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" LA REUNION EST UN EXEMPLE Et un atout pour la France

En poste depuis août 2022, Jérôme Filippini, préfet de La Réunion, pilote les actions de l’État. Il est chargé, entre autres, de la mise en œuvre de la politique du gouvernement dans les domaines liés à l’écologie, la transition énergétique et à la protection de la biodiversité. 17 objectifs de développement durable (ODD) ont été fixés.

Sur une île comme la Réunion où la pression foncière est plus que jamais forte face à des priorités que sont l’autonomie alimentaire et énergétique, ces objectifs sont-ils compatibles avec le développement du territoire ?

Jérôme Filippini : Si on est engagés à La Réunion pour mettre en œuvre cette semaine européenne de développement durable depuis de nombreuses années, c’est parce que cette île concentre tous les enjeux de la transition écologique. A l’échelle de la planète, la préoccupation est l’adaptation au changement climatique et la protection de la biodiversité et du vivant. Et on s’aperçoit de plus en plus qu’il y a un lien entre les deux. Et qu’il y a aussi un lien entre la façon dont les humains vivent et la façon dont la planète vit et respire. Y compris sur des sujets comme l’accès à l’emploi, à l’édu-cation, à la santé. Il se trouve que la Réunion offre un concentré de tous ces défis. On est à la fois un territoire insulaire, isolé des influences extérieures et en même temps très exposé au climat. Depuis toujours La Réunion vit avec les cyclones. C’est aussi un territoire qui concentre une biodiversité magnifique, qui fait partie des trente hot spots dans le monde, qui sont à la fois exceptionnels par leur diversité mais qui sont aussi menacés. Les objectifs de développement durable, à la Réunion, c’est du concret. Presque tous, sur ces 17 ODD, sont importants et incarnés ici. La Réunion a des atouts et de l’expérience.

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C’est quelque chose que vous avez appris ici ?

2Quels sont-ils ?

J. F. : Il y a beaucoup de risques ici qui se concentrent. On a 7 risques naturels majeurs sur les 8 qui existent, à l’exception des risques de neige ou d’avalanche. Mais tous les autres sont là : séismes, inondations, volcan, cyclones… Et je trouve qu’à la Réunion il y a une culture de l’adaptation aux risques. Je l’ai vu peu après mon arrivée il y a un an, quand il a fallu se préparer au cyclone Freddy. On voit que les Réunionnais sont plus habitués à faire face à ces risques, bien plus que les gens de l’Hexagone et cela c’est un atout dont La Réunion peut se servir et être fière parce que cela peut servir de modèle et en tous cas d’inspiration pour la façon dont en France on doit se préparer à tous ces changements. Les Réunionnais sont plus prêts… ou moins déconnectés de ces adaptations que d’autres.

J. F. : C’est quelque chose que je connaissais mais que je vois encore plus précisément ici. Cette culture d’adaptation et je crois que c’est une énorme qualité qui va servir dans l’avenir à toute la population mondiale. Ceux qui savent faire face aux risques et s’adapter seront sans doute mieux armés que les autres. Il n’empêche que l’on n’a pas toutes les solutions et que l’on voit aussi des risques majeurs qui se présentent. Le premier est celui sur la biodiversité. On est une île sur laquelle sont arrivés énormément de plantes et d’animaux. L’homme, ici comme ailleurs a détruit beaucoup de faune et de flore. Il a apporté des plantes et des animaux et on vit aujourd’hui la problématique des espèces exotiques envahissantes qui menacent la biodiversité et plus concrètement le classement du parc national au patrimoine mondial de l’Unesco. On s’est fortement mobilisés pour faire face à cela, l’Etat, le département, les communes pour essayer de replanter les endémiques. 4

La Réunion est attractive et attire chaque année plusieurs milliers de nouveaux arrivants avec des besoins accrus en infrastructures, énergie, logements… Peut-on arriver à trouver l’équilibre entre ce développement et la préservation de la biodiversité et de l’identité de l’île ?

J. F. : Il faut savoir ce que l’on veut. Si on veut à la fois offrir des services à une population croissante et en même temps protéger le patrimoine naturel, il faut faire des choix. C’est vrai en particulier pour préserver les capacités de l’agriculture. Il reste 40 000 hectares de terres agricoles, 4 000 de moins en 10 ans. Dans l’Hexagone, la surface agricole utile, c’est-à-dire la terre disponible pour nourrir les gens est de 4 000 mètres carrés par habitant. A la Réunion, c’est 10 fois moins, 400 mètres carrés par habitant. Si on ne fait pas attention, si on déclasse les terres agricoles il n’y en aura plus assez pour nourrir les Réunionnais. Alors que La Réunion a un atout aujourd’hui : un bon niveau d’autonomie alimentaire. 70% des fruits et légumes consommés sont produits localement, c’est un exemple unique en OutreMer et dans l’Hexagone à part quelques départements du Sud. Pour protéger cet atout, il faut maintenir le foncier agricole pour pouvoir nourrir les 900 000 habitants avec une projection de 1 million en 2044. L’une des solutions est de faire la ville sur la ville, construire un peu plus haut. On a un habitat à la Réunion qui est souvent très étalé. Il faut faire des écoquartiers. J’ai l’exemple d’opérations qui ont été faites à la Possession où on fait attention à l’écoulement de l’eau pour alimenter des coulées végétales. La régulation thermique c’est d’avoir de la verdure près de l’habitat. Il y a aussi le projet d’Ecocité de Cambaie qui a été conçu pour intégrer les préoccupations environnementales. Et pour la rénovation énergétique des bâtiments publics, plusieurs dizaines de millions d’euros ont été alloués. Dans le cadre du front vert, décidé par Mme Elisabeth Borne, La Réunion a bénéficié cette année de 22 millions d’euros pour accompagner les projets pour plus d’économies d’eau, d’énergie, de revégétalisation…

5Quel est votre ressenti sur La Réunion, l’île Intense ?

J. F. : Elle est intense à tous points de vue, en travail et responsabilités pour le représentant de l’Etat. Mais elle est aussi intense en émotions pour la personne que je suis. La Réunion est née du volcan et il y a une espèce d’énergie… tellurique qui a rendu tous les développements plus intenses à La Réunion. Celle de la nature, luxuriante. Et puis, il y a cette coexistence de populations d’origines tellement diverses… Cela fait quelque chose de très particulier. Je suis tombé très amoureux de La Réunion. C’est un territoire français qui est exemplaire pour l’adaptation de la France de demain. Si on regarde La Réunion on voit les défis, mais aussi les chances qu’à ce morceau de France et d’Europe dans l’Océan Indien et les bonnes inspirations qu’elle peut donner.

sécheresse :

Mayotte face à la crise de l'eau

Jamais depuis 1977

Mayotte n’avait connu une telle période de sécheresse. Un phénomène d’ampleur mondiale qui touche plusieurs continents et qui a des conséquences sur le quotidien des peuples qui, outre le fait d’avoir un accès rationné à l’eau, voient cultures et élevages partir en poussière…

Mayotte, île française de l’archipel des Sultans Batailleurs, connaît en plus des phénomènes de violence, un sérieux épisode de sécheresse avec des conséquences importantes sur le quotidien de la population. L’île est majoritairement alimentée par les eaux de ruissellement qui parviennent dans la retenue collinaire de Combani, aujourd’hui quasiment vide. Depuis le début du mois, les Mahorais sont privés d’eau deux jours sur trois avec des coupures quotidiennes qui peuvent durer de 36 à 48 heures le week-end. Le lycée Younoussa Bamana, qui accueille plus de 2 600 étudiants a dû interrompre ses cours et la ville de Koungou a mis en place une fermeture alternée de ses écoles basée sur le calendrier des coupures, même si des cuves ont été mises en place. Pourtant un « chemin de l’eau » avait été mis en place pour garantir l’approvisionnement des établissements hospitaliers et scolaires, mais il semble aujourd’hui inopérant. Il se dit qu’une partie de ces problèmes sont liés aux travaux de raccordement de l’hôpital de Mamoudzou.

Les Eaux de Mayotte visées par une enquête du PNF…

Mais il semble que le mal soit plus profond et révèle une mauvaise gestion des ressources en eau de l’île avec le syndicat des Eaux (Eaux de Mayotte) bénéficiaire hors plan Marshall, en 2022 d’un contrat de 350 millions d’euros avec l’Etat et qui fait l’objet d’une enquête du Parquet National Financier suite à un rapport de la Cour des Comptes qui a débusqué des détournements de fonds et des emplois de complaisance.

En déplacement à la Réunion, Philippe Vigier, ministre chargé des Outre-mer a fait une visite express pour expliquer les mesures qui avaient été prises par le chef de l’état pour « la mise en place d’un véritable plan Marshall à Mayotte. »

L'État acheminera toutes les 3 semaines 600 000 litres d'eau potable depuis La Réunion. Toutes les personnes vulnérables ( un dixième de la population, soit 30 000 personnes ) bénéficieront d’une distribution gratuite de deux litres par jour. Un dispositif qui sera étendu aux personnes handicapées et en longue maladie. Par ailleurs, quinze citernes vont être réparties sur le territoire et remplies par une station de traitement pour qu’il y ait « zéro risque sanitaire ». Les entreprises bénéficieront d’une aide mise en œuvre par la Direction des finances publiques de Mayotte.

Pour remédier de façon pérenne à ces problèmes des travaux sont actuellement en cours, notamment pour éviter les fuites importantes sur le réseau – 40 % du volume transporté - notamment sur l’interconnexion entre le nord et le sud de Mayotte moins riches en eau.

La population elle s’est organisée tant bien que mal. Des manifestations ont eu lieu contre cette pénurie, avec comme revendications la suspension des factures, la stabilisation des prix en bouteille et la mise en place d’un plan Orsec. Hygiène, cuisine, vaisselle, linge, ménage tout se fait désormais en trimballant des bassines vendues à prix d’or, dans des conditions sanitaires telles que seuls les plus riches peuvent en assurer la qualité. Face à cette crise majeure, le gouvernement a pris certaines mesures.

D’autres solutions pour assurer une alimentation régulière en eau sont en cours de réalisation. Même si une unité de dessalement exploitée par Vinci ne fonctionne qu’au tiers de ses capacités sans pénalité, à Saada, une usine de traitement de l’eau de mer devrait voir le jour. Une solution qui a montré toute son efficacité et son utilité notamment dans les pays du Golfe Persique et même en Europe où la plus grande usine se situe en Espagne, à Barcelone, construite après la sécheresse qui a touché le pays en 2008. Des forages exploratoires ont également lieu à la recherche de nouvelles nappes.

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