MATTHU 2017, p. 294. 4 Le couple espace/forme oppose théoriquement l’espace par nature vide et la forme constituée de plein. Cependant, il pose la question d’une troisième entité : la surface délimitant ces deux éléments. En effet, située à l’entre deux, l’enveloppe définit la limite des deux entités. Sa position privilégiée lui confère un rôle particulier de limite. Le binôme devient donc irrémédiablement le trinôme suivant : espace/forme construite/enveloppe. 5 LUCAN 2015 p. 147. 11
Pour moi, concevoir et construire revient à la même chose. J'aime l'idée que la forme est le résultat de la construction; et les matériaux, eh bien, c'est quelque chose de fini
Fig. 02 Andréa Deplazes, 1999.
Enfin, la thèse qui parcourt et structure le TFÉ consiste en la réflexion selon laquelle des considérations et des choix tant matériels que constructifs peuvent féconder la conception architecturale. Autrement dit, que le caractère d’enrichissement à l’origine issu de l’ornement6 peut tout autant être issu et de la matière et de sa mise en œuvre ! Ceci implique sans équivoque que ce nouvel enrichissement n’est plus le même que celui proposé par l’ornement et qu’il n’est donc pas forcément lié à l’adjonction d’éléments décoratifs. Pour pouvoir alors mettre en lumière avec efficience les différentes formes que peut prendre la notion d’enrichissement dans la production architecturale contemporaine, et peut-être même discuter du champ sémantique des termes « ornement », « architectonique » et « ornementation », une compréhension plus historique de la nature du sujet sera nécessaire, après avoir, au cours du chapitre suivant, défini les termes dont il est question.
6 Pour comprendre la notion d’enrichissement de l’ornement, se reporter au chapitre suivant. 13
Fig. 03 Karl Bötticher : définition d’une grammaire ornementale, 1873.
2
Lexique d’un glissement
Les termes « ornement », « architectonique » et « ornementation », lesquels seront discutés ci-dessous, ne peuvent être compris pleinement que lorsqu’on accepte la perméabilité des concepts qui les sous-tendent. En effet, ces notions ne peuvent être ni classées chronologiquement ni être comparées dans le but d’en définir les frontières. Il en va de concepts généraux dont le sens, même s’il est explicité ci-après, doit être pris pour ce qu’il est : une tentative de compréhension qui ne porte aucune prétention d’universalité et qui sera nuancée directement ou indirectement par chaque architecte ou penseur convoqué dans le chapitre suivant.
2.1
Ornement
Le mot « ornement » apparait pour la première fois au XIe siècle et provient du mot latin ornamentum. Le verbe « orner », retrouvé dans certains ouvrages de 1487, est, quant à lui, issu de son étymon latin « ornare »7, qui signifie « parer, embellir, rehausser »8. Ainsi, l’« ornement » désigne-t-il communément tout élément accessoire peint, sculpté, moulé ou mouluré dont la fonction est purement esthétique9. L’ornement peut alors être compris comme totalement dissocié de la construction, à tel point que les années 1800 voient apparaitre ce que l’on appelle des « ornemanistes », personnes spécialisées dans l’exécution des ornements. À l’époque, même si le type d’ornements décrit est structurellement dissocié de la construction, il reste tout de même, dans l’esprit, totalement lié à celle-ci au point qu’aucune édification n’est imaginable sans décoration. Karl Bötticher (1806-1889) développera par ailleurs une « philosophie de la construction fondée sur l’idée de grammaire ornementale [...] comme allégorie de la construction »10. Cette tendance à poser une décoration sur une construction perdure encore aujourd’hui, bien qu’elle ne puisse définir l’ensemble de la production architecturale. Retenons de l’ornement sa valeur d’embellissement, de rehaussement (esthétique/qualitatif) de son support par son adjonction.
2.2
Architectonique
La définition qu’établit Édouard Sekler (1920-), historien de l’architecture, au sujet de l’architectonique pose immédiatement les bases du sujet. Il en dit en effet ceci : « la structure comme principe et ordre immanent se réalise par la construction, mais ce n’est que l’architectonique qui rend visibles la structure et la construction et leur confère une expression artistique »11. Pour mieux saisir ce dont il est question, une analogie faite par Roland Matthu et Thierry Delcommune dans leur ouvrage L’espace architectonique, entre création et expérience entre le couple travail/œuvre permet de faciliter la compréhension du couple construction/architecture et d’introduire la notion d’architectonique12. Dans le cas où la construction, tout comme le travail, relève d’une question d’usage, 7
BLOCH 2008, p. 449. GAFFIOT 2000, p. 1108. 9 DE VIGAN 2014, p. 730. 10 L ABRUSSE 2017, résumé. 11 SEKLER 1967, p. 91. 12 MATTHU 2017, p. 116. 8
15
Fig. 04 RAPP+RAPP : Centre communautaire de Merkem, 2012.
l’architecture en temps qu’œuvre n’est possible que par la présence d’une architectonique qui transcende la nécessité et l’usage en un langage signifiant13 et poétique. De ce fait, dès lors que les auteurs s’intéressent14 aux racines étymologiques grecques qui construisent le mot « architectonique », l’évidence selon laquelle cette discipline relève bel et bien du travail de l’architecte devient incontestable. « Archè » se réfère à « celui qui dirige l’œuvre » quand « tecton » désigne « le constructeur » (par extension à sa signification première, « le charpentier »). À ces notions s’adjoint le caractère poétique du mot qui mène à désigner l’architectonique comme « la discipline qui consiste à conférer une expression artistique à la construction ». Que cette transcendance de la construction soit d’un ordre « artistique » ou non, il relève quoi qu’il en soit du sentiment découlant du rapport entre, d’une part, la construction et, d’autre part, les nécessités du programme, sentiment émanent de l’expression donnée aux éléments constitutifs. Pour résumer, l’architectonique peut être comprise comme le travail de l’architecte quant à la définition de l’expression du rapport entre la structure (en tant qu’organisation des composants) et la construction (en tant que matériaux et procédés). La tectonique procède donc de ce rapport qui est sublimé tandis que l’« atectonique » revient à masquer ce rapport en vue de se diriger vers une expression libre de tout rapport à l’organisation des composants. Comme nous le verrons plus tard, une architecture atectonique ne veut pas dire que cette dernière n’est pas dotée d’ornements : en effet, il suffit de regarder la production d’Otto Wagner (1841-1918) ou encore de Josef Hoffmann (1870-1956) pour se rendre compte que l’atectonique évidente se lie à l’usage d’ornements. À titre d’exemple15, la Kirch am Steinhof, érigée en 1907 à Vienne par Wagner, illustre à la perfection une recherche atectonique marquée par la tentative d’emballer l’édifice d’un revêtement à l’image d’un tissu continu, couplée à l’usage d’ornement typique du style Art nouveau. L’inverse est par ailleurs tout à fait possible, comme en témoigne le travail d’Adolf Loos (1870-1933), précurseur de cette mouvance d’une architecture atectonique adjointe d’un refus de l’ornement (en opposition à la Sécession viennoise). Ce désir d’un usage « juste » des éléments de l’architecture lui provient paradoxalement de Wagner, animé pour sa part, petit à petit, de considérations fonctionnelles. Les mots de Kenneth Frampton (1930- ) permettent de résumer ce mouvement : « il importe de bâtir des édifices où la valeur tectonique de chaque élément dépend d’abord de la matérialité des matériaux »16.
2.3
Ornementation
Même si le mot français « ornementation », apparu en 1838 et dérivé du mot « ornement », distingue étymologiquement l’action d’ornementer, d’orner quelque chose, la compréhension (et définition) de ce terme doit se faire à la lumière d’un 13
Les auteurs précisent que pour que ce langage soit signifiant, il faut que la signification de l’œuvre soit davantage dans « ce qu’elle fait que dans ce qu’elle est », s’inscrivant ainsi dans une dimension de la praxis, action collective du processus. 14 MATTHU 2017, p. 117. 15 La coexistence entre ornement et architectonique sera décrite et illustrée dans le chapitre suivant. 16 FRAMPTON 1967, p. 81. 17
Fig. 05 de Vylder Vinck Taillieu : Huis VOS, 2015.
dialogue, rapporté dans la publication Bravour Scarcity Beauty17, éditée à l’occasion de l’exposition BRAVOUR au pavillon belge de la 15e Biennale d’architecture à Venise. Dans celle-ci, l’architecte Jan De Vylder, l’artiste Richard Venlet et le directeur de l’institut d’architecture des Flandres, Christoph Grafe remettent en question les fondements du substantif « ornementation » en décrivant le lien étroit qui existe entre la mise en œuvre et l’ornementation. Ils interviennent en ces termes : « RV : Oui, cette appréciation partagée des contrastes est définitivement nécessaire et enrichissante dans le projet. À certains moments, l’intervention doit être très précise, à d’autres, il y a une tolérance de et pour l’inconnu. C’est toujours un équilibre difficile. C’est grâce à ces contrastes18 que le bord non fini d’une plaque de plâtre peut être apprécié et devient une forme d’“ornementation”. JDV : Les ornements sont généralement liés à l’enrichissement, à quelque chose qui est ajouté. Mais dans ce cas, il y a quelque chose qui reste non fini. Peut-on encore parler d’enrichissement ? RV : Il y a une différence entre l’ornement et l’ornementation. L’ornement est généralement quelque chose d’ajouté, tandis que l’ornementation est quelque chose qui peut venir du processus de conception. Dans ce sens, il y a quelque chose d’accidentel. Le bord de plâtre qui survient durant le processus de construction. C’est quelque chose qui, pour nous, ajoute un détail intéressant à l’espace. L’enrichissement est compris comme une acceptation de l’incomplétude plutôt que comme un ajout conscient. CG : C’est bien sûr quelque chose qui s’oppose à l’acceptation classique de l’artisanat. Cette acceptation est l’exact opposé, c’est une perversion du travail. Un arrière-plan spécifique est nécessaire pour être capable d’apprécier cette sorte d’ornement dépouillé. JDV : Cette différence entre ornement et ornementation est, je le pense, extrêmement importante. Ce n’est pas quelque chose de prévu, mais quelque chose qui survient. Et pour pouvoir le désigner comme ornement, un arrière-plan culturel spécifique ou une connaissance est requis ».19 Outre la capacité qu’a cet extrait de démontrer le caractère actuel de la question, celui-ci marque également une nouvelle manière d’envisager la définition de l’ornementation tout en définissant le lien qui pourrait être établi entre ce terme et l’ornement. Ainsi, si l’acception du mot devait être résumée, elle se définirait comme suit : l’ornementation est l’enrichissement issu de l’acceptation de l’incomplétude de la construction. Cette incomplétude, qui surgit dans le processus de création et l’enrichissement qui en découle, n’est possible que par l’opposition qui se crée entre ce qui est maitrisé et ce qui ne l’est pas. Enfin, un dernier point qu’il apparait primordial de souligner dans cet extrait est la possibilité de considérer que l’enrichissement puisse s’émanciper de la notion d’élément rajouté pour se diriger vers des notions de construction, de mise en œuvre et de détail technique.
17
DE VYLDER 2016, pp. 24-25. Cette réflexion peut faire écho à l’idée (relatée dans BATES 2005, p. 132) que Joseph Beuys, artiste allemand, essaie de véhiculer dans ses travaux. Ceux-ci s’évertuent à révéler l’« inhérente imprécision des matériaux et leur véritable authenticité ». 19 Traduction de l’auteur. 18
19
Ajouté Enrichissement
Ornement Architectonique
Intégré Ornementation
Ornement
Architectonique
Enrichissement
Ornementation
Fig. 06 Types de représentations : arborescente et rayonnante.
2.4
Relations
Le paragraphe qui précède traite assez simplement d’« enrichissement »20. Néanmoins, il s’agit là de la clé de voute de la réflexion qui est menée. En effet, ce terme est le dénominateur commun de l’ornement, de l’architectonique et de l’ornementation. Chacun d’eux relève à sa manière de l’enrichissement d’un objet initial. Pour structurer la pensée, convenons que l’enrichissement est le sujet principal tandis que les trois notions susmentionnées s’articulent autour de celui-ci. Deux structurations mentales peuvent alors prendre place et permettre d’organiser les termes entre eux. La première revient à dire, sous la forme d’une arborescence, que l’enrichissement de l’architecture peut se faire de deux manières : soit en ajoutant des éléments (ornement), soit d’une manière intégrée à la construction. Cette intégration peut elle-même se réaliser de deux manières : d’une part par une exaltation de la relation entre construction et organisation (architectonique), d’autre part par l’acceptation d’une incomplétude ou de conséquences issues de la construction (ornementation). Il s’agit là de la conception la plus logique de percevoir la relation entre les différents composants, bien qu’elle révèle difficilement l’enchevêtrement profond qui réside entre ces notions. La seconde se base sur le rapprochement possible entre les trois facettes dont il est discuté et « les trois dimensions propres au milieu de l’animal humain »21. Cette théorie place autour de « l’animal humain » (doté d’un corps nécessiteux, sensible et mobile), trois termes en relations : l’imaginaire, la réalité et le réel. L’homme, dans le déni du réel, met en scène la réalité matérielle par l’imaginaire. Cette théorie peut être mise en relation, avec, dans l’ordre, l’ornement, l’architectonique et l’ornementation qui y trouvent tout leur sens. L’ornement permet de représenter un imaginaire du monde ; l’architectonique représente la réalité matérielle et ce qui fait ordre ; l’ornementation fait montre de ce qui fait désordre et qui représente le plus intimement l’impossibilité qu’a le réel d’être parfait. C’est le propre de la condition humaine. Ce rapprochement permet de ne pas disposer les définitions selon un modèle arborescent, mais bien selon un modèle rayonnant. Il donne aussi libre court aux interrogations quant à l’ornementation dans sa démarche d’acceptation de l’incomplétude et de l’imperfection caractéristique de la réalité.
20
Le mot « enrichissement » est préféré au terme « amélioration » étant donné que ce dernier charrie avec lui un caractère d’embellissement. Toutefois, l’enrichissement doit être compris pour son sens figuré d’augmentation qualitative. 21 Théorie issue de la pensée de Jean-Jacques Jungers dans J UNGERS 2016, pp. 9-10. 21
Ornem Ornem Ornem
Sempe Sempe Sempe
Wagne Wagne Wagne Fig. 07 Évolution d’une pensée : ornement, Semper, Wagner.
3
Cheminement d’une pensée
Dans le chapitre qui suit, un parcours historique sera tracé entre quelques grandes figures de l’architecture des XIXe, XXe et XXIe siècles, et ce, tout en mettant en exergue la relation qu’elles entretiennent avec la question. Comme souvent dans l’histoire, les réflexions produites ne peuvent s’inscrire dans une pensée parfaitement linéaire. Nous pouvons tout de même citer le caractère changeant de l’utilisation de l’ornement et de la définition qu’on peut en faire. Quel qu’il soit, l’ornement conserve une caractéristique dominante et primordiale : le lien qu’il entretient avec la perception qui peut être faite d’un bâtiment. C’est cette réflexion sur la perception qui anime grand nombre d’architectes et qui se retrouve aujourd’hui22 dans les pratiques architecturales de leurs bureaux sous la forme d’une nouvelle attention envers l’expression des matériaux. Au sujet de cette dernière, Adam Caruso proclamera d’ailleurs que « nous pensons que la construction a un effet direct sur le caractère émotionnel des espaces »23. Néanmoins, bien plus qu’un caractère émotionnel, la matière et sa mise en œuvre sont intimement liées à la question de langue comme l’énonce en ces termes Jacques Lucan : « un objet offrira sa propre langue d’abord à partir de ce dont il est fait, c’est-à-dire à partir des matériaux qui le constituent intrinsèquement et de leur mise en œuvre. Le matériau devient ou redevient ainsi ce que l’on pourrait nommer le “signifiant brut” de l’architecture »24. Ainsi, le XIXe siècle a-t-il vu apparaitre, par l’intermédiaire de Karl Bötticher, Gottfried Semper et Heinrich Wölfflin, un caractère opératoire euristique désigné par le terme « tectonique », lequel s’intéressait au rapport entre la construction et son expression. Bötticher parlera de « werkform » et « kunstform » ; Semper utilisera les termes de « système tectonique » et de « système textile » puis, enfin, Wölfflin s’intéressera à la capacité qu’ont les formes tectoniques à être expression. Ce dernier s’appuiera sur Schopenhauer et sa théorie de l’esthétique issue de la résistance à la pesanteur et exprimera ses pensées sous le nom de « force formelle »25. Héritiers de cette pensée, Otto Wagner, Joseph Maria Olbrich, Joseph Hoffman, Adolf Loos et d’autres architectes se lanceront alors dans la recherche de revêtements autonomes et atectoniques, ouvrant la voie au style international et au mouvement moderne26. Pour ceux-ci, l’expression de la forme bâtie peut être atectonique ; de même, à l’idée d’exprimer les forces en action dans la construction en rendant visible l’interaction entre la structure et la charge succède le désir atectonique d’un revêtement autonome qui masquerait ce rapport au profit d’une recherche de spatialité abstraite. Le courant brutaliste surgira ensuite comme opposition à la dématérialisation et à l’abstraction recherchée, tandis que des architectes comme Kahn, Van Eyck et Hertzberger développeront, eux aussi, leur pensée comme réponse au rationalisme du mouvement moderne. 22 L’approche en question peut trouver un lien de filiation avec le courant brutaliste qui avait pour dessein la juxtaposition de matériaux hétérogènes et un mode de construction intelligible. Ce courant, critique vis-à-vis des formules consacrées, au profit d’un retour vers des questions constructives, exaltait l’utilisation de matériaux « bruts ». Aujourd’hui, ces matériaux se sont généralement changés vers des produits plus industriels. 23 CARUSO 1999, p. 48. 24 LUCAN 2015 p. 120. 25 MATTHU 2017, pp. 118-122. 26 MATTHU 2017, p. 212. 23
Loos Loos Loos Mies Mies Mies
Ventur Ventur Ventur Fig. 08 Évolution d’une pensée : Loos, van der Rohe, Venturi.
Plus tard, alors que le postmodernisme s’appliquait à redéfinir l’expression des bâtiments, se construisit en réponse à ceux-ci une nouvelle réflexion27 concernant la tectonique. Selon Kenneth Frampton, le rôle de la discipline comme poétique de la construction est de « résister aux pratiques scénographiques du postmodernisme ». Il y prône également le rôle d’une culture tectonique qui « appréhende la dimension matérielle et constructive de l’architecture ». Pour résumer, partant de la considération selon laquelle le postmodernisme s’évertuerait à produire une architecture d’image et de signe en réponse à l’abstraction du mouvement moderne (comme en témoigne la théorie du canard et du hangar décoré de Venturi), Frampton, rappelle que l’autonomie architecturale s’acquiert non pas par la scénographie, mais bien par la tectonique28. « En effet, l’architecture est ressentie d’abord dans sa substance, dans les aspects matériels de sa construction : le jeu des forces de l’ossature, l’assemblage des éléments, la texture et la couleur des matériaux, le rapport des masses et des espaces, le jeu de l’ombre et de la lumière, etc. »29. Aujourd’hui, comme le souligne Matthu30, tant les impératifs écologiques et technologiques que les modèles culturels poussent à l’usage de revêtement comme véhicule d’expression, et ce bien que certains bureaux développent des visions neuves concernant l’usage des matériaux
3.1
Tapis et mur construit
Si une théorie doit être pointée du doigt comme étant celle qui a nourri au plus haut point les réflexions des architectes du XIXe siècle, il s’agit sans nul doute des réflexions de Gottfried Semper (1803-1879). Cet architecte et historien de l’art allemand fonde une partie de sa pensée sur la coprésence et l’interaction existant entre quatre éléments de l’architecture. Cette réflexion mène à décomposer toute architecture selon quatre éléments constitutifs. Les combinaisons issues de ces derniers sont supposées illimitées. Il définit le « foyer » et, par extension, les trois autres éléments de la façon suivante : « le foyer constitue le symbole le plus ancien et le plus élevé de la civilisation et de la culture humaines. C’est aussi l’élément le premier et le plus important, pour ainsi dire l’âme de toute œuvre architecturale. Autour de lui sont regroupés les trois autres éléments de l’architecture : le toit, le mur (ou clôture), la terrasse (ou substruction) [...] »31. Lorsque Semper parle de « foyer », sa pensée désigne bien sûr le feu comme l’élément central des constructions ancestrales, mais ce terme peut en toute évidence être étendu à une acceptation plus large puisqu’il s’agit également du « point sacré central autour duquel tout s’ordonne, élément le plus important, élément moral (das moralische element) de l’architecture, autour de lui gravitent les trois autres entités protectrices »32. Ces trois autres éléments ont pour fonction de protéger l’élément central des éléments naturels qui leur correspondent (l’eau, le vent et la terre). L’intérêt de la décomposition qu’il opère réside dans le lien entre les éléments en question et leur matérialité. Le foyer peut être relié à la céramique et à la métallurgie ; le toit au travail du bois ; la terrasse à l’eau et à la maçonnerie. Pour ce 27 MATTHU 2017, p. 127. 28 FRAMPTON 1987, p. 79. 29 MATTHU 2017, p. 127. 30 MATTHU 2017, p. 212. 31 SEMPER 2007, p. 191. 32 Conformément à une définition donnée par Semper, relatée dans SEMPER 2007, p. 126. 25
8
0 820
Fig. 09 Les quatre Êlements de l’architecture selon Semper : le foyer, le toit, le mur, la terrace.
qui est de la clôture, Semper se demande « quelle archi-technique [Urtechnik] s’est développée autour [d’elle] »33. Il postule dès lors que les espaces clos des architectures les plus primitives étaient définis au moyen de panneaux tressés (nommé « tapis »). Il explique à cet effet la différence existant entre la paroi et la signification de celle-ci, laquelle qui s’illustre lorsque l’on réfléchit au mur et à son recouvrement : « le tapis conserva sa signification de paroi [Wand], de délimitation spatiale visible. Les murs porteurs [Mauern] qui se trouvaient derrière [...] étaient nécessaires pour d’autres raisons, sans rapport avec la spatialité [das Raümliche] ».34 Que le tapis soit utilisé seul pour délimiter l’espace ou qu’il recouvre un mur proposant d’autres caractéristiques ne change donc fondamentalement rien à l’espace : celui-ci (l’espace) est défini par le seul représentant du « mur spatial » [Wand] : le tapis. Ceci reste en outre valable, sans distinction de la nature du tapis, et quels que soient les matériaux qui le composent. Pour résumer, l’espace est défini par le mur spatial, c’est-à-dire par l’élément qui porte en lui la signification de la paroi. Il s’avère qu’initialement, pour Semper, le mur spatial se révèle être un tapis : soit un recouvrement posé sur un mur porteur, soit une cloison non porteuse et exclusivement ornementale. L’espace se conçoit donc par un recouvrement, un élément ornemental qui porte la signification de la paroi. L’attention est par conséquent portée, à l’époque décrite, à l’élément qui n’est pas structurel, mais qui lui est rajouté. Semper relève tout de même un moment de l’histoire où l’architecture a vu la notion d’ornement basculer de « la chose rajoutée » à « la chose constitutive ». En effet, il définit les Romains comme « les vrais inventeurs de la construction en pierre en tant que tels, ou [comme ceux] qui du moins en firent le principe dominant dans le monde civilisé ancien. [...] Aucun de ces [autres] peuples35 ne fit de cette forme un élément architectural. En faisant cela, les Romains ou leurs ancêtres, les Étrusques, inventèrent l’architecture en temps qu’art autonome, capable d’exister sans l’appui des autres branches de l’art »36. Dans d’autres extraits37, qui paraphrasent en partie le texte qui précède, il précise que ce sont les Romains qui, les premiers, ont utilisé la construction du mur en pierre et la nature du matériau dont est faite la construction à titre décoratif. Aussi, suivant cette évolution, et maintenant que c’est le mur construit et non plus le tapis qui représente le mur spatial, les matérialités relatives aux éléments de Semper, et plus particulièrement celle afférant à la construction de la cloison, peuvent-elles être mises au jour. L’espace peut être donc être enfin compris par le choix des matériaux et par la mise en œuvre de ceux-ci. Au regard de ce qui a été énoncé plus haut, c’est sans grande surprise que nous pouvons lire sous la plume de Semper que « chaque artéfact résulte à la fois de l’intention et de la matière »38. Pour ce qui est de l’intention, il en fera « l’œuvre en tant que résultat d’une fonction ou usage matériel, que l’on se propose d’atteindre, soit réellement soit de manière supposée, et prise dans sa conception symbolique la 33 SEMPER 34 SEMPER
2007, p. 126. 2007, p. 127. 35 SEMPER oppose les Romains aux autres peuples, dont les Grecs, qui recouvraient systématiquement la construction en pierre de stucs et de peintures ou encore de recouvrements de marbre. 36 SEMPER 2007, p. 187. 37 SEMPER 2007, p. 133. 38 SEMPER 2007, pp. 310-311. 27
Fig. 10 Gottfried Semper : Eidgenössische Technische Hochschule Zürich (ETH), 1864.
plus élevée ». Tandis qu’il signifiera aussi, concernant la matière39, qu’il s’agit de « l’œuvre en tant que résultat du matériau employé pour la produire, ainsi que des outils et procédés qui interviennent dans sa fabrication ». Au sein de sa réflexion sur la matière, Semper (tout comme Viollet-le-Duc...) en appelle à une « sincérité » dans le traitement des matériaux. Cette sincérité ne s’oppose pas spécialement au plaquage artificiel de décors sur les objets, mais se dresse par-dessus tout contre le décor qui méprise la nature de l’objet. Cette droiture se rapporte donc plutôt, comme le dit Cézanne, à une vérité due au matériau et à l’œuvre au travers de ce qui se donne comme masque. Ceci implique d’ailleurs qu’aucun objet ne peut être « nu », selon Semper, et qu’il importe que ceux-ci se présentent toujours de façon masquée. En effet, concevoir un objet nu, pour Semper, reviendrait à conceptualiser la « chose en soi », ce qui est impossible. Il serait de ce fait possible de considérer, à première vue, que la pensée de Gottfried Semper est définitivement contradictoire lorsqu’il affirme la dimension de camouflage de l’art tout en prônant un usage « sincère » des matériaux. Cependant, dans sa préface, Jacques Soulillou démontre que cet illogisme persistant (« à haute valeur indicielle »40) dans la pensée de Semper est, en tout point, révélateur de la complexité sous-jacente des concepts que le théoricien aborde. Ses questionnements le mènent à réfléchir quant à l’ornement et au camouflage ; lorsque ce dernier démontre que « le masque et ce qui matérialise l’espace architectonique ne font plus qu’un [et que] alors du même coup, est abolie la distinction entre ce qui relève de l’ornement, de l’accessoire, de l’inessentiel et ce qui relève de la structure, du permanent, de l’essentiel »41. La pensée proposée s’efforce donc de porter un regard au-delà de l’horizon fermé qui se borne à opposer les faces extérieures d’une paroi et son intérieur. De plus, c’est en proposant une compréhension de l’espace architectonique comme issue du revêtement davantage que du mur que Semper aborde la notion de camouflage. C’est ipso facto un combat incessant entre revêtements de surface et matières qui anime son discours. Discours qu’il faut situer dans sa proposition d’une « esthétique pratique »42 qui « cherche à concilier le beau formel43 avec un constant souci du matériau, de son usage et des lois physiques qui le gouvernent »44. Autrement dit, Semper décrit l’œuvre en tant que résultat de deux facteurs : la fonction et la matière. Afin de ne pas mal comprendre la position du théoricien qui nous occupe, il est utile de préciser qu’il ne peut être inclus dans un courant d’architecte fonctionnaliste. En effet, même s’il place la fonction comme critère déterminant de la forme, pour lui, « la forme artistique est conçue bien au-delà du seul “besoin”, et se cristallise en ce point où se croisent des lois et forces physiques, des contraintes matérielles inhérentes à l’utilisation de tel matériau, enfin des idées et volontés qui caractérisent l’homme en tant qu’animal politique et religieux »45. 39 En page 125
de SEMPER 2007, il est expliqué que l’expression des œuvres ne doit pas découler des matériaux eux-mêmes mais bien des idées qui résident dans les œuvres ; et que les matériaux doivent donc être décidés pour qu’ils incarnent au mieux l’idée visée. 40 SEMPER 2007, p. 7. 41 SEMPER 2007, p. 13. 42 Dont il est déjà fait mention en sous-titre du livre Der Stil. 43 « Le beau formel » s’oppose aux influences symboliste et idéaliste que Semper combat. 44 VLADOVA 2008, p. 1. 45 SEMPER 2007, p. 9. 29
Fig. 11 Otto Wagner : Kirche am Steinhof, 1907.
L’exemple de Hendrick Petrus Berlage (1856-1934) démontre à la perfection de quelle manière la théorie de Semper a influencé l’histoire de l’architecture au-delà des frontières. En ce qui le concerne, son travail s’efforce de conjuguer de manière cohérente l’origine textile de la paroi de Semper et l’idée de vérité de structure de Viollet-le-Duc. Le rapprochement de ces pensées mène à une poétique où l’enveloppe continue, tissée par l’appareillage de briques, coexiste avec l’ossature structurelle en fer ou en béton armé. Il dira d’ailleurs qu’« en principe, forme et décoration sont une seule chose. Elles naissent en même temps, grandissent ensemble et c’est proprement à cause de leur piètre capacité de discernement que les hommes séparent ces choses, comme corps et vêtement »46. Ainsi, la logique de la vérité de la structure et des matériaux l’amène-t-elle à concevoir l’ornement comme un effet du processus constructif. Cependant, « le fait que Berlage arrive à sublimer l’idée de revêtement dans l’appareillage en brique sans jamais recourir à des solutions en couches appliquées est certes imputable à la forte composante viollet-le-ducienne de sa pensée, mais dérive aussi, dans une mesure non négligeable, d’une tradition constructive qui s’est consolidée face aux caractéristiques climatiques propres à l’Europe du Nord »47.
3.2
Vienne, du textile au purisme
Les idées en termes de revêtement, de connotations symboliques ou encore de tradition textile et de vérités de construction amenées par Semper ont rapidement imprégné la culture architecturale viennoise entre la fin du XIXe siècle et les dernières années du XXe siècle, à la suite de quoi elles ont produit, à l’inverse des idées de Berlage, une tentative de dissociation entre structure et revêtement et, par là, une expression atectonique de l’architecture. Ainsi, des architectes comme « Otto Wagner, Joseph Maria Olbrich, Josef Hoffmann, Adolf Loos et Joze Plečnik confient[-ils] la caractérisation formelle de l’architecture au dessin de la paroi, perçue comme une page graphique riche de potentialités symboliques et autonomes par rapport au système structurel »48. Ces architectes peuvent être mis en relation par un dessein commun : celui d’approcher une continuité des surfaces, signe de leur qualité textile. Leur différence réside dès lors dans la matérialisation de ces surfaces. Olbricht (1867-1908), Loos (1870-1933), Hoffman (1870-1956) et Plečnik (1872-1957) éliminent « délibérément toute trace d’allusion à l’appareillage de maçonnerie, en renonçant au décalage des joints et à des solutions de bossage. Leurs œuvres donnent une très libre interprétation du mythe sempérien du revêtement textile »49. L’adoption qu’ils font des plaques aux dimensions maximales ouvre la réflexion sur le type de jonctions qui les articulent. Alors que Wagner (1841-1918) magnifiait l’ancrage des plaques de recouvrements, Hoffman pousse la recherche d’un « épiderme précieux et lisse »50 en masquant le système de fixation et en affirmant les limites des surfaces comme pour symboliser un textile tendu et maintenu par ses bords. Cachant, dans un processus d’abstraction, la structure du bâtiment, Plečnik, quant à lui, en vient à effacer 46
Berlage cité dans F ANELLI 2008, p. 135. F ANELLI 2008, p. 145. 48 F ANELLI 2008, p. 63. L’extrait initial n’inclut ni Joze Plečnik ni les dates de naissance et de mort. 49 F ANELLI 2008, p. 67. 50 F ANELLI 2008, p. 121 47
31
Fig. 12 Joseph Hoffman : Palais Stoclet, 1904.
visuellement les joints verticaux entre ses plaques de recouvrement (revêtement de grain homogène) et abandonnera, finalement, l’utilisation de revêtement. Enfin, Loos tente de révéler le plaquage et d’accentuer la sensation de juxtaposition en choisissant des marbres dont les veinures apparaissent en symétrie. Sa pensée et sa pratique s’opposent directement aux principes de la sécession viennoise alors en place à l’époque. Afin de renverser, d’entrée de jeu, les idées préconçues concernant la réflexion d’Adolf Loos, voici comment ce dernier rectifie la pensée dominante que ses contemporains51 avaient conçue à son égard : « mais je n’ai jamais voulu dire par là ce que les puristes ont poussé à l’absurde, à savoir qu’il fallait abolir l’ornement systématiquement et implacablement. C’est seulement là où il a disparu nécessairement avec le temps qu’on ne pourra pas le réappliquer. [...] Quand j’abuse à des fins ornementales de l’objet d’usage, j’abrège sa durée de vie parce que, étant alors soumis à la mode, il est voué à mourir plus tôt »52. Sa critique ne se fonde pas sur une opposition à l’ornement, mais bien sur le fait qu’alors qu’aux différents matériaux correspondent un certain langage, une certaine ornementation, son époque s’évertue à reproduire un langage inadapté aux constructions (et aux matériaux) du moment. Il déplore d’une part l’incapacité qu’ont les Viennois de son époque à inventer un nouveau langage formel, et d’autre part leur habitude à imiter de la manière la moins couteuse possible les anciens modèles, ce qui produit, selon lui, un ornement qui n’est plus en rapport avec son siècle53. Malgré la raison principale énoncée par Loos en vue de justifier la nonutilisation d’ornements, ce dernier ne s’empêchera pas de traiter de cette question en ces mots : « les choses ornementées produisent un effet véritablement inesthétique quand elles ont été exécutées dans le meilleur matériau, avec un soin extrême, réclamant un long temps de travail »54 ; ou encore en ces termes : « n’oublions pas que le noble matériau et le bon travail ne font pas que compenser l’ornementation manquante, mais qu’ils la dépassent de loin en délicatesse »55. Enfin56, il apparaitra vite que l’idée antiformaliste défendue par Loos conduit à privilégier d’un côté le matériau (dont il s’agit de préserver la noblesse naturelle), et de l’autre la fonction, celle-ci l’emportant finalement sur le reste. La prédilection de cet architecte pour la simplicité, pour la sobriété, voire pour l’austérité, provient uniquement de là. Le principe de beauté, à ses yeux, découle de celui d’économie ; lequel tire lui-même sa source du principe d’utilité. En tout cas, l’ornement reste subordonné au matériau ; de même que le matériau, dans le processus de mise en forme, l’est à la fonction. Loos se libèrera donc de toutes les conceptions traditionnelles et s’imprègnera de la devise selon laquelle « le pratique est beau », incluant par conséquent l’idée que la beauté découle en grande partie d’une économie. 51 Il est à noter qu’au-delà de ses contemporains, aujourd’hui encore l’idée qu’on se fait de sa pensée est erronée.
Sans doute à cause du titre de son écrit le plus connu, Ornement et crime, dont la conjonction « et » mène à une compréhension inexacte. 52 LOOS 2003, p. 196. 53 LOOS 2003, p. 33. 54 LOOS 2003, p. 69. 55 LOOS 2003, p. 168. 56 Résumé de la pensée d’Adolf Loos suivant la présentation faite par Sabine Cornille et Philippe Ivernel in LOOS 2003, p. 10. 33
Fig. 13 Adolf Loos : Looshaus, 1912.
L’intérêt du personnage de Loos est qu’il sera l’un des premiers architectes à produire une architecture démontrant significativement la possibilité qu’a la discipline de s’affranchir des éléments ornementaux traditionnels. En effet, même si Semper énonçait la capacité qu’a eue l’architecture romaine de se soustraire à l’ornement pour définir l’espace, il ne conçoit pas qu’il s’agisse là du chemin à suivre. Il n’était en aucun cas opposé au placage d’ornements, sa préoccupation principale étant de ne pas mépriser la nature de l’objet en y rajoutant des décorations. Le travail des architectes dont il a été question plus haut, lesquels affirment le caractère textile du revêtement, témoigne de la même pensée. Loos, en soutenant que le matériau n’est pas respecté dès le moment où des ornements y sont rajoutés, marque un moment clé de l’histoire : une séparation qui permettra, par après, de redécouvrir l’ornement comme quelque chose de neuf. En effet, à l’opposé de ses contemporains, il renonce aux « virtuosités graphiques du symbolisme textile propres à la décoration de gout wagnérien et sécessionniste »57 tout en attribuant à l’enduit la valeur de peau. En accentuant la composante rationnelle de la pensée sempérienne58 et en privilégiant le noyau fondamental de la réflexion de Semper, Loos isole le principe de revêtement des implications formelles du mythe textile. Cette rationalité s’exprime d’une part dans la nécessité que les revêtements n’imitent en aucun cas la structure qu’ils recouvrent (choix du matériau, couleur et format), et d’autre part dans le fait qu’ils ne portent en eux aucune connotation symbolique empreinte à la culture textile. À ce titre, la Looshaus (1911) s’affiche comme exemple parfait de la recherche d’une qualité élaborée d’un revêtement absolument indifférent à la cohérence de la structure. Construit en ossature de béton armé, il se présente comme un bâtiment en maçonnerie revêtu de marbre et d’enduit.
3.3
La matière au service de l’espace
Mies van der Rohe (1886-1969) se positionne parmi les leadeurs de l’architecture moderne avant-gardiste, aux côtés de Walter Gropius (1883-1969) et de Le Corbusier (1887-1965). Pour lui, la notion d’ornement ne peut s’expliquer que par la description des dispositifs architecturaux qu’il a mis en place et qu’il a, tout au long de sa vie, retravaillés pour atteindre ce qui, à ses yeux, relevait d’une forme de perfection59. La déstructuration qu’il met en œuvre lui permet tant de repenser l’espace que de s’affranchir des contraintes de la structure. Il déclarera d’ailleurs avoir « abandonné le principe habituel des volumes clos : à une série de pièces distinctes j’ai substitué une suite d’espace ouvert. La paroi perd ici son caractère de clôture et ne sert plus qu’à l’articulation organique de la maison60 ». Même si, à priori, il serait possible de tisser un lien direct entre la paroi de Semper et la cloison de Mies, la réflexion quant à la délimitation spatiale développée par ce dernier est totalement distincte de celle de Semper, étant donné son affirmation selon laquelle les cloisons articulent les espaces et ne les partitionnent pas. Néanmoins, la façon qu’il a de suspendre ses cloisons de marbre ou de bois ne fait que renforcer la négation de leur 57
F ANELLI 2008, p. 66. Semper explique la nécessité du revêtement comme protection des structures contre le temps. 59 L’obstination de Mies à retravailler et concrétiser ses idéaux de formes et de matérialisations s’oppose à la façon qu’auront d’autres architectes de son époque à passer d’une vision à une autre. 60 Issu de « manuscrit de conférence 1924 » dans NEUMEYER 1996, p. 251. 58
35
Fig. 14 Mies van der Rohe : Vila Tugendhat, 1930.
valeur portante. Ce qui plaide par conséquent en la faveur du « mythe sempérien du rideau comme origine de l’enveloppe architecturale »61. Son architecture se présente comme une composition rythmée, dynamique, où les espaces jouent sur des notions de limites rendues floues. Les couloirs et pièces juxtaposés laissent place à une continuité spatiale souple et fluide, dans laquelle les espaces ne sont pas fermés, mais marqués62. La prise en compte de l’héritage architectural ne se fait pas sur des questions stylistiques, mais bien sur les éléments fondamentaux de l’architecture que sont les procédés de lumière, de contraste, de rythme, de socle, etc.63 Les ornements classiques sont donc délibérément mis de côté, ce qui explique, entre autres, le dépouillement dont fait preuve cette architecture. Pour Mies, la structure et le matériau restent au service de l’espace et du projet, ils lui sont subordonnés. En effet, ses œuvres se marquent par une conception de l’espace en totale indépendance vis-à-vis de la structure. Paradoxalement, c’est sa recherche d’immatérialité qui va sous-tendre son attachement au détail64 et à la matérialité. De même, la résolution parfaite des subtilités, la perfection de la mise en œuvre ainsi que les matériaux utilisés vont lui permettre d’atteindre ses objectifs ; et c’est sa volonté d’articuler ses conceptions spatiales qui le pousse à mettre en œuvre une structure secondaire portant des cloisons dénuées de connotation tectonique et les plus minces possibles. Les dimensions de ses plaques et leurs lignes de jointures sans aucun décalage confirment une recherche de continuité dans la lignée de Berlage et Loos. Peuvent être aussi pris en exemple les recouvrements chromés de ses colonnes ou de ses garde-corps, lesquels permettent à son architecture, grâce à leurs reflets, de se soustraire à la vue. C’est également le cas de ses dispositions de murs en briques, dont la rigueur du calepinage relève la complexité de la discipline. Concernant ces murs, l’architecte en vient à supprimer tous les éléments constructifs qui lui sont nécessaires, c’est pourquoi, « pour réaliser des ouvertures, les poutrelles métalliques sont dissimulées dans le rideau de brique, qui apparait donc découpé [...] le mur prend ainsi des valeurs ambigües, se proposant à la fois comme élément constructif massif et comme rideau léger, géométrique »65. Enfin, quelques lignes au sein desquelles l’architecte traite du Seagram building de New York résument encore le lien étroit qu’il entretient avec la question de l’ornement : « il était très important de conserver et d’étendre le rythme crée par les profilés des meneaux au reste du bâtiment. Bien sûr, l’autre raison est que cette section d’acier est nécessaire pour raidir la plaque qui recouvre le pilier afin qu’elle n’ondule pas. C’est une excellente raison, mais c’est la première qui est la bonne »66. Cette assertion met le doigt sur le doute entretenu par Mies van der Rohe entre les notions d’expression de structure, de décoration et d’abstraction. 61
F ANELLI 2008, p. 315. La Tugendhat House construite en 1928-1930 par Mies à Brno en République Tchèque en témoigne et montre à quel point l’architecte s’affranchit des idéaux prônés par Le Corbusier à la même époque lorsque celui-ci propose la Villa Savoye (1928-1931). 63 Comme peut en témoigner sa réinterprétation moderne des gratte-ciels de Chicago, lesquels étaient à l’époque encore essentiellement marqués par les motifs issus des beaux-arts. 64 Par exemple, le traitement du raccord entre colonne et sol ou colonne et plafond se matérialise de la même façon, de telle sorte que les repères traditionnels se perdent dans l’abstraction de l’espace. 65 F ANELLI 2008, p. 309. 66 RAGOT 2014, 37:50. 62
37
Fig. 15 Venturi Scott Brown : Sainsbury Wing 1991.
3.4
L’ironie comme réponse au purisme
En réponse au discours moderniste devenu petit à petit hégémonique, le postmodernisme, théorisé par Charles Jenks (1939 -), engage une rupture ironique et trouve en Robert Venturi (1925- ) une personnalité décisive dont les constructions hétérogènes démontrent son analyse poussée de la complexité architecturale. Ce dernier se caractérise, entre autres, par un « retour de l’ornement » et par une réponse face aux idéologies et au purisme prônés par le Mouvement moderne67 qui vient d’être illustré au travers de la figure de Mies. Il relève ipso facto le caractère contradictoire, complexe, changeant, et la pluralité des nécessités propres à chaque programme tout en cherchant à composer avec cette diversité plutôt qu’à la réformer. Ainsi, « il n’est donc pas étonnant que les constructions de Venturi aient été difficilement acceptées : elles sont à la fois trop nouvelles et, par leur façon d’accommoder les complications, trop véritablement simples et sans prétention pour ce siècle de riches. Elles refusent de bâtir sur du vent, de se laisser aller à de grands gestes tapageurs, ou de sacrifier bassement à la mode. Elles ne sont que le résultat d’une analyse profondément systématique du programme et des contraintes visuelles, nous obligeant en conséquence à réorienter sérieusement toute notre façon de penser »68. Dans cette diversité, cet architecte exprime une réflexion selon laquelle l’ornementation a rarement été liée à la structure au sein de l’architecture moderne : « une grande part de la fonction de décoration est emphatique, comme l’emploi des pilastres baroques pour le rythme, et les pilastres non engagés que place Vanbrugh à l’entrée des cuisines à Blenheim, pilastres qui sont d’une architecture fanfaronne. [Selon lui], l’élément emphatique qui sert aussi à la structure est rare en architecture moderne, bien que Mies ait utilisé surabondamment la poutre en I69 avec une maitrise qui rendrait le Bernin jaloux »70. Il met en outre en évidence le fait que la structure peut être un ornement et que cette dernière acquiert cette dénomination dès le moment où, devenant davantage que simple structure, elle participe à la composition (rythme, surcontigüité...)71. Plus tard, Venturi dira que « “la nature des matériaux” a empêché de donner plusieurs fonctions à une matière ou, inversement, la même forme ou la même surface à des matériaux différents72. »73, mettant en évidence cette dualité de pensée que Loos combattait alors. Afin d’illustrer sa pensée, citons l’exemple de l’Aile Sainsbury, extension de la National Gallery de Londres où le bureau Venturi Scott Brown joue avec liberté des ornements classiques pour se les réapproprier de manière innovante et inattendue. Par exemple, les chapiteaux des pilastres ne portent rien ; la dimension des ouvertures pratiquées contraste avec le style de l’édifice ; et enfin, de faux percements sont ménagés. 67 Le collage intitulé The Titanic, réalisé en 1978 par Stanley Tigerman dénonce à la perfection le contrepoint qu’a pris le Mouvement postmoderne à l’encontre de l’esthétique minimaliste enseignée par Mies à l’Illinois Institute of Technology. 68 Description des œuvres de Venturi par Vincent Scully dans sa préface. VENTURI 1999, p. 16. 69 Le Kluczynski Federal Building de Chicago est un bon exemple en la matière. 70 VENTURI 1999, p. 45. 71 VENTURI 1999, pp. 41, 64-65, 78. 72 Cette question s’illustra aussi lorsque Franck Lloyd Wright commença à s’écarter de l’influence de Louis Sullivan à cause de l’utilisation indifférenciée que celui-ci faisait de ses motifs ornementaux. 73 VENTURI 1999, p. 40.
39
Fig. 16 Peter Zumthor : Thermes de Vals, 1996.
4
Théorisations
Au-delà de l’évolution des pensées qui ont, naturellement, structuré les pratiques architecturales, une tentative de compréhension du rapport qu’ont les architectes à l’ornement, l’architectonique et l’ornementation est, aujourd’hui encore, en cours. Ainsi des architectes historiens et théoriciens mènent-ils une réflexion sur la question. Jacques Lucan propose une lecture panoramique des principes touchant à la discipline architecturale et, du même coup, aborde les notions dont il est question dans ce travail. Antoine Picon propose, lui aussi, une lecture théorique du sujet caractérisé par son engagement et sa réinterprétation des théories sempériennes.
4.1
Matière et construction
Jacques Lucan (1947-), architecte historien, s’efforce de rendre compte d’un état des lieux de l’architecture et traite, par la même occasion, des questions de matière, de mise en œuvre, de culture, de construction... Il fonde sa pensée sur la description des pratiques de différents bureaux dont certaines notions peuvent être relevées. Il cite par ailleurs la tentative commune des bureaux Gigon Guyver ainsi que d’Herzog & de Meuron de rendre compréhensible la réalité. À ce titre, ceux-ci considèrent que les questions de matérialité peuvent proposer une solution au caractère indécodable des éléments environnants. Avec ce dernier bureau, Zumthor partage l’envie de « mettre au jour l’essence même du matériau qui est libre de toute signification héritée d’une culture »74. Le premier bureau travaille avec une gamme de matériaux qu’on pourrait qualifier d’« ordinaire » ou « pauvre », du fait qu’elle regroupe tant les tôles que les bétons préfabriqués, tant les plaques d’éternit que les matériaux d’isolation et tant les papiers goudronnés que les panneaux contreplaqués. Ces matériaux sont assortis de la considération selon laquelle ceux-ci sont « urbains » et « artificiels »75, puisqu’issus de la production industrielle actuelle. Zumthor, quant à lui, travaille plus volontiers avec des matériaux « naturels ». Il est à noter que cet architecte fait grand cas de la relation que peuvent entretenir les matériaux constitutifs d’un édifice et les matériaux issus du contexte76. Cette relation (entre les matériaux de construction et le lieu), à la base de la détermination de l’image architecturale, est primordiale selon l’architecte suisse qui essaie que le paysage « accepte » l’édifice77. Outre le fait que Zumthor, à la différence de Herzog & de Meuron, fonde ses projets sur des souvenirs ou impressions, il arbore qui plus est un rapport à l’environnement entièrement différent en restant méfiant de la ville et en essayant de poursuivre la tradition (au détour d’artifices technologiques !). Herzog & de Meuron abordent la matérialité par le biais d’images urbaines et par la mise en place d’une architecture basée sur la fabrication industrielle sophistiquée. Quand on évoque des matériaux ordinaires, pauvres ou naturels, il n’est pas ici question de matériaux économiques, ni même de construction ou modes constructifs économiques. Une différence très prononcée peut survenir entre l’apparence d’une
ZUMTHOR 2012, p. 8. LUCAN 2015 p. 121. 76 C’est d’ailleurs sans grande surprise que ses projets se situent généralement dans des espaces relativement isolés. 77 ZUMTHOR 2012, p. 99. 74 75
41
Fig. 17 Herzog & de Meuron : Signal Box, 1999.
certaine simplicité78 et sa réalité constructive et par extension économique. (Dans son livre, Lucan décrit79 certains projets de Zumthor qui affirment une certaine simplicité, mais qui ne sont le résultat que de processus constructifs et de technologies avancées. Les dalles en porte-à-faux, de même que les joints de verre des Thermes de Vals en sont les témoins). Très souvent, la simplicité ne résulte que d’une construction particulièrement complexe. Les deux bureaux sont décrits dans le propos parce que, même s’ils représentent les figures de moderne et d’antimoderne (ils sont donc diamétralement opposés dans leur utilisation de la matière), il n’en demeure pas moins que tous deux sont à la recherche du contact brut entre l’homme et les matériaux de l’architecture, contact naïf et exempt de toute coloration culturelle. Herzog & de Meuron expliquent80 en effet que les matériaux doivent être appréhendés « sans code » pour qu’ils « perdent leur signification habituelle ». Le refus des références stylistiques ou du symbolisme est pour eux le moyen de rendre les matériaux constitutifs « visibles » et leur rendre leur but premier, celui d’« être », tout simplement. Cette pensée n’est pas différente de celle de Zumthor qui veut, pour sa part aussi, que les matériaux soient « libres de toute signification ». À cette réflexion sur la matérialité et sur la perception s’adjoignent des questions de formes, et, entre autres, celle de savoir si une forme géométriquement simple est plus apte à être le support d’une matérialité « neutre ». Cette question s’illustre par un « minimalisme »81 prôné par Herzog & de Meuron comme stratégie d’évitement du symbolisme (et lorsque l’ornement s’approche d’une symbolique, le traitement qu’il en est fait permet d’éviter cette impression82). Cette démarche a été suivie par plusieurs bureaux d’architecture et s’oppose à la vision prônée par Venturi alors même que, paradoxalement, les hangars décorés théorisés par ce dernier peuvent souvent s’apparenter83 aux « swiss boxes » de ces architectes. Au sujet de la forme en lien direct avec l’ornement, Jacques Herzog explique84 que « le recours à l’ornement [...] évite de chercher une forme en tant que telle : elle arrive toute seule, à travers l’ornement, qu’il soit géométrique ou organique ». Il dit aussi avoir « découvert le potentiel de la décoration comme outil pour détruire la forme “valable” ». En effet, la difficulté que rencontre le bureau à considérer qu’une forme définie est « valable » en tant que telle et qu’il s’agit de la forme voulue semble être adoucie par l’usage de l’ornement, lequel lui permet de donner une deuxième lecture aux volumes définis. L’usage fait supra du terme « minimalisme » correspond à deux réflexions : l’une propre au choix des matériaux et l’autre à leurs mises en œuvre. Concernant les matériaux, Lucan propose une analogie85 entre l’art « minimaliste » et l’architecture en comparant les matériaux dits « spécifiques » et les matériaux de construction. Il Le terme « simplicité » est utilisé dans ce contexte comme faisant état d’une chose « naturelle, spontanée, sans effet de luxe, d’une certaine pureté », et non pas comme « ce qui produit des effets esthétiques sans recherche, et avec peu de moyens ». 79 LUCAN 2015 p. 129. 80 WIDDER 1995, pp. 56-63. 81 La notion de « minimalisme » trouvera définition plus bas dans le texte. 82 Dans le cas de l’usage d’un motif particulier, celui-ci est utilisé au sein d’un patchwork de sorte que le motif initial n’est plus lisible, mais que seule la composition finale persiste. 83 LUCAN 2015 p. 132. 84 CHEVRIER 2010, pp. 86-109. 85 L’analogie porte sur les « objets spécifiques » de l’artiste Donald Judd. 78
43
Fig. 18 de Vylder Vinck Taillieu & Bavo : Institut psychiatrique Caritas, 2016.
propose de considérer les matériaux « traditionnels » comme d’autant plus « spécifiques » qu’ils sont utilisés sans être dénaturés. Concernant la mise en œuvre, le même auteur explique86 que celle-ci ne doit pas résulter de procédures mystérieuses ou d’assemblages qui ne sont pas compréhensibles et qui seraient artificiels. Toujours en prenant l’art pour exemple, il propose que l’usage des matériaux dont il est question plus haut se fasse de telle façon que les principes de formation de l’œuvre ne soient pas étrangers aux éléments qui la constituent. Cette pensée théorique s’explique aussi comme suit : « un entier est donc fait avec des éléments distincts les uns des autres, dont chacun a un rôle dans le tout, sans que ce tout soit jamais opaque du point de vue de la construction, donc du point de vue de la perception de ce qui la constitue »87. L’envie de certains architectes de détacher leur production de tout antécédent symbolique ou culturel et de proposer un produit architectural qui ne fait appel à aucun savoir, à tel point que l’objet en question ne puisse pas être compris par assimilations à des images connues, implique la nécessité que le bâtiment se rende lui-même compréhensible. L’appréhension de ce dernier doit être telle que la compréhension des différents éléments tant de leur conception que de leur relation au tout, rende possible une intelligibilité. Cette approche matérialiste a pour fondement la mise en œuvre des matériaux, leur construction et leur intelligibilité. Par intelligibilité, il est ici question de la compréhension du travail sous-jacent à la construction de l’édifice et de la manière dont l’édifice peut rendre compte, aux yeux du spectateur, des actions qui furent nécessaires à sa construction. Il est tout de même important de souligner que cette approche peut être tout à fait isolée de l’envie de s’affranchir des symboliques ou des notions culturelles préexistantes. Ce travail sur l’intelligibilité de la construction est primordial pour le bureau de Vylder Vink Taillieu88 qui décrit certaines de ses réalisations de la manière suivante : « la maçonnerie joue son rôle, donne une certaine abstraction à l’ensemble, mais aussi une étrange poésie, et ne révèle rien moins que la structure du bâtiment : là où le bâtiment était insatisfait, et là où il a été modifié, tout étant visible des matériaux dont il est fait »89.
4.2
Médium et subjectivité
Antoine Picon (1957 -), d’un regard tout aussi contemporain, relève un retour à l’ornement marqué depuis une vingtaine d’années. Il soulève à cet effet un point qui lui semble important et paradoxal : dans ce retour à l’ornement90, « ce qui revient n’est pas ce qui a disparu ». Il mentionne également le caractère profondément politique et social de celui-ci. Un élément qu’il importe sans nul doute de retenir consiste en l’opposition dont il fait preuve à l’égard de ce retour face à celui développé avant le Mouvement moderne. Il considère donc bel et bien que la
LUCAN 2015 p. 146. LUCAN 2015 p. 146. 88 D’autres bureaux comme Lacaton & Vassal et Éric Lapierre font preuve d’une même attention. Le premier pour la mise en place des matériaux qui se veut intelligible, le second pour l’utilisation de matériaux normalement « cachés » comme finition du bâtiment. 89 DE VYLDER 2013, p. 131. 90 Il prend pour exemples des façades (ex : Boehringer Ingelheim Pharma KG par Sauerbruch Hutton architects), mais aussi des structures géométriques qu’il assimile à des ornements géants (exemple du stade olympique de Pékin par Herzog & de Meuron). 86 87
45
Fig. 19 ETH Zurich & NCCR : In-Situ Fabricator, 2016.
question de l’ornement sous toutes ses formes a été quasiment évacuée de la sphère architecturale durant ce laps de temps91. Si l’on suit sa pensée92, trois caractéristiques marquent l’évolution de la pratique. Premièrement, les éléments ornementaux étaient localisés selon des points névralgiques de l’édifice ; aujourd’hui ils couvrent la totalité de la façade. En second lieu, ils étaient superficiels et arbitraires (y compris en ce qui concerne de nombreux édifices du XIXe), alors qu’ils sont aujourd’hui à l’opposé de ces termes. Finalement, ils renvoyaient à un registre symbolique, alors qu’ils sont, de nos jours, supposés ne faire état d’aucune signification externe à l’architecture. Cet architecte tente aussi de comprendre la place actuellement occupée par l’ornement en repartant du mot « ornamentum », qu’il assimile aux idées d’« ordre » (latin) et de « cosmos » (grec). Le premier faisant référence à ce qui aspire à devenir visible, tandis que le second porte sur la cristallisation d’un ordre par l’ornement. Ceci le mène à penser que l’architecture se révèle être l’ornement de la construction, quand l’ornement est la supplémentarité de l’architecture. L’architecture serait, en définitive, un masque, le visage de la construction. Cette réflexion se base en outre sur l’idée que l’architecture est réalisée par l’homme, en conséquence de quoi les motifs qu’elle prendra seront fonction des valeurs humaines et sociales, ainsi que des personnes qui en sont à l’origine. La question de la beauté de l’édifice est donc étroitement liée tant à l’image que celui-ci dégage qu’à la représentation que nous pouvons en faire. La notion de subjectivité, déjà présente dans les écrits de Loos (et qu’il combat), est en effet, selon Picon, le propre de l’ornement. Si l’architecture est le visage de la construction, alors celle-ci permet de créer un dialogue au travers de l’ornement. L’architecte serait corolairement présent dans l’architecture par ce biais. Toutefois, Picon relève tout de même le risque que l’ornement aille trop loin, soit trop présent, et qu’il dissolve dès lors l’architecture. « L’ornement est un lieu de négociation entre les subjectivités qui s’expriment », il évoque par ailleurs l’« in-contrôlabilité » de la société. Bien que l’historien souligne, en guise de première caractéristique, le fait que l’ornement se généralise d’une certaine manière à la façade et à la structure, il ne conçoit pas que celui-ci puisse se présenter comme tout détail constitutif de l’architecture. Enfin un extrait de sa leçon inaugurale à l’École de Chaillot93 permet de clore la description de sa pensée et d’ouvrir sur un thème qui lui semble primordial. Il s’y exprime en ces termes : « le sujet visé par l’ornement est très générique. Comme si l’architecte, le client ou l’ouvrier avaient le même rôle. Pour moi, c’est un des vrais problèmes de l’ornement aujourd’hui. C’est que l’ornement traditionnel fonctionnait à différents niveaux et reconnaissait des rôles assez distincts à différents types de personnes. L’ornement contemporain fonctionne dans une espèce d’indistinction heureuse, comme si l’architecte, le client et l’ouvrier étaient mélangés. Et même, comme si l’ouvrier pouvait disparaitre et que l’architecte puisse prendre sa place. On va vers un problème. » Il illustre ensuite ses dires en prenant l’exemple du développement de robots capables de construire de manière autonome. 91 Il serait intéressant
de se demander, de façon critique, si l’ornement a réellement disparu avec l’apparition du Mouvement moderne. 92 PICON 2011, pp. 1-2. 93 PICON 2013. 47
Fig. 20 de Vylder Vinck Tailleu : Les Ballets de C et B & LOD, 2013.
5
Lecture contemporaine
Ce chapitre a pour vocation de proposer une lecture d’une série d’architectures contemporaines, remarquables pour la façon qu’elles ont de traiter d’un « enrichissement comme langage intégré à l’œuvre architecturale ». Comme l’a dit Jean-Pierre Epron, « en architecture, la présentation d’une œuvre n’est jamais fortuite. Elle vient toujours au moment où, d’une manière ou d’une autre, se pose la question de son appropriation par quelqu’un dans l’actualité du débat architectural »94. Ainsi, trois édifices seront ici étudiés. Ils sont le fruit de bureaux belges distincts et sont l’objet de descriptions qui permettront d’entamer une discussion quant à la place prépondérante que peut avoir, de nos jours, l’ornement (au sens large) dans la sphère architecturale belge. En outre, il ne s’agit certainement pas d’essayer de définir ce que doit être « une bonne conception de l’ornement (au sens large) », mais plutôt de décrire95 de quelle manière la thématique peut être abordée à notre époque. Les trois profils qui seront mis en avant la traitent, chacun spécifiquement, soit par le biais de la tectonique, soit par l’intertextualité, ou encore à travers les notions de concept et de complexité.
5.1
Ornementation, tectonique et poétique
En ce qui concerne Les ballets C de la B and LOD (2008-2013), c’est une stratégie de fragmentation qui a été mise en place par le bureau gantois. Celle-ci illustre le mariage de raison entre deux intervenants : Lod et Les Ballets C de la B, mais aussi le morcèlement spatial caractéristique du lieu. Deux édifices d’implantation identique, cependant disposés en miroir, sont ainsi construits à l’image de jumeaux dont les différences sont quasiment imperceptibles. D’une manière générale96, le bureau Advvt s’emploie à utiliser avec finesse, et par souci d’économie, des matériaux bruts et « inachevés ». Chaque élément de construction utilisé possède sa propre identité, comme une couleur, texture, une propriété technique. Ces matériaux sont isolés les uns des autres, tout en remplissant la fonction qui leur est assignée. Au premier abord, l’observateur pourrait croire que chaque élément a été assemblé librement, mais, en prêtant bien attention, on s’aperçoit rapidement que la proposition faite a pour effet une qualité graphique évidente. La mise en œuvre est indubitablement rendue lisible, à tel point qu’on pourrait presque suivre la séquence d’actions nécessaires à la construction de l’édifice. La composition semble être un dessin exécuté avec des éléments de construction. D’ailleurs, le mode graphique mis en place par les architectes se distingue par sa mise en évidence, en couleur, de la matérialité constitutive du projet. Ceux-ci témoignent d’une prise de conscience du fait que chaque composant peut librement changer de rôle sans pour autant perdre sa validité en tant que partie intégrante d’une tradition (par exemple, des briques peuvent être utilisées pour former des murs des revêtements de sol, des linteaux, ou même pour recouvrir une porte...). 94
LOOS 1979, p. 4. Cette description se base sur les principes phénoménologiques issus de Merleau-Ponty dans son livre Phénoménologie de la perception, 1945. Expliqué par LUCAN 2015, p. 118. Le but des études phénoménologiques est de décrire la perception, et non pas de l’expliquer ni de l’analyser. De plus, le réel est, dans ce chapitre, à décrire et non pas à construire. 96 Paragraphe traduit et retravaillé d’après DE ROO 2015, pp. 97-106 et VAN SYNGHEL 2010, p. 15. 95
49
Fig. 21 de Vylder Vinck Tailleu : Les Ballets de C et B & LOD, 2013.
Concernant le projet choisi, les façades des deux bâtiments sont vitrées. Elles permettent d’avoir, au premier regard, un aperçu tant de la composition spatiale des édifices que de leur construction, telle une coupe technique à taille réelle du programme qui permet de filtrer les composantes privées et publiques. Ce dessin en couche se crée par la rencontre « inattendue » des éléments de structure où l’inconséquence est affichée en toute honnêteté. En effet, la régularité de la façade rideau est interrompue par le passage de l’escalier. Les espaces techniques nécessaires, clairement visibles, ne se cachent pas et affichent une surface opaque derrière le vitrage. L’usage des matériaux est longuement réfléchi : du béton pour les éléments portants (murs et linteaux) ; de la couleur verte pour la structure en acier (dont la dimension est strictement nécessaire) ; du verre pour protéger des intempéries ; de la brique pour créer les cloisons non portantes (et se différencier des éléments structurels) ; une rampe peinte en orange pour souligner un caractère provisoire qui, à terme, sera définitif. Chaque matériau est donc identifiable, dissociable de l’ensemble, tout en participant néanmoins à la cohérence du projet. Les intérieurs des bâtiments respectent les mêmes règles : chaque matériau se justifie et ne cache pas sa place dans la composition. La puissance de cette architecture réside, comme l’explique Stefan Devoldere, dans le fait que, même si l’on pense qu’elle est « caractérisée par un minimalisme et une sobriété extrême […], c’est [pourtant] tout le contraire. Cette sobriété est imprégnée de désidérata tant pratiques que triviaux, où la polissonnerie remporte régulièrement la bataille et où rien ne peut être trop correct ni trop évident »97. Alors que l’ensemble est construit selon une logique claire, les architectes ne peuvent s’empêcher d’introduire, dans l’ordre architectonique, une confusion poétique. Cette poésie surgit en de multiples endroits : lorsque certaines colonnes sont déplacées pour la beauté de l’espace ou encore lorsque que des montants verticaux de bois sont ajoutés en vue de réaliser des économies... C’est aussi dans la mise en œuvre ou dans le choix des modules de matériaux que le jeu s’opère : des pans de briques sont maçonnés différemment ; les garde-corps sont moulurés et donnent une impression de produit fini alors qu’ils ne sont que provisoires ; un tuyau de radiateur est peint en vert (parce qu’il est en métal sans doute). Bien que de nombreux choix semblent avoir été influencés par des facteurs accessoires ou par de simples coïncidences, c’est en tous lieux que l’intervention de l’architecte plane d’une manière presque imperceptible, rappelant de ce fait qu’il ne s’agit pas là d’une construction « pure », mais qu’elle est le résultat de manipulations taquines des éléments de compositions. L’hybridité créée par cette composition d’un anarchisme réglé est acceptée pour ce qu’elle produit et est renforcée par la capacité qu’ont les architectes à donner un degré de liberté à la phase de construction. Ceux-ci dans un principe d’ornementation prônent des spatialités renforcées par le caractère incomplet issu des aléas de la mise en œuvre. En définitive, cette architecture apparait comme une composition où structure et codes interagissent et où la communion atypique de matériaux et de mises en œuvre est acceptée sans que l’espace n’en pâtisse. Au contraire.
97
DEVOLDERE 2009, p. 64. 51
Fig. 22 Baukunst : La Fraineuse de Spa, 2015.
5.2
Intertextualité
Le centre ADEPS La Fraineuse à Spa (2009-2015) du bureau Baukunst représente d’une manière exemplaire la pensée de ses concepteurs qui ont tenté, par un exercice de simplification radicale, de représenter la condition territoriale et de rendre au site une lisibilité. La construction se donne à voir non pas comme une finalité résultant d’une analyse rigoureuse, mais comme le centre même de l’analyse, comme un outil de connaissance à même de définir une nouvelle identité au site. « [...] Contre les apparences, la démarche de Baukunst n’est pas nostalgique d’une modernité disparue ni celle de jouer de contraste historique ; la confrontation des époques est une condition d’existence de l’architecture et le recours aux modèles des maitres est ici un moyen plutôt qu’une fin. Telle une rhétorique de la composition, elle permet aux architectes de focaliser leur travail sur les relations qu’entretiennent les gens et les choses, tels qu’ils existent »98. Formellement, un lien plus qu’étroit peut être tissé entre la composition de la toiture de l’édifice et de celle de la Neue Nationalgalerie, construite par Mies van der Rohe à Berlin en 1968. Ce nouveau toit, puissant et rigoureux, définit une zone de même dimension que celle enserrant le château de la Fraineuse. Alors que dans le cas de ce dernier, il trône au centre d’une dalle, dans l’autre cas, une cour excavée prend place au centre de l’espace. Le frère jumeau, dématérialisé, de la demeure seigneuriale existe par le vide qui a été créé. La construction est dotée d’une apparence d’architecture abstraite, sans aucune entrée principale, son lien au patrimoine existant se faisant par la continuité préservée entre la toiture et la plinthe du château. Les effets visuels et les connexions possibles sont favorisés par les multiples ouvertures ménagées sous cette couverture. Néanmoins, même si la construction met en place un langage miessien d’espace universel, aux surfaces totalement adaptables se substituent des pièces aux fonctions hautement spécifiées. Ces masses épaisses de béton qui structurent la composition font, quant à elles, référence à la villa Karma, dessinée en 1912 par Adolf Loos à Montreux. Elles sont constituées d’un béton isolant de 60 centimètres, coulé sur place, auquel a été adjointe de la fibre de verre expansée. Une fois de plus, la technique est utilisée dans un seul but, celui d’atteindre une forme de simplification99. D’un point de vue de la construction, il s’agit d’un édifice « extrêmement raffiné, élégamment proportionné et intelligemment détaillé »100. Toute frivolité cosmétique est laissée de côté au profit d’un pragmatisme pur qui nécessite une résolution sans faille des détails. En effet, dans ce genre de projet, tant une « absence » d’ornement qu’un esthétisme épuré pourraient constituer des éléments frappants lors de la première lecture ; cependant il s’agit peut-être davantage d’une résolution précise de toutes les questions techniques qui touchent au caractère visuel de l’édifice. La rigueur déployée n’est pas exclusivement formelle, mais s’étend aux éléments de composition et à leur matérialité. Pour permettre à ces éléments d’être mis en œuvre, il est possible de décrire un langage ad hoc. Les espaces fermés le sont par du béton et sont fonction de la grande géométrie. Il s’agit de béton coulé sur place à travers lequel on peut remarquer la concordance entre les marques du 98
DE BRUYNE 2016, p. 1. Un rapprochement dans cette manière de procéder peut être fait avec le cas des Thermes de Vals dont il était fait état plus tôt. 100 HARPER 2015, p. 79. 99
53
Fig. 23 Office : Bibliothèque de l’Université de Gent, 2014.
coffrage en plan et en élévation. Le raccord entre ces éléments massifs et la toiture se fait au moyen d’un décalage du coffrage qui a pour seul but d’accentuer l’effet flottant de la couverture. Le détail technique qui gère le raccord thermique du passage entre la toiture et les éléments de béton se fait au moyen de rupteurs intégrés dans la structure. Les murs qui ne se trouvent pas contre terre sont entièrement vitrés. La résolution du détail technique montre parfaitement les enjeux de la mise en œuvre de ces éléments. Les châssis sont tantôt repris dans la dalle, tantôt dans la couverture, de telle sorte qu’ils ne soient jamais visibles. Le caractère ornementalement dépouillé n’est possible qu’à la faveur de ce genre de résolution qui évacue toutes les nécessités constructives, alors jugées superflues dans la composition visuelle. Les espaces publics sont structurés par un jeu de rideaux. Ceux-ci ont d’ailleurs fait l’objet d’une attention particulière : la fluctuation de leur position autour de la cour centrale, mais aussi l’étude technique et colorimétrique dont fait preuve leur trame en polyester101 permet de gérer la transition entre l’intérieur et l’extérieur. Plus qu’un simple rideau, sa maille et son jeu de couleur permettent de créer un jeu visuel qui met en scène l’architecture et qui provoque un sentiment d’évidence.
5.3
Limites et concept
Le bureau Office fonde sa réflexion sur des questions de corrections géométriques et de classifications rigides qui lui permettent d’aborder la complexité du monde environnant. Ses idées architectoniques, de même que son écriture architecturale sont par conséquent le moyen d’y arriver. L’exemple choisi, la Bibliothèque d’architecture de l’Université de Gand (2010-2014), représente parfaitement la pensée de ces architectes. Leur philosophie en termes d’architecture se caractérise par ce qu’ils appellent une « économie de moyens ». Ce qui est entendu par l’usage de ces termes fait état102, d’une part du fait que la question du budget disponible constitue la base même du projet et, d’autre part, que l’utilisation d’un vocabulaire réduit de formes et de matériaux doit être privilégié (c’est le réarrangement des éléments conventionnels qui permet une lecture différente de l’espace). La force des concepteurs réside dès lors dans leur capacité à faire émerger de ce vocabulaire réduit de la profondeur, de l’ambigüité103 et une complexité spatiale. Cette économie de moyens liée à leur recherche de précision sont toutes deux essentielles au travail de l’agence. La précision dont il est question, et qui se retrouve tant dans la conception que dans la réalisation, englobe les différents moyens utilisés dans le dessein d’atteindre l’abstraction. Office en parle en ces termes : « l’abstraction est davantage une manière d’être précis. La raison pour laquelle notre travail est relativement abstrait est que nous voulons rester suffisamment précis104 ». Les architectes affirment donc la différence existant entre la manière dont les choses sont dessinées et la raison pour laquelle elles le sont. C’est cette distorsion qui les rend si fascinantes. Dans le but d’atteindre leurs objectifs théoriques d’abstraction, de corrections géométriques et pour répondre à l’idée architecturale définie dans le projet, les architectes ont composé un détail très particulier, lequel s’ajoute à une matérialité claire décrite en ces mots : « les rayonnages, avec les colonnes, la grille qui 101
Étude menée par le tandem Chevalier - Masson. Elle est illustrée dans HARPER 2016, pp. 84-85. D’après l’interview de HEILMEYER 2016, p. 4. 103 Selon eux, toute production possède sa part d’ambigüité étant donné qu’elle emprunte toujours quelque chose au passé et qu’elle le combine avec le contexte contemporain. 104 Propos cités par C ORTÈS 2016, p.148. 102
55
Fig. 24 Office : Bibliothèque de l’Université de Gent, 2014.
monte et qui descend et le contrepoids forment presque une organisation tripartite. Quand la grille est ouverte, cela forme une corniche sous le balcon existant. Quand la grille est fermée, le contrepoids devient une sorte de frise. Le détail, qui est en même temps une résolution technique, définit l’architecture par ce que l’on peut appeler une correction géométrique »105. Subséquemment, même si, étrangement, l’intervention se démarque totalement de son contexte, la réduction des éléments à leurs stricts minima (tant en nombre qu’en apparence) fait penser que le puits de lumière et les rayonnages ont toujours été indissociés, à l’instar de l’archétype d’une bibliothèque. Le jeu des contrepoids (leur matérialité et leur disposition) est tel que ceux-ci dépassent leurs caractères purement technique et fonctionnel et sont ipso facto associés à part entière à l’architecture comme éléments de composition intégrés. Concernant l’économie de moyen et la question de budget dont il est question plus haut, il ne s’agit pas de réduire le cout des matériaux au plus bas ou d’utiliser des produits fabriqués de manière économique. Il est avant tout question de redistribuer les couts différemment entre les éléments distincts constitutifs du projet. Dans le cas de la bibliothèque, par exemple, la mise en œuvre des grilles coulissantes permet, en y mettant les moyens, de rassembler dans la même pièce les fonctions de bibliothèque et d’espace évènementiel en rendant possible un jeu sur la temporalité. Les collections peuvent être protégées tout en restant visibles lorsqu’une conférence ou un autre évènement a lieu dans cet endroit. La construction gère aussi l’accès tant à la bibliothèque qu’à des bureaux et fonctions annexes. Les deux architectes expliquent qu’à première vue, ils investissent énormément dans des éléments qui peuvent sembler peu pertinents, et qu’il ne s’agit pas d’une provocation, mais bien de leur ambition de donner une nouvelle sémantique aux composants. C’est pourquoi le but de leur architecture106 est de donner un sens de beauté aux éléments et aux techniques qui sont utilisés partout, de sorte qu’ils acquièrent une forme d’importance. Enfin, ils affirment vouloir créer de la beauté par le rythme, les proportions, les dimensions et la matérialité tout en produisant une architecture sans signification claire.
105 106
WALKER 2016, p. 7. DE VYLDER 2016, pp. 35-36. 57
Fig. 25 Fashion Architecture Taste (FAT) : Musée de la copie, biénnale d’architecture de Venise, 2012.
6
Intérêt pour le plein
La seconde partie de ce TFÉ, qui prend naissance en ces lignes, s’attardera davantage à définir des principes théoriques et pratiques qui sous-tendent le volet « en architecture ». Il s’agit donc de comprendre ici par quelle méthode une forme d’enrichissement constructif peut être travaillé de manière générale dans le projet d’architecture et, par extension, par quel biais la question sera traitée dans la partie de projet personnel qui accompagne ce travail. Il en va de soi que le propos mis en avant n’est pas de définir « la » marche à suivre ultime permettant de concevoir un projet en partant de la matière, mais bien de rechercher « une » marche à suivre qui n’est certainement pas univoque. La proposition méthodologique qui va être développée fait suite à la citation de Jacques Lucan, relatée plus tôt, par laquelle il décrivait l’approche matérialiste qui structure ce travail : « le besoin ou la nécessité de repenser la manière par laquelle les matériaux sont mis en œuvre, mais aussi de réfléchir à l’image qu’ils sont susceptibles d’offrir ou à laquelle ils participent »107. C’est une sorte de renversement des procédés classiques de composition du projet qui s’impose lorsque l’on s’interroge sur la nature du plein. Par « procédés classiques », nous entendons bien évidemment les méthodes suivies dans le développement de projet d’architecture au cours de nos études. En effet, il nous semble que la conception d’un projet d’architecture s’opère le plus souvent par la définition des espaces en toute indépendance des questions constructives qui les sous-tendent. Ces questions constructives ne sont abordées, quand elles le sont, que tardivement dans le processus du projet et reflètent le désir de traiter la question de la matérialité pour l’ambiance que pourraient créer les espaces. Andrea Deplazes (1960-) décrit d’ailleurs dans son livre Construire l’architecture : du matériau brut à l’édifice : un manuel cette séparation entre les aspects de conceptions et de construction utilisée par les enseignants comme stratégie didactique pour créer des points focaux thématiques108. Néanmoins, il explique l’interaction entre la conception et la construction au moyen d’une métaphore assez explicite, celle d’un « potier [qui] modélise un vaisseau au moyen de ses deux mains en appliquant une force de l’extérieur avec une main et de l’intérieur avec l’autre main (dans des directions opposées) afin de remodeler la masse d’argile dans un espace creux. Un vaisseau qui tient l’espace est produit. Au mieux, ces forces se complètent, ou au moins s’influencent les unes les autres. [...] Ce processus avance de deux côtés. De l’extérieur : de la manière classique, à savoir de l’urbanisme au projet d’architecture. De l’intérieur : au moyen du tissu spatial et de construction, la tectonique. Ces deux processus mènent de l’abstrait au concret »109. Imaginons dès à présent que l’on s’intéresse plus particulièrement à la force intérieure, que le moteur du projet soit le plein : nous pourrions considérer qu’aux nécessités structurelles, programmatiques et d’ambiance du projet corresponde de la matière. Irrémédiablement, cette matière et la définition de sa mise en œuvre auraient un impact direct sur la spatialité du projet. Le renversement consiste dans ces conditions à mettre en œuvre des spatialités qui sont directement issues de la définition de la matière mise en œuvre, parce qu’irrémédiablement, l’agencement de 107Voir
chapitre 2. introductif à l’ETH Zurich le 15 Janvier 1999, repris dans DEPLAZES 2008, p. 19. 109Ibidem. 108Discours
59
88220 8200
882280020
Proportion d’espace
Dimension d’espace
Structure Linéaire
Structure Ponctuelle
Disposition Périphérique
Disposition Centrale
8
820
Fig. 26 Proportion d’espace et dispositions de la matière.
celle-ci est générateur d’espace. La première tâche de ce processus est donc de définir des spatialités issues de leur mise en œuvre. Pour ce faire, une méthode mise en place consiste à développer la variation d’une proportion d’espace sur le thème de la matière pour créer des espaces construits.
6.1
La proportion d’espace comme outil théorique
Le terme « proportion de l’espace » désigne la délimitation théorique dépourvue d’épaisseur ; cette proportion d’espace dont il est question n’est pas un but en soi, mais bien un moyen qui permet d’atteindre l’objectif. Il représente un volume théorique nécessaire selon les besoins potentiels du programme. Dans notre cas, l’utilisation de cette proportion permet de confronter un espace de base théorique (trame) à une série de dimensions matérielles issues de matériaux. Sans rentrer dans le projet des Abattoirs de Cureghem, considérons l’utilisation d’une proportion de 8,20 m par 8,20 m qui se base sur une recherche effectuée par le bureau ORG110 à l’origine du master plan projeté. Selon ses membres, cette trame se révèlerait idéale lorsque des enjeux de mixités sont présents : celle-ci serait prête à soutenir du logement, du parking, de l’activité commerciale ou même de l’industrie. Ainsi, au vu de la mixité qu’il est possible d’obtenir, le bureau en question propose-t-il la mise en place de cette proportion en vue de redensifier le site des Abattoirs d’Anderlecht. ORG n’aura pas été le seul bureau à proposer une trame idéale : Auguste Perret (1874-1954), par exemple, utilisera au Havre, dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, une trame de 6,24 m par 6,24 m pour des raisons, cette fois-ci, d’économie et de standardisation. Notons que l’objectif premier de ces proportions n’est pas identique (tantôt la capacité de mixité, tantôt l’efficacité économique). Si une proportion est prise pour être soumise à « la démonstration matérielle111 », encore faut-il lui définir une disposition théorique. En vue d’essayer d’atteindre une forme d’objectivité, il faudrait définir les possibilités de dispositions de la matière dans cette proportion. Partons du principe que les structures verticales puissent se trouver en périphérie par rapport à la proportion d’espace ou bien au centre de celle-ci. Ensuite, toujours pour ces structures verticales, nous pouvons faire la distinction entre les éléments dits continus (linéaires) et les éléments dits discrets (ponctuels). Cet ensemble constitue donc les quatre possibilités de disposition théorique qui seront mises à l’étude. Il ne s’agit pas d’un ensemble exhaustif, mais d’un tout qui se veut cohérent et limité, pour le bien du travail. Pour poursuivre la réflexion, et maintenant que les différentes proportions théoriques d’espace sont définies, il importe de confronter successivement chaque proportion d’espace aux différents matériaux choisis afin de voir quelle serait la conséquence de la dimension matérielle sur la proportion et quelle qualité d’espace résulterait de cette rencontre. En effet, « en architecture la ligne et l’espace bidimensionnel n’existent pas ; ce sont des abstractions mathématiques. L’architecture est toujours tridimensionnelle — même dans une microcouche de peinture — et donc plastique et matière »112. 110 Organisation
for Permanent Modernity. Par démonstration matérielle, nous entendons observer les conséquences du choix d’un matériau sur une proportion théorique. 112 Cité par Andrea Deplazes dans son discours introductif à l’ETH Zurich le 15 Janvier 1999, repris dans DEPLAZES 2008, p. 19. 111
61
Fig. 27 Proportions d’espaces soumis à la disposition et dimension matérielle.
Le point important quant à ces unités d’espace est qu’elles sont définies de sorte qu’elles soient autonomes selon leur matérialité. Elles représentent des cas théoriques qui ne subissent que leur poids propre. C’est ainsi que peuvent s’illustrer les cas produits en briques qui travaillent au moyen de courbes et de contre courbes pour ne développer que de la compression113. En effet, tant qu’à prendre l’exemple de la brique (le plus parlant), il est faux de penser que l’arc représente la structure théoriquement la plus logique dans le cas d’une structure de maçonnerie autoportante. Il suffit de considérer le module de brique rectangulaire dans sa disposition en arc pour comprendre que les angles créés par leur disposition concentrique ne sont possibles que par la présence de surépaisseur de joints. De même, structurellement, l’usage de contreforts pour tenir les poussées horizontales révèle que le modèle s’éloigne fortement du funiculaire des charges que l’on peut approcher par des voutes gaussiennes. Dès lors, l’intérêt de produire ces unités de manière théorique est de comprendre, lorsqu’elles sont disposées l’une à côté de l’autre, ou encore l’une sur l’autre, comment leur rencontre et leur interaction est en mesure de modifier le modèle de base. En effet, ce travail considère que la théorie est, dans une situation réelle, malmenée par le réel et qu’il ne s’agit en aucun cas d’une fatalité, mais bien l’occasion de s’en saisir pour produire de la qualité.
6.2
La qualité de l’espace comme outil projectuel
Si la proportion d’espace est soumise à la dimension matérielle, c’est bien une matérialité qui crée de l’espace, et non pas une matérialité qui découle et s’adapte à un espace dessiné en réponse à un programme. L’espace surgit concomitamment, sans à priori, de la disposition de la matière. Chaque espace généré porte en lui des caractéristiques spatiales qui lui sont propres (continuité, registre, légèreté, espace sous porte à faux...) et peut être utilisé, ou non, dans l’élaboration du projet (spatialisation du programme). Dans le cas qui nous intéresse, c'est-à-dire le site des Abattoirs, le programme présente une grande mixité, ce qui implique que différentes fonctions coexistent et que, selon les nécessités imputant à chacune de ces fonctions, des espaces construits viennent à se toucher. Ainsi, la confrontation dont il était question plus haut apparait-elle : entre programme, entre disposition matérielle, entre matériaux. L’issue de cette confrontation peut générer, et il s’agit là d’une des pensées primordiales de ce travail, de la qualité, ce qui peut se révéler un enrichissement spatial dès que cette rencontre est abordée avec le plus grand soin par l’architecte. Étant donné que le postulat de base pose l’utilisation d’une trame de 8,20 m par 8,20 m, ces espaces ne rentreront en confrontation que par juxtaposition et par empilement. Les rencontres qui sont envisagées par Francis D. K. Ching114 dans son étude sur l’organisation des formes et des espaces, ne sont, pour certaines d’entre elles, possibles que dans le cas où la trame varie en dimension et que des ruptures s’opèrent dans celle-ci. En revanche, la juxtaposition de cellules en plan ou en coupe implique que les modèles de rencontres varient en fonction de la position des cellules ; que le contact s’observe au centre ou sur l’angle change totalement la configuration résultante. 113 Ces cas s’inspirent de l’étude menée et construite à Zurich par M. Rippmann, L. Lachauer et P. Block. Voir RIPPMANN 2012, ou bien encore des réalisations d’Eladio Dieste, architecte uruguayen. 114 CHING 2015, p. 197.
63
Psychologie de la perception Vue
Lumière Couleur Matérialité -abstraite -concrète
Touché
Texture -rugeux -fin, doux -fibreux
Sentiment
Humide Sec Chaud Froid
Odorat
Odorant Agréable «neutre»
Perception du temps
Mouvement Statique Effet d’échelle (ressenti) -«largeur» -«étroitesse» -«profondeur»
Audition
Bruit Résonance, réverbération Écho Etouffé Sévère
Fig. 28 Andréa Deplazes : Psychologie de la perception, 2008.
7
Matières
Lorsqu’il s’agit de réfléchir la matérialité propice à définir une qualité d’espace, une symbolique ou un ressenti voulu, de nombreux choix peuvent se faire, mais pour le développement théorique qui structure ce travail, il sera plus pertinent et évident de manipuler des matériaux « principaux »115 tels que la brique, le béton, l’acier et le bois. Cette gamme représente les matériaux utilisés quotidiennement dans notre contexte spatiotemporel. De nombreux autres matériaux complètent bien sûr le panorama des possibles et peuvent être tout aussi intéressants ; néanmoins, ils ne seront pas abordés par ce travail. Citons tout de même, pour exemple, la Maison d’Aluminium réalisée en 1971 par Toyo Ito ou encore la Maison du Futur réalisée par Monsanto en 1957116. Si ce sont ces matériaux « principaux » qui servent à éprouver les proportions d’espaces, il semble logique que leur usage se fasse « à leurs limites », c’est-à-dire que les possibilités structurelles de la matière constituent un facteur déterminant dans l’édification des structures, tant dans les dimensions de mise en œuvre que dans les possibilités de réaliser la structure. De cette façon, le choix des matériaux serait directement fonction de ses propriétés techniques et le mode d’édification serait, quant à lui, fonction des logiques constructives intrinsèques au matériau. La diversité représentative de la réalité ne sera donc pas réalisée par l’hybridité des structures ou des remplissages, mais bien par la juxtaposition de modes constructifs choisis selon les nécessités du programme (nécessités surfaciques et d’expression). Choisir à quel programme correspond quel matériau peut se faire selon plusieurs facteurs. Le premier pourrait être économique (financier) : ceci reviendrait à utiliser pour chaque cas de programme (et donc pour chaque portée spécifique) le matériau qui remplit le plus économiquement son rôle. Le second facteur pourrait être l’efficacité : il n’est plus question de prix, mais bien d’efficacité structurelle, fonction des propriétés physiques et formelles du matériau utilisé. Le paramètre pourrait aussi être un critère d’efficacité dans le temps de mise en œuvre. Un dernier facteur (même si de nombreux autres pourraient être cités, tels que les facteurs culturels ou climatiques) concernerait la sensation qu’induit le matériau par rapport au programme. Aussi ce chapitre est-il dédié à explorer les quatre matériaux cités pour en faire émerger tant leurs qualités particulières et l’essence qui est propre aux ressentis qu’ils induisent que les modes constructifs qui s’imposent lors de leur utilisation. Ceci peut permettre de s’arrêter sur le choix des matériaux à affecter à tel ou tel programme, selon le ressenti que l’on désire produire dans le projet. Travailler avec des matériaux qu’on l’on pourrait qualifier de simples est directement lié aux principes relevés dans la partie théorique de ce travail. En effet, la piste suivie se rapprochant du terme « ornementation » suppose qu’un enrichissement est susceptible d’apparaitre dans le choix et dans la mise en œuvre des matériaux plus que dans la mise en évidence de matériaux particulièrement innovants. Davantage que la complexité de la matière, l’intérêt est ici porté à l’agencement de celle-ci. 115 Le choix des matériaux « principaux » se fait selon la sélection opérée par Andréa Deplazes dans DEPLAZES 2008, p. 16. 116 Monsanto était un producteur majeur de plastique dans les années 1940. Cette compagnie développa cette maison faite entièrement en plastique pour le parc Disneyland en Californie.
65
Fig. 29 Alvar Aalto : Maison ExpĂŠrimentale de Muuratsalo, 1953.
7.1
De la tradition à la discipline
« Nous pouvons aussi apprendre de la brique. À quel point cette petite forme pratique est sensible, tellement utile dans tous ses usages ! Quelle logique dans son joint, motif et texture ! Quelle richesse dans la surface de mur la plus simple ! Mais quelle discipline117 ce matériau impose »118. Lorsque l’on parle de brique, il s’agit avant tout de maçonnerie structurelle de brique ou encore de cloisons non portantes en brique, mais pas de parements de briques qui recouvriraient une structure d’autre nature, car, comme le dit Heinz Bienefeld, « si la maçonnerie n’exprime pas son propre poids, si nous ne pouvons pas voir sa masse [...] alors ce n’est pas de la maçonnerie pour moi. On ne peut pas ignorer la puissante impression de la force porteuse ».119 Plus qu’une simple impression de force, le mur de briques massif est encore aujourd’hui pertinent, ne fut-ce qu’en raison de ses capacités thermiques. L’intérêt de la brique est multiple, mais peut s’illustrer par un autre point de vue, celui de Werner Lindner selon lequel « la maçonnerie est une structure qui reste visible en sa surface et qui travaille au travers de celle-ci »120. Cette citation révèle la condition première de la brique : le lien entre son agencement et sa structure. L’agencement du mur, c’est l’image de sa production pour laquelle on peut distinguer la dimension de l’unité individuelle de maçonnerie dans son rapport à l’ensemble. Ce rapport est unilatéral dans le sens où c’est le plus petit élément (dont la taille est fixe) qui va définir l’ensemble construit. De même, les différents composants du bâtiment (murs, portes, fenêtres...) doivent constituer des dérivés dimensionnels de l’unité principale de telle façon que les unités de brique ne soient pas coupées lors de l’assemblage. Du reste, même si les moyens disponibles peuvent sembler limités, le potentiel esthétique réside dans la clarification des interrelations entre les parties constitutives et l’ensemble. En effet, « la brique elle-même crée l’échelle pour la taille de l’ornementation [...] créée par le rapport entre le module et le modèle est le résultat et l’expression de la production et du processus de jointure. Il est en quelque sorte inhérent au principe du mur de maçonnerie »121. En fait, l’expression architecturale du mur de brique se définit par la variation de trois éléments : « tout d’abord, la surface de l’unité : ses couleurs créées par le feu, sa brillance, les trous de cendres, les cloques, les larmes et les rainures. Ensuite, l’articulation : sa couleur, sa surface et son relief. Enfin, le lien : ses relations et interactions horizontales, verticales et diagonales comme des rappels visibles de l’acte invisible »122. Bien que la brique ne permette pas la couverture d’espaces intérieurs sans que l’utilisation de voutes ne soit nécessaire ou encore que des renforcements supplémentaires ne soient mis en œuvre, celle-ci, en raison de sa force, massivité et stabilité, représente pour tous les mêmes valeurs de sécurité, durabilité, discipline et simplicité. 117 Cette maitrise, Mies en fit preuve dans ses constructions en briques dont la précision apparait telle une qualité sublime. 118 Propos issus du discours inaugural de Mies van der Rohe, en tant que directeur de la faculté d’architecture au IIT Chicago, retranscrit dans DEPLAZES 2008, p. 48. 119 VOIGT 2000, p 36. 120 LINDNER 1937, p. 8. 121 DEPLAZES 2008, p. 45. L’utilisation du mot « ornementation » se fait ici contradictoirement aux définitions données en début de travail et correspond davantage à la notion d’enrichissement par le matériau. 122 RAMCKE 2001, cité dans DEPLAZES 2008, p. 43.
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Fig. 30 Louis Kahn : Institut Salk pour les études biologiques, 1965.
7.2
De l’archaïque à l’artéfact
Comme le dit Deplazes123, « lorsque le béton est apparent, c’est sa surface qui est rendue visible ». Nonobstant le bon sens dont relève cette affirmation, elle souligne la différence fondamentale qu’il existe entre la construction de maçonnerie et l’utilisation de béton. En effet, comme expliqué plus haut, quand il s’agit de la brique, il est directement question de la relation logique qui s’établit entre le module et son jointoiement, ainsi que de la mise en lumière des opérations nécessaires à la construction. De ce fait, un mur de brique représente bien plus qu’une addition de modules, puisqu’il fait réellement état d’une esthétique propre à sa construction. À l’opposé, le béton ne dévoile jamais son mode de construction et ne donne à voir que sa couche superficielle, différente de son cœur le plus souvent armé. Toute la particularité du béton réside dans le fait que sa forme finale ne peut être acquise que par l’intermédiaire d’un coffrage temporaire (et même lorsque l’on parle de prédalle ou de prémurs, ces éléments préfabriqués portent en eux l’histoire de leur coffrage respectif). C’est donc une structure filigranée qui doit être mise en place pour pouvoir générer une construction massive, et même si elle disparait à un moment de la mise en œuvre, ce sont ses caractéristiques qui seront visibles à tout jamais sur le béton final. C’est donc le coffrage, élément provisoire dans la phase de construction, qui détermine l’esprit final du béton. Généralement on peut opposer deux types de finitions124 qui correspondent à deux modes de mise en œuvre différents. Le premier type, issu d’un coffrage artisanal, expose des joints, des coulées, des bosselures et autres imperfections. Il en découle une impression archaïque de roche sédimentaire, de précarité, de poids, d’éléments monolithiques. Le second, situé à l’opposé, repose sur l’utilisation de coffrages préfabriqués dont les joints sont maitrisés et pour lesquels tout sentiment de lourdeur s’atténue. Une forme d’abstraction est alors possible. Quand bien même le mode de coffrage a énormément évolué et qu’un grand nombre de techniques ont permis d’assouplir la rigidité caractéristique du bois ou de le substituer (par du contreplaqué moulé ou du textile, ce qui n’est pas forcément justifiable économiquement contrairement au développement du béton à l’origine), ce matériau impose ses limites aux bétons traditionnels. La seule manière de « libérer le béton de son coffrage, ce corset tectonique, technologique et iconographique »125 serait tout simplement de ne plus utiliser de coffrages. Cependant, quelle que soit la technique utilisée, il en découle inévitablement le sentiment - légitime - que le béton n’est pas un matériau naturel, mais bien une production artificielle hybride. Pour résumer, l’esprit du béton, c’est en quelque sorte « le résultat des processus de transformations et de métamorphoses qui ont laissé leurs marques en mémoire »126. Cet esprit se dirige, le plus couramment, vers deux opposés : l’archaïque (monolithe solide) ou l’abstrait (structure spatiale linéaire). Ces deux possibilités illustrent la transition d’un état primitif portant les traces du monde vers un artéfact lisse qui n’aurait pas encore été souillé par un processus de travail. 123
DEPLAZES 2008, p. 56. DEPLAZES 2008, p. 57. 125 Dans DEPLAZES 2008, p. 58, il est proposé comme alternative la projection de béton sur maille de renforcement flexible mais stable. 126 DEPLAZES 2008, p. 58. 124
69
Fig. 31 Ludwig Mies van der Rohe : Neue National Galerie, 1968.
7.3
De la technologie à la préciosité
La particularité de l’acier dans la conception architecturale actuelle est que son utilisation produit un sentiment mitigé. Bien évidemment, la construction moderne se conçoit assez difficilement sans le soutien de l’acier, notamment comme armature. Néanmoins, lorsqu’il s’agit de construction en structure acier, les règlements antiincendie, les questions de performances thermiques ou encore l’absence d’attributs « naturel, écologique ou intime »127 desservent son utilisation. De même, l’utilisation de l’acier reste trop souvent visible uniquement durant la durée des travaux, hormis dans le cas d’une seconde peau, dissociée de la structure portante. D’un point de vue stylistique, on sait que lors du passage d’un matériau à l’autre les principes constructifs initiaux perdurent pour un temps128, comme peuvent en témoigner les chanfreins qui étaient opérés sur les poutres en béton, à l’image de ce qu’il était coutume de faire dans les sections massives de bois. Pareillement, l’acier fut, dans un premier temps, l’héritier constructif du bois, à la différence près que les sections se sont réduites. Paradoxalement, le transfert stylistique d’une technologie à l’autre ne s’est pas arrêté unilatéralement du bois à l’acier. Ce transfert s’est aussi effectué en sens contraire au point qu’on peut aujourd’hui observer dans le travail du bois certaines articulations et types de joints entre les éléments linéaires qui empruntent au vocabulaire de l’acier. Bien plus que constituer un substitut à d’anciens matériaux, l’acier est venu avant tout en complément des autres structures ; l’hybridité ainsi créée s’est révélée bénéfique pour les deux matériaux. C’est d’ailleurs sous cette forme que l’acier s’est majoritairement développé : comme une « aide cachée »129. L’autre mode de propagation de l’acier relève tout simplement de la nécessité de couvrir de grandes portées ou encore d’augmenter considérablement le nombre d’étages130. C’est d’ailleurs, de façon privilégiée, dans ce type de construction que les lignes fines des structures en acier expriment un vocabulaire exclusif à la construction métallique. L’acier s’inscrit aussi comme moyen de parvenir à une rationalisation dans la construction et comme voie vers une forme de purisme. Cette quête, mise à mal dès les années 1970, redevient possible grâce à l’amélioration technique des produits verriers, lesquels permettent d’envelopper l’entièreté du bâtiment d’un voile transparent pour se diriger vers l’architecture « de peau et d’os » de Mies van der Rohe131. Deux phénomènes doivent encore être énoncés dans ce portrait de l’acier. D’une part, le fait que celui-ci incarne la préfabrication tout autant qu’un démontage des structures. D’autre part, l’utilisation plus récente de l’acier pour résoudre la problématique des surfaces triangulées. Il ne s’agit pas seulement d’une question technologique, mais aussi relative à l’esthétique dès lors qu’il permet, avec le verre, la production de façades à facettes, empreintes de « préciosité ». 127
DEPLAZES 2008, p. 113. Comme expliqué dans F ANELLI 2008, p. 12, c’est jusqu’au début des années nonante que l’ossature métallique donne lieu à des interprétations qui récupèrent les ordres architecturaux. Ce n’est qu’à partir de l’usage de la terre cuite comme recouvrement d’ossature qu’il a été « possible de représenter le thème formel de la verticalité et de la minceur logiques à l’ossature ». 129 DEPLAZES 2008, p. 114. 130Inévitablement, la reconstruction de Chicago dès 1871 a joué un rôle primordial dans le développement des structures à ossatures métalliques. 131 D’après DEPLAZES 2008, p. 115. 128
71
Fig. 32 Moore, Lyndon, Whitaker &Turnbull (MLTW) : Sea Ranch Condominium 1, 1966.
7.4
Du caractère au synthétique
Si une matière fait polémique en architecture, il s’agit bien du bois. En effet, l’ensemble des pratiques fondamentales dans la construction en bois sont bouleversées depuis une vingtaine d’années maintenant. Aujourd’hui, la construction en platform frame des années 1990 se voit déjà remplacée par des produits semi-finis planaires. À vrai dire, même si le platform frame dominait dans les nineties, un certain nombre d’architectes européens, tels McCormac, Walter Segal ou encore Ralph Erskine, se caractérisaient bien avant par leurs tentatives de redéfinition de l’architecture domestique en bois par l’usage de nouvelles techniques appliquées au bois. Ces innovations utilisaient en effet le calcul par ordinateur des composants en bois. La redéfinition dont il est question se base sur les capacités du matériau bois à proposer une expression imaginative tant extérieure qu’intérieure132. Deplazes relève133 d’ailleurs que les dernières formes de construction en bois sont apparues dans le centre de l’Europe et en Scandinavie, plus précisément dans les pays qui dépendent de l’industrie du bois. La tendance actuelle est à un transfert de la construction filigranée en bois vers une construction plutôt « solide ». Ceci s’explique par la transformation aisée des dérivés du bois et par le fait qu’une très grande partie du bois peut être utilisée dans la production de ces dérivés. Du bois massif jusqu’au panneau de MDF, chaque étape du procédé représente « l’antithèse de l’assemblage, la reformation de panneaux et de plaques »134. Ces transformations s’établissent conjointement à l’évolution des méthodes de conception et de productions qui, réciproquement, poussent à la production de produits dont les propriétés physiques et formelles s’éloignent du bois traditionnel. Les éléments planaires multicouches détrônent les éléments linéaires traditionnels dans le catalogue des éléments de base de la construction. Ceux-ci se distancient au plus haut point des considérations traditionnelles étant donné que les éléments planaires ne possèdent ni de hiérarchie interne (sens de portée) ni, théoriquement, de limitation dimensionnelle autre que celles induites par le mode de transport ou de production. Le pendant architectural de ces mutations constructives réside dans la possibilité de créer des ouvertures de manière quasi aléatoire et ouvre surtout la voie aux constructions étagées en bois qui se passent, petit à petit, de noyaux rigides en béton. Une autre conséquence architecturale de l’utilisation de produits semi-finis est le fait que le système constructif est directement lié aux surfaces visibles. Ceci induit que chaque surface (ou plutôt chaque complexe) assume plusieurs fonctions. D’une manière générale, les bâtiments modernes en bois ont la particularité d’être recouverts d’autres matériaux de finition différents du bois, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Cette tendance au recouvrement des complexes de bois mène à ce que la construction en bois soit ressentie comme « synthétique »135 et, qu’à l’image du béton monolithique, sa construction ne révèle jamais sa tectonique réelle. En effet, les panneaux semi-finis en bois ne pourront jamais, à l’instar du béton armé, révéler pleinement leur condition constructive. 132 La Bodafors Church, construite en 1969 en Suède par Ralph Erskine témoigne de préoccupations portées à l’expression des constructions en bois. 133 DEPLAZES 2008, p. 77. 134 DEPLAZES 2008, p. 78. 135 DEPLAZES 2008, p. 80.
73
Fig. 33 de Vylder Vinck Taillieu & Bavo : Institut psychiatrique Caritas, 2016.
7.5
Des matériaux
La description succincte de ces matériaux aura permis une chose : faire ressortir une sorte d’essence propre à chacun d’eux. L’utilisation de ceux-ci impose certains « principes » qui pourraient être qualifiés d’universels tout en tenant compte de la limite selon laquelle ils ne permettent pas de définir la complexité de chaque matériau. Néanmoins, comprendre brièvement les caractéristiques de chaque matière reste primordial dès lors que le choix du matériau influence l’espace par le sentiment qu’il produit et par sa dimension matérielle. Pour ce qui est de la brique, celle-ci doit être comprise comme une partie de l’ensemble qu’elle crée : le mur. Le mur de brique représente la force, le travail de construction (main d’œuvre) et, du coup, la discipline et la durabilité. Elle évoque aussi des valeurs traditionnelles. L’esthétique qui en découle relève de trois facteurs : sa forme, son joint et sa position par rapport au reste de l’ensemble. Concernant le béton, son mode de construction impose un sentiment de technique, dès lors qu’il ne se montre que partiellement et qu’il représente la dernière phase du processus de sa mise en œuvre. Selon le type de coffrage, il pourra être à la fois l’expression de structures archaïques grossières ou l’expression d’une maitrise poussée de la technique. Quoi qu’il en soit, il est le témoin du travail préparatoire nécessaire à son édification. Il découle de l’utilisation actuelle du béton une sorte de neutralité, d’abstraction générale conférée aux espaces. L’acier se fait porte-parole de la force économique ; ses structures fines mènent tant à l’abstraction qu’à un sentiment d’efficacité, selon les cas. Un peu comme la brique, c’est un matériau qui véhicule avec lui un vocabulaire qui lui est propre. Le sentiment qui en émane correspond au rationalisme, à la nécessité, à l’industrie, à l’utilité. Il revêt également un caractère qui lui est propre : le sentiment qu’une structure acier peut être montée et tout aussi facilement démontée. Enfin, le bois doit s’appréhender avec nuances. En effet, comme expliqué plus haut, la tendance actuelle est au recouvrement des structures semi-finies en bois (les complexes) ; le bois perd alors sa signification première. Admettons qu’utilisé dans la tradition constructive, le bois représente des notions de chaleur, de tradition bien évidemment, de durabilité et de confort, et ce à l’opposé des structures recouvertes qui génèrent un ressenti de synthétique. L’ensemble de ces considérations posent le postulat de la présence du matériau seul et ne considèrent pas que les sentiments qui découlent de leur usage sont aussi variables en fonction du type d’associations qui peuvent être faites. Pourtant, hormis en ce qui concerne des constructions totalement pures (ce qui reste extrêmement rare pour bien des matériaux dans l’histoire de l’architecture), la réalité mène le plus souvent à mettre en interaction les différentes matérialités pour utiliser leurs propriétés respectives. Cette mise en interaction se voit révélée dans bien des cas, mais peut tout autant être dissimulée lors du processus constructif. À titre d’exemple, le Musée National d’Art romain, érigé en 1984, s’affiche comme une construction massive en brique dans la tradition romaine de l’opus caementitium. Pourtant, sa réalisation repose sur une utilisation massive de béton. L’ensemble des murs sont réalisés en brique, tout en laissant l’intérieur vide, puis du béton est coulé dans l’interstice pour constituer le corps portant nécessaire aux besoins techniques de la conception. Les briques sont donc utilisées comme coffrage perdu et ne doivent supporter que temporairement les poussées du béton frais. Le béton, quant à lui, n’apparait que dans le cas de passerelles, sans révéler son omniprésence. 75
8
Synthèse critique
Au bibliophage qui attendait, à la suite de la lecture de cet écrit, trouver en cette conclusion des réponses aux questions telles que : « comment classifier les architectures selon les termes d’ornement, d’architectonique et d’ornementation ? » ou encore, et surtout, « comment doit-on aborder la notion d’enrichissement aujourd’hui ? », nous aimerions avancer qu’aucune réponse ne lui sera délivrée ici. En outre, si une chose peut être affirmée au terme de cette recherche, c’est bel et bien que ces questions ne peuvent trouver de réponse univoque et qu’il ne revient en aucun cas à l’auteur de définir ce que le lecteur doit penser ou doit comprendre. Par contre, toute l’utilité du travail réside, d’une part dans la mise à plat de notions historiques, de concepts théoriques et de réalité construites en vue d’organiser ces savoirs et de les communiquer ; et d’autre part, dans la recherche d’« une » manière d’aborder la question de l’enrichissement dans le projet. Il est plus qu’évident que cette seconde partie est guidée par un à priori : celui selon lequel des considérations et des choix matériels et constructifs peuvent féconder la conception architecturale. C’est sur ce postulat qu’il serait intéressant de développer un regard rétrospectif. La démarche mise en place est hautement théorique et se présente comme un processus, développé et suivi pour produire du projet. Ceci s’oppose donc délibérément à la production d’un élément de projet fini, théorisé à postériori. De même, il s’oppose tout autant au développement d’une solution qui viendrait chapeauter cet écrit, telle une manifestation symptomatique des idées de l’auteur. Aussi, comme expliqué au cours du chapitre 6, ce processus s’éloigne-t-il des balises habituelles de la production d’un projet d’architecture dès lors qu’il explore une voie pour l’aborder par le biais de la matérialité, et non pas depuis le vide. Ceci ne veut pas dire que la méthode fait fi du contexte, étant donné qu’elle se fonde sur trois facteurs qui se rencontrent en un lieu : une trame délimitée, un programme défini et des matériaux conventionnels. L’enjeu est alors de construire cette trame avec des matériaux précis, d’une certaine manière. Des questions d’ornement, d’architectonique et d’ornementation surgissent corolairement, et chaque ligne est une décision à leur sujet. Si une chose doit encore être discutée concernant cette recherche, c’est avant tout le choix de travailler exclusivement sur le plein, comme réponse à une habitude de travailler le vide. Au terme de cette focalisation ressort une constatation : celle qu’à un moment ou un autre, la question doit tout de même être analysée par le vide pour, d’une manière itérative, rebondir sur des notions que le plein ne peut traiter. Cette pensée fonctionne tout autant dans l’autre sens : le travail par le vide « devrait », en certains moments, s’intéresser de manière plus pointue au plein. Résulte le sentiment selon lequel l’architecture ne peut pas être dissociée indéfiniment selon ses composants pleins/vides, mais peut - et devrait- jongler avec ces deux notions de manière bien plus équivalente.
77
9 9.1
Sources Écrits référencés
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9.3
Images
Fig. 01 Citation d’Auguste Perret - PERRET 1952, en en-tête. Fig. 02 Citation d’Andréa Deplazes - DEPLAZES 2008, p. 19. Fig. 03 Planche de Karl Bötticher - BÖTTICHER, Karl, Die Tektonik der Hellenen : Band 3 Fünfundvierzig Kupfertafeln zur Tektonik der Hellenen — Berlin : Verlag Von Ernst & Korn, 1873. Numérisation partielle disponible en ligne : [http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/boetticher1873bd3/0002/image], [20180523]. Fig. 04 Photo du Centre communautaire de Merkem, architectes RAPP+RAPP - © Kim Zwarts. Fig. 05 Photo de la Huis Vos, architectes de Vylder Vinck Taillieu - © Filip Dujardin. Fig. 06 Schémas de représentations mentales - documents de l’auteur. Fig. 07 Schémas d’évolution de la pensée – documents de l’auteur. Fig. 08 Schémas d’évolution de la pensée – documents de l’auteur. Fig. 09 Schémas des quatre éléments de Semper – Document de l’auteur, redessinés d’après « les quatre éléments de l’architecture de Gottfried Semper » de Lisa Guiraud & Chloe Birrer, en ligne : <http://aliceblogs.epfl.ch/years/y5_2015-16/charlotte-erckrath/les-quatre-elements-de-l-architecture-degottfried-semper> [20180525]. Fig. 10 Photo de la façade de l’ETH Zurich, architecte Gottfried Semper - © Roland zh. Fig. 11 Photo de l’Église Saint-Léopold am Steinhof, architecte Otto Wagner - © Mariano de Angelis. Fig. 12 Photo du Palais Stoclet, architecte Joseph Hoffman - © Wikiarquitectura.com. Fig. 13 Photo de la Looshaus, architecte Adolf Loos - © Thomas Ledl. Fig. 14 Photo de la Vila Tugendhat, architecte Mies van der Rohe - © Miroslav Ambrozid. Fig. 15 Photo de la Sainsbury Wing, architectes Venturi Scott Brown - © Valentino Danilo Matteis. Fig. 16 Photo des Termes de Vals, architecte Peter Zumthor - © Henry Plummer. Fig. 17 Photo du Signal Box, architectes Herzog & de Meuron - © Nelson Garrido. Fig. 18 Photo de l’Institut psychiatrique Caritas, architectes de Vylder Vinck Taillieu - © Filip Dujardin. Fig. 19 Photo d’un robot de fabrication « In-Situ », ETH Zurich & NCCR Digital Fabrication – © ETH Zurich. Fig. 20 Photo des Ballets de C et B & LOD, architectes de Vylder Vinck Taillieu - © Filip Dujardin. Fig. 21 Photo des Ballets de C et B & LOD, architectes de Vylder Vinck Taillieu - © Filip Dujardin. Fig. 22 Photo de La Fraineuse de Spa, architectes Baukunst - ©Maxime Delvaux. Fig. 23 Photo de la Bibliothèque de l’Université de Gent, architectes Office - © Bas Princen. Fig. 24 Photo de la Bibliothèque de l’Université de Gent, architectes Office - © Godfried Verschaffel. Fig. 25 Photo d’un moule de la Villa Rotonda, FAT - © Designboom. Fig. 26 Schémas de proportions d’espace et dispositions matérielles - documents de l’auteur. Fig. 27 Schémas de proportions d’espaces - documents de l’auteur. Fig. 28 Liste : Psychologie de la perception, Andréa Deplazes – DEPLAZES 2008, p. 20. Fig. 29 Photo de la Maison Expérimentale, architecte Alvar Aalto - © @archphotographr. Fig. 30 Photo de l’Institut Salk pour les études biologiques, architecte Louis Kahn - © Darren Bradley. Fig. 31 Photo de la Neue National Galerie, architecte Ludwig Mies van der Rohe - © Rory Gardiner. Fig. 32 Photo du Sea Ranch Condominium 1, architects MLTW - © Darren Bradley. Fig. 33 Photo de l’Institut psychiatrique Caritas, architectes de Vylder Vinck Taillieu - © Filip Dujardin.